Journal de Saclay n°38

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Journal de Saclay n°38
4e TRIMESTRE 2007 > N°38
Centre CEA de Saclay
LE JOURNAL
DOSSIER
Les défis de l’analyse chimique p.3
Coopération franco-chinoise p.2
Gabriel Chardin, « Faire progresser les idées » p.12
Prix Nobel de la Paix : les climatologues
à l’honneur p.15
Prix Nobel de Physique : A. Fert
et P. Grünberg p.16
Éditorial
Éditeur
Crédits photos
CEA (Commissariat
à l’énergie atomique)
Centre de Saclay
91191 Gif-sur-Yvette Cedex
CEA
CEA / D Marchand
CEA / F Vigouroux
CEA / E Blanchard
CEA / P Stroppa
CEA / Dapnia / JJ Bigot
CEA / LNHB
CEA / D Foulon
CEA / JL Lacour
NASA
CNRS photothèque/
JF Dars
CNRS photothèque/
S Godefroy
CNRS photothèque/
C Lebedinski
CNRS photothèque/
A Le Louarn
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IPEV / X Morin
Research Centre Jülich
Directeur
Yves Caristan
Directrice de la publication
Danièle Imbault
Rédacteur en chef
Christophe Perrin
Rédactrice en chef adjointe
Sophie Astorg
Iconographie
Chantal Fuseau
Avec la participation de
Claude Reyraud
Conception graphique
Mazarine
2, square Villaret de Joyeuse
75017 Paris
Tél. : 01 58 05 49 25
Photos de couverture :
N° ISSN 1276-2776
En haut, à gauche : amas de
galaxies abritant de la matière noire ; Centre CEA de Saclay
en bas, à gauche : préparation d’un Droits de reproduction,
détecteur de particules (Wimps) ;
texte et illustrations
en haut, à droite : analyse
réservés pour tous pays
chimique par ablation laser ;
en bas, à droite : corrosion d’un
alliage d’aluminium.
D
’ici à 2050,
recherche qui fassent l’objet d’un consensus
la consom-
à l’échelon communautaire.
mation mondiale
Cette initiative va dans le sens d’une
d’énergie devrait
concertation élargie et incitera au dialogue
presque doubler.
avec le grand public sur toutes les questions
Dans ce contexte,
qui le préoccupent.
face au défi du
Plus proche de nous, sur le Plateau de
réchauffement climatique, l’Europe dispose
Saclay, l’appel à idées lancé dans le cadre
aujourd’hui du premier secteur nucléaire
de l’Opération d’intérêt national a suscité
dans le monde, un tiers de son courant
de nombreux projets de mise en valeur, qui
électrique étant produit par des centrales
ont été exposés à Toussus-le-Noble. Les
nucléaires. Pour préparer l’avenir et
lauréats
maintenir l’avance européenne dans ce
L’aménagement du Plateau en termes de
domaine, une plateforme technologique
transport ou d’accueil hôtelier revêt à mes
pour l’énergie nucléaire durable a été
yeux une importance essentielle : c’est
mise en place en septembre à Bruxelles.
véritablement l’attractivité du pôle scienti-
Cette plateforme réunit les acteurs
fique, à l’horizon d’une vingtaine d’années,
européens du secteur, chercheurs et
qui est en jeu.
sont
maintenant
connus.
industriels, pour qu’ils partagent leur
vision du développement de cette
Sommaire n° 38
Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.2
Dossier : Les défis de l’analyse chimique . . p.3
Actualités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.11
Conférence Cyclope . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16
énergie et recommandent aux experts de
la Commission européenne et des
Yves Caristan,
gouvernements nationaux des axes de
Directeur du centre CEA de Saclay
COOPÉRATION
SCIENTIFIQUE FRANCO-CHINOISE
DEUX MINISTRES À NEUROSPIN
1
1 De gauche à droite : Denis Le Bihan, Directeur de
NeuroSpin, André Syrota, Directeur des sciences du
vivant du CEA, Valérie Pécresse, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Bernard Bigot,
Haut-commissaire du CEA, Wan Gang, Ministre chinois
de la recherche et de la technologie, Yves Caristan,
Directeur du centre CEA de Saclay et des sciences de
la matière, Jean-Pierre Leroux, Administrateur général
adjoint du CEA.
2 Le ministre Wan Gang, qui a été président de
l’université de Tongji, a pu rencontrer deux étudiants de
cet établissement, accueillis à Saclay pendant six mois
pour travailler dans le domaine des microprocesseurs.
Le CEA et la Chine entretiennent depuis
1978 une relation suivie au travers de multiples accords de coopération.
Le 18 septembre 2007, Valérie Pécresse,
ministre de l’Enseignement supérieur et de
la recherche et Wan Gang, ministre chinois
de la Science et de la technologie (MOST)
ont visité NeuroSpin, le centre de neuroimagerie cérébrale du CEA.
La veille, dans un discours prononcé à
l’École polytechnique, Wan Gang avait
détaillé trois domaines de la coopération
scientifique franco-chinoise : le futur réacteur
de fusion nucléaire ITER, les maladies
émergentes et les microprocesseurs. Sur
ce dernier thème, le MOST (représenté
notamment par l’université de Tongji),
STMicroelectronics, Bull et le CEA collaborent
au développement de nouveaux processeurs de type Godson1. Dans ce cadre,
deux étudiants de Tongji sont en stage de
six mois au List2, à Saclay et deux autres
étudiants leur succéderont pour six mois
encore.
1 Série de processeurs développés en Chine, concurrents
d’Intel et d’AMD.
2 List : Laboratoire d’intégration des systèmes et des
technologies, à Saclay et à Fontenay-aux-Roses.
2
L’ANALYSE CHIMIQUE
Développer des outils d’analyse pour répondre aux besoins exigeants du nucléaire, tel est le cœur
de métier du Département de physico-chimie (DPC), à Saclay. Ses compétences intéressent également des clients spécialistes d’autres domaines.
Prenez une solution contenant plusieurs dizaines d’éléments
Certains éléments chimiques, présents en quantités infini-
chimiques différents. La question posée peut être simple :
tésimales dans le combustible, peuvent faire obstacle aux
quelle est sa teneur en curium ? La réponse l’est beau-
réactions nucléaires et ainsi « empoisonner » le cœur d’un
coup moins, d’autant que l’échantillon, extrait d’un
réacteur. Affiner la connaissance des combustibles irra-
combustible nucléaire irradié, est hautement radioactif…
diés est également un enjeu de taille pour les recherches
Ce type de mesure est une spécialité du DPC. Depuis
sur la gestion des déchets nucléaires.
1989, les compétences d’analyses au service de la recherche
L’exploitation de ces outils d’analyse est le plus souvent
électronucléaire sont regroupées, au sein du CEA, dans
couplée à la simulation numérique, pour valider les codes
une entité qui est aujourd’hui au DPC. Ces analyses ne se
de calcul et les enrichir. C’est une démarche commune à
limitent pas à déterminer une teneur en un élément donné :
tous les moyens d’essais de la recherche électronucléaire,
elles peuvent porter sur un ou plusieurs isotopes de cet
qui vise à optimiser résultats et coûts.
1
Les défis de l’analyse chimique
LES DÉFIS DE
élément. Elles peuvent renseigner également sur son
environnement physico-chimique : a-t-il perdu ou gagné
Déporter la mesure et miniaturiser l’appareil
des électrons ? Comment est-il lié à ses proches voisins ?
L’environnement hostile du nucléaire, qui rime avec boîtes
Et qui sont ses voisins justement ?
à gants et cellules blindées, appelle des analyses déportées et, quelquefois, miniaturisées, pour atteindre des
Mesurer des « ultra-traces »
endroits difficiles d’accès. L’idée est de n’introduire que le
Les contraintes spécifiques au nucléaire ont orienté les
minimum de matériel dans la zone exposée aux rayonne-
travaux des chercheurs vers des « niches » de mesures.
ments ionisants et de reporter tout ce qui peut l’être en
L’une d’elles est la mesure de traces ou « ultra-traces ».
dehors. Les techniques laser s’y prêtent particulièrement.
Seule la lumière laser, voire une fibre optique qui résiste
bien aux rayonnements, pénètre dans la zone contrôlée.
Les techniques optiques sont fondées sur des échanges
extrêmement sélectifs entre lumière et matière : un atome
absorbe ou émet des « grains de lumière » (photons) dont
l’énergie diffère de manière mesurable suivant sa nature
chimique.
Le saviez-vous ?
Les techniques d’analyse mises en œuvre pour le nucléaire
s’avèrent des outils remarquables pour contrôler la qualité de
l’environnement.
1 Les isotopes d’un même élément ne se distinguent que par des
1
masses différentes. Ils ont tous les mêmes propriétés chimiques.
1 Appareil de spectrométrie de masse à ionisation thermique,
en boîte à gants.
3
Les défis de l’analyse chimique
QU’Y A-T-IL
DANS UN COMBUSTIBLE
NUCLÉAIRE IRRADIÉ ?
Derrière chaque analyse de traces ou d’ultra-traces, se cachent un travail de préparation immense et une multitude
de mesures.
l’appareil d’analyse. Lorsque l’élément à analyser est
purifié, on mesure sa concentration1 et celle du traceur
au spectromètre de masse. C’est cette partie mesure qui
m’occupe et me passionne vraiment !
JdS : Sur quoi travaillez-vous ?
H.I. : Nous travaillons le plus souvent sur une matière
contenant des isotopes « exotiques » de la plupart des
éléments chimiques : le combustible irradié. C’est dire à
quel point la modélisation du cœur d’un réacteur est
délicate. Les concepteurs des codes de simulation sont
avides de données toujours plus précises. Ce sont eux
nos clients « naturels ».
En ce moment, nous nous apprêtons à analyser une
cinquantaine d’échantillons irradiés dans le réacteur
1
expérimental Phénix2, à Marcoule, dans le cadre des
études menées par le CEA sur la transmutation des
Interview d’Hélène Isnard,
déchets nucléaires. Chaque échantillon contient un seul
chercheuse au Service d’études du comportement
des radionucléides (DPC).
élément, enrichi en un de ses isotopes, de manière à
simplifier l’interprétation de l’irradiation.
Journal de Saclay : Quelle est votre spécialité ?
H.I. : Géologue de formation, je suis spécialisée en géochimie
JdS : Quelles difficultés rencontrez-vous dans ces
isotopique. Pour dater les roches, je me suis familiarisée
expériences ?
avec des techniques comme la spectrométrie de masse*.
H.I. : Les échantillons, quelques milligrammes de
Cette compétence est au cœur de mon travail d’« instru-
poudre, sont conditionnés dans plusieurs boîtiers gigo-
mentaliste » au DPC, pour analyser cette fois des matériaux
gnes en inox. Après irradiation, il est très difficile d’ex-
nucléaires en boîtes à gants.
traire la poudre seule, sans gratter le boîtier le plus
interne, voire même sans le dissoudre. Or, introduire de
4
JdS : Comment se déroule une mesure ?
l’inox dans l’échantillon, c’est ajouter plusieurs éléments
H.I. : Nous cherchons à mesurer une concentration extrê-
indésirables, qu’il faudra éliminer. On sait déjà que
mement faible d’un élément ou, pour être plus précis, d’un
certaines
isotope. Pour cela, nous mettons en œuvre la technique
analysées si on doit dissoudre les boîtiers. C’est pour-
de la dilution isotopique : l’astuce consiste à incorporer à
quoi nous collaborons avec des équipes de Marcoule et
l’échantillon un traceur isotopique parfaitement connu. Il
Cadarache à la conception de l’outil d’ouverture de
faut ensuite éliminer tous les autres éléments, par chroma-
boîtiers en télémanipulation. Pour l’instant, nous testons
tographie ou grâce à une cellule de collisions, intégrée à
cet outil sur des boîtiers non radioactifs.
* Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés.
poudres
ne
pourront
pas
être
Les défis de l’analyse chimique
JdS : Comment se déroule une campagne de mesures ?
H.I. : En pratique, chaque campagne soulève de nouvelles
questions, tant est large l’éventail des éléments et isotopes
intéressant le nucléaire. Peu de publications scientifiques
abordent en effet ces thématiques analytiques. Il faut
donc, presqu’à chaque fois, inventer le mode opératoire
de séparation et d’analyse ! Les chimistes de l’équipe
doivent, par exemple, identifier un gaz capable de réagir
spécifiquement avec chacun des éléments à séparer, à
l’intérieur de la cellule de collisions.
L’analyse par spectrométrie de masse exige, elle aussi, de
longues études préliminaires. Il faut appréhender la sensi-
3
bilité de la mesure pour chaque élément, puis définir,
approvisionner et caractériser les traceurs isotopiques,
maintenance préventive régulière, on est souvent
vérifier enfin la stabilité chimique des solutions. Il faut par
confronté à des dysfonctionnements qu’il faut savoir
ailleurs s’assurer que les spectres obtenus ne se superpo-
diagnostiquer. Il est quelquefois nécessaire de démonter
sent pas avec celui d’un élément qui serait produit par une
une partie de l’appareil pour retrouver des performances
recombinaison d’éléments dans la cellule de collisions.
normales. Au laboratoire, nous sommes deux à connaître
Une séparation par chromatographie dure plusieurs
vraiment à fond la machine.
heures, une analyse par spectrométrie de masse un quart
d’heure mais le travail de préparation s’étale sur plusieurs
JdS : Vous arrive-t-il de réaliser des analyses hors du
mois. Dans ce contexte très spécifique, la qualité du travail
secteur nucléaire ?
repose avant tout sur la cohésion de l’équipe plus que sur
H.I. : Oui, cela arrive régulièrement. Nous avons par exemple
les compétences d’une personne en particulier. Ce travail
effectué des analyses de terre provenant de la grotte
d’équipe est un des « moteurs » de mon activité profes-
préhistorique de Lazaret, près de Nice. Nous avons égale-
sionnelle au quotidien.
ment participé à une étude sur la composition isotopique
de coraux anciens, aux côtés de climatologues du LSCE4 :
JdS : Comment apprivoise-t-on un spectromètre de
3
masse ICPMS-MC ?
il s’agissait cette fois de reconstituer l’évolution de l’acidité
des océans, pour mieux connaître les climats du passé.
H.I. : Ces instruments très complexes n’existent que
depuis une dizaine d’années et se comptent sur les doigts
1 Si dans l’échantillon, l’élément est présent sous la forme de plusieurs
de la main en France. Chaque journée commence par une
isotopes, le spectromètre de masse permet de mesurer la concentration
heure de réglages. Il faut « sentir » l’appareil. Malgré une
relative de chacun d’eux (isotopie).
2 Phénix : réacteur expérimental à neutrons rapides au centre CEA de
Marcoule où sont notamment étudiés des procédés de transmutation de
déchets nucléaires.
3 ICPMS-MC : Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometer with
Multicollection.
4 LSCE : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement
(laboratoire mixte CEA, CNRS et Université Versailles-Saint-Quentin).
1 Hélène Isnard est une experte de la spectrométrie de masse ICPMS-MC.
2 Appareil d’analyse chimique par spectrométrie de masse.
2
3 Les échantillons à analyser sont conditionnés dans des boîtiers difficiles à
ouvrir après irradiation. Test du dispositif d’ouverture de ces boîtiers.
5
Les défis de l’analyse chimique
La chromatographie liquide :
séparer les constituants
d’un mélange
1
Versez dans un récipient
transparent du sable, puis
de la menthe à l’eau : si la
colonne de sable traversée
est assez haute, vous
observez la séparation
progressive du liquide vert
en deux couches bleue et
jaune. C’est un chromatographe liquide !
Les colorants de la menthe
constituent le mélange de
molécules à séparer. L’eau un solvant dans le cas le
plus général - sert à entraîner les molécules le long
d’un support fixe, ici le
sable. Les molécules
composant la couche bleue
« s’accrochent » davantage
aux grains de sable et
2
descendent moins vite que celles de la couche jaune. Leurs
affinités chimiques différentes permettent de séparer les deux
familles.
Dans tous les chromatographes liquides, les constituants du
mélange, mobiles le long d’un support, voient leurs vitesses
affectées par leurs interactions avec le support. Ces interactions peuvent s’expliquer par la nature chimique ou électrostatique des constituants, ou encore par leurs tailles.
Le chimiste peut récupérer ensuite les fractions séparées pour
effectuer une analyse par spectrométrie de masse par exemple.
1 Colonne de chromatographie.
2 Chromatographie liquide en boîte à gants.
Gaine ZR
Nd
La spectrométrie de masse :
peser des isotopes
Impossible de distinguer les isotopes d’un même élément
chimique avec une simple balance !
Les spécialistes de l’analyse accomplissent cette prouesse grâce
au spectromètre de masse. Cet appareil est fondé sur un principe
très éloigné de la gravité : la déviation de la trajectoire d’une
particule chargée par un champ magnétique.
La première étape consiste à « vaporiser » les atomes ou les
molécules de l’échantillon et à leur arracher (ou au contraire
leur donner) un ou plusieurs électrons 1 : ils deviennent alors
des ions, qui sont justement des particules chargées électriquement. Les techniques d’ionisation, très variées, utilisent un
plasma1, une sorte de flamme très chaude, ou encore le
bombardement d’électrons.
Aimant
2
Ce
Mo
Tc Ru
Cs
Rh
Ag
Sm
Eu
Gd
1
Les ions sont accélérés dans un champ électrique 2 , selon le
même principe que dans les accélérateurs de particules.
Ils traversent ensuite un champ magnétique, qui courbe leurs
trajectoires 3 . La courbure observée est d’autant plus forte
que la masse de l’ion est faible et sa charge électrique élevée.
En fin de chaîne, un détecteur compte les ions, en les triant
par masses2 4 : c’est le spectre de masse !
La spectrométrie de masse sert à identifier des molécules ou à
définir leur structure, ou encore à mesurer la concentration et
l’isotopie des éléments. Elle intéresse pratiquement tous les
secteurs scientifiques : physique, astrophysique, chimie,
dosages, biologie, médecine, etc.
1 Plasma : état de la matière constitué d’un gaz, porté à haute
Accélération
température et partiellement ionisé.
4
3
Collection
2 Plus précisément le rapport de la masse de l’ion à sa charge électrique.
Dispersion magnétique
1 Spectre de masse (ICPMS) montrant les produits de fission contenus
1
6
Injection-ionisation
dans une solution de combustible usé.
Les mesures LIBS1, effectuées à distance, peuvent s’accommoder des environnements les plus sévères, comme
certaines boîtes à gants de la recherche électronucléaire, ou la planète Mars…
Certains réacteurs nucléaires de future génération, utilisant
Rendez-vous en 2008 pour les premiers résultats en
des sels fondus, pourraient extraire en continu certains
vraie grandeur !
éléments non valorisables, présents dans le combustible
irradié, comme l’américium, le curium ou le neptunium.
Une aventure martienne
Des chercheurs du centre CEA de Marcoule étudient des
Un autre défi attend les experts de la LIBS : Mars !
procédés chimiques d’extraction de ces éléments dans
Embarqué à bord du rover de la NASA « Mars Science
cette perspective. Les réactions chimiques doivent avoir
Laboratory », le dispositif ChemCam observera les roches
lieu à haute température (900°C) et à l’intérieur de boîtes à
grâce à une caméra haute définition et analysera par LIBS
gants, car ces éléments sont très radioactifs. Suivre
leur composition chimique à distance (jusqu’à dix mètres).
l’avancement des réactions, dans ces conditions de
Associés à leurs collègues du Centre d’études spatiales
température, de corrosion et d’exposition aux rayonnements
des rayonnements (Unité mixtes CNRS, Université Paul
ionisants, est un défi que seule la LIBS pouvait relever.
Sabatier de Toulouse) pour cette mission de la NASA, les
L’appareil d’analyse reste hors zone radioactive. Seuls les
chercheurs du DPC ont participé à la définition du cahier
faisceaux laser franchissent les hublots de la boîte à gants
des charges de l’instrument et à l’évaluation expérimentale
et celles du four : ils acheminent dans un sens la puis-
de ses performances. Des expériences conduites en
sance laser nécessaire à la vaporisation superficielle de
ambiance martienne simulée ont d’ores et déjà permis de
l’échantillon et au retour, les signaux lumineux émis par les
classer diverses roches terrestres en fonction de leur
éléments à doser.
signature en LIBS. Le lancement est prévu fin 2009.
Une longue et minutieuse enquête
1 LIBS : Laser Induced Breakdown Spectroscopy.
Les défis de l’analyse chimique
DES ANALYSES LASER EN MILIEU EXTRÊME
Un dispositif expérimental de LIBS, mis au point au DPC
à Saclay, a été installé à Marcoule où il équipe une boîte à
gants. Il a été testé avec succès dans une situation simplifiée
où en particulier, l’élément radioactif est remplacé par un
« fantôme » non radioactif, le cérium.
Ce résultat important a été précédé par une longue et
minutieuse enquête. « Pour être sûr de pouvoir interpréter
les spectres demandés, j’ai dû rechercher l’ensemble des
raies susceptibles d’être émises par la quarantaine d’éléments en présence et vérifier que, dans la gamme des
compositions possibles de l’échantillon, il y ait au moins
une raie par élément qui soit isolée », explique Daniel
Lhermite, chercheur au DPC. « Sinon, on ne sait pas à quel
élément attribuer le signal. Dans ce cas précis, près de
2 700 raies ont ainsi été recensées et traitées » !
La prochaine étape consistera à automatiser le disposi-
1
tif de LIBS et à mettre en place le four, avant de « passer
en actif », c’est-à-dire introduire dans la boîte à gants les
éléments radioactifs nécessaires à l’expérience.
* Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés.
1 L’expérience de LIBS, développée à Saclay, est opérationnelle
en boîte à gants, à Marcoule.
7
Les défis de l’analyse chimique
Zoom
// Un large éventail
d’applications
La LIBS peut être associée à une fonction de décapage spécialisé,
comme l’ont montré des essais sur des composants du démonstrateur de fusion nucléaire JET1, en Grande-Bretagne.
Elle peut également lire une biopuce. Une étude, menée au DPC
en collaboration avec une équipe de la Direction des sciences du
vivant du centre CEA de Fontenay-aux-Roses, montre que la LIBS
autorise une analyse quantitative de la biopuce, et non pas
seulement qualitative, comme c’est le cas aujourd’hui avec la
détection de marqueurs fluorescents. S’affranchir de ces
marqueurs, susceptibles de modifier la réactivité chimique des
molécules étudiées, est un atout supplémentaire pour la LIBS.
1 JET : Joint European Torus.
1 Instrumentation de laboratoire permettant d’analyser par LIBS des
échantillons de roches, dans des conditions proches de celles qui
1
règnent sur la planète Mars.
La LIBS : analyser tous
les éléments d’un matériau
La LIBS repose sur l'analyse de la lumière émise par un plasma
créé par laser.
Un faisceau laser de forte intensité focalisé sur un matériau
provoque un claquage à sa surface, créant juste au-dessus
d’elle un plasma de même composition que le matériau. Pour
retrouver un état plus stable, chaque ion (ou atome) excité du
plasma émet une « lumière » spécifique, composée de raies
lumineuses, dont les longueurs d’onde1 sont caractéristiques de
sa nature. Le spectre de la lumière émise par le plasma, c’est-àdire son analyse en longueurs d’onde, permet de retrouver les
différents éléments qui composent le mélange. Leurs concentrations peuvent être obtenues à partir de courbes d'étalonnage
acquises au préalable.
1
Contrairement à la plupart des techniques d’analyse chimique,
la LIBS n’exige ni prélèvement, ni préparation d’échantillon.
Elle permet d’analyser rapidement une grande variété de
matériaux : solides, liquides, gaz ou aérosols. « Tout optique »,
la LIBS se prête particulièrement à des analyses à distance dans
des environnements hostiles : hautes températures, ambiance
corrosive ou radioactive…
1 Longueur d’onde : couleur ou énergie de la lumière.
Longueur d’ondes (nanomètres)
1 On distingue la lumière émise par le plasma créé par laser.
La LIBS repose sur l’analyse de cette lumière.
8
* Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés.
La microscopie optique « en champ proche », revisitée par des physiciens du DPC, se révèle un outil original
d’analyse de surface, doté d’une résolution nanométrique1.
Si la microscopie optique en champ proche (SNOM2)
Pour les chimistes qui étudient la migration des radioélé-
connaît une carrière commerciale depuis environ une
ments à travers les barrières d’un stockage radioactif, ces
dizaine d’années, les chercheurs développent souvent
informations qualitatives sont précieuses.
Les défis de l’analyse chimique
UN EXAMEN PHYSICO-CHIMIQUE
« À LA LOUPE »
eux-mêmes leur appareil, à partir d’un microscope à force
atomique (AFM3). La pointe de l’AFM, qui « palpe » la
De l’europium dans un verre
surface à analyser, est alors remplacée par une fibre
Dans cette perspective, l’analyse par SNOM d’ions4 euro-
optique, qui peut apporter ou recueillir un signal optique.
pium5 dans une matrice de verre s’est révélée fructueuse.
C’est son diamètre qui limite la résolution spatiale, qui
« Nous avons eu la surprise de découvrir, à quelques
peut atteindre une cinquantaine de nanomètres. De
microns de distance seulement, des domaines présentant
nombreuses configurations peuvent être expérimentées,
des caractéristiques bien différenciées », s’enthousiasme
autour d’un principe général : la fluorescence laser. Les
François Viala, chercheur au DPC. « Ils se distinguent à la
chercheurs du DPC ont choisi de mettre en œuvre des
fois par le relief de la surface et par l’allure des spectres
mesures spectrales résolues dans le temps, une tech-
d’europium. L’importance relative des raies composant le
nique bien adaptée a priori aux éléments impliqués dans
spectre est modifiée localement. Ces changements coïn-
la problématique du stockage des déchets nucléaires. Les
cident avec des régions où le verre a conservé sa structure
spectres de fluorescence des atomes sondés recèlent des
désordonnée (ou amorphe) ou au contraire, a acquis un
informations sur leur environnement physico-chimique.
caractère plus organisé (polycristallin). »
Ainsi, la dissymétrie d’une raie ou un décalage spectral
De la même manière, des analyses sur cet élément, mais
peuvent trahir l’identité d’atomes voisins ou le nombre de
dans un cristal d’alumine cette fois, ont mis en évidence
molécules d’eau présentes dans une sphère rapprochée.
des modifications spectrales, associées à l’orientation du
L’analyse peut être effectuée dans des conditions repré-
plan cristallin observé. Les ions se lient en effet à des sites
sentatives de l’environnement d’étude, ce qui est impossi-
chimiques différents suivant leur localisation à l’intérieur du
ble en opérant sous vide par des méthodes non optiques.
cristal d’alumine.
1
Étudier la migration de
radioéléments
à travers l’argile
L’objectif des chercheurs est, à terme,
d’analyser la migration de radioéléments à travers une barrière d’argile.
Après avoir traité le cas d’un ion dans
un cristal, ils s’attaqueront à celui d’une
grosse molécule organique entourant
un ion. Dans un troisième temps enfin,
ils aborderont le problème complexe
de l’ion dans une argile. Cette roche
contient en effet des substances
9
Les défis de l’analyse chimique
humiques, provenant de la dégradation de matières
vivantes. Ce milieu naturel compte un patchwork
d’espèces chimiques aux propriétés aussi variées que
possible. Sur des distances de l’ordre de 100 nanomètres,
ces espèces diffusent, s’interpénètrent et réagissent
chimiquement les unes avec les autres. Une modélisation
macroscopique de ce milieu passe donc impérativement
par la compréhension de phénomènes à une échelle très
locale, justement cohérente avec la résolution spatiale de
la SNOM. Cette technique pourra-t-elle répondre à l’une
des questions en suspens : comment les substances
2
humiques affectent-elles la mobilité des radioéléments
dans le milieu naturel ?
1 Nanomètre (nm) : milliardième de mètre.
2 SNOM : Scanning Near-field Optical Microscopy.
1 Système de microscopie optique en champ proche développé
3 AFM : Atomic Force Microscopy.
au DPC.
4 Ion : atome qui a perdu ou gagné un ou plusieurs électrons.
2 Le signal de fluorescence enregistré lorsque l’échantillon est
5 Europium : cet élément est souvent utilisé comme un modèle non
illuminé par le laser fournit des informations à l’échelle de
50 milliardièmes de mètre.
radioactif (ou « fantôme ») d’éléments présents dans les déchets nucléaires
vitrifiés.
La SNOM : une spectroscopie à échelle nanométrique !
Dans un microscope classique, une source de lumière
éclaire la surface à étudier. Celle-ci émet à son tour
une lumière, qui traverse des lentilles jusqu’à l’œil
de l’observateur : les lois de la diffraction interdisent
alors de distinguer deux points distants de moins
d’une fraction de micromètre1 !
Pour s’affranchir de cette limite, la microscopie
optique en champ proche (SNOM) utilise, non plus
des lentilles, mais une fibre optique effilée 1 , en
guise de sonde locale. Cette sonde, située à quelques
nanomètres seulement de la surface échantillon 2
« aspire » en quelque sorte une lumière piégée au
voisinage de la surface, appelée onde évanescente 3 .
Un dispositif électronique 4 permet de maintenir
constante la distance entre la sonde et l’échantillon
pendant le balayage de la surface et de dessiner,
point par point, une image topographique 5 de
celle-ci. Par ailleurs, l’analyse spectrale de l’onde
évanescente 6 fournit des informations physicochimiques sur les molécules de la surface.
Avec une résolution spatiale dix fois supérieure2 à
celle de la microscopie classique, la SNOM ouvre la
voie à la spectroscopie à échelle nanométrique !
Mouvement de balayage de l'échantillon
1 Fibre
optique
Onde
lumineuse
4 Analyseur
contrôle
de la distance
et balayage
Piezoscanner
Piezoscanner
Source
de lumière
2
1 Fibre
optique
Onde
lumineuse
captée
Image de la surface
5
6
Spectre
10 nm
2
Échantillon
1 Micromètre : millionième de mètre.
2 La résolution spatiale est limitée par la dimension de l’extrémité de la fibre, voisine de cinquante nanomètres.
1
1 A gauche, carte topographique obtenue par SNOM. A droite, spectres de
fluorescence des zones A et B.
10
3 Onde
évanescente
Balayage de l'échantillon
* Les mots en orange sont expliqués dans les encadrés.
Actualités
BIENTÔT UNE PUCE ANTI-PANNE
1
Quatre kilomètres… C’est la
d’un signal sur les défauts qu’il rencontre, un principe qui
longueur totale des câbles élec-
s’applique également aux circuits. « Un mauvais contact
triques dans une voiture actuelle.
ou une résistance parasite, qui apparaîtrait, par exemple,
Depuis la Dauphine de 1956 et
dans les 400 km de câbles d’un Airbus A 380, serait
ses quelque 200 mètres de fils
localisé à quelques centimètres près ! », annonce Fabrice
cumulés, les
véhicules ont
Auzanneau, responsable du LFSE. Les algorithmes
gagné en sécurité, sans que soit
développés dans son laboratoire tiennent sur une carte
résolu le problème des pannes
informatique et pourraient, à terme, tenir sur une puce
électriques. Le Laboratoire de
regroupant toutes les fonctions nécessaires au diagnostic.
fiabilisation
Une puce anti-panne…
des
systèmes
embarqués (LFSE) du List vient
C. R.
1
de dévoiler un prototype qui sera sans doute plébiscité.
Ce système de diagnostic de liaisons filaires, réutilise le
1 Laboratoire d'Intégration des Systèmes et des Technologies.
principe du radar afin de prévenir leurs défaillances. Il se
base sur la « réflectométrie », ou l’étude de la réflexion
1 Prototype en cours de test sur des câbles de camion.
SYNESTHÉSIE
PARFUMS, COULEURS ET SONS SE RÉPONDENT
En dépit de ses poèmes, Charles Baudelaire n’était sans
spontanée : des couleurs apparaissent comme en surim-
doute pas lui-même un « synesthète », avance Edward
pression sur des chiffres dessinés. Et, de fait, la zone de
Hubbard, un jeune chercheur de l’équipe de Stanislas
l’hémisphère gauche correspondant à la perception des
Dehaene, au centre de neuro-imagerie NeuroSpin de
couleurs est, chez lui, activée en même temps que sa
Saclay. Pour lui, la synesthésie, une anomalie1 de la percep-
voisine dédiée à la lecture des chiffres (ou d’autres
tion sensorielle caractérisée par la perception d’une
« graphèmes »). Ces synesthètes sont ainsi imbattables
sensation supplémentaire à celle perçue normalement, est
pour retrouver des chiffres dispersés dans un tableau. De
d’abord une réalité toute scientifique. Son équipe vient
la même façon, d’autres cerveaux synesthésiques asso-
d’établir ce résultat grâce à la technique d’IRM fonction-
cient l’audition de certains sons, voire de phonèmes
nelle (IRMf) à haut champ qui permet d’identifier les zones
prononcés, à des couleurs ou des goûts. Les mécanismes
actives du cerveau, par exemple dans un processus de
qui unissent ainsi des perceptions ne seraient pourtant
perception consciente. Chez le synesthète, l’association est
pas si atypiques et pour Edward Hubbard, ces particularités sont, grâce à l’RMf, autant d’outils d’investigation pour
établir les bases des expériences conscientes.
C. R.
1 Ce phénomène neurologique sans gravité concernerait une personne
sur 23, soit environ 4% de la population.
1
1 Dans la synesthésie graphème-couleur, les deux zones
s’activent de concert, de même pour l’association
de sensations spatiales à celles de quantités.
11
Actualités
FAIRE PROGRESSER LES IDÉES
Physicien du Dapnia , Gabriel Chardin a reçu la médaille d’argent 2007 du CNRS, tout en devenant le nouveau
directeur du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (CSNSM) du campus d’Orsay. Les
raisons d’un choix…
1
bles d’expliquer un autre phénomène fondamental de
l’univers, celui de l’énergie noire qui serait dans la
période actuelle responsable de l’accélération de son
expansion.
JdS : Pourquoi dans un tel contexte avoir quitté le
Dapnia pour le CSNSM ?
GC : Même sur le campus d’Orsay, je n’ai pas vraiment
changé d’activité, ni tout à fait quitté le Dapnia. Je
garde un contact étroit avec Edelweiss car mon
nouveau laboratoire est un partenaire fondateur de
cette expérience. Il héberge des équipes pluridisciplinaires qui s’intéressent autant à la physique des particules et à l’astrophysique (« l’astroparticule ») qu’à la
physique du solide à très basse température, et je
Le Journal de Saclay : Quels sont les travaux récom-
m'intéresse de très près aux détecteurs d’Edelweiss
pensés aujourd’hui par cette médaille d’argent du
de nouvelle génération qui y sont développés. En
CNRS ?
parallèle de la direction du CSNSM, je cherche à déve-
Gabriel Chardin : Je me suis beaucoup intéressé à la
lopper certaines idées de cosmologie permettant
recherche directe de ce que les astrophysiciens appellent
d’expliquer l’énergie noire par l'existence dans l’univers
la matière noire, une matière invisible qui permettrait en
de particules de « masse négative », une propriété que
particulier d'expliquer les courbes de rotation des
pourrait posséder l’antimatière6. Cette thématique est
galaxies. Dès 1987, l’année où j'ai passé ma thèse sur le
également étudiée au Dapnia dans le programme
système binaire Cygnus-X3, j'ai été séduit par l’hypo-
« Antihydrogène ». Ces voies de recherche sont origi-
thèse qu’il ne s’agissait pas que de matière ordinaire, mais
nales, mais alors que certains les jugent encore trop
qu’il y avait peut-être là une possibilité de mettre en
risquées, mes expériences sur l'astronomie gamma et
évidence les particules « supersymétriques » dont les
sur Edelweiss me suggèrent de persévérer : ce sont
théoriciens prévoyaient l’existence, les Wimps . Je me
souvent elles qui font avancer la science !
2
3
suis donc attelé à la tâche de monter une expérience de
détection. Ce fut un début de parcours assez difficile car
les moyens ont tardé à venir. L’expérience Edelweiss4
s’est tout de même montée sous la forme d’une collaboration avec des laboratoires du CNRS et j’en suis devenu
le responsable scientifique au Dapnia et le porte-parole.
En 2003, j’ai suscité un projet similaire à l’échelle européenne5. Ce travail sur ces particules inconnues et les
questions qu’elles posent, notamment sur la nature de la
gravitation, m’ont conduit à écrire plusieurs ouvrages de
vulgarisation* et à réfléchir sur de nouvelles voies suscepti-
12
1
Actualités
JdS : Dans quelle mesure la charge de ce laboratoire de
1 Dapnia : Laboratoire de recherche sur les lois fondamentales de l’univers
l’IN2P37 pourra-t-elle aider la progression de ces idées ?
du CEA à Saclay.
GC : Ma nouvelle situation m’offre une possibilité renouve-
2 Système binaire : association de deux astres proches l’un de l’autre.
lée de renouer avec l’enseignement qui est l’une de mes
3 WIMPs : Weakly Interactive Massive Particles.
préoccupations majeures depuis mon entrée à l’École
normale supérieure de Saint-Cloud. Je dirige un thésard
4 Edelweiss : Expérience pour DEtecter Les Wimps En SIte Souterrain.
5 Elle rassemble les groupes des expériences CRESST, Edelweiss et Rosebud
6 L’antimatière est faite de particules symétriques des particules classiques,
sur le thème des masses négatives et grâce à son travail
mais dont les charges électriques sont inversées.
et à son enthousiasme, nous avons pu cette année renfor-
7 IN2P3 : Institut national de physique nucléaire et de physique des particules,
cer efficacement le socle de cette nouvelle approche de la
du CNRS.
cosmologie.
Propos recueillis par Claude Reyraud
1 L’observation des trajectoires des astres trahit la présence de
matière noire au sein de cet amas de galaxies.
2 Montage de détecteurs de particules ultra-discrètes (« Wimps »)
pour l’expérience Edelweiss.
Des ouvrages de vulgarisation :
■ L’antimatière, une matière qui remonte le temps
(Le Pommier)
■ Quand la science a dit… c’est bizarre ! (Le Pommier)
■ Qu’est ce que la flèche du temps ? (Le Pommier)
2
NANOTUBES SOUS HAUTE FRÉQUENCE
Dans le nanomonde,
diélectrophorèse, la propriété de transporteur électronique
a
hors pair des nanotubes de carbone fait des merveilles de
encore de beaux jours
rapidité qui laissent loin derrière les autres composants
devant elle. Mis au
moléculaires.
point dans les labora-
Cerise sur le gâteau, le procédé se déroulant à tempé-
toires
rature ambiante, il est compatible avec les matériaux
la loi de Moore
1
de
1
l’Institut
d’électronique,
de
plastiques et les polymères. « Ce procédé ouvre les portes
microélectronique et
à des applications révolutionnaires à bas coût », se félicite
de nanotechnologie
Vincent Derycke du SPEC pour qui ses nouveaux transis-
de Lille et du Service
tors devraient s’imposer partout où une très haute
de physique de l’état
fréquence est nécessaire.
C. R.
condensé (SPEC) du CEA à Saclay, des transistors viennent de quadrupler leur record d’août 2006 : tout en se
montrant capables d’amplifier un signal à une fréquence
1 La loi de Moore prévoit le doublement de la complexité des systèmes
électroniques tous les 18 mois.
très élevée (20 GHz) ils ouvrent ou ferment un circuit plus
2 La diélectrophorèse permet de manipuler des particules avec des
de 30 milliards de fois par seconde (30 GHz) !
champs électriques.
Leur secret, un dépôt uniforme de nanotubes de carbone
3 Il s’agit du projet « HF-CNT » du Programme National en Nanosciences
parfaitement alignés. Celui-ci a été réalisé par diélectro-
et Nanotechnologies (PNANO).
phorèse2, une technique développée dans le cadre d’un
projet de l’Agence nationale de la recherche3. Grâce à la
1 Microscopie électronique d’un transistor à base de nanotubes
de carbone déposés sur un substrat de silicium.
13
Actualités
CARTOUCHES DE CURIETHÉRAPIE SOUS CONTRÔLE
Les millions d’hommes affec-
contrôle la géométrie de chaque
tés par le cancer de la prostate
implant, détecte l’absence du
attendaient sans doute sans le
marqueur radiographique, les
savoir
du
impuretés radiochimiques (iode
Henri
126, césium 137), qui émettent à
le
Laboratoire
prototype
national
Becquerel (LNHB ). Guilhem
des
Douysset et son équipe vien-
incompatibles avec le procédé, et
1
nent de présenter un dispositif
de
contrôle
accéléré
énergies
plus
élevées,
finalement contrôle l’activité de
1
des
chaque source. Un système de
minuscules cartouches de curiethérapie remplies d’iode
lévitation dans un flux d’air maintient la capsule devant les
125, un radio-élément à vie courte et émettant un rayon-
instruments sans intervention humaine. « Le secret est que
nement de basse énergie. La centaine d’implants placée
notre dispositif fait aussi tourner la capsule sur elle-même,
au cœur de la tumeur du malade ne doit atteindre que
ne laissant aucune partie cachée et homogénéisant les
cette dernière et la dose délivrée doit être connue très
mesures d’activité » confie Guilhem Douysset, qui espère
précisément.
que le système, récemment breveté et qui pourrait traiter
Devant l’incidence croissante de ce cancer, les usines qui
toutes sortes d’objets de cette taille, sera bientôt mis en
fabriquent ces cartouches sont confrontées au double
œuvre dans un contexte de production industrielle.
problème de garantir leur qualité et de faire face à une
croissance explosive de leur production (10 millions d’unités en 2007). Aujourd’hui, les contrôles de production sont
souvent réalisés manuellement, ce qui induit des risques
d’erreur et expose les opérateurs au rayonnement.
Grâce au LNHB, l’examen sera réalisé de manière automatisée en une quarantaine de secondes. Le prototype
1 Le LNHB est un laboratoire du CEA List (Laboratoire d’intégration des
systèmes et des technologies).
C. R.
1 Le prototype : l’implant est injecté et maintenu dans le tube
vertical au centre du dispositif, dans la ligne de mire des
instruments sans l’aide d’un opérateur.
En haut à droite, l’implant dans son tube vertical.
L’OCÉAN AUSTRAL N’ABSORBE PLUS DE CARBONE
Des eaux plus chaudes, un corail qui blanchit… Ces
puits de carbone de la planète stockent près de la moitié
symptômes du réchauffement climatique risquent de
des émissions de gaz carbonique dues à l’activité
s’aggraver : l’océan Austral soumis à des vents croissants
humaine, il en absorbait
relâche désormais dans l’atmosphère le gaz carbonique
à lui seul 15 % ». Cela
stocké dans ses eaux au lieu de l’absorber. C’est ce que
signifie
révèle une étude internationale conduite par des scienti-
encore davantage de gaz
fiques de l’Université australienne d’East Anglia à laquelle
carbonique
participe le Laboratoire des sciences du climat et de
atmosphère et donc encore
l’environnement (LSCE). Basée sur quatre années de
plus d’effet de serre.
qu’il
y
dans
aura
notre
mesures par 40 stations réparties sur la planète, cette
étude confirme l’existence d’un cercle vicieux prévu par
C. R.
les modèles climatiques : renforcés par le réchauffement,
les vents contribuent à brasser l’eau en profondeur, faisant
remonter en surface le gaz carbonique.
Pour Michel Ramonet, chercheur du LSCE, « cette saturation de l’océan Austral est préoccupante car, alors que les
14
1 Prélèvements d’eau de
mer pour doser le gaz
carbonique à différentes
profondeurs.
Actualités
RÉACTEUR NUCLÉAIRE JULES HOROWITZ
ZOOM SUR L’ÉPAISSEUR D’UNE GAINE
La gaine qui enserre le combustible est, dans un réacteur
Mol, en Belgique. La même structure d’oxydation a été
nucléaire, la première des barrières retenant les produits
observée dans les deux cas : une première couche
de fission. Dans un réacteur de recherche comme Osiris à
interne, amorphe, et une seconde, constituée de cristaux
Saclay ou le futur réacteur Jules Horowitz (RJH) qui lui
d’hydroxyde d’aluminium, formée au contact de l’eau.
succédera à Cadarache, il est nécessaire de rapprocher
L’expérience en réacteur montre que l’irradiation accélère
les plaques de combustibles les unes des autres, pour
la formation de la couche externe. Le travail des cher-
1
optimiser le flux de neutrons . Or sous l’effet de la tempé-
cheurs consiste désormais à comprendre, grâce à des
rature et des rayonnements, les gaines se corrodent en
expérimentations complémentaires, le rôle joué par
s’épaississant, diminuant ainsi l’espace libre pour la
chacun des paramètres influant sur la corrosion. Avec un
circulation de l’eau de refroidissement. Il faut donc
objectif : prédire rigoureusement l’épaisseur de la gaine et
garantir, tout au long d’une campagne d’irradiation, une
de ses couches de corrosion dans divers scénarios.
épaisseur de gaine maximale, couches de corrosion
comprises, en même temps qu’une épaisseur minimale de
gaine saine.
Moins cher que le matériau utilisé dans les centrales
nucléaires et plus résistant à haute température que celui
d’Osiris, un alliage d’aluminium, de fer et de nickel (AlFeNi)
équipe le réacteur à haut flux de Grenoble depuis près de
trente ans, sans aucune rupture de gaine à signaler : cet
alliage a donc été retenu pour le RJH. Les études et essais
1
de qualification en cours doivent permettre d’évaluer sa
corrosion dans les conditions précises de fonctionnement
1 Les neutrons sont des particules produites par les réactions de fission.
2 Dispositif permettant de contrôler la pression et la température d’un
du futur réacteur.
milieu aqueux.
Une équipe du Département des matériaux nucléaires de
3 Direction de la simulation et des outils expérimentaux de la Direction
Saclay a pour cela testé ce matériau en autoclave2 et a
de l’énergie nucléaire..
comparé les résultats obtenus avec une expérience réalisée par le CEA dans un réacteur nucléaire expérimental à
3
PRIX NOBEL
LES
1 Image de microscope électronique à balayage (MEB) de la double
couche d’oxyde obtenue après corrosion à 250°C de l’alliage AlFeNi.
DE LA
PAIX
CLIMATOLOGUES À L’HONNEUR
Des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et
de l’environnement1 ont participé aux travaux du Groupe
d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
(GIEC).
Le prix Nobel de la paix a été attribué le 12 octobre à l'ancien vice-président américain Al Gore et au GIEC "pour
leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances
sur les changements climatiques provoqués par l'homme
et pour avoir posé les fondements des mesures nécessaires à la lutte contre ces changements".
Directeur du LSCE, Robert Vautard explique : « l’attribution
de ce Nobel témoigne du fait que la communauté des
climatologues a porté sa science et ses réflexions au
niveau des plus grandes problématiques humanistes. Le
comité retient que l’action de l’homme sur l’environnement
est avérée et que les questions relatives aux évolutions du
climat sont entrées dans le champ de responsabilité de
l’humanité. »
Neuf membres du LSCE ont participé à la rédaction du
dernier rapport du GIEC, en tout, plusieurs dizaines de
chercheurs et d’ingénieurs ont contribué à la construction
du modèle de climat de l'Institut Pierre Simon Laplace
(IPSL).
1 LSCE : unité mixte CEA, CNRS, Université de Versailles-Saint-Quentin.
15
PRIX NOBEL
ALBERT FERT
ET
DE
PHYSIQUE 2007
PETER GRÜNBERG,
Le prix Nobel de physique 2007 a été attribué à Albert
Fert, Professeur à l’Université Paris-Sud 11 (Orsay), directeur scientifique de l’Unité mixte de recherche (UMR)
CNRS/Thales (associée à l’Université Paris-Sud) et à
Peter Grünberg, du Centre de recherches de Jülich,
(Allemagne) pour leur découverte de la magnétorésistance géante (GMR).
La GMR est notamment à l’origine de l’élaboration de
têtes de lecture produites et commercialisées à des
centaines de millions d’unités par an pour équiper tous les
disques durs.
DÉCOUVREURS DE LA
GMR
A. Fert (à gauche)
P. Grünberg (à droite)
Des chercheurs du centre CEA de Saclay travaillent quotidiennement avec l’UMR CNRS-Thales afin d’exploiter la
GMR et la magnétorésistance tunnel, de réaliser de
nouvelles couches magnétiques et de concevoir de
nouveaux capteurs basés sur ces principes.
CONFÉRENCE CYCLOPE MARDI 20 NOVEMBRE 2007
LES DÉFIS DE L’ANALYSE CHIMIQUE
SUR LA TRACE DES ULTRA-TRACES
Par Xavier Vitart, Christophe Poinssot, Patrick Mauchien, chercheurs au centre CEA de Saclay (Département de physico-chimie).
Conférence animée par Fabienne Chauvière, journaliste.
S
herlock Holmes n’a qu’à bien se tenir avec ses méthodes antédiluviennes de détection de traces et d’indices matériels !
D’ailleurs il a été remplacé par « les experts ». Il leur suffit de faire
« renifler » un billet de banque par le spectromètre de masse
approprié pour analyser en quelques fractions de seconde le
produit illicite qui souillait le doigt qui l’a manipulé!
Santé, environnement, sécurité, respect des normes, compétitivité
industrielle, progrès des connaissances, tout est prétexte à accélérer une course à la nouveauté, à la sensibilité, à la précision dans
le domaine de l’analyse. L’enjeu est bien de disposer d’outils fiables
et précis pour corréler des évènements, analyser des tendances,
déceler et anticiper.
Face à ces défis, l’analyse chimique, et plus largement les sciences
analytiques, connaissent une grande mutation, avec des développements fulgurants dans l’analyse de traces et d’ultra-traces, la
miniaturisation, l’analyse à distance ou l’augmentation des capacités d’analyse (automatisation). Laboratoires sur puces (labs-onchips) à usage unique, nano-analyses, traces et signatures de
produits dopants, détection de malveillances terroristes,
surveillance de l’environnement, analyse des rejets industriels,
Un rover de la NASA explorera
la surface de Mars en 2010.
Il sera équipé du dispositif
ChemCam, capable d’analyser
les roches à distance par la
technique LIBS (voir p.8).
interrogation laser, tous ces mots nous interpellent au quotidien.
Cette conférence montrera les bouleversements de l’analyse
chimique au travers d’exemples et d’illustrations empruntés à
l’actualité en présentant les outils, les moyens, les méthodes, face
aux enjeux et aux besoins.
Un éclairage tout particulier sera porté sur deux domaines emblématiques de cette course à la performance : l’analyse de traces et
d’ultra-traces, véritable chasse aux records de limite de détection,
et l’analyse par le rayonnement laser, qui permet d’ analyser
en temps réel et à distance les combustibles nucléaires ou… les
roches martiennes.
Renseignements pratiques :
Accès : ouvert à tous, entrée gratuite
Lieu : Institut national des sciences et techniques nucléaires, Saclay (voir plan)
Horaire : 20 heures
Organisation/renseignements : Centre CEA de Saclay, Unité communication et affaires publiques
Tél : 01 69 08 52 10
Adresse postale : 91191 Gif-sur-Yvette Cedex
Les Jeudis du CEA
29 novembre 2007 à 19h, « Le Titanic : analyse d’une catastrophe annoncée »,
Par Michèle Nataf, Chef du service sécurité conventionnelle au Pôle Maîtrise des risques du CEA.
Renseignements : Lieu : café de la FNAC Vélizy, centre commercial Vélizy 2, Entrée libre