Journal de Saclay n°38
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4e TRIMESTRE 2007 > N°38 Centre CEA de Saclay LE JOURNAL DOSSIER Les défis de l’analyse chimique p.3 Coopération franco-chinoise p.2 Gabriel Chardin, « Faire progresser les idées » p.12 Prix Nobel de la Paix : les climatologues à l’honneur p.15 Prix Nobel de Physique : A. Fert et P. Grünberg p.16 Éditorial Éditeur Crédits photos CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Centre de Saclay 91191 Gif-sur-Yvette Cedex CEA CEA / D Marchand CEA / F Vigouroux CEA / E Blanchard CEA / P Stroppa CEA / Dapnia / JJ Bigot CEA / LNHB CEA / D Foulon CEA / JL Lacour NASA CNRS photothèque/ JF Dars CNRS photothèque/ S Godefroy CNRS photothèque/ C Lebedinski CNRS photothèque/ A Le Louarn Fotolia IPEV / X Morin Research Centre Jülich Directeur Yves Caristan Directrice de la publication Danièle Imbault Rédacteur en chef Christophe Perrin Rédactrice en chef adjointe Sophie Astorg Iconographie Chantal Fuseau Avec la participation de Claude Reyraud Conception graphique Mazarine 2, square Villaret de Joyeuse 75017 Paris Tél. : 01 58 05 49 25 Photos de couverture : N° ISSN 1276-2776 En haut, à gauche : amas de galaxies abritant de la matière noire ; Centre CEA de Saclay en bas, à gauche : préparation d’un Droits de reproduction, détecteur de particules (Wimps) ; texte et illustrations en haut, à droite : analyse réservés pour tous pays chimique par ablation laser ; en bas, à droite : corrosion d’un alliage d’aluminium. D ’ici à 2050, recherche qui fassent l’objet d’un consensus la consom- à l’échelon communautaire. mation mondiale Cette initiative va dans le sens d’une d’énergie devrait concertation élargie et incitera au dialogue presque doubler. avec le grand public sur toutes les questions Dans ce contexte, qui le préoccupent. face au défi du Plus proche de nous, sur le Plateau de réchauffement climatique, l’Europe dispose Saclay, l’appel à idées lancé dans le cadre aujourd’hui du premier secteur nucléaire de l’Opération d’intérêt national a suscité dans le monde, un tiers de son courant de nombreux projets de mise en valeur, qui électrique étant produit par des centrales ont été exposés à Toussus-le-Noble. Les nucléaires. Pour préparer l’avenir et lauréats maintenir l’avance européenne dans ce L’aménagement du Plateau en termes de domaine, une plateforme technologique transport ou d’accueil hôtelier revêt à mes pour l’énergie nucléaire durable a été yeux une importance essentielle : c’est mise en place en septembre à Bruxelles. véritablement l’attractivité du pôle scienti- Cette plateforme réunit les acteurs fique, à l’horizon d’une vingtaine d’années, européens du secteur, chercheurs et qui est en jeu. sont maintenant connus. industriels, pour qu’ils partagent leur vision du développement de cette Sommaire n° 38 Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.2 Dossier : Les défis de l’analyse chimique . . p.3 Actualités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.11 Conférence Cyclope . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16 énergie et recommandent aux experts de la Commission européenne et des Yves Caristan, gouvernements nationaux des axes de Directeur du centre CEA de Saclay COOPÉRATION SCIENTIFIQUE FRANCO-CHINOISE DEUX MINISTRES À NEUROSPIN 1 1 De gauche à droite : Denis Le Bihan, Directeur de NeuroSpin, André Syrota, Directeur des sciences du vivant du CEA, Valérie Pécresse, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Bernard Bigot, Haut-commissaire du CEA, Wan Gang, Ministre chinois de la recherche et de la technologie, Yves Caristan, Directeur du centre CEA de Saclay et des sciences de la matière, Jean-Pierre Leroux, Administrateur général adjoint du CEA. 2 Le ministre Wan Gang, qui a été président de l’université de Tongji, a pu rencontrer deux étudiants de cet établissement, accueillis à Saclay pendant six mois pour travailler dans le domaine des microprocesseurs. Le CEA et la Chine entretiennent depuis 1978 une relation suivie au travers de multiples accords de coopération. Le 18 septembre 2007, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche et Wan Gang, ministre chinois de la Science et de la technologie (MOST) ont visité NeuroSpin, le centre de neuroimagerie cérébrale du CEA. La veille, dans un discours prononcé à l’École polytechnique, Wan Gang avait détaillé trois domaines de la coopération scientifique franco-chinoise : le futur réacteur de fusion nucléaire ITER, les maladies émergentes et les microprocesseurs. Sur ce dernier thème, le MOST (représenté notamment par l’université de Tongji), STMicroelectronics, Bull et le CEA collaborent au développement de nouveaux processeurs de type Godson1. Dans ce cadre, deux étudiants de Tongji sont en stage de six mois au List2, à Saclay et deux autres étudiants leur succéderont pour six mois encore. 1 Série de processeurs développés en Chine, concurrents d’Intel et d’AMD. 2 List : Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies, à Saclay et à Fontenay-aux-Roses. 2 L’ANALYSE CHIMIQUE Développer des outils d’analyse pour répondre aux besoins exigeants du nucléaire, tel est le cœur de métier du Département de physico-chimie (DPC), à Saclay. Ses compétences intéressent également des clients spécialistes d’autres domaines. Prenez une solution contenant plusieurs dizaines d’éléments Certains éléments chimiques, présents en quantités infini- chimiques différents. La question posée peut être simple : tésimales dans le combustible, peuvent faire obstacle aux quelle est sa teneur en curium ? La réponse l’est beau- réactions nucléaires et ainsi « empoisonner » le cœur d’un coup moins, d’autant que l’échantillon, extrait d’un réacteur. Affiner la connaissance des combustibles irra- combustible nucléaire irradié, est hautement radioactif… diés est également un enjeu de taille pour les recherches Ce type de mesure est une spécialité du DPC. Depuis sur la gestion des déchets nucléaires. 1989, les compétences d’analyses au service de la recherche L’exploitation de ces outils d’analyse est le plus souvent électronucléaire sont regroupées, au sein du CEA, dans couplée à la simulation numérique, pour valider les codes une entité qui est aujourd’hui au DPC. Ces analyses ne se de calcul et les enrichir. C’est une démarche commune à limitent pas à déterminer une teneur en un élément donné : tous les moyens d’essais de la recherche électronucléaire, elles peuvent porter sur un ou plusieurs isotopes de cet qui vise à optimiser résultats et coûts. 1 Les défis de l’analyse chimique LES DÉFIS DE élément. Elles peuvent renseigner également sur son environnement physico-chimique : a-t-il perdu ou gagné Déporter la mesure et miniaturiser l’appareil des électrons ? Comment est-il lié à ses proches voisins ? L’environnement hostile du nucléaire, qui rime avec boîtes Et qui sont ses voisins justement ? à gants et cellules blindées, appelle des analyses déportées et, quelquefois, miniaturisées, pour atteindre des Mesurer des « ultra-traces » endroits difficiles d’accès. L’idée est de n’introduire que le Les contraintes spécifiques au nucléaire ont orienté les minimum de matériel dans la zone exposée aux rayonne- travaux des chercheurs vers des « niches » de mesures. ments ionisants et de reporter tout ce qui peut l’être en L’une d’elles est la mesure de traces ou « ultra-traces ». dehors. Les techniques laser s’y prêtent particulièrement. Seule la lumière laser, voire une fibre optique qui résiste bien aux rayonnements, pénètre dans la zone contrôlée. Les techniques optiques sont fondées sur des échanges extrêmement sélectifs entre lumière et matière : un atome absorbe ou émet des « grains de lumière » (photons) dont l’énergie diffère de manière mesurable suivant sa nature chimique. Le saviez-vous ? Les techniques d’analyse mises en œuvre pour le nucléaire s’avèrent des outils remarquables pour contrôler la qualité de l’environnement. 1 Les isotopes d’un même élément ne se distinguent que par des 1 masses différentes. Ils ont tous les mêmes propriétés chimiques. 1 Appareil de spectrométrie de masse à ionisation thermique, en boîte à gants. 3 Les défis de l’analyse chimique QU’Y A-T-IL DANS UN COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE IRRADIÉ ? Derrière chaque analyse de traces ou d’ultra-traces, se cachent un travail de préparation immense et une multitude de mesures. l’appareil d’analyse. Lorsque l’élément à analyser est purifié, on mesure sa concentration1 et celle du traceur au spectromètre de masse. C’est cette partie mesure qui m’occupe et me passionne vraiment ! JdS : Sur quoi travaillez-vous ? H.I. : Nous travaillons le plus souvent sur une matière contenant des isotopes « exotiques » de la plupart des éléments chimiques : le combustible irradié. C’est dire à quel point la modélisation du cœur d’un réacteur est délicate. Les concepteurs des codes de simulation sont avides de données toujours plus précises. Ce sont eux nos clients « naturels ». En ce moment, nous nous apprêtons à analyser une cinquantaine d’échantillons irradiés dans le réacteur 1 expérimental Phénix2, à Marcoule, dans le cadre des études menées par le CEA sur la transmutation des Interview d’Hélène Isnard, déchets nucléaires. Chaque échantillon contient un seul chercheuse au Service d’études du comportement des radionucléides (DPC). élément, enrichi en un de ses isotopes, de manière à simplifier l’interprétation de l’irradiation. Journal de Saclay : Quelle est votre spécialité ? H.I. : Géologue de formation, je suis spécialisée en géochimie JdS : Quelles difficultés rencontrez-vous dans ces isotopique. Pour dater les roches, je me suis familiarisée expériences ? avec des techniques comme la spectrométrie de masse*. H.I. : Les échantillons, quelques milligrammes de Cette compétence est au cœur de mon travail d’« instru- poudre, sont conditionnés dans plusieurs boîtiers gigo- mentaliste » au DPC, pour analyser cette fois des matériaux gnes en inox. Après irradiation, il est très difficile d’ex- nucléaires en boîtes à gants. traire la poudre seule, sans gratter le boîtier le plus interne, voire même sans le dissoudre. Or, introduire de 4 JdS : Comment se déroule une mesure ? l’inox dans l’échantillon, c’est ajouter plusieurs éléments H.I. : Nous cherchons à mesurer une concentration extrê- indésirables, qu’il faudra éliminer. On sait déjà que mement faible d’un élément ou, pour être plus précis, d’un certaines isotope. Pour cela, nous mettons en œuvre la technique analysées si on doit dissoudre les boîtiers. C’est pour- de la dilution isotopique : l’astuce consiste à incorporer à quoi nous collaborons avec des équipes de Marcoule et l’échantillon un traceur isotopique parfaitement connu. Il Cadarache à la conception de l’outil d’ouverture de faut ensuite éliminer tous les autres éléments, par chroma- boîtiers en télémanipulation. Pour l’instant, nous testons tographie ou grâce à une cellule de collisions, intégrée à cet outil sur des boîtiers non radioactifs. * Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés. poudres ne pourront pas être Les défis de l’analyse chimique JdS : Comment se déroule une campagne de mesures ? H.I. : En pratique, chaque campagne soulève de nouvelles questions, tant est large l’éventail des éléments et isotopes intéressant le nucléaire. Peu de publications scientifiques abordent en effet ces thématiques analytiques. Il faut donc, presqu’à chaque fois, inventer le mode opératoire de séparation et d’analyse ! Les chimistes de l’équipe doivent, par exemple, identifier un gaz capable de réagir spécifiquement avec chacun des éléments à séparer, à l’intérieur de la cellule de collisions. L’analyse par spectrométrie de masse exige, elle aussi, de longues études préliminaires. Il faut appréhender la sensi- 3 bilité de la mesure pour chaque élément, puis définir, approvisionner et caractériser les traceurs isotopiques, maintenance préventive régulière, on est souvent vérifier enfin la stabilité chimique des solutions. Il faut par confronté à des dysfonctionnements qu’il faut savoir ailleurs s’assurer que les spectres obtenus ne se superpo- diagnostiquer. Il est quelquefois nécessaire de démonter sent pas avec celui d’un élément qui serait produit par une une partie de l’appareil pour retrouver des performances recombinaison d’éléments dans la cellule de collisions. normales. Au laboratoire, nous sommes deux à connaître Une séparation par chromatographie dure plusieurs vraiment à fond la machine. heures, une analyse par spectrométrie de masse un quart d’heure mais le travail de préparation s’étale sur plusieurs JdS : Vous arrive-t-il de réaliser des analyses hors du mois. Dans ce contexte très spécifique, la qualité du travail secteur nucléaire ? repose avant tout sur la cohésion de l’équipe plus que sur H.I. : Oui, cela arrive régulièrement. Nous avons par exemple les compétences d’une personne en particulier. Ce travail effectué des analyses de terre provenant de la grotte d’équipe est un des « moteurs » de mon activité profes- préhistorique de Lazaret, près de Nice. Nous avons égale- sionnelle au quotidien. ment participé à une étude sur la composition isotopique de coraux anciens, aux côtés de climatologues du LSCE4 : JdS : Comment apprivoise-t-on un spectromètre de 3 masse ICPMS-MC ? il s’agissait cette fois de reconstituer l’évolution de l’acidité des océans, pour mieux connaître les climats du passé. H.I. : Ces instruments très complexes n’existent que depuis une dizaine d’années et se comptent sur les doigts 1 Si dans l’échantillon, l’élément est présent sous la forme de plusieurs de la main en France. Chaque journée commence par une isotopes, le spectromètre de masse permet de mesurer la concentration heure de réglages. Il faut « sentir » l’appareil. Malgré une relative de chacun d’eux (isotopie). 2 Phénix : réacteur expérimental à neutrons rapides au centre CEA de Marcoule où sont notamment étudiés des procédés de transmutation de déchets nucléaires. 3 ICPMS-MC : Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometer with Multicollection. 4 LSCE : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (laboratoire mixte CEA, CNRS et Université Versailles-Saint-Quentin). 1 Hélène Isnard est une experte de la spectrométrie de masse ICPMS-MC. 2 Appareil d’analyse chimique par spectrométrie de masse. 2 3 Les échantillons à analyser sont conditionnés dans des boîtiers difficiles à ouvrir après irradiation. Test du dispositif d’ouverture de ces boîtiers. 5 Les défis de l’analyse chimique La chromatographie liquide : séparer les constituants d’un mélange 1 Versez dans un récipient transparent du sable, puis de la menthe à l’eau : si la colonne de sable traversée est assez haute, vous observez la séparation progressive du liquide vert en deux couches bleue et jaune. C’est un chromatographe liquide ! Les colorants de la menthe constituent le mélange de molécules à séparer. L’eau un solvant dans le cas le plus général - sert à entraîner les molécules le long d’un support fixe, ici le sable. Les molécules composant la couche bleue « s’accrochent » davantage aux grains de sable et 2 descendent moins vite que celles de la couche jaune. Leurs affinités chimiques différentes permettent de séparer les deux familles. Dans tous les chromatographes liquides, les constituants du mélange, mobiles le long d’un support, voient leurs vitesses affectées par leurs interactions avec le support. Ces interactions peuvent s’expliquer par la nature chimique ou électrostatique des constituants, ou encore par leurs tailles. Le chimiste peut récupérer ensuite les fractions séparées pour effectuer une analyse par spectrométrie de masse par exemple. 1 Colonne de chromatographie. 2 Chromatographie liquide en boîte à gants. Gaine ZR Nd La spectrométrie de masse : peser des isotopes Impossible de distinguer les isotopes d’un même élément chimique avec une simple balance ! Les spécialistes de l’analyse accomplissent cette prouesse grâce au spectromètre de masse. Cet appareil est fondé sur un principe très éloigné de la gravité : la déviation de la trajectoire d’une particule chargée par un champ magnétique. La première étape consiste à « vaporiser » les atomes ou les molécules de l’échantillon et à leur arracher (ou au contraire leur donner) un ou plusieurs électrons 1 : ils deviennent alors des ions, qui sont justement des particules chargées électriquement. Les techniques d’ionisation, très variées, utilisent un plasma1, une sorte de flamme très chaude, ou encore le bombardement d’électrons. Aimant 2 Ce Mo Tc Ru Cs Rh Ag Sm Eu Gd 1 Les ions sont accélérés dans un champ électrique 2 , selon le même principe que dans les accélérateurs de particules. Ils traversent ensuite un champ magnétique, qui courbe leurs trajectoires 3 . La courbure observée est d’autant plus forte que la masse de l’ion est faible et sa charge électrique élevée. En fin de chaîne, un détecteur compte les ions, en les triant par masses2 4 : c’est le spectre de masse ! La spectrométrie de masse sert à identifier des molécules ou à définir leur structure, ou encore à mesurer la concentration et l’isotopie des éléments. Elle intéresse pratiquement tous les secteurs scientifiques : physique, astrophysique, chimie, dosages, biologie, médecine, etc. 1 Plasma : état de la matière constitué d’un gaz, porté à haute Accélération température et partiellement ionisé. 4 3 Collection 2 Plus précisément le rapport de la masse de l’ion à sa charge électrique. Dispersion magnétique 1 Spectre de masse (ICPMS) montrant les produits de fission contenus 1 6 Injection-ionisation dans une solution de combustible usé. Les mesures LIBS1, effectuées à distance, peuvent s’accommoder des environnements les plus sévères, comme certaines boîtes à gants de la recherche électronucléaire, ou la planète Mars… Certains réacteurs nucléaires de future génération, utilisant Rendez-vous en 2008 pour les premiers résultats en des sels fondus, pourraient extraire en continu certains vraie grandeur ! éléments non valorisables, présents dans le combustible irradié, comme l’américium, le curium ou le neptunium. Une aventure martienne Des chercheurs du centre CEA de Marcoule étudient des Un autre défi attend les experts de la LIBS : Mars ! procédés chimiques d’extraction de ces éléments dans Embarqué à bord du rover de la NASA « Mars Science cette perspective. Les réactions chimiques doivent avoir Laboratory », le dispositif ChemCam observera les roches lieu à haute température (900°C) et à l’intérieur de boîtes à grâce à une caméra haute définition et analysera par LIBS gants, car ces éléments sont très radioactifs. Suivre leur composition chimique à distance (jusqu’à dix mètres). l’avancement des réactions, dans ces conditions de Associés à leurs collègues du Centre d’études spatiales température, de corrosion et d’exposition aux rayonnements des rayonnements (Unité mixtes CNRS, Université Paul ionisants, est un défi que seule la LIBS pouvait relever. Sabatier de Toulouse) pour cette mission de la NASA, les L’appareil d’analyse reste hors zone radioactive. Seuls les chercheurs du DPC ont participé à la définition du cahier faisceaux laser franchissent les hublots de la boîte à gants des charges de l’instrument et à l’évaluation expérimentale et celles du four : ils acheminent dans un sens la puis- de ses performances. Des expériences conduites en sance laser nécessaire à la vaporisation superficielle de ambiance martienne simulée ont d’ores et déjà permis de l’échantillon et au retour, les signaux lumineux émis par les classer diverses roches terrestres en fonction de leur éléments à doser. signature en LIBS. Le lancement est prévu fin 2009. Une longue et minutieuse enquête 1 LIBS : Laser Induced Breakdown Spectroscopy. Les défis de l’analyse chimique DES ANALYSES LASER EN MILIEU EXTRÊME Un dispositif expérimental de LIBS, mis au point au DPC à Saclay, a été installé à Marcoule où il équipe une boîte à gants. Il a été testé avec succès dans une situation simplifiée où en particulier, l’élément radioactif est remplacé par un « fantôme » non radioactif, le cérium. Ce résultat important a été précédé par une longue et minutieuse enquête. « Pour être sûr de pouvoir interpréter les spectres demandés, j’ai dû rechercher l’ensemble des raies susceptibles d’être émises par la quarantaine d’éléments en présence et vérifier que, dans la gamme des compositions possibles de l’échantillon, il y ait au moins une raie par élément qui soit isolée », explique Daniel Lhermite, chercheur au DPC. « Sinon, on ne sait pas à quel élément attribuer le signal. Dans ce cas précis, près de 2 700 raies ont ainsi été recensées et traitées » ! La prochaine étape consistera à automatiser le disposi- 1 tif de LIBS et à mettre en place le four, avant de « passer en actif », c’est-à-dire introduire dans la boîte à gants les éléments radioactifs nécessaires à l’expérience. * Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés. 1 L’expérience de LIBS, développée à Saclay, est opérationnelle en boîte à gants, à Marcoule. 7 Les défis de l’analyse chimique Zoom // Un large éventail d’applications La LIBS peut être associée à une fonction de décapage spécialisé, comme l’ont montré des essais sur des composants du démonstrateur de fusion nucléaire JET1, en Grande-Bretagne. Elle peut également lire une biopuce. Une étude, menée au DPC en collaboration avec une équipe de la Direction des sciences du vivant du centre CEA de Fontenay-aux-Roses, montre que la LIBS autorise une analyse quantitative de la biopuce, et non pas seulement qualitative, comme c’est le cas aujourd’hui avec la détection de marqueurs fluorescents. S’affranchir de ces marqueurs, susceptibles de modifier la réactivité chimique des molécules étudiées, est un atout supplémentaire pour la LIBS. 1 JET : Joint European Torus. 1 Instrumentation de laboratoire permettant d’analyser par LIBS des échantillons de roches, dans des conditions proches de celles qui 1 règnent sur la planète Mars. La LIBS : analyser tous les éléments d’un matériau La LIBS repose sur l'analyse de la lumière émise par un plasma créé par laser. Un faisceau laser de forte intensité focalisé sur un matériau provoque un claquage à sa surface, créant juste au-dessus d’elle un plasma de même composition que le matériau. Pour retrouver un état plus stable, chaque ion (ou atome) excité du plasma émet une « lumière » spécifique, composée de raies lumineuses, dont les longueurs d’onde1 sont caractéristiques de sa nature. Le spectre de la lumière émise par le plasma, c’est-àdire son analyse en longueurs d’onde, permet de retrouver les différents éléments qui composent le mélange. Leurs concentrations peuvent être obtenues à partir de courbes d'étalonnage acquises au préalable. 1 Contrairement à la plupart des techniques d’analyse chimique, la LIBS n’exige ni prélèvement, ni préparation d’échantillon. Elle permet d’analyser rapidement une grande variété de matériaux : solides, liquides, gaz ou aérosols. « Tout optique », la LIBS se prête particulièrement à des analyses à distance dans des environnements hostiles : hautes températures, ambiance corrosive ou radioactive… 1 Longueur d’onde : couleur ou énergie de la lumière. Longueur d’ondes (nanomètres) 1 On distingue la lumière émise par le plasma créé par laser. La LIBS repose sur l’analyse de cette lumière. 8 * Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés. La microscopie optique « en champ proche », revisitée par des physiciens du DPC, se révèle un outil original d’analyse de surface, doté d’une résolution nanométrique1. Si la microscopie optique en champ proche (SNOM2) Pour les chimistes qui étudient la migration des radioélé- connaît une carrière commerciale depuis environ une ments à travers les barrières d’un stockage radioactif, ces dizaine d’années, les chercheurs développent souvent informations qualitatives sont précieuses. Les défis de l’analyse chimique UN EXAMEN PHYSICO-CHIMIQUE « À LA LOUPE » eux-mêmes leur appareil, à partir d’un microscope à force atomique (AFM3). La pointe de l’AFM, qui « palpe » la De l’europium dans un verre surface à analyser, est alors remplacée par une fibre Dans cette perspective, l’analyse par SNOM d’ions4 euro- optique, qui peut apporter ou recueillir un signal optique. pium5 dans une matrice de verre s’est révélée fructueuse. C’est son diamètre qui limite la résolution spatiale, qui « Nous avons eu la surprise de découvrir, à quelques peut atteindre une cinquantaine de nanomètres. De microns de distance seulement, des domaines présentant nombreuses configurations peuvent être expérimentées, des caractéristiques bien différenciées », s’enthousiasme autour d’un principe général : la fluorescence laser. Les François Viala, chercheur au DPC. « Ils se distinguent à la chercheurs du DPC ont choisi de mettre en œuvre des fois par le relief de la surface et par l’allure des spectres mesures spectrales résolues dans le temps, une tech- d’europium. L’importance relative des raies composant le nique bien adaptée a priori aux éléments impliqués dans spectre est modifiée localement. Ces changements coïn- la problématique du stockage des déchets nucléaires. Les cident avec des régions où le verre a conservé sa structure spectres de fluorescence des atomes sondés recèlent des désordonnée (ou amorphe) ou au contraire, a acquis un informations sur leur environnement physico-chimique. caractère plus organisé (polycristallin). » Ainsi, la dissymétrie d’une raie ou un décalage spectral De la même manière, des analyses sur cet élément, mais peuvent trahir l’identité d’atomes voisins ou le nombre de dans un cristal d’alumine cette fois, ont mis en évidence molécules d’eau présentes dans une sphère rapprochée. des modifications spectrales, associées à l’orientation du L’analyse peut être effectuée dans des conditions repré- plan cristallin observé. Les ions se lient en effet à des sites sentatives de l’environnement d’étude, ce qui est impossi- chimiques différents suivant leur localisation à l’intérieur du ble en opérant sous vide par des méthodes non optiques. cristal d’alumine. 1 Étudier la migration de radioéléments à travers l’argile L’objectif des chercheurs est, à terme, d’analyser la migration de radioéléments à travers une barrière d’argile. Après avoir traité le cas d’un ion dans un cristal, ils s’attaqueront à celui d’une grosse molécule organique entourant un ion. Dans un troisième temps enfin, ils aborderont le problème complexe de l’ion dans une argile. Cette roche contient en effet des substances 9 Les défis de l’analyse chimique humiques, provenant de la dégradation de matières vivantes. Ce milieu naturel compte un patchwork d’espèces chimiques aux propriétés aussi variées que possible. Sur des distances de l’ordre de 100 nanomètres, ces espèces diffusent, s’interpénètrent et réagissent chimiquement les unes avec les autres. Une modélisation macroscopique de ce milieu passe donc impérativement par la compréhension de phénomènes à une échelle très locale, justement cohérente avec la résolution spatiale de la SNOM. Cette technique pourra-t-elle répondre à l’une des questions en suspens : comment les substances 2 humiques affectent-elles la mobilité des radioéléments dans le milieu naturel ? 1 Nanomètre (nm) : milliardième de mètre. 2 SNOM : Scanning Near-field Optical Microscopy. 1 Système de microscopie optique en champ proche développé 3 AFM : Atomic Force Microscopy. au DPC. 4 Ion : atome qui a perdu ou gagné un ou plusieurs électrons. 2 Le signal de fluorescence enregistré lorsque l’échantillon est 5 Europium : cet élément est souvent utilisé comme un modèle non illuminé par le laser fournit des informations à l’échelle de 50 milliardièmes de mètre. radioactif (ou « fantôme ») d’éléments présents dans les déchets nucléaires vitrifiés. La SNOM : une spectroscopie à échelle nanométrique ! Dans un microscope classique, une source de lumière éclaire la surface à étudier. Celle-ci émet à son tour une lumière, qui traverse des lentilles jusqu’à l’œil de l’observateur : les lois de la diffraction interdisent alors de distinguer deux points distants de moins d’une fraction de micromètre1 ! Pour s’affranchir de cette limite, la microscopie optique en champ proche (SNOM) utilise, non plus des lentilles, mais une fibre optique effilée 1 , en guise de sonde locale. Cette sonde, située à quelques nanomètres seulement de la surface échantillon 2 « aspire » en quelque sorte une lumière piégée au voisinage de la surface, appelée onde évanescente 3 . Un dispositif électronique 4 permet de maintenir constante la distance entre la sonde et l’échantillon pendant le balayage de la surface et de dessiner, point par point, une image topographique 5 de celle-ci. Par ailleurs, l’analyse spectrale de l’onde évanescente 6 fournit des informations physicochimiques sur les molécules de la surface. Avec une résolution spatiale dix fois supérieure2 à celle de la microscopie classique, la SNOM ouvre la voie à la spectroscopie à échelle nanométrique ! Mouvement de balayage de l'échantillon 1 Fibre optique Onde lumineuse 4 Analyseur contrôle de la distance et balayage Piezoscanner Piezoscanner Source de lumière 2 1 Fibre optique Onde lumineuse captée Image de la surface 5 6 Spectre 10 nm 2 Échantillon 1 Micromètre : millionième de mètre. 2 La résolution spatiale est limitée par la dimension de l’extrémité de la fibre, voisine de cinquante nanomètres. 1 1 A gauche, carte topographique obtenue par SNOM. A droite, spectres de fluorescence des zones A et B. 10 3 Onde évanescente Balayage de l'échantillon * Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés. Actualités BIENTÔT UNE PUCE ANTI-PANNE 1 Quatre kilomètres… C’est la d’un signal sur les défauts qu’il rencontre, un principe qui longueur totale des câbles élec- s’applique également aux circuits. « Un mauvais contact triques dans une voiture actuelle. ou une résistance parasite, qui apparaîtrait, par exemple, Depuis la Dauphine de 1956 et dans les 400 km de câbles d’un Airbus A 380, serait ses quelque 200 mètres de fils localisé à quelques centimètres près ! », annonce Fabrice cumulés, les véhicules ont Auzanneau, responsable du LFSE. Les algorithmes gagné en sécurité, sans que soit développés dans son laboratoire tiennent sur une carte résolu le problème des pannes informatique et pourraient, à terme, tenir sur une puce électriques. Le Laboratoire de regroupant toutes les fonctions nécessaires au diagnostic. fiabilisation Une puce anti-panne… des systèmes embarqués (LFSE) du List vient C. R. 1 de dévoiler un prototype qui sera sans doute plébiscité. Ce système de diagnostic de liaisons filaires, réutilise le 1 Laboratoire d'Intégration des Systèmes et des Technologies. principe du radar afin de prévenir leurs défaillances. Il se base sur la « réflectométrie », ou l’étude de la réflexion 1 Prototype en cours de test sur des câbles de camion. SYNESTHÉSIE PARFUMS, COULEURS ET SONS SE RÉPONDENT En dépit de ses poèmes, Charles Baudelaire n’était sans spontanée : des couleurs apparaissent comme en surim- doute pas lui-même un « synesthète », avance Edward pression sur des chiffres dessinés. Et, de fait, la zone de Hubbard, un jeune chercheur de l’équipe de Stanislas l’hémisphère gauche correspondant à la perception des Dehaene, au centre de neuro-imagerie NeuroSpin de couleurs est, chez lui, activée en même temps que sa Saclay. Pour lui, la synesthésie, une anomalie1 de la percep- voisine dédiée à la lecture des chiffres (ou d’autres tion sensorielle caractérisée par la perception d’une « graphèmes »). Ces synesthètes sont ainsi imbattables sensation supplémentaire à celle perçue normalement, est pour retrouver des chiffres dispersés dans un tableau. De d’abord une réalité toute scientifique. Son équipe vient la même façon, d’autres cerveaux synesthésiques asso- d’établir ce résultat grâce à la technique d’IRM fonction- cient l’audition de certains sons, voire de phonèmes nelle (IRMf) à haut champ qui permet d’identifier les zones prononcés, à des couleurs ou des goûts. Les mécanismes actives du cerveau, par exemple dans un processus de qui unissent ainsi des perceptions ne seraient pourtant perception consciente. Chez le synesthète, l’association est pas si atypiques et pour Edward Hubbard, ces particularités sont, grâce à l’RMf, autant d’outils d’investigation pour établir les bases des expériences conscientes. C. R. 1 Ce phénomène neurologique sans gravité concernerait une personne sur 23, soit environ 4% de la population. 1 1 Dans la synesthésie graphème-couleur, les deux zones s’activent de concert, de même pour l’association de sensations spatiales à celles de quantités. 11 Actualités FAIRE PROGRESSER LES IDÉES Physicien du Dapnia , Gabriel Chardin a reçu la médaille d’argent 2007 du CNRS, tout en devenant le nouveau directeur du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (CSNSM) du campus d’Orsay. Les raisons d’un choix… 1 bles d’expliquer un autre phénomène fondamental de l’univers, celui de l’énergie noire qui serait dans la période actuelle responsable de l’accélération de son expansion. JdS : Pourquoi dans un tel contexte avoir quitté le Dapnia pour le CSNSM ? GC : Même sur le campus d’Orsay, je n’ai pas vraiment changé d’activité, ni tout à fait quitté le Dapnia. Je garde un contact étroit avec Edelweiss car mon nouveau laboratoire est un partenaire fondateur de cette expérience. Il héberge des équipes pluridisciplinaires qui s’intéressent autant à la physique des particules et à l’astrophysique (« l’astroparticule ») qu’à la physique du solide à très basse température, et je Le Journal de Saclay : Quels sont les travaux récom- m'intéresse de très près aux détecteurs d’Edelweiss pensés aujourd’hui par cette médaille d’argent du de nouvelle génération qui y sont développés. En CNRS ? parallèle de la direction du CSNSM, je cherche à déve- Gabriel Chardin : Je me suis beaucoup intéressé à la lopper certaines idées de cosmologie permettant recherche directe de ce que les astrophysiciens appellent d’expliquer l’énergie noire par l'existence dans l’univers la matière noire, une matière invisible qui permettrait en de particules de « masse négative », une propriété que particulier d'expliquer les courbes de rotation des pourrait posséder l’antimatière6. Cette thématique est galaxies. Dès 1987, l’année où j'ai passé ma thèse sur le également étudiée au Dapnia dans le programme système binaire Cygnus-X3, j'ai été séduit par l’hypo- « Antihydrogène ». Ces voies de recherche sont origi- thèse qu’il ne s’agissait pas que de matière ordinaire, mais nales, mais alors que certains les jugent encore trop qu’il y avait peut-être là une possibilité de mettre en risquées, mes expériences sur l'astronomie gamma et évidence les particules « supersymétriques » dont les sur Edelweiss me suggèrent de persévérer : ce sont théoriciens prévoyaient l’existence, les Wimps . Je me souvent elles qui font avancer la science ! 2 3 suis donc attelé à la tâche de monter une expérience de détection. Ce fut un début de parcours assez difficile car les moyens ont tardé à venir. L’expérience Edelweiss4 s’est tout de même montée sous la forme d’une collaboration avec des laboratoires du CNRS et j’en suis devenu le responsable scientifique au Dapnia et le porte-parole. En 2003, j’ai suscité un projet similaire à l’échelle européenne5. Ce travail sur ces particules inconnues et les questions qu’elles posent, notamment sur la nature de la gravitation, m’ont conduit à écrire plusieurs ouvrages de vulgarisation* et à réfléchir sur de nouvelles voies suscepti- 12 1 Actualités JdS : Dans quelle mesure la charge de ce laboratoire de 1 Dapnia : Laboratoire de recherche sur les lois fondamentales de l’univers l’IN2P37 pourra-t-elle aider la progression de ces idées ? du CEA à Saclay. GC : Ma nouvelle situation m’offre une possibilité renouve- 2 Système binaire : association de deux astres proches l’un de l’autre. lée de renouer avec l’enseignement qui est l’une de mes 3 WIMPs : Weakly Interactive Massive Particles. préoccupations majeures depuis mon entrée à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Je dirige un thésard 4 Edelweiss : Expérience pour DEtecter Les Wimps En SIte Souterrain. 5 Elle rassemble les groupes des expériences CRESST, Edelweiss et Rosebud 6 L’antimatière est faite de particules symétriques des particules classiques, sur le thème des masses négatives et grâce à son travail mais dont les charges électriques sont inversées. et à son enthousiasme, nous avons pu cette année renfor- 7 IN2P3 : Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, cer efficacement le socle de cette nouvelle approche de la du CNRS. cosmologie. Propos recueillis par Claude Reyraud 1 L’observation des trajectoires des astres trahit la présence de matière noire au sein de cet amas de galaxies. 2 Montage de détecteurs de particules ultra-discrètes (« Wimps ») pour l’expérience Edelweiss. Des ouvrages de vulgarisation : ■ L’antimatière, une matière qui remonte le temps (Le Pommier) ■ Quand la science a dit… c’est bizarre ! (Le Pommier) ■ Qu’est ce que la flèche du temps ? (Le Pommier) 2 NANOTUBES SOUS HAUTE FRÉQUENCE Dans le nanomonde, diélectrophorèse, la propriété de transporteur électronique a hors pair des nanotubes de carbone fait des merveilles de encore de beaux jours rapidité qui laissent loin derrière les autres composants devant elle. Mis au moléculaires. point dans les labora- Cerise sur le gâteau, le procédé se déroulant à tempé- toires rature ambiante, il est compatible avec les matériaux la loi de Moore 1 de 1 l’Institut d’électronique, de plastiques et les polymères. « Ce procédé ouvre les portes microélectronique et à des applications révolutionnaires à bas coût », se félicite de nanotechnologie Vincent Derycke du SPEC pour qui ses nouveaux transis- de Lille et du Service tors devraient s’imposer partout où une très haute de physique de l’état fréquence est nécessaire. C. R. condensé (SPEC) du CEA à Saclay, des transistors viennent de quadrupler leur record d’août 2006 : tout en se montrant capables d’amplifier un signal à une fréquence 1 La loi de Moore prévoit le doublement de la complexité des systèmes électroniques tous les 18 mois. très élevée (20 GHz) ils ouvrent ou ferment un circuit plus 2 La diélectrophorèse permet de manipuler des particules avec des de 30 milliards de fois par seconde (30 GHz) ! champs électriques. Leur secret, un dépôt uniforme de nanotubes de carbone 3 Il s’agit du projet « HF-CNT » du Programme National en Nanosciences parfaitement alignés. Celui-ci a été réalisé par diélectro- et Nanotechnologies (PNANO). phorèse2, une technique développée dans le cadre d’un projet de l’Agence nationale de la recherche3. Grâce à la 1 Microscopie électronique d’un transistor à base de nanotubes de carbone déposés sur un substrat de silicium. 13 Actualités CARTOUCHES DE CURIETHÉRAPIE SOUS CONTRÔLE Les millions d’hommes affec- contrôle la géométrie de chaque tés par le cancer de la prostate implant, détecte l’absence du attendaient sans doute sans le marqueur radiographique, les savoir du impuretés radiochimiques (iode Henri 126, césium 137), qui émettent à le Laboratoire prototype national Becquerel (LNHB ). Guilhem des Douysset et son équipe vien- incompatibles avec le procédé, et 1 nent de présenter un dispositif de contrôle accéléré énergies plus élevées, finalement contrôle l’activité de 1 des chaque source. Un système de minuscules cartouches de curiethérapie remplies d’iode lévitation dans un flux d’air maintient la capsule devant les 125, un radio-élément à vie courte et émettant un rayon- instruments sans intervention humaine. « Le secret est que nement de basse énergie. La centaine d’implants placée notre dispositif fait aussi tourner la capsule sur elle-même, au cœur de la tumeur du malade ne doit atteindre que ne laissant aucune partie cachée et homogénéisant les cette dernière et la dose délivrée doit être connue très mesures d’activité » confie Guilhem Douysset, qui espère précisément. que le système, récemment breveté et qui pourrait traiter Devant l’incidence croissante de ce cancer, les usines qui toutes sortes d’objets de cette taille, sera bientôt mis en fabriquent ces cartouches sont confrontées au double œuvre dans un contexte de production industrielle. problème de garantir leur qualité et de faire face à une croissance explosive de leur production (10 millions d’unités en 2007). Aujourd’hui, les contrôles de production sont souvent réalisés manuellement, ce qui induit des risques d’erreur et expose les opérateurs au rayonnement. Grâce au LNHB, l’examen sera réalisé de manière automatisée en une quarantaine de secondes. Le prototype 1 Le LNHB est un laboratoire du CEA List (Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies). C. R. 1 Le prototype : l’implant est injecté et maintenu dans le tube vertical au centre du dispositif, dans la ligne de mire des instruments sans l’aide d’un opérateur. En haut à droite, l’implant dans son tube vertical. L’OCÉAN AUSTRAL N’ABSORBE PLUS DE CARBONE Des eaux plus chaudes, un corail qui blanchit… Ces puits de carbone de la planète stockent près de la moitié symptômes du réchauffement climatique risquent de des émissions de gaz carbonique dues à l’activité s’aggraver : l’océan Austral soumis à des vents croissants humaine, il en absorbait relâche désormais dans l’atmosphère le gaz carbonique à lui seul 15 % ». Cela stocké dans ses eaux au lieu de l’absorber. C’est ce que signifie révèle une étude internationale conduite par des scienti- encore davantage de gaz fiques de l’Université australienne d’East Anglia à laquelle carbonique participe le Laboratoire des sciences du climat et de atmosphère et donc encore l’environnement (LSCE). Basée sur quatre années de plus d’effet de serre. qu’il y dans aura notre mesures par 40 stations réparties sur la planète, cette étude confirme l’existence d’un cercle vicieux prévu par C. R. les modèles climatiques : renforcés par le réchauffement, les vents contribuent à brasser l’eau en profondeur, faisant remonter en surface le gaz carbonique. Pour Michel Ramonet, chercheur du LSCE, « cette saturation de l’océan Austral est préoccupante car, alors que les 14 1 Prélèvements d’eau de mer pour doser le gaz carbonique à différentes profondeurs. Actualités RÉACTEUR NUCLÉAIRE JULES HOROWITZ ZOOM SUR L’ÉPAISSEUR D’UNE GAINE La gaine qui enserre le combustible est, dans un réacteur Mol, en Belgique. La même structure d’oxydation a été nucléaire, la première des barrières retenant les produits observée dans les deux cas : une première couche de fission. Dans un réacteur de recherche comme Osiris à interne, amorphe, et une seconde, constituée de cristaux Saclay ou le futur réacteur Jules Horowitz (RJH) qui lui d’hydroxyde d’aluminium, formée au contact de l’eau. succédera à Cadarache, il est nécessaire de rapprocher L’expérience en réacteur montre que l’irradiation accélère les plaques de combustibles les unes des autres, pour la formation de la couche externe. Le travail des cher- 1 optimiser le flux de neutrons . Or sous l’effet de la tempé- cheurs consiste désormais à comprendre, grâce à des rature et des rayonnements, les gaines se corrodent en expérimentations complémentaires, le rôle joué par s’épaississant, diminuant ainsi l’espace libre pour la chacun des paramètres influant sur la corrosion. Avec un circulation de l’eau de refroidissement. Il faut donc objectif : prédire rigoureusement l’épaisseur de la gaine et garantir, tout au long d’une campagne d’irradiation, une de ses couches de corrosion dans divers scénarios. épaisseur de gaine maximale, couches de corrosion comprises, en même temps qu’une épaisseur minimale de gaine saine. Moins cher que le matériau utilisé dans les centrales nucléaires et plus résistant à haute température que celui d’Osiris, un alliage d’aluminium, de fer et de nickel (AlFeNi) équipe le réacteur à haut flux de Grenoble depuis près de trente ans, sans aucune rupture de gaine à signaler : cet alliage a donc été retenu pour le RJH. Les études et essais 1 de qualification en cours doivent permettre d’évaluer sa corrosion dans les conditions précises de fonctionnement 1 Les neutrons sont des particules produites par les réactions de fission. 2 Dispositif permettant de contrôler la pression et la température d’un du futur réacteur. milieu aqueux. Une équipe du Département des matériaux nucléaires de 3 Direction de la simulation et des outils expérimentaux de la Direction Saclay a pour cela testé ce matériau en autoclave2 et a de l’énergie nucléaire.. comparé les résultats obtenus avec une expérience réalisée par le CEA dans un réacteur nucléaire expérimental à 3 PRIX NOBEL LES 1 Image de microscope électronique à balayage (MEB) de la double couche d’oxyde obtenue après corrosion à 250°C de l’alliage AlFeNi. DE LA PAIX CLIMATOLOGUES À L’HONNEUR Des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement1 ont participé aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le prix Nobel de la paix a été attribué le 12 octobre à l'ancien vice-président américain Al Gore et au GIEC "pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l'homme et pour avoir posé les fondements des mesures nécessaires à la lutte contre ces changements". Directeur du LSCE, Robert Vautard explique : « l’attribution de ce Nobel témoigne du fait que la communauté des climatologues a porté sa science et ses réflexions au niveau des plus grandes problématiques humanistes. Le comité retient que l’action de l’homme sur l’environnement est avérée et que les questions relatives aux évolutions du climat sont entrées dans le champ de responsabilité de l’humanité. » Neuf membres du LSCE ont participé à la rédaction du dernier rapport du GIEC, en tout, plusieurs dizaines de chercheurs et d’ingénieurs ont contribué à la construction du modèle de climat de l'Institut Pierre Simon Laplace (IPSL). 1 LSCE : unité mixte CEA, CNRS, Université de Versailles-Saint-Quentin. 15 PRIX NOBEL ALBERT FERT ET DE PHYSIQUE 2007 PETER GRÜNBERG, Le prix Nobel de physique 2007 a été attribué à Albert Fert, Professeur à l’Université Paris-Sud 11 (Orsay), directeur scientifique de l’Unité mixte de recherche (UMR) CNRS/Thales (associée à l’Université Paris-Sud) et à Peter Grünberg, du Centre de recherches de Jülich, (Allemagne) pour leur découverte de la magnétorésistance géante (GMR). La GMR est notamment à l’origine de l’élaboration de têtes de lecture produites et commercialisées à des centaines de millions d’unités par an pour équiper tous les disques durs. DÉCOUVREURS DE LA GMR A. Fert (à gauche) P. Grünberg (à droite) Des chercheurs du centre CEA de Saclay travaillent quotidiennement avec l’UMR CNRS-Thales afin d’exploiter la GMR et la magnétorésistance tunnel, de réaliser de nouvelles couches magnétiques et de concevoir de nouveaux capteurs basés sur ces principes. CONFÉRENCE CYCLOPE MARDI 20 NOVEMBRE 2007 LES DÉFIS DE L’ANALYSE CHIMIQUE SUR LA TRACE DES ULTRA-TRACES Par Xavier Vitart, Christophe Poinssot, Patrick Mauchien, chercheurs au centre CEA de Saclay (Département de physico-chimie). Conférence animée par Fabienne Chauvière, journaliste. S herlock Holmes n’a qu’à bien se tenir avec ses méthodes antédiluviennes de détection de traces et d’indices matériels ! D’ailleurs il a été remplacé par « les experts ». Il leur suffit de faire « renifler » un billet de banque par le spectromètre de masse approprié pour analyser en quelques fractions de seconde le produit illicite qui souillait le doigt qui l’a manipulé! Santé, environnement, sécurité, respect des normes, compétitivité industrielle, progrès des connaissances, tout est prétexte à accélérer une course à la nouveauté, à la sensibilité, à la précision dans le domaine de l’analyse. L’enjeu est bien de disposer d’outils fiables et précis pour corréler des évènements, analyser des tendances, déceler et anticiper. Face à ces défis, l’analyse chimique, et plus largement les sciences analytiques, connaissent une grande mutation, avec des développements fulgurants dans l’analyse de traces et d’ultra-traces, la miniaturisation, l’analyse à distance ou l’augmentation des capacités d’analyse (automatisation). Laboratoires sur puces (labs-onchips) à usage unique, nano-analyses, traces et signatures de produits dopants, détection de malveillances terroristes, surveillance de l’environnement, analyse des rejets industriels, Un rover de la NASA explorera la surface de Mars en 2010. Il sera équipé du dispositif ChemCam, capable d’analyser les roches à distance par la technique LIBS (voir p.8). interrogation laser, tous ces mots nous interpellent au quotidien. Cette conférence montrera les bouleversements de l’analyse chimique au travers d’exemples et d’illustrations empruntés à l’actualité en présentant les outils, les moyens, les méthodes, face aux enjeux et aux besoins. Un éclairage tout particulier sera porté sur deux domaines emblématiques de cette course à la performance : l’analyse de traces et d’ultra-traces, véritable chasse aux records de limite de détection, et l’analyse par le rayonnement laser, qui permet d’ analyser en temps réel et à distance les combustibles nucléaires ou… les roches martiennes. Renseignements pratiques : Accès : ouvert à tous, entrée gratuite Lieu : Institut national des sciences et techniques nucléaires, Saclay (voir plan) Horaire : 20 heures Organisation/renseignements : Centre CEA de Saclay, Unité communication et affaires publiques Tél : 01 69 08 52 10 Adresse postale : 91191 Gif-sur-Yvette Cedex Les Jeudis du CEA 29 novembre 2007 à 19h, « Le Titanic : analyse d’une catastrophe annoncée », Par Michèle Nataf, Chef du service sécurité conventionnelle au Pôle Maîtrise des risques du CEA. Renseignements : Lieu : café de la FNAC Vélizy, centre commercial Vélizy 2, Entrée libre