DISSERTATION PHILOSOPHIQUE B/L (ÉPREUVE n° 262) ANNÉE
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DISSERTATION PHILOSOPHIQUE B/L (ÉPREUVE n° 262) ANNÉE
DISSERTATION PHILOSOPHIQUE B/L (ÉPREUVE n° 262) ANNÉE 2015 Épreuve conçue par ESSEC Voie littéraire Sujet : « L’homme, mesure de toute chose ? » §1 Comme l’an passé, cette session 2015 s’est dans l’ensemble bien déroulée, et la correction n’a pas soulevé de problèmes particuliers. Les copies sont globalement de même niveau que celles de la session 2014, ce qui fait un ensemble fort honorable. Elément de satisfaction supplémentaire et qui confirme l’évolution déjà constatée en 2014 : il apparaît que les candidats ont pu dans l’ensemble profiter de leurs bonnes performances en philosophie, et il n’a pas été constaté de trop grande distorsion entre les bons résultats obtenus en philosophie et ceux obtenus dans les autres disciplines (ce qui avait été le cas en 2013). Les copies ont souvent témoigné de connaissances précises, associées à une réflexion pertinente ainsi qu’à d’indéniables qualités rhétoriques (amorces, transitions) : le sujet a été travaillé, effectivement. Les copies indigentes sont très rares. Les copies sont la plupart du temps construites, argumentées, ce qui s’agissant de l’apprentissage du raisonnement philosophique est réellement encourageant. Rappelons comme les années passés, à destination des candidats de la prochaine session comme des professeurs préparateurs et pour éviter toute équivoque, que cette épreuve (le choix des sujets, les modes de lecture et d’évaluation des copies) correspond à l’esprit général et aux contenus de la formation philosophique dispensée dans les classes préparatoires littéraires et dans les khâgnes « BL » en particulier. C’est l’ensemble des années de préparation qui doivent être mobilisées lors de cette épreuve, sur la base d’une réelle maturité. On s’efforce de concevoir des sujets permettant aux étudiants de donner le meilleur d’euxmêmes, sur la base du travail fourni et cela qu’il s’agisse d’une première ou d’une seconde année de préparation. S’agissant de la formulation même du sujet, on a cette année encore respecté la coutume qui semble faire consensus entre concepteurs et préparateurs : le sujet est formulé dans une langue qui ne comporte pas de sophistications ou d’équivoques excessives, susceptibles de brouiller la compréhension des difficultés qui sont en jeu. Il faut toutefois rappeler une fois encore que les candidats doivent être attentifs à la durée particulière de cette épreuve : quatre heures pour la composition d'une dissertation, ce qui impose un rythme de travail intense et une contrainte de concision à ne pas négliger. Cette année comme les années passées certaines copies apparaissent inachevées ou bâclées dans leurs dernières séquences ou dans leurs conclusions, faute sans doute d’une attention suffisante portée à ce temps (relativement) court. Il est un art d’aller à l’essentiel, que les candidats doivent vraiment faire leur. Le sujet de cette année – « L’homme, mesure de toute chose ? » – était comme ceux des années passées suffisamment ouvert pour permettre aux candidats de mobiliser une culture philosophique qui varie selon leurs parcours philosophiques ; et aussi suffisamment déterminé pour résister à la manière caractéristique des mauvaises copies qui transforment les sujets en prétexte pour l’exposé de fiches préparées à l’avance. Pour répondre à une question qui est souvent posée par les candidats ou les préparateurs : il n’existe pas sur un sujet donné de références ou d’exemples obligés. Si l’on a lu cette année de très bonnes copies faisant référence à Protagoras ou à la discussion des thèses de Protagoras qu’engage Platon dans le Théétète, ces références (bien venues) n’étaient évidemment pas considérées par le jury comme nécessaires à l’élaboration d’une bonne copie. Il revient à chaque candidat de mobiliser à bon escient et comme il l’entend les éléments de culture philosophique dont il dispose. C’est à partir du moment où il fait ses propres choix, convoque tel auteur ou telle œuvre, telle séquence conceptuelle ou tel exemple, qu’il s’oblige à un propos instruit, développé et surtout, pertinent : la norme de référence pour l’évaluation des copies leur est en principale partie immanente. Pour prendre l’exemple d’une référence à Protagoras : il ne revient pas du tout au même de renvoyer Protagoras à un subjectivisme individuel ou d’examiner avec lui la question des conventions et positions collectives de règles ou de normes, qui pour ne pas être universelles n’en sont pas moins générales. Cet esprit général sera à nouveau celui de la session 2016 du concours et c’est dans une telle perspective que nous invitons les candidats à se préparer. 1 §2 Comme lors des sessions précédentes, toute l’échelle des notes (de 0 à 20) a été utilisée pour l’évaluation et l’ordonnancement des copies. Les notes les plus basses sont attribuées aux copies qui sont manifestement et gravement déficientes et, comme déjà dit, il y en a très peu. Le jury est soucieux de valoriser de manière nette les copies qui se détachent du lot (une très bonne copie sera sans hésitation notée entre 15-16 et 20). Il tient aussi à utiliser tout l’éventail des notes moyennes pour des copies qui, même si elles ne sont pas tout à fait abouties, témoignent d’un travail de préparation sérieux, de connaissances précises et d’un véritable engagement réflexif. Il est important que la philosophie soit de ce point de vue à égalité avec les autres disciplines au sein du concours. Pas d’écrasement des notes donc, autour d’une moyenne qui serait préjudiciable aux candidats. On parvient cette année pour le concours Essec à une moyenne de 10,50. L’écart-type est de 3,08 (un peu moins grand qu’en 2014 (3,22)). 45,59% des copies ont une note comprise entre 10 et 13 ; 12,75%, une note égale ou supérieure à 14 ; 4,41% sont notées entre 16 et 20. Ce qui fait une solide « tête » de concours et permet à l’ensemble des candidats de bien profiter de leur travail en philosophie. 1 Pour mémoire, voici les sujets qui ont été proposés ces dernières années : « Sommes-nous des sujets ? » (2002), « Le connu et l’inconnu » (2003), « L’expérience du mal » (2004), « Faire la loi » (2005), « L’étranger » (2006), « En quel sens peut-on dire de la politique qu’elle est rationnelle ? » (2007), « La sensibilité nous instruit-elle ? » (2008), « Qu’est-ce qui est respectable ? » (2009), « Bien penser et bien faire » (2010), « Qui sont nos ennemis ? » (2011), « Changer ses désirs, plutôt que l’ordre du monde » (2012), « Bien vivre, est-ce affaire de science ? » (2013), « Pourquoi nous trompons-nous ? » (2014). §3 L’impression d’ensemble qui se dégage à la lecture des copies de cette session 2015 est celle de copies de bon niveau, et l’on doit se réjouir de cette tendance et de ce positionnement, car ils correspondent à des connaissances assez précises, à une bonne maîtrise de la rhétorique dissertative, ainsi qu’à un indéniable engagement réflexif. Toutefois, celui-ci est parfois resté assez restreint, comme si un grand nombre de candidats n’avaient pas réussi à trouver les moyens de développer des analyses qu’ils ont par ailleurs engagées. Trop de copies s’interrompent au moment même où elles pourraient rebondir, étant donné le chemin déjà parcouru, alors même qu’elles se trouvent au seuil d’une interrogation sur la détermination des règles et des normes présidant à la mesure. Et cela ne tient pas tant à la fragilité des connaissances – elles sont bien présentes dans les copies – qu’aux défauts de l’attention portée par les candidats aux définitions, aux propositions, aux arguments qu’ils mettent en place, et dont ils pourraient à l’évidence tirer un meilleur parti. On peut faire l’hypothèse que certains candidats restent en quelque sorte prisonniers de ce qu’ils interprètent à tort comme leur propre manque de savoir, au lieu de profiter, pleinement et réflexivement, des connaissances dont ils disposent et qui, même partielles ou approximatives, pourraient être mieux exploitées. Il est fréquent aussi – ce qui accentue sans doute pour les lecteurs cette impression de relatif inachèvement – que les conclusions manquent de netteté ou de fermeté, substituant des résumés assez plats (et en réalité inutiles) à l’énoncé d’une proposition ultime, relative aux dimensions et aux éléments les plus importants du questionnement et de l’argument. Une copie ratée est une copie qui ne se confronte pas à la question. Le sujet doit être analysé, questionné et problématisé précisément, ce sans quoi il ne peut être traité : le propos sera trop général et nécessairement hors-sujet. On peut regretter ainsi que certains candidats s’interrogent trop peu sur l’idée de mesure, et réduisent le sujet à une interrogation vague sur la possibilité de la connaissance (« peut-on tout connaître ? »), ou sur la place de l’homme dans le monde (une simple énumération des spécificités humaines – le langage articulé, les mains, etc. – censées légitimer le fait que l’homme, du fait de sa supériorité, soit mesure de toute chose, ne permet pas de traiter le sujet). Trop de copies s’en tiennent à un exposé général, vaguement descriptif et finalement très plat, sur la spécificité de l’homme dans le monde, sur ce qui le distingue du monde animal, du monde physique. Rappelons à cette occasion qu’une dissertation ne consiste jamais en un traitement purement factuel d’une question. De même, transformer le sujet en une interrogation sur ce que l’homme maîtrise, sur l’étendue et les justifications de sa responsabilité ne permet pas de traiter pas sujet. Certaines copies pâtissent de confusions ou même d’erreurs dans l’analyse du sujet. On peut ainsi mentionner la confusion récurrente entre être mesure de toute chose, c’est-à-dire être, soi-même, l’étalon de mesure d’après lequel on mesure, et être celui qui mesure (on peut mesurer quelque chose sans se prendre soi-même comme étalon de mesure : par exemple si j’utilise une règle ou un chronomètre…). Ainsi des questions telles que, « l’homme peut-il tout mesurer ? », « peut-il tout quantifier ? », « peut-il trouver des instruments de mesure pour tout ? », ne sont pas de bonnes reformulations du sujet. Et le sujet finit par être complètement perdu de vue lorsque cette interrogation conduit à un traitement général et exclusif sur les échanges (peut-on tout échanger ?). Il est vrai que les candidats qui étaient à l’aise avec la critique de la thèse de Protagoras par Platon ont eu certaines facilités pour problématiser la question, et on a trouvé dans plusieurs copies des analyses vraiment excellentes, maîtrisées et réellement appropriées par les candidats, de la critique platonicienne du relativisme. Cela étant, cette référence éclairante n’était en aucun cas nécessaire, et le jury a lu des copies très réussies sur la base d’exemples et de perspectives théoriques très différents. Parfois d’ailleurs, alors même qu’elle est engagée, la référence à Platon est écourtée, certains candidats s’en tenant à une espèce de préjugé moral concernant le relativisme – dangereux abîme dans lequel il ne faut évidemment pas « tomber » (sic). Les copies mieux instruites et plus réfléchies poursuivent au contraire l’analyse et sont capables d’exposer et de justifier le raisonnement conduisant à l’hypothèse des formes, à l’hypothèse, donc, de la possibilité d’une connaissance objective de ce que sont les choses en soi et non pas pour moi. Les meilleures copies vont plus loin encore en interrogeant la place de l’homme dans la position (ou découverte) des formes, l’idée de l’homme-mesure se trouvant alors de nouveau convoquée mais déplacée (de l’homme sensible à l’homme pensant), à partir, par exemple, d’une lecture du mythe de la réminiscence et de la pensée de la connaturalité de l’âme humaine et des idées, ou d’une réflexion sur le rôle du langage humain dans la dialectique qui conduit à penser et à poser des essences objectives. Dans une orientation analogue, on a trouvé des lectures de Kant remarquablement fines et pertinentes, conduisant à concevoir un homme-mesure qui n’implique pas un relativisme individuel – cela à partir d’une analyse des cadres a priori (sensibles et rationnels à la fois) de la perception et de la pensée. D’excellentes copies se concentrent sur la question éthique, s’interrogent sur la place de l’individu et de l’être humain dans les évaluations d’ordre moral, distinguant différentes variantes de l’utilitarisme, problématisant la question écologique et la question de la place de l’homme, des autres espèces animales, et plus généralement de la biosphère, dans l’interrogation morale – posant clairement le problème de savoir si les questions écologiques sont encore à la mesure du sujet humain ou si elles signifient un déplacement du paradigme moral (protège-t-on l’environnement car c’est le milieu de vie de l’homme ou parce qu’on pense qu’il vaut d’être respecté pour lui-même ?).