Progestérone et prévention de la prématurité

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Progestérone et prévention de la prématurité
DOSSIER
La progestérone
Progestérone et prévention
de la prématurité :
quelles indications ?
Progesterone and preterm delivery prevention:
which indications?
A. Berman*, B. Carbonne*
L
* Service de gynécologie obstétrique,
hôpital Saint-Antoine, 184, rue du
Faubourg-Saint-Antoine, 75012
Paris. AP-HP, université Pierre-et
Marie-Curie.
e risque de menace d’accouchement prématuré reste difficile à appréhender. Il se fonde
en grande partie sur la prise en compte de
critères épidémiologiques ayant trait aux antécédents de la patiente, par exemple des antécédents
de fausse couche ou d’accouchement prématuré.
De même, en l’absence d’antécédent, l’environnement psychosocial de la patiente, la constatation
clinique ou échographique de modifications du
col ou encore l’existence d’une grossesse multiple
sont également pris en compte.
Dans les cas où un risque élevé de menace d’accouchement prématuré est mis en évidence, l’utilisation préventive de la progestérone a été envisagée
depuis de nombreuses années. La progestérone
est en effet essentielle à de nombreux processus
reproductifs et elle semble jouer un rôle important
dans la poursuite de la grossesse en maintenant
l’utérus quiescent et peut-être en évitant une
maturation cervicale prématurée.
La progestérone étant apparemment inefficace en
traitement curatif en cas de menace d’accouchement prématuré, plusieurs études randomisées
semblent montrer un bénéfice de son utilisation
préventive en cas d’antécédents de prématurité
ou de fausse couche tardive. D’autres situations
à risque telles que les grossesses multiples et la
constatation d’un col court à l’échographie ont
été évaluées plus récemment. Cette revue a pour
but d’évaluer l’utilisation de la progestérone dans
ces différentes situations à risque d’accouchement
prématuré.
18 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 Justifications physiopathologiques de l’utilisation
de la progestérone
Comme son nom l’indique, la progestérone serait
l’hormone destinée à favoriser (pro-) la grossesse
(-gestare). Cette fonction est indiscutable en début
de grossesse, tant que la sécrétion de progestérone
provient essentiellement du corps jaune.
La progestérone favorise la quiescence utérine durant
la grossesse. Ses mécanismes d’action ne sont pas
entièrement connus. Sur le myomètre gravide, elle
induit une relaxation du muscle lisse, bloque l’action
de l’ocytocine (3) et inhibe la formation des gapjonctions (4). Chez le mouton, la chèvre et d’autres
mammifères, la diminution de la progestéronémie
et l’augmentation de l’estrogénémie précèdent le
début du travail (3). Bien qu’un tel changement dans le
rapport progestérone/estrogène plasmatique ne soit
pas observé chez les primates (3), il a été démontré
que des changements locaux du taux de progestérone
ou du rapport entre progestérone et estrogène dans
le placenta, la caduque, ou les membranes fœtales
pourraient jouer un rôle dans le début du travail chez
la femme (5).
L’hypothèse d’un rôle important joué par la progestérone dans le maintien de la gestation et de son
retrait au moment de l’entrée en travail reste donc
de mise dans l’espèce humaine, même si, à l’évidence,
les mécanismes de la parturition sont beaucoup plus
complexes et multifactoriels chez l’homme que dans
d’autres espèces.
Résumé
Depuis quelques années, l’utilisation de la progestérone dans la prévention de la prématurité est réactualisée. Plusieurs
grands essais randomisés montrent l’efficacité de la progestérone en prévention des récidives en cas d’antécédent
d’accouchement prématuré. Plus récemment, l’intérêt préventif de la progestérone a été évalué dans d’autres situations cliniques, en cas d’autres facteurs de risque d’accouchement prématuré tels qu’un col court à l’échographie et
des grossesses multiples.
Les résultats actuels semblent favorables à l’utilisation préventive de la 17 alpha-hydroxyprogestérone injectable,
commencée précocement au cours de la grossesse chez des femmes ayant des antécédents de prématurité. De même,
l’utilisation de la progestérone par voie vaginale en cas de col court à l’échographie systématique à 22 SA paraît efficace.
L’utilisation systématique de progestérone en cas de grossesse multiple ne semble pas apporter de bénéfice. Quant à
d’éventuels effets néfastes de la progestérone, ils sont encore mal évalués et la prudence reste de mise, surtout dans
des situations où son efficacité n’est pas totalement démontrée.
Cette prescription devrait s’intégrer dans une stratégie préventive plus globale dans laquelle le cerclage cervical et le
traitement préventif d’une vaginose bactérienne ont également leur place.
Mots-clés
Prématurité
Progestérone
Effets secondaires
Keywords
Preterm delivery
Progesterone
Secondary effects
Tableau I. Méthodologie des essais sur l’utilisation préventive du risque de prématurité par la progestérone en cas d’antécédent d’accouchement prématuré.
Type d’étude
Critères d’inclusion
Effectifs traités/
contrôles
Type de progestérone
Doses et
voie d’administration
Da Fonseca,
2003 (6)
Comparative randomisée contre placebo
Au moins un accouchement prématuré
(90 % des cas), et/ou cerclage prophylactique, et/ou malformation utérine
72/70
Progestérone naturelle
100 mg intravaginal
par jour
Meis, 2003 (7)
Comparative randomisée contre placebo
Au moins un accouchement prématuré
(entre 20 SA et 36 SA + 6 j)
310/153
17 alpha-hydroxyprogestérone
250 mg i.m.
par semaine
O’Brien, 2007
(8)
Comparative randomisée contre placebo
Accouchement prématuré lors de
la précédente grossesse
entre 20 SA et 35 SA
309/302
Progestérone naturelle
90 mg gel intravaginal
par jour
Rai, 2009 (9)
Comparative randomisée contre placebo
Antécédents d’accouchement prématuré
74/74
Progestérone
micronisée
100 mg x 2 fois par jour
per os
Auteurs
Utilisation de la progestérone
en fonction des facteurs
de risque d’accouchement
prématuré identifiés
Antécédent d’accouchement prématuré
◆◆ Sélection des études
Plusieurs grands essais randomisés en double aveugle
contre placebo ont relancé l’intérêt pour l’utilisation
préventive de la progestérone : soit la progestérone
naturelle par voie vaginale (6, 8), soit la 17 alphahydroxyprogestérone par voie intramusculaire (i.m.)
[7], soit encore la progestérone micronisée par voie
orale (9).
L’étude de da Fonseca et al. (6) est un essai randomisé contre placebo utilisant la progestérone naturelle sous forme d’ovules vaginaux à 100 mg une fois
par jour en cas de situation à risque d’accouchement
prématuré : antécédent d’accouchement prématuré,
cerclage cervical préventif ou malformation utérine.
La progestérone a été attribuée par randomisation
à 81 femmes, et le placebo à 76 femmes.
L’étude de Meis et al. (7) est également randomisée,
en double aveugle contre placebo, avec analyse des
résultats “en intention de traiter”. Elle utilise la 17
alpha-hydroxyprogestérone sous forme d’une injection i.m. de 250 mg par semaine chez 310 femmes,
ou une solution placebo huileuse inerte chez 153
femmes, toutes ayant un antécédent d’accouchement prématuré spontané entre 20 SA et 36 SA + 6 j.
L’étude de O’Brien et al. (8) est également une étude
randomisée en double aveugle, comportant l’effectif
le plus important : 309 patientes dans le groupe
utilisant la progestérone naturelle (ovule de 90 mg
quotidien) et 302 patientes dans le groupe placebo.
L’étude récente de Rai et al. (9) s’intéresse à la prise
de progestérone micronisée orale dans un essai
randomisé en double aveugle contre placebo chez
150 patientes ayant un antécédent d’accouchement
prématuré.
Les méthodologies de ces quatre essais sont résumées dans le tableau I.
◆◆ Résultats
Les résultats de l’étude de da Fonseca font état, selon
les auteurs, d’une réduction significative des accouchements prématurés chez les femmes traitées par rapport
à celles recevant le placebo (13,8 % contre 28,5 %
respectivement ; p = 0,03 ; tableau II) et, surtout,
une réduction des accouchements avant 34 SA (2,8 %
contre 18,6 % respectivement ; p = 0,002).
Cette étude suscite toutefois plusieurs critiques
méthodologiques qui peuvent faire revoir à la baisse
l’importance des conclusions :
➤➤ Lors de l’analyse, un certain nombre d’exclusions
ont été réalisées (6 dans le groupe placebo et 9
dans le groupe progestérone) : patientes perdues
de vue, accouchements prématurés par décision
médicale, allergie au produit et rupture prématurée
des membranes (RPM) avant terme.
➤➤ Ces exclusions signifient que l’analyse des résultats n’est pas faite “en intention de traiter”. Des
exclusions décidées a posteriori pour des motifs
La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 19
DOSSIER
La progestérone
Tableau II. Résultats des essais récents sur l’utilisation préventive du risque de prématurité par la progestérone.
Âge gestationnel au
début du traitement
Critère de jugement
principal
Résultats
(progestérone/placebo)
p
Remarques
16 SA à 21 SA + 6 j
Accouchement avant 37 SA
36,3 %/54,9 %
OR : 0,66 (IC95 : 0,54-0,81)
< 0,05
Exclusion arbitraire
des ruptures prématurées
des membranes
Meis, 2003 (7)
16 SA à 21 SA + 6 j
Accouchement avant 37 SA
13,8 %/28,5 %
0,03
O’Brien, 2007 (8)
18 SA à 22 SA + 6 j
Accouchement avant 32 SA
10 %/11,3 % OR : 0,9 ; IC95 : 0,52-1,56
0,9
18-24 SA
Accouchement avant 37 SA
39,2 %/59,5 %
0,002
Auteurs
Da Fonseca,
2003 (6)
Rai, 2009 (9)
Références
bibliographiques
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al. Prevention of recurrent preterm
delivery by 17 alpha-hydroxyprogesterone caproate. N Engl J Med
2003;348:2379-85.
8. O’Brien JM, Adair CD, Lewis DF
et al. Progesterone vaginal gel for
the reduction of recurrent preterm
birth: primary results from a randomized, double-blind, placebocontrolled trial. Ultrasound Obstet
Gynecol 2007;30:687-96.
arbitraires et non prédéfinis lors de la conception
de l’étude peuvent en effet influencer les résultats.
➤➤ Surtout, l’exclusion des RPM n’est pas acceptable puisque ces ruptures avant terme aboutissent
presque systématiquement à un accouchement
prématuré. Il y avait 6 RPM dans le groupe progestérone et 4 dans le groupe placebo. Si l’on recalcule le Chi-2 en supprimant ces exclusions (et en
supposant raisonnablement que toutes ont accouché
prématurément), on aboutit à l’absence de différence
significative entre les deux groupes dans les taux
d’accouchements prématurés.
➤➤ Enfin, même en acceptant la possibilité d’une diminution des accouchements prématurés, aucun bénéfice
néonatal n’est mis en évidence dans cette étude.
Dans l’étude de Meis et al., “en intention de traiter”,
le critère principal de jugement (l’accouchement
prématuré avant 37 SA), est survenu dans 36,3 %
des cas du groupe progestérone et 54,9 % des cas
du groupe placebo, soit une réduction de 44 % du
risque d’accouchement prématuré (OR : 0,66 ; IC95 :
0,54-0,81 ; tableau II).
Surtout, il existe une réduction du même ordre du
risque d’accouchement avant 35 SA (OR : 0,67 ; IC95 :
0,48-0,93) et avant 32 SA (OR : 0,58 ; IC95 : 0,370,91), mais pas des fausses couches avant 20 SA.
Cette réduction des accouchements très prématurés s’accompagne d’une amélioration des résultats
néonatals en ce qui concerne les poids de naissance
inférieurs à 2 500 g (OR : 0,66 ; IC95 : 0,51-0,87), le
besoin d’oxygène (OR : 0,62 ; IC95 : 0,42-0,92) et le
risque d’entérocolite ulcéro-nécrosante (0/305 dans
le groupe progestérone contre 4/152 dans le groupe
placebo ; p < 0,05). La réduction de la mortalité
néonatale n’est pas significative (OR : 0,44 ; IC95 :
0,17-1,13), mais la puissance de l’étude n’a pas été
calculée pour cet objectif.
L’élément surprenant de cette étude est la grande
fréquence des accouchements prématurés dans le
groupe témoin (54,9 %), plus élevée que dans la
plupart des études portant sur le risque d’accouchement prématuré (habituellement plus proche de
30 %). Les auteurs rapportent ce très haut risque à la
20 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 précocité des accouchements prématurés survenus
dans les antécédents : 31 SA en moyenne.
L’étude de O’Brien (8) ne retrouve pas de différence
significative dans la survenue d’accouchement avant
32 SA avec la progestérone naturelle par voie vaginale : 10 % dans le groupe traité par progestérone
versus 11,3 % dans le groupe placebo (OR : 0,9 ; IC95 :
0,52-1,56). Elle ne met pas en évidence non plus de
différence significative sur les morbidités néonatales
telles le score d’Apgar à 1 min et à 5 min, le poids
de naissance, l’admission en réanimation néonatale
(17,5 % versus 21,5 %, OR : 0,75 ; IC95 : 0,51-1,11),
le syndrome de détresse respiratoire (11 % versus
11,9 % ; OR : 0,91 ; IC95 : 0,56-1,50), les hémorragies intraventriculaires (1,9 % versus 1,6 %, OR :
1,18 ; IC95 : 0,36-3,90), l’entérocolite nécrosante
(1 % versus 1,7 %, OR : 0,58 ; IC95 : 0,14-2,46) et la
mortalité néonatale (1,9 % versus 2,3 %, OR : 0,87 ;
IC95 : 0,29-2,60). On peut noter que les doses de
progestérone administrées sont assez faibles (90 mg)
et sous forme de gel bioadhésif et non de comprimés
gynécologiques ou d’ovules vaginaux comme dans
l’étude de da Fonseca.
L’étude de Rai (9) retrouve une diminution des
accouchements prématurés dans le groupe traité
(39,2 % versus 59,5 % ; p = 0,002). L’âge gestationnel
à la naissance est de 36,1 SA dans le groupe traité
contre 34 SA dans le groupe placebo (p < 0,001).
Il existe également une amélioration de la morbidité néonatale (augmentation du poids de naissance, diminution du nombre de séjours de plus de
24 heures en réanimation néonatale, amélioration
du score d’Apgar), mais on ne note pas de diminution
significative de la mortalité néonatale. Cette étude
est assez surprenante en ce qui concerne le taux
très élevé de récidives de prématurité (59 % dans
le groupe témoin), encore plus important que dans
l’étude de Meis (6).
◆◆ Synthèse
L’étude de da Fonseca et al. ne semble pas en mesure
d’emporter la conviction en faveur de la progestérone naturelle par voie vaginale. Les effectifs restent
DOSSIER
assez modestes, incompatibles avec l’évaluation d’un
éventuel bénéfice néonatal et, surtout, plusieurs
sources de biais sont identifiables dans l’analyse
des résultats présentés.
L’étude de O’Brien et al. vient appuyer cette conviction en démontrant l’absence d’effet bénéfique de
la progestérone naturelle utilisée par voie vaginale,
malgré des effectifs nettement supérieurs.
L’étude de Meis et al. apporte, à l’inverse, des arguments jusque-là incertains en faveur de l’efficacité de
la 17 alpha-hydroxyprogestérone i.m. commencée
entre 16 et 20 SA en prévention des récidives de
prématurité dans les grossesses uniques.
L’étude récente de Rai semble montrer un bénéfice à
l’utilisation de la voie orale, en prise biquotidienne.
Ces données, obtenues sur de très faibles effectifs
et publiées dans une revue moins exigeante que les
autres études, semblent mériter confirmation avant
une utilisation large de la progestérone orale telle
que nous la connaissions en France avant les années
1990 en cas de menace d’accouchement prématuré,
jusqu’à ce que l’inefficacité de cette thérapeutique
et, surtout, ses effets indésirables hépatiques soient
mis en évidence.
Tableau III. Méthodologie des études sur l’utilisation préventive de la progestérone en cas de
col court à l’échographie.
Auteurs
Type d’étude
Critères
d’inclusion
Effectifs
traités/
contrôles
Da
Fonseca,
2007 (10)
DeFranco,
2007 (11)
Type de
progestérone
Doses et voie
d’administration
Randomisée
double aveugle
contre placebo
20-25 SA
125/125
Progestérone
naturelle
Ovule vaginal
de 200 mg/j
Randomisée
double aveugle
contre placebo
18-22 SA
19/27
Progestérone
naturelle
Gel vaginal à
90 mg/j
Tableau IV. Résultats des essais sur l’utilisation préventive de la progestérone en cas de col
court à l’échographie.
Auteurs
Âge gestationnel au
début du traitement
Critère de jugement principal
Résultats (progestérone/placebo)
Da Fonseca,
2007 (10)
20-25 SA
Accouchement
avant 34 SA
19,2 %/34,4 %
OR 0,56 (0,36-0,86)
0,007
DeFranco,
2007 (11)
18-22 SA
Accouchement
avant 32 SA
0 %/29,6 %
0,014
Col court à l’échographie
reçu soit 90 mg de progestérone naturelle par voie
vaginale, soit un placebo. L’effectif de patientes avec
un col < 28 mm était donc de 19 dans le groupe
traité et de 27 dans le groupe placebo. Les patientes
ayant un cerclage préventif n’ont pas été incluses
dans l’étude. L’objectif principal était la survenue
d’un accouchement avant 32 SA.
◆◆ Sélection des études
Deux études récentes ont permis de s’intéresser au
facteur “col court à l’échographie” et à la prévention par progestérone dans cette situation à risque
d’accouchement prématuré.
➤➤ L’étude de da Fonseca et al. (10) est randomisée,
en double aveugle contre placebo. L’inclusion des
patientes s’effectuait entre 20 SA et 25 SA par une
échographie systématique en population générale.
L’échographie de 413 patientes randomisées retrouvait une longueur cervicale ≤ 15 mm (1,7 % de la
population étudiée). Ainsi, 125 femmes ont reçu
la progestérone sous forme d’ovules vaginales de
200 mg (1/jour), et 125 femmes ont reçu un placebo.
L’étude de DeFranco (11) est une analyse secondaire
d’une étude randomisée en double aveugle contre
placebo, dont l’objectif principal était d’évaluer
l’utilisation de la progestérone vaginale en cas de
col court (≤ 25 mm) en l’absence d’antécédent d’accouchement prématuré. L’effectif étant trop faible
pour ce critère (n = 9), les auteurs ont également
inclus des patientes ayant un antécédent d’accouchement prématuré et ce, en trois sous-groupes
selon la longueur cervicale (col < 28 mm, entre 28
et 30 mm et entre 30 et 32 mm). Les patientes ont
◆◆ Résultats
L’étude de da Fonseca et al. (10) retrouve pour
le critère de jugement principal (accouchement
prématuré spontané avant 34 SA) une différence
significative entre le groupe utilisant la progestérone et le groupe placebo (19,2 % versus 34,4 %,
OR : 0,56 ; IC95 : 0,36-0,86 ; p = 0,007). Il n’existe
pas de différence significative en ce qui concerne la
morbidité et la mortalité néonatales.
L’étude de DeFranco et al. (11) montre une différence significative en faveur du groupe traité en
ce qui concerne les accouchements avant 32 SA
(0 % versus 29,6 %, p = 0,014) lorsque le col est
inférieur à 28 mm. Pour les critères de jugement
secondaires, on retrouve également une diminution
significative du taux d’admission en réanimation
néonatale (15,8 % versus 51,9 %, p = 0,016) et du
temps de séjour en réanimation (1,1 jour versus 16,5
jours, p = 0,013) mais pas du temps de séjour en
néonatalogie ni du taux de syndrome de détresse
respiratoire. Il n’existe pas de diminution significative
du taux d’accouchement avant 37 SA et 35 SA en cas
de col inférieur à 28 mm. La prise de progestérone
en cas de col entre 30 et 32 mm ne diminue pas le
risque d’accouchement prématuré ni la morbidité
p
Références
bibliographiques
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La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 21
DOSSIER
La progestérone
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néonatale. Pour un col ≤ 30 mm, les courbes de
Kaplan-Meyer suggèrent une diminution des accouchements avant 32 SA dans le groupe traité, sans le
prouver statistiquement (p = 0,057).
◆◆ Synthèse
Ces deux études tendent à faire penser que l’utilisation de progestérone en cas de col court pourrait
avoir un bénéfice dans la prévention de l’accouchement prématuré. Cependant, les critères d’inclusion
sont encore mal définis dans la population sans antécédent (quelle longueur cervicale retenir ?). De plus,
seule la progestérone naturelle par voie vaginale a
été utilisée dans ces deux études, alors qu’aucun
effet n’a été retrouvé pour ce mode d’administration
dans une autre population à haut risque définie par
un antécédent de prématurité.
Grossesses multiples
◆◆ Sélection des études
L’étude de Rouse et al. (12), randomisée, en double
aveugle contre placebo, utilise la 17 alpha-hydroxyprogestérone par injection i.m. de 250 mg par
semaine, chez des patientes ayant une grossesse
gémellaire. L’objectif principal est la survenue d’un
accouchement avant 35 SA chez 661 patientes.
L’étude de Caritis et al. (13) est également randomisée, en double aveugle contre placebo, mais les
patientes ont une grossesse triple. Ainsi, 71 patientes
ont reçu une injection de 250 mg de 17 alphahydroxyprogestérone, et 63 patientes un placebo.
Le critère principal de jugement était la survenue
d’un accouchement avant 35 SA.
◆◆ Résultats
Ces deux études ne montrent pas de différence significative sur la diminution du taux d’accouchement
avant 35 SA.
Dans l’étude de Rouse, ce taux est de 41,5 % chez les
patientes traitées, contre 37,3 % chez les patientes recevant un placebo (OR = 1,1 ; IC95 : 0,9-1,3). Les critères
de jugement secondaires que sont la mortalité et la
morbidité néonatales ne sont pas non plus diminués.
L’étude de Caritis retrouve 83 % d’accouchements
avant 35 SA dans le groupe recevant la progestérone contre 84 % dans le groupe placebo (OR : 1 ;
IC95 : 0,9-1,1).
◆◆ Synthèse
Actuellement, il n’existe pas d’argument pour
promouvoir l’utilisation de la progestérone dans la
prévention de l’accouchement prématuré lors de
grossesses multiples sans antécédent de prématurité.
Effets indésirables
de la progestérone
La prescription de tout traitement, en particulier d’un
stéroïde, au cours de la grossesse devrait rappeler
aux obstétriciens les erreurs d’un passé récent, dont
le distilbène est le meilleur exemple. La prescription
de distilbène s’est poursuivie pendant de nombreuses
années alors que son efficacité dans ses principales
indications de l’époque n’était absolument pas documentée. Seule la description des conséquences sur
les enfants exposés in utero a finalement mis fin
(avec beaucoup de retard) à son utilisation.
Malgré cette triste expérience, beaucoup de médicaments sont encore utilisés actuellement chez la
femme enceinte avec la conviction que “ça ne peut pas
faire de mal”, alors que les bénéfices attendus ne sont
pas démontrés et que les risques restent inconnus. La
prescription de tout traitement devrait procéder de la
mise en balance des risques (même théoriques) avec
les bénéfices (démontrés par des études).
À ce jour, aucune donnée issue d’études comparatives randomisées ne remet en question l’innocuité
de la progestérone.
Les effets indésirables chez des patientes traitées par
la progestérone micronisée en cas de menace d’accouchement prématuré avaient été étudiés en 1997
par Benifla et al. (14) dans une étude randomisée. Il
en était de même dans l’étude rétrospective de Bacq
et al. (15) , où la survenue de cholestase gravidique
était plus fréquente et plus précoce chez les femmes
ayant reçu de la progestérone micronisée.
Récemment, Rebarber et al. (16) ont montré dans
une étude rétrospective que l’incidence de survenue
d’un diabète gestationnel était significativement
Tableau V. Méthodologie des essais sur l’utilisation de la progestérone pour prévenir le risque de prématurité en cas de grossesse multiple.
Auteurs
Type d’étude
Critères d’inclusion
Effectifs traités/contrôles
Type de progestérone
Doses et voie d’administration
Rouse, 2007 (12)
Randomisée double
aveugle contre placebo
16-20 SA, grossesse gémellaire bichoriale biamniotique
325/330
17 alpha hydroxyprogestérone
250 mg i.m./semaine
Caritis, 2009 (13)
Randomisée double
aveugle contre placebo
16-20 SA, grossesse triple
71/63
17 alpha hydroxyprogestérone
250 mg i.m./semaine
22 | La Lettre du Gynécologue • n° 350 - mars 2010 DOSSIER
plus élevée chez des patientes recevant une injection
de 17 alpha-hydroxyprogestérone hebdomadaire
en prévention de l’accouchement prématuré par
rapport à un groupe témoin (12,9 % versus 4,9 %,
p < 0,001, OR : 2,9 ; IC95 : 2,1-4,1). Là encore, c’est
la comparaison des bénéfices et des risques qui est
importante: dès lors qu’un bénéfice semble clairement établi pour la 17 alpha-hydroxyprogestérone,
cette prescription peut être envisagée.
Stratégies de prévention
de l’accouchement prématuré
Ces dix dernières années ont remis en avant l’utilisation de la progestérone en prévention de l’accouchement prématuré. Le principal facteur de risque qu’est
l’antécédent d’accouchement avant terme semble
être une bonne indication, comme le confirme
la méta-analyse de Dodd et al. (17) [tableau VI].
Cette prise en charge est actuellement approuvée
par l’American College of Obstetricians and Gynecologists (20) et la SOGC (21).
L’existence d’un col court à l’échographie pourrait
être une autre indication, mais la mise en œuvre
de ce dépistage systématique dans une population
présumée à bas risque est une option stratégique que
peu d’équipes ont choisi, en partie pour des raisons
de faisabilité mais également par le caractère récent
et non encore parfaitement établi de l’intérêt de la
progestérone vaginale dans cette situation.
D’autres paramètres pouvant augmenter le risque
d’accouchement prématuré ont déjà été étudiés auparavant, notamment la présence d’une vaginose bactérienne (18) ou d’une béance cervicale (19), pouvant être
l’étiologie d’un antécédent de fausse couche tardive
ou d’accouchement prématuré, et nécessitant une
prise en charge spécifique (respectivement traitement
antibiotique adapté et cerclage préventif).
Conclusion
Les études récentes confirment le bénéfice de
l’utilisation de la 17 alpha-hydroxyprogestérone,
notamment par voie i.m., à la posologie de 250 mg
par semaine, dans la prévention des récidives d’accouchement prématuré.
L’utilisation de progestérone vaginale après dépistage d’un col court au moment de l’échographie
du deuxième trimestre pourrait prévenir un accouchement prématuré. Néanmoins, une seule étude
semble en faveur de cette stratégie et la lourdeur
de mise en place d’une telle politique mérite sans
doute confirmation par d’autres essais d’ampleur
suffisante.
L’utilisation de progestérone devant la constatation
d’un col court à l’échographie en cas d’antécédent
de prématurité semble efficace. Néanmoins, la seule
notion d’antécédent semble actuellement être une
indication suffisante pour cette prescription.
La progestérone ne semble pas avoir d’intérêt à
titre systématique dans les grossesses multiples
en prévention de la prématurité.
Les efforts de recherche doivent également être
poursuivis afin de mieux définir le profil de tolérance
de la progestérone dans ses différentes formes et
voies d’administration.
■
Tableau VI. Méta-analyse des issues cliniques néonatales provenant de six essais randomisés
qui ont comparé la progestérone par voie intramusculaire à un placebo.
Études
(n)
Participants
(n)
Risque relatif
(IC95)
Accouchement prématuré (< 37 SA)
6
878
0,59 (0,49-0,72)*
Poids de naissance (< 2,5 kg)
6
872
0,62 (0,49-0,78)*
Décès périnatal
6
876
0,60 (0,32-1,12)
Mortinatalité
1
459
1,50 (0,31-7,34)
Décès néonatal
1
459
0,44 (0,17-1,13)
Syndrome de détresse respiratoire
2
536
0,63 (0,38-1,05)
Ventilation assistée
1
454
0,59 (0,35-1,00)
Hémorragie intraventriculaire
1
458
0,25 (0,08-0,82)*
Entérocolite nécrosante
1
457
Non estimable
Persistance du canal artériel
2
535
0,55 (0,22-1,36)
Septicémie
2
536
0,96 (0,34-2,68)
Rétinopathie (prématurité)
1
457
0,50 (0,15-1,70)
Issue (%)
Efficacité significative de la progestérone par voie intramusculaire sur le nombre d’accouchements
avant 37 SA, le poids de naissance et le nombre d’hémorragies intraventriculaires.
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La Lettre du Gynécologue • n° 350 mars 2010 | 23