Enquête presse gay - Banque de données en santé publique

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Enquête presse gay - Banque de données en santé publique
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DOSSIER
Drogue et
prise de risques sexuels
Les données de l’
Enquête presse
gay
L’influence de la consommation de produits psychoactifs (drogues illicites, médicaments détournés et
alcool) sur les comportements sexuels à risque (en particulier vis-à-vis du VIH) est souvent présentée
comme un problème de santé publique, notamment chez les gays. Les nouvelles données de l’Enquête
presse gay 2004 éclairent la question.
En France, le lien entre usage de drogues et homosexualité est rarement étudié, que ce soit sous l’angle de
l’usage de drogues chez les gays, ou sous celui de la
sexualité des usagers de drogues. Les différentes éditions
de l’Enquête presse gay (EPG) entre 1985 et 2000
n’avaient pas réellement investi cette thématique. À l’inverse, en Australie, au Canada, aux États-Unis, au
Royaume-Uni et aux Pays-Bas, les recherches épidémiologiques sur les caractéristiques des pratiques d’usage
de drogues chez les gays étaient plus répandues et mettaient généralement en avant l’importance de la consommation de produits psychoactifs (drogues illicites, médicaments détournés et alcool).
Pour la dernière édition de l’EPG menée par l’Institut
de veille sanitaire (InVS) en 2004 (dont les résultats
viennent de paraître 1), il est apparu primor1 Velter A. dial d’investir la thématique de la consom“Rapport Enquête Presse Gay 2004”
Institut de Veille Sanitaire, 2007 mation de substances psychoactives chez les
www.invs.sante.fr/publications/2007/ gays au vu de l’augmentation de la consomepg_2004/epg_2004.pdf
mation de produits récemment rapportée par
2 Ruf M, Lovitt C, Imrie J
“Recreational drug use and sexual risk des études anglo-saxonnes et de son assopractice among men who have sex ciation avec des comportements sexuels à
with men in the United Kingdom”
2
Sex Transm Infect, 2006, 82, 2, 95-7 risque .
Prévalences des consommations
La prévalence de la consommation d’alcool parmi les
répondants de l’EPG est comparable à celle observée en
population générale (89 % des répondants de l’EPG
déclarent avoir consommé de l’alcool au cours des 12
derniers mois), mais elle se caractérise par une consommation plus occasionnelle et plus excessive (plus de 5
verres lors des mêmes occasions) que chez les hommes
en population générale.
La consommation des autres produits psychoactifs
(drogues illicites et médicaments détournés) est, en
revanche, plus élevée chez les répondants de l’EPG. Ainsi,
47 % d’entre eux déclarent avoir consommé au moins une
substance psychoactive (excepté l’alcool) au cours des 12
derniers mois, contre 12 % des hommes en population
générale (résultats standardisés sur l’âge). Ces différences sont très marquées pour certains produits tels que
les poppers (35 % vs 1 %), l’ecstasy (7 % vs 0,7 %), la
cocaïne (6 % vs 1 %) et les hallucinogènes (3 % vs 1,5 %).
Le cannabis est un produit souvent consommé, à l’instar
de la population générale (27 % vs 11 %), et la consommation d’héroïne, à l’inverse, est une pratique extrêmement rare au sein des deux populations (0,6 % vs 0,2 %).
3
Ainsi, parmi les répondants de l’EPG, les produits de
choix sont en premier lieu le poppers pour 37 % d’entre
eux, suivis du cannabis pour 28 %. Exception faite des
poppers, l’usage du cannabis, de l’ecstasy, des amphétamines et des hallucinogènes a significativement augmenté entre 1997 et 2004. Et la consommation de
cocaïne a quant à elle doublé entre 1997 et 2004, passant de 4 % à 8 %. Quand on regarde de plus près le
“profil” des répondants de l’EPG déclarant consommer
des produits psychoactifs au cours des douze derniers
mois, il ressort qu’il s’agit plutôt d’homosexuels fréquentant les lieux gays avec ou sans sexe, issus des villes les
plus peuplées, et séropositifs pour le VIH. Les périodes de
la vie sont également associées à certains produits : le
cannabis concerne les plus jeunes, les poppers, l’ecstasy
ou la cocaïne augmentent progressivement jusqu’à 3539 ans pour décroître ensuite.
Substances psychoactives
et sexualité
Chez les homosexuels, la consommation de substances
psychoactives est souvent associée aux situations de
drague et aux rapports sexuels : dans un contexte d’initiation chez les plus jeunes pour favoriser le passage à
l’acte, et chez les plus expérimentés, dans le souci d’optimiser les performances sexuelles et de rechercher de
nouvelles sensations. Plusieurs enquêtes épidémiologiques menées à l’étranger ont montré que la consommation de substances psychoactives constituait un facteur
associé à la prise de risque et à la baisse de vigilance
vis-à-vis du risque VIH, en raison des effets désinhibiteurs des produits pouvant favoriser une moindre protection des pratiques sexuelles et le passage vers des pratiques plus “hard”.
Parmi les répondants de l’EPG 2004, 24 % indiquent
avoir consommé au moins un produit psychoactif avant
leur dernier rapport sexuel, sans que soient précisés le
type du partenaire sexuel et l’usage du préservatif lors de
cette occasion. Les produits les plus couramment rapportés lors de ce dernier rapport sont l’alcool (70 %), le cannabis (13 %), les poppers (13 %), des médicaments
(6 %), de la cocaïne (3 %) et de l’ecstasy (2 %). Les
homosexuels ayant consommé au moins un produit psychoactif avant leur dernier rapport sexuel ont le profil suivant : ils fréquentent plus les lieux gays avec sexe, ont un
nombre de partenaires sexuels plus important au cours
des 12 derniers mois, et se protègent moins lors des
pénétrations anales. Ils sont également plus souvent
séropositifs pour le VIH ou ne sont plus sûrs de leur séronégativité.
Quand on regarde les facteurs associés au fait d’avoir eu
au moins une pénétration anale non protégée avec des
partenaires occasionnels au cours des 12 derniers mois,
outre le nombre de partenaires sexuels (plus de 10 dans
l’année) et le statut sérologique des répondants (être
séropositif pour le VIH ou ne plus être sûr d’être séronégatif), seules les consommations d’alcool, de produits
dopants et de poppers apparaissent.
Ainsi, dans l’EPG 2004, même s’il conviendrait de renforcer les analyses afin d’identifier l’ensemble des variables
susceptibles d’interférer dans l’association entre
consommation de substances et prise de risques sexuels,
ces données suggèrent l’existence d’un sous groupe des
répondants de l’EPG au sein duquel les consommations
de drogues sont plus courantes et les pénétrations anales
non protégées plus fréquentes.
Un flirt avec les stéréotypes
Ainsi, la consommation déclarée de substances psychoactives chez les homosexuels répondants à l’EPG est
1
Plus de 6 000 questionnaires
Depuis vingt ans, l’Enquête presse gay (EPG) permet de suivre les comportements sexuels préventifs des homosexuels masculins lecteurs de la presse gay, leurs modes de vie et de sociabilité par l’insertion de questionnaires dans la presse identitaire. En 2004, alors que
les données de surveillance des infections sexuellement transmissibles (IST) et des contaminations par le VIH indiquaient la persistance
du relâchement des pratiques préventives parmi les homosexuels masculins, l’InVS, avec le soutien financier et scientifique de l’ANRS,
a renouvelé l’EPG. Grâce à l’implication de 16 revues gays et de 10 sites internet identitaires, plus de 7 500 questionnaires ont été
recueillis et, au total, 6 184 questionnaires remplis par des hommes ont été analysés.
Pour cette dernière édition, des questions relatives à la consommation de produits psychoactifs et au contexte de ces consommations ont
été posées. Des comparaisons ont pu être effectuées entre l’EPG 2004 et l’EPG 1997, ce qui n’a pu être fait pour l’édition 2000, où cette
thématique était abordée de manière plus succincte. Par ailleurs, des comparaisons ont été réalisées entre l’EPG 2004 et les données
masculines du Baromètre Santé 2005 de l’Institut de prévention et d’éducation à la santé (après standardisation sur la structure par
âge). Enfin, un focus particulier a porté sur les interactions entre la consommation de substances et les comportements à risque à travers les données de l’EPG 2004.
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supérieure à celle rapportée en population générale.
Certains produits semblent plus couramment utilisés
chez les homosexuels, comme les produits stimulants et
de la performance (poppers, amphétamines, ecstasy et
cocaïne), dont certains peuvent être perçus comme
aphrodisiaques. L’usage de cannabis et d’alcool atteint
des taux importants chez les homosexuels, comme par
ailleurs dans le reste de la population. À l’instar de la
population générale, certaines substances et pratiques
restent peu fréquemment observées chez les homosexuels.
Il convient, toutefois, de rester prudent vis-à-vis de ces
résultats, et un certain nombre de limites méthodologiques sont à évoquer. Dans l’EPG, la consommation de
substances psychoactives a été considérée en se centrant
sur les produits sans tenir compte de l’ensemble des
dimensions liées à l’usage de drogues telles que la fréquence de la consommation (occasionnelle, régulière et
de dépendance), les voies de consommation (sniff, voie
fumée, injection) ou le contexte de la consommation
(seul/en groupe) qui peuvent exposer de manière plus ou
moins importante aux risques d’addiction et d’exposition
au VIH et aux hépatites.
Les pratiques des homosexuels vis-à-vis des drogues
sont le plus souvent décrites par les enquêtes dans un
contexte de boîtes de nuit, de lieux de rencontres ou de
bars. Et même si le mode de recrutement de l’EPG se
démarque de ces enquêtes, repérer les spécificités des
pratiques des gays vis-à-vis des drogues reste un exercice délicat qui pousse à flirter avec les stéréotypes. Les
statistiques produites sur cette question ne nous renseignent en effet que sur une partie très particulière de cette
population, les homosexuels dits “identitaires”.
En effet, les enquêtes auprès des homosexuels masculins
se heurtent à des problèmes de représentativité compte
tenu de la difficulté à atteindre ce groupe dispersé et
“caché”. Les lieux ou médias identitaires sont utilisés
pour conduire des études, ce qui conduit à sur-représenter
certains groupes : urbains, de situation sociale ou de
niveau d’instruction élevés, s’identifiant comme gays et
3 Halkitis PN, Parsons JT, Stirratt MJ fréquentant les lieux de loisirs ou de drague. De
“A double epidemic : crystal ce fait, la généralisation des tendances obsermethamphetamine drug use in relation
to HIV transmission among gay men” vées dans l’EPG (comme dans les autres
J Homosex, 2001, 41, 2, 17-35 enquêtes menées à l’étranger) à l’ensemble des
4 Inserm-CNRS-Paris V
homosexuels masculins ne peut être effective.
… mais préoccupantes
en termes de santé publique
Toutefois, certains des résultats issus de l’EPG, tels que
l’importance et l’augmentation de la consommation de
produits psychoactifs chez les répondants de l’EPG et
leurs interactions avec la prise de risque sexuel, sont à
prendre en considération en termes de santé publique. Le
lien entre usage de drogues, comportements sexuels et
VIH a été étudié pour améliorer la compréhension de la
permanence des prises de risque dans une communauté
bien informée et particulièrement exposée. Des études
internationales mettent en évidence que les situations
dans lesquelles les prises de risque sont augmentées
sont aussi celles où les consommations de produits sont
plus fréquentes et plus intenses. L’hypothèse d’une
synergie des risques peut probablement être envisagée,
les effets des produits accentuant la fragilité des comportements préventifs chez les individus plus vulnérables. Des stratégies de prévention restent donc à imaginer pour faire face à cette intrication des déterminants
de prises de risque.
L’émergence du crystal
outre-Atlantique
Récemment, l’émergence du crystal décrite aux ÉtatsUnis et en Australie parmi la communauté gay a contribué
à faire prendre en considération la question de la consommation de drogues dans la population homosexuelle, au
regard des effets “dévastateurs” du crystal en termes
d’addiction et de désocialisation, mais aussi de stimulation sexuelle et de désinhibition. Les enquêtes disponibles
sur le crystal montrent que sa consommation est associée
à des comportements sexuels plus à risque 3. Cependant,
cette substance n’est pas mentionnée par les répondants
de l’EPG 2004, corroborant les informations fournies par le
réseau Trend sur la non-disponibilité de ce produit en
France (lire page 14). Elle a été, toutefois, évoquée mais
de manière très marginale dans l’enquête Baromètre Gay
menée par l’InVS à Paris en 2005.
Étant donné la mobilité géographique des homosexuels, il
semble donc primordial de rester attentif, et de poursuivre voire de renforcer les actions de prévention sur
l’usage de substances psychoactives et ses interactions
avec les prises de risques sexuels dans les établissements de rencontre communautaires.
MARIE JAUFFRET-ROUSTIDE, INVS, CESAMES 4
ANNIE VELTER, INVS

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