La sexualité féminine textes de Freud 1931-‐1932

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La sexualité féminine textes de Freud 1931-‐1932
 1 La sexualité féminine textes de Freud 1931-­‐1932 J’ai découpé ces courts exposés de Freud « sur la sexualité féminine » écrit en 1931 et 1932 en quatre parties : une première partie où Freud s’attache au développement sexuel féminin proprement dit. Une seconde partie où il analyse la phase qu’il nomme préœdipienne et qui précède le complexe œdipien chez la fille. Une troisième ou il dégage la nature de la libido chez la petite fille à l’entrée du complexe d’Œdipe en quelque sorte motion passive et/ou active. Enfin je terminerais sur quelques développements psychanalytiques de la théorie freudienne Mais en introduction, on pourrait commencer par tracer la ligne de force (on peut également parler de certitude) qui traverse le freudisme du début à la fin : il s’agit de la sexualité. En effet, citons Freud dès 1895 dans l’Esquisse : « il existe dit-­‐il un caractère de la représentation sexuelle qui explique que seules les représentations sexuelles soient soumises au refoulement ». Ce primat de la sexualité, plus de 40 ans plus tard, en 1938 on le retrouve quand Freud signale par exemple que « le point faible de l’organisation du moi gît dans son comportement à l’égard de la fonction sexuelle ». Comme le note Gérard Pommier, même si ce sont les femmes qui ont guidé ces premières recherches (la théorie freudienne s’est élaborée à partir d’analyse de femmes, en l’occurrence les hystériques), le propre du féminin, sa sexualité semble déroger aux généralisations que Freud élabore pendant les premières décennies de son œuvre. On peut ajouter que dans les textes de la dernière partie de sa vie que nous étudions aujourd’hui, il existe différents destins quant au « devenir femme » que l’on ne rencontre pas quand il s’agit du sujet masculin. Il y a donc une exception féminine. Ces textes de 1931 et 1932 qu’il a été pour moi difficile de dissocier reconnaissent un destin féminin supplémentaire et contingent au destin masculin. Ce sont des articles plutôt brefs qui marquent un temps du développement sexuel et qui n’ont pas une visée générale. La référence « généraliste » se trouve dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité parue en 1905 qui constitue la trame temporelle du développement sexuel (permettant de repérer les effets d’anticipation et de retard par rapport à ce développement et le mécanisme après coup du refoulement.) Que disent les articles de 1931 et 1932 ? D’abord des points communs entre les deux sexes : le point de départ du développement sexuel est le même pour le garçon et pour la fille : le premier objet d’amour est la mère, ensuite que le fantasme de l’universalité du pénis (théorie sexuelle infantile fondé sur le primat du phallus) existe aussi des deux côtés. Mais l’originalité tient à la suite, à savoir que le développement sexuel féminin suit une autre voie, donc des destins différents entre les deux sexes. Pourquoi ? Cela tient avant tout au problème que pose le complexe de castration. On y reviendra. Mais ce que semble découvrir Freud à ce moment de sa vie et qu’il avance dans ces deux articles, c’est l’importance de la phase préœdipienne chez la fille caractérisée essentiellement par le lien d’attachement intense de la petite fille à la mère. Ce temps s’étalerait dit il, sur une durée assez longue. 2 I / Le développement sexuel de la fille Les observations de FREUD : Il observe que des femmes très liées à leur père avait auparavant connu dans leur « préhistoire » pourrait on dire un lien aussi intense et passionné avec leur mère. Une deuxième observation que fait Freud et qui touche la période préœdipienne de la fille tient à la durée de cet attachement, quatre, voire cinq ans pour certaines. L’interrogation freudienne porte sur la période préœdipienne de la petite fille. Il établit des liens entre cette phase et l’étiologie de l’hystérie et aussi une paranoïa adulte qui prendrait germe à cette période. Freud s’appuie également sur des analystes femmes comme Jeanne Lampl de Groot , Hélène Deutsch, Ruth Mac Brunswick. Un autre fait clinique questionne Freud : il établit une corrélation chez certains de ces patients entre un lien fort au père chez la femme et la nature du lien, également fort de la petite fille au stade préœdipien avec sa mère. Ces faits, Freud pense les relier au développement sexuel féminin. Il élabore alors sa théorie 1/ d’abord, Il affirme une bisexualité constitutive des êtres humains, une bisexualité plus prononcée chez la femme : l’homme n’a qu’une seule zone génitale prédominante, un organe sexuel, tandis que la femme en possède deux : le vagin qui est proprement féminin et le clitoris analogue au membre viril de l’homme. 2/Le développement sexuel féminin démarre avec le clitoris, cette première phase pour Freud est essentiellement masculine. La seconde, féminine met en œuvre le vagin et ne commencerait à produire de sensations qu’à la puberté. Il y a donc dans le développement sexuel de la fille un passage d’une zone érogène à une autre, sans pour autant que la seconde ne vienne éteindre la première. Il y a un changement de sexe. Il y a une bisexualité. On a dans nos séances précédentes, vu que ces hypothèses freudiennes ont été confirmées par l’embryogenèse (homme et femme ont un petit pénis qui subit une involution chez la femme). Quoi qu’il en-­‐soit, à partir de ces constats, un certain nombre de psychanalystes post-­‐ freudiens interrogeront la jouissance de la femme. Le mythe de Tirésias cultivant l’idée que la jouissance de la femme est infiniment supérieure à celle de l’homme. Le mythe de Tirésias : métamorphosé en femme durant sept années, Tirésias peut comparer la jouissance féminine à celle de l’homme. Cette expérience lui procure un savoir plus grand que celui des dieux. Consulté par Zeus et Héra, il révélera que la femme trouve en amour un plaisir dix fois plus grand que celui de l’homme. Sa réponse lui vaudra d’être frappé de cécité par Héra, furieuse de voir révélé le secret de son sexe. Il est par contre, gratifié du don de prophétie par Zeus. Plus tard, devin à Thèbes et connaissant le secret de la jouissance féminine, il pourra prédire le sort qui est réservé à Œdipe. 3 3/Au changement de sexe vient s’ajouter un changement d’objet, le premier objet d’amour identique dans le premier temps aux deux sexes ( le garçon conserve son orientation libidinale) change dans un second temps pour la fille : changement de sexe donc et changement d’objet pour la fille. L’homme-­‐père est devenu le nouvel objet d’amour. A cette absence de parallélisme entre les deux sexes vient s’ajouter une différence majeure touchant au complexe de castration. 4/ les effets du complexe de castration ne sont pas les mêmes selon le sexe, si le garçon a la vue de l’organe sexuel féminin découvre la possibilité de castration mettant fin à son complexe œdipien et amenant la création du surmoi (intériorisation de l’instance paternelle en surmoi), l es effets du complexe de castration sont différents chez la fille. La femme reconnaît le fait de sa castration et avec cela reconnaît aussi la supériorité de l’homme et sa propre infériorité, elle se révolte aussi contre cela. 5/ C’est à partir de cet état que s’offre trois voies de développement pour la femme. Une première direction est de se détourner de la sexualité, effrayée de la comparaison avec le garçon, insatisfaite de son clitoris ; elle renonce à son activité phallique. La seconde consiste à ne pas céder. Maintenir sa position masculine avec l’espoir d’être pourvu un jour d’un pénis. Maintient donc du fantasme d’être un jour un homme. C’est le complexe de masculinité qui veut s’achever par un choix d’objet homosexuel. La troisième voie débouche pour Freud sur l’attitude féminine normale. La fille choisit son père comme objet et trouve ainsi la forme féminine du complexe œdipien. Ce qu’il faut retenir : c’est à la fois le double changement propre au féminin : du sexe et de l’objet et c’est d’autre part le long processus que constitue le complexe œdipien au féminin et l’influence qu’exerce la castration ni plus ni moins que le point de départ d’un processus qui commence à partir de la perception de la différence anatomique des sexes. 6/ Freud, prudent objecte que sa théorie sera certainement critiquée notamment par les féministes, voire les analystes femmes. Il n’a pas tort : la perception du manque anatomique chez la femme comme point de départ du développement sexuel féminin rencontre des oppositions, évoquant là, le complexe de masculinité de l’homme (tendance innée de l’homme à mépriser et réprimer la femme). Habilement d’ailleurs, il cite les travaux des psychanalystes femmes qui corroborent sa théorie. Mais venons-­‐en à cette fameuse période qui précède l’Oedipe du côté féminin que Freud comparera à une civilisation archaïque et qui représente l’autre marque de cette différence entre les sexes. II/la phase préœdipienne 1/ Une bonne partie de ces articles est consacrée à la phase que Freud nomme préœdipienne ou encore phase de lien exclusif à la mère à laquelle il donne et il continuera de donner une place importante dans le développement sexuel de la fille. Phase qui a ce moment là de sa recherche sur la sexualité féminine semble lui donner des clés sur le développement sexuel et le rapport à l’autre masculin. 4 Il part à nouveau de sa clinique Il note un lien entre la relation maritale et les liens affectifs de la petite fille avec sa mère sous la forme d’un report de la relation première, celle-­‐ci, refoulée, s’impose dans la relation avec le mari. Freud avance que cette phase consacrant un lien si puissant avec la mère est marquée à sa fin par l’abandon de l’objet maternel tant aimé. Freud analyse les facteurs, parmi eux, deux d’entre eux sont partagés avec la gente masculine et contribuent à la séparation. D’abord la jalousie à l’égard d’autres personnes : frères, sœurs et aussi le père. Il y a également cet amour infantile exclusif, sans mesure et sans but en direction de la mère qui ne peut qu’avoir une destinée dramatique. Mais spécifiquement, l’influence du complexe de castration sur « l’être sans pénis » semble essentielle. La découverte est variable nous dit Freud et semble dépendre de l’activité phallique de la petite fille mais aussi du phénomène de séduction assez fréquent selon Freud. L’interdiction de la masturbation est un motif de révolte, la satisfaction réprimée joue pour le père de la psychanalyse un grand rôle dans la séparation d’avec la mère. A noter dit Freud qui fait preuve de prudence qu’il est difficile d’affirmer une portée trop générale à cette théorie, les réactions différent selon les individus et de plus dans la mémoire, les faits s’ajoutent, se superposent, se déforment II est donc difficile de distinguer les processus ultérieurs à cette première phase de ceux qui en émanent. On note cette digression et cette prudence que le psychanalyste met avant. Freud cependant repart de plus belle sur les motifs d’éloignement de la mère. Il ajoute à sa liste celui du sevrage avant de récapituler tous les motifs justifiant de l’hostilité de la fille vis-­‐à-­‐vis de sa mère. Mais de toutes ces justifications, il en souligne peut être une, plus plausible à ses yeux : l’attachement à la mère doit sombrer parce qu’il est premier. Il existe une sorte d’acmé de l’amour puisque premier, l’amour maternel devient source de déceptions inévitables (ça ne peut pas durer) et il fait l’analogie avec un premier mariage (les seconds sont bien meilleurs). La haine serait donc indissociable de l’amour, l’un et l’autre se retrouvant aussi importants l’un que l’autre dans une forme d’ambivalence plus tranchée dans les premiers temps du développement qu’ultérieurement. III/ Les motions sexuelles Freud utilise ce terme pour désigner la pulsion sous son aspect dynamique, c’est une pulsion en acte. Proche du terme Regung en allemand, substantif tiré du verbe regen « mouvoir » (vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis). Freud explore tous les types de motions propres au développement de la fille (mais aussi du garçon) de façon généraliste. On retrouve classiquement des motions passives qui provoquent la réaction active. Il note cette préférence féminine pour jouer avec les poupées, témoignage de l’exclusivité du lien avec la mère et de la négligence de l’objet père. Il évoque des motions pulsionnelles obscures que l’enfant n’a pu saisir au moment où elles se sont produites. Des désirs oraux agressifs et des désirs sadiques se rencontrent refoulés bien sûr et qui s’apparentent à une angoisse d’être tué par la mère justifiant un désir de mort de celle-­‐ci. 5 Parmi les motions passives de la phase phallique, Freud note particulièrement celle de la fille qui accuse sa mère de séduction parce qu’elle a ressenti ses premières ou en tout cas ses plus fortes sensations génitales lors de la toilette ou des soins corporels entrepris par la mère. Il dit de la mère qu’elle ne peut éviter d’ouvrir la phase phallique de l’enfant (mère initiatrice) bien que les fantasmes qui suivront seront mis sur le compte du père. Ce qu’il faut sans doute retenir dans cette partie c’est qu’au-­‐delà du changement d’objet de la petite fille, il ya aussi chez la petite fille une bascule au profit des motions sexuelles passives (par rapport aux motions actives). Une première explication : les motions actives provoquées par les frustrations mais irréalisables seraient plus facilement abandonnées par la libido. Une deuxième explication : le passage à l’objet père s’accompagne des tendances passives. Les liens préœdipiens étaient accompagnés d’une masturbation clitoridienne témoignage de sa masculinité (phase phallique). Le refoulement éloigne ses tendances sexuelles (tendances sexuelles en général endommagées de façon permanente). La voie est libre dit Freud pour la fille qui s’est en quelque sorte débarrassée des restes du lien préœdipien. IV/C considérations psychanalytiques et situation clinique. A partir d’une libido que Freud définit comme substance d’excitation sexuelle unique qui connaît ses buts c'est-­‐à-­‐dire ses modes de satisfactions (actifs ou passifs), des Psychanalystes comme Gérard Pommier ont tenté de dépasser cette forme d’impasse freudienne à propos d’une passivité qui serait l’apanage du féminin. Pour le psychanalyste, L’homme et la femme sont d’abord passifs, ils sont l’objet tous deux du désir de l’Autre maternel puis ils deviennent actif (ils entrent dans la jouissance phallique). Enfin, la femme peut selon des voies qui lui sont propres en revenir à la passivité. Il s’agit là d’un « redevenir femme », d’un retour à la féminisation originelle. C’est là où Pommier parlant de l’exception féminine, fait un pas supplémentaire par rapport à Freud. Pour le psychanalyste, il y a un « devenir femme » pris tout entier dans le complexe de masculinité (c’est la perspective freudienne malgré ses précautions) et un « redevenir femme » qui lui s’en démarquent. Pourquoi ? C'est-­‐à-­‐dire qu’il y a dans le « redevenir femme », un retour à la passivité première qui permet de saisir comment la femme et rejointe par une autre jouissance qui ne doit rien à l’envie du pénis.une jouissance en excès. Il y a donc selon lui une forme de passivité active ou d’active passivité. La bisexualité freudienne est en quelque sorte ramené à cette double jouissance (elle échappe de ce fait à la référence anatomique) ; il y a donc une articulation de la jouissance de l’Autre (première jouissance, celle qui dépend du désir le l’Autre) à la jouissance phallique (celle qui détermine son destin, dépendante du phallus). C’est ce qui a permis de dire à Lacan : « la femme n’est pas toute », elle n’est pas toute dans la jouissance phallique. Sorte de confirmation du mythe de Tirésias. 6 Sur la période préœdipienne de la fille décrite par Freud dans ces deux textes, quelques développements de la part des psychanalystes. D’abord Lacan dans son séminaire « La Relation D’Objet » de 1956-­‐1957 : « cette mère inassouvie, insatisfaite, autour de laquelle se construit toute la montée de l’enfant dans le chemin du narcissisme, c’est quelqu’un de réel, elle est là, et comme tous les êtres inassouvis, elle cherche ce qu’elle va dévorer, quaerens quem decord. Ce que l’enfant lui-­‐même a trouvé autrefois pour écraser son inassouvissement symbolique. Il le retrouve possiblement devant lui comme une gueule ouverte (…) voilà le grand danger que nous révèlent le fantasme d’être dévoré… » Ensuite Geneviève Morel dans son ouvrage La loi de la mère : « avant la dure « loi du père », l’enfant a vécu dans un monde dont il a une nostalgie lancinante : celui de l’ «ancienne loi » qui est comparée à celui de « l’humanité jusque là écrasée, le règne de la mère ». La loi de la mère est faite de mots noués au plaisir et à la souffrance, bref à la jouissance maternelle qui sont transmises à l’enfant dès son plus jeune âge et s’impriment à jamais dans son inconscient modelant fantasmes et symptômes. » La loi de la mère comme la langue maternelle (lalangue pour Lacan) est constitué d’équivoques qui font le lit d’une certaine ambiguïté sexuelle. Je terminerais par un passage de La bâtarde de Violette Leduc tiré de l’ouvrage de G Morel et d’une situation clinique liée à ma propre expérience. 1/ V Leduc parle de sa relation ravageante à sa mère : « elle m’offrait chaque matin un terrible cadeau : celui de la méfiance et de la suspicion. Tous les hommes étaient des salauds, tous les hommes étaient des sans-­‐cœur. Elle me fixait avec tant d’intensité pendant sa déclaration que je me demandais si j’étais un homme ou non. ». Voilà l’énonciation d’une loi de la mère qui semble sans appel. Prisonnière du discours maternel 2/Nommer le sexe de la petite fille : C’est un dialogue que je rapporte dans un groupe de supervision de professionnels de la petite enfance D-­‐ Je suis très embêtée quand il s’agit de nommer le sexe de la petite fille que j’emmène aux toilettes. A-­‐ Pour le garçon, c’est facile, c’est « zizi » D-­‐ Chaque famille a son propre nom. A-­‐ Essuie ton pipi, je dis ça souvent ou essuie ton petit « zizi », même aux filles je dis cela. D-­‐ Je préfère essuyer les garçons puisque là j’ai un nom A-­‐ Pour les filles moi je dis « cacanne » D-­‐ Parfois, je dis essuye-­‐toi sans nommer A-­‐ Ma petite cacane, souvent on dit ça au petit, c’est affectueux. B-­‐ Ça m’embête 7 C-­‐ On pourrait dire… mais pour ma fille je ne me souviens plus de ce que je disais peut être « Quinette », « Quiquine » A la séance suivante : D-­‐ c’est fou de ne pouvoir mettre de mots sur le sexe de l’enfant ; les mots « quéquette » ou « cacanne » ça m’embête. Ce sont aussi les surnoms donnés aux enfants. E-­‐ On n’est pas formé à ça. Ça reste tabou… c’est resté quelque chose de sale, ça me gène. F-­‐ Moi, je dis pipi. Je me souviens quand j’étais petite on allait chercher dans les livres pour savoir comment ça fonctionnait. BERNARD CHIVET [email protected]