Les chéilites allergiques : étude de 17 cas

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Les chéilites allergiques : étude de 17 cas
Revue française d’allergologie 49 (2009) 582–584
Article original
Les chéilites allergiques : étude de 17 cas
Allergic cheilitis: A study of 17 cases
K. Zouhair *, N. El Fares, T. El Ouazzani, H. Lakhdar, H. Benchikhi
Service de dermatologie et vénérologie, CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc
Reçu le 24 juillet 2009 ; accepté le 16 août 2009
Disponible sur Internet le 29 octobre 2009
Résumé
La chéilite allergique est une inflammation des lèvres secondaire au contact avec une substance allergisante liée à une réaction d’hypersensibilité retardée. Nous avons réalisé une étude prospective s’étalant de janvier 1995 à décembre 2008, durant laquelle 26 cas de chéilites ont été
colligés. Nous avons inclus tous les patients présentant une chéilite allergique retenue sur des signes cliniques et allergologiques et exclu toutes les
chéilites atopiques, d’origine infectieuse ou rentrant dans le cadre de toxidermie ou de maladie bulleuse auto-immune. L’âge moyen de nos patients
était de 33 ans. Une prédominance féminine a été notée (77 %). Les patch-tests à la batterie standard (ICDRG) ont été réalisés chez tous les patients
et complétés par la batterie personnelle dans six cas. Ils étaient positifs dans 17 cas (64 %). Les produits incriminés retrouvés à la batterie standard
étaient le sulfate de nickel dans neuf cas (53 %), le chrome, le carbamix, le baume de Pérou, le thiamesal, le Kathon CG et le phényldiamine dans un
cas chacun. Les patch-tests réalisés avec les produits personnels étaient positifs au dentifrice dans quatre cas et au rouge à lèvres dans deux cas.
Dans la littérature, les produits les plus incriminés sont les cosmétiques avec un pourcentage de 55,6 %, suivis des médicaments topiques, des
aliments et des métaux. Le stick labial est le cosmétique le plus fréquemment responsable, suivi du dentifrice dans 21 % des cas, alors que dans
notre étude, le produit responsable au premier plan des chéilites allergiques est le nickel dans 53 % des cas suivi du dentifrice dans 25 % des cas.
# 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Chéilite allergique ; Exploration allergologique ; Patch-tests ; Allergènes
Abstract
Allergic cheilitis is an inflammation of lips secondary to contact with an allergenic substance related to a delayed hypersensitivity reaction. We
conducted a prospective study from January 1995 to December 2008, and collected 26 cases of cheilitis. We included all patients with allergic
cheilitis diagnosed on clinical signs and allergic tests and we excluded all atopic cheilitis, infectious ones or within a drug-induced dermatitis or
autoimmune bullous disease. Average age was 33 years. A female predominance was noted (77%). Patch-testing standard battery (ICDRG) were
realized for all patients and supplemented by personalized battery in six cases. They were positive in 17 cases (64%). Standard battery imputed
products were nickel sulfate in nine cases (53%), chromium, carbamix, Peru balm, thiamesal, Kathon CG and phenyldiamine in one case each.
Personalized patch-testing were positive in four cases to toothpaste and lipstick in two cases. In literature, most imputed are cosmetics with a
percentage of 55.6%, followed by topical medications, food and metals. Lipstick is the most frequently responsible cosmetic, followed by
toothpaste in 21% of cases, where as in our study, the product responsible at the forefront of allergic cheilitis is nickel in 53% of cases followed by
toothpaste in 25% of cases.
# 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Allergic cheilitis; Exploration of allergies; Patch-testing; Allergens
1. Introduction
* Auteur correspondant. Groupe « K » no 6, lotissement Al-Manar, 20050
ANFA, Casablanca, Maroc.
Adresses e-mail : [email protected] (K. Zouhair),
[email protected] (N. El Fares).
La chéilite allergique est une inflammation des lèvres
secondaire au contact avec une substance allergisante liée à une
réaction d’hypersensibilité retardée. C’est une pathologie
fréquente qui se traduit cliniquement par un eczéma chronique.
Elle est à distinguer d’une chéilite irritative due au contact avec
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doi:10.1016/j.reval.2009.08.006
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un agent irritant [1]. Le diagnostic repose sur l’enquête
allergologique complétée par les patch-tests [2]. Les allergènes
sont multiples, d’où les difficultés diagnostiques. Le but de
notre travail est d’établir le profil épidémiologique et
étiologique des chéilites allergiques dans notre contexte.
2. Matériel et méthodes
C’est une étude prospective qui s’est étalée de janvier 1995
à décembre 2008. Durant cette période, 26 cas de chéilites ont
été colligés au service de dermatologie et vénérologie du
CHU Ibn Rochd de Casablanca lors d’une consultation
spécialisée d’allergologie. Les renseignements cliniques
étaient recueillis sur une fiche standardisée colligeant
l’âge, le sexe, les antécédents personnels et familiaux, le
début de la symptomatologie, les signes cliniques, l’enquête
allergologique, les résultats des patch-tests, le traitement et
l’évolution.
Nous avons inclus tous les patients présentant une chéilite
allergique retenue sur des signes cliniques et allergologiques
(des patch-tests positifs) et exclu toutes les chéilites atopiques,
d’origine infectieuse ou rentrant dans le cadre de toxidermie ou
de maladie bulleuse auto-immune.
Fig. 1. Chéilite allergique au sulfate de nickel.
3. Résultats
Sur 687 dossiers, 26 cas de chéilites ont été recensés, soit une
prévalence de 3,8 %.
L’âge de nos patients variait entre dix et 67 ans, avec une
moyenne de 33 ans. Une prédominance féminine a été notée
(77 %). La durée moyenne d’évolution était de 4,26 ans avec
des extrêmes allant de cinq jours à 20 ans. Un antécédent
d’atopie personnelle ou familiale a été retrouvé chez 61,5 % des
patients. Deux cas de tic de léchage étaient notés et deux
patients étaient porteurs d’un appareil d’orthodontie.
Les patch-tests à la batterie standard (ICDRG) ont été
réalisés chez tous les patients et complétés par la batterie
personnelle dans six cas. Ils étaient positifs dans 17 cas (64 %).
Les produits incriminés retrouvés à la batterie standard
étaient :
le
le
le
le
le
le
le
sulfate de nickel : neuf cas (53 %) (Fig. 1 et 2) ;
chrome : un cas ;
carbamix : un cas ;
baume de Pérou : un cas ;
thiamesal : un cas ;
Kathon CG : un cas ;
phényldiamine : un cas.
Les patch-tests réalisés avec les produits personnels étaient
positifs au :
Fig. 2. Patch-tests positif au nickel.
Fig. 3. Chéilite allergique au rouge à lèvres.
Le traitement reposait dans tous les cas sur l’éviction de
l’allergène, l’hydratation labiale, les anti-histaminiques et les
dermocorticoïdes. L’évolution était favorable dans la majorité
des cas.
dentifrice : quatre cas (25 %) ;
rouge à lèvres : deux cas (Fig. 3).
4. Discussion
Les patch-tests ont montré des résultats positifs à plusieurs
produits chez trois patients (Fig. 4).
La chéilite allergique se traduit par un eczéma chronique
caractérisé par une demi-muqueuse épaissie, fissurée plus ou
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suivi du dentifrice dans 21 % des cas [7], alors que dans notre
étude, le produit responsable au premier plan des chéilites
allergiques est le nickel dans 53 % des cas suivi du dentifrice
dans 25 % des cas. D’autres substances comme le papier à
cigarette, le caoutchouc, les colorants, les conservateurs et
antiseptiques peuvent également entraîner des chéilites
allergiques [1]. Soulignons aussi la responsabilité des appareils
d’orthodontie et prothèses dentaires dans la survenue de
chéilites associées aux atteintes endobuccales [8,9].
Le traitement repose sur des mesures symptomatiques
(corticoïdes topiques) et sur l’éviction de l’allergène incriminé
qui reste difficile en pratique courante car souvent, la
composition exacte des produits est méconnue et que certains
allergènes sont ubiquitaires (en particulier, le nickel).
5. Conclusion
Fig. 4. Patch-tests positifs à plusieurs produits.
moins recouverte de squames et de croûtelles. Plus rarement,
c’est une chéilite aiguë avec érythème, œdème et minuscules
vésicules qui font place secondairement à des croûtes jaunâtres
et des fissures [1]. C’est une affection relativement fréquente
mais dont la prévalence reste sous-estimée. Selon les séries
publiées, une faible incidence de l’ordre de 25 à 34 % des
chéilites est observée [3,4] contre 64 % dans notre étude. Ce
pourcentage assez élevé serait expliqué par le fait que les
patients ont été recrutés lors d’une consultation spécialisée
d’allergologie.
Dans notre série, 61,5 % des patients avaient une histoire
d’atopie personnelle ou familiale contre 33 % dans la série
d’Ophaswongse [5].
Après un interrogatoire minutieux, le diagnostic positif et
étiologique de la chéilite allergique repose sur l’exploration
allergologique systématique.
Dans la littérature, les produits les plus incriminés sont les
cosmétiques avec un pourcentage de 55,6 % [3], suivis des
médicaments topiques, des aliments et des métaux. Le stick
labial est le cosmétique le plus fréquemment responsable [5,6],
La chéilite allergique est une pathologie dont la fréquence
est sous-estimée. Le diagnostic repose sur l’exploration
allergologique par les patch-tests dont la pertinence doit être
bien évaluée. Les faux-positifs et faux-négatifs sont inévitables.
Références
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