Objet : La dette chinoise est

Transcription

Objet : La dette chinoise est
DIRECTION GENERALE DU TRESOR ET DE LA POLITIQUE ECONOMIQUE
26 août 2013
S ERVICE E CONOM IQ UE R EG ION AL DE PEK IN
C. Masson, conseiller financier
JI Tianhe, attaché sectoriel
Note
Objet : La dette chinoise est-elle soutenable ?
L’endettement des agents non financiers chinois a fortement augmenté depuis 2008, et peut être estimé
à 219% du PIB à fin juin 2013 (pour mémoire, il était de 259% du PIB dans la zone euro à fin mars
2013). Le risque de cet endettement est pour l’essentiel porté par les banques chinoises, dont la
situation reste solide, et la Chine est protégée par sa très faible dépendance aux capitaux extérieurs.
La dynamique est cependant préoccupante, conduisant les autorités chinoises à chercher à améliorer
la transparence de la structure de la dette, tout en mettant fin aux pratiques les plus risquées.
1 – L’endettement des agents non financiers chinois a fortement augmenté depuis 2008, et peut
être estimé à 219% du PIB à fin juin 2013
La banque centrale chinoise (People’s Bank of China - PBoC) publie mensuellement des
statistiques sur le financement social total (total social financing, TSF), qui recouvre les
principaux moyens de financement de l’économie réelle, qu’ils soient directs ou indirects, et que les
engagements soient inscrits au bilan des banques ou non. Le TSF mensuel ne mesure pas l’encours de
financement mais un flux sur le mois, établi en combinant des variations d’encours et des mesures de
flux. Il comprend :
- les crédits en RMB accordés par les banques résidentes aux entreprises et aux particuliers ;
- les crédits en devises accordés par les banques résidentes aux entreprises et aux particuliers ;
- les trust loans, c’est-à-dire les prêts accordés aux entreprises par les sociétés fiduciaires ;
- les entrusted loans, qui correspondent à des prêts entre sociétés non financières intermédiés par le
secteur bancaire. L’entruster prête une somme à un emprunteur pour un usage, un montant, une
maturité et un taux d’intérêt déterminés. Une banque, agissant en tant qu’entrustee, va contrôler
l’utilisation de ce prêt, tout en gérant le remboursement du principal et des intérêts ;
- les acceptations bancaires non escomptées ;
- les émissions nettes d’obligations par les entreprises non financières ;
- les émissions nettes d’actions par les entreprises non financières ;
- les indemnités d’assurance ;
- les investissements immobiliers des institutions financières ;
- et enfin une catégorie « autres », regroupant notamment les crédits accordés par les sociétés de
crédits de petits montants.
Il convient de souligner que les véhicules spéciaux de financement crées par les collectivités locales
(local governement financing vehicles – LGFV) sont assimilés à des entreprises. Le TSF comprend
donc les crédits qu’ils obtiennent ainsi que les obligations qu’ils émettent.
Entre 2002, date à partir de laquelle les statistiques sont disponibles, et 2012, le financement
social annuel est passé de 2 011 Mds CNY – environ 240 Mds USD - à 15 761 Mds CNY - environ
2 500 Mds USD (graphique 1). Sur la même période, la part des crédits bancaires (toutes devises) est
passée de 95% à 58% du TSF. A l’inverse, la part des trust loans, entrusted loans et acceptations
bancaires non escomptées est passée de 1% à 22%, et celle des émissions nettes d’obligations de 2% à
14%. La croissance du TSF est particulièrement forte entre 2008 et 2009, année marquant le début du
plan massif de relance de l’économie chinoise. Sur les 6 premiers mois de l’année 2013, le TSF a
atteint 10 151 Mds CNY.
En 1000 Mds CNY
Graphique 1 - Financement social
total annuel
20
Autres
18
Estimé pour S2 2013
16
Actions
14
Obligations
12
10
Acceptations bancaires
non escomptées
Trust loans
8
6
4
Entrusted loans
2
Crédits en devises
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013S1
0
Crédits en RMB
Source : PBoC, calculs SER
A fin juin 2013, l’endettement cumulé des entreprises et des ménages chinois peut être estimé,
sur la base du TSF publié par la PBoC, à 102 360 Mds CNY, soit 190% du PIB (graphique 2). Sur
ce total, 74% correspond à des crédits enregistrés dans les bilans bancaires, 18% à des prêts hors-bilan
et 8% à des obligations1.
Graphique 2 – Estimation de
l’endettement des acteurs non
financiers chinois, à partir des
données du TSF
En 1000 Mds CNY
120
100
80
60
40
20
0
2002
2004 2006 2008 2010 2012
Obligations
Acceptations bancaires non escomptées
Trust loans
Entrusted loans
Crédits en devises
Crédits en RMB
Source : PBoC, calculs SER
Une approche plus large conduit à une dette de 117 957 Mds CNY, soit 219% du PIB2 (graphique
3). Ce montant est obtenu en ajoutant trois types d’engagement non compris dans le TSF publié par la
PBoC : les obligations émises par le gouvernement central ; la dette extérieure du gouvernement et des
entreprises ; le financement privé. L’encours des obligations émises par le gouvernement central, pour
1
2
Le détail du calcul figure en annexe 1.
Le détail du calcul figure en annexe 2.
2
son compte ou celui des collectivités locales, atteignait 8 438 Mds CNY à fin juin 2013. La dette
extérieure du gouvernement et des entreprises s’établissait pour sa part à 3 076 Mds CNY à fin mars
2013. Le financement privé, que la PBoC définit comme l’ensemble des prêts accordés par des acteurs
autres que les institutions financières et non intermédiés par ces dernières, ne peut qu’être estimé. Sur
la base d’une enquête auprès de 6 300 fournisseurs et utilisateurs de crédit, la PBoC a évalué que le
financement privé s’établissait à 3 380 Mds CNY à fin mai 2011, soit 5,8% du total de l’encours des
crédits bancaires en RMB à cette date. En partant de l’hypothèse que cette proportion serait restée
stable, le financement privé s’établirait à 4 086 Mds USD à fin juin 2013.
En 1000 Mds CNY
Graphique 3 – Estimation de
l’endettement total des acteurs non
financiers chinois
140
300%
120
250%
100
200%
80
150%
60
100%
40
50%
20
0
2008
0%
2009 2010 2011 2012 2013
Dettes externes, entreprises
Financement privé
Dettes TSF (cf. graphique 2)
Dettes externes, gouvernement
Obligations du gouvernement
Dette totale/PIB (éch. droite)
Source : PBoC, calculs SER
2 - Cet endettement reste mesuré et le risque pèse essentiellement sur le secteur bancaire chinois,
qui demeure solide.
L’endettement des agents non financiers chinois reste inférieur à celui accumulé par les agents
non financiers de la zone euro. A fin mars 2013, les agents non financiers de la zone euro étaient
endettés à hauteur de 259% du PIB3. La comparaison entre ces deux dettes (cf. graphiques 4 et 5)
montre que :
- l’endettement des ménages et des entreprises chinois s’établissait à 203% du PIB à fin juin 2013
(190% au titre du TSF calculé par la PBoC + 8% de financement privé + 5% de dette extérieure),
contre 159% pour les ménages et entreprises de la zone euro. Ce dernier pourcentage est toutefois
un minorant, puisque les statistiques européennes ne comprennent que les crédits accordés par les
Monetary Financial Institutions et excluent donc des prêts apparentés à des trust loans ou des
entrusted loans en Chine : crédits interentreprises, prêts accordés par des fonds d’investissement…
Par ailleurs, cette présentation surestime l’endettement des acteurs privés chinois. En effet, comme
indiqué plus haut, les crédits accordés aux plates-formes de financement des gouvernements
locaux, ainsi que les obligations qu’elles émettent, sont comptabilisés dans la catégorie des prêts
aux entreprises, alors que ces plates-formes bénéficient de la garantie des gouvernements locaux.
Or les montants en jeu sont significatifs. Selon la China Banking Regulatory Commission, les
encours des seuls prêts bancaires aux plates-formes s’établissaient à 9 700 Mds CNY à fin juin
2013, soit 18% du PIB, qui, en toute rigueur, devraient être imputés aux gouvernements locaux.
- le gouvernement chinois est très peu endetté (16% du PIB) en comparaison des gouvernements de
la zone euro (99%). Ce constat demeure même après retraitement, qui ne peut qu’être partiel, des
plates-formes de financement des gouvernements locaux. En ajoutant les 18% du PIB identifiés
plus haut, on aboutir à un taux d’endettement de 34% du PIB. Dans son dernier rapport sur la
3
Le détail du calcul figure en annexe 2.
3
Chine au titre de l’article IV, le FMI évalue l’endettement du gouvernement à 45% à fin 2012 en
ajoutant aux crédits bancaires les trusts loans accordés au LGFV et les obligations émises par ces
véhicules.
Par ailleurs, les agents non financiers de la zone euro dépendent à 21% d’un financement
externe à la zone, alors que ce taux n’est que de 5% pour les agents non financiers chinois. Ces
derniers sont donc moins exposés à un retrait des financements étrangers. Cette protection est
renforcée par le montant des réserves de change de la PBoC.
Graphique 4 - Répartition de la dette
des agents non financiers chinois
140
250%
120
25
200%
80
150%
60
100%
40
20
0
2008
2009
2010
2011
2012
200%
15
150%
10
100%
50%
5
0%
0
2013
Gouvernement
Entreprises (dont plateformes de fin. des gouv. locaux)
Ménages
Dette totale/PIB (éch. droite)
Source : PBoC, calculs SER
300%
250%
20
100
En 1000 Mds EUR
En 1000 Mds CNY
Graphique 5 - Répartition de la dette
des agents non financiers de la zone
euro
50%
0%
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Gouvernement
Entreprises
Ménages
Dette totale/PIB (éch. droite)
Source : BCE, calculs SER
Le risque de défaut pèse pour l’essentiel sur le secteur bancaire chinois, dont la situation reste
solide. Les prêts bancaires représentent 64% de la dette totale. Les banques détiennent également une
grande part des obligations émises par les entreprises (40% à fin juin 2013). Or les établissements de
crédit chinois possédaient des fonds propres de 9 360 Mds CNY à fin juin 2013, soit 17% du PIB, et
des provisions atteignant à fin juin 2013 1 537 Mds CNY (3% du PIB), soit près de trois fois le
montant actuel des créances douteuses (539,5 Mds CNY à fin juin 2013 soit un ratio de créances
douteuses de 0,96%). Enfin, le secteur bancaire chinois pourrait, si nécessaire, bénéficier comme par le
passé du soutien de son principal actionnaire (majoritaire au sein de chacune des principales banques),
le gouvernement chinois.
3 - La dynamique d’endettement observée depuis 2009 est toutefois préoccupante et explique les
mesures du gouvernement chinois visant à l’enrayer.
La croissance rapide de la dette est une source de préoccupation. Entre 2008 et fin juin 2013, le
ratio dette/PIB a crû de plus de 60 points de pourcentage, passant de 155% à 219% du PIB. Une
expansion si rapide du crédit ne peut que soulever des interrogations sur la rentabilité des actifs
financés. Les prêts ont notamment servi à développer les capacités de production. Or, de l’aveu même
des autorités chinoises les taux d’utilisation de la Chine sont particulièrement bas dans de nombreux
secteurs industriels. Ainsi, selon la Commission Nationale pour le Développement et la Réforme
(NDRC), les taux se situaient en mars 2013 entre 70% et 75% pour les industries traditionnelles (acier,
ciment, aluminium, etc.), et étaient de moins de 70% pour l’éolien et de 60% pour le photovoltaïque.
Le montant de la dette publique locale, et la qualité des actifs associés, sont incertains. La dette
publique locale représente la principale composante de la dette gouvernementale. Or les collectivités
locales ont en théorie interdiction de s’endetter. Elles ont donc crée des véhicules spéciaux
4
d’investissement qui émettent des obligations ou s’endettent auprès de trusts ou de banques en
apportant comme garantie le foncier dont la collectivité les a doté. Le dispositif est fragile, car très lié
au cycle du marché immobilier. Les dernières données exhaustives sur l’endettement des collectivités
locales et la rentabilité des projets financés remontant à fin 2010. La Commission Nationale des
Comptes (NAO) a annoncé le 26 juillet 2013 le lancement d’un audit “urgent” de la dette des
gouvernements locaux, qui permettra de disposer de données actualisées.
Les composantes de la dette ont récemment évolué, avec une forte progression de la part du
shadow banking, qui recouvre en Chine les sources de financement indirect alternatives aux banques
et le financement privé. Certes, la majeure partie des acteurs du shadow banking, et notamment les
trusts, sont supervisés par la China Banking Regulatory Commission (CBRC). Mais ils servent les
secteurs les plus risqués de l’économie chinoise (LGFV, promoteurs immobiliers…). De plus, alors
qu’ils financent des projets à long terme dans les infrastructures ou dans l’immobilier, leurs ressources
sont fréquemment constitués de produits structurés, émis en leur nom ou au nom des banques, et dont
la maturité dépasse rarement un an.
Les autorités chinoises cherchent à freiner l’expansion trop rapide du crédit ainsi que le recours
aux pratiques les plus risquées. Les taux interbancaires ont ainsi augmenté à partir de la fin du mois
de mai 2013 pour atteindre des niveaux historiques le 20 juin, avant de refluer dans les jours suivants.
En laissant les tensions perdurer plusieurs jours, la PBoC a signalé qu’elle entendait freiner la
progression très rapide du crédit enregistrée depuis le début de l’année 2013. Elle a également voulu
sensibiliser le secteur financier aux risques engendrés par le développement de certaines pratiques :
emprunts à court terme pour financer des positions à long terme ; emprunts d’USD pour les convertir
en CNY et bénéficier ainsi de l’appréciation de la devise chinoise.
Le plan de relance lancé en 2009 a conduit à une très forte augmentation de l’endettement des agents
non financiers chinois. Une deuxième accélération est constatée à partir de fin 2011, laquelle
s’accompagne d’une modification de la structure de la dette, avec le développement du shadow
banking. Si l’endettement global reste inférieur à celui constaté dans la zone euro, la dynamique
inquiète. Le précédent épisode de forte croissance de la dette, entre 1994 et 1998, avait abouti à une
envolée du taux de créances douteuses puis à une restructuration très coûteuse du secteur bancaire.
En cherchant à accroitre la transparence des composantes de la dette, tout en incitant le secteur
financier à mettre un terme aux pratiques les plus risquées, les autorités actuelles souhaitent conduire
un deleveraging ordonné. La santé affichée par le secteur bancaire chinois, qui dégage toujours des
profits records, ainsi que le très faible niveau de la dette extérieure, sont des atouts pour y parvenir.
5
Annexe 1
Modalités du calcul du ratio d’endettement à partir du TSF
Le TSF peut être transformé en donnée de stock afin d’estimer l’endettement des ménages et des
entreprises (y compris les véhicules d’investissement des collectivités locales).
Tout d’abord, le TSF est retraité pour ne conserver que ses composantes représentatives d’une dette.
Les émissions d’actions, les indemnités d’assurance ainsi que les investissements immobiliers des
institutions financières en sont donc exclus. Les données des TSF mensuels disponibles depuis janvier
2002 sont ensuite additionnées aux encours estimés pour chacune des catégories à fin 2001. La plupart
de ces encours sont disponibles dans l’édition du dernier trimestre 2001 du rapport de la PBoC sur
l’exécution de la politique monétaire. Les entrusted loans, pour lesquels aucune statistique n’existe,
sont considérés comme d’un montant nul à fin 2001, tandis que les encours des obligations des
entreprises non financières ont été obtenus via la China Central Depository and Clearing Company
and China Securities Depository and Clearing Corporation Limited, les chambres de compensation
respectives du marché interbancaire et du marché d’échange, les deux compartiments du marché
obligataire en Chine.
On obtient ainsi l’encours des différentes composantes du TSF.
Prêts en CNY
Prêts en devises
Entrusted Loans
Trust Loans
Acceptations bancaires non escomptés
Financement obligataire
Total:
Fin 2001 (Mds CNY)
11 231
669
0
250
231
49
12 430
Juin 2013 (Mds CNY)
70 445
5 456
6 863
4 364
6 651
8 577
102 357
Le PIB retenu pour le calcul du ratio de 190% de PIB est celui des quatre derniers trimestres (du
troisième trimestre 2012 au deuxième trimestre 2013).
6
Annexe 2
Comparaison des taux d’endettement en Chine et dans la zone euro
Chine
En Mds CNY
Dettes détaillées dans le TSF
Financement privé
Dettes extérieures, Entreprises
Obligations, Gouvernement
Dettes extérieures, Gouvernement
Dettes Totales
2013/6
102 357
4 086
2 851
8 438
225
117 957
%
% PIB
87% 190%
4%
8%
2%
5%
7%
16%
0%
0%
100% 219%
En Mds CNY
Ménages
Entreprises
Gouvernement
Dettes totales
2013/6
18 220
91 074
8 663
117 957
%
% PIB
15%
34%
77% 169%
7%
16%
100% 219%
Zone Euro
En Mds EUR
Prêts, Non financier
Obligations, Non financier
Dettes extérieures, Non financier
Prêts, Gouvernement
Obligations, Gouvernement
Dettes extérieures, Gouvernement
Dettes Totales
2013/3
11 046
1 026
1 555
1 124
7 114
224
22 089
%
% PIB
50% 129%
5%
12%
7%
18%
5%
13%
32%
83%
1%
3%
100% 259%
En Mds EUR
Ménages
Entreprises
Gouvernement
Dettes totales
2013/3
5 250
8 376
8 463
22 089
%
% PIB
24%
62%
38%
98%
38%
99%
100% 259%
Source : PBoC, BCE, calculs SER
7