cour d`appel - Dialogue social

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cour d`appel - Dialogue social
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
5ème Chambre
Renvoi après cassation
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 FEVRIER 2012
R. G. N° 10/05142
AFFAIRE :
Pierre F.
C/
Société STMI en la personne de son représentant légal
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Octobre 2006 par le Conseil de
Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU
N° Section : Encadrement
N° RG : 05/540
Copies exécutoires délivrées à :
Me Stéphane MARTIANO
Me Hubert FLICHY
Copies certifiées conformes délivrées à :
Pierre F.
Société STMI en la personne de son représentant légal
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE DOUZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDEUR ayant saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration enregistrée au greffe
social le 27 octobre 2010 en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2010
cassant et annulant l'arrêt rendu le 22 octobre 2008 par la cour d'appel de PARIS (22ème
chambre A)
Monsieur Pierre F.
né le 08 Août 1941 à BOULEMANE (MAROC)
...
...
comparant en personne, assisté de Me Stéphane MARTIANO, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire C 1459, substitué par Me Sandrine MICHEL, avocat au barreau de PARIS
****************
DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
Société STMI en la personne de son représentant légal
Zac de Courcelle
1 route de la Noue
91196 GIF SUR YVETTE CEDEX
représentée par Me Hubert FLICHY, avocat au barreau de PARIS
vestiaire P 461, substitué par Me Juliana KOVAC
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Novembre 2011, devant la cour composée
de :
Madame Jeanne MININI, Président,
Monsieur Hubert LIFFRAN, conseiller,
Madame Catherine R. FOLLIARD, Conseiller,
et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,
dans l'affaire,
Greffier, lors des débats : Monsieur Arnaud DERRIEN
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. Pierre F. , né le 8 août 1941, a été embauché en qualité d'ingénieur par la société STMI
(société des techniques en milieux ionisants) selon contrat de travail à durée indéterminée en
date du 29 juillet 1987 avec reprise de l'ancienneté passée depuis 1963 au sein du CEA.
Membre du groupe AREVA, la société STMI est une entreprise de services spécialisée dans le
secteur de l'assainissement nucléaire (traitement et conditionnement des déchets
assainissement et décontamination) employant environ 800 salariés soumis aux dispositions
de la convention collective de la métallurgie, le personnel bénéficiant également des
dispositions plus favorables de l'accord d'entreprise en date du 7 octobre 1991.
M. Pierre F. a été mis à la disposition de CEA en son établissement de Fontenay aux Roses à
compter de 1996.
M. Pierre F. a atteint l'âge de 60 ans le 8 août 2001. Par lettre recommandée avec demande
d'avis de réception en date du 29 juillet 2003 (M. Pierre F. étant alors âgé de 62 ans) la société
STMI lui a notifié sa mise à la retraite conformément aux dispositions prévues par l'article
L.122-14-13 du code du travail après avoir relevé qu'il résultait des informations qu'il avait
fournies qu'il aurait droit à une retraite à taux plein puisqu'il avait cotisé un nombre suffisant
de trimestres à un ou plusieurs régimes de base de sécurité sociale. La société STMI a
dispensé M. Pierre F. d'effectuer son préavis de six mois, sa mise à la retraite prenant donc
effet à compter du 31 janvier 2004.
***
Contestant le motif de sa mise à la retraite au regard tant des règles applicables (article L.12214-13 du code du travail) que des dispositions de la convention collective (article 31-2 de la
convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie), M. Pierre F. a saisi
le 18 mai 2005 le conseil de prud'hommes de Longjumeau d'une action tendant à voir
requalifier la mise à la retraite en licenciement nul (motivé par son âge) et à défaut en
licenciement sans cause réelle et sérieuse et tendant à obtenir la condamnation de la société
STMI au paiement d'un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, des
salaires dus jusqu'à l'âge de 65 ans et des dommages intérêts en réparation du préjudice
consécutif à la rupture injustifiée de son contrat de travail.
Par jugement en date du 5 octobre 2006 le conseil de prud'hommes a débouté M. Pierre F. de
l'ensemble de ses demandes.
Sur appel de M. Pierre F. , la cour d'appel de Paris, 22ème chambre A, par arrêt en date du 22
octobre 2008 a confirmé le jugement.
Sur pourvoi formé par M. Pierre F. , la Cour de cassation, chambre sociale, par arrêt en date
du 19 octobre 2010, a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris mais seulement
en ce qu'il a débouté M. Pierre F. de sa demande tendant à ce qu'il soit dit que sa mise à la
retraite constitue un licenciement nul et à ce que la société STMI soit en conséquence
condamnée à lui verser une indemnité pour licenciement nul pour la période du 31 janvier
2004 au 8 août 2006, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et un solde
d'indemnité de licenciement.
La Haute juridiction a considéré que la cour d'appel de Paris avait fait une mauvaise
application de l'article 32-1 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la
métallurgie dans sa rédaction applicable, résultant de l'accord du 28 juillet 1998, concernant la
preuve du lien existant entre les nouvelles embauches réalisées postérieurement à la mise à la
retraite de M. Pierre F. et la mise à la retraite de ce salarié.
M. Pierre F. a régulièrement saisi la cour d'appel de Versailles, désignée comme cour de
renvoi.
Vu les conclusions déposées et développées oralement à l'audience du 24 novembre 2011 par
lesquelles M. Pierre F. demande à la cour d'infirmer le jugement rendu par le conseil de
prud'hommes de Longjumeau, de dire que sa mise à la retraite ne respecte pas les dispositions
prévues par l'article 32-1 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la
métallurgie et s'analyse en un licenciement nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse
puisqu'il faut considérer que la rupture de son contrat de travail n'est fondée que sur son âge et
de condamner en conséquence la société STMI au paiement des sommes de :
- 168 138,40 euros au titre des salaires sur la période de nullité (31 janvier 2004, date de prise
d'effet de la mise à la retraite jusqu'au 8 août 2006, date à laquelle il a atteint l'âge de 65 ans)
avec intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale,
- 16 813,84 euros au titre des congés payés afférents,
- 130 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 72 135,87 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir rappelé les conditions de mise à la retraite avant 65 ans fixées par l'article 32-1 de
la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, M. Pierre F. fait
valoir que la société STMI n'a pas démontré qu'elle avait procédé à sa mise à la retraite en
l'accompagnant de l'une des mesures compensatrices au niveau de l'embauche d'un autre
salarié dès lors que son employeur n'apporte pas la preuve du lien existant entre sa mise à la
retraite et la conclusion postérieure de contrats d'embauche, à savoir les contrats de
qualification et d'apprentissage et le contrat de travail à durée indéterminée de salariés
dénommés. Il estime en conséquence que la rupture de son contrat de travail n'a été motivée
que par son âge et que par voie de conséquence elle est discriminatoire et donc nulle et de nul
effet.
La société STMI demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner M.
Pierre F. au paiement d'une indemnité de 1 500 euros au titre des frais de procédure exposés.
Elle fait valoir que la mise à la retraite de M. Pierre F. répond aux prescriptions imposées par
l'article L.122-14-13 du code du travail dans sa version antérieure à la loi du 21 août 2003
portant réforme des retraites et par l'article 32-1 de la convention collective nationale des
ingénieurs et cadres de la métallurgie dès lors qu'elle justifie, qu'après la mise à la retraite de
M. Pierre F. , elle a conclu un contrat d'apprentissage et deux contrats de qualification et
procédé également à l'embauche d'un salarié pour une durée indéterminée, les salariés ainsi
recrutés, et principalement M. L. (contrat de qualification) et M. M. (contrat de travail à durée
indéterminée), ayant occupé des fonctions similaires à celles de M. Pierre F. , le lien entre ces
embauches et la mise à la retraite ne pouvant être contesté.
A titre subsidiaire, la société STMI demande à la cour de débouter M. Pierre F. de sa demande
au titre des salaires dès lors que le licenciement n'est pas nul mais seulement dépourvu de
cause réelle et sérieuse et de sa demande au titre de l'indemnité conventionnelle de
licenciement dès lors qu'il a perçu une indemnité de départ en retraite au moins équivalente à
l'indemnité légale de licenciement et enfin de réduire dans de plus justes proportions les
dommages intérêts réclamés puisque M. Pierre F. n'a effectué aucune recherche d'emploi
après son départ de l'entreprise et a fait liquider immédiatement sa retraite.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie,
pour l'exposé plus complet des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et
soutenues oralement à l'audience du 24 novembre 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant qu'avant la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, l'article
L.122-14-13 du code du travail permettait à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un
salarié qui pouvait bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et qui remplissait les
conditions d'âge prévues par la convention collective ou l'accord collectif ou le contrat de
travail;
Considérant qu'en sa qualité d'ingénieur, M. Pierre F. était soumis à la convention collective
nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie qui dans son article 32-1, dans sa
rédaction résultant de l'accord du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail, a prévu que "la
mise à la retraite, à l'initiative de l'employeur, d'un ingénieur ou cadre âgé de moins de
soixante cinq ans qui peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein au sens du code
de la sécurité sociale et qui peut faire liquider sans abattement les retraites complémentaires
obligatoires auxquelles l'employeur cotise avec lui sur les tranches A et B des rémunérations
ne constitue pas un licenciement lorsque cette mise à la retraite s'accompagne de l'une des
dispositions suivantes : conclusion par l'employeur d'un contrat d'apprentissage, conclusion
par l'employeur d'un contrat de qualification..........conclusion par l'employeur d'un contrat de
travail à durée indéterminée ........... Le contrat d'apprentissage ou de qualification doit être
conclu dans un délai d'un an avant ou après la date de notification de la mise à la retraite. Il
doit comporter soit la mention du nom de l'ingénieur ou cadre mis à la retraite, si celui ci ne
s'y oppose pas, soit la mention de son identification codée";
Considérant au cas présent que la société STMI a mis M. Pierre F. à la retraite selon
notification en date du 29 juillet 2003, ayant pris effet à compter du 31 janvier 2004, alors que
ce salarié avait moins de 65 ans;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Pierre F. , alors âgé de 62 ans, pouvait bénéficier
d'une pension de vieillesse à taux plein et pouvait faire liquider sans abattement les retraites
complémentaires dont il bénéficiait;
Considérant qu'il n'est pas non plus contesté que la société STMI a procédé, dans l'année
suivant la notification de cette mise à la retraite, à l'embauche de plusieurs salariés selon un
contrat d'apprentissage et deux contrats de qualification et a procédé à l'embauche d'un salarié
en contrat de travail à durée indéterminée;
Considérant toutefois que la société STMI ne démontre pas en quoi la conclusion de ces
contrats avait un lien avec la mise à la retraite de M. Pierre F. ; qu'en effet, il convient de
rappeler qu'à la date de sa mise à la retraite M. Pierre F. , bénéficiaire d'une ancienneté de
quarante années, était ingénieur de formation et avait occupé les fonctions d'ingénieur
d'études au sein du CEA, ingénieur d'études et expert qualité auprès de la société
Technicatome (membre du groupe CEA), responsable de l'antenne de La Hague et enfin, à
partir de 1996 et sans interruption jusqu'en 2003, chargé de mission auprès du CEA sur le site
de Fontenay aux Roses, en charge de tâches en matière de distribution électrique, de remise en
état de fonctionnement d'un groupe électrogène et de rénovation de systèmes électriques et
d'alarmes, alors que les embauches invoquées par la société STMI comme étant en lien avec
la mise à la retraite ont été réalisées à des niveaux de qualification et de compétence très
différents et très inférieurs à ceux atteints par M. Pierre F. dès son embauche et à la date de
son départ de l'entreprise et alors que les contrats conclus n'ont comporté ni mention du nom
du salarié mis à la retraite ni mention de son identification codée, s'agissant :
- de l'embauche de Mark T. sous contrat d'apprentissage le 28 août 2003 sur le site de Gif sur
Yvette (91196), ce salarié étant âgé de 21 ans et n'étant titulaire que d'un BTS en informatique
et gestion et devant préparer une licence et maîtrise des méthodes informatiques appliquées à
la gestion,
- de l'embauche d'Anthony L. sous contrat de qualification le 6 novembre 2003 en qualité
d'intervenant en maintenance nucléaire sur le site de Bollène (Vaucluse), ce salarié étant âgé
de 17 ans et n'étant titulaire que d'un BEP et devant préparer un BT en maintenance et
logistique nucléaire,
- de l'embauche de Fanny P. en contrat de qualification en qualité d'assistante de gestion sur le
site de Bollène (Vaucluse), cette salariée étant âgée de 22 ans et n'étant titulaire que d'un BTS
de comptabilité et d'un BAC professionnel en comptabilité et devant préparer un BTS
assistante de gestion,
Considérant de même que l'embauche le 19 septembre 2003 sous contrat de travail à durée
indéterminée de M. Pierre M. en qualité d'ingénieur affecté à compter du 1er janvier 2004 à la
direction régionale Nord secteur Ouest à Beaumont Hague ne fait référence à aucun lien avec
la mise à la retraite de M. Pierre F. alors que ces deux salariés étaient affectés en 2004 sur des
sites différents et à des tâches totalement distinctes;
Considérant en conséquence que la société STMI ne démontre pas qu'elle a satisfait aux
conditions fixées par l'article 32-1 de la convention collective nationale des ingénieurs et
cadres de la métallurgie pour mettre M. Pierre F. à la retraite avant l'âge de 65 ans; que
n'ayant fourni aucune explication quant à l'objectif poursuivi par la mise à la retraite de ce
salarié, il faut considérer que l'entreprise n'avait d'autre motif à invoquer que l'âge de celui ci
pour mettre fin à son contrat de travail ; que par voie de conséquence la mise à la retraite de
M. Pierre F. pour un motif discriminatoire à raison de l'âge doit produire les effets d'un
licenciement nul;
Qu'ainsi le jugement déféré doit être infirmé;
Considérant que M. Pierre F. , victime d'un licenciement nul et qui n'a pas demandé sa
réintégration, a droit d'une part à l'indemnité conventionnelle de licenciement plus favorable
que l'indemnité légale de licenciement et d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du
préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par
l'article L.1235-3 du code du travail ;
Considérant que l'indemnité conventionnelle de licenciement doit être calculée en fonction du
salaire brut mensuel au moment du départ de l'entreprise ; qu'à cette date le salaire de M.
Pierre F. s'établissait à la somme de 5 277,02 euros ; qu'ainsi l'indemnité conventionnelle de
licenciement, plafonnée à 20 mois de salaires, doit être fixée à la somme de 105 540,40 euros;
qu'après déduction de la somme versée à titre d'indemnité de départ en retraite, soit 38 964,13
euros, la société STMI reste redevable d'un solde d'indemnité conventionnelle de licenciement
égal à la somme 66 576,27 euros ;
Considérant enfin qu'après avoir pris en considération les circonstances de la rupture, les
difficultés rencontrées par M. Pierre F. pour retrouver un nouvel emploi et la réduction de la
pension de vieillesse résultant de la cessation anticipée et injustifiée de son activité
professionnelle, la cour condamne la société STMI à lui verser la somme de 60 000 euros en
réparation de l'ensemble de ses préjudices;
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et sur renvoi après
cassation,
INFIRME le jugement rendu le 5 octobre 2006 par le conseil de prud'hommes de
Longjumeau,
CONDAMNE la société STMI à verser à M. Pierre F. les sommes de :
• 66 576,27 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, • 60
000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère illicite
de la mise à la retraite produisant les effets d'un licenciement nul, • 3 000 euros sur le
fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de toutes autres demandes,
CONDAMNE la société STMI aux entiers dépens et aux frais d'exécution de la présente
décision.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 alinéa 2 du code de
procédure civile et signé par Madame Jeanne MININI, président et Madame Sabrina
NIETRZEBA CARLESSO, greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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