Progestérone et prévention de la prématurité
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Progestérone et prévention de la prématurité
DOSSIER La progestérone Progestérone et prévention de la prématurité : quelles indications ? Progesterone and preterm delivery prevention: which indications? A. Berman*, B. Carbonne* L * Service de gynécologie obstétrique, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris. AP-HP, université Pierre-et Marie-Curie. e risque de menace d’accouchement prématuré reste difficile à appréhender. Il se fonde en grande partie sur la prise en compte de critères épidémiologiques ayant trait aux antécédents de la patiente, par exemple des antécédents de fausse couche ou d’accouchement prématuré. De même, en l’absence d’antécédent, l’environnement psychosocial de la patiente, la constatation clinique ou échographique de modifications du col ou encore l’existence d’une grossesse multiple sont également pris en compte. Dans les cas où un risque élevé de menace d’accouchement prématuré est mis en évidence, l’utilisation préventive de la progestérone a été envisagée depuis de nombreuses années. La progestérone est en effet essentielle à de nombreux processus reproductifs et elle semble jouer un rôle important dans la poursuite de la grossesse en maintenant l’utérus quiescent et peut-être en évitant une maturation cervicale prématurée. La progestérone étant apparemment inefficace en traitement curatif en cas de menace d’accouchement prématuré, plusieurs études randomisées semblent montrer un bénéfice de son utilisation préventive en cas d’antécédents de prématurité ou de fausse couche tardive. D’autres situations à risque telles que les grossesses multiples et la constatation d’un col court à l’échographie ont été évaluées plus récemment. Cette revue a pour but d’évaluer l’utilisation de la progestérone dans ces différentes situations à risque d’accouchement prématuré. 18 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 Justifications physiopathologiques de l’utilisation de la progestérone Comme son nom l’indique, la progestérone serait l’hormone destinée à favoriser (pro-) la grossesse (-gestare). Cette fonction est indiscutable en début de grossesse, tant que la sécrétion de progestérone provient essentiellement du corps jaune. La progestérone favorise la quiescence utérine durant la grossesse. Ses mécanismes d’action ne sont pas entièrement connus. Sur le myomètre gravide, elle induit une relaxation du muscle lisse, bloque l’action de l’ocytocine (3) et inhibe la formation des gapjonctions (4). Chez le mouton, la chèvre et d’autres mammifères, la diminution de la progestéronémie et l’augmentation de l’estrogénémie précèdent le début du travail (3). Bien qu’un tel changement dans le rapport progestérone/estrogène plasmatique ne soit pas observé chez les primates (3), il a été démontré que des changements locaux du taux de progestérone ou du rapport entre progestérone et estrogène dans le placenta, la caduque, ou les membranes fœtales pourraient jouer un rôle dans le début du travail chez la femme (5). L’hypothèse d’un rôle important joué par la progestérone dans le maintien de la gestation et de son retrait au moment de l’entrée en travail reste donc de mise dans l’espèce humaine, même si, à l’évidence, les mécanismes de la parturition sont beaucoup plus complexes et multifactoriels chez l’homme que dans d’autres espèces. Résumé Depuis quelques années, l’utilisation de la progestérone dans la prévention de la prématurité est réactualisée. Plusieurs grands essais randomisés montrent l’efficacité de la progestérone en prévention des récidives en cas d’antécédent d’accouchement prématuré. Plus récemment, l’intérêt préventif de la progestérone a été évalué dans d’autres situations cliniques, en cas d’autres facteurs de risque d’accouchement prématuré tels qu’un col court à l’échographie et des grossesses multiples. Les résultats actuels semblent favorables à l’utilisation préventive de la 17 alpha-hydroxyprogestérone injectable, commencée précocement au cours de la grossesse chez des femmes ayant des antécédents de prématurité. De même, l’utilisation de la progestérone par voie vaginale en cas de col court à l’échographie systématique à 22 SA paraît efficace. L’utilisation systématique de progestérone en cas de grossesse multiple ne semble pas apporter de bénéfice. Quant à d’éventuels effets néfastes de la progestérone, ils sont encore mal évalués et la prudence reste de mise, surtout dans des situations où son efficacité n’est pas totalement démontrée. Cette prescription devrait s’intégrer dans une stratégie préventive plus globale dans laquelle le cerclage cervical et le traitement préventif d’une vaginose bactérienne ont également leur place. Mots-clés Prématurité Progestérone Effets secondaires Keywords Preterm delivery Progesterone Secondary effects Tableau I. Méthodologie des essais sur l’utilisation préventive du risque de prématurité par la progestérone en cas d’antécédent d’accouchement prématuré. Type d’étude Critères d’inclusion Effectifs traités/ contrôles Type de progestérone Doses et voie d’administration Da Fonseca, 2003 (6) Comparative randomisée contre placebo Au moins un accouchement prématuré (90 % des cas), et/ou cerclage prophylactique, et/ou malformation utérine 72/70 Progestérone naturelle 100 mg intravaginal par jour Meis, 2003 (7) Comparative randomisée contre placebo Au moins un accouchement prématuré (entre 20 SA et 36 SA + 6 j) 310/153 17 alpha-hydroxyprogestérone 250 mg i.m. par semaine O’Brien, 2007 (8) Comparative randomisée contre placebo Accouchement prématuré lors de la précédente grossesse entre 20 SA et 35 SA 309/302 Progestérone naturelle 90 mg gel intravaginal par jour Rai, 2009 (9) Comparative randomisée contre placebo Antécédents d’accouchement prématuré 74/74 Progestérone micronisée 100 mg x 2 fois par jour per os Auteurs Utilisation de la progestérone en fonction des facteurs de risque d’accouchement prématuré identifiés Antécédent d’accouchement prématuré ◆◆ Sélection des études Plusieurs grands essais randomisés en double aveugle contre placebo ont relancé l’intérêt pour l’utilisation préventive de la progestérone : soit la progestérone naturelle par voie vaginale (6, 8), soit la 17 alphahydroxyprogestérone par voie intramusculaire (i.m.) [7], soit encore la progestérone micronisée par voie orale (9). L’étude de da Fonseca et al. (6) est un essai randomisé contre placebo utilisant la progestérone naturelle sous forme d’ovules vaginaux à 100 mg une fois par jour en cas de situation à risque d’accouchement prématuré : antécédent d’accouchement prématuré, cerclage cervical préventif ou malformation utérine. La progestérone a été attribuée par randomisation à 81 femmes, et le placebo à 76 femmes. L’étude de Meis et al. (7) est également randomisée, en double aveugle contre placebo, avec analyse des résultats “en intention de traiter”. Elle utilise la 17 alpha-hydroxyprogestérone sous forme d’une injection i.m. de 250 mg par semaine chez 310 femmes, ou une solution placebo huileuse inerte chez 153 femmes, toutes ayant un antécédent d’accouchement prématuré spontané entre 20 SA et 36 SA + 6 j. L’étude de O’Brien et al. (8) est également une étude randomisée en double aveugle, comportant l’effectif le plus important : 309 patientes dans le groupe utilisant la progestérone naturelle (ovule de 90 mg quotidien) et 302 patientes dans le groupe placebo. L’étude récente de Rai et al. (9) s’intéresse à la prise de progestérone micronisée orale dans un essai randomisé en double aveugle contre placebo chez 150 patientes ayant un antécédent d’accouchement prématuré. Les méthodologies de ces quatre essais sont résumées dans le tableau I. ◆◆ Résultats Les résultats de l’étude de da Fonseca font état, selon les auteurs, d’une réduction significative des accouchements prématurés chez les femmes traitées par rapport à celles recevant le placebo (13,8 % contre 28,5 % respectivement ; p = 0,03 ; tableau II) et, surtout, une réduction des accouchements avant 34 SA (2,8 % contre 18,6 % respectivement ; p = 0,002). Cette étude suscite toutefois plusieurs critiques méthodologiques qui peuvent faire revoir à la baisse l’importance des conclusions : ➤➤ Lors de l’analyse, un certain nombre d’exclusions ont été réalisées (6 dans le groupe placebo et 9 dans le groupe progestérone) : patientes perdues de vue, accouchements prématurés par décision médicale, allergie au produit et rupture prématurée des membranes (RPM) avant terme. ➤➤ Ces exclusions signifient que l’analyse des résultats n’est pas faite “en intention de traiter”. Des exclusions décidées a posteriori pour des motifs La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 19 DOSSIER La progestérone Tableau II. Résultats des essais récents sur l’utilisation préventive du risque de prématurité par la progestérone. Âge gestationnel au début du traitement Critère de jugement principal Résultats (progestérone/placebo) p Remarques 16 SA à 21 SA + 6 j Accouchement avant 37 SA 36,3 %/54,9 % OR : 0,66 (IC95 : 0,54-0,81) < 0,05 Exclusion arbitraire des ruptures prématurées des membranes Meis, 2003 (7) 16 SA à 21 SA + 6 j Accouchement avant 37 SA 13,8 %/28,5 % 0,03 O’Brien, 2007 (8) 18 SA à 22 SA + 6 j Accouchement avant 32 SA 10 %/11,3 % OR : 0,9 ; IC95 : 0,52-1,56 0,9 18-24 SA Accouchement avant 37 SA 39,2 %/59,5 % 0,002 Auteurs Da Fonseca, 2003 (6) Rai, 2009 (9) Références bibliographiques 1. Adams MM, Elam-Evans LD, Wilson HG, Gilbertz DA. Rates and factors associated with recurrence of preterm delivery. JAMA 2000; 283:1591-6. 2. Honest H, Bachmann LM, Coomarasamy A, Gupta JK, Kleijnen J, Khan KS. Accuracy of cervical transvaginal sonography in predicting preterm birth: a systematic review. Ultrasound Obstet Gynecol 2003;22:305-22. 3. Challis JRG. Mechanism of parturition and preterm labor. Obstet Gynecol Survey 2000;55:650-60. 4. Garf ield RE, Dannan MS, Daniel EE. Gap-junction formation in myometrium: control by estrogens, progesterone, and prostaglandins. Am J Physiol 1980;238:C81-9. 5. Mitchell B, Cruickshank B, McLain, Challis JR. Local modulation of progesterone production in human fetal membranes. J Clin Endocrinol Metab 1982;55:1237-9. 6. da Fonseca EB, Bittar RE, Carvalho MH, Zugaib M. Prophylactic administration of progesterone by vaginal suppository to reduce the incidence of spontaneous preterm birth in women at increased risk: a randomized placebo -controlled doubleblind study. Am J Obstet Gynecol 2003;188:419-24. 7. Meis PJ, Klebanoff M, Thom Eet al. Prevention of recurrent preterm delivery by 17 alpha-hydroxyprogesterone caproate. N Engl J Med 2003;348:2379-85. 8. O’Brien JM, Adair CD, Lewis DF et al. Progesterone vaginal gel for the reduction of recurrent preterm birth: primary results from a randomized, double-blind, placebocontrolled trial. Ultrasound Obstet Gynecol 2007;30:687-96. arbitraires et non prédéfinis lors de la conception de l’étude peuvent en effet influencer les résultats. ➤➤ Surtout, l’exclusion des RPM n’est pas acceptable puisque ces ruptures avant terme aboutissent presque systématiquement à un accouchement prématuré. Il y avait 6 RPM dans le groupe progestérone et 4 dans le groupe placebo. Si l’on recalcule le Chi-2 en supprimant ces exclusions (et en supposant raisonnablement que toutes ont accouché prématurément), on aboutit à l’absence de différence significative entre les deux groupes dans les taux d’accouchements prématurés. ➤➤ Enfin, même en acceptant la possibilité d’une diminution des accouchements prématurés, aucun bénéfice néonatal n’est mis en évidence dans cette étude. Dans l’étude de Meis et al., “en intention de traiter”, le critère principal de jugement (l’accouchement prématuré avant 37 SA), est survenu dans 36,3 % des cas du groupe progestérone et 54,9 % des cas du groupe placebo, soit une réduction de 44 % du risque d’accouchement prématuré (OR : 0,66 ; IC95 : 0,54-0,81 ; tableau II). Surtout, il existe une réduction du même ordre du risque d’accouchement avant 35 SA (OR : 0,67 ; IC95 : 0,48-0,93) et avant 32 SA (OR : 0,58 ; IC95 : 0,370,91), mais pas des fausses couches avant 20 SA. Cette réduction des accouchements très prématurés s’accompagne d’une amélioration des résultats néonatals en ce qui concerne les poids de naissance inférieurs à 2 500 g (OR : 0,66 ; IC95 : 0,51-0,87), le besoin d’oxygène (OR : 0,62 ; IC95 : 0,42-0,92) et le risque d’entérocolite ulcéro-nécrosante (0/305 dans le groupe progestérone contre 4/152 dans le groupe placebo ; p < 0,05). La réduction de la mortalité néonatale n’est pas significative (OR : 0,44 ; IC95 : 0,17-1,13), mais la puissance de l’étude n’a pas été calculée pour cet objectif. L’élément surprenant de cette étude est la grande fréquence des accouchements prématurés dans le groupe témoin (54,9 %), plus élevée que dans la plupart des études portant sur le risque d’accouchement prématuré (habituellement plus proche de 30 %). Les auteurs rapportent ce très haut risque à la 20 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 précocité des accouchements prématurés survenus dans les antécédents : 31 SA en moyenne. L’étude de O’Brien (8) ne retrouve pas de différence significative dans la survenue d’accouchement avant 32 SA avec la progestérone naturelle par voie vaginale : 10 % dans le groupe traité par progestérone versus 11,3 % dans le groupe placebo (OR : 0,9 ; IC95 : 0,52-1,56). Elle ne met pas en évidence non plus de différence significative sur les morbidités néonatales telles le score d’Apgar à 1 min et à 5 min, le poids de naissance, l’admission en réanimation néonatale (17,5 % versus 21,5 %, OR : 0,75 ; IC95 : 0,51-1,11), le syndrome de détresse respiratoire (11 % versus 11,9 % ; OR : 0,91 ; IC95 : 0,56-1,50), les hémorragies intraventriculaires (1,9 % versus 1,6 %, OR : 1,18 ; IC95 : 0,36-3,90), l’entérocolite nécrosante (1 % versus 1,7 %, OR : 0,58 ; IC95 : 0,14-2,46) et la mortalité néonatale (1,9 % versus 2,3 %, OR : 0,87 ; IC95 : 0,29-2,60). On peut noter que les doses de progestérone administrées sont assez faibles (90 mg) et sous forme de gel bioadhésif et non de comprimés gynécologiques ou d’ovules vaginaux comme dans l’étude de da Fonseca. L’étude de Rai (9) retrouve une diminution des accouchements prématurés dans le groupe traité (39,2 % versus 59,5 % ; p = 0,002). L’âge gestationnel à la naissance est de 36,1 SA dans le groupe traité contre 34 SA dans le groupe placebo (p < 0,001). Il existe également une amélioration de la morbidité néonatale (augmentation du poids de naissance, diminution du nombre de séjours de plus de 24 heures en réanimation néonatale, amélioration du score d’Apgar), mais on ne note pas de diminution significative de la mortalité néonatale. Cette étude est assez surprenante en ce qui concerne le taux très élevé de récidives de prématurité (59 % dans le groupe témoin), encore plus important que dans l’étude de Meis (6). ◆◆ Synthèse L’étude de da Fonseca et al. ne semble pas en mesure d’emporter la conviction en faveur de la progestérone naturelle par voie vaginale. Les effectifs restent DOSSIER assez modestes, incompatibles avec l’évaluation d’un éventuel bénéfice néonatal et, surtout, plusieurs sources de biais sont identifiables dans l’analyse des résultats présentés. L’étude de O’Brien et al. vient appuyer cette conviction en démontrant l’absence d’effet bénéfique de la progestérone naturelle utilisée par voie vaginale, malgré des effectifs nettement supérieurs. L’étude de Meis et al. apporte, à l’inverse, des arguments jusque-là incertains en faveur de l’efficacité de la 17 alpha-hydroxyprogestérone i.m. commencée entre 16 et 20 SA en prévention des récidives de prématurité dans les grossesses uniques. L’étude récente de Rai semble montrer un bénéfice à l’utilisation de la voie orale, en prise biquotidienne. Ces données, obtenues sur de très faibles effectifs et publiées dans une revue moins exigeante que les autres études, semblent mériter confirmation avant une utilisation large de la progestérone orale telle que nous la connaissions en France avant les années 1990 en cas de menace d’accouchement prématuré, jusqu’à ce que l’inefficacité de cette thérapeutique et, surtout, ses effets indésirables hépatiques soient mis en évidence. Tableau III. Méthodologie des études sur l’utilisation préventive de la progestérone en cas de col court à l’échographie. Auteurs Type d’étude Critères d’inclusion Effectifs traités/ contrôles Da Fonseca, 2007 (10) DeFranco, 2007 (11) Type de progestérone Doses et voie d’administration Randomisée double aveugle contre placebo 20-25 SA 125/125 Progestérone naturelle Ovule vaginal de 200 mg/j Randomisée double aveugle contre placebo 18-22 SA 19/27 Progestérone naturelle Gel vaginal à 90 mg/j Tableau IV. Résultats des essais sur l’utilisation préventive de la progestérone en cas de col court à l’échographie. Auteurs Âge gestationnel au début du traitement Critère de jugement principal Résultats (progestérone/placebo) Da Fonseca, 2007 (10) 20-25 SA Accouchement avant 34 SA 19,2 %/34,4 % OR 0,56 (0,36-0,86) 0,007 DeFranco, 2007 (11) 18-22 SA Accouchement avant 32 SA 0 %/29,6 % 0,014 Col court à l’échographie reçu soit 90 mg de progestérone naturelle par voie vaginale, soit un placebo. L’effectif de patientes avec un col < 28 mm était donc de 19 dans le groupe traité et de 27 dans le groupe placebo. Les patientes ayant un cerclage préventif n’ont pas été incluses dans l’étude. L’objectif principal était la survenue d’un accouchement avant 32 SA. ◆◆ Sélection des études Deux études récentes ont permis de s’intéresser au facteur “col court à l’échographie” et à la prévention par progestérone dans cette situation à risque d’accouchement prématuré. ➤➤ L’étude de da Fonseca et al. (10) est randomisée, en double aveugle contre placebo. L’inclusion des patientes s’effectuait entre 20 SA et 25 SA par une échographie systématique en population générale. L’échographie de 413 patientes randomisées retrouvait une longueur cervicale ≤ 15 mm (1,7 % de la population étudiée). Ainsi, 125 femmes ont reçu la progestérone sous forme d’ovules vaginales de 200 mg (1/jour), et 125 femmes ont reçu un placebo. L’étude de DeFranco (11) est une analyse secondaire d’une étude randomisée en double aveugle contre placebo, dont l’objectif principal était d’évaluer l’utilisation de la progestérone vaginale en cas de col court (≤ 25 mm) en l’absence d’antécédent d’accouchement prématuré. L’effectif étant trop faible pour ce critère (n = 9), les auteurs ont également inclus des patientes ayant un antécédent d’accouchement prématuré et ce, en trois sous-groupes selon la longueur cervicale (col < 28 mm, entre 28 et 30 mm et entre 30 et 32 mm). Les patientes ont ◆◆ Résultats L’étude de da Fonseca et al. (10) retrouve pour le critère de jugement principal (accouchement prématuré spontané avant 34 SA) une différence significative entre le groupe utilisant la progestérone et le groupe placebo (19,2 % versus 34,4 %, OR : 0,56 ; IC95 : 0,36-0,86 ; p = 0,007). Il n’existe pas de différence significative en ce qui concerne la morbidité et la mortalité néonatales. L’étude de DeFranco et al. (11) montre une différence significative en faveur du groupe traité en ce qui concerne les accouchements avant 32 SA (0 % versus 29,6 %, p = 0,014) lorsque le col est inférieur à 28 mm. Pour les critères de jugement secondaires, on retrouve également une diminution significative du taux d’admission en réanimation néonatale (15,8 % versus 51,9 %, p = 0,016) et du temps de séjour en réanimation (1,1 jour versus 16,5 jours, p = 0,013) mais pas du temps de séjour en néonatalogie ni du taux de syndrome de détresse respiratoire. Il n’existe pas de diminution significative du taux d’accouchement avant 37 SA et 35 SA en cas de col inférieur à 28 mm. La prise de progestérone en cas de col entre 30 et 32 mm ne diminue pas le risque d’accouchement prématuré ni la morbidité p Références bibliographiques 9. Rai P, Rajaram S, Goel N, Ayalur Gopalakrishnan R, Agarwal R, Mehta S. Oral micronized progesterone for prevention of preterm birth. Int J Gynaecol Obstet 2009;104:40-3. 10. Da Fonseca EB, Celik E, Parra M, Singh M, Nicolaides KH. Progesterone and the risk of preterm birth among women with a short cervix. N Engl J Med 2007;357:462-9. 11. DeFranco EA, O’Brien JM, Adair CD et al. Vaginal progesterone is associated with a decrease in risk for early preterm birth and improved neonatal outcome in women with a short cervix: a secondary analysis from a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Ultrasound Obstet Gynecol 2007; 30:697-705. 1 2 . Ro u s e D J , C a r i t i s S N , Peaceman AM et al. A trial of 17 alpha-hydroxyprogesterone caproate to prevent prematurity in twins. N Engl J Med 2007;357:454-61. 13. Caritis SN, Rouse DJ, Peaceman AM et al. Prevention of preterm birth in triplets using 17 alphahydroxyprogestrone caproate: a randomized controlled trial. Obstet Gynecol 2009;113:285-92. 14. Benifla JL, Dumont M, Levardon M et al. Effets de la progestérone naturelle micronisée sur le foie au troisième trimestre de la grossesse. Contracept Fertil Sex 1997;25:165-9. La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 21 DOSSIER La progestérone Références bibliographiques 15. Bacq Y, Sapey T, Brechot MC, Pierre F, Fignon A, Dubois F. Intrahepatic cholestasis of pregnancy. Hepatology 1997;26:358-64. 16. Rebarber A, Istwan NB, RussoStieglitz K et al. Increased incidence of gestational diabetes in women receiving prophylactic 17 alpha-hydroxyprogesterone caproate for prevention of recurrent preterm delivery. Diabetes Care 2007;30:2277-80. 17. Dodd JM, Flenady V, Cincotta R, Crowther CA. Prenatal administration of progesterone for preventing preterm birth in women considered to be at risk of preterm birth. The Cochrane Library 2009. 18. Flynn CA, Helvig AL, Meurer LN. Bacterial vaginosis in pregnancy and the risk of prematurity: a meta-analysis. J Fam Pract 1999;48:885-92. 19. Final report of the Medical Research Council/Royal College of Obstetricians and Gynaecologists multicenter randomised trial of cervical cerclage.MRC/ RCOG working party on cervical cerclage. Br J Obstet Gynaecol 1993;100:516-23. 20. American College of Obstetricians and Gynecologists. ACOG Committee Opinion. Use of progesterone to reduce preterm birth. Obstet Gynecol 2003;102:1115-6. 21. Société des obstétriciens gynécologues du Canada (SOGC). Utilisation de la progestérone pour la prévention de l’accouchement prématuré. JOGC 2008;202:72-7. néonatale. Pour un col ≤ 30 mm, les courbes de Kaplan-Meyer suggèrent une diminution des accouchements avant 32 SA dans le groupe traité, sans le prouver statistiquement (p = 0,057). ◆◆ Synthèse Ces deux études tendent à faire penser que l’utilisation de progestérone en cas de col court pourrait avoir un bénéfice dans la prévention de l’accouchement prématuré. Cependant, les critères d’inclusion sont encore mal définis dans la population sans antécédent (quelle longueur cervicale retenir ?). De plus, seule la progestérone naturelle par voie vaginale a été utilisée dans ces deux études, alors qu’aucun effet n’a été retrouvé pour ce mode d’administration dans une autre population à haut risque définie par un antécédent de prématurité. Grossesses multiples ◆◆ Sélection des études L’étude de Rouse et al. (12), randomisée, en double aveugle contre placebo, utilise la 17 alpha-hydroxyprogestérone par injection i.m. de 250 mg par semaine, chez des patientes ayant une grossesse gémellaire. L’objectif principal est la survenue d’un accouchement avant 35 SA chez 661 patientes. L’étude de Caritis et al. (13) est également randomisée, en double aveugle contre placebo, mais les patientes ont une grossesse triple. Ainsi, 71 patientes ont reçu une injection de 250 mg de 17 alphahydroxyprogestérone, et 63 patientes un placebo. Le critère principal de jugement était la survenue d’un accouchement avant 35 SA. ◆◆ Résultats Ces deux études ne montrent pas de différence significative sur la diminution du taux d’accouchement avant 35 SA. Dans l’étude de Rouse, ce taux est de 41,5 % chez les patientes traitées, contre 37,3 % chez les patientes recevant un placebo (OR = 1,1 ; IC95 : 0,9-1,3). Les critères de jugement secondaires que sont la mortalité et la morbidité néonatales ne sont pas non plus diminués. L’étude de Caritis retrouve 83 % d’accouchements avant 35 SA dans le groupe recevant la progestérone contre 84 % dans le groupe placebo (OR : 1 ; IC95 : 0,9-1,1). ◆◆ Synthèse Actuellement, il n’existe pas d’argument pour promouvoir l’utilisation de la progestérone dans la prévention de l’accouchement prématuré lors de grossesses multiples sans antécédent de prématurité. Effets indésirables de la progestérone La prescription de tout traitement, en particulier d’un stéroïde, au cours de la grossesse devrait rappeler aux obstétriciens les erreurs d’un passé récent, dont le distilbène est le meilleur exemple. La prescription de distilbène s’est poursuivie pendant de nombreuses années alors que son efficacité dans ses principales indications de l’époque n’était absolument pas documentée. Seule la description des conséquences sur les enfants exposés in utero a finalement mis fin (avec beaucoup de retard) à son utilisation. Malgré cette triste expérience, beaucoup de médicaments sont encore utilisés actuellement chez la femme enceinte avec la conviction que “ça ne peut pas faire de mal”, alors que les bénéfices attendus ne sont pas démontrés et que les risques restent inconnus. La prescription de tout traitement devrait procéder de la mise en balance des risques (même théoriques) avec les bénéfices (démontrés par des études). À ce jour, aucune donnée issue d’études comparatives randomisées ne remet en question l’innocuité de la progestérone. Les effets indésirables chez des patientes traitées par la progestérone micronisée en cas de menace d’accouchement prématuré avaient été étudiés en 1997 par Benifla et al. (14) dans une étude randomisée. Il en était de même dans l’étude rétrospective de Bacq et al. (15) , où la survenue de cholestase gravidique était plus fréquente et plus précoce chez les femmes ayant reçu de la progestérone micronisée. Récemment, Rebarber et al. (16) ont montré dans une étude rétrospective que l’incidence de survenue d’un diabète gestationnel était significativement Tableau V. Méthodologie des essais sur l’utilisation de la progestérone pour prévenir le risque de prématurité en cas de grossesse multiple. Auteurs Type d’étude Critères d’inclusion Effectifs traités/contrôles Type de progestérone Doses et voie d’administration Rouse, 2007 (12) Randomisée double aveugle contre placebo 16-20 SA, grossesse gémellaire bichoriale biamniotique 325/330 17 alpha hydroxyprogestérone 250 mg i.m./semaine Caritis, 2009 (13) Randomisée double aveugle contre placebo 16-20 SA, grossesse triple 71/63 17 alpha hydroxyprogestérone 250 mg i.m./semaine 22 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 DOSSIER plus élevée chez des patientes recevant une injection de 17 alpha-hydroxyprogestérone hebdomadaire en prévention de l’accouchement prématuré par rapport à un groupe témoin (12,9 % versus 4,9 %, p < 0,001, OR : 2,9 ; IC95 : 2,1-4,1). Là encore, c’est la comparaison des bénéfices et des risques qui est importante: dès lors qu’un bénéfice semble clairement établi pour la 17 alpha-hydroxyprogestérone, cette prescription peut être envisagée. Stratégies de prévention de l’accouchement prématuré Ces dix dernières années ont remis en avant l’utilisation de la progestérone en prévention de l’accouchement prématuré. Le principal facteur de risque qu’est l’antécédent d’accouchement avant terme semble être une bonne indication, comme le confirme la méta-analyse de Dodd et al. (17) [tableau VI]. Cette prise en charge est actuellement approuvée par l’American College of Obstetricians and Gynecologists (20) et la SOGC (21). L’existence d’un col court à l’échographie pourrait être une autre indication, mais la mise en œuvre de ce dépistage systématique dans une population présumée à bas risque est une option stratégique que peu d’équipes ont choisi, en partie pour des raisons de faisabilité mais également par le caractère récent et non encore parfaitement établi de l’intérêt de la progestérone vaginale dans cette situation. D’autres paramètres pouvant augmenter le risque d’accouchement prématuré ont déjà été étudiés auparavant, notamment la présence d’une vaginose bactérienne (18) ou d’une béance cervicale (19), pouvant être l’étiologie d’un antécédent de fausse couche tardive ou d’accouchement prématuré, et nécessitant une prise en charge spécifique (respectivement traitement antibiotique adapté et cerclage préventif). Conclusion Les études récentes confirment le bénéfice de l’utilisation de la 17 alpha-hydroxyprogestérone, notamment par voie i.m., à la posologie de 250 mg par semaine, dans la prévention des récidives d’accouchement prématuré. L’utilisation de progestérone vaginale après dépistage d’un col court au moment de l’échographie du deuxième trimestre pourrait prévenir un accouchement prématuré. Néanmoins, une seule étude semble en faveur de cette stratégie et la lourdeur de mise en place d’une telle politique mérite sans doute confirmation par d’autres essais d’ampleur suffisante. L’utilisation de progestérone devant la constatation d’un col court à l’échographie en cas d’antécédent de prématurité semble efficace. Néanmoins, la seule notion d’antécédent semble actuellement être une indication suffisante pour cette prescription. La progestérone ne semble pas avoir d’intérêt à titre systématique dans les grossesses multiples en prévention de la prématurité. Les efforts de recherche doivent également être poursuivis afin de mieux définir le profil de tolérance de la progestérone dans ses différentes formes et voies d’administration. ■ Tableau VI. Méta-analyse des issues cliniques néonatales provenant de six essais randomisés qui ont comparé la progestérone par voie intramusculaire à un placebo. Études (n) Participants (n) Risque relatif (IC95) Accouchement prématuré (< 37 SA) 6 878 0,59 (0,49-0,72)* Poids de naissance (< 2,5 kg) 6 872 0,62 (0,49-0,78)* Décès périnatal 6 876 0,60 (0,32-1,12) Mortinatalité 1 459 1,50 (0,31-7,34) Décès néonatal 1 459 0,44 (0,17-1,13) Syndrome de détresse respiratoire 2 536 0,63 (0,38-1,05) Ventilation assistée 1 454 0,59 (0,35-1,00) Hémorragie intraventriculaire 1 458 0,25 (0,08-0,82)* Entérocolite nécrosante 1 457 Non estimable Persistance du canal artériel 2 535 0,55 (0,22-1,36) Septicémie 2 536 0,96 (0,34-2,68) Rétinopathie (prématurité) 1 457 0,50 (0,15-1,70) Issue (%) Efficacité significative de la progestérone par voie intramusculaire sur le nombre d’accouchements avant 37 SA, le poids de naissance et le nombre d’hémorragies intraventriculaires. Abonnez-vous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible page 39 www.edimark.fr La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 23