Textauszug - Camus - La peste

Transcription

Textauszug - Camus - La peste
Vers le milieu du XXe siècle, en réaction à un monde vécu comme aliéné et absurde, le courant existentialiste se développe avec les romans de Sartre et de Camus. Le présent extrait du roman-phare La peste, publié
par Albert Camus en 1947, montre les réflexions du protagoniste à propos de l’épidémie actuelle qu’un confrère de celui-ci vient de qualifier pour la première fois de « peste ». La crise – dans l’acception classique de
‹ décision › – du protagoniste est marquée notamment par la vision d’une pensée obsédée par l’imaginaire
culturel. Notre examen du texte portera d’abord sur le contexte narratif de cette introspection, puis sur
l’opposition établie entre la perspective scientifique de l’épidémie d’une part et les évocations culturelles
d’autre part, enfin sur la décision concrète et existentielle que prend le protagoniste.
I. Vision subjective de la situation, mode de contemplation du protagoniste
1. mode de contemplation: « regardait » (1, 19)
2. statisme et absence d’action: usage de l’imparfait (1–33)
3. focalisation interne moyennant discours indirect libre (« Non, tout cela n’était pas encore assez
fort… », 15, cf. également l. 26ss.)
II. Opposition de deux aperceptions de la peste
1. opposition spatiale : vitre séparant l’intérieur de l’extérieur (1s.) et parallèlement
2. opposition conceptuelle et sémantique : incompatibilité (« réfutait », 17) entre
a. réalité biologique et médicale des cas de peste abstraits, anonymes et invisibles (« jetait à terre une
ou deux victimes », 27s., « damier terne des maisons », 18) dans une ville apparemment sereine et
vivante (« ciel frais du printemps », 1s., « modérément animée … bourdonnante … heureuse », 5),
et
b. imaginaire culturel concret qui s’y superpose dans la vision du protagoniste
a. le mot de peste (2, 26) : référence à la langue comme phénomène de représentation culturelle vs.
peste comme phénomène médical réel
b. éloignement temporel et spatial de ces images (« vieilles images », 7, lieux lointains et épidémies
historiques, 7–14) vs. proximité de la ville
g. enfermement et claustration, correspondant à la situation concrète du protagoniste (« bagnards », 9, « grand mur », 10)
d. champ sémantique de la lutte (« se battaient », « luttes sanglantes », « combats ») vs. sérénité de
la ville
e. champ sémantique de la misère physique et morale (« fléau », 7, « désertée » contrastant avec
« animée », 8/5, « agonisants silencieux » contrastant avec « bourdonnante », 8/5, « lits humides
et pourris », 11, « épouvanté … cri interminable », 14s. etc.)
z. images apocalyptiques d’un ‹ monde à l’envers › aux contrastes grotesques : « accouplements des
vivants dans les cimetières » (13) rapprochant jouissance sexuelle et mort ou eros et thanatos,
« carnaval … pendant la Peste noire » (12s.) vs. certitude et travail quotidien (35s.)
h. idée d’une punition divine délibérée, opposée au concept d’une réalité naturelle non intentionnelle: voir « ciel attentif » = divinité (25) vs. « ciel frais du printemps » = phénomène naturel
(1s.); bûcher (23) comme symbole du supplice
q. intensification de ces images dominant ainsi la pensée du protagoniste : accumulation (7–25),
virtuellement à l’infini (« On pouvait craindre… », 25)
III. Prise de position du protagoniste, changement d’attitude (« Mais… », 26), dépassement des oppositions
1. suppression de la séparation et de l’enfermement: « ouvrit la fenêtre » (34), bruit qui entre
2. mouvement : « se secoua » (35)
3. abandon de la passivité-contemplation : passé simple (34s.) [vs. Imparfait (voir supra, I.2)]
4. rationalité et action, mettant fin à l’attitude contemplative et à l’imagination – tentative pour faire
face à la peste jusque-là abstraite : « ce vertige ne tenait pas devant la raison » (26), « ce qu’il fallait
faire » (28), « ombres inutiles » (29), « s’imaginait faussement » (31) rejetant l’imaginaire culturel jusque-là évoqué, « certitude » (35s.), « travail de tous les jours » (36), « bien faire son métier » (37)
[opposé au verbe regarder du début] – vision existentialiste de la solidarité humaine face à l’absurde