Droits des personnes agees

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Droits des personnes agees
Droits des personnes agées
Le retard de la France
L'augmentation du nombre de personnes âgées en France amène à s'interroger sur la
manière dont elles sont traitées. Le droit des aînés est encore insuffisamment développé, par
contraste avec d'autres pays. Pourtant, le vieillissement pourrait offrir une chance de penser
le vivre-ensemble avec des concepts nouveaux.
Plan de l'article
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Partir des besoins fondamentaux
Qui est la personne âgée pour le droit ?
Vers un futur droit des âgés ?
« La loi est faite pour les hommes et non les hommes pour la loi. »
Jean-Étienne-Marie Portalis
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La France est engagée dans un processus de transition démographique marquée tant
par une augmentation de la longévité des Français que par une croissance soutenue et
durable du nombre de personnes les plus âgées dans nos familles, nos immeubles, nos
quartiers et nos villes, sans oublier les campagnes. Cela se voit et se verra de plus en
plus.
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Le nombre des personnes de 60 ans et plus, estimé actuellement à 15 millions,
s'élèverait à près de 19 millions en 2025 et à 24 millions en 2060. Parmi elles, le
nombre des personnes de plus de 85 ans devrait atteindre près de cinq millions à
l'horizon de 2050. Sous un autre angle, il y avait, en 2008, plus de quatre millions de
personnes aidant régulièrement à domicile au moins une personne proche d'au moins
60 ans. Enfin, en se limitant à la population des bénéficiaires d'une allocation d'aide à
domicile (Allocation personnalisée d'autonomie [APA]), le nombre de personnes
aidées, à la fin 2011, tournait autour de 600 000 pour un nombre total d'aidants
d'environ 800 000, dont 62 % sont des femmes1.
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Au cœur de cette transition démographique se trouvent des êtres humains, chacun
étant unique dans son histoire personnelle, ses aspirations à vivre, ses peurs et ses
questions face à l'horizon de sa mort inéluctable. Sous cet angle, le vieillissement offre
une chance de réfléchir le vivre-ensemble avec des concepts nouveaux. Un droit
construit et interprété qui respecte l'être humain dans son être le plus profond – à la
fois biologique,
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Un droit construit et interprété qui respecte l'être humain dans son être le plus
profond – à la fois biologique, mental, social et spirituel – peut y contribuer, en
parallèle avec toutes les démarches aimantes qui trouvent dans la caritas la seule vraie
loi. Trop de misères humaines dans le grand âge, qui soulèvent le cœur et insultent nos
intelligences, sont présentes à nos yeux sans que de véritables remèdes n'y soient
apportés ou si lentement et si partiellement.
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Le vieillissement offre une chance de réfléchir le vivre-ensemble avec des concepts
nouveaux
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Observateur de ce fait individuel et collectif, le juriste n'est, bien sûr, pas le seul à
porter un regard sur le vieillissement. D'autres domaines sont concernés : la gériatrie,
les soins infirmiers, la sociologie, la démographie, mais aussi la criminologie,
l'économie et les sciences, sans oublier la spiritualité, que l'on soit proche ou non de
ses dimensions religieuses. Le regard du juriste est pourtant précieux car il existe un
droit spécifique qui évite l'arbitraire et permet que toute personne âgée soit davantage
un homme ou une femme debout dans la vie.
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Même si la question n'est pas neuve en France2, il se trouve qu'elle arrive à propos
alors qu'a été adoptée au Parlement une loi relative à l'adaptation de la société au
vieillissement, entrée en vigueur le 1er janvier 2016.
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Partir des besoins fondamentaux
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Cinq rubriques couvrent les besoins primaires présentés, par exemple, par la
Constitution, et les textes internationaux à l'appui, comme étant des droits
humains fondamentaux. S'égraineront ainsi : le logement, les ressources, la sûreté et la
sécurité de soi-même (le droit pénal), les orientations importantes de son existence (les
droits personnels), le rapport à sa propre santé (le droit médical). Les deux premiers
sont nécessaires, les deux suivants sont protecteurs, mais le dernier est essentiel pour
conserver le droit premier de son titulaire qui est le droit à la vie, au même titre que le
sont, pour nous, la liberté de conscience et celle de religion.
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Le premier droit nécessaire d'une personne âgée est son logement. Son âge lui permet
souvent de bénéficier d'y rester, de lui éviter une expulsion, de lui permettre un délai
de préavis réduit en cas de déménagement de sa propre initiative. Son lieu de vie, dont
elle bénéfice sans partage ni réserve, est déterminé. Ainsi, il est interdit de ne pas
reconduire un bail pour une personne de plus de 70 ans et son expulsion pour nonpaiement des loyers est fortement encadrée, au point qu'elle est rarement acquise au
propriétaire3. Ce droit soulève aussi la question du contrat d'hébergement en maison de
repos ou Ehpad4 qui est loin d'assurer toujours à la personne âgée la stabilité d'un
contrat de bail de résidence principale. Par ailleurs, la commercialisation privée
galopante dans ce secteur ajoute une pression sur les personnes invitées à changer de
lieu de vie quand les services offerts ne sont pas en mesure de faire face à une
dépendance plus importante. Au pire, il est parfois mis fin au contrat d'hébergement
dans des conditions très difficiles à vivre, avec une facilité scandaleuse5.
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Le deuxième droit nécessaire est celui des ressources permettant de mener une vie
décente et digne. Il se décline ici dans le droit à la retraite avec les statuts particuliers
de certains travailleurs qui partent soit en fonction du nombre d'années faites (vingtcinq ans pour un militaire), soit de l'âge atteint (50 ans ou 55 ans pour un cheminot),
sans oublier la règle générale des 62 ans pour les salariés qui sont nés depuis 1955. Si
la personne âgée n'a pas de ressources suffisantes et qu'elle se trouve sans descendants,
ou que ses descendants ne peuvent lui verser une pension au titre de l'obligation
alimentaire, elle bénéficie de droits sociaux qui sont actuellement : la prestation d'aide
au maintien à domicile, qui peut être versée sous forme de services ménagers ou d'une
aide financière ; l'APA versée dès 60 ans pour des personnes subissant des pertes
d'autonomie, qu'elles se trouvent à leur domicile ou en établissement ; l'allocation de
solidarité aux personnes âgées pour celles qui ont de très faibles ressources.
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Le troisième droit tient à la position de la personne âgée à l'égard de tiers qui lui
seraient nocifs. Ici interviennent principalement le droit pénal et le droit de la
consommation pour mieux la protéger. En droit pénal, c'est l'âge, considéré comme un
élément de la vulnérabilité qui apparaît dans le cadre de la répression de l'abus de
faiblesse sur personne vulnérable (article 223, 15-2 du Code pénal) depuis 19946, dès
lors que la personne est atteinte d'une diminution de ses facultés psychiques. Mais, à
lui seul, l'âge n'est pas un critère suffisant de vulnérabilité. Ainsi, l'âge peut aussi être
un élément permettant d'apprécier la gravité des faits pour une application de la double
peine : ainsi les vols commis sur une personne de 88 ans par un étranger permettent de
considérer que la présence de son auteur constitue une menace grave sur le territoire
français justifiant son expulsion. Enfin, les agressions sexuelles contre des personnes
âgées sont une raison suffisante pour justifier la détention préventive de l'auteur
présumé de ces infractions, qui « apparaît comme dangereux pour la sécurité des
personnes âgées et vulnérables ». Remarquons que si l'âge est considéré comme un
facteur aggravant de nature à punir plus sévèrement l'auteur de l'infraction,
abandonner son parent âgé et le laisser se suicider n'est
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pas puni en France, pays européen où les personnes âgées se suicident le plus. Or, il
existe un texte obligeant toute personne à dénoncer les mauvais traitements sur une
personne vulnérable7. Si c'est un professionnel qui en a connaissance dans l'exercice de
sa profession, il reste la problématique de son engagement au secret. En l'état actuel du
droit, il revient au professionnel de répondre à l'opposition entre ces deux dispositions
en faisant appel à sa conscience. La morale vient ici au secours du droit, ou parfois à
l'encontre de l'intérêt de la personne âgée. En effet, un professionnel a l'obligation de
faire un signalement au Parquet sur ce point, dès lors que l'acte a été accompli sur un
mineur ou sur une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son
âge8. Son secret ne tient plus. Pour l'avocat qui a un secret absolu et illimité, il saisira
son bâtonnier qui, prenant ses responsabilités, préviendra ou non le magistrat.
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Le quatrième droit est celui de la sphère personnelle du vieillard. Ce sont tous les
actes personnels que nul ne peut exercer à sa place. À titre d'exemple : le mariage, le
divorce, la reconnaissance d'un enfant. D'autres ont des conséquences patrimoniales et
sont classés dans les actes dits mixtes, par exemple les donations, le testament, la
clause de désignation du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie. Tous ces actes
demandent un sentiment exigé par le droit : l'animus donandi à un niveau plus ou
moins fort de son auteur. Dans ces affaires, les contentieux explosent et on voit des
enfants s'opposer au mariage de leur père de 95 ans avec une ravissante femme plus
jeune qu'eux, ce qui aurait pour conséquence prévisible de les priver d'un héritage
attendu.
Enfin, le cinquième droit touche à l'intimité corporelle et vitale, à la vie même de son
détenteur. D'une certaine manière, ce sont les décisions intimes et personnelles à prendre
quand bien des choses, en pratique, échapperont à certains. Ainsi des décisions relatives au
lieu et au style de vie, au type de subsistance, à la santé, aux activités, aux pensées, au repos,
au devenir, celui de soi-même et de biens qui ne se perdront de toute façon pas. Ce sont aussi
le droit de consentir à un acte médical ou chirurgical, les actes médicaux à visée scientifique
tels que le don de moelle épinière ou d'organes, le choix de la personne de confiance du Code
de la santé publique, les directives anticipées.
Qui est la personne âgée pour le droit ?
Les besoins fondamentaux ne disent pas comment le droit se penche sur le grand âge. Parler
des aînés, des seniors, des personnes âgées, des vieillards, circonlocutions interchangeables
passant comme les modes, ne dit pas encore de qui on parle, qui on vise dans ce vaste
domaine du droit9.
Contre toute idée, la vieillesse est entrée depuis longtemps dans le vocabulaire juridique. Liée
au culte décadaire chargé de déchristianiser la France, la fête de la Vieillesse est pensée dès
l'an II (1793-1794) pour exister en l'an VI (1799) et disparaître avec ce culte en l'an VII10.
Ensuite, au long du XIXe siècle, c'est la protection de la veuve, de l'orphelin et du vieillard qui
occuperont le législateur. Aujourd'hui, la vieillesse est considérée comme « un état d'une
personne qui, ayant dépassé un certain âge, est présumée ne plus pouvoir travailler et peut
bénéficier à ce titre d'un régime de pension de retraite et d'une aide éventuelle, à défaut d'un
minimum de ressources »11.
Si le droit définit la vieillesse, il utilise d'abord largement le fait qui est le plus souvent
qualifié par le langage courant ou d'autres domaines du savoir. Ainsi, la difficulté liée à la
définition de la personne âgée, qui dépend largement du contexte (social, médical,
philosophique, etc.) dans lequel on voit l'âge comme un continuum ou en séquences closes, se
présente aussi dans le droit.
Outre des textes qui définissent qui est la personne âgée dans le contexte précis d'une loi ou
d'un décret, la technique juridique va utiliser le seuil de l'âge ou la description d'un état de
fragilité, de vulnérabilité. Ceci pour lui permettre l'accès à des dispositions juridiques qui la
concernent, en sa faveur ou non… Pensons à l'attribution de l'APA basée sur l'évaluation de la
grille Aggir12 fixant des niveaux d'autonomie ou de dépendance allant de I à VI, ou encore à
l'âge de la mise à la retraite, tant débattu.
Sous un autre angle, le droit comme science a ses logiques et son architecture propres et
s'efforce d'ordonner la matière, les idées, les êtres et les relations entre eux en deux catégories
distinctes : les sujets de droit qui sont les personnes (physiques ou morales) et les objets de
droit qui sont les choses, en fait, de manière résiduaire, tout ce qui n'est pas sujet de droit.
Cette summa divisio se double d'une autre concernant les personnes physiques : la minorité ou
la majorité avec la fixation d'un âge numérique marquant le passage d'un statut à l'autre. À
côté du mineur se trouvant sous l'autorité d'un majeur et à la responsabilité des actes limitée
ou suppléée, le majeur, parce qu'il est un être capable, sauf insanité d'esprit avérée reconnue
par les tribunaux, s'engage et contracte librement jusqu'à la fin de ses jours. Il est responsable
civilement et pénalement des conséquences dommageables de ses comportements.
Le droit du vieillard est aussi un droit spécial qui irradie les autres droits
Historiquement, cette distinction remontant au droit romain se trouve régulièrement modulée
par l'apparition de règles déclassant le sujet ou partie du sujet en objet ou, inversement,
classant des objets (animés ou non) au rang de sujet de droit. Ainsi en est-il des droits des
animaux qui, paradoxe de nos sociétés occidentales, paraissent, dans certains cas, plus
développés et soutenus que ceux des personnes âgées.
Néanmoins, l'être humain reste bien le sujet de droit par excellence. Ainsi cette personne
juridique qu'est l'être humain pour le droit existe dès qu'il est né viable13 et jusqu'à sa mort, et
même au-delà puisque son corps et sa sépulture font ensuite l'objet de règles de droit imposant
le respect qui n'aura pas nécessairement existé du vivant de la personne…
Vu différemment, le droit du vieillard ou du vieillissement est aussi un droit spécial qui irradie
les autres droits de tous les sujets et qu'il faut donc examiner au cas par cas en fonction de la
problématique à traiter.
Sa vision est autant celle de la sécurité des contrats14 que de la prise en compte d'un des
acteurs au regard de son état psychique qui peut altérer ses facultés de jugement, donc
l'expression de sa liberté. Le concept de liberté inscrit dans la devise de la République
française est donc l'origine à partir de laquelle le droit français accorde des droits
au vieillard qu'il définit, quand il le fait, uniquement à partir de son âge.
Le critère de l'âge déjà repéré, paradoxalement, n'existe pas dans la protection du majeur,
c'est-à-dire la mise sous sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle et l'habilitation judiciaire.
En effet, la condition nécessaire est un certificat médical circonstancié qui retient
l'impossibilité pour une personne de pourvoir seule à ses intérêts, en raison d'une altération
constatée soit de ses facultés mentales soit de ses facultés corporelles, de nature à empêcher
l'expression de sa volonté. L'incapacité judiciairement décidée d'un majeur peut donc
atteindre toute personne, quel que soit son âge, même si les personnes âgées représentent le
plus fort contingent de personnes mises sous protection, en raison surtout d'une maladie de la
sénescence (la maladie d'Alzheimer, par exemple).
À partir de cette large présentation, notons que le droit traite du vieillissement et
des personnes âgées dans tout l'espace d'un ordre juridique tel que celui de l'État français et,
en pratique, des personnes âgées vivant sur son territoire, quelle que soit leur nationalité. Se
posera ainsi la question du regroupement familial des aînés pour les personnes ayant obtenu le
statut de réfugié15, ainsi que la manière de traiter les touristes étrangers qui sont bien souvent
des seniors.
Ajoutons que le droit le fait à un double titre : le domaine des grandes décisions d'ensemble,
où il vient réguler la vie collective (finances publiques et sécurité d'existence, fiscalité ou
transmission entre vifs ou pour cause de mort, ou encore dans la réglementation économique,
dite grise, ou la politique soutenant la famille, par exemple) et des aspects plus individuels, où
il vient soutenir, comme un « bâton de vieillesse », protéger ou prévenir en ajoutant, le plus
souvent à l'aide du droit social, ce qui manque à la solidarité familiale.
Vers un futur droit des âgés ?
Dans cet ensemble, il est clair que le gouvernement a conscience des problématiques posées
par le vieillissement. Il décide en 2015 de modifier la loi sur la protection des majeurs en
donnant plus d'importance encore à la famille, dès lors que la personne âgée acquiesce à une
organisation qu'elle avait elle-même mise sur pied quelques années plus tôt. C'est l'habilitation
familiale applicable à partir du 1er janvier 2016 (article 491-1 à 494-12 du Code civil). Par
ailleurs, il obtient au Parlement la loi « relative à l'adaptation de la société au vieillissement »
permettant le maintien à domicile des personnes âgées par des aides financières ciblées (mais
modestes), la revalorisation de l'APA et la création d'un statut des aidants familiaux.
Le droit y est vu comme un des trois piliers de la « politique d'adaptation de la société au
vieillissement » aux côtés de l'anticipation de la perte d'autonomie et de son
accompagnement16. Dès lors, il s'imposera tôt ou tard de visiter les domaines existants du droit
plus que d'en constater les évolutions au coup par coup.
Contrairement à d'autres pays, il n'y a pas actuellement dans le paysage juridique français
d'assemblage commode, en un sous-ensemble, des règles de droit assorties d'un corps de
réflexion conceptuel et systématique, d'une recherche, d'une pratique et d'un enseignement
pérennes de formations, générales ou continuées, destinées aux juristes et relatives
aux personnes âgées, aux aînés, aux âgés, aux vieillards ou encore au vieillissement ou à
la vieillesse. Pas plus qu'on ne trouve de cliniques du droit, laboratoires d'étudiants supervisés
qui servent la communauté locale en aidant efficacement les personnes âgées qui n'accèdent
pas à l'aide juridique. Bref, le droit des personnes âgées n'est pas actuellement une branche ou
une matière.
Combien de temps cela durera-t-il ? Comment se matérialisera ce droit des âgés ? Sera-t-il un
appendice du droit de la famille, le pendant du droit de la jeunesse, un domaine sui generis –
c'est-à-dire non intégrable ou réductible à une catégorie existante –, ou une ligne de pensée
transversale à toutes les branches du droit indiquant une attention spéciale aux situations
vécues par les aînés s'agrégeant en matière ?
Il est un fait que nombre d'aînés sont ignorés par le droit quand ils ne sont pas de
dynamiques seniors, consommateurs de temps libre. Au motif de respecter leur autonomie ou
d'en constater plutôt l'absence, perdurent et se multiplient des situations de solitude,
d'isolement, de négligence et de violences, ayant en commun une sorte d'invisibilité des
personnes âgées17. À se demander si une variante nouvelle de la mort civileou de
la mainmorte médiévale n'est pas en train de facto de voir le jour.
Au motif de respecter l'autonomie des aînés, perdurent et se multiplient des situations de solitude
Face à cela, le sens de la justice invite à se dresser, convaincu que « la condition humaine
normale est pensée » ou devrait l'être « pour que l'homme n'ait pas à souffrir de sa
vieillesse »18. Ce que le droit est censé promouvoir au même titre que toute autre action
humaine.
On pourrait s'inspirer de la situation américaine où l'on parle d'Elder Law. De cette matière
clairement identifiée et systématiquement enseignée et étudiée dans certaines universités,
voire dans des centres spécialisés, se réclament des professionnels du droit, avocats et
magistrats unis en associations, établissant des commissions au sein des barreaux locaux ou
nationaux. À titre d'exemple, l'American Bar Association a, depuis 1983, une commission
Law and Aging pluridisciplinaire (dans le domaine du droit) aujourd'hui forte de quinze
membres qui, très active, délivre des formations, des informations et édite des documents
traitant d'un nombre important de sujets : service juridique pour les personnes âgées, santé et
soins de longue durée, besoins en logement, éthique professionnelle, sécurité sociale et autre
programmes d'aide, planification de l'incapacité, tutelle et curatelle, maltraitance, décisions
médicales, aménagement de la douleur et soins en fin de vie, médiation et résolution de
conflits, besoins judiciaires des personnes âgées ayant un handicap19.
Quand des commissions verront-elles le jour dans tous les barreaux pour assurer la formation
continue des avocats spécialisés ? Quand l'enseignement du droit des âgés sera-t-il inscrit au
programme des licences et des maîtrises en droit ? Quand la recherche sera-t-elle financée,
soutenue, publiée et lue dans l'ensemble des branches du droit existant ?
Sous l'angle de l'effectivité des droits, quand l'assistance juridique aux personnes âgées (AJPA)
viendra-t-elle compléter le dispositif de l'APA ? Quand l'aide juridictionnelle devriendra-t-elle
accessible aux aînés, et notamment aux personnes dites « en perte d'autonomie » ? Quand
l'assistance d'un avocat sera-t-elle rendue obligatoire dans les procédures où les personnes
âgées sont impliquées ? Quand le pro bono spécialisé pour les personnes âgées – encore
appelé en France l'aide juridictionnelle pour celles dont les revenus sont faibles, alors même
qu'elles sont propriétaires (totalement ou en partie) de leur logement – sera-t-il possible, ce
qui n'est actuellement pas le cas au regard des textes en vigueur ?
Quand sera également revalorisée la justice dite « des majeurs vulnérables », sans laquelle
pareille insistance sur les droits des personnes âgées resterait un vœu pieux ? Sans parler, à
côté de la voie judiciaire, des nouveaux outils juridiques que sont la médiation20, l'arbitrage, la
conciliation, la justice réparatrice21, le mode alternatif de règlement des conflits. Au Québec,
ils apparaissent comme des atouts dans le domaine du droit des aînés.
Et, sur un plan simplement pratique, les lieux où s'exerce la justice sont-ils accessibles et
adaptés aux personnes âgées, physiquement, visuellement, acoustiquement et tactilement ?
L'exemple du Center for Excellence in Elder Law de la Stetson University en Floride devrait
nous inspirer. Avec l'aide de monteurs de décors de Hollywood, c'est une salle complète de
tribunal, fonctionnelle pour les personnes âgées (et ainsi pour toute autre personne), qui a été
créée dès 200522. Et ce qui leur est accessible l'est à tous…
Répondre à ces questions – traversées par les valeurs républicaines d'égalité, de fraternité et
de liberté – permettrait « une refondation du contrat social » à partir de ce que le
vieillissement semble requérir : « réorganiser le cycle de vie »23. Ceci, au sein d'une société
française créative, prenant pleinement la mesure du vieillissement de sa population qui
traverse son histoire, et respectueuse de ce qui soutient la vie de la personne plutôt que son
étouffement, son déploiement plutôt que son repli dans la solitude, l'isolement, le placement
ou encore une forme d'eugénisme en fin de la vie.
1 Rapport déposé au président de la République sur la loi sur le vieillissement. Consultable sur
http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2155.asp (consulté le 5 septembre 2016). Michel Godet
et Marc Mousli, Le vieillissement, une bonne nouvelle ?, La documentation française, 2009, pp. 22-23.
2 Le rapport Laroque aborde cette question dès 1962. Vingt-cinq ans après, en 1987, la commission
« Droits et libertés » de la Fondation nationale de gérontologie, aujourd'hui supprimée, a développé
une Charte des droits et libertés des personnes âgées en situation de handicap ou de dépendance, traduite
en différentes langues et imitée dans d'autres pays dès 1987, et revue en 2007. Du côté des praticiens, la
sous-commission pour les majeurs vulnérables du barreau de Paris a, dès 1996, par exemple, mené un
travail pionnier dans ce domaine nouveau qui, s'il ne vise pas nommément les personnes âgées, les
comprend toutes, et de plus en plus. Plus récemment le Plan national « Bien vieillir », débutant en 2007,
ou le Plan Alzheimer, en 2008, ont relancé l'action et la réflexion sur ce sujet.
3 Avec l'effet pervers que des propriétaires hésitent à louer à des personnes âgées.
4 Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
5 La loi 2015-1776 a heureusement modifié les textes, afin d'assainir les usages bien ancrés, ci-dessus
relatés.
6 Actuellement, ce contentieux est traité par une institution particulière à Paris : la brigade de répression
de la délinquance astucieuse.
7 Article 434-3 du Code pénal.
8 Article 226-14 du Code pénal.
9 Outil officiel, la base de données Légifrance (www.legifrance.gouv.fr) confirme que la personne âgée
est mentionnée dans le droit positif à travers des domaines éparpillés, des mentions disséminées et qui,
bien souvent, se substituent l'une à l'autre ou témoignent d'époques différentes. La recherche thématique
dans Légifrance donne un résultat pour les mots « vieillesse », « personnes âgées », « dépendance »,
« vieux (travailleurs) », « adultes vulnérables ».
10 L'idée semble survivre au foisonnement de journées des Nations unies. Ainsi, la Journée des personnes
âgées (1er octobre) ou encore la Journée mondiale de sensibilisation à la maltraitance des personnes
âgées (15 juin).
11 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, « Quadrige », 2016, p. 948. Ceci rappelle l'article 11 du
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
12 L'Autonomie gérontologique groupes iso-ressources (Aggir) est un outil d'évaluation du degré
d'autonomie ou de la perte d'autonomie des personnes, âgées ou non.
13 C'est une présomption en raison de la naissance qu'il est possible à celui qui la conteste de renverser.
Si le terme vise la naissance et non la vieillesse ou la mort, c'est que cette aptitude à la vie continue à
exister, quoique les forces se modifient. Cf. Code civil, article 79-1.
14 La réforme du droit des contrats, applicable depuis le 1er octobre 2016, s'interroge sur cette
problématique, en particulier en réécrivant les articles 1127 et suivants du Code civil.
15 La loi sur le vieillissement du 28 décembre 2015 accorde, sous certaines conditions, la nationalité
française aux personnes de plus de 75 ans (nouvel article 12-31-1 du Code civil).
16 Commission mixte paritaire sur l'adaptation de la loi sur le vieillissement, annexe à l'article 2, rapport
annexé, Introduction, 2015, p. 148.
17 The Global Alliance for the Rights of Older Persons, FAQ « Renforcer les droits des personnes âgées
dans le monde », sur http://www.rightsofolderpeople.org/faq-renforcer-les-droits-des-personnes-ageesdans-le-monde/ (consulté le 15 septembre 2016), questions 1 à 3.
18 Michel Fromaget, « L'homme tridimensionnel "Corps – Âme – Esprit" », dans Question de, AlbinMichel, 1996, pp. 143-145.
19 Cf. http://www.americanbar.org/groups/law_aging/about_us.html (consulté le 15 septembre 2016).
L'avocat et professeur de droit Charles Sabatino en a été notamment l'inlassable promoteur. Le Canada
s'est plus tard inspiré de ces travaux.
20 Cf. « Qu'est-ce que la médiation », Études n° 4228, juin 2016, pp. 53-63.
21 Cf. aussi « La justice restaurative : repenser la peine et le châtiment », Études n° 4228, juin 2016,
pp. 41-52.
22 Eleazer Courtroom. Des photos de cet aménagement sont visibles sur le site du Center for Excellence
in Elder Law de la Stetson University à Gulfport : www.stetson.edu/law/academics/elder/home/eleazercourtroom.php (consulté le 15 septembre 2016).
23 Nicolas Baverez, « Solidarité familiale, solidarités collectives à l'âge de la mondialisation », dans
Hugues Fulchiron (dir.), Les solidarités entre générations, Bruylant, 2013, p. 689.
Albert Évrard* et Florence Fresnel**