Métaplasie colique pseudo-tumorale de la muqueuse

Transcription

Métaplasie colique pseudo-tumorale de la muqueuse
CAS CLINIQUE
Progrès en Urologie (2002), 12, 325-328
Métaplasie colique pseudo-tumorale de la muqueuse vésicale
Abdellatif BENCHEKROUN (1), Mohamed ZANNOUD (1), Yassine NOUINI (1), Zakia BERNOUSSI (2),
Meryem KAMOUNI (2), Mohamed FAIK (1)
(1) Clinique
urologique A, (2) Service d’Anatomie pathologique, Hôpital Avicenne, Rabat, Maroc,
RESUME
Affection rare, la métaplasie colique est secondaire à un facteur irritatif chronique.
Son expression clinique est celle d’une cystite banale dans la forme mineure. La
forme majeure pseudo-tumorale peut égarer le diagnostic vers une tumeur maligne
de vessie. Le diagnostic est histologique. Le traitement vise l’éradication des facteurs
irritatifs et la résection endoscopique de la forme pseudo-tumorale. La chirurgie
s’adresse aux complications de cette affection. L’évolution est incertaine imposant
une surveillance au long cours.
Nous rapportons une observation de métaplasie glandulaire de type colique de la
muqueuse vésicale, chez un patient de 50 ans. La symptomatologie clinique était
dominée par l’hématurie et la pollakiurie. Une tumeur vésicale maligne était fortement suspectée sur les données de l’échographie et de la cystoscopie. Le patient avait
subi une résection transurétrale de la tumeur vésicale. L’étude histologique des
copeaux de résection avait révélé une métaplasie glandulaire de type colique de la
muqueuse vésicale.
Mots clés : Métaplasie, glandulaire , colique, vessie.
La métaplasie colique de l’urothélium vésical est une
tumeur bénigne rare [1, 5, 6, 9]. Elle est le plus souvent
asymptomat ique et découverte dans un contexte
inflammatoire chronique prolongé. Cependant, il existe certaines formes rares prolifératives pseudo-tumorales qui réalisent un aspect de bourgeonnement polypoïde plus au moins exubérant [5, 6, 9].
Nous rapportons une observation de métaplasie colique
de la muqueuse vésicale réalisant un aspect pseudotumoral, avec revue de la littérature.
OBSERVATION
Figure 1. Echographie vésicale. Image de nature tissulaire,
réalisant un aspect bourgeonnant au dépens de la paroi vési cale latérale droite.
B.A…, âgé de 50 ans, sans antécédents pathologiques
particuliers, présentait depuis 8 mois une hématurie et
une pollakiurie. L’examen clinique était normal en
dehors d’une hypertrophie, d’allure bénigne, de la
prostate au toucher rectal. L’échographie vésicale
(Figure 1) avait montré une image échogène, de nature
tissulaire, latéralisée à droite, réalisant un aspect bourgeonnant et sans retentissement sur le haut appareil
urinaire. L’examen cyto-bactériologique des urines
était stérile. Le bilan biologique avait montré une fonction rénale normale et un hémogramme correct.
L’exploration endoscopique avait montré deux petites
joues prostatiques non obstructives et avait objectivé
une tumeur latérovésicale droite. Une résection endoscopique de la tumeur était pratiquée et l’étude histoloManuscrit reçu : juillet 2001, accepté : octobre 2001.
Adresse pour correspondance : Pr. A. Benchekroun, Service d’Urologie A,
Hôpital Avicenne, CHU Rabat-Salé, Rabat, Maroc.
e-mail : [email protected]
325
A. Benchekroun et coll., Progrès en Urologie (2002), 12, 325-328,
Figure 2. Histologie : urothélium vésical avec des structures
glandulaires simulant des glandes coliques, sans individuali sation de lésions malignes.
gique des copeaux de résection (Figure 2), avait révélé
une métaplasie colique de la muqueuse vésicale sans
individualisation de lésions tumorales.
14 mois après, le patient est en bon état, sans aucun
trouble mictionnel et la cystoscopie ne montrait pas de
récidive tumorale.
est rencontrée au cours des extrophies vésicales non
traitées, des st ases urinaires prolongées, des lithiases
infectées, des tumeurs, des infections urinaires, des
obstructions… . Cependant, aucune cause n’est formellement identifiée dans de nombreux cas [9].
Dans notre observation, aucune cause expl iquant la
métaplasie colique n’a été mise en évidence. Ces
phénomènes irritatifs entraînent une prolifération de
l’épithélium transitionnel qui se modifie progressivement; les îlots de Von Brün se t ransforment en
lésion de métaplasi e glandul aire en passant parfois
par le stade de dystrophie kystique, mais cette filiation n’est pas obligatoire et la mét aplasie peut survenir d’emblée à partir de l’urothélium de surface [4, 5,
6, 9].
La métaplasi e colique peut se rencontrer à tout âge,
avec une fréquence plus élevée vers la cinquième et
la sixième décade et une prédominance masculine
[6, 9]. La grande majorité de ces affections est
asymptomatique. Quand l es lésions sont symptomatiques, deux grands modes de présentation sont
décri ts [6, 9] :
- un mode où les symptômes irritatifs prédominent le
tableau clinique. Les patients se plaignent de façon
variable de pollakiurie, de dysurie et de douleurs pelviennes.
DISCUSSION
- un mode pseudo-tumoral, beaucoup plus rare, où l’hématurie macroscopique, associée ou non à des troubles
mictionnels, prédomine. Parfois des douleurs rénales
peuvent apparaître, faisant suspecter une dilatation du
haut appareil liée à l’envahissement des méats urétéraux par une forme proliférative pseudo-tumorale.
Histologiquement, la métaplasie colique de la muqueuse vésicale est caractérisée par la présence dans le chorion superficiel, souvent inflammatoire, de glandes de
type colique. Ces glandes faites de structures tubulaires
unistratifiées se groupent en pseudo-lobules ou prolifèrent en volumineux amas dans une forme pseudotumorale. Les tubes glandulaires sont bordés de cellules caliciformes et de cellules basophiles s’ouvrant
dans la lumière vésicale. L’urothélium de surface reste
normal ou présente lui-même une métaplasie cylindrique mucipare. Parfois, les glandes ont une organisation simulant une muqueuse colique avec un mucus
ayant les même caractéristiques histo-chimiques que le
mucus intestinal. Entre les cellules cylindriques on
peut observer des éléments cellulaires spécial isés
comme des cellules de Paneth et des cellules neuroendocrines. Exceptionnellement, la métaplasie glandulaire peut être gastrique avec la visualisation des cellules en bagues à chaton [5, 6, 9].
L’examen clinique est pauvre, rarement un globe vésical est décelé. Les touchers pelviens peuvent trouver
une hypertrophie de la prostate chez l’homme ou parfois une masse régulière au niveau du col vésical chez
la femme [6, 11].
La radiographie conventionnelle (échographie vésicale, urographie intraveineuse) montre une masse
prédominant sur le trigone et pouvant s’ét endre à
toute la vessie. Un retentissement sur le haut appareil
peut être trouvé. La tomodensitomét rie pelvienne et
l’imagerie par résonance magnétique montrent, en
plus de la tumeur trigonale, un épaississement de la
base vésicale associé, parfois, à une lipomatose pelvienne [6, 9]. La cystoscopie objective la tumeur de
trigone plus ou moins étendue à t oute la vessie, elle
précise également son aspect congestif, ulcéreux ou
bourgeonnant plus ou moins sail lant. L’aspect endoscopique est extrêmement variable et peu spécifique
et souvent interprété comme une lésion néoplasique,
mais les biopsies multiples permettent d’éliminer un
cancer [6, 9]. Seul l’examen anatomopathologique
qui met en évidence du tissu gl andulaire cyl indrique
Sur le plan étiopathogénique, plusieurs théories tentent d’expliquer cette métaplasie col ique. La théorie
embryologique selon laquelle des cellules glandulaires migreraient dans la vessie lors de la séparation
du rectum et de la vessi e a été abandonnée [9].
Actuellement , les phénomènes inflammatoires, dus
à une irri tation chroni que de l a muqueuse vésicale,
sont communément admis comme étant à l’origine
de la métaplasie colique [1, 4, 5, 6, 7,9]; en effet, elle
326
A. Benchekroun et coll., Progrès en Urologie (2002), 12, 325-328,
3. DHOUIB R., KHATTECH R., SASSI S., BEN ROMDHANE K.
Adénocarcinome vésical primitif à cellules en bague à chaton. Ann.
Pathol., 1999, 19 : 78-79.
au niveau de la muqueuse et de la sous-muqueuse
vésicale apporte la certitude diagnostic. Cependant, il
est parfois di ffici le de différencier cette lésion d’un
adénocarcinome, principalement dans sa forme pseudo-tumorale [4, 5, 6, 9].
4. EL-MEKRESH M .M., EL-BAZ M.A., ABOL-ENEIN H. ,
GHONEIM M.A. Primary adenocarcinoma of the urinary bladder :
a report of 185 cases. Br. J. Urol., 1998, 82 : 206-212.
L’évolution de la métaplasie colique est controversée
[6, 9]. CORICA [2], dans une étude multicentrique étudiant l’évolution à long terme de 53 cas de métaplasie
colique a montré qu’aucun patient n’a présenté de
lésions adénocarcinomateuses et a conclu que la métaplasie colique n’est pas forcement un facteur de risque
de développement d’un adénocarcinome ou d’autres
cancers urothéliaux. Cependant, pour d’autres auteurs
[1, 3, 4, 5, 8, 9, 10], il s’agit d’une lésion vraisemblablement précancéreuse, susceptible de donner un adénocarcinome surtout en cas d’exposition persistante à
un facteur défavorable.
5. EL MEZNI F., KHAYAT O., ZERMANI R., MRAD K., AYED M.,
BEN JILANI S. Double métaplasie malpighienne et glandulaire
colique des voies excrétrices rénales (à propos d’un cas). Ann.
Pathol., 1999, 19 : 76-77.
6. EL MOUSSAOUI A., DAKIR M., SARF I., ABOUTAIEB R.,
ZAMIATI S., BENJELLOUN S. Les cystites glandulo-kystiques.
Etude de deux observations. Ann Urol, 1997, 31 : 195-198.
7. HAMPSON S.J., FALZON M., COWIE A.G. Intestinal metaplasia of
the bladder, implication for management. Br. J. Urol., 1992, 69 :
323-324.
8. LESOURD A., JOERG A., OLLIER P., LE DUC A. Un cas d’adénocarcinome primitif de la vessie à cellules en bague à chaton. Arch.
Anat. Cytol. Pathol., 1996, 44, 278-281.
La résection endoscopique transurètrale est souvent
suffisante en cas de métaplasie colique pseudo-tumorale. Des gestes chirurgicaux plus mutilants sont pratiqués en cas d’envahissement des méats urétéraux
(réimplantation urétéro-vésicale) ou de phénomènes
irritatifs handicapants (cystéctomie partielle ou totale).
Le traitement de facteur irritatif, s’il est identifié, est
fondamental : antibiothérapie au long cours, lithotripsie
vésicale…[6, 9].
9. SAUTY L., RAVERY V., TOUBLANC M., BOCCON-GIBOD L.
La cystite glandulaire floride : étude de trois cas et revue de la littérature. Prog. Urol., 1998, 8, 561-564.
10. SOULIE M., MOULY P., PLANTE P., ESCOURROU G. ,
PONTONNIER F. Adénocarcinome vésical primitif à cellules en
bague à chaton. A propos de 1 cas. Revue de la littérature. Prog.
Urol., 1993, 3 : 677-682.
11. VOLDMAN C. La cystite glandulaire, à propos d’une observation.
Ann Urol, 1983, 3 : 191-192.
Une surveillance régulière annuelle associant cystoscopie avec des biopsies multiples et cytologie urinaire
semble suffisante en cas de métaplasie glandulaire
asymptomatique [9].
Commentaire de Michel Soulié, Service de Chirurgie urologique, CHU de Rangueil, Toulouse.
La cellule «souche» urothéliale est une cellule pluripotente
capable de se transformer en d’autres types cellulaires normalement absents de l’épithélium urinaire, sous l’influence éventuelle de facteurs irritatifs tels l’infection chronique ou l’obstruction urinaire [1, 2]. La métaplasie glandulaire de type digestif, ici colique, est une des situations les plus fréquentes à côté
de la cystite kystique souvent associée, de la métaplasie glandulaire gastrique plus rare et de la métaplasie squameuse ou leucoplasie. Le risque de dégénére scence de cette métaplasie
colique est important, estimé entre 10 et 42%, avec une apparition souvent tardive jusqu’à 15 ans après le diagnostic [3]. C’est
souligner qu’il est fondamental de surveiller très rigoureusement ces patients pendant de longues années par des endoscopies, des cytologies et des biopsies profondes au moindre doute
évolutif.
CONCLUSION
La métaplasie colique est une affection rare, à malignité locale et souvent asymptomatique. La recherche et la
cure d’une cause irritative sont essentielles. La résection endoscopique est, en règle générale, suffisante
pour la contrôler, mais on peut être amené, en cas de
lésion proliférative pseudo-tumorale et récidivante, à
pratiquer un geste d’exérèse plus lourd du fait de son
retentissement fonctionnel et le risque de dégénérescence néoplasique.
1. SOULIE M., MOULY P., PLANTE P., ESCOURROU G., PONTONNIER F. Adénocarcinome vésical primitif à cellules en bague à chaton. A propos d’un cas. Revue de la littérature. Prog. Urol., 1993, 3,
677-682.
REFERENCES
1. BULLOCK P.S., THONI D.K., MURPHY W.M. The significance of
colonic mucosa (intestinal metaplasia) involving the urinary tract.
Cancer 1987, 59 : 2086-2090.
2. CATALONA W.J . Urothelial tumors of the u rinary tract. in
Campbell’s Urology. P.C. Walsh, A.B. Retik, T.A. Stamey, E.D.
Vaughan Jr. Philadelphia, W.B. Saunders,6th edition, 1992, vol. 2,
pp. 1099-1100.
2. CORICA F.A., HUSMANN D.A., CHURCHILL B.M., YOUNG
R.H., PACELLI A., LOPEZ-BELTRAN A., BOSTWICK D.G.
Intestinal metaplasia is not a strong risk factor for bladder cancer :
study of 53 cases with long-term follow-up. Urology, 1997, 50 :
427-431.
3. PETERSEN R.O. Urinary bladder. in : Urologic Pathology, second
edition. R.O. Petersen. Philadelphia, J.B. Lippincott, 1992, chap. 4,
pp. 272-274.
327
A. Benchekroun et coll., Progrès en Urologie (2002), 12, 325-328,
SUMMARY
disease. The clinical course is unclear, requiring long-term sur veillance.
Pseudo-tumoral colic metaplasia of the urinary bladder.
Colic metaplasia of the urinary bladder is a rare disease, secon dary to a chronic irritative factor. In its minor form, it has the
same clinical features as simple cystitis, but its major pseudo neoplastic form may be mistaken for bladder tumor. The diagno sis is essentially histological. Treatment is based on eradication
of the irritative factor and of the resection of pseudoneoplastic
form. Surgery is performed in the case of complications of this
We report one case of colic-type glandular metaplasia of the uri nary bladder in a 50 years-old patient. The clinical symptoma tology was dominated by hematuria and pollakuria. A bladder
neoplasm was higly suspected in ultrasound and endoscopic fin dings. The patient underwent a transurethral resection of the
bladder tumor. Histological examination of of resection sha vings revealed a colic-type glandular metaplasia.
Key-words : Metaplasia, glandular, colic, bladder.
____________________
328