PDF - 158.8 ko - Commission Justice et Paix

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Mexique : des résultats
électoraux contestés
Le 2 juillet 2006, les Mexicains se sont rendus aux urnes. Outre l’élection des 500 députés et
128 sénateurs, il s’agissait de choisir un nouveau président. Les résultats officiels ont donné
pour vainqueur Felipe Calderón, candidat de la « droite mexicaine », du Parti d’Action
Nationale (PAN) avec 35,89% des votes contre 35,31% pour Andrès Manuel López Obrador
du PRD (Parti de la Révolution Démocratique)1.
Cela se jouait de manière très serrée entre ces deux candidats (244.000 voix de différence
pour un pays qui compte 71 millions d’électeurs). Et le PAN l’a su dès le début de la
campagne électorale. C’est la raison pour laquelle a été menée une véritable campagne
diffamatoire à l’égard d’Andrès Manuel Lopez Obrador, également appelé par ses initiales
AMLO.
AMLO a été maire de la capitale mexicaine de 2000 à 2005. S’il est devenu très populaire
auprès de la population pauvre de Mexico c’était grâce à des mesures sociales importantes
(par exemple, des allocations données aux personnes âgées, handicapées et aux mères
célibataires). Il a été fortement critiqué parce que la dette de la ville s’est accentuée et surtout
parce que les problèmes de criminalité (grande préoccupation des habitants de la capitale)
persistent.
« Lopez Obrador, un danger pour le Mexique » a été le slogan prôné par le candidat de droite
qui a été jusqu’à utiliser les moyens de communications (spots TV…) pour faire naître la
peur chez la population mexicaine. Selon, les opposants d’AMLO, sa politique sociale
mènerait le pays à la ruine.
Accusé de populisme, AMLO avait misé sa campagne électorale sur les questions sociales
(création d’emploi, établissement d’une pension alimentaire pour les personnes âgées, …) et
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« Manif géante pour Obrador » par Véronique Kiesel dans La Libre Belgique du 18 juillet 2006.
Commission Justice et Paix belge francophone asbl, rue Maurice Liétart, 31/6, B-1150 Bruxelles, Belgique,
tél. 32-(0)2-738!.08.01, fax. 32-(0)2-738.08.00, e-mail. [email protected], www.justicepaix.be
s’était engagé à faire payer plus d’impôts aux riches et à en finir avec la corruption, fléau
historique du Mexique.
Face à lui, Felipe Calderón est un conservateur pour qui le modèle économique libéral sera la
réponse aux problèmes sociaux du pays. Il propose, par exemple, de réduire les impôts des
entreprises afin de favoriser les investissements, nationaux et étrangers.
Des résultats électoraux contestés
Dès le lendemain des résultats de l’élection, AMLO a introduit une plainte pour fraude auprès
du Tribunal fédéral électoral. Le dimanche 16 juillet, il réunissait près de 800.000 personnes
selon la police (1,1 million d’après les autorités de la ville de Mexico) dans une
manifestation. D’après AMLO et ses partisans, le vote du 2 juillet a été entaché d’irrégularités
(des vidéos montreraient l’ouverture illégale de bulletins de votes).
Réalité ou paranoïa ? Pour reprendre le fameux dicton « Chat échaudé craint l’eau froide », la
population mexicaine se rappelle l’élection présidentielle de 1988 au cours de laquelle une
énorme escroquerie électorale avait permis au candidat du Parti Révolutionnaire Institutionnel
(PRI) Carlos Salinas de Gortari de devenir président2.
Presque 20 ans plus tard, certains pensent que le scénario se répète et un nouveau décompte
des bulletins de vote avait été demandé. Les 240 plaintes déposées par Lopez Obrador ont été
examinées par le Tribunal fédéral électoral3.
Ce 5 septembre, le nom du nouveau président a définitivement été proclamé. Les 6 prochaines
années, le Mexique sera présidé par Felipe Calderón… qui a déjà annoncé qu’il poursuivrait
la politique mené par le précédent président, Vicente Fox.
Bilan de la présidence de Vicente Fox
En 2000, le Mexique vivait un grand changement. Après 71 ans du pouvoir unique du Parti
Révolutionnaire Institutionnel (PRI), la victoire du candidat du PAN, Vicente Fox était
synonyme d’espoir d’un changement pour une population mexicaine fatiguée par tant
d’années d’injustice et de corruption.
Si le gouvernement mexicain met en avant des réussites macro-économiques et que le pays
donne à l’extérieur une image de démocratie, malheureusement, certaines promesses
importantes n’ont pas retenu toute l’attention du gouvernement de Vicente Fox. Le niveau de
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Après le vote, les premiers sondages donnaient Cuauhtémoc Cárdenas (PRD) pour vainqueur. Prétextant un
problème du système électronique, le comptage avait été arrêté. Lors de sa reprise, c’est Carlos Salinas de
Gortari (PRI) qui était premier. Alors que l’opposition exigeait que les bulletins de vote soient rendus public afin
de vérifier les résultats de l’élection, un prétendu incendie accidentel les détruisit.
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Août 2006.
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pauvreté reste catastrophique. Sur une population de 107 millions d’habitants, environ la
moitié vit en dessous du seuil de pauvreté (moins de 4 dollars par jour) alors que plus de
45 % de la richesse nationale est aux mains de 10% de la population. Il n’y a pas de meilleurs
résultats en termes d’emploi. Dans une grande partie du pays, les actes de violence ont
augmenté et, malgré différentes opérations menées pour enrayer le trafic de drogue, celui-ci
est toujours omniprésent et omnipuissant dans certains villes du pays. Enfin, la corruption
reste une pratique courante dans les milieux politiques et financiers.
En bref, l’insécurité, le chômage, la pauvreté et la corruption restent les problèmes qui
préoccupent le plus les Mexicains 4.
Les défis seront donc grands pour Monsieur Felipe Calderón.
Loin d’être exhaustifs, nous pointons ici quelques questions qui devront attirer toute
l’attention de la Communauté internationale :
- L’immigration des Mexicains vers les USA est un problème délicat pour les
gouvernements des deux pays. Si Vicente Fox a collaboré avec les Etats-Unis sur cette
question (mise en œuvre des systèmes de surveillance proposés par le géant du Nord…), il
n’en reste pas moins que le Mexique a très mal pris la décision américaine de construire un
mur de séparation à la frontière.
La situation de pauvreté, le manque d’emploi, les énormes inégalités sociales ont déjà conduit
12 millions de Mexicains à partir pour rejoindre les USA. Chaque année, ce sont 400.000
clandestins mexicains qui essaient de passer la frontière nord. Chaque semaine, près de 15
personnes meurent en essayant de contourner les dispositifs de sécurité existants. Mais ces
dispositifs ne suffisent pas aux USA qui, à l’aide de ce mur et du dispositif de sécurité qui
l’accompagnera (caméras…), espère en venir à bout de l’immigration clandestine.
La réponse à ce problème social est-il la construction d’un mur ? Selon l’association
mexicaine « No más muertes »5, tant que le salaire sera 6 fois plus élevé aux USA qu’au
Mexique… les candidats seront nombreux et ce malgré le risque de perdre la vie6.
Cette analyse est partagée par Pascal Boniface7 de l’Institut de relations internationales et
stratégiques (Iris) à Paris, « Les murs ne résolvent en rien les problèmes de fond (…) si la
situation de l’emploi ne s’améliore pas au Mexique, les gens trouveront malgré tout le moyen
de passer aux Etats-Unis ».
- Malgré l’image démocratique que le Mexique cherche à se donner, de nombreux cas de
violations des droits de l’Homme persistent et entraînent des conflits sociaux. Pour ne
prendre qu’un exemple, le 14 juin 2006, des professeurs de la ville de Oaxaca, qui
manifestaient pacifiquement pour l’amélioration des conditions dans le milieu éducatif, ont
été violemment évacués et subi une répression policière très forte. Les autorités ont nié leur
responsabilité et ont refusé de résoudre le conflit par le dialogue. Les actions prises ont été à
l’encontre de droits fondamentaux que sont le droit à l’intégrité physique et à la liberté de
mobilisation et d’expression.
4
« Avec Fox, rien n’a changé » par Francesco Relea (journal El País) repris dans Le Courrier international
n°817.
5
« Pas plus de morts ».
6
Cité dans « Entre l’Amérique et le Mexique, un mur plutôt que des ponts, Le Soir du 29 décembre 2005.
7
Cité dans « Les murs ne sont pas une solution de fond », Le Soir du 29 décembre 2005.
3
- Le 1er janvier 2004, l’Armée Zapatiste de Libération nationale (du nom d’Emilano Zapata,
figure emblématique de la révolution mexicaine) prend les armes et assiège le ville de San
Cristobal de las Casas au cri de « ça suffit ». Les Indigènes, socialement, politiquement et
économiquement ignorés depuis longtemps, réclament « la démocratie, la justice et la
liberté ».
La question indigène, qui a pourtant focalisé toute l’attention il y a une dizaine d’années, est
aujourd’hui absente des débats politiques. Même si Vicente Fox avait promis, dans sa
campagne électorale, de régler le « problème zapatiste » en un quart d’heure, les
revendications des Indigènes, n’ont trouvé aucun écho. Le mal-être des populations indigènes
est toujours une réalité et rien ne semble dire que cette question redeviendra une priorité
nationale, au risque de créer un nouveau conflit social… comme celui vécu au Chiapas en
janvier 1994.
Axelle Fischer, responsable Amérique latine
Septembre 2006.
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Pour en savoir plus :
Dossier « Mexique à gauche, vraiment ? », Courrier international n° 817 du 29 juin au
5 juillet 2006.
Dossier « Mexique, terre d’élections », Libertés ! Le mensuel d’Amnesty international,
n°425 de juin 2006.
Avec le soutien de l’Education permanente de la Communauté française
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