Naissance d`un historien
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Naissance d`un historien
1 Le miracle grec Ce premier chapitre est consacré à l’histoire écrite par les Grecs depuis l’œuvre d’Hérodote et de Thucydide jusqu’à celle de Polybe. Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu’après la mort de celui-ci (126 av. J.-C.), les Grecs n’écriront plus d’histoire, mais qu’au cours de cette première période, la production historique prendra son essor dans un contexte culturel bien spécifique, celui de l’hellénisme. Pour peu que l’on puisse s’en rendre compte d’une manière détaillée, car beaucoup d’ouvrages ont disparu ou n’ont subsisté que par lambeaux, il serait par ailleurs illusoire de penser que les contributions admirables des trois grands auteurs qui dominent cette période d’environ trois siècles donnent une idée exacte de la nature de cette production historique. Très rapidement, en effet, le genre a essaimé, s’est diversifié et, il faut bien le dire, a dégénéré sous l’effet de préoccupations surtout d’ordre politique ou commercial, au grand scandale d’un Polybe qui s’efforcera, sans grand succès, de mettre un frein aux dérives de l’histoire. Hérodote et la naissance de l’histoire Dans l’histoire de l’historiographie, la place d’Hérodote (v. 485-v. 430 av. J.-C.) est au sens propre fondamentale. C’est le premier des historiens. Même si son œuvre ne tarda pas à être controversée (Thucydide, Ctésias, Aristote, etc.), les Anciens en eurent rapidement conscience et Cicéron n’hésita pas, dans son De Oratore, à l’introniser comme « père de l’Histoire » car si l’Histoire n’est pas née d’un néant, avant lui il n’existait rien de comparable à ce récit d’événements passés restitué à partir d’enquêtes sur le terrain et de témoignages oraux et écrits. Par ce coup d’essai, qui fut aussi un coup de maître voué à une longue et fructueuse postérité, il convient d’ajouter par ailleurs qu’Hérodote donnait également à la prose grecque ses lettres de noblesse. Naissance d’un historien On sait très peu de choses de sa vie. Il serait né à Halicarnasse, un des ports de la côte sud-ouest de l’Asie mineure fondé par des Grecs mais passé sous le contrôle des Lydiens puis des Perses comme les autres villes de la région. Il semble qu’il ait accompli de longs voyages qui le menèrent du sud de l’Égypte aux rives de la Crimée en passant par la Mésopotamie, l’Asie mineure et le bassin oriental de la Méditerranée. Il accumula tout au long de son périple une documentation impressionnante sur les populations locales 8 © Hachette Livre – Histoire et historiens – La photocopie non autorisée est un délit. D ocuments La méthode d’Hérodote : à la recherche d’Héraclès Ce texte, extrait du Livre II de L’Enquête, celui consacré à l’Égypte, nous en dit plus qu’un long discours sur la méthode avec laquelle l’auteur mène ses recherches. Il s’intéresse ici à la religion et, par le biais des sacrifices offerts aux dieux, il en vient à évoquer la figure d’Héraclès. Cela lui fournit une occasion d’insister sur l’antériorité de la civilisation des Égyptiens sur celle des Grecs. On n’aura garde de négliger la notation chronologique et on comparera avec Eusèbe de Césarée et l’historiographie chrétienne (pp. 74-75). Cet Héraclès est, d’après ce qu’on m’a dit, l’un des douze dieux. Pour l’autre Héraclès, celui des Grecs, nulle part en Égypte je n’ai pu en entendre parler. Je puis du moins affirmer que les Égyptiens ne l’ont pas reçu des Grecs : ce sont plutôt les Grecs qui ont pris ce nom à l’Égypte, et plus précisément ceux des Grecs qui ont ainsi nommé le fils d’Amphitryon. J’en vois bien des preuves, entre autres celle-ci : les parents de cet Héraclès, Amphitryon et Alcmène, descendaient tous les deux d’Égyptos ; de plus, les Égyptiens ne connaissent, disent-ils, ni Poséidon ni les Dioscures, et ces divinités ne figurent pas au nombre de leurs dieux ; or s’ils avaient pris à la Grèce quelque divinité, ils auraient probablement gardé, plus que de tout autre, le souvenir de ces dieux-là, si dès cette époque ils s’aventuraient en mer et s’il y avait des marins chez les Grecs, comme je le suppose, – et la chose est sûre. Ces divinités leur seraient donc bien mieux connues qu’Héraclès. En fait Héraclès est pour les Égyptiens une divinité très ancienne : d’après eux c’est dix-sept mille ans avant le règne d’Amasis que les huit dieux primitifs ont donné naissance aux douze dieux, au nombre desquels ils placent Héraclès. J’ai voulu demander à des personnes compétentes quelques précisions sur ce sujet et me suis rendu à Tyr en Phénicie, parce qu’il s’y trouvait, me disait-on, un sanctuaire d’Héraclès particulièrement vénéré. J’ai vu les offrandes riches et nombreuses qui ornent ce temple et, en particulier, deux stèles, l’une d’or fin, l’autre d’émeraude qui brille la nuit d’un vif éclat. J’ai pu m’entretenir avec les prêtres du dieu et leur ai demandé depuis combien de temps leur temple existait ; j’ai constaté alors qu’ils n’étaient pas non plus d’accord avec les Grecs : leur temple, me dirent-ils, remontait à la fondation de la ville, et leur ville était habitée depuis deux mille trois cents ans. J’ai vu là encore un autre temple d’Héraclès, invoqué sous le nom d’Héraclès Thasien. Je me suis alors rendu à Thasos où j’ai trouvé un temple d’Héraclès, élevé par des Phéniciens qui, partis sur mer à la recherche d’Europe, ont établi dans l’île une colonie, – et cela cinq générations d’hommes avant la naissance en Grèce de l’Héraclès qui est fils d’Amphitryon. Donc, mon enquête prouve clairement qu’Héraclès est un dieu fort ancien et, à mon avis, les Grecs les plus sages sont ceux qui ont deux sanctuaires différents dédiés à deux Héraclès et sacrifient à l’un comme à un immortel sous le nom d’Olympien, mais accordent à l’autre le culte dû à un héros. Hérodote, L’Enquête, II, 43-44, (trad. A. Barguet), « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 1964, pp. 159-160. 26 © Hachette Livre – Histoire et historiens – La photocopie non autorisée est un délit. Bibliographie sommaire Historiographie et épistémologie : généralités Bercé Y.-M. et Contamine Ph. (dir.), Histoires de France, Historiens de la France Actes du colloque international de Reims (14-15 mai 1993), Champion, Paris, 1994. Bizière J.M. (dir.), Dictionnaire des biographies, 6 vol., A. Colin, « Cursus », Paris, 1992-95. Bourde G., Martin H., Les Écoles historiques, Seuil, « Points », Paris, 1994. Boutier J. et Julia D. (dir.), Passés recomposés champs et chantiers de l’Histoire, Autrement, Paris, 1995. Breisach E., Historiography, Ancient, Medieval and Modem, University of Chicago Press, 1983. Burguiere A. (sous la dir. de), Dictionnaire des Sciences historiques, PUF, Paris, 1986. Carbonell C.-O., L’Historiographie, PUF, QSJ, 1986 (1966). « L’apport de l’histoire de l’historiographie », in : Certitudes et incertitudes de l’histoire, PUF, Paris, 1987, pp. 205-209 [brève bibliographie commentée]. Carbonell C.-O., Walch J., Les Sciences historiques, Larousse, Paris, 1995. Collectif, L’Histoire en France, La Découverte, « Repères », Paris, 1990. 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Syme R., Tacitus, Oxford, 1958. 278 © Hachette Livre – Histoire et historiens – La photocopie non autorisée est un délit. Table des matières Introduction. .................................................................................................... 3 L’histoire avant l’Histoire. ........................................................................ 5 La tradition grecque, 5 ; La tradition juive, 6 1. Le miracle grec............................................................................................. Hérodote et la naissance de l’histoire................................................................... Naissance d’un historien, 8 ; De l’enquête à l’histoire, 9 ; L’humanisme d’Hérodote, 11 Thucydide et l’affirmation du genre historique..................................................... L’œuvre d’une vie, 14 ; Le discours de la méthode, 14 ; Moins raconter que comprendre et faire comprendre, 16 ; Xénophon et la prolifération du genre historique, 18 Polybe................................................................................................................. L’historien des « cinquante-trois glorieuses » de la puissance romaine, 21 ; Une histoire immédiate, universelle, pragmatique et démonstrative, 22 ; Toutes les civilisations sont mortelles, 24 2. L’histoire au temps des Romains. ......................................................... Les historiens de la République............................................................................ Une histoire de sénateurs, 30 ; César ou les débuts de l’histoire médiatique, 32 ; Salluste et la fin de la République, 35 ; Tite-Live, 36 L’empire de la peur............................................................................................. Le temps des Césars, 39 ; Tacite ou le retour du refoulé, 41 ; La traversée du désert, 44 3. La tradition judéo-chrétienne.............................................................. La tradition juive............................................................................................................ Quelques points de repère, 50 ; Genèse de l’Ancien Testament, 53 ; Premières impressions, 55 ; Eschatologie et Histoire, 58 La tradition chrétienne................................................................................................... Points de repère, 61 ; Les Évangiles, 62 ; Les Épîtres, 66 Flavius Josèphe (37-ap. 95) et le retour à l’histoire.................................................... L’histoire investie par le christianisme ........................................................................ Les fondateurs, 74 4. L’histoire au Moyen âge. ........................................................................ L’histoire comme facteur d’intégration et d’identification, 83 À l’ombre des cloîtres et des cathédrales.............................................................. Les débuts de l’érudition bénédictine et la renaissance carolingienne, 89 ; L’histoire des clercs, 91 Le retour du politique.......................................................................................... La saga des croisades, 94 ; « Le Ministère de la Vérité » des rois de France : l’abbaye de Saint-Denis, 96 ; Froissart et l’âge d’or des chroniqueurs, 97 ; Commynes ou l’« Automne du Moyen Âge », 100 ; Machiavel ou l’éloge de la « Virtu », 104 286 © Hachette Livre – Histoire et historiens – La photocopie non autorisée est un délit. 8 8 13 20 29 30 39 50 50 60 69 73 83 88 94 Table des matières 5. L’histoire et la crise de la conscience européenne à l’époque moderne......................................................................................... La révolution historique du xvie siècle................................................................... Vieille histoire et historiens nouveaux, 116 ; Bodin et son discours de la méthode historique, 118 ; Étienne Pasquier, 121 ; Le « beau seizième siècle » de l’historiographie française, 124 Le xviie siecle entre traditions et innovations......................................................... Le retour à la primauté de la forme, 130 ; Jacques-Bénigne Bossuet, 132 ; De la poursuite de la tradition érudite à l’affirmation de l’esprit critique, 136 ; La « Scienza nuova », l’impossible mais féconde tentative de synthèse de Giambattista Vico (1668-1744), 143 Conquêtes et dérives au siècle des Lumières......................................................... La tradition historique remise en cause par les progrès de la connaissance et de la raison, 148 ; Voltaire, 152 ; L’histoire dans l’arène politique, 155 ; L’Histoire universitaire commence à Göttingen, 158 6. Une histoire littéraire et politique.................................................. De la relativité des classements, 166 L’historiographie romantique : une histoire descriptive très orientée vers le Moyen Âge............................................................................................... Un précurseur : Chateaubriand, 167 ; Le Moyen Âge : nouvel imaginaire, 168 ; Augustin Thierry, l’« Homère » français de l’histoire romantique, 169 Le courant libéral : des historiens du politique..................................................... Des historiens partisans de la Révolution bourgeoise, 170 ; Guizot et Thiers : hommes politiques et historiens, 171 ; Des historiens partisans de la monarchie constitutionnelle, 173 Le courant démocratique : une histoire républicaine............................................ Lamartine, ou l’histoire au service de l’engagement politique, 175 ; Edgar Quinet : un républicain idéaliste, 176 ; Louis Blanc : un historien jacobin, 177 Deux historiens inclassables : Michelet et Tocqueville.......................................... Jules Michelet, ou « l’historien du siècle », 179 ; Tocqueville, un aristocrate historien de la démocratie, 185 7. De l’histoire « scientiste » à l’histoire « méthodique »............ La tentation scientiste.......................................................................................... Ernest Renan, ou l’intuition au service de la « science historique », 193 ; Taine, un philosophe-historien obsédé par la science, 193 L’histoire méthodique : une histoire analytique.................................................... La méthode : une critique rigoureuse du document écrit, 195 ; Pour une relecture de l’historiographie méthodique, 196 ; Des historiens peu connus, 198 ; « Science » allemande contre « érudition » française, 199 ; Les progrès de l’« érudition » française au xixe siècle, 199 Deux historiens en marge de l’histoire méthodique : Fustel de Coulanges et Lavisse.......................................................................... Fustel de Coulanges, historien pseudo-positiviste, 201 ; Ernest Lavisse, figure emblématique de l’histoire officielle, 204 La philosophie de l’histoire délaissée par les historiens de métier......................... L’émergence d’une philosophie critique de l’histoire, 207 ; Hegel ou l’identité entre l’histoire et la raison, 208 ; Auguste Comte et le rationalisme total 115 116 130 147 166 167 170 175 179 192 192 195 201 207 © Hachette Livre – Histoire et historiens – La photocopie non autorisée est un délit. 287 Histoire et historiens dans les sciences sociales, 210 ; Marx et le matérialisme historique, 210 ; Wilhelm Dilthey, l’historicisme ou la méthode « compréhensive » en histoire, 212 ; Émergence des philosophies du vécu dans le champ de l’histoire, 213 8. Des Annales à la Nouvelle Histoire................................................... Naissance des Annales........................................................................................ Une revue d’avant-garde, 218 ; La légitimation et l’impact international après 1945, 220 Les pères fondateurs de l’école des Annales......................................................... Lucien Febvre et l’« histoire-problème », 222 ; Marc Bloch, historien des mentalités, 223 ; Fernand Braudel, « patron » des Annales, 226 L’histoire marxiste : un courant rival et complémentaire des Annales......................................................................................................... Une lecture socialiste de la Révolution française, 229 ; À la recherche d’une épistémologie marxiste, 230 La nouvelle histoire, héritière des Annales........................................................... Des principes aux pratiques, 232 ; Les « territoires » délaissés par la Nouvelle Histoire, 234 Les chefs de file de la Nouvelle Histoire............................................................... G. Duby et J. Le Goff, deux médiévistes en mutation : de l’économique à l’imaginaire, 238 ; Quatre « modernistes », historiens de la longue durée, du culturel et du religieux, 240 ; Reconnaissance tardive des historiens du contemporain, 244 Aux marges de la Nouvelle Histoire..................................................................... Les sciences sociales délaissées par la Nouvelle Histoire, 245 ; Roland Mousnier : un historien en marge de l’histoire des Annales, 246 ; Michel Foucault, historien des « fractures », 246 ; Les paradoxes et les défis de la Nouvelle Histoire, 247 9. Un nouvel éclectisme historiographique......................................... Une histoire éclatée ?.......................................................................................... L’épuisement du modèle scientiste, 252 ; Des « territoires » revisités, 253 ; Le nouvel éclectisme des méthodes, 256 Vers une histoire de l’individu.............................................................................. Le modèle de la micro-histoire, 259 ; La vie privée, la famille, la sexualité, 260 ; L’histoire des femmes ou le refus de l’« éternel féminin », 262 ; La biographie historique revisitée, 263 Vers une nouvelle historiographie........................................................................ Les enjeux de la mémoire, 265 ; L’histoire immédiate en quête de légitimité, 267 ; L’ego-histoire, ou la mémoire des historiens, 269 ; Vers une réhabilitation de l’historiographie ?, 270 Conclusion.......................................................................................................... 218 218 222 229 231 237 245 252 252 259 265 273 Crise de l’histoire ou tournant critique ?, 273 Bibliographie sommaire................................................................................. Index...................................................................................................................... Table des documents...................................................................................... Table des matières............................................................................... 278 283 285 286