nous sommes un autre soleil

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nous sommes un autre soleil
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GONZALO ROJAS
NOUS SOMMES
UN AUTRE SOLEIL
Choix et traduction de l’espagnol (Chili)
de Fabienne Bradu, revue par Gérard Richet
édition bilingue
orphÉe / la diffÉrence
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CARBÓN
Veo un río veloz brillar como un cuchillo, partir
mi Lebu en dos mitades de fragancia, lo escucho,
lo huelo, lo acaricio, lo recorro en un beso de niño como entonces,
cuando el viento y la lluvia me mecían, lo siento
como una arteria más entre mis sienes y mi almohada.
Es él. Está lloviendo.
Es él. Mi padre viene mojado. Es un olor
a caballo mojado. Es Juan Antonio
Rojas sobre un caballo atravesando un río.
No hay novedad. La noche torrencial se derrumba
como mina inundada, y un rayo la estremece.
Madre, ya va a llegar: abramos el portón,
dame esa luz, yo quiero recibirlo
antes que mis hermanos. Déjame que le lleve un buen vaso
de vino
para que se reponga, y me estreche en un beso,
y me clave las púas de su barba.
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Ahí viene el hombre, ahí viene
embarrado, enrabiado contra la desventura, furioso
contra la explotación, muerto de hambre, allí viene
debajo de su poncho de castilla.
V
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s
Ah, minero inmortal, ésta es tu casa
de roble, que tú mismo construiste. Adelante:
te he venido a esperar, yo soy el séptimo
de tus hijos. No importa
que hayan pasado tantas estrellas por el cielo de estos años,
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CHARBON
Je vois un fleuve impétueux briller comme un couteau, fendre
mon Lebu en deux moitiés de parfum, je l’écoute,
je le respire, je le caresse, je le parcours d’un baiser d’enfant
comme alors
quand le vent et la pluie me berçaient, je le sens
comme une artère de plus entre ma tempe et mon oreiller.
C’est lui. Il pleut.
C’est lui. Mon père arrive trempé. C’est une odeur
de cheval mouillé. C’est Juan Antonio
Rojas sur un cheval traversant une rivière.
Il n’y a rien à signaler. La nuit torrentielle s’écroule
comme une mine inondée, et un éclair l’ébranle.
Mère, le voilà qui arrive : ouvrons la grande porte,
passe-moi la lanterne, je veux le recevoir
avant mes frères. Laisse-moi lui apporter un bon verre de vin
pour qu’il se requinque, qu’il m’étreigne dans un baiser
et me plante les piquants de sa barbe.
Voilà l’homme, le voilà
couvert de boue, enragé contre le malheur, furieux
contre l’exploitation, mort de faim, le voilà
sous son poncho de grosse laine.
Ah !, mineur immortel, voici ta maison
de chêne, que tu as construite de tes mains. Entre :
je suis venu t’attendre, je suis le septième
de tes fils. Peu importe
que tant d’étoiles aient traversé le ciel de ces années,
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que hayamos enterrado a tu mujer en un terrible agosto,
porque tú y ella estáis multiplicados. No
importa que la noche nos haya sido negra
por igual a los dos.
– Pasa, no estés ahí
mirándome, sin verme, debajo de la lluvia.
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que nous ayons enterré ta femme lors d’un terrible mois d’août,
car elle et toi vous êtes multipliés. Peu
importe que la nuit nous ait été aussi noire
à tous les deux.
– Entre, ne reste pas là
à me regarder, sans me voir, sous la pluie.
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ACORDE CLÁSICO
Nace de nadie el ritmo, lo echan desnudo y llorando
como el mar, lo mecen las estrellas, se adelgaza
para pasar por el latido precioso
de la sangre, fluye, fulgura
en el mármol de las muchachas, sube
en la majestad de los templos, arde en el número
aciago de las agujas, dice noviembre
detrás de las cortinas, parpadea
en esta página.
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ACCORD CLASSIQUE
Il naît de personne le rythme, il est jeté nu et vagissant
comme la mer, il est bercé par les étoiles, il s’affine
pour se faufiler dans la pulsation précieuse
du sang, il flue, il fulgure
dans le marbre des jeunes filles, il s’élève
dans la majesté des temples, il brûle dans le chiffre
funeste des aiguilles, il dit novembre
derrière les rideaux, il cille
sur cette page.
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PARA ÓRGANO
Tan bien que estaba entrando en la escritura de mi Dios
esta mano, el telar secreto, y yo dejándola
ir, dejándola
sin más que urdiera el punto del ritmo, que tocara y tocara
el cielo en su música como cuando las nubes huyen solas
en su impulso abierto arriba, de un sur
a otro, porque todo es sur en el mundo, las estrellas
que no vemos y las que vemos, fascinación
y cerrazón, dalia y más dalia
de tinta.
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Tan bien que iba el ejercicio para que durara, los huesecillos
móviles, tensa
la tensión, segura
la partitura de la videncia como cuando uno
nace y está todo ahí, de encantamiento
en encantamiento, recién armado
el juego, y es cosa
de correr para verla y olfatearla
fresca a la eternidad en esos metros
de seda y alambre, nuestra pobrecilla
niñez que somos y seremos, hebra
de granizo blanco en los vidrios, Lebu abajo
por el Golfo y la ululación, parco en lo parco
hasta que abra limpio el día.
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Tan bien todo que iba, los remos
de la exactitud, el silencio con
su gaviota velocísima, lo simultáneo
de desnacer y de nacer en la maravilla
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POUR ORGUE
Elle commençait si bien à entrer dans l’écriture de mon Dieu
cette main, la navette secrète, et moi je la laissais
aller, je la laissais
toute seule ourdir la trame du rythme, toucher le ciel et en tirer
sa musique comme quand les nuages s’enfuient seuls
là-haut dans leur élan béant, d’un sud
à l’autre, car tout est sud dans le monde, les étoiles
que nous ne voyons pas et celles que nous voyons, fascination
et offuscation, dahlia après dahlia
d’encre.
Il était si bien parti l’exercice pour durer, mobiles
les phalanges, tendue
la tension, claire
la partition de la voyance comme quand on
naît et que tout est là, enchantement
sur enchantement, tout juste inauguré
le jeu, et qu’il suffit
de courir pour voir et flairer
la fraîche éternité dans ces mètres
de soie et de squelette, notre pauvre petite
enfance que nous sommes et serons, filon
de grêle blanche sur les vitres, Lebu en bas
sur le Golfe et le hululement, concis dans la concision
jusqu’à ce que limpide éclose le jour.
Tout allait si bien, les rames
de l’exactitude, le silence avec
sa mouette si véloce, la simultanéité
du naître et du dénaître dans la merveille
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de la aproximación a la ninguna costa
que soy, cuando cortándose
cortóse la mano en su transparencia de cinco
virtudes áureas, cortóse en ella
el trato de arteria y luz, el ala
cortóse en el vuelo, algún acorde que no sé
de este oficio, algún adónde
de este cuándo.
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de l’approche de l’aucune côte
que je suis, quand en se brisant
la main se brisa dans la transparence de cinq
vertus d’or, en elle se brisa
le pacte d’artère et de lumière ; l’aile
se brisa dans le vol, un certain accord que j’ignore
de ce prodige, un certain jusqu’où
de ce quand.
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© Herederos de Gonzalo Rojas.
© SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2013,
pour la traduction en langue française et la préface.
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