i. definitions et pratiques de la sous-traitance

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i. definitions et pratiques de la sous-traitance
I.
DEFINITIONS ET PRATIQUES DE LA SOUSTRAITANCE : DES EVOLUTIONS MAJEURES EN
FRANCE COMME EN AQUITAINE
CESR AQUITAINE Rapport Sous-Traitance Industrielle
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I.1.
LES CONTOURS DE LA SOUS-TRAITANCE
La réalité de ce que recouvre, aujourd’hui, le terme générique de « sous-traitance » n’a plus
grand-chose de commun avec la sous-traitance définie et encadrée par la loi du 31 décembre
1975 comme le rappelle le SESSI8.
Rappeler les termes de la loi, définir ce que l’on appelle communément et par extension soustraitance, apparaît donc nécessaire pour que soit très exactement cerné le cadre de notre étude
sur la situation des PME/PMI d’Aquitaine confrontées aux transformations structurelles de la
sous-traitance industrielle.
I.1.1.
La loi du 31décembre 1975
La sous-traitance est définie par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 comme
« une opération par laquelle un entrepreneur confie, par un sous-traité et sous
sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, tout ou partie de
l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître
d’ouvrage. »
Le sous-traitant doit se conformer exactement aux directives et spécifications techniques
arrêtées par le donneur d’ordres, qui garde en dernier ressort la responsabilité technique,
commerciale, et donc juridique, des produits ou des composants.
Entrent dans ce cadre :
La sous-traitance industrielle de spécialité : l’entreprise donneur d’ordres décide de faire
appel à un spécialiste disposant des équipements et de la compétence adaptés à ses besoins,
parce qu’elle ne peut ou ne souhaite pas s’en doter pour des raisons relevant de sa stratégie
propre.
La sous-traitance industrielle de capacité : la sous-traitance est dite de capacité quand
l’entreprise donneurs d’ordres est elle-même équipée pour exécuter un produit, mais a recours
à une autre entreprise, occasionnellement, en raison d’une pointe momentanée dans la
production ou d’un incident technique.
• Sous-traitance confiée et sous-traitance reçue :
La sous-traitance industrielle confiée : il s’agit des achats par les entreprises
industrielles donneurs d’ordres de produits réalisés à leur demande sur spécifications
techniques.
Pour apprécier l’ampleur du phénomène, on rapporte généralement la sous-traitance
industrielle à la production propre.
La sous-traitance industrielle reçue : il s’agit de la fabrication et de la vente par les
entreprises industrielles sous-traitantes de produits réalisés sur spécifications
techniques du donneur d’ordres. Pour mesurer l’impact de ces commandes sur les
8
Audition de Madame SOUQUET du SESSI
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établissements preneurs d’ordres, on rapporte généralement la sous-traitance reçue au
chiffre d’affaires.
La sous-traitance industrielle en cascade : dans ce cas, un sous-traitant a lui-même
recours à la sous-traitance pour réaliser les travaux que lui confie le donneur d’ordres.
A ce stade, il importe de définir deux types d’opérations souvent assimilées à tort à la
sous-traitance industrielle.
Les prestations de services : les prestataires de services prennent en charge une partie
des activités de bureaux d’études et des activités non industrielles (informatique,
formation professionnelle, maintenances diverses…),
Les fournitures : les fournisseurs ont un lien essentiellement commercial avec le
client. Les produits offerts sont immédiatement identifiables sur catalogues et
disponibles en stock.
• Application au plan comptable
Les Comptes 604 et 605, ou comptes de « sous-traitance industrielle », regroupent
les achats dits de sous-traitance industrielle, les produits achetés étant directement
incorporés aux ouvrages, travaux et produits fabriqués.
L’existence de deux postes permet de préciser la nature de ces achats : le compte 604
regroupe les achats de services immatériels ; le compte 605 regroupe les achats de
biens matériels.
Le Compte 611 ou compte de « sous-traitance générale », regroupe l’ensemble des
achats de sous-traitance non comptabilisés aux postes 604 et 605 concernant pour
l’essentiel des opérations n’entrant pas dans le coût de production des produits, des
études ou prestations destinées aux besoins internes de l’entreprise et des coûts de
structure.
Pour les preneurs d’ordres, la sous-traitance reçue n’a pas de spécificité comptable et
constitue une part de leur chiffre d’affaires.
La loi du 31 décembre 1975 encadre, donc, très étroitement la sous-traitance
industrielle tant en ce qui concerne les obligations du sous-traitant que l’étendue de
la responsabilité du donneur d’ordres sur le triple plan technique, commercial et
juridique des produits ou des composants sous-traités.
I.1.2.
L’évolution de la notion de sous-traitance et ses corollaires (externalisation et
délocalisation)
Depuis les années 1980/1990, l’apparition et l’accélération des transformations structurelles
industrielles se sont accompagnées d’une extension majeure de la notion de sous-traitance.
Cette évolution s’est traduite par :
- la tendance généralisée des donneurs d’ordres à se recentrer sur ce qu’il est convenu
d’appeler leur « cœur de métier ». Ils ont eu tendance à ne conserver au sein de
l’entreprise que les tâches de conception, de maîtrise technique, de maîtrise d’œuvre de
l’assemblage et de qualité du produit fini,
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- le recours de plus en plus systématique à la sous-traitance industrielle, se traduisant par le
transfert de plus en plus large d’éléments de la production vers le sous-traitant. Ce
processus a conduit, in fine, à une implication de plus en plus globale de ce dernier,
pouvant aller jusqu’au partage du risque financier.
Cette nouvelle sous-traitance à risque vide de sa substance la notion de responsabilité du
donneur d’ordres qui caractérise la sous-traitance industrielle classique ;
- la généralisation de la pratique « d’externalisation », c'est-à-dire le recours à des
« prestataires de services » pour effectuer des tâches et des services nécessaires au
fonctionnement de l’entreprise mais n’entrant pas directement dans la confection du
produit ;
- à la sous-traitance industrielle étendue, à l’externalisation des tâches non directement
industrielles, est venu s’agréger le phénomène grandissant des «délocalisations », avec le
débat qui s’instaure sur ses dangers et son impact réel sur l’investissement et l’emploi
industriels.
Les délocalisations, notamment dans l’industrie manufacturière au sens strict, se définissent
comme le transfert dans un pays étranger d’une production qui est, ensuite, réimportée.
Dans ce cas, l’objectif principal est la recherche de moindres coûts salariaux et d’une
réglementation minimum en matière sociale et environnementale.
Les relocalisations (le déplacement d’un site de production à l’étranger) et les
investissements à l’étranger (déploiement d’activités) sont réalisés avec pour objectif le
rapprochement d’un marché émergent.
Ceci peut conduire à une définition plus large de la délocalisation, entendue comme la
substitution d’une production étrangère à une production nationale, qu’elle soit effective ou
potentielle ( soit faire ou pouvoir faire sur le territoire national, soit faire faire à l’étranger
ce que l’on pourrait faire en France). Une telle définition plus large des délocalisations,
devrait permettre une approche plus exhaustive des conséquences du phénomène.
I.2.
L’ EVOLUTION DES PRATIQUES AU COURS DES DERNIERES DECENNIES :
UN PROFOND BOULEVERSEMENT
Le bouleversement des pratiques de sous-traitance doit être resitué dans le contexte des
mutations industrielles intervenues au cours des dernières décennies.
L’ampleur prise par la mondialisation de l’économie a entraîné une véritable rupture dans
l’organisation de la production industrielle. A un système intégré, s’est substitué un système
décentralisé dans lequel la sous-traitance est devenue le nouveau mode d’organisation
industrielle9.
Une transformation radicale des rapports entre donneurs d’ordres et sous-traitants s’est donc
instaurée. Même si chaque filière a des spécificités qui lui sont propres, cette évolution de la
sous-traitance présente des traits communs à l’ensemble des secteurs industriels.
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Audition de Monsieur MARQUET, Université Bordeaux IV
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I.2.1.
Les donneurs d’ordres
• Une nouvelle dimension organisationnelle
Quelles en sont les raisons ?
Les facteurs qui ont présidé à cette profonde transformation de l’organisation
industrielle sont parfaitement définis :
-
-
l’ouverture des marchés, avec pour corollaire l’accélération de la concurrence au
niveau mondial,
la naissance de groupes industriels de plus en plus importants par concentrations
et fusions,
la dématérialisation et l’accélération des échanges, avec le développement des
TIC et des moyens de communication,
la « financiarisation » de l’économie industrielle, avec les grands mouvements et
la volatilité des capitaux qui ont accompagné la suppression du contrôle des
changes,
une recherche de rentabilité accrue, liée aux besoins en investissements en
recherche et développement et en moyens de production d’une part, et aux
nouvelles exigences des bailleurs de fonds (banques ou actionnaires), d’autre
part.
Répondre à ces éléments déterminants de rupture de l’économie a conduit les
entreprises donneurs d’ordres à se « recentrer sur leur cœur de métier » en ne
conservant que les activités à forte valeur ajoutée, à faible intensité en main d’œuvre.
Ont été recherchés tous moyens tendant à favoriser :
la maîtrise des coûts de production,
la réduction des délais de fabrication,
la qualité des produits,
la production de valeur ajoutée,
l’innovation.
La poursuite de ces objectifs est passée par la complète réorganisation de la soustraitance industrielle.
Quelles en sont les formes ?
Dans la sous-traitance industrielle classique, qu’il s’agisse de commandes ponctuelles
ou de contrats dans la durée, la relation entre donneurs d’ordres et sous-traitants
s’établissait essentiellement sur des bases de proximité et de confiance, dans un
environnement national protégé.
De cette organisation dite « naturelle » ou « en étoile », dans laquelle le donneur
d’ordres était en prise directe avec ses sous-traitants, l’on est passé :
-
à une « organisation par niveaux », instaurant une hiérarchisation des soustraitants ( 1er , 2ème, 3ème rangs…), les entreprises les plus importantes et les
mieux structurées prenant en charge un projet d’ensemble et ayant la
responsabilité de piloter les sous-traitants de rangs inférieurs,
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Le secteur « phare » de l’industrie
Le secteur
automobile
L’entreprise
Donneur d’Ordres
Organisation par niveaux
1er rang
2ème rang
Ensemblier
Sous-trait.
Sous-trait.
Ensemblier
Sous-trait.
Sous-trait.
Sous-trait.
3ème rang
Ensemblier
Sous-trait.
Sous-trait.
Sous-trait.
Sous-trait.
Sous-trait.
Sous-trait.
9
- puis à une organisation en flux (ou processus), répondant à une logique de « flux
à valeurs ajoutées » et de « réduction du nombre de sous-traitants de 1er rang »
dans le cadre d’ « un projet commun entre la grande entreprise et ses soustraitants ».
Aujourd’hui l’organisation des filières se conçoit en flux (ou processus)
M8 Prest.Indus.
associées
« Organisation souhaitée »
En logique de flux
M1 Outillage
M3 Compo&MP
M4 Opérations
GE – production
sur programmes
M5 Pièces
« Un
même
client »
M6 Assemblage
M7 Ensemble Fonct.
Flux dominant
Rang 3
Rang 2
Rang 1
M2 R&D
Exemple de la filière aéronautique régionale
Cette nouvelle organisation de la sous-traitance, telle que définie et illustrée par
l’Agence Nationale pour le Développement de la Performance Industrielle
(ADEPA), est particulièrement poussée dans les secteurs de l’aéronautique et de
l’automobile.
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I.2.2.
Les sous-traitants
Le passage du système « intégré » au système « décentralisé » de production industrielle induit
la répercussion sur les sous-traitants des contraintes imposées par le marché.
L’inquiétude de ces derniers a été clairement exprimée par l’un des chefs d’entreprises
entendu par la commission. Devant la « difficulté à saisir le sens des évolutions », la question
posée est : « demain sera-t-il possible ? »
• Les PME sous-traitantes subissent les nouvelles donnes de l’organisation
industrielle.
La concentration extrême des grands groupes, l’implantation des sièges sociaux au
niveau mondial, le « filtre » des classements en rangs, tendent à isoler les PME soustraitantes. Celles-ci n’ont plus de relations directes avec le principal donneur d’ordres
et certains sous-traitants peuvent considérer que cela conduit à une dispersion des
responsabilités,
l’établissement de listes de « validation des fournisseurs » (short list), la réduction
drastique du nombre de sous-traitants de 1er rang de « taille critique » pénalisent les
petites entreprises. Celles-ci se trouvent reléguées dans les rangs inférieurs de cette
sous-traitance en cascade avec les pressions correspondantes sur les coûts,
dans le cas d’appels d’offres internationaux, les conditions et les normes imposées
rendent difficile la participation des PME sous-traitantes dans les formes classiques de
réponse.
• Les PME doivent répondre aux attentes de plus en plus exigeantes des donneurs
d’ordres.
Dans ce contexte, l’offre globale devient la norme dans beaucoup de secteurs. Cela
impose aux sous-traitants d’assumer la charge d’un ensemble ou d’un sous-ensemble, en
répondant à des impératifs portant sur tous les aspects de la production :
-
les coûts, avec une pression très forte sur les prix, une compression des marges,
les délais, avec la réduction de la durée des cycles,
la « recherche et développement » et son financement,
l'innovation dans les propositions,
des normes très strictes en matière de qualité, de sécurité et d’environnement,
le partage des risques (risk sharing), dans les secteurs aux très lourds investissements
à long terme, tel que celui de l’aéronautique.
La réponse à ces exigences fragilise les entreprises sous-traitantes et ont de lourdes
conséquences sur le plan social :
- conditions de travail difficiles (amplitude des horaires dans le cadre de
l’annualisation du temps de travail et non respect du « délai de prévenance » pour la
fixation des horaires, notamment)
- organisation tendue du travail, générant un stress permanent aussi bien parmi
l’encadrement que parmi les salariés des services de production,
- insuffisance de la formation professionnelle, particulièrement en ce qui concerne les
salariés les moins qualifiés,
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- recours de plus en plus fréquent et dans une proportion importante à l’emploi
précaire, sans remplacement des départs à la retraite ou anticipés, avec la perte de
savoir-faire qui en découle,
- absence de dialogue social,
- niveau des salaires.
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