Prada-Prejuges-Mandy-HubbardFichier PDF - e

Prada&Préjugés
Résumé:
EnvoyagescolaireàLondres,Callie,quinzeans,tenteunesortie
clandestineenboîtedenuit,chausséedemagnifiquesescarpinsPrada
acquissuruncoupdefolie.Maispasfaciledegardersonéquilibresur
destalonsvertigineux.Callietrébucheetreçoituncoupsurlatête.A
sonréveil,ellecroittoujoursrêver:lavoicitransportéedans
l’Angleterrede1815,danslapeaud’unecousineaméricaineéloignée
d’unerichefamilleanglaise…Multipliantlesfaux-passociauxetles
anachronismes,Calliedoittrouverunmoyendereveniràsonépoque,
toutenmouchantcejeunecomtearrogantetunpeutropbeauàson
goût!
Chapitre1
C'estunevéritéuniversellementreconnue:uneadolescenteaméricaine
effectuantunvoyagescolaireenAngleterreestsupposées'amusercomme
unefolle.
Entoutcasc'étaitcequejecroyais.Aulieudeça,c'estlamisère.Ilm'afallu
deuxsemainespourconvaincremamanquej'étaissuffisamment
responsablepourparticiperàcevoyageplutôtquedepasserlerestede
l'étéavecmonpère,huitjourspourmeprocurerunpasseporten
catastrophe,etexactementvingt-quatreheurespourleregretter.C'estma
premièrejournéeàLondreset,aulieud'admirerBuckinghamPalace,Big
BenoulaTamise,jeprendsracineaucaféBelgarodemonhôtelenrêvant
quequelqu'un,n'importequi,m'adresselaparole.
L'objectifdecevoyageconsistaitàvisiterleshautslieuxd'unLondres
précurseurdel'histoireeuropéenne.J'entreenpremièredansunmois,c'est
paraît-ill'annéeoùonétoffesondossierdecandidaturepourles
inscriptionsenfac.Enfin,d'aprèslesbrochuresd'orientation.
L'annéedernière,jamaisjen'auraisétéexcluedecettefaçon.Mameilleure
amieKatieetmoi,onn'ajamaisvoulufairepartiedelapseudo-élitedu
gangdesbranchésbling-bling.D'ailleurs,onsemoquaitd'ellespourainsi
direouvertement.Quandonnousaremislestrombinoscopesdela
promotionauprintempsdernier,onyadessinédesmoustachesauxfilles
populairesetnotéquelquesextraitsdesdébilitésqu'ellesavaient
prononcéesenclasse.
PuisKatieadéménagé.Sanselle,çadevientquasimentimpossibledeme
convaincrequejesuiscontentedefairepartiedugangdesintellos.Etpour
cause:iln'yaquemoisurlaliste.
Toutacommencéquandj'aitéléphonéàKatieàl'heuredudéjeuner,deux
joursaprèssondéménagement.C'estprobablementpathétiquede
l'admettre,maisj'avaisattaquémondéjeunertouteseuledanslestoilettes
dulycée.J'avaislecafard,ilmefallaitlesoutienmoraldemacopine.
Alorsj'étaislàdansladernièrecabine,àdéblatérersurmonportable.Jene
medoutaisabsolumentpasquelasnobissimeTrishaMarksétaitentrée.
Elleatoutentendu,ycomprislemomentoùj'aiditquelespom-pomgirls
étaientlescourtisanesdestempsmodernes.Commeons'endoute,çan'a
pasététrèsbienreçu.Dumoins,aprèsvérificationparTrishadela
définitiondecourtisanedanssoniPhonechicetchoc.
Résultat,àpeuprèstouteslesagitatricesdepomponsdulycéem'ontdans
lecollimateur.
Lecarillondelaportemefaitleverlesyeux,etôhorreur,jevoisentrertrois
fillesdemaclasse.Angela,lablondelongiligne,promènelabagatellede
troissacsàcordelettesfièrementestampillésChanel,GuccietArmani.
Summer,sameilleureamie,petiteetmenue,marcheensilencedansson
ombre,sonsacJuicyàlamain,sesbouclesbrunestombantencascadesur
sesépaules.Etàcôtéd'ellesMindy,l'adolescenteaméricainenormale:ses
cheveuxchâtainsnégligemmentrelevésenunchignonlâchedont
s'échappentdesmèchesfolles,elleporteunpetitdébardeurrose
agrémentédedentellesurunjeanlacéré.Ellesrienttouteslestroisd'une
chosequejen'entendspas.
Enfait,ellesontl'airdevivrelevoyagedontj'avaisrêvé.Cestroisfillesne
sontpeut-êtrepaslenoyaudurdelacliquedesnanasenvogue,maiselles
enfontpartie,c'estclair.EtAngelaMarksétantlapetitesœurdeTrisha-lapom-pom-girl-diabolique,elleajuréparlesangdedéfendresonhonneur.À
savoir,mejeterlemauvaisœilavantdem'ignorerroyalementalorsqu'on
nousadésignéespartenairesaudébutduvoyage.C'estdoncàcaused'elle
quejenepeuxpasquitterl'hôtelsansenfreindrelarègled'ordeMme
Bentley:sortirenduo=dangerzéro,interdictiondemettrelenezdehors
touteseule,blablabla.
Etmaintenant,ellesvontmevoirvautréedansmonmalheurdevictime.Je
merecroquevillesurmabanquetteencuirenespérantquelegrospalmier
enpotàcôtédelatablesuffiraàdissimulermonvisage.Iln'estpas
questionqu'ellessachentquejesuisplantéelà
devantdeuxverresdeCocavidescommesij'yavaispassétoutelamatinée.
Parcequeautantl'avouer,c'estexactementcequej'aifait.
Lesactivitésdugroupenecommencerontpasavantaprès-demain.Nous
visiteronsdesmusées,despalais,nousferonsdesexcursionsdansdesbusà
impériale.Resteàsavoirsileschosess'améliorerontouempireront.Parfois
jemesensplussolitaireaumilieudesgensdemaclassequetouteseule.
Pourquoiai-jecruqueçachangeraitpendantcevoyage?
C'étaitcenséêtremagrandechanced'inverserlatendance.Jem'étaisdit,je
suppose,qu'enpartantàdesmilliersdekilomètres,jelaisseraisderrière
moimaréputation.Erreur.
Queleschosessoientclaires:àmonavis,iln'estpashumainementpossible
quejecopineavecAngela.Ellepartageirréfutablementlepatrimoine
génétiquedeTrisha,sivousvoyezcequejeveuxdire.Jusqu'àsonrictus
méprisantdèsquequelqu'unl'agace.MaisMindysuitengénérallesmêmes
matièresquemoidansleprogrammeenrichietparfois,l'andernier,on
étaitensembleenTPdechimieaulabo.Sij'étaisunpeuplussociable,
Mindyetmoionpourraitêtreamies,àl'heurequ'ilest.
Elleal'airsympa.JelavoisquilèvelesyeuxaucielenregardantSummer
quandAngelaaledostourné.Sic'étaitàMindyqu'onm'avaitassociéepour
levoyage,ellenem'auraitpasplantéelà,elle.Ilsuffiraitquejem'arrange
pourqu'Angela,bongrémalgré,acceptemaprésence,etpeut-êtrequ'on
sortiraittouteslesquatre?Avecunpeudechance,onpourraitmême
intervertirleséquipes.
Lesfillesentassentleursachatssurlabanquettevoisinedelamienne,sans
remarquermaprésencederrièrelepalmiertouffu.Jenevoispascequ'elles
font,maisj'imaginequ'Angelaprendlacarteetessaiededécidersielle
préfèreunesaladed'épinardsnonassaisonnéeouunverred'eau.Jesuis
quasicertainequ'elleestanorexique,cequim'estplusfacileàsupporter
quel'idéequ'ellesoitnaturellementparfaite.C'estvrai,quoi,elleest
tellementmaigrequ'unseulœilsuffitpourlavoir.
-Alorslesfilles,pourcesoir,jechoisiscehautrouge,quiestplusdécolleté,
oumonbustierjaunesatiné?demandeSummer.
Elledoitêtreentraindefourragerdansunsaccarjen'entendsquedes
froissementsdeplastique.
-Lebustierjaune.Sanshésitation.C'esttoutàfaitcequ'ilfautpouralleren
boîte,décrèteAngela.Maistuasleschaussuresassorties?
Enboîte?J'aibienentendu?Apparemment,ellesontl'intentionde
transgressertouteslesrèglesetdesortirenboîtedenuit.Jen'auraisjamais
lecrandefaireuntruccoolcommeça.Monprogrammeàmoi,c'estde
louerunfilmpourleregarderdansmachambre,cequimeparaîtdeplusen
pluspitoyable.
Summerpousseungrandsoupirquiluisoulèvelapoitrine,aussi
mélodramatiquequesiellevenaitderatersonannéedepremièreavant
mêmedelacommencer.Jemelareprésente,unemoueourlantseslèvres
charnues,fronçantsessourcilsimpeccablementépilés.
-Jen'ensaisrien.J'étaissûred'avoiremportémesGuccinoires,maiselles
nesontpasdansmonsac.
-CenesontpasdesGucci.Cesontdesimitations,trancheAngelad'unevoix
acerbe.
Mer...créai.J'enfoncevitesousmachaiselestongsOldNavyquidépassent
desouslatable.
-Etalors?répliqueSummerdontlavoixgrimped'uneoctave.Ellessontsi
mochesqueça?
Mindyintervient:
-Peuimporte,lesgarçonssontincapablesdefaireladifférence.
Angelaémetunsonprochedugrognement.Sessujetsluionttenutête,elle
sedoitderéaffirmersadomination,jesuppose.Neparlantpascouramment
le«dialecteAngela»,jenepeuxpasl'affirmer.Jeprésumequ'ence
moment,ellerejettesescheveuxblondsplatinederrièresesépaulesen
levantlesyeuxauciel.
-Ehbienmoi,si.Vousavezvulafilleaucafécematin?Elleportaitde
faussesPrada.Nonmaisvousvousrendezcompte?Ellecroitsincèrement
blufferquelqu'un?
Authentique.Angelaestl'archétypedelapimbêchesuperficielleetgâtée.
Unclichéambulant.Cequin'empêchepaslesgensdel'aduler.Avecsapeau
veloutée,sesyeuxd'unbleuéclatantetlaplusondoyantemasse
decheveuxquisoit,jenepeuxpasvraimentleurenvouloir.
Cettefois,j'imagineMindysoupirantintérieurementenregrettantdene
pasteniruneconversationplusintéressante.Legenredeconversation
qu'elleauraitavecmoi,parexemple.Onpourraitdéambulerdanslesjolies
ruellesetadmirerl'architectureanglaisetoutendébattantdelathéoriede
l'évolution.Ouaumoins,évoquernotreantipathiecommunepourM.
Thomason,notreprofdephysiqueavancéedel'annéedernière.Lejourde
notrepremiercoursaulabo,j'aifaillimegrillerlescheveuxavecunbec
Bunsenettoutceàquoij'aieudroitdesapart,c'estunsermondevantla
classeentière.Iln'apasdecœur,cethomme.
-OK.Aprèsledéjeuneroniraacheterunebellepairedechaussuresà
talons,déclareSummer.Maisilfaudraquevousm'aidiezavecletauxde
change.Jecroisquej'aidéjàtropdépensé.
-Situt'imaginesquejem'yconnaismieuxquetoi!Moi,jesorsmacarteet
basta,répliqueAngela.
D'aprèslarumeur,elleseraittitulaired'unecartenoireAmericanExpress
sanslimitedecrédit.
-Jet'aiderai,proposeMindy.C'estassezsimple.C'estsimple,maispeu
importe.Monsurnompourrait
être«leCerveau»,etceluideSummer«leGrosLot».Etpasparcequ'elle
estbonneenmaths...
-Commentelles'appelle,cetteboîte,déjà?demandeSummer.
-Jenesaispas."C'estauboutdeSloaneStreet,çarejointuneimpassequi
donnesurHydePark,jecrois.Onarendez-vousaveclesgarçonsdevantla
sortiedesecoursàneufheures,déclareAngela.
Jen'encroispasmesoreilles.Ellesvonts'incrusterenboîtependantqueje
resteraiclaquemuréeàl'hôtel.C'esttropinjuste.Etmoialors?Jenepeux
pasvenir?
Laserveusevientprendrelescommandes(jesuisstupéfaited'entendre
Angelademanderuncheeseburger)et,toutentriturantunepailleentrele
pouceetl'index,j'élaboreunestratégie.Jevaismedirigernonchalamment
dansleurdirectionet,enjetantuncoupd'œilversellesetenapercevant
Mindy,jefeindrailasurprise.Puisjeluidemanderaisielleacommencéles
lecturesdel'étérecommandéessurlalistedeM.Brown.Siçaseprésente
bien,j'enchaîneraisurunpetitcoupletàproposdeLondres,commeons'y
ennuiepourl'instant,etlogiquement,ellesmeproposerontdeles
accompagner.Tactiqueimparable.
Monestomacselancedéjàdansunesériedesautspérilleuxensignede
protestation,maisjesuisrésolue.Çanepeutplusdurer.Jedégainedela
pochedemonLevismonglossmangoetmelepassesurleslèvres,puisje
lissemescheveuxblondsunpeufrisottés.
Quandilfautyaller,ilfautyaller.Enunéclair,jem'extirpedelabanquette
encuiretsuispresquedeboutaumomentoùquelqu'unmepercuteparderrière.
Pffou.Jemeretrouvequasimentàgenoux,lesoufflecoupé,maisjeparviens
àmeredressersansm'étalerdetoutmonlong.
C'estalorsquejesensquelquechosedeglacés'insinueràtraversma
chemiseetmedégoulinerdansledos.Lachairdepoulemehérisselesbras.
Entournantlatête,jevoisunefemmequitientunecarafedethéglacéà
moitiévide,untabliernoirnouéautourdelataille.
-Çavamonpetit?Oh,miséricorde,vousvoilàtoutetrempéeIJesuis
sincèrementdésolée.Vousavezjaillidevantmoi,ajoute-t-elle,pluspour
elle-mêmequepourmoi.Attendez,jevaisvousaider.
-Euh,non,c'estbon,jevousassure.Pasdeproblème.
Jerespireungrandcoupetjetteunœilautrio{côtédemoi.Angelaretient
(sanssuccès)unimmensesouriremaisMindysecontentedemeregarder,
sansexpression.Summersecachederrièrelacarte,levisagebaissédesorte
quejenevoisquesescheveuxbrunséclaircisparunbalayage.
-Çava?demandeMindy.
-Joli,lâcheAngela.Toutengrâce.
LesépaulesmenuesdeSummersontsecouéesdesoubresautssilencieuxet
jemesenspiquerunfard.
-Oh,euh,çava,oui.Jesuisjuste...trempée.Je...cen'estrien.Merci.
Ducoup,jemedégonfle.Plusquestiondeleurparler,maintenant.Commesi
ellesallaientmeproposerdesortiravecellescesoir!Ha,c'estrisible.Et
voilàpourquoiellesmefuient,jeviensdel'illustrerbrillamment:jesuisun
fléauambulant.
Jesorsentrombeparlapetiteporteducafécommuniquantavecl'hôtelet
meglissedanslestoilettesduhall,lerefugeleplusprocheduthéâtrede
monhumiliation.J'entredansl'unedescabinestapisséesdepapierrose
raffinéetm'assiedssurlestoilettesquelquesminutes,levisageenfouidans
lesmains,pourtâcherdemeressaisir.J'aiunebouledanslagorgemaisje
nepleureraipas,çan'envautpaslapeine.Cegenredemortification
m'arrivetoutletemps,demainceseradéjàmoinscuisant.Jevaisl'occulter
demamémoirecommesicen'étaitjamaisarrivé.
Mamandittoujoursquej'aideuxpiedsgauches,maisjecroisquec'est
encoretropindulgentpourmoi.Jesuistellementmaladroitequejemérite
maproprecaricature.Jesuissûrequ'unjour,secasserlafiguresedira«se
gamelleràlaCallieMontgomery».
Jemerelèveetjequittelestoilettes;lachassed'eausedéclenche
automatiquementderrièremoi.Jemetraîneversleslavabosenravalantles
dernièreslarmesquimenaçaientencoredecouler.
Faceaumiroircercléd'or,jemeretournepourévaluerlesdégâts.Monteeshirtblancestcomplètementtrempé,aupointqu'onvoitmonsoutiengorgenoir.Lespointesdemescheveuxblondfilasseontreçuleurpartde
théglacéaussi.Ilssontmêmeparfumésaucitron.
Jesoupireetagrippedesdeuxmainsleborddulavaboencontemplantmon
reflet.Jenesuispasmonstrueusementlaide,nonplus.Justedugenre
quelconque.Unnezfinetdroit.Despommettesnormales.Desyeuxd'un
bleubanal.Onnefaitpasplusordinaire.
Riend'étonnantàcequepersonnenem'aitencorejamaisembrassée.J'ai
deslèvresplutôtminces.Paspulpeusesetinvitantaubaiser,commecelles
d'Angela.
Laportes'ouvreengrandetjevoisentrerMindy.Jem'écartevivementdu
miroirpourqu'ellenedevinepasquej'étaisentraindem'examiner.
Elleresserrelenœuddesonboléroanthracitelorsqu'ellem'aperçoit
soudain;sabouches'entrouvreetsefigedanscettemoue,dessinantun
petitodesurprise.
Jelaisseretombermesmainscontremesflancsenessayantd'oublierle
picotementdésagréabledutee-shirtmouilléquiadhèreàmondos.
-Oh,dit-elle,puiselles'immobilisesurleseuil,acroirequ'ens'approchant
demoiellerisqueraitd'attraperlapestebubonique.
-Re-bonjour,dis-je.
J'éprouvesubitementunfurieuxbesoindemelaverlesmains,aussi
j'appuiecinqfoissurledistributeurdesavonetemplismespaumesde
mousserose.Saprésencedansmavisionpériphériqueestenvahissante,et
jedoism'obligeràresterconcentréesurcettetâched'uneimportance
capitaleconcernantmonhygiènepersonnelle.Pourquoiellemefixeainsi?
Enfin,Mindypénètredansl'unedescabinestandisquejefermelerobinet
etprendsquelquesserviettesenpapier.Jemesèchelesmainslentement,
jusqu'àcequ'elleressorte.
Jejettelesserviettesetfaissemblantderéarrangerunemèchedecheveux
letempsqu'elles'approchedeslavabos.Elles'arrêteàmi-chemin.
-Euh,Callie?
Jerelèvelatêteetjemetourneverselle.Ellemesourit.
Çayest!C'estmonbilletpourlafête!
-Euh,jevoulaisjustetedire...enfin...Ellesetaituncourtinstant.
Moncœurs'emballe.JesavaisqueMindyn'attendaitquel'occasiondefaire
lepremierpas.Jesuissûrequelecourantpasseraitentrenoussijepouvais
mecomporternormalementpendantplusdecinqminutes.
Elles'éclaircitlagorge.
-Tuasdupapiertoiletteaccrochéàlachaussure.
Chapitre2
-Hein?
Jeregardemestongsetlelongmorceaudepapierblancquitraîneàundes
talons.
-Oh,ah,merci.
Jemebaisse,arrachelepapieretmeprécipiteverslasortiesansajouterun
mot.
Jefranchisleseuildel'hôtelsansmêmemerendrecomptedecequejefais.
Jen'aipaseulecrandesortirsans«binôme»depuislegrandsermonde
MmeBentleyhierànotrearrivée.Elleajuréquesielleensurprenaitune
touteseuledehors,ellelarenverraitchezsesparents.
Maispourréintégrermachambre,ilfaudraitquejetraverseànouveaule
café,annoncéeenfanfareparleclaquementdemestongs.Jedevrais
repasserdevantAngelaetsonsourireméprisant,devantSummeretses
gloussements.
Jeralentisenréalisantquejeviensdeparcourirplusieurscentainesde
mètresdansSloaneStreetsansm'enapercevoir.Notreluxueuxhôtelcinq
étoilessetrouvedanslemeilleurquartierdeLondresquestionshopping,
dumoinsc'estcequ'Angelan'acesséderépéterduranttoutlevol.
Oh,cen'étaitpasàmoiqu'elleparlait,naturellement.Elleétaitassiseentre
SummeretMindy,unrangdevantmoi.J'avaisunsiègeprèsd'unhublot,à
côtéd'unvieuxmonsieurquiaronflédudébutàlafin.Jefaisaisminedelire
maisj'aipassémontempsàespionnerleurconversation.Jecroisqu'Angela
énuméraitlesdesignersparordrealphabétique.J'aiperdulefilaprès
Armani,Burberry,Chanel,CoachetDior.
Jedoisêtresurlabonnevoiecarlesfillesfiliformesquejecroiseontdes
looksdetop-modèles,etilmesemblequejeviensdevoirlatroisième
voituredesportétrangèreenautantdeminutes.
Hallucinant.Sacréchangementparrapportàmonordinaire.Dansnotre
petitevilledeprovince,ontrouveplutôtdespick-upcustomisésetun
supermarchéchicàlaplacedesFerrarietdesboutiquesLouisVuitton.
L'architectureestsuperbe,ici:toutessortesd'édificesenbriques,devoûtes
etd'arcadesouvragées,depierressculptées,decafésenpleinair,de
vitrinesluxueuses...Toutesttellementanglaisqueleseulfaitdeflânerdans
cetteruemedonnel'impressiond'êtreunbrinchicetsophistiquée.Jeme
voisbienmangeantuncroissantendébattantdessubtilitésdustylede
Chaucer,ouquelquechosedanscegoût.
Sij'arrivaisàm'imprégnerunpeudecette...aura,jepourraispeut-être
envoyervalserCallie-la-calamitéettrouverunplanpoursortiravecles
autrescesoir.
Leclubestàl'angledeHydeParketSloaneStreet,ellesontdit.Jepourrais
acheterquelquesvêtementsmignonsetprocéderàunpetitrepérage,
histoirededémystifierleslieux.Etallezsavoirsicesoirjenetrouveraipas
lecouragedem'incruster.Mindyestassezsympa,enfait.Ellepourrait
prendreçabien.Sijesuisprésentableetquejemeconduisnormalement,
ellesarrêterontdemeconsidérercommeunboulet.
Encoreplongéedansmespensées,jepassedevantunevitrinerempliede
mannequins.L'und'euxestvêtud'unpetithautbleupastelressemblant
exactementàcelui,decouleurrose,queportaitMindy.
Oui,çapourraitmarcher.
Étapenuméroun:ShoppingThérapeutique.
Deuxheuresplustard,j'ailesbrasetlespiedsencompote.Jenesais
toujourspasvraimentquelgenredelookjevise,maissijenepeuxpas
improviserquelquechoseaveclesdeuxcentsdollars-oups,deux
centslivres-devêtementsquej'aiachetés,jesuisdéfinitivement
irrécupérable.L'idée,c'estquejenevoudraispasavoirl'airdemedonner
tropdemal,maissansnonplusparaîtredépassée.Cesoir,ilfautquejesois
autop.Sijem'ensorsbien,c'estl'occasionidéalederenverserlavapeur,et
jepasserailerestedemesvacancesenEuropeavecMindy,àm'éclater
enfin.
Jem'apprêteàfairedemi-tourpourrentreràl'hôtelquandjelevois:un
bâtimentenbriquesdecinqétages,dotéchacundebow-windows.Des
jambagesornésdecanneluresencadrentl'entrée.Aurez-de-chaussée,jeme
reflètedansunmurenverresibienastiquéqu'ilmerenvoimonregard.
Etau-dessusdematête,enlettresmajusculesd'unesobriétépresque
choquante,unseulmot:PRADA.
Jecontemplelavitrine,etlesparolesd'Angelarésonnentdansmatête.Les
chaussuresn'ontaucunsecretpourelle.Lesimitationsnonplus.Etellesait
reconnaîtrecequienjette.Etsij'achetaisunepairedePradapourcesoir?
Est-cequ'ellelesadmirerait?Estcequ'ellediraitaumoinsquelquechose
pourbriserlaglace?Alorsjen'auraisplusqu'àluirenvoyerunerepartie
spirituelle,etelleàoublierqu'ellenem'avaitpasproposédevenir.
Auxgrandsmaux,lesgrandsremèdes.Enl'occurrence,legrandremède
seralacartedecréditdemaman,qu'ellem'adonnéeassortied'unsévère
avertissement:«Àn'utiliserqu'encasd'urgence.»D'aprèsmescritères
personnels,ils'agitbeletbiend'uneurgence.Aprèstout,jem'apprêteà
passerunesoiréequivachangertoutemavie.
Dutrottoir,jejetteuncoupd'œildanslaboutique.Jevoisunepancarte
annonçantlacollectiond'été,etunedouzainedepairesdechaussuresà
talonsjuchéessurdepetitsperchoirsenacrylique.Jerepèreunmodèlede
chaussures{semellescompenséesetmoncœurfaitunbond.Mêmeletalon
estpeint,avecunmotifdepetitesfleurs.Maisaussitôt,jepenseàcequ'en
diraitAngelaetjecomprendsqu'ellessonttroptape-à-l'œil.C'estl{que
mesyeuxs'arrêtentdessus:unepaired'escarpinsencuirvernirougeavec
destalonsaiguillesvertigineuxetdesbrideshypermignonnes.Ilssont
totalementclassiques,etpourtantpersonnenerisquedelesconfondreavec
uneautremarque.Madécisionprise,j'ouvrelaporteetentredansla
boutique.Jenevaismêmepaslesessayer:ilssontàmoi.
Ils'avèrequej'auraisprobablementdûlesessayercar,àvraidire,
maintenantquejelesaiauxpieds,jeconstatequejeflotteunpeudedans.
Maisjetrouveraisûrementunmoyenderembourrerlespointesavecun
mouchoirenpapier.Çaira.Dèsquejeseraideretouràl'hôtel.
Qui,parmalheur,setrouveàpratiquementdeuxkilomètres,àcôtédupont
deChelseaetdelaTamise.
Enéquilibreprécairesurlestalonslesplushautsquej'aiejamaisportés,je
suisdéterminéeàregagnermachambred'hôtel.L'avantage,c'estqu'après
cettepetitetrotte,leuraspectflambantneufseseraatténuéetquand
Angelatomberaenpâmoison,jepourrairépondreavecdésinvolture:«Oh,
cesvieillespompes?».
Jefaisquelquespasmaladroits,etc'estàcetinstantquecelaseproduit:le
talonseprenddansunegrilled'égoutetjemetordslacheville.Jevais
m'étalerdetoutmonlong.J'ailesoufflecoupé,jesaisquecequim'attend
vafairemal.Lecimentsejetteversmoisivitequejenepeuxmêmepasme
protégerlatête.Ladernièrechosequejevois,c'estunmonsieurbien
habilléauxcheveuxpoivreetselquimefixedesesyeuxécarquilléstandis
quejebalancelesbrasenlesagitantcommedesailesdepoulet.
Ladouleurmevrillelatempeaumomentoùjem'abatssurletrottoir,puis
c'estlenéant.
Chapitre3
Quelquechosememartèlel'intérieurducrâne.Jesensmonterlanausée,
maisjeresteimmobilequelqueslongsinstantsengardantlesyeuxfermés
etenattendantqueçapasse,etlesbattementsdansmatêtes'estompent
jusqu'àn'êtreplusqu'unroulementdetambourdanslelointain.
J'entrouvreunepaupière,pensantquelemartèlementvarecommencer,
maisnon.J'ouvrel'autreœil;lemaldetêteacessé.Bon.
Unefoisquej'ailesyeuxouverts,cependant,unnouveauproblèmese
présente.Jesuisassiseparterre,dansdelabouehumideetmolle.Mamain
gauche,surlaquellejeprendsappui,s'yenfonce.Jeredressebrutalementla
tête.
Moncœurbatplusviteetuncris'étrangledansmagorge.
C'estquoi,cecirque?Jesuisentouréed'arbres.Etpasseulementquelques
arbres,commesionm'avaitdéplacéedutrottoir"jusqu'àunjardinpublic
voisin.
Non,jepourraistoutaussibienêtredanslaforêtd'unparcnational.Le
soleilsecoucheettoutcequejevois,cesontdestroncsd'arbres,des
ombresetdel'humus.Desoiseauxontleculotdegazouiller-àlesentendre,
c'estunejournéeordinaire.
C'estabsurde.Complètementabsurde.
D'unemaintremblante,jemefrottelesyeux,certainequej'aiune
hallucination.Quandjelesrouvre,rienn'achangé.
Oh,monDieu,monDieu,monDieu.Qu'est-cequec'estqueça?Cen'estpas
normal.Pasnormaldutout.
Jeregardeautourdemoi,enm'obligeantàinspirerplusieursfoislentement
etprofondément.
Pas.De.Panique.
Ilexisteforcémentuneexplicationsimple.
Messacsdeshoppingontdisparu.Touslestrois.Onm'adépouillée?Mon
sac{mainesttoujoursserréentremesdoigtscrispés,unrapidecoupd'œil
m'indiquequesoncontenuestintact.Alorsoùsontmesachats?Àmes
pieds,jesuisrassuréedevoirmesprécieuseschaussuresPrada.Ouf.
Jeremontelesgenouxjusqu'àmapoitrineetj'yposemonfront.Matempe
gaucheestsensibleàl'endroitoùelleaheurtélesol.
Jememordilleleslèvresetpromèneànouveaumonregardalentour.Mais
qu'est-cequec'estquecettehistoire?
J'aiachetéceschaussures.J'aifaitquelquespas.Jesuistombée.
Etjemeretrouve...enpleineforêt?
C'estimpossible.Jenemerappellepasavoirvudesarbrescommeceux-là.
Peut-êtrequ'ilsétaientcachésderrièrelesboutiques?Peut-êtreque
quelqu'unm'aentraînéeàl'écartdelacirculation?
Maisj'aibeautournerlatête,jenevoisquedesarbres,àpertedevue.Des
centaines.Non,desmilliers.Plusletempspasse,plusj'aienviedeprendre
mesjambesàmoncou.Qu'est-cequetoutçasignifie,àlafin?Commentse
fait-ilquejemecognelatêteenpleincentredeLondresetquejeme
réveilleaumilieudesbois?
Quelquechosehurleauloinetjebondissurmespiedsensursaut.Dieu
tout-puissant.IlyadesloupsenAngleterre?Cedevaitêtreunchien.Mais
danscecas,étantdonnélecriqu'ilapoussé,ildoitêtreimmense.
Titanesque.
Jem'éloignerapidementdansladirectionopposée.Mestalonss'enfoncent
danslaterrehumideetjedoisétendrelesbraspournepasperdre
l'équilibre;j'ail'impressiondemarchersurdessablesmouvants.J'enaurai
pourdesheuresavantd'arriverquelquepart.Etlesoleildéclinedéjà.
L'horreur.L'horreurabsolue.Jeneveuxpasêtreperduedanslenoirloinde
tout.
Jerespireunboncoupenessayantdecalmerlesbattementsdemoncœur
quis'estemballédansmapoitrine.C'estlegenred'événementsbizarresqui
arriventauxinfos.Pasàmoi.
Jetrébuchesurdesracinesettombeàgenoux.Laboueavitefaitde
transpercermonjean.Jemerelèvetantbienquemal,leslarmesaubord
descils.Génial.C'estexactementcommeçaquejevoulaisterminerma
soirée.Jedevraisêtreentraindefairelafête,dedanseretdefairela
causetteavecMindyetAngela.Maisàlaplacejemebaladedansuneforêt
anglaise.Touteseule.Àlatombéedelanuit.
Jen'ycomprendstoujoursrien.Parquelmystèrej'aibienpuatterririci?
Etsijen'allaispasenlignedroite?Pasimpossiblequejetourneenrond!Je
vaisvégéterindéfinimentdanscepérimètre!
Ilfaitfroid,etilrègneunsilencesurnaturel.Lefeuillagedesarbrescachela
lumièredéclinantedujouretrendlaforêtbeaucouptropsombreàmon
goût.Est-cequequelquechosevientderemuer?Non,c'estunesimple
feuillequitombeenvoletant.Jedeviensparanoïaque.
Aprèsavoirmarchédixminutes,mauditl'Angleterreettoutcequ'elle
englobe,j'entendsquelquechose.Celaressembleàungrondementqui
rappelleceluid'untrain,maisunpeumoinsbruyant.Suivid'un
hennissement.Hein?Çanepeutpasêtrebonsigne.
Jememetsàl'abriderrièreunchênegéant,biencachéeparlelargetronc,
etj'ouvregrandslesyeux.Pitié,faitesquejenetombepassurundétraqué
arméd'unetronçonneuse.
Uncarrosseapparaît,tiréparquatrechevauxgris.Jemesuisréveilléedans
uncontedeféesouquoi?Jefixeavecahurissementlesrouesquipassent
devantmoietjesenslesoltremblersousmespieds.Lefracasdiminue
tandisquelavoitures'éloigne,etjesongesoudainquej'auraispeut-êtredû
demanderdel'aide.
Siçasetrouve,c'étaientdesgensbienintentionnésquiauraientpume
secourir.
Monventresenouetoutàcoup.Etsij'étaisvraimentloindetout?Sij'étais
àjamaisperdue?Onpourraitretrouvermoncorpsn'importeoùdansles
bois.Etpersonnenesaurajamaiscequim'estarrivé.Parcequemoimême,jen'enaiaucuneidée.
C'estuncauchemar.Unpurcauchemar.
Jen'aipaslechoix.Jedoismeremettreenmarche.Jenevoisaucunepreuve
decivilisationmaisjenepeuxpasêtresiloindel'hôtel.Oudumoinsd'une
maisonetdequelqu'undisposantd'untéléphone.Maissij'appelleMme
Bentley,commentluiexpliquerceci?Elleneveutpasqu'onquittel'hôtelen
solo,etjemeseraisinexplicablementégaréedanslesbois?Çaneprendra
jamais.
Aumoins,lecarrossem'amontrélarouteparallèleaucheminque
j'empruntais.Jemedécaled'unequinzainedemètrespourlarattraper.Elle
nevautguèremieuxquelecouvertdesarbres.Elleestcreuséede
profondesornièresetn'estpasgoudronnée,cen'estquedelaboueetdela
terrecompactée.Heureusement,mestalonsnes'yenfoncentpasetjepeux
accélérerl'allure.C'estpluslumineux,aussi,etjetrébuchemoins.
Cesilenceestincroyable.Leseulbruitquej'entendsestleclaquementde
mestalons,unsonrégulierquirésonnebeaucouptropfort.Lesoleiln'apas
encoredisparu,maislaluneselèvederrièremoietlesétoilesscintillent
déjà.Lalumièrefaitbrillerlespetitesflaquesd'eauetdegadouequi
émaillentlechemin.J'essaiedenepasremarquerqu'ilyabeaucoupplus
d'étoilesdanslecielqu'hiersoir.
Jemarchejusqu'àcequelesoleilnesoitplusqu'unfilamentàl'horizon,en
regrettantdenepasavoirarrêtélecarrosse.J'aidesampoulesauxorteilset
laplantedespiedsàvifàl'endroitoùfrotteletalon.Latêtemetourne.
Sepourrait-ilquejerêve?Aussibien,j'aiperduconnaissanceetjesuisen
réalitédansunlitd'hôpitalentraind'imaginercescénariocomplètement
insensé?C'estplausible.Plusoumoins.
Mincealors!Jen'arrivepasàlecroire.Deslarmesjaillissentdemesyeux,
maiscettefoisjeleslaissecoulerlelongdemesjoues.C'esttropinjuste.Je
n'airienfaitpourméritercetenfer.C'estAngelaquidevraitêtreentrainde
prouversescapacitésdesurvie.C'estellequis'estmoquéedemoi.Le
karmaestcensévousracheterdecegenredechoses,aulieudevous
enfoncerquandvousêtesàterre.
Aujourd'hui,c'estofficiellementlapirejournéedemavie.Pourquoia-t-il
falluquejepersuademamèredemelaisserpartirenAngleterre?Elleavait
raison.Jen'étaispasmûrepourunvoyageàl'étranger.Sielleétaitlà,je
reconnaîtraismestortsetjeluidemanderaisdemerameneràlamaison.Je
passeraislerestedel'étéàmesoccupationshabituelles:alleraucinéma,
surfersurInternet,liredesmagazines,mangerdescochonneries.Peut-être
queçanecompenseraitjamaisleschosesdontj'airéellementenvie,maisau
moinsçam'éviteraitdemepaumerdanslajungle.
J'aperçoisquelquechosedevantmoi.Jemecacheànouveauderrièreun
tronc,letempsdevoirdequoiils'agit.Jeplisselesyeux.Quelquechoseluit
auloin.Deslumières!Jedoisêtreprèsd'unemaison!Jebondisdederrière
l'arbreetcoursaussivitequejelepeuxversleslumières.Aussivite,plus
précisément,quemespiedscouvertsd'ampoulesmelepermettent.
Meschaussuresdoiventêtrebousillées,maintenant.Quatrecentsdollars
fichusenl'air.Ça,jenesaispascommentjevaisl'expliqueràmaman.Jeme
demandesijeneferaispasmieuxdelesretirercarrément,maisjen'aipas
tropenviedemeretrouverpiedsnus.Ducoupjelesgarde.
Àunequinzainedemètresdeslumières,jemerendscomptequecesont
deslanternes.Devraieslampesàpétroleavecdevraiesflammesdedans.
Maisc'estunemaison!Entoutcas,jedistingueuntoitaumilieudes
ombres.
Arrivéeausommetd'unepetitecolline,jedécouvreavecstupeurlamaison
quisetrouvesouslatoiture.L'appelermaisonestdérisoire.C'estun
authentiquecastelquisedressedevantmoisurunebuttegazonnée,
flanquédepartetd'autrededeuxailesmassives.Dulierregrimpanttapisse
l'aileest.Toutl'édificeestenpierre,exactementcommeunchâteaude
contedeféeset,danslecrépuscule,ilestàlafoismajestueuxeteffrayant.Je
lecontempleunlongmomentenmedemandantquelgenredepersonnes
habitentlà.Ilsdoiventêtrerichissimes.Voudront-ilsbienm'aider?Oume
prendront-ilspouruneadofugueusehystérique?
N'ayantpaslechoix,jeboitillejusqu'àlaported'entréetandisqueles
pierresduchemincèdentlaplaceàunealléepavée.Mespiedsm'élancent
etjefrissonne.Ilfaisaitsichaud,pourtant,maisl'humiditédelabouem'a
transie.Depuisunevingtainedeminutes,levents'estlevéetsiffleàtravers
lesarbres.S'ilsnemeviennentpasenaide...jepréfèrenepasimaginerle
sortquim'attend.
Jepassedevantunbassindanslequelquelquesoiess'ébattentgaiement,et
medirigeversl'entrée.Laporteestimmense.Deuxfoisplushauteque
nécessaire.ElleestassezgrandepourêtrelaportedelaCitéd'Émeraudedu
magiciend'Oz.
Jefrappeenfermantlesyeux.Vousallezm'aider.Vousallezm'aider.Vous
allezm'aider.
Chapitre4
Laportedelasomptueusedemeures'ouvreavantmêmequej'aieletemps
delaisserretombermonpoing,commesiquelqu'unattendaitdel'autre
côté.Levieuxmonsieurquimedévisageestmaigreetfrêle;sonsourire
méprisantetsonregardsecmedonnentenviedebattreenretraite.J'aimal
auventre.Pasfranchementaccueillant,lepèlerin.Ilesthabilléàlamode
d'autrefois,avecsongiletblancamidonnéetsajaquettenoire,et,leplus
saugrenu,c'estqu'ilporteuneperruquepoudréecommeGeorge
Washingtonoucegenredetypesdel'époque.Iltoisemontee-shirtetmon
jeancrasseux,ets'apprêteàmefermerlaporteaunez.
-Attendez!dis-jeenglissantunpieddansl'embrasure.
Laporterebonditsurmesorteilsendolorisetenvoieuneondededouleur
danstoutemajambe.Oui,cettefois,meschaussuressontbeletbiencuites.
Jebredouille:
-S'ilvousplaît,je,euh...j'aib-besoindevotreaide.
C'esttotalementdinguedevouloirqu'unbonhommecoifféd'uneperruque
poudréevousportesecours.
-Jemesuisperdueet...
-Rebecca?appelleunevoixdefilleteintéed'undecesaccentsanglaispurs
etmélodieux.
Jemetordslecoupourregarderàl'intérieuralorsquelaporteesttoujours
àdemiclose,espérantapercevoirlatêtedelafille,maiselleseprécipite
versmoiavecunetellefouguequej'aiàpeineletempsd'entrevoirses
cheveuxbrunsetsonmerveilleuxteintpâleavantqu'ellenesejettedans
mesbras.
-C'esttoi!s'écrie-t-elleavecexcitation.J'aitoutdesuitereconnutonaccent
américain.Nousnet'attendionspasavantencoreunmois!Jeviensjustede
recevoirtadernièrelettredisantquetut'apprêtaisàachetertonbillet
auprèsdelaCompagnietransatlantique.
Ellemeserresifortcontreellequejen'arriveplusàrespirer.Ainsi
comprimée,jeconstatequ'elleporteuncorsetsoussarobedémodée,car
l'armaturemefaitmalàtraversmontee-shirt.Elledoitavoiràpeuprès
monâge,probablementmoinsdedix-huitans,maiscesvêtementsla
vieillissent.
Leslanternes,leshabitsd'autrefois,lecarrosse...Qu'est-cequeçasignifie?
Ladimensiondecesarbres...lafaçondontbrillentlesétoiles...
Non,c'estdelafolie.L'Angleterreestsimplementdifférentedel'Amérique,
voilàtout.Ilsdoiventobserverdemeilleuresnormesenmatière
d'environnement.
Jemerendscomptequejedévisagelafillelorsqu'elleémetunpetitrire
gêné.
-C'estmoi,Emily!Ilestvraiquecelafaitsilongtemps,n'est-cepas?Nous
avionsseptans,jecrois,ladernièrefoisquenousnoussommesvues.Oh,
commetum'asmanqué,machèremeilleureamie!
-Oh,non,jenesuispas...
Jem'interrompssoudain.J'aibesoind'aide,non?Serait-ceréellement
dépasserlesbornesquedelalaissermeprendrepourcetteRebecca?Juste
uneheureoudeux.Cen'estpasuncrime?
Jeterminemaphrase:
-Jesuisbiencontented'êtreici.
Unsentimentdeculpabilitém'envahitbrusquement,maisjenevoispas
d'autresolution.Siquelqu'unnemeportepassecoursrapidement,jevais
passerlanuitdanslesbois,seuleetterrorisée.
-Entredonc,ilfaitsifroid!Oh,jesuistellementheureusequetusois
arrivée!MesvacancesàHarksburysontbienmornes,vois-tu.Jesuisici
depuistoutjustetroissemainesetlamonotoniemelasse.Oùsonttes
bagages?
Elles'exprimebeaucoupavecsesmains,qu'ellelancedanstouslessens
avecenthousiasme.
-Hein?
Jevoisqu'elleregardederrièremoi,etjemeretourneversleperrondésert.
Ahoui,biensûr.Sij'arrivedirectementd'Amérique,jedoisavoirdes
bagages.
-Ils...euh,ilssonttombésàlamerpendantlesopérationsde
débarquement.J'aitoutperdu.
-Oh,c'estfortfâcheux!Maiscelan'apasd'importance,noussommesde
mêmestature,semble-t-il.Cesontdeseffetsd'hommequetuporteslà?Tu
doisêtreaffreusementgênée!
Jerougis,sanstropsavoirpourquoi.Elleestaffubléed'unerobeàruché
lavandeetc'estmoiquidevraisêtregênée?Quiestdonccettefille?Et
pourquoicedéguisement?LesAnglaissontdécidémentexcentriques.Je
pariequ'ils'agitd'unedecesvieillesfamillesbien-pensantesetultraprotocolaires.Peut-êtredesnobles,jenesaispas.
-Puis-jemeservirdevotretéléphone?dis-jedebutenblanc.
Sij'arriveàjoindreMmeBentley,toutecettemésaventureserabientôt
terminée.Jeretourneraidansmachambred'hôtel,jeprendraiunebonne
doucheetj'enfileraimeschaussonsbiendouillets.
Lafilles'immobiliseetmeconsidèreeninclinantlatêtedecôté,commele
feraitunchienpouressayerdemieuxcomprendre.Sesbouclesbrunes
ondulentgracieusement,ondiraitunepublicitépourunshampooing.
-Notrequoi?
-Téléphone.
J'essaiedemasquerledésarroidansmavoix.Elleplissesonjolipetitnez.
-Jenecroispas.
Deslarmesmemontentauxyeuxmaisjelesrefoule.Elledoitavoirun
iPhonedernièregénérationqu'elleneveutpasmeprêter.Elleasûrement
peurquejeleluivole.
-Etsi,parexemple,nousallionsenville?dis-je.Chercher,jenesaispas,des
vêtements,puisquej'aiperdutoutesmesaffaires.
Labouledansmongosiergrossitàtelpointquelesderniersmotstiennent
plutôtducouinement.
-Enville?Àcetteheure-ci?Nousironsensembledèsdemainmatin.
Justement,jevoudraismeprocurerdenouveauxrubans.Enattendant,tu
vastereposer,mabonneamie.SaGrâces'estdéjàretirépourlanuit,etje
m'apprêtaismoi-mêmeàmonterdansmesappartementsquandj'ai
entendutavoix.Viens,nousallonst'installeretdemainmatin,je
t'accompagneraiàlaville.
-Mais...c'estimportant.S'ilteplaît.Çaneprendrapaslongtemps.
Jem'enveuxmaismeslèvrestremblentcommecellesd'unenfant.Jesuis
obligéedelesmordre,sifortquejesenslegoûtdusang.
Lafilleal'airperplexe.Ellemecontempleenfronçantlessourcilsetàmon
avis,c'estmauvaissigne.J'aicommel'impressionqu'ellepressentune
embrouille,soupçonnequejenesuispaslavraieRebecca.Sielledevine
monimposture,jesuisbonnepourretournererrersurlaroute.Enessayant
detrouverunsensàtoutecettemiseenscène.
-Ilestimpensablequejefasseattelerlecabrioletàcetteheure-cisansla
permissiondeSaGrâce.Bienquenoussoyonscousins,jen'oseraisle
réveiller.Iltefaudraattendredemainmatin.
Jenerelèvemêmepaslefaitqu'elleaparléd'attelerlavoiture.Jedéglutis,
ravalel'envieimpérieusedelasupplieràgenouxetmecontentedehocher
latête.Làc'estobligé,jevaislouperlasoirée.
Lepirec'estqued'iciàmonretouràl'hôteldemain,MmeBentleyaura
vraisemblablementdéjàenvoyélapoliceàmarecherche.Maisquefaire?
-D'accord,çaattendrademain,dis-je.Je...euh,jesuisheureused'êtreici.
Ellesourit,meprendlamainpourmefaireentreretlaseulechosequime
vientàl'esprit,c'esthoulala!àchaquepas.Jusqu'àcequejesoisà
l'intérieur.Là,jesuistellementébahiequej'enrestecoite.Levestibuleest
gigantesque,lesplafondscintrésfontdixmètresdehautetl'escalier
d'honneurestsigrandquecinquantepersonnespourraients'ytenir.
Derrièrelesmarches,unepeinturemuraled'aumoinssixmètresdelarge
représenteunescènesylvestredanslaquellecaracolentdeschevaux.Les
marchessescindentsurunpalieràmi-hauteur,d'oùellespartentdans
deuxdirectionsopposées,versdeuxailesdistinctes.
Cetendroitressembleàunmusée.Maisenplusvasteetplusseigneurial.Le
grandiosesoldemarbreoudegranit,jenesaispas,estincrustédemotifs
indiquanttouteslesdirections,versdelongscorridorsou
d'impressionnantesportesenchêne.Toutelasurfacedesmursetdu
plafondlambrissésestrehausséed'élégantsdétailsdemarqueterieetde
mouluresenchêne,etdegigantesquesportraitsdansdescadresàdorures
sontaccrochéssihautqu'ilafalluprobablementuneéchellededixmètres
pourlessuspendre.LapointedemachaussurePradareposesuruntapisà
motifsdecouleursvives,dontchaqueextrémitéestornéedeglands.
Cesgens-làontdel'argent.AvecunAmajuscule.Plusqu'iln'enfaut.Àtous
lescoups,ilspossèdentunjetprivéquelquepartaufondduparc,etleur
proprepisted'atterrissage.
-Viens.Suis-moi.
Jem'attendspresqueàentendrel'échodesavoixdanscetespace
caverneux,maispasdutout.Ellesedirigeversl'escalieretjeluiemboîtele
pasmais,alorsquejemontesurlapremièremarche,montalons'accroche
etjetombelourdementsurlesgenoux.
Etlàc'estladébandade.Jefondsenlarmesetm'affaissesurladeuxième
marche.Jen'enpeuxplus.Jenecomprendsstrictementrienàcecirqueetje
m'enfiche.Toutcequejesouhaite,c'estqueçacesse.Jevoudraisêtreàla
maison,heureuseetinsouciante,maisjesuissiloindechezmoiqueje
n'aiaucuneidéedel'endroitoùjesuis.Pourquoiçam'estarrivéàmoi?
Qu'ai-jefaitpourmériterunepoissepareille?
J'avaisdéjàlesidéesnoirescematin,c'estmillefoispiremaintenant.
Qu'est-cequipourraitencoreallerdetravers?
-Rebecca?
Lafilleredescendjusqu'àmoietquandellemetouchel'épaule,jetressaillis
etmedérobe.
Jenesaispascombiendetempsilmefautpourmeressaisir,refoulermes
larmesetm'essuyerlenezdansl'épauledemontee-shirt,maisquandje
relèvelatête,elleesttoujourslà.
-Je...euh,jesuisdésolée.Çaaété...unlongvoyage.Ellehochelatêtecomme
siellecomprenait,etjem'essuielesyeux.
Jelasuissansdireunmotjusqu'enhautdesmarches.Emilymeprécède
dansuncouloirinterminableflanquéd'unemultitudedeportes,jusqu'àce
quejenevoiemêmeplusl'escalierderrièremoi.Lamaisonestsombreet
oppressante,leslueursdesbougiestremblentsurnotrepassageetfont
dansernosombres.
Ellem'ouvreuneporteetmefaitsigned'entrer,marmonnequelquechose
ausujetd'unebonne,ets'enva.
J'entre,refermelaportederrièremoietvaisverslelit.Jemejettedessus,
j'enfouismonvisagedansunoreillermoelleuxetpleuretoutesleslarmes
demoncorps.
Chapitre5
Ilyaunefemmedansmachambre.Jelesaisavantdelavoirparceque
j'entendsdessortesdegrognements,quiaccompagnentungenrede
raclement.Jemeredressed'unbondsurlelit,lacouverturetiréesousle
menton.
Etlà,jemesouviens.Hiersoir...lamarchedanslesbois...touscesgensqui
fontsemblantdevivreautempsjadis.Soudainj'ailapoitrinecreuseet
meurtrie,uncafardénorme.Jememordslalèvre,trèsfort,pouréloigner
leslarmes.
J'étaiscenséemeréveilleràl'hôtel.Paredecedrôlederêve.Oumême
rouvrirlesyeuxàl'hôpital,victimed'untraumatismecrânien.Çanepouvait
pasêtreréel.
Iln'étaitpasquestionquejemeréveilleici.
Etpourtantmevoilà,danslamêmechambreàcoucherqu'hiersoir.Elleest
plusgrandequelesalondemesparents,etjecroisquelelitàbaldaquinne
tiendraitmêmepasdansmachambre.Lesmurssontd'unjauned'orqueje
n'avaispasremarquéhieràlafaiblelueurdesbougies.Unfeucrépite.
Quandl'a-t-onallumé?Sesflammesdansentsousunmanteaudecheminée
peintenblancetrehaussédedoré.
Cesgens-làsontdevraisenragésdeladorure.Ilyadessculpturesautour
detouteslesportesetdetouteslesfenêtres,dontlapeintureestassortieà
celledelacheminée.Pasuneseulesurfaceicin'estlaisséenue.Lemoindre
pandemurs'ornedetableaux,demouluresouvragéesoudetapisseries
décorativesquiencouvrentlamoitié.Mêmelesrideaux,négligemment
ouverts,sontd'uneéclatantecouleurambrée.Lahauteurdesplafondsest
impressionnante,aumoinsdixoudouzemètres.
J'ignoreoùj'aidébarquémaisc'estimmense,luxueuxetopulent.Ondirait
unbed-and-breakfastpourrichesaristocratesouquelquechosedansce
genre.
C'estunedomestiquequim'aréveillée.Çasevoitàsarobenoiretoute
simple,àsescheveuxternesramenéssurlanuqueenchignon.Elleestjolie,
mêmesansmaquillage,etsonvisagesainestunepublicitévivantepour
lotionanti-acnéique.Sonsourire,curieusement,neutralisel'affolementqui
m'envahitl'estomac.
Elletraîneunemalle,s'arrêtedevantl'imposantearmoireetl'ouvre.
-J'aiquatrerobesàvotredisposition,dit-elle.
Sonaccentestétrange.Anglais,maispasdutoutcommeceluid'Emily,qui
estlimitecompassé.
-Nousdevonsnousdépêchersansquoivousserezenretard.Envotre
honneur,leducvarejoindremesdemoisellespourlepetitdéjeuner.
Jejaillishorsdulit,denouveausecouéeparuneboufféed'affolement.
-Leduc?Commentça,leduc?
Ellemecontemplecommes'ilm'étaitpousséunedeuxièmetête.
-Pardon?
-Quiestduc?
-SaGrâce,biensûr.
Jeladévisage,moncœurproduisantsoudainuntapageassourdissant.
-Untypequis'appelleGrâceestduc?
Elleéclatederire,puissecouvrelabouchecommesisaréactionétait
déplacée.
-Ilnes'appellepasGrâce.Ils'agitdelordAlexanderThorton-Hawke.Leduc
deHarksbury.
-Alorspourquoivenez-vousdel'appelerGrâce?Ellehausseunsourcil.
-J'oubliequevousêtesaméricaine.L'usageveutqu'ons'adresseàlui,età
n'importequelautreduc,endisant«VotreGrâce».
-Oh.
Jem'assiedsauborddulit.Mesjambestremblenttroppourmesoutenir.
Ainsi,j'aiatterrichezunduc.
Jecomprendsmaintenanttoutcefaste.Maisqu'est-cequeçasignifie?Faitilpartiedelafamilleroyale?Ilvam'ignorer,fatalement.
MonDieu.Ets'ilconnaissaitRebecca(end'autrestermes,cellequejene
suispas)mieuxqu'Emily?S'ilsavaitquecen'estpasmoi?Lepouvoirdes
ducsestimmense,non?S'ilmefaisaitarrêteroujeterdansdesoubliettes
oùjenesaisquoi?Cettemaisonestgigantesque.Unvéritablechâteau.Ils
ontuncachot,sansaucundoute.Personnenemeretrouverajamais.Pas
dansunpaysétrangeraumilieudenullepart.
Jememetsàrespirerviteetfort,monsouffleestsaccadé.J'aibesoind'air.
-Vousvoussentezbien?
Jenebougepasninehochelatête,c'estcommesijenel'avaispas
entendue.Jemecontentedefixerdesyeuxleboutdutapissousmesorteils.
Pourquoi,maispourquoiai-jeprétenduêtreRebecca?Çanemarchera
jamais.J'auraisdûdirelavéritéàEmily.Ellem'auraitsûrementaidéemême
sij'étaisuneinconnue.Elleal'airgentille.Cen'étaitpaslapeinedemefaire
passerpouruneautre,j'auraispusimplementluidemanderassistance.
Etmêmesiellenem'avaitpassecourue,jeseraisrepartieàpied.Londres
n'estpeut-êtrepassiloin.Jepourraisyêtreàl'heurequ'ilest,aulieudeme
retrouverdanslamaisond'unducquivasansdoutemefairedécapiter.
Auboutdedixminutes,marespirationredevientnormaleetjemesensun
petitpeumieux.Ilfautjustequejefranchissel'étapedupetitdéjeuner.Sile
ducnedevinepasquejenesuispasRebeccadèsqu'ilposelesyeuxsurmoi,
jedevraispouvoirm'ensortir.Jegarderailatêtebaisséesurmonassietteet
jeparlerailemoinspossible.PuisEmilym'emmèneraenvilleetjen'aurai
plusqu'àprendremesjambesàmoncou.Ellen'auramêmepasletempsde
comprendre.
Labonnerestedeboutetattend,sansriendire.Ellenedonnemêmepas
l'impressiondemeprendrepourunefolle,etheureusement.Jenepense
pasquejesupporteraisçaenplusdureste.Enfin,jeréagisetmelève.
Ellesortlesvêtementsdelamalleetlesétaleauboutdulit.Lacoquetterie,
cen'estpasexactementmontruc,maisj'aitropdesoucisentêtepour
protester.
Jepousseungrandsoupirquimefaitdubien,etmeconcentresurles
habits.
Aussitôtenville,finilacomédie.Jesautedanslepremiertaxietdirection
l'hôtel.MmeBentleymetomberadessusparcequejel'auraifaitflipper,on
riraunboncoupetlaviecontinuera.Mamanmepuniracertainement
quandjerentreraiàlamaison,maislàtoutdesuite,lanotionde«rentrerà
lamaison»estsimiraculeusequejem'encontrefiche.
Maisaufait,etsileschaussuresétaientpourquelquechosedanscesacde
nœuds?Toutacommencé{l'instantoùjelesaienfilées.Ellessont
maudites,siçasetrouve.
-Lepetitdéjeunerseraservidansvingtminutes.Hâtons-nous.
Àl'évocationdelanourriture,monestomacgargouillesibruyamment
qu'ondiraitunchatblessé.Labonnefaitcellequin'arienentendu.Avant
quejeréalisecequ'elleestentraindefaire,ellem'ôtemontee-shirtpardessuslatêteetjesuistorsenu.Bonjourl'intimité.
Jegardeunbrasentraversdelapoitrine,jusqu'àcequ'ellem'obligeàle
releverafindemefaireenfilerunerobefinequigratte.Puisellemeretire
monjeanetpassed'autreschosespar-dessusmatête,qu'ellelace.
Sérieusement,elleadûsuperposersurmoisixépaisseursdevêtements.
Enfin...trois.Larobeestd'unejoliecouleurpêche,bordéedeblancenbaset
aucol.Ellenouelalargeceinturejustesouslapoitrine,façontailleEmpire.
Jedoisreconnaîtrequec'estmignon.Jenemettraisjamaiscelaàlamaison,
biensûr,maisdanscetteambianceçapasseplutôtbien.
Pourtant,maintenantquejesuishabillée,j'éprouvelebesoinirrésistiblede
toutarracher.Jenepeuxpasporterça.Jenepeuxpasjouerleurjeuetfaire
semblantdemetrouverdanslepassé.
Jetournelestalons.Ilmefautmonjean.Ilmefaut...delanormalité.
Maislabonnemeprendparlesépaules,meconduitjusqu'àuntabouretet
m'yfaitasseoirsanscérémonie.Deuxsecondesplustard,ellesemetàme
brosserlescheveux.Sansdouceur.Elleadûenarracheraumoinstrenteau
premiercoupdebrossecarj'ailecrâneenfeu.
J'endureengrimaçantl'opérationcoiffure,etendixminuteselleaterminé.
Duboutdesdoigts,j'effleurelesommetdematête.Elleafaitdemes
cheveuxunesortedechignontressé,entortilléautourdematêtecomme
unecouronne.
Ellemetendunepairedegantsetjem'apprêteàlesgardersimplementàla
main,maisjevoisqu'elleattendquejelesenfiletoutdesuite.Dansla
maison.Çameparaîtunpeustupidemaisjem'exécute.
Lesmulesqu'ellem'aapportéessontbeaucouptroppetites.Emilyetmoi
avonslemêmegabaritmaisquestionpointure,rienàvoir.Labonnetrouve
mesescarpinsPradaet,bienquemesorteilssoientencoreausuppliceet
quej'aiesolennellementdécidéquelestalonshautssontlefléaudemon
existence,jelesenfile.Jenepeuxpasresterpiedsnus,toutdemême.
Lorsquejedescendsl'escalierenboitillant,marobetraînantderrièremoi
surlesmarches,jen'aimêmeplusl'impressiond'êtremoi-même.Dela
coiffureàlarobed'uneépoquerévolue,jesuisdevenuequelqu'und'autre.
Jeviensd'entrerdansunrêve.
Ouuncauchemar,auchoix.
Uneservantemefaitsignedelasuivrelelongd'uncouloirquisemblene
jamaisdevoirfinir.Cettemaisonestdémesurée,c'estunlabyrinthede
portesetdecorridorsàpertedevue.Çamerappellemonlycée.Enplus
distingué.
Lescouloirssonthautsetlarges,etmalgrétoutunpeusombres.Iln'ya
aucunelampenullepart.Niaucuninterrupteur.Maisdestableaux,destapis
àmotifs,d'épaisjambagesenboissculptéautourdetouteslesportes...La
plupartdesfenêtressontdotéesdeprofondsbow-windowsmunisde
banquettes,etd'autresdevitresàpetitscarreaux,certainesteintées.Cela
meparaîtunpeurocambolesquedemarcherdanscepalace,ainsifagotée,
commesij'étaisàmaplaceici.
Jem'arrête,jefermelesyeuxetjerespireprofondément,lentement,enme
concentrantsurlebruitquejefaisetentâchantdenepasprêterattentionà
lasensationdelarobequieffleuremesjambes.Cen'estpasréel.
Jerouvrelespaupières,maisjesuistoujourslà.
MonDieu,ilfautquejemesauve.
Quandj'entredanslasalleàmanger,Emilyestdéjààtable,etjedécocheun
brefregardauxdeuxinconnus:unefemmeempâtéed'unebonne
quarantained'années,quisemblevêtued'unnapperongéant,etungarçon
nettementplusprochedematranched'âge.Serait-celeduc?Ildoitavoir
dix-neufans!Sansmelaisserletempsdemieuxl'examiner,lafemmese
précipitesurmoi,lesbrastendus.
-MademoiselleRebecca!dit-elleenm'étreignantdetoutessesforces.Quel
ravissementdevousvoir!Votrevoyageadûêtrebienrapidepourque
vousarriviezàcepointenavance!Jevousprésentetoutesmesexcuses
pourn'êtrepasvenuevousaccueillirhiersoir.
Jen'arriveplusàrespirer.Jesuissubmergéeparlapuissanteodeurde
poudreémanantdecettedame.Décidément,onnelésinaitpassurlapoudre,
autrefois!
Jesuissichoquéeparcequejeviensdepenserquejemeraidis
brusquementetm'échappedesesbras.
Pourquoimesuis-jefaitcetteréflexion?Nousnesommespasautrefois,ce
sontsimplementdesmarginauxquiontchoisidenepasvivredansle
monded'aujourd'hui.Maisjesuistoujoursauxxiesiècle.Ilestimpossible
quej'aieremontéletemps.Absolumentimpossible.
Jem'obligeàmedétournerdelafemmepourposerlesyeuxsurlejeune
hommequisetientàcôtéd'elle.Etlà,j'ailesouffletoutsimplementcoupé.
Leduc.
Chapitre6
Cetypeestduc.Commentpeut-ilêtreduc,iln'aquequelquesannéesde
plusquemoi?
Ilestégalementhabilléàl'anciennemode,maispourjenesaisquelle
raison,surlui...c'estdifférent.Savestebleumarinesouligneseslarges
épaulesetsatailleétroite.Sonpantalonendaimmouleseslonguesjambes
minces,etsesbottescavalièresencuirdonnentuneimpression,comment
dire...depanoplie?Etpourtant,malgrésonridiculeaccoutrement,ilaun
aircérémonieuxetintimidant,etenmêmetempsétrangementsexy.
Commentpeut-ilêtresiultrabeauvêtudecettefaçon?
Ils'avanceversmoiet,instinctivement,j'aienviedereculer.Jeparviensà
garderlestalonsrivésauparquet.Ilalescheveuxnoirset,deprès,je
m'aperçoisquesesyeuxsontd'unenuancedevertéclatante.Ondirait
presquequ'ilsétincellent.Etilestgrand.Sinousétionscôteàcôte,ilme
domineraitdetoutesahauteur.
Ilmedévisage.Jedéglutisensoutenantsonregard,etj'attendsqueçase
produise.J'attendslemomentoùsesyeuxvontseplisser,oùilva
comprendrequejesuisuneusurpatrice.Moncœurbatforttandisqu'il
m'observe,levisageimpénétrable.Quepense-t-il?Est-cequ'iladeviné?Au
secours!Ets'ilyaréellementdesinistresoubliettesdanscettebaraque?
-MademoiselleRebecca,dit-ilens'inclinantdevantmoi.
Etjefaislarévérence.Uneauthentiquerévérence,commesic'était
parfaitementnaturel.Jenesaismêmepascommentons'yprend,maisje
croiseunpiedderrièrel'autreetmecourbeverslesol.Celarequiertun
certaineffortdemapart,maisjenetrébuchepasetjen'accrochepas
l'ourletdemarobe,aussipeut-onconsidérerquec'estuneréussite.
-J'espèrequevousavezfaitbonvoyage?
Savoixestmagnifique.Profondeetunpeurocailleuse,commeilsedoit
pourungarçon,aveccetaccentanglaissiaristocratique.
-Oui,euh,merci.
Jeluidécocheunsourirehésitant,maisilsecontentedehocherlatêteet
retournes'asseoir.Ilfautcroirequ'iln'estpasdugenreàserépandreen
effusions.
Jem'approchedelatableetprendsplaceàcôtéd'Emily.Apercevantses
gantsposésprèsd'elle,j'ôtelesmiensetleslaissesurlatable,moiaussi.
Ilyatroisdomestiquesdanslapièce.Ilssetiennentdeboutdanslescoins,
silencieux,d'unetailleétonnammentsemblable:c'estàsedemanders'ils
ontétéengagésparsériedetroiscoordonnés.
Leduclèveunbrasetdécritunesortedemouvementsecdupoignet,etils
s'animentaussitôt,s'approchantdemoiavecchacununplatremplide
nourriture.Lepremiermeprésenteunemontagned'œufsbrouillés.
Zut.Jenemangepasd'œufs.
-Oh,euh,nonmerci,jenesuispastropportéesurlesœufs.
Lesilencetombe.Touslesregardssontbraquéssurmoi.
Jenesuispascenséeparlerauxdomestiques?
J'esquisseunsourireàl'attentionduducetdesamèretandisquele
serviteurs'éloigneetqu'unautres'approcheavecdujambon.
Jegardeleslèvresobstinémentserréespendantqu'ilensertunegénéreuse
portiondansmonassiette.
J'ailabouchetoutesèche,soudain.Jemetourneversl'hommequisetient
immobilederrièremoi.
-Puis-jeavoirdel'eau?
Confirmation:ilnefautsurtoutpasleurparler.Lesyeuxdel'hommese
posentsurlavieilledame,commes'ilavaitbesoindesonautorisationpour
medonneràboire.
-Ilyadelalimonadedevantvous,medit-elle.-Ah.
Delalimonade,ça?
J'enboisunepetitegorgéeetessayedenepasm'étrangler.Pasgrand-chose
àvoiravecdusodacitron,sivousvoyezcequejeveuxdire.
Jemouraisdefaimilyadixminutes,maismaintenantquejesuisassise
danslamêmepiècequ'eux,j'ail'appétitcoupé.Jenesouhaiteplusqu'une
chose,quecepetitdéjeunersetermine,pointbarre.J'aidéjàdumalàm'en
sortirrienqu'avecleprotocoledesgantsetdesdomestiques.Fatalement,je
vaismetrahir.Ilfautquejepréservemafausseidentitéjusqu'àcequeje
négociemontrajetenville,etsalutlacompagnie!
Lesièged'Alex(ai-jeledroitdel'appelercommeça?)estplushautquelui,
cequiestunexploitétantdonnésataille.Toutelapartiesupérieuredu
dossierestornementéededétailschantournés,etécraseseslargesépaules.
Ondiraituntrône,enfait.Lesducsfontpeut-êtreeffectivementpartiedela
familleroyale,donc.
-J'aiétéinterloquéelorsqueEmilym'aracontéquevousportiezun
pantalonàvotrearrivée,meditlevieux'fossile.
Elledécoupesonjambonentenantdélicatementsescouvertsenargent.
-C'estterriblementembarrassant.
Etallez.Mercipourlagoujaterie.Onsedemandepourquoiellesecroit
obligéedemefairelaconversation.Ilvaudraitmieuxexpédierlepetitdéj'
auplusviteetqu'onn'enparleplus.J'aiungroupeàrejoindre,moi.
Maisellemeconsidèreenattendantuneréaction.Bienassisesursachaise,
elleportedélicatementàseslèvresdepetitesquantitésdenourrituresans
mêmeinclinerlebuste.
Autantm'enteniràmaversiondesfaits.
-Oui,c'estque...mesvêtementsplusjolisontétéperdus.Jen'aipaseule
choix.
Unenouvellebouchée,etpendantunesecondebéniejecroisqu'elleena
finiavecmoi.Hélas,jen'aipascettechance.
-Jecroissavoirquevotrepèreaveilléàcequevouspoursuiviezvosétudes
?
Encoreuneminusculebouchée.Cettefemmepicoretelunvraioiseau.Par
comparaison,j'ail'impressiond'êtreunostrogoth.
J'opinedelatêteenessayantdetrouveruneréponsesansconséquence.
-Oui,biensûr.Jesuisparticulièrementdouéeensciencesetenmaths.
Seslèvress'ourlentavecdédain.
-Cesontdessujetssimasculins!Nevousa-t-onpointenseignélesarts?Le
français?Lamusique?
Masculins?Ehlà,pourquielleseprend,labonnefemme?Elleadela
chancequejesoisobligéed'êtrepolieavecelle.
-Oh,euh,si,naturellement.J'adoreaussilalittératureetlapoésie,dis-je.
Entoutefranchise,jeneraffolenidel'unenidel'autre.Lessciencesetles
mathématiquessontdesdisciplinessimplesetsanséquivoque.Lapoésie?
C'esttellementabstraitetdifficileàinterpréter...Jenecomprendsjamais
vraimentcequeveutdirelepoète.C'estKatiequiafaitlamoitiédemes
devoirsdelittérature,cetteannée,pourquejem'assurelamoyenne.
-Dieumerci,mevoilàrassurée.Votremèreétaitlapetite-filled'unmarquis,
voussavez.Vousn'êtespeut-êtrepastitrée,maisvouspouveztoujours
vousraccrocheràcela,n'est-cepas?
Hein?Elleparlesérieusement?Jeseraiscenséemeraccrocheràjenesais
quelparentéloignédanslebutdemesentirsuffisammentdigned'estime?
J'ensuisencoreàmedemanderparoùcommencerpourluidirelefondde
mapenséequandellereprendlaparole.C'estrepartipouruntour.Jegrince
desdentsetinspireprofondément.
-Emilymeditquevousavezl'intentiond'allerenvillecematin?
J'acquiescedelatêteetenfourneunenouvellebouchéedejambonsalé.Si
ellecontinuejusqu'auboutlejeudesvingtquestions,jesensquejevais
laisseréchapperunegaffe.
Ellem'adresseunsourirecompassé.
-J'aimeraisbeaucoupveniravecvous...Ohnon,pitié!
-Maisjedoism'occuperdemacorrespondance.Uneautrefois,peut-être.
J'approuved'unhochementdetêteetm'efforcedesimulerunminimum
réglementairededéception,maisàmonavis,çanefonctionneguère.Elle
m'ennuiedéjà,avecsonpetitnezretrousséetsesgrandsairsdereinede
beauté,commesiellevalaitmieuxquetoutlemondeàcettetable.
Jefaismonpossiblepourmedésintéresserd'elleetdonnerl'impression
queletableaureprésentantunétangetdesoiesestlachoselaplus
passionnantequej'aiejamaisvue.Ilestaccrochéau-dessusd'uneautre
cheminéeluxueusementouvragéedanslaquellerougeoie,cettefois,du
charbondebois.Bienqu'onsoitenété,ilfaitfroidici,malgrélesoleil
entrantàflotsparlesgrandesfenêtrescintrées.Ilyadespiliersdechaque
côtédelacheminée,etdesbustessculptésperchésenéquilibredessus.
Jemedemandesicessculpturesenmarbrereprésententleduclui-même.
Demaplace,impossibledesavoir.Quoiqu'ilensoit,cetteidéem'amuse.Je
voistrèsbiencegenredetypedemanderunesculptureenpierredesa
proprepersonne.Ildoitêtreasseznarcissique,pourêtreaussiavarede
paroles.Sesintensesyeuxvertssonttropoccupésàseconcentrersurson
assiettepourqu'ils'intéresseàquelqu'und'autre.
Enfin,Emilyprendlaparole.Elleagardélesilencepresquetoutletemps,
ellequiétaitsiexubérantehiersoir.Jemedemandesic'estàcausedecette
vieillechouetterasoir.Emilyluisourit,maiscelan'éclairepassesyeux
noisette.
-Avez-vousl'intentiondevousjoindreànouspourlebalchampêtre
demain,Victoria?
Lebalchampêtre?Curieusement,jen'arrivepasàmereprésentercette
dame-Victoria,jesuppose-entraindedanser.
Ellesecouelatêtesivigoureusementqu'elleenagitesesbouclesgrises.
-Non,jenecomptepasm'yrendre.Jecroisquejeresteraiplutôtme
reposer.J'ail'impressionquejecouvequelquechose.Peut-êtreRebecca
pourrait-ellevousyaccompagner?
Ellesetourneversmoi.
-Nousnevousattendionspassitôt,maisjesuiscertainequevotre
compagnieseraittoutàfaitbienvenueaudomainedePommeroy.
Jemecontentedesourireenhochantlatête.Jeseraipartiedepuis
longtempsavantleprochainbalchampêtre,maisjetiensmalangue.La
seuleidéedemerendreaveccesdingosàunbalchampêtreestàpleurerde
rire.
Lesilenceretombeautourdelatablependantl'intégralitédedeuxsecondes
etquelquespoussières,puisl'ancêtremeregardeànouveau.
-Etoùdoncsetrouvevotrepère?Jenepuiscroirequ'ilvousaitautoriséeà
effectuerunsilongvoyagesanschaperon.
Jelafixedesyeux.Jen'aipaséveillésessoupçons,j'espère?Etsitoutesces
questionsétaientdestinéesàmepousserdansmesretranchementspour
mefairementir?
-Oh,non,ilestplutôtd'unenatureconfiante,dis-je.Qu'attendEmilypour
mesoutenir?Ellerestelà,assiseparfaitementdroitedanssarobevert
d'eau,àmastiquersilencieusementungâteausec.
Victoriapinceleslèvres,cequiaccentuelesfinesridesdesonvisage.
Correction:elledoitfriserlecapdelacinquantaine.
-C'estnéanmoinsfairepreuved'unbiengrandlaisser-aller.Vousauriezdû
êtreélevéedansunemaisonconvenable.Dites-moi,s'est-ildéjàpréoccupé
devosperspectivesmatrimoniales?Votremèreétaitunetrèschèreamieà
moi,maismalgrécelajecrainsqu'iln'aitnuiàvosintérêtsennese
remariantpas.
Jem'étranglesurmongâteau.Elleseprétendunechèreamiedema
supposéedéfuntemèreetdanslafoulée,elledéplorequemonpèrenese
soitpasremarié?Cettefemmemedéplaîtsouverainement.
-Euh,je...
J'avalelentementmabouchée.
-Jen'aipasl'intentiondememarieravantd'avoirtrenteans.
-Trenteans!s'exclame-t-elle.C'estgrotesque!Jenepuiscroirequel'onen
soitarrivélàenAmérique.Commentescomptez-vousvivre,enattendant?
Jemedoisd'écrireimmédiatementàvotrepère,ilsemblevousaccorder
unelibertéexcessive!
Onnageenpleineaberration.Elles'imaginequ'ellen'aqu'àenvoyerunmot
àmonpaternelpourqu'ilm'expédieséancetenanteàl'église!Siellesavait
quemonpèren'enarienàfairedemoi...
-Jemedébrouilleraitrèsbientouteseule.Jen'aipasbesoind'ungarçon,
toutdemême.
J'aiunpeul'impressiondejustifiervis-à-visdemoi-mêmemonstatutde
fille-sans-petit-copain.Quandjefaiscegenredesoliloque,jemeconforte
dansl'idéequeçan'aaucuneimportancesijen'intéressepasvraimentles
garçons.Là,j'ajoutequed'ailleursjen'aimêmepasenvied'êtreencouple,
puisjesourisaumiroir,dustyle«j'ycroisàfond».Maisenréalité,jesuis
mûrepourqu'unprincecharmantviennemefairetournerlatêtecomme
danstouscesfilmsidiotsquejeregardeavecunboldepop-cornenguise
decompagnie.
MaispaslapeinedeconfiermespetitssecretsàVictoria.Elleparaît
décontenancée,commesij'avaisditquelquechosed'impoli.Jememordsla
lèvrepresquejusqu'ausang.Ilfautquejemetaise,sinonçavadégénérer
enTrishaMarks-leretour:jevaislaisseréchapperuneinsanitéetme
fourrerdansunnouveaupétrin.Àquoibondiscuter?Jenedevraismême
paslalaissermejeterl'hameçon.
-Maisàquellesressourcesentendez-vousrecourir?Vousvousexposezà
uneexistenceextrêmementdifficile.Ilestinconcevablequevousvousen
sortieztouteseule.
Jemefaisviolencepourmetaire,maisc'estraté.Lesmotsjaillissentenvrac
:
-Çan'ariendecompliqué.Dureste,silemariageéquivautàcepourquoi
voussemblezleprendre,trèspeupourmoi.Jepréfèrerestercélibataire
toutemavie!Parconséquent,vouspouvezrenonceràplanifiermesnoces,
jem'enpasseraivolontiers!
J'écartemonassiettesivivementquelamoitiédesoncontenuserenverse
surlabellenappeblanche.Toutecetteambiancesurréalistemesort
soudainparlesyeuxetjemesensperdremonself-control.
-Vousallezmodérervospropos,mapetitedemoiselle!
J'enairaslebol.Jerepoussemachaiseenarrière,ellebasculeetmanque
heurterledomestiquequis'étaitapprochépourlarattraper.Touts'écroule
autourdemoi,etjecraque.
-Certainementpas!Jenesaispaspourquivousvousprenez,niàquelle
comédievousvousprêteztousautantquevousêtes,maisvousn'avez
aucundroitdevousimmiscerdansmavie.
Enunclind'oeil,jepivotesurmestalonsdansuntournoiementdejupeset
jemerueverslaporte.Surleseuildelasalleàmanger,jemeretournepour
jeter:
-Vousêtestouscomplètementfous.
Etjedisparaisencourant.Jenesensmêmeplusladouleurnilesampoules
àmespieds,etleslarmesmebrouillentlavue.
Qu'est-cequimeprend,bonsang?Jeviensd'envenimerencoreleschoses.
Jesaisbienquej'aibesoind'euxpoursortird'ici.Maisc'esttroptard,jene
peuxplusm'arrêter.
Auboutducouloir,jetombesurlevestibule,oùunhommem'ouvrela
porte,etjemeruedehorscommesilaréalitéallaitm'attendredel'autre
côté,commesijepouvaisenfiniravectoutcedélire.
Riendetel,biensûr.Jenevoisquedespelousesàpertedevue,etlacourbe
d'unelongueallée.Jesuistoujourslà,danscetteroberidicule.
J'entendslaporteserouvriretjefaisvolte-faceenpriantlecielpourquece
soitEmily,maisnon.
C'estleduc.Dèsl'instantoùjevoislapointedesesbottesencuir,quelque
chosetressailledansmacagethoracique.Mesyeuxremontentlelongde
sesjambes,satailleetsapoitrine,etlorsquejevoissonvisagej'ailecœur
quiflanche.Ilesthérissédecolère.Enunedemi-secondeetdeuxfouléessi
longuesetsiénergiquesquejedoisrésisteràl'enviededétalerencourant,
ilafranchileperron.
-Puis-jevousrappelerquevousêtesicisousmontoit?
Savoixesttellementtranchantequejenepeuxpasm'empêcherde
sursauter.J'ouvrelabouchepourrépliquer,maisjenesaisabsolumentpas
quoidire.Iln'attendaitapparemmentpasderéponse,detoutefaçon,caril
enchaîne:
-Vousvenezpeut-êtred'Amérique,maisvousêtesenAngleterre,etvous
feriezbiendevousplierauxusagesdelasociété.Jevousinterdisd'insulter
laduchessedouairière.
-Alorsdites-luiqu'ellemefichelapaix!
Ilfaitencoreunpasenavant,etn'estplusqu'àquelquescentimètresde
moi.
-Ilsepeutqu'ilsoitadmissibledeparlersurceton,d'oùvousvenez.Mais
dansmonmilieu,nousrespectonsnosaînésetnossupérieurs.
-Ellen'estpasmasupérieure.Etvousnonplus.
-Monrangestplusélevéquelevôtre,dit-ilpresqueencrachantsesmots,
etenserapprochantencoreimperceptiblement.
-Etalors?Valez-vouspourautantmieuxquemoi?Jecampeunemainsur
mahancheetformeunpoingavecl'autre.
-Précisément!tonne-t-il.
-Çaalors...Vousêtesincroyable!dis-je.Jen'aijamaisrencontréune
personneaussiarrogantedetoutemavie.
-Ahnon?Ehbienmoijen'aijamaisrencontréunepersonneaussi
insolente.Etvousn'êtescertespaslaRebeccadocileetrangéequ'attendait
mamère.
Meslèvress'entrouvrentlégèrementetjesoutienssonregard,maisla
frayeurvients'ajouteràmacolère.Pourquoiavoirinsistésurle
prénomRebecca?Queveut-ildire?Sait-ilquecen'estpasmoi?
J'essaiederetenirmafureur,maisellem'échappepeuàpeu.
Sansautreexplication,iltournelestalonsets'éloigne.Etjemeretrouve
seule,faceàlaportequiclaquederrièrelui.
Chapitre7
Jesuispresqueenbasduperronlorsquej'entendsdesbruitsdecarrioleou
decharrettevenantducôtédelamaison.Jem'arrête,unpiedsurl'allée
pavéeetl'autresurladernièremarcheenpierre.Àcetinstant,Emily
franchitlaporte,sonvisageangéliqueéclairéparunsourireespiègle.
-Jen'aijamaisvuladuchesseaussioutréedetoutesavie!
Elleglousseet,endépitdelasituation,jeluirendssonsourire.Jen'arrive
pasàcroirequej'ensuisencorecapable,aprèscequis'estpassé.
J'aipresqueenviedel'emmeneravecmoiquandjerepartirai.Ellenemérite
pasdevivreiciaveccesgens.Ilssonttousméchantsetcinglés,alorsqu'elle
estadorable,delapurefraîcheur.
Jerefusedem'inquiéteràl'idéequeleducestpeut-êtreentrainde
préparermoncachotetjemetourneverslavoiturequis'approche,tirée
pardeuxchevauxnoirsàlarobeluisante.Interdite,jelesregardependant
cequimeparaîtêtreuneéternitéenmedemandantsijedoisréellement
monterdanscetengin.Puisjemepince.Jemepincelebraspourdevrai,en
yimprimantunevilainetracerouge,maisjesuistoujourslà.Hier,jebuvais
unCocadansuncafélondonienduxxiesiècleenmelamentantdenepas
avoird'amies...etregardez-moiunpeumaintenant.Lescheveuxnattés,une
robed'autrefoissurledos,jem'apprêteàgrimperdansuncarrosse.Un
authentiquecarrossetirépardeschevaux.Tandisqu'unlaquaism'aideày
prendreplace,jedemandeàEmily:
-Et,euh,lavilleestloind'ici?
-Àprèsdevingtkilomètres,merépond-elle.Assisesurunbancdela
voiture,ellearrangesesjupes.
Moncœurfaitunpetitsautpérilleux.SiLondressetrouveeffectivement{
vingtkilomètres,commentsuis-jearrivéesiloin?Lacalèchetourneà
gaucheensortantdeHarksbury,etj'ajoutementalementplusieurs
kilomètresparrapportàl'endroitoùjemesuisréveillée.C'estabsurde.Qui
conduiraitunepersonneàvingt-cinqkilomètresdel'endroitoùelles'est
évanouiepourl'abandonneraumilieud'unbois?Etmêmesic'étaitlecas,à
vingt-cinqkilomètresdelacapitale,l'environnementpeut-ilêtreaussi...
rustique?
Laseuleexplicationtorduequejem'étaisforgées'effriteet,àmesurequeje
regardedéfilerlepaysage,unenouvellehypothèsecommenceàs'insinuer
dansmonesprit.
Larouteestaccidentéeetchaquesoubresautm'éjectepresquedusiège.Les
rideauxsontouvertsetnouéssurlescôtéspourlaisserpasserlalumière.Je
suisstupéfiéequecetenginsoitsibruyantetremplidecourantsd'air.Nous
croisonsdeuxautresvoituresàcheval,etj'yvoisdesdomestiquesportant
exactementlemêmegenredecostumequeceuxquinousconduisent.Emily
babille,meparledelafamilleroyale,d'unbaloud'unmasqueoudejene
saisquoi,etsoudainuneidéemevient.
-Attends,euh,j'aiuntroudemémoire...Quiestleroi,encemoment?
Elleéclatederireetmedonneunepetitetapetaquinesurlebras.
-L'Amériqueestunpayssiisolé,n'est-cepas?Unocéanséparenos
continents!Cen'estplusvraimentleroiquinousdirige,bienentendu.
Notremonarqueestleprincerégent.
Jeravalelaboulequim'obstruelagorge.L'andernier,j'aidûsuivredes
courssurl'histoiredumonde,etjemesouviensdeplusieurschapitres
concernantlesfamillesroyalesd'unedouzainedepaysdifférents.Unprince
régent...L'Angleterren'enaplusconnudepuisledébutdesannées1800.
Jevois.Ilsjouentlejeuàfond.Ilsdoiventavoirdescahiersqu'ilsconsultent
touslessoirspourêtresûrsdebienrespecterl'authenticité.
Pasterrible,l'argument,etiln'aplusguèredesens.Caralors,pourquoiles
maisonsquejevoisdéfilersont-ellestoutesplusvieilleslesunesqueles
autres?
Pourquoilesroutessont-ellesclairementpréhistoriques,trufféesdenidsde-pouleetdeflaquesdeboue?
Pourquoin'ai-jepasvuunseuldétritus,aucunlampadaire,aucunevoiture
ordinaire?Unfrissonmetraverselecorps.Cen'estpasnormal.Toutici
est...bizarreetdécalé.
Zutàlafin,jesuisassisedansuncarrosse!
Emilydoitsentirquejen'aipasenviedeluiparler,carellesetaitetme
laisseregarderdehors.J'ail'impressionquetoutvadeplusenplusvite,et
lepoidsdansmonestomacdevientpeuàpeuinsupportable.
Sic'étaitunemascarade,ilyauraitbienquelquechose,non?Unindice,un
anachronismequiviendraittrahircefauxdécor.Maissijecommenceà
admettrequejenesuispasforcémententouréedefous,quetoutcelan'est
peut-êtrepasfactice,qu'est-cequeçasignifie?
Uneheureplustardenviron,nousnousrapprochonsdelavilleetles
constructionssontsensiblementmoinséloignéeslesunesdesautres;enfin,
lecarrosses'arrêtecontreletrottoir.Jesauteàterresiprécipitammentque
lelaquaisquis'apprêtaitàm'aidermanquetomber.
-Désolée!dis-je.
Etjemeprécipiteverslaboutiquelaplusprochepourécrasermonnez
contrelavitrine.Ilyaurainévitablementundétail:unmagazine,une
rallongeélectriqueorange,ungobeletdecaféStarbucks.
Rien.Jecoursdanslarueinspecterlaboutiquesuivante.Jesensqu'Emily
mecontemple,lespiedsvissésàl'endroitoùjel'ailaissée.
Toutecetteville...cevillage...riennecloche.Etcen'estabsolumentpas
Londres.Jesuisloin,trèsloindel'hôteletdetoutcequejeconnais.
JereviensversEmilyentraînantdespiedsdevingtkiloschacun.
Emilyfaittournoyerunejolieombrellefrangéederuchesetmedévisage
avecl'airdesedemandercequejepeuxbienêtreentraindefabriquer.
-Euh,alors,j'aiunequestion,dis-je.
Ellemeprenddéjàpourunefolle.Etçanevapass'améliorer.
-Oui?
-Onestenquelleannée?Elles'esclaffe.
-Jenedoutepasquelevoyaget'aitparuépouvantablementlong,maista
dernièrelettreneremontequ'àunmois.Noussommesencoreen1815.
1815.Benvoyons.
-Jeveuxdire,pasici.
J'englobedubrasnotrevoisinageimmédiat.
-Jeparledumonderéel.Dumondeentier,passeulementdevotre
microcosme.
J'agitelesmainspourmieuxétayermonpropos.
-Jecrainsdenepassaisircequetuentendsparlà,merépondEmily.
Etlà,jem'écrouleparterre.Lavilleétaitcenséesignifiermonsalut.Je
devaisytrouveruntéléphone,untaxi,quelquechosederationnel.Parce
quedepuisl'instantoùj'aitrébuchédanscesstupideschaussuresàtalons,
plusriennel'est.
Jeramènemesgenouxcontremoietyenfouismonvisage.Lesjuponsde
marobepêchemegrattentlesjoues,maisjem'enfiche.Letissudevient
touthumidedelarmes.
Emilyestdeboutàcôtédemoi.Jevoisjustelebasdesarobedansleflou
étincelantdemonchampdevision.
-Rebecca?
Savoixexprimesoninquiétude.Elleremuesursespieds,hésitante,etje
voissajupeonduler.
J'aienviedeluihurler:«Callie!Jem'appelleCallie!».Maisjenepeuxpas.
Etsij'étaisdéfinitivementcoincéeici?Sij'étaiscondamnéeàgardermon
identitéd'empruntpourtoujours?Maisnon,impossible.LavraieRebecca
vaarriver.Dansunmois,d'aprèsEmily.Etensuite?
MonDieu,commentlasituationa-t-ellepudégénérerainsi?Jeparspourun
voyaged'étéàl'étrangeretjemeretrouvepresquedeuxcentsansen
arrière!
Àmonavis,cen'étaitpasça,leprogramme,quandilsnousparlaient
d'étudierl'histoiredel'Europe.
Parquelmoyenunphénomènepareila-t-ilpuseproduire?Jen'aipas
sautédansuntrounoir,jen'aipasessayéd'inventerunemachineàvoyager
dansletemps...C'estarrivéd'uncoup,bam!Mevoilàici.J'ailagorge
endolorieetmesbrasetmesjambespèsentunetonne.Jeneveuxpas
bouger.Plusjamais.
-Euh...Rebecca?répèteEmily.
JeneveuxpasêtreRebecca.Jeveuxmeblottirdansuncoinetfermerles
yeux,etvoirdesvoituresetunnuagedepollutionaumomentoùjeles
rouvrirai.
Maissijecontinueàmeconduireaussibizarrement,Emilyvasemettreà
mesurveiller.Detrèsprès.Etiln'enestpasquestion,carellefiniraparse
direqu'ilvaudraitmieuxenvoyersachèrepetiteRebeccadansunasilede
fous.J'aientendubientropd'histoiresatrocessurlesasilesd'autrefoispour
courircerisque.Ellenedoitdoncpassavoirquejem'appelleCallie
Montgomeryetquejesuisunelycéenneduxxiesiècle.Sijeraconteàtoutle
mondequejevoyagedansletemps,çaneferaqu'aggravermoncas.
-Euh,oui,pardon,dis-jed'unevoixenrouée.Jecroisquec'estlecontrecoup
del'épuisement.Etlaville...euh...abeaucoupchangéparrapportàmon
souvenir.
Jemerelèveetessaied'époussetermarobe.
-Oh,jen'yavaispaspensé!Biensûr,elles'estconsidérablementagrandie,
n'est-cepas?Mamaisonsetrouveàunelonguejournéederouteet
malheureusement,jenepuisveniraussifréquemmentquejele
souhaiterais.J'aiététrèsimpressionnéeparlacroissancedecesdernières
années.
Savoixexprimeuneévidentefierté,commesielles'enorgueillissaitdela
dimensiondecetteville,alorsquejesuisquasimentcertainequedelà,j'en
voisl'autreextrémité.
Jehochelatêtemaisjenedisplusrien,lagorgeserrée.
Ilfautbienl'avouer,jeveuxretrouvermamaman.Mêmesiçamedonne
l'impressiond'avoircinqansetnonquinze.
Emilyseretourneetmarcheverslecarrosse,maisjerestefigéesurle
trottoir.Onnepeutpasrebrousserchemin.Pasencore.Jen'enaipas
terminéaveccepatelin.Ilexisteforcémentquelquechoseouquelqu'unqui
pourraitm'aider.
Aupremierpasquejefais,monpiedseprenddansunpavé.Jemerétablis
etévitedejustessedem'étalerfacecontreterre.
MonDieu!Leschaussures!Etsitoutvenaitdeschaussures?C'est
exactementcequis'estpassédevantchezPrada.Peut-êtrequejedevrais
acheterunenouvellepairedechaussuresetlesporter,etavecunpeude
chance,çarégleraitl'imbroglio?
Jemeretournepourscruterlarue.Jenerisquepasd'ytrouverune
boutiquePrada.Maisilfautbienquelesgenssechaussent,non?
Jepassedevantplusieursmagasinsetexamineleurcontenuàtraversla
vitrine.Ilyaforcémentuncordonnier.
-Rebecca?
J'entendslavoixd'Emilyalorsquejepassedevantuneautreboutique.Les
chaussuresvonttoutarranger.Jevaisenfilerunedecesdrôlesdemules
d'époqueet,àpeinesortiedelaboutique,jeseraideretouraLondres.Mes
escarpinsPradasonttoutsimplementmaudits,voilà.
Jem'arrêtedevantuneautreboutique.Danslavitrine,j'aperçoisdepetites
tassesàthé.C'estinvraisemblable.Lesfillesnes'intéressentdoncpasaux
chaussures,ici?
Eh,uneseconde!Mêmesijelocalisaisl'article,commentserais-jecensée
payer?Jen'aipeut-êtrepasbesoindeschaussuresàproprementparler.Il
suffitpeut-êtred'ôtermesPrada.Jedébouclelesbridessurledessusde
monpieddroit,saisisparletalonl'objetducrime,etjelejetteauloin.
Libérée,j'enfaisautantaveclachaussuregauche.
Etmaintenant?
Est-cequejedevraistomber?Exprès?
C'estdecettefaçonquetoutacommencé.Jemesuiscognélatêtesurle
trottoir.J'examinelesgrospavéssousmesorteilsnus.Ilsontl'air
horriblementdurs.
Etsijemefaisunefractureducrâne?L'annéedernière,MikeLange,notre
quarterbacknuméroun,adûrestersurlatouchependantdeuxmatchsà
caused'unecommotioncérébrale.Onaperdulesdeuxrencontresàcause
deça,maisilparaîtques'illuiarrivaitdenouveaulamêmechosedansles
quinzejourssuivantlepremierchoc,ilrisquaitunelésioncérébrale.
Etçanedoitpasêtretrèsmarrant.
Emilytoussote.Jememordillelalèvreencontemplantmeschaussuressur
letrottoir.Suis-jedevenuefolle?Jeviensdecatapulterdespompesà
quatrecentsdollarsàl'autreboutdelarue.
-Veux-tuquenousretournionsàHarksbury?Tonvoyageadûtefatiguer
plusquetunet'yattendais.Tuasbesoindebientereposer,necrois-tupas
?
Ellemeregardecommesij'étaisunpeufêlée,sonjolipetitneztoutplisséet
sesyeuxnoisetteétrécis.
Commentretournerlà-basaprèslesavoirtousinsultés?Finalement,me
cognerlecrâneparterreneseraitprobablementpaspire.
Onsecalme.C'estcequedisenttoujourslesgensencasd'urgence.Ilfaut
gardersoncalme,etlasituationfinirapars'arranger.
-Oui,tuasraison.Jevaisjuste,euh...jevaisramassermeschaussures.
Clopin-clopant,jevaisleschercher,j'yfourremespiedsnusetjesuisEmily
endirectionducarrosse.Lesdomestiquesnedisentrien,maisjesensleur
regarddansmondos.Ilfautabsolumentquejemeressaisisse.Jenepeux
pasdisjonctercommeçaetfaireunedémonstrationdelancerdepoidsavec
meschaussures.
Sijegardelesidéesclaires,jetrouveraipeut-êtreunvraiplan.
Maisenattendant,jem'appelleRebecca.Jesuisunejeunefilledebonne
familleenpleineRégenceanglaise.Jeportedesrobesetjefaislarévérence.
Jesuisàmaplace.
Chapitre8
Celafaitvingtminutesquejesuisassisesurlabanquettedevantlafenêtre
demachambre,lefrontappuyécontrelavitrefraîche,lorsquej'aperçois
Alex.Deboutdanscequidoitêtrelacourintérieure,faceàl'écurie,il
s'adresseàunpalefrenier.Ilyacombiendedomestiques,ici?Cesgens
doiventêtrefabuleusementriches.J'enaidéjàvuprèsd'unevingtaineentre
lesjardiniers,lesbonnes,lemajordome,lesvalets...plusunoudeux
cuisiniers,vraisemblablement.
Jel'étudié,sachantqu'ilnepeutpassesavoirobservé.Sescheveuxsontun
peupluslongsquejelecroyais,sonalluremefaitpenseràOrlandoBloom
dansPiratesdesCaraïbes.Saredingoteadesbasquesplongeantes,queje
n'avaispasremarquéescematin,etmêmed'icijevoisqu'elleest
parfaitementajustée.
Franchementbeaugosse,d'accord,maisilaquandmêmel'airtoutdroit
sortid'unclipdesVillagePeople.Jericane,etc'estàcetinstantprécisqu'il
seretourneetlèvelatête.Ilestimpossiblequ'ilm'aitentendue,mais
j'ail'impressiond'avoirétépriseenfaute.Jereculesivivementqueje
tombeàlarenverseetatterrislourdementsurletapis.Bienqu'ilamortisse
unpeulachute,j'ailesoufflecoupé.J'aibeaum'appliquerpourincarner
Rebecca,voilà,jeviensdefaireduCallie-la-calamitépurjus.Jereste
longtempsàfixerleplafond,àreprendremonsouffleetàmedemanders'il
avuquejelouchaissurlui.Ilsaitquellechambrej'occupe,non?Mêmes'il
n'apasreconnumonvisage,iladûdevinerquec'étaitmoi.Mesjupessont
étaléesencorolleautourdemoi,etjelesentortilleentremesdoigtstouten
essayantdedécidersijedoisêtregênée.
Jerampejusqu'àlabanquetteetjeregardediscrètementaurasdela
fenêtre,maisdéception:ilestparti.Lavasteétenduedepelouseest
déserte.Est-cepathétiquedemapartd'avoireuenviedel'observer?C'est
peut-êtreunimbécile,maisaumoins,ilestphysiquementintelligent.
Jemeredresse,regagnemonlitetmelaissetomberdessusenpoussantun
profondsoupir.
Jesuisdébrouillarde,non?Jedevraisréussiràélaborerunplanefficace
pourretournerauxxiesiècle.
Malheureusement,sansWikipedianiGoogle,jesuisperdue.Jeconnaisdes
tasdechosesbiensûr,maisquinemeserventàrien,vulecontexte:la
classificationpériodiquedeséléments,commentcalculeruneéquation
mathématiqueàquatrevariablesinterdépendantes,larelationsymbiotique
entrelegrandrequinblancetsoncommensal,lerémora.Érudition
aléatoireetparfaitementinutile.
Mêmemonannéedephysiqueavancéenemeserad'aucunsecours:nous
n'avonspaseudechapitresurlesvoyagesdansletemps.
Jemerelèveetavanceàpasdeloupjusqu'àlaporte,quej'entrouvre.
Personnedanslecouloir.
Bon,jevaisexplorerlechâteau.Jetrouveraipeut-êtreuntéléphonecaché
quelquepartquimeprouveraqu'Emilymentausujetdel'année1815.Ou
bienjetomberaisurundomestiqueenjeanOldNavy.
Machambresetrouvantaupremierétagedel'aileouest,toutaufond,jene
peuxquemedéplacerversl'entréeprincipale.Ilyadesportesdechaque
côtéducouloir.Jecollemonoreillesurlapremière.Silence.
Jetournelapoignéeetouvrelaporte,etgrimaceenl'entendantgrincer.Ce
n'estqu'uneautrechambre,unpeupluspetitequelamienne.Celle-ci
possèdeunpapierpeintrougehideuxdontlesfleursdécriventdesspirales
surdelonguesbandesrayéesverticales,etletapisestexactementdela
mêmenuanceécarlate.
Quellehorreur.Jenetrouverairiend'exploitableici.
Jeressorsetpoursuismaprogressiondanslecouloir.Jepasselatêtedans
deuxautrespiècesetyvoisencoredeslits.Combiendechambresfaut-il
dansunemaison?Jen'aimêmepasencorevucellesd'EmilynideVictoria,
nicelled'Alex.Çafaitdoncdéjàaumoinsseptouhuitchambresàcoucher...
sanscompterlesquatre-vingt-dixpourcentrestantsdecemodestelogis.
Jesaisbienqu'ilestduc,maisfranchement,cen'estpasunpeuexagéré,là?
Jefaisl'impassesurlesdeuxpiècessuivantes,supposantquecesontencore
deschambres.Versleboutducouloir,j'aviseunedoubleporte,cequi
signifiequ'ildoits'agird'autrechose.Voyantuneservantemonter
l'escalier,jefaisminedem'arrangernégligemmentlescheveux,letemps
qu'elledisparaissedansunechambre.
J'ouvreundesbattantsetglissematêteàl'intérieur.Unebibliothèque.
Malgrémoi,jesourisàdentsdéployées.Jevaisforcémenttrouverquelque
choseicidontjepourraitirerprofit.Deslivresmodernes,quisait?Ou
mêmesimplementdevieillespublicationsdanslesquellesglanerdes
renseignementsutiles.
Jerespirel'odeurdupapieretdeslivrestandisquejerefermelaporte
derrièremoi.Desdizainesd'étagèress'étirentsuruneenfiladederangées.
Ellessontplushautesquemoietjevoismêmeunedecesvieilleséchelles
accrochéeaumur.
Jepasselesdoigtssurledosdesvolumesendéambulantdanslesalléeset
enparcourantlestitres.Utopie.L'Avare.RobinsonCrusoé.Katiepasserait
immédiatementenmoderatdebibliothèquesiellevoyaittoutça...Elleest
accroàlalittérature,enparticuliers'ils'agitd'éditionsoriginales.Elle
collectionnelesbouquinscommed'autreslesamissurMySpace.
Leslivresonttousdesreliuresencuir,etcesontdevieuxtitres.Jem'arrête
devantunrayond'oeuvresdeShakespeare.Othello.RoméoetJuliette.Songe
d'unenuitd'été.JetireHamletetyjetteunœil,maislerepose{saplace.
Jepassedevantlasectiondesouvragesdephilosophie,puisd'astrologie.Je
parcourstouteslesallées,m'arrêtantçàetlà,maissanssortiraucunrecueil.
Jenesaispasexactementcequejem'attendaisàdénicher.LeGuidede
l'imbécileenvoyagedansletemps?
Entoutcas,riennem'inspire.
Jecontourneladernièreétagèreetvaism'affalersurlecanapé.Toutecette
histoirememetàplat.J'aienvied'êtrechezmoi.Dansmonlit.J'aienviede
meréveilleretderegarderlesdessinsanimésdusamedimatindevantun
boldecéréales.Jem'adosseàuncoussin,marobedrapéeau-dessusdemes
jambesretombejusqu'ausol.
Allons,qu'est-cequimeprend?Cen'estpasentraînantdanscette
bibliothèquequejevaistrouverunesolution.Ilfautquejecontinuemes
recherches.
Jemeredresseetcontemplemeschaussures.Sij'enavaisdeplus
confortables,ceseraitpeut-êtremoinslacorvéed'arpentercettemaison.Je
mebaissepourdesserrerlabrided'uncran.Aumomentoùjerèglela
deuxièmechaussure,j'aperçoisquelquechose.Unepetiteliassedepapiers,
àmoitiédissimuléeentreleguéridonetlepiedducanapé.Jemepencheet
lesramasse.Ilssontentourésd'unrubanetformentunpaquetassezépais.
Cesontdeslettres.Lescachetsdeciresontbrisés,ilestdoncclairqu'elles
ontétélues.Jefaisglisserleruban.
C'estalorsquej'entendslaportes'ouvrir.Quefaire?Mecacher?MonDieu,
jenesuissûrementpascenséefouinericietramasserdeslettresquine
m'appartiennentpas.Etsil'accèsdecettepièceétaitinterdit?
Affolée,jeplongederrièrelecanapé,laliasseàlamain.Lecanapérepose
surquatrepiedsgrêlesassezhauts,etj'aperçoisleschaussuresdela
personnequifranchitleseuil.
Jereconnaislesbottescavalièresd'Alex.Leduc.
Zut.Pourquoimesuis-jecachée?Çanefaitpasunpeulouche?Leslettres
mebrûlentpratiquementlesmains.Etsiellesétaientàlui?J'auraisdû
restertranquillementassise.Maismaintenant,commentm'endépêtrer?
Prétendrequej'aiperduunelentilledecontact?
Ahnon,c'estvrai.Çan'existepasencore.
C'estbarbant,àlafin!
Jem'interdisdehaletercommeunpetitchienetjem'efforcedegarderune
respirationrégulière.Ilvaetvientdanslabibliothèquependantcequime
paraîtdureruneheure,maisdoitplutôtnepasexcéderunedizainede
minutes.Jel'entendsprendreetremettredeslivressurlesétagères.Pitié,
qu'ilenchoisisseunets'enaille.S'ilchercheceslettres,ilnelesretrouvera
passanstomberd'abordsurmoi.
Mesgenouxcommencentàs'ankylosersurlemincetapis.Personneicin'a
jamaisentenduparlerdemoquetterembourrée?
ArrivédevantShakespeare,prèsdelafenêtrelapluséloignée,ils'arrête.
Qu'ai-jedoncfaitdeceHamlet?Est-cequejel'aibienrangé,oujustereposé
auborddel'étagère?
Puisilavancedansmadirection.Jemecouvrelaboucheavecmamainpour
nepasfairedebruit.J'aipresqueenviedebondirsurmespiedsencriant«
Bouh!»commesicen'étaitqu'unepetitefarce,maisj'aicomme
l'impressionqu'ilnetrouveraitpasçadrôle.Etpuis,ilestcertainement
toujoursfurieuxàcausedel'incidentdupetitdéjeuner.
Jevoissesbottespivotersilencieusement,etilfaithalte.Quecherche-t-il?
Qu'attend-il?
Maisvoilàqu'iltournelestalonsetressort,justeaumomentoùmes
poumonss'apprêtaientàimploser.Jepousseungrandsoupiretjerelâche
monsoufflepourlapremièrefoisendixminutes.Moncœurretrouveun
rythmenormal.J'ailespaumesmoitesàl'endroitoùellesserraientles
papiers.
CedoitêtrecepaquetdelettresquecherchaitAlex.
Jem'assiedsetregardeautourdemoipourm'assurerqu'iln'yapersonne
d'autredanslapièce.
Jevaisjusteyjeteruntoutpetitcoupd'œil...
Chapitre9
Jeretournelapremièremissivepliéeendeux.
PourleducdeHarksbury.C'esttoutcequiestécritsurl'extérieur.D'un
graphismeféminintoutenfiorituresdéliéesetenbouclesélégantes.
Jesais,jenedevraispaslireça.Cesontprobablementdeslettresd'amour.
Jedevraislesremettreentrelecanapéetleguéridonetlesoublier.
Maispouruneraisonmystérieuse,jemesuisretrouvéepiégéeicietilfaut
quej'enapprennelepluspossiblesurl'endroitoùjesuis.Quisaitsurquels
indicesjepeuxtomberàconditiond'êtreattentive?Desindices
susceptiblesdemerenvoyerdanslexxiesiècle.
Etaussi,oui,j'avoue.Jesuisunbrincurieusedesavoirs'ilaunecopine.
Jeprendsuneinspirationetglissemondoigtsousleplipourouvrirlalettre.
Lamêmejolieécritureàlaplumem'attend.
VotreGrâce,
Jesuispersuadéequemesprécédentscourrierssesontégarés,carjevousai
écritchaquemoisetnereçoispourtanttoujourspasderéponse.Vousest-ilsi
faciled'oubliertouteslespromessesquevousm'avezmurmurées?
Votrefilleestnéeilyadeuxmois.
Jefaisunbondenarrièreetlalettrem'échappedesmains.Alexaunefille?
J'hallucine.Ilestencoreadolescentetilestpapa?
Lemondevacilletandisquej'essaiederassemblerlesmorceauxdupuzzle.
Iln'estpasmarié,n'est-cepas?Etmêmes'ill'était,cettedamenevitpasici.
Jel'auraisvue.Sansparlerd'unnourrisson.
Jesecouelatête.Netironspasdeconclusionstrophâtives...
Celam'affligedevousdemanderdel'argent,maisjem'yvoiscontrainte.La
filled'unducnedevraitpasavoirfaim,orjecrainsquecenesoitlàl'avenir
quil'attend.Soyezassuréquejenedéshonoreraipointvotrefamilleetne
parleraidecetenfantàâmequivive.Vousn'avezpasàcraindredescandale,
carnulnelesaura,maisj'implorevotreaide.Jenepuistrouverdetravail...
Jerefermelalettred'ungestesec,prised'unesoudainenausée.
Nonseulementilaunefille,maisill'aabandonnée.Etlapetiteetlamère
sontpauvres?Ilhabitedansce
châteaubourrédedomestiquesquiluiobéissentaudoigtet{l'œil,alors
quesaproprefilleestdanslebesoin?C'estrévoltant.A-t-ilcouchéavecune
bonnequ'ilarenvoyéeensuite?
MonDieu,c'estencorepirequecequej'auraispuimaginer.Cetypen'est
passeulementunsaleprétentieux...c'estunêtreabject!
Jeprendslepaquetdelettresetreplacelerubanautourenregrettantd'être
tombéedessus.Jelesliraiplustardetdécideraialorsquoienfaire.
Jemelèvebrusquement,presséedequitterlabibliothèque.Jevaisranger
leslettresquelquepartdansmachambreetterminermonexploration.
Uneheureplustard,j'aicomprisl'agencementdeHarksbury,maisjen'ai
strictementrientrouvépourétayermathéoriedufauxdécor.
Vousimaginez?Cesgens-làn'ontmêmepasdesanitaires.Hyadespotsde
chambredanslaplupartdeschambres.Sérieusement.Etjecroisavoir
trouvélabuanderie,saufque...zéromachineàlaver.Sansparlerdela
cuisine.C'estunefournaised'enferlà-dedansàcausedesvraisfeuxqui
serventàlapréparationdesrepas,etlesdomestiquesm'ontregardéed'un
airtellementoffusquéquej'aibattuenretraiteavantdemefaireremonter
lesbretelles.
Entoutcas,l'an1815,çacraint.Àmonépoque,unefilleadroitaux
allocationsfamilialessiungarçonsecomportecommeAlex.Ouàune
grosseboursed'études,dansmoncas.Bond'accord,j'auraispréféréunvrai
papa.Unpapaquineseraitpaspartifonderunnouveaufoyersurlacôteest
ilyatroisans,etquiensuitetrouvequec'estunebonneidéedem'inviterà
ypasserl'été,commesiçan'allaitpasêtretotalementgênant.
Jesecouelatêtedansl'espoirderenvoyerlessouvenirsbienaufondde
monesprit,làoùilsdoiventrester.Aumoins,monpèretéléphonedeuxfois
parsemaineetverselapensionalimentairesansretard.
Alexestvraimentméprisable,devivresurcepiedensachantqu'ilaune
fillequelquepartdanslanature.Ilestvraimentabject.Etfranchement,à
dix-neufans!C'estàvomir.
Jedescendsl'escalieretmedirigeversl'aileest.
Harksburysembleplusoumoinsbâtisurunplanrectangulaireautourdela
courquej'aivuetoutàl'heure.Lesdeuxailesprincipalesserejoignentdans
legrandvestibuleetlemajestueuxescalier,puispartentdansdes
directionsopposéessurunebonnesoixantainedemètres,unesuccession
deportesdonnantsurchaquecouloir.Ilmefaudradesjournéesentières
pourlesouvrirtoutes,maisjenepensepasquejevaism'ycollercar
jusqu'àprésentmesfuretagesn'ontriendonné.
Aurez-de-chaussée,ilyaplusieurssalonsetsallesàmanger,etencore
quelqueschambres,pluspetites.Aupremier,setrouventlabibliothèqueet
d'autreschambres,certainesdotéesdevéritablessalonscontigus.Les
partiesdelamaisonnonparquetéessontrecouvertesdetapis.Toutestplus
grandquelanormale,imposantetstylé.Ungéantdedeuxmètresquinzene
secogneraitpaslatêtesouslesportes,quantauxplafonds,ilssontsihauts
quejepourraisgrimperdeboutsurunechaiseetsautersansarriveràles
toucher.
Maisl'ensemble,danssoncaractèregrandiose,estfroid,enfait.Cesgens-là
n'ontpasbesoind'unemaisonaussiimmense.D'autantplusqueles
serviteurssontconfinésauniveauinférieur,j'ail'impression,saufpour
faireleménage.
Ceàquoiilspassentleurtemps.Ilssontpartout,àépousseteretbalayeret
battrelestapis.
Chaquefoisquejedécouvreunenouvellepièce,unnouveautableau
luxueux,unnouveaumeubledisproportionné,jerepenseauxlettres
fourréessousmonmatelas.Commentpeut-ilvivreainsialorsquesapropre
fillehabiteDieusaitoù?
Jeleméprise.Jeledéteste.Jel'exècre.
Jemarmonnedansmabarbeensortantdelamaisonpourvadrouillerdans
leparc.Aprèstout,allezsavoirs'ilsn'ontpasquandmêmeunjetprivédans
uncoin,hein?
Enm'approchantdel'écurie,jeralentis.J'entendsquelquechosequi
résonneàunrythmerégulieràl'intérieur.C'estpresquemélodieux.
Àl'entrée,jevoisunhommeassisdevantunseauretourné,quifrappe
dessusavecdeuxbâtons.Deuxgarçonsdetreizeansmaximumexécutentla
dansefolkloriquelaplushilarantequej'aiejamaisvue.Ilssautillentpartout
commedejoyeuxpetitslutinsenfrétillantdescoudes.C'estàpeinesileurs
piedstouchentlesol.
Jenepeuxétoufferlerirequijaillitdufonddemonventre.Jemecouvrela
bouche,maistroptard.Ilsm'ontentendue.L'undesgarçonss'immobilisesi
vitequ'iltombeparterreetdevientaussitôtrougecommeuneécrevisse.
Etmaintenant,c'estmoiquimesenscoupable,carjesaistrèsprécisément
queleffetproduitlabrûluresursesjouescramoisies.S'ilyabienunechose
dontjedevraism'abstenir,c'estderiredesautres.
-Jesuisdésolée,jenevoulaispasmemoquer.C'estjustequejen'aijamais
vupersonnesedéhancherdecettefaçon.
Leplusjeune,auxcheveuxcarotte,serelève,deuxsoucoupesàlaplacedes
yeux.
-Vousêtesaméricaine,dit-ilcommesij'étaisunecréaturemythique.
Jehochelatête.
-Oui.Et,euh...d'oùjeviens,nousdansonsautrement.
-Vouspouveznousmontrer?demandeledeuxièmegarçon-brun,celui-làens'avançant,visiblementfasciné.
Jeréprimeunrire.
-Houlà,non!Jedanseaffreusementmal.
-S'ilvousplaît?insistelerouquin.Jen'aijamaisvudedanseaméricaine.
Jeviensdememoquerd'eux.Ceseraitunpeudéplacédelesenvoyer
promenermaintenant,non?J'essaiedegagnerdutemps.
-Jenecroispasqueçavousintéresserait.
Jemesensunpeucoupable,maissincèrement,jedansecommeunpied.Je
vaismeridiculiser.
-Oh,maissi,aucontraire.
-Bon.
Jepeuxtoujoursessayer,non?Justeunepetitedémovitefait.Maisqu'estcequejepourraisleurmontrer?LejeudejambesàlasauceMCHammer?
LemoonwalkdeMichaelJackson?Lemadison?Lamacarena?
-Euh,dis-jeenfaisantunpasenavant.SijevousfaisaisleRobot?
-LeRobot?répètentlesgarçonsenchœur.Lemotrobotexistait-il
seulement,en1815?
-Oui.Voilà,ontendlesbras,euh,commeça,dis-jeenprenantuneposture
d'épouvantail.
Jen'arrivepasàcroirequejesuisentraindefaireça.
-Ensuite,onplielégèrementsescoudesenlaissantpendrelesmains.
Commeça.
Jenem'exécutepasbiendutout,envérité,maisàvoircommentleursyeux
s'écarquillent,ondiraitquejeviensd'accomplirunduodebreakdancedans
lesrèglesdel'artavecJustinTimberlake.Ilsimitentmesmouvementset
donnentl'impressionquec'estd'unesimplicitéenfantine.
Letypeauxbaguettesselèvepournousrejoindre,ilsecoueagilementles
bras.Aprèsunedémonstrationdedeuxsecondes,cemecestmeilleurque
moi.Typique.
-Bon,alorsensuite,on,euh,onfaitcommesionmarchait,enessayant
d'avoirl'airraideet...commentdire,pasnaturel.Commeça.
Jeleurmontremameilleuredémarchederobot,avecdesmouvementsde
brassaccadés.
Lesdeuxgarçonsetlebatteurmecopientaussitôtet,unefoisqu'ilsont
assimiléquatreoucinqfigures,ilsressemblentsérieusementàdes
automates.
Enmoinsdedeuxilsimprovisent,etleurrirechatouillelespoutresde
l'écurie.
Voilà.C'estlemomentdem'éclipser,avantquedansuntraitdegénie,jene
m'embarquedansuneexhibitiondehip-hopetmebriseillicolescervicales.
Jesorsencatiminietjeremontel'alléedegraviersensourianttouteseule
avecmesjupesquifrôlentlapoussière.
Aumoins,quelquepart,jenesuispasCallie-la-calamité.Mêmesicen'est
quedansunevieilleécuriemalodorante.
Toutespoirn'estpasperdupourmoi,finalement.
Chapitre10
Deretourdansmachambre,jem'allongesurlelitetjecontemplele
plafond.
Ilfaudraitquejeliseleslettresquisontsousmonmatelas,maisjenepeux
pasmerésoudreàlesressortir.
Ellestouchentunpointunpeutropsensible.
Cettepauvregaminevagrandirsansconnaîtresonpapa.Aumoins,ellene
saurapascequ'ellemanque.Moi,j'aieuunpèrependantdouzeans.Passi
nulqueça,d'ailleurs.Unpeuoccupélaplupartdutemps,maispasmauvais.
Jusqu'aujouroù,sansprévenir,ilaquittémaman.Depuis,nousvivons
touteslesdeux.Jesuisconvaincuequ'ellem'alaisséfairecevoyageà
Londresparcequeçamefournissaitunprétextepourrefuserd'allerpasser
l'étéchezmonpèredanslesHamptons.
Jen'aipasl'occasiondecreuserlesujet,carlabonneentre.Leparquet
craquesoussonpas.
-Jeviensvousaideràvouschangerpourledîner.
Jem'assiedsetexaminemarobe.Elleesttoujourspropreetrelativement
peufroissée,cequipourmoirelèvedel'exploit.Jesuisincapabledemanger
sansmesalir.
-C'estbon,celle-ciestencorepotable,dis-je.
Ellepinceleslèvrescommesielleretenaitunsourire.
-Unerobedejourneconvientpasàundînerprié.
-Undînerprié?
Maméfiances'éveille.
Ellehochelatêteetmefaitasseoirsurletabouretsituéàcôtédel'armoire.
-Oui.Madameladuchesseainvitélesvoisinscesoirenl'honneurdevotre
arrivée.Iln'estpasquestiondedescendredansunetoiletteaussisimple.
Simple?C'estçaqu'elleappelleunetoilettesimple?Comparéeàsafruste
robenoire,jesuisparéepourunesoiréedegala.
Ellemejettedeshabitsetjenesaispascequejesuiscenséefaire,alorsje
lesattrapeetjerestelà,lesbraschargés.Envoyantledernierarticle,jesuis
pétrifiée.Jeletiensentremesdeuxmainsetlecontemplecommesic'était
unecouverturecontaminéeparlatyphoïde.
Saufquec'estpire.Uncorset.
Ellecomptesérieusementmefaireenfileruncorset.
-J'aireçul'ordreexprèsdevousrendreprésentable.Entantqu'invitéeà
Harksbury,vousdevezêtreconvenablementvêtue.
Labonnerabatderrièresonoreilleunemèchequidépassedesachevelure
noire,commesielleprenaitsoudainconsciencedesapropreallure.
Jesaissansavoirbesoindeledemanderquecesparolesnesontpasd'elle.
J'ail'impressiond'entendrelavieilleacariâtre,derrièrel'accentprononcé
deladomestique.
J'avalemasalive,hochelatêteetfaisunpasenavant,résignéeàaccepter
monsort.J'espèredetoutcœurquetoutescesfillesdanslesromans
historiquesdramatisentl'affaire:monseuildetoléranceàladouleurn'est
pasexactementélevé.Ladernièrefoisqu'onm'arebouchéunecarie,j'ai
pleuré.
Àmesurequ'ellelacelecorsetetquelevolumed'airdansmespoumons
diminue,j'acquiersunrespectnouveaupourmesancêtres.Cetrucest
barbare.Oh,biensûr,audébut,c'estsupportable.Maisc'estunpeupareilà
deschaussurestroppetitesd'unepointure.Lesdixpremièresminutes,ça
nevousgênepastrop,maisensuiteonnepenseplusqu'àça.J'ai
l'impressiondeporterenmêmetempsunegaineetunsoutien-gorgeà
balconnet;messeinsontdûremonterjusquesousmonmentonparceque
devantmescôtesilnerestepasunmillimètred'espace.
Puisladomestiquemefaitmettredeboutetsoulèvemesbrasenl'air,
commesij'étaisunepetitefille.Ellepasseunerobepourprepar-dessusma
tête.Elleestensatintrèsdoux,avecdejolispetitsboutonsderosebrodés
surleborddéscourtesmanchesbouffantes.Elle
grattebeaucoupmoinsquelarobepêchequej'aiportéetoutelajournée,et
celameconsoleunpeudecesconventionsvestimentaires.
Évidemment,jemesentiraisnettementmieuxsijepouvaisrespirer,maisje
présumequec'estutopique.
Labonnemeramèneverslacoiffeuse,oùsamissionsuivanteconsisteà
refairemestresses.Enquelquessecondes,j'ailecuircheveluenfeu.
Ilfautquejetrouveunedistraction,n'importelaquelle.Jem'éclaircisla
gorge.
-Euh,etcommentvousappelez-vous?Elles'interrompt.
-Eliza,mademoiselle.
-Oh.Moic'estCa...Rebecca.Ouf,j'aieuchaud.
-Jesais,mademoiselle.
Ah.J'auraisdûm'endouter.Bon,quoid'autre?
-N'êtes-vouspascenséeavoirvotrejournéelibre,aujourd'hui?Onest
dimanche,non?
-J'aiunedemi-journéedecongétouslestroisjours.Jesortiraidemain
après-midi.
Avecungrognement,jerépète:
-Unedemi-journée?
Quellearnaque!Ellen'amêmepasdroitàunjourdereposentier.CetAlex
estunvraiesclavagiste,maparole!
-J'ailàdesmulesquidevraientvousaller,esquive-t-elle.
Ellesepencheetmelespasseauxpieds,etlesoulagementdemesorteils
estinexprimable.Leschaussuressontdoucesetconfortables.Ôjoie!
J'aimeraislesobserverdeplusprèsmaisjenepeuxpasmecourber.Ce
corsetestcarrémentrigide.
-Bien.Vousvoilàprête.Lesinvitésontcommencéàseréunirdanslesalon.
Jehochelatête,maisenlaconsidérantd'unœilvide,carj'ignoredequel
salonelleparle.J'enaivuplusieurs,parmilesdouzainesdepiècesquej'ai
explorées.Elizaparaîtcomprendrecarelles'écrie:
-Oh!
Etellemefaitsignedelasuivre.
Ellemeprécèdejusqu'enhautdel'escalierd'honneur,oùelles'arrêtepour
memontrerdudoigt,del'autrecôtéduvestibule,uneporteouverte
donnantsurlecorridor.J'entendsdesbruitsdevoixetdesriresassourdis.
Jefaisunpasminusculeettimidedansl'escalier,puisunautre.Lajolierobe
rougetombeélégammentderrièremoisurlesmarches.
Jem'arrêtepourporterunemainàmescheveux.
Ilfaitchaudiciouquoi?
Jetouchemesjoues.
Unpeutièdes.
Jedescendsencoretroismarches.
J'aienviedefairedemi-tour,maisuncoupd'œilenhautdel'escalier
m'apprendquelabonneesttoujourslà,àmefixercommesij'avaisperdula
tête.
Jedéglutisaveceffort.
Jesuisàmonavantage.Jelesais.Larobeestmagnifique,macoiffure
fantastique,etjen'aivuiciaucunvêtementdemarque.Enfin,abstraction
faitedemesescarpins.
Pourlapremièrefoisdemavie,personnenemeconnaîtcommeCallie
Montgomery,lapremièredelaclasseempotéeetgaffeuse.Jepeuxdevenir
Callie,lafillepopulaire.Callie,lafilleavecquitoutlemondeaimebien
parleretplaisanter.
Où,devrais-jedire,Rebecca,lafillepopulaire.Ledétailestd'importance.
Jem'obligeàdescendred'unpasnaturelladernièredouzainedemarches,
lesépaulesenarrièreetlatêtehaute.
Latraverséeduvestibulemeparaîtbeaucouptropcourteet,avantmême
depouvoirmarquerunepausepourrespirerunboncoup,jesuisdéjàau
salon,danslequels'élèveunbrouhahadeconversationssonores.
Quedemonde.Jedénombrequatorzepersonnes,toutessapéescommepour
allerdînerdansunrestaurantcinqétoiles.Ilssontréunisparpetitsgroupes
autourdelacheminéeouducanapédebrocartauxélégantspiedsenbois.
Jemeréjouisqu'Elizam'aitobligéeàmechangercarjeréalisequedansla
robepêche,j'auraiseul'airridicule.
Lavieillerevêcheporteunerobedesatinivoirequienveloppesaquinzaine
dekilosentropettombeaurasdusol.Sescheveuxgrissontentortilléssur
lesommetdesatêteetretenuspardesépinglesquejenevoismêmepas.
Elleseraitpeut-êtrejolie,sanssesyeuxvertsperçantsréduitsàdeuxfentes
minusculestandisqu'elleécoutel'undesinvitésquiluiparleàl'oreille.
Sérieusement,sicettefemmesouriait,neserait-cequ'unefois,j'en
tomberaisàlarenverse.
Emilyavanceversmoi,dansunesimplerobebleucielquiilluminesonteint
etrendsescheveuxnoirsencoreplusbrillants.Desanglaises
soigneusementarrangéessursestempes(tellementdifférentesdesboucles
follesdeMindy)encadrentsonvisagefin.Ondiraitunepoupéede
porcelaine.Uneravissantepoupéedeporcelaine.
Jepromènemonregardautourdemoisansvraimentsavoirquijecherche,
jusqu'àcequejel'aperçoive.Ilestsigrandqu'ilestfacileàrepérer.Ilporte
uneredingotenoireauxboutonsencuivreétincelantsetunechemise
blancheimmaculée,quecomplèteuneespècedecravateenrouléeautourde
soncou.Ilhochelatêteenécoutantquelqu'un,puiscaptemaprésenceet,
avantquejenepuissemedérober,ilmefixedesyeux.
Jeserrelamâchoireetj'essaiedenepaspenseràlalettrequejeviensde
lire.J'aiuneenviefolledem'élancerversluipourlegifler.Unefoispourla
dame,unefoispourlebébé,etunefoispourmoi.
Ilneditrien.Ilnefaitrien.Ilsecontentedemedévisager,moidesoutenir
sonregardet,pendantunlongmoment,jenevoisplusriend'autre.
Chapitre11
Lesmursdusalontournent,maislesyeuxd'Alexnebougentpas;ilssont
rivésauxmiens.Ilm'envoieprobablementdesmessagesmuetsm'incitant
àmeconduireenjeunefillebienélevée.
LecharmeestrompulorsqueEmilymetireparlecoude.
-Rebecca,commemarobetevabien!Beaucoupmieuxqu'àmoi.Tula
garderas.
-Oh,non,jenepeuxpas...
Maisellebalayed'ungestemondébutdeprotestation.
-J'insiste.-Ah.
-Viens,Victoriaveutnousvoir,ajoute-t-elle.
JesuisEmilyjusqu'àl'endroitoùsetientlavieilletoupie.Emilyfaitune
révérenceetjel'imitegauchement,maisjemeprendslespiedsdanslarobe
ethappelepremierbrasaccessible,celuid'unhomme,pournepasme
rétamer.
Victoriaréprimeungloussementetrienquepourçajeluienverrais
volontiersuncoupdepoingdanslafigure,maisl'hommedétournemon
attention.
-VousdevezêtreRebecca,dit-ild'unevoixquimeparaîtdouceet
intelligente,àsupposerqu'unevoixpuissel'être.
-Oui,jevouspried'excusermamaladresse.PauvreRebecca,àmoitoute
seulejevaisdémolirsaréputationavantmêmequ'ellen'aitposélepieden
Angleterre.
Ilm'adresseungrandsourireetsonvisagetoutentierafficheune
expressionaffablequimeréconforte;jesensqu'ilnemejugepas.
-Votreaccentaméricainestcharmant,déclare-t-il.Ildoitavoirprèsde
quaranteans,lestempesgrisonnantesetlerestedescheveuxchâtain.
-Merci,dis-je.
Et,sanstropsavoirpourquoi,jefaisunenouvellerévérence,cequiest
absurdeettotalementsuperflu.
-Voilàbienlongtempsquejen'aipasentenduparlerdecequisepasseen
Amérique.Ledîners'annoncecaptivant.
Zut.Pourquoin'yai-jepassongéplustôt?Lesgensvoudronttoutsavoir
surl'Amérique.Maislemillésime1815.Oh,commejeregretteden'avoir
pasétéplusassidueàmesstupidescoursd'histoire!Jenesaismêmepas
combienilexistaitd'Étatsen1815.
-Oui,jeserairaviede...vousnarrerquelquesanecdotes.
Jeparled'unefaçonridicule.Jenesauraisdiresijem'exprimecommeilss'y
attendent,oucommejepensequ'illefaut,cequiestcertainementtrès
différent.
-Latraverséedel'Atlantiquefut-elledifficile?Jehausselesépaules.
-Non,toutàfaitcalme,envérité.
-Nousn'attendionspasRebeccaavantenvironquatresemaines,intervient
Emily.Elleafaitdiligence.
Environquatresemaines?Ilfaudraquejem'ensouvienne.Jenedoisplus
êtrelàquandarriveraRebecca.Ceseraitunbeaubazar.
-Vouspourriezpeut-êtrenousjouerunmorceauaupianoforte?suggère
Victoria.Jenedoutepasquenosinvitésenseraientravis.
Génial.Silepianoforteressembleaupiano,jesuisfichue.Mamèreaessayé
demefaireprendredesleçons,maisellearenoncéparcequ'àdouzeans,la
seulechosequej'arrivaisàjouerétaitChopsticks.
-Oh,j'adoreraisécouterlemorceaudonttum'asparlé,ditEmily.
Ôsaintehorreur,c'estàmoiqu'elles'adresse!
-Lequel?Jenemerappelleplusexactementcequejet'aiécrit.
-Tuparlaisd'uneravissantemélodiequidurepasmoinsdedixminutes.Tu
disaisqu'elleétaitcompliquée,maisagréableàl'oreille.
Ellemeregardeavecdegrandsyeuxsicandidesquejenesaispasquoi
répondrepournepaspasserpourunepauvretache.
-Ah,oui.
Jedéglutis.Rhaa,Rebeccanepouvaitpasêtreunefilleincompétente,
commemoi?Elledoitexcellerentout.Jesuiscuite.
-Ilsepeutquej'aieexagéréunpeu.Celaneprésenteraitd'intérêtpour
personne.
ÔmonDieu,toutlemondemeregarde.Ildoityavoirquatorzepaires
d'yeuxbraquéssurmoi.Cesalonridiculementgrand,avecsesmeubles
imposants,mefaitsoudainl'effetd'unascenseurdontlesportesse
refermentenmêmetempsquelescloisonsserapprochent.
-Allons,nesoyezpassimodeste,machère,meditVictoria.
Ellemepousseversuncoindelapièce.Pourquoin'avais-jepasremarquéle
piano?Danger!Danger!
-Non,sincèrement,jenepeuxpas,dis-jeenessayantdemedérober.
-Nedécevezpasnoshôtes,Rebecca.
JeperçoisunenotedecolèredanslavoixdeVictoria,etjemefigeen
comprenantcequejesuisentraindefaire.Jelacouvredehonte.Devant
sesinvités.Àmonavisçanefigurepasdanslemanueldelaparfaitejeune
filledebonnefamille.Jeprendsuneinspirationetluifaisunsignedetête
enmecreusantlacervellepourtrouveruneparade,maisjesuisenpanne
d'inventivité.
Jereconnaisquej'aiétéinsolentecematin,etmalgrétoutelledonneun
dînerenmonhonneur.C'estlemoinsquejepuissefaire,non?Lentement,
jemedirigeverslepianocommesij'allaisàl'échafaud.Ça
s'annoncemal.Trèsmal.Lesgensvontdevenirdinguessijedoisjouer
pendantdixminutes.
Bon.Allez,enselle.J'espèrequ'ilsaimentbienChopsticks.
Lamortdansl'âme,jem'apprêteàm'asseoir.SiseulementEmilypouvait
prendremaplace.Oumêmes'asseoiràcôtédemoipourm'aideràendurer
cesupplice.
Uneseconde!J'aitrouvé!
-Emily?Jecroisquenosinvitésapprécieraientunduo.J'enconnaisun
facilequejepeuxt'apprendre.
Elleagranditlesyeuxetrabatunedesesbouclesderrièreuneoreilleen
regardantautourd'elle,commesiellenecroyaitpasàsachance.Trop
mignonne.
-Maisoui.Viensdoncprendreplace.Pourquiapprécielepiano,unquatre
mainsnefaitqueredoublerleplaisir.
Jememetsàparlercommeeux,pasvrai?Pasvrai?
Elleacquiesceetc'esttoutjustesiellenemerejointpasenbondissant.Elle
mefaitpenseràunpetitchien.
Nousôtonsnosgantsetlesposonssurlepiano.Jeluimontreunesériede
notessimplesetrépétitives,lamaingauchedeHeartandSoul,leseulautre
morceauquejeconnaisse.SiTomHanksarriveàlejouersurunpianogéant
dansBig,jesuissûrequ'Emilylemaîtriseratrèsbien.
Unefoisqu'elleestrentréedanslerythme,jejouelamélodiesurlapartie
droiteduclavier.Elledoitcouvrirunedouzainedenotes,etjepeuxm'en
tireravecdeuxdoigtstoutletempsdelaprestation.Toutàfaitlegenrede
charcutagedontjesuiscapable.Lestouchessontfraîchessousmesdoigts
tandisquej'exécutelapremièregamme,etlesnotesremplissentlapièce
devenuesilencieuse.
L'assemblées'estrapprochéedenousetjemesensirradiéeparleregard
d'Alex.J'aienviedeleverlesyeuxversluimaisjevaisfairedesfausses
notes,ducoupjem'abstiens.Jevoisqu'Emilys'amuseparcequ'ellese
balanceunpeusurlabanquetteenjouantsapartition,etsonsourireestsi
béatquejelesens,mêmesijenelaregardepas.
Jeluidonneuncoupdecoudepourluifairesigned'arrêter,etjeterminele
morceauenralentissantsurlesdernièresnotes.
Lorsquec'estterminé,jerelèvelatêteettoutlemondeapplaudit.Même
Victoriaal'aircontente.Ilfautcroirequ'encesiècle,HeartandSouln'est
pasarchiconnupartouslesindividusdeplusdesixans.L'espaced'un
minusculeinstant,jetrouveagréable,oserais-jedirebienveillante,toute
cetteattentionsurmoi.
Puisjemelèveetessaiederamenerlabanquettecontrelepianoforte,mais
Emilyestencoreassisedessus.Etc'estaumilieud'uneovationqueje
tombeenarrièreetm'écroulesurleparquet.
-Oh,je...euh...oh!
Enunefractiondeseconde,jesuisdeboutetj'écartelemonsieurquis'est
précipitépourm'aider.Miséricorde,jedoisêtreécarlate.J'époussette
vaguementmarobe.
-Emily?Situenchaînaisavecundetesmorceaux?dis-jeenespérant
détournerl'attentiongénérale.
Radieuse,ellesetournedenouveauversl'instrument.Jel'aiéchappébelle.
Jedétecteunsiègeàproximitéetopèreuneretraitestratégique.Monvisage
retrouveunetempératurenormalependantquejeregardeEmily,quisourit
toujoursjusqu'auxoreilles.Sesyeuxnoisetteétincellentetjevoisses
bouclesbruness'agiteravecenthousiasme.Quelquechoseenellefaitqu'on
luidonneplutôttreizeansquedix-huit.Unespontanéiténaïveetoptimiste.
C'estvraimentdégoûtantdemapartdemefairepasserpourRebecca.De
fairesemblantd'êtrel'amied'Emily.Parcequelepire,c'estque
j'aienvied'êtresonamie.Maissanstouscesmensongesentrenous.Jeme
lesreprésentecommeunélastiquequis'étireetsetend.Etçanepeutpas
durerindéfiniment.Ilvacraquer.
Ellevasavoirlavérité.Soitparcequejevaisdisparaîtreetrevenirauxxf
siècle,soitparcequejevaisêtredémasquée.Ellefiniraparsavoir.
Et,qu'onmetraitedelâchesionveut,j'espèrebiennepasêtrelàpourle
voir.
Emilytermineunmorceauentraînant,etlesinvitésrecommencentà
applaudir.
-VousferezunebienbelleépousepourDenworth!s'écriel'und'eux,etje
manquem'étrangleravecmasalive.
Épouse?
Lesourired'Emilysecrispeetlalumièredéserteses
prunelles.Maintenantellefaitbiensesdix-huitans.
-Merci,dit-elle.
Jeserrelesdents.Qu'est-cequec'estquecettehistoire?
-Luiavez-vousécrit,àcepropos,commejevousl'aidemandé?demande
Victoriaens'avançantverslepiano.
-Pasencore,répondEmily.
CoupantcourtàlaréactiondeVictoria,elleentameunnouveaumorceauau
rythmeenlevéenplaquantbruyammentlesaccords,quinoielesparolesde
satante.
Detouteévidence,Emilyn'apasenviedeparlerdecetteaffaireDenworth
avecelle.
Maisilvafalloirquejesachedequoiilretourne.Quelquechosecloche.
Emilydevraitêtreheureused'êtrefiancée,sic'estdecelaqu'ils'agit.
Demain,j'aurailefinmotdel'histoire.
Chapitre12
Lelendemainmatin,jemedépêchededescendreprendrelepetitdéjeuner,
quiestservidanslavéranda,unepiècebeaucouppluspetitequelasalleà
manger.
Jemeréjouisduchangementdecadre.Jepréfèrenepasrepenserau
désastreabsoludu«dînerprié».
Toutacommencélorsqu'undomestiqueestentrédanslesalonaprèsmes
débutsdepianisteconcertistepourannoncerqueledînerétaitservi.Ayant
sautéledéjeunerpourexplorerHarksbury,jemouraisdefaim.Jemesuis
donclevéeetdirigéeverslasalleàmanger.
Maisj'étaislaseule.Touslesautresserassemblaientdeuxpardeux,etje
mesuisretrouvéecoincéeenqueuedecortègeavecunvieuxmonsieur
visiblementmoinsfortunéquelesautres.Pendantquenousdéfilions
jusqu'àlasalleàmanger,j'aicomprisquenousétionsplacéspar
ordred'importance.
Devinezquiétaitaufond.
Moi.Ons'étonnequeçam'aitdonnél'impressiond'êtreaulycée,hein?Vous
parlezd'undînercenséêtreorganiséenmonhonneur!Certes,jenetenais
pastantqueçaàêtresouslesprojecteurs,maistoutdemême.
Àpartirdelà,toutestallédetravers.J'aiencoreparléauxserviteurs.Fi!
Quelfauxpas,trèschère.Onauraitentenduunemouchevolerquandj'ai
demandés'ilsavaientduketchup.Puisj'aiportéàmaboucheunmorceau
depouletavecmoncouteau.Deuxièmeimpair.Oh,etapparemment,j'étais
censéetenirunboutdepaindansunemainetunefourchettedansl'autre
pourmangerlepoisson.Troisièmeboulette.
Sérieusement,j'étaisdépassée-toutjustesij'ensuissortievivante.
Cematin,jesuissoulagéedevoirEmilyàtableentraindemanger
tranquillementtouteseule.Aumoins,jepeuxm'emmêlerlescrayonstant
quejeveux,çaneladérangerapas.
Nevoyantpasdedomestiquedanslesparages,jemesersenjamboneten
fruitssurlebuffet.
-Alors,pasdebacon?dis-jeenplaisantant.
Ondiraitqu'ilsprévoienttoujoursplusdenourriturequenousnepourrons
jamaisenmanger.Cesgensignorentlesensdumotmodération.
Emilylèvelesyeux.
-Victoria...euh,laduchesseconsidèrequelebaconestréservéaupeuple.
-Ah,dis-jesanstropsavoircommentjesuiscenséeréagir.
Ilmesembleunpeubizarrededécréterqu'onpeutmangerdujambonmais
pasdebacon,enfinpeuimporte.Jenecomprendsrienauxusetcoutumes
decesiècle.Jeprendsmonassietteetvaism'asseoirenfaced'Emily.Le
soleild'étéentredéjààflotsparlesbaiesvitrées.Ildoitêtreaumoinsdix
ouonzeheures.J'airenoncéàtoutenotiondutempsici.Àcroirequ'ils
fonctionnentavecunehorlogeinterne.Lesilenceretombe.
-Dis-moi,Emily...
Celafaitunsièclequ'ellejoueavecsanourritureetlorsquejerompsle
silence,ellerelèvelatêtecommesielleavaitoubliéjusqu'àmaprésence.
-Cettehistoiredefiancé...Tum'enavaisparlé?Jenem'ensouviensplus.
Montonest-ilsuffisammentdétaché?Jel'espère.
Ellesecouelatêteetsereplongedanslacontemplationdesonassiette.
Qu'estdevenuel'Emilyjoyeuseetpétillante?Cellequejesuisvenueà
connaîtreetàaimer?Cellequimefaitparfoispenseràunchiottoutfou.
-Non.Lesfiançaillesviennentd'êtreannoncées.
-Oùvousêtes-vousrencontrés?
-Chezlui,c'estmonpèrequiaarrangénotrerencontre.
Jen'aimepaslatournurequeprendlaconversation.
-Dansquelbut?
-Pourréglerlesdétailsdenotreunion,bienentendu,répond-elled'une
voixsanstimbre.
Jen'aimevraimentpascela.
-Tuneveuxpasdireque...ilt'aprésentéeàluiafinde...d'arrangervotre
mariage?
Jesuismaladroite,jelesais,maisc'estlapremièrefoisquejemetrouveen
directfaceàunauthentiquemariagearrangé.Jecroyaisquec'étaitun
mythe.Commeleslicornes,quoi.
Ellerépondd'unhochementdetête,maisjelavoisdéglutiretjeme
demandesiellealagorgeserrée,elleaussi.Ellegardelesyeuxbaissés,mais
jenepensepasqu'ellesoitattentiveaucontenudesonassiette.A-t-ellecillé
?
-Et...ilteplaît?
Elleposesafourchette.
-C'est...unhommeplutôtagréable.Ildisposed'unegrandefortune.Jene
manqueraiderien.
Çasonnefaux,grotesque.Ondiraitqu'ellerécitedesrépliquestoutes
prêtes.
Jeremuesurmachaise,quimeparaîtsubitementdureetinconfortable.
-Maisl'aimes-tu?
-Jenemanqueraiderien,répète-t-elle.
Sesyeuxbrillentunpeuplusqu'ilyatrentesecondes.Ellesaisitsa
fourchette,maissamaintremblelégèrementlorsqu'ellelaserretropfort.
-Emily...tupeuxêtrefrancheavecmoi.Noussommesamies.
Aumomentmêmeoùlesmotssortentdemabouche,j'aienviedeles
effacer.Emilyestréellementsympathique,etmoijeluimensàtoutboutde
phrases...Jetrahissaconfianceenmefaisantpasserpoursonamie.
Pourtant,mêmesijesaisquesonamitié,envérité,s'adresseàRebecca,
c'estcommesinousétionsaussiamies,touteslesdeux.Elledégagequelque
chosequimedonnel'impressionquejepeuxluifaireconfiance.Bienqueje
nefasserienpourméritersaconfiance.
C'estlàqu'entrentenjeulesgrandeseaux.Ellebatdescilsplusieursfois,
maisleslarmess'échappententraçantdessillonsquiluisentsurl'arrondi
parfaitdesesjoues.
-Jenepourraijamaisl'aimer.Ilatrenteansdeplusquemoietilestpétri
d'habitudes,dit-elled'unevoixtremblante.
Trenteansdeplus?Maisc'estunvieillard!
Bouchebée,jelacontemple.Safourchettetombeentintantdansson
assietteetelleprenduneserviettepoursetamponnerlesyeuxen
regardantleplafond.Safaçadejoyeuseselézarde{vued'œil.Jecrois
qu'elleestàdeuxdoigtsdecraquercomplètement.
-Tonpèresait-ilcequeturessens?Ellehochelatête.
-Oui.Jel'aisuppliédechangerd'avis,maisiln'endémordpas.Jepensequ'il
estlasd'écoutermessupplications,c'estpourquoiilm'aenvoyéepasser
deuxmoisici,àHarksbury.Ilsouhaitequejerentreàlamaisonralliéeàsa
décision.
Quelleterribleinjustice!Jen'arrivemêmepasàformulerunephrase,trop
demotstourbillonnentdansmatête.Jenetrouvequedesformulescreuses
etbêtes.
Vivreen1815,c'esttropaffreux.D'abordlafillesecrèted'Alex,maintenant
unmariagearrangé?Difficiled'imaginerpire.
LaRégenceanglaise,c'estlimitebienvenueàBeverlyHills.Autantdemélo,
maisbeaucoupmoinsdeglamour.
Emilys'essuielenezaveclaservietteetprenduneprofondeinspiration.
-J'étaistellementheureusedetevoirici.Toiquiessiintelligenteetsi
indépendante.J'aisuquetonarrivéeanticipéeétaituncadeauducielpour
moi.Tuesmapluschèreamie,Rebecca.Tudoism'aider.
Houlala,jemesensencoreplusbête,maintenant.LavraieRebeccaest
certainementsurdouéeetsauraitexactementquoidirefaceàcette
situation.Elleéchafauderaitsûrementunecentainedeplansetdeprojets,
etelleentreprendraitimmédiatementquelquechosepoursauversonamie.
Jelevoissurlevisaged'Emily.Ellemeregardeavectantd'espoir...comme
sij'allaistoutarranger.Elleneveutrienavoiràfaireaveccetype,
Denworth.Etàcetinstantprécis,unecertitudes'imposeàmoi:ilfautque
jelasortedecepétrin,coûtequecoûte.Jeleluidois.
C'estcequeferaitRebecca.C'estdonccequejedoisfaire.
Minute...Etsij'étaiseneffetcenséelefaire?Sic'étaitlaraisonpourlaquelle
j'aiaboutiici?Simamissionétaitderomprelesfiançaillesd'Emily?Mon
destin?JemesuisretrouvéedanslapeaudeRebeccaafind'êtreenmesure
d'aiderEmily.
Sij'yparviens,toutpourraits'arranger.Etsiçanechangerien,ehbienje
tenteraiautrechose.Ilyabienuneraisonpourqu'unepersonnedu
xxiesièclesoitcoincéeen1815,non?C'estarrivédanslebutquej'utilise
masensibilitémodernepourjouerlesredresseusesdetorts.
-Net'inquiètepas,Emily.Jevaistetirerd'embarras.Nousallonsrompre
tesfiançailles.
Jenesaispasquellemouchem'apiquée.Jen'aiaucuneidéedelamarcheà
suivrepourl'aider.
Maisjesaisquejedoislefaire.Ilmesuffitdetrouverunplan.
Illicopresto.
Chapitre13
Jesuisauparadis.Enfin,aussiprèsduparadisqu'onpeutl'êtreen1815.
Aprèsavoirassistéàuneprocessiond'aumoinshuitdomestiquesportant
desseauxd'eaubouillantedansmachambre,jesuisimmergéedansune
baignoireremplied'eaudélicieusementchaude.Etjen'ensortiraique
lorsqu'elleserafroideetmoitoutefripée.
L'eauestadditionnéedejenesaisquellehuileparfuméeet,sijenecroyais
pasauparavantàl'aromathérapie,çayest,jesuisadepte.Jenemesuispas
sentieaussidétenduedepuisplusdequarante-huitheures.
Àdéfautd'êtresortieenboîteavecAngela,MindyetSummer,jevaisme
rattrapercesoir,versionRégenceanglaise,aubaldesPommeroys'ilvous
plaît.Paréetelleuneprincesse,jevaisflirteravecdesgarçonsdivinset
enfinm'amusercommeunefolle.
Quandl'eaudevienttropfroide,jesorsetenfileunechemisedenuiten
cotonquem'alaisséelabonne.
Emilyainsistépourquenousnouspréparionsensemble,cequivaut
probablementmieux.Aucuneaideneserasuperfluepourtrouverlatenue
adaptéeàcegenred'occasions.
Onnem'amêmejamaisinvitéeàunbaldulycée.Cesoir,cesera
vraisemblablementlapremièrefoisquejedanseraiavecungarçon.C'est
dément.Zut,ilaurafalluquejefasseunvoyagedepresquedeuxcentsans
dansletempspouralleraubal!
Maispeuimporte.J'aibienl'intentiondem'éclateretdedanserjusqu'à
l'aube,mêmesijesuisaccoutréebizarrementetquejenereconnaisaucune
musique.
Jetiresurunecordelettequis'enfoncedansuntroudumur.Elleestcensée
êtrereliéeàuneclochequelquepartetprévenirElizaquej'aibesoind'elle.
Jenel'entendspas,etj'ensuisréduiteàprésumerqu'ellesonnedans
quelquepayslointain.J'aientenduunefoisEmilyparlerdes«étages
inférieurs»,maisjen'aiaucuneidéedeceàquoiellefaisaitallusion.
Quoiqu'ilensoit,çadoitmarcher,carElizaarrivequelquesminutesplus
tardetsemetaussitôtautravailsurmescheveuxmouillés.Ellelescoiffeet
roulelesmèchesdansdepetitschiffonssupposéslesboucler,jusqu'àce
qu'ilsformentunevéritablepileau-dessusdematête.Quandelleaterminé,
j'ail'impressiond'êtreuneménagèrerétrodesannéescinquante.
-Vousnedeviezpasêtredereposaujourd'hui?
-Jel'aiété,mademoiselle.Toutl'après-midi.Jefroncelessourcils.
-Ehbienj'estimequevousdevriezprendreaussivotrejournéededemain.
Siquelqu'unytrouveàredire,dites-luides'adresseràmoi.
Ellesembleperplexe.
-Vousméritezunejournéedecongé.Nevousinquiétezpas.
-Oui,mademoiselle,dit-elled'unairsoudaintrès,trèsheureux.
-Promettez-moijustedefairelagrassematinée.Unsourireauxlèvres,elle
faitunerévérence.
-Oui,mademoiselle.
-Parfait.Bien,jecroisquevouspouvezyaller.Jevaismepréparerdansles
appartementsd'Emily.
Dèsqu'elleestpartie,jesuisprêteàrejoindreEmily.Jemedirigeversla
portedansmachemisedenuitencoton,maisjemefigesubitement.Cela
paraît...déplacédesortirdanscettetenue.Cettefinechemisedenuit
dissimuleàpeinemesfesses.Jen'aipasrevumonsoutien-gorgedepuisle
jourdemonarrivée...Conclusion,tantquejen'auraipasremislecorset,pas
questionquejequittecettechambre.
Jemetournedenouveauverslaclocheenmedemandantsijenedevrais
pasrappelerElizapourluidemanderdequoimecouvrirunpeumieux.Et
commenttrouverlachambred'Emily.Pourquoin'yai-jepaspenséavantde
larenvoyer?
Maisçamegêneunpeudeladérangerautant.Jenesuispashabituéeà
avoirquelqu'unàmesordres.C'estassezbizarre.Desortequejenevois
qu'unesolution:
jeprendsl'unedescouverturesdemonlit.Çanefaitpasvraiment
affriolant,maisjem'enemmaillotejusqu'àcequejeressembleàungros
burrito.
C'esttoutmoiça.Lapudeuravanttout.
Jepasselatêtedehorsetvérifieàdroiteetàgauche.Personne.
JecroismerappeleravoirentenduEmilydirequesachambresetrouve
dansl'aileopposée,etquesij'empruntecetescalierdeservice,jepourrai
m'yrendresanspasserparl'entréeprincipale.
Enthéorie,c'estparfait.Àundétailprès:Harksburyfaitdeuxfoislataille
demonlycéeetjesuiscomplètementperdue.Jesuisquasimentsûred'être
passéetroisfoisdevantlesmêmesportraitssinistres.J'ail'impressionque
leursyeuxmesuivent,commedansScoubidou.Jecroismêmequej'aipris
l'escalierdesdomestiques,àunmomentdonné,parcequ'ilétaitétroitet
éclairéuniquementparunepetitefenêtreetjen'imaginepasdutout
VictoriaouAlexl'emprunter.Alexn'ytiendraitprobablementmêmepas
tantilestgrand.Heureusementquejenerisquepasdelescroisercar,à
déambulerdanslechâteauemmitoufléedansmacouverture,j'ail'aird'un
bouffon.Unbouffonàmoitiénudéguiséenburrito.
Enfin,jecomprendsquej'aiatteintl'aileopposée,carjerepèrelacourà
traversunefenêtreàpetitscarreauxetlavueestl'imagemiroirdecelleque
j'aidemonaile.Super.C'auraitvraimentétél'horreurdecontinuermes
pérégrinationsdanscetétat.J'auraisputombersur...
Alex.Alex!
Savuesuffitàréveillermacolère.
Ilmedévisage,labouchelégèremententrouverte,lesyeuxronds.Jerêveou
ilrougit?Iln'ajamaisvuunburrito,maparole.Àmoinsquecenesoientles
papilloteshyper-sexyentortilléesdansmescheveuxtendancevieilletante
moustachue?Lagrandeclasse.
-Euh,jecherchelachambred'Emily,dis-je.
Jeresserrelacouvertureautourdemoienespérantqu'aucunepartiede
moncorpsnedépasselàoùilnelefaudraitpas.
Sansdireunmot,ilmefaitsignedelesuivre.Jemarchederrièrelui,la
couvertureenguisedetraînesurmestalons.J'aiàpeuprèsunmillierde
chosesàluidire,là,toutdesuite,commeleshorairesscandaleuxd'Elizaou
leslettresdecettepauvrefemme,maisuneconversationsérieuseest
impensabledanscettetenue,ducoupjegardemesgriefspourmoi.
Laportedelachambred'Emilyestouverteetils'écartepourmelaisser
entrer.Ilrestesiprochedel'embrasurequejesuisobligéedelefrôlerpour
passer.Jemarmonne:
-Merci.
Auderniermoment,j'esquisseunerévérence,maisjenesuispascertaine
qu'ill'aitremarquée,carlacouverturemefaituneenveloppebouffanteet
çaneressembleàrien.Jemefaufilerapidementdanslachambreetjeferme
laportederrièremoiavantdem'aplatircontre
lepanneaudebois.Alexdoitêtreentraindefixerlaportequiluiaclaqué
aunez.Çanedoitpasluiarrivertouslesjours.Pourunpeu,j'enserais
ragaillardie.
-C'est-la-ca-ta.Jesuisuneberezinaambulante,dis-jeàEmily.
Assisesuruntabouret,drapéedansunravissantpeignoirjaune,ellepivote
versmoi.
Unpeignoir.Etpourquoijen'yaipaseudroit,moi?
-Quesepasse-t-il?
Elleaussiadespapillotespleinlescheveux,maissurellec'estmignon.Les
chiffonsblancscontrastentavecsesbouclesbrunes,onpourraitpresque
croireàunlooktravaillé.Jenesaispaspourquoi,maisjedoutequeçafasse
aussicharmantsurmoi.
Jemejettesursonlitenpoussantungrandsoupir.
-IlafalluquejetombesurAlexenmebaladantdanscetaccoutrement.
Encoreunechancequejen'aiecroisépersonned'autre.Jeparieque
Victoriaauraitadoré.
Emilypouffe.
-Tuasl'airunpeuridicule,jel'admets.
-Merci,dis-jeenmeroulantsurlelit.MonDieu,quandjepensequ'ilm'a
vue!
Emilyboitunepetitegorgéed'unverreposésursacoiffeuseetpivotepour
meregarderdanslesyeux.
-Jecroyaisquemoncousinnet'intéressaitaucunement.
Jefaisunemouededégoût.
-Oh,quenon.Iln'yaqueluiquicompte.Tucroisqu'ilmanifesteraitunpeu
d'attentionetdecompassionenverssonentourage?Ilesttotalement
égocentrique.Etpar-dessuslemarché,ilestimequejedevraiscensurer
toutcequejedisetêtreunegentillefillebiensoumise.Enfin,franchement.
Lesourired'Emilys'élargit.
-Tun'aspasbesoind'argumenter.Jetecrois.
-Oh.
Alorspourquoim'adresse-t-elleunsourirepareil?
Etsurtout,pourquoineledéteste-t-ellepas,commemoi?D'accord,elle
n'estpeut-êtrepasaucourantdubébéclandestin,maisellesaitbienqu'il
approuvesonmariageavecceDenworth,étantdonnéqu'iln'arienfaitpour
l'aideràyéchapper.Elledevraitluienvouloir,mêmes'ilestsoncousin,non
?
-Bien,déclare-t-elle.Consacrons-nousàdessujetsplusimportants:notre
tenuepourlasoiréedansante.
JeluirenvoiesonsourireetAlexdisparaîtdemonesprit.Onvabien
s'amuser.
Chapitre14
Emilyselèveetsedirigeversunerangéed'armoires.Oui-oui-oui,
unerangée.Elleouvreengrandplusieursportes,dévoilantuneribambelle
derobes.Jem'étonnecependantdenepaslesvoirsurdescintres.Elles
sontsoigneusementpliées,chacunesursapetiteétagère.
Monsourires'élargitunpeuplusàchaqueporte.J'ail'impressiondefaire
dushopping.Maisenmieux,carcontrairementàmoi,Emilyalesensdu
détailvestimentaire.
-Monpèreajugéimportantquejesoisàlapointedelamodeafind'assurer
monunionavecDenworth.Quoiquerebutéeparlacause,jemesuisbien
amuséeàconstituercettegarde-robe.
Jecroisqu'ellevarecommenceràs'apitoyersursonsort,maisc'estavec
uneapparenteinsouciancequ'elleplongesousunepilederobes.
-Jepensequenousdevrionsporterdelamousseline.Bienqu'ils'agisse
d'unesoiréechampêtre,mieuxvautsacrifierauxtendancesdelasaison
passée.Encoreque...j'aibeaucoupd'autresrobesquit'iraientàmerveille.
Ellemarqueunepauseettapoted'undoigtlégersonmentonquecreuse
uneminusculefossette.
-Finalement,nousallonspeut-êtreoublierlamousselinepourcesoir.
J'aidécrochéàpartirdumot«mousseline».Jenecomprendspascequ'elle
raconte,maisentoutcaselleestàfonddedans.Emilydoitêtrelavariante
1815d'unefashionvictim.
-Lasaisonpassée?
Est-elleentraindemeparlerdecollectionprintemps-étéoudequelque
chosecommeça?Nemeditespasqu'ilexistaitdesdéfilésdemodeà
l'époque.
-MonDieu,as-tuoubliéavecquelleimpatiencetuattendaistapremière
saison?Veux-tudirequevousn'avezpasdesaisonenAmérique?
Monexpressionimbéciledoitexprimermaconfusion.
-Lasaisondesbals,inauguréeparlebaldesdébutantes!Tuasdûfaireton
entréedanslemondel'andernier,toiaussi.Autrefois,nousvoulions
tellementdébuterensembletouteslesdeux.Tunet'ensouviensdoncplus?
Nousenavonssisouventparlé,àl'époque.
-Oh!Si,euh,biensûr!J'aieuunpetittroudemémoire.Transitoire.Maisje
m'ensouviensbien,maintenant.(Etvoilà,jerecommenceàdiren'importe
quoi.)Et,euh,touts'estdérouléconformémentàtesattentes?
Emilypasselesrobesenrevue,pratiquementenseveliesousleurmasse
tandisqu'ellelesentassesursesépaules,maislorsquejeluiposela
question,elleseredresseetsetourneversmoi.Unsourireémerveilléla
transfigureetsesyeuxétincellent.Houlaaa.C'estl'extase.
Commentpeut-onforcerunefilleaussijoyeuseàépouserunvieux
grincheux?Jedoisabsolumenttrouverunmoyendel'aider.
-C'étaitprodigieux.Lesréceptions,ladanse,touscesgensrencontrés...
j'auraisvouluquecelanecessejamais.
Et,poursoulignersonpropos,ellejettelesrobes,s'élanceettourbillonne
danslachambresurunemélodiemuette,sonpeignoirflottantautourd'elle,
sesbouclettesvolantdepartetd'autredesonvisage.Elleestlittéralement
aérienne.Cettefilleesttoutsimplementcraquante.
Jepréfèrenepasdemanderpourquoiças'estarrêté,carj'aipeurque
Denworthn'ysoitpaspourrien.Àmoinsquel'affairenedurequ'une«
saison»,commeellel'adit,chaqueannéeàunecertaineépoque.
-Tuterappellescommenousrêvionsd'Almacks?Ellecessede
tourbillonnerletempsdejaugermaréaction.Monexpressiondoitencore
metrahir,carelleajoute:
-CeclubsichicàLondres.Réservéàl'élite.
-Ahoui,naturellement,commentl'oublier?
Ellesouritettraverselapièce,puiselleselaissetomberàcôtédemoiet
s'allonge.Noussommessiprochesquenosbigoudissefrôlent.Jesaisque
celadevraitparaîtrebizarreougênant,maiscurieusement,non.Jemesens
bien.CommesiEmilyétaitunevraieamie.
Etçafaitunanquejen'enaiplus.DepuisledépartdeKatie.
-Ehbienfigure-toiquefinalement,Almackss'estrévélémoinsprestigieux
quejenel'avaisespéré.Ladécorationdessallesestsommaire,etlebuffet
laissaitbeaucoupàdésirer.Maiscelan'avaitaucuneimportancecarj'aieu
leprivilègededanserunevalseaveclecomtedeGrant,etj'aifaitscandale!
Jel'écouteensouriant.C'estplusfortquemoi.Ellebouillonned'excitation
avecseshistoiresdebaletceladéteintsurmoi.Jenevoispasenquoivalser
peutcauserunscandale,maisçaal'airplutôtcool.
-Lesdamespatronnesses,tut'endoutes,n'étaientqu'unebandede
pimbêchesetsijenedoisplusjamaislesrevoir,jenem'enporteraipasplus
mal.
Jecontinueàpatauger.C'estquoi,unedamepatronnesse?Jem'éclaircisla
gorge.Emilyesttellementexaltéequ'ellepourraitpapotertoutelanuit.Or
ilfautqu'onpasseàautrechose.
-Etdonc,euh...tesfiançailles...
Hem.Jenesuispastropsûredecequejevaisdire,maisjedoisaborderle
sujet.
-As-tu...dessuggestions?
-Dessuggestions?
Elles'assiedetmeregardeenhaussantunsourcil.
-Oui.Tusais,concernantlemoyenderomprelesfiançailles.
Sonvisagesedécompose.
-Hélas,non.Jecrainsquecenesoittoutbonnementpaspossible.C'est
pourquoij'étaistellementexcitéeenvoyantquetu...
Sesparolesmeurentsurseslèvres,etsonvisageserenfrogne.Lalumière
s'éteintdanssesprunelles.
-Oh,net'inquiètepas,dis-jeprécipitamment.J'aidestonnesd'idées.Je
voulaisjustesavoirsituenavaisdetoncôté.Afinquenous,commentdire,
quenousconjuguionsnosforces.
J'aidumalànepasgrimacerenprononçantceénièmemensonge.À
combienensuis-je?J'aiperdulecompte.
Ellemesouritetmonestomacsenoue.Ellenedevraitpasplacerenmoi
unetelleconfiance.
-Réellement?Quelssontdonctesprojets?
-Oh,ilestunpeuprématuréd'enparler.Nousendiscuteronspeut-être
demainouaprès-demain.
Mensonges,encoredesmensonges.
-Oui,quelbonheur!Etsi...
Ellesetaitenentendantquelqu'unfrapperàlaporte.Dieusoitloué.
-Entrez,ditEmilyenreprenantsonsérieux.
Unedomestiquepasselatête,suiviedemabonne,Eliza.
-Noussommesvenuesvousaideràvoushabiller,annoncelapremière.
JepensequecedoitêtreladomestiqueassignéeàEmily.
Celle-ciluidemandedenouspassernossous-vêtements,puisnous
essaieronsdesrobesjusqu'àcequenoustrouvionscellequinousplaît.
Noussommesassisesl'uneàcôtédel'autresurdestabouretstandisqueles
soubretteslacentnoscorsets.Jen'arrivepasàcroirequ'onvaencore
m'infligercestupideaccessoire.Commentdanseralorsquejepeuxàpeine
respirer?D'autantplusquej'aidécouvertunechose:ilyabeletbienunos
debaleinededans,cequejetrouverépugnant.Ettriste.Pourlesbaleines,
s'entend.
Lorsquelecorsetestjugésuffisammentserré(danslesensde«Oh,vous
avezvu,sespoumonssontgroscommedescacahuètes!»),lesfemmesde
chambremarmonnentquelquechoseausujetd'unjupon,cequidoitêtre
l'espècedecombinaisonqu'onpassepar-dessuslecorset.Ilestplusdoux
quejelesupposais,cequimesoulage.Touteconsolationestbonneà
prendre.
Enfin,j'ailedroitdem'intéresserauxrobesenelles-mêmes.Iln'yaque
l'embarrasduchoix:desbleues,desvertes,desrouges,etmêmedes
blanches.Certainessontencoton,d'autresensatinbrillant...c'estle
nirvana.Jemarchedanslachambrepiedsnus,maisquelquestapisd'Orient
m'évitentd'avoirfroidauxorteils.
Leplusbizarre,c'estquejecroisquelestapisviennentréellementd'Orient,
etsontfaitsàlamain.Ilssontsomptueuxettrèscolorés,etjecomprends
enfin
pourquoic'estdevenulamode.Cenesontpasdesmochetésàcinquante
dollarssortiesd'ungrandmagasin,maisdestapiscomplexes,
élégants,beaux.
Emilytientunerobebleumarinedevantmoi,puiselleplisselenezetla
repose.L'espaced'uneseconde,jecroisqu'ellevam'endonnerunejauneà
manchesblanches,maisellelareposeaussi.
Puissonvisages'éclaireetellesortl'unedesrobesblanches.
-Oh,non,jenesuispastrèsfandublanc,dis-jeavecunmouvementde
recul.Jet'assure,jevaisrenverserquelquechoseetmefaireunegrosse
tache.
-Maisavectescheveuxblondsettonteintdelys,tuaurasl'airangélique.
Angélique?Voilàbienuntermequejamaisnuln'aassociéàmapersonne.
J'aidumalàvisualiserdesangesaussimaladroitsquemoi.Maisbon,va
pourl'essayage.
Labonnepasselarobepar-dessusmatêteetjedoisadmettrequ'elle
semblem'aller.Lespetitesmanchesballonsontplutôtchouettes,bien
qu'unpeutropbouffantesàmongoût.Ilyaunépaisrubanrosepoudré
justesouslapoitrine,qu'Elizanouedansmondos.Lerubanestsilongqu'il
touchepresqueterre,etçamedonneunpeul'impressiond'avoirunetraîne
miniature.Ellemetendunepairedelongsgantsblancsquidoiventmonter
jusqu'auxcoudeset,sansmêmeavoirbesoindemeregarder,jesaisqueje
suiséblouissante,irréprochable,parfaite.
Legrandsourired'Emilymeleconfirme.
Ellesetourneànouveauversl'armoirepourcherchersapropretenue.Son
choixseportesurunejolierobevertmentheaudécolletérehausséde
perlesverteschatoyantes.Ilmesemblequ'elles'enhardit.
Nosbonnesôtentlespapillotesetentamentl'interminableopérationde
relevernoscheveuxenchignonsquin'ontrienàenvieràceuxdessalonsde
coiffurelesplusbranchésduxxiesiècle.Unchef-d'œuvre,sincèrement,
quandonpensequ'ellesn'ontpasdelaque.Respect.
-Euh,dis-moi,Emily,ya-t-ilquelquechosequejedevraissavoirausujetde
ceshistoiresdedanses?Sûrement,ici,çan'arienàvoiravecnossoirées
américaines.Etdequoidois-jeparler?Ilmefaudraitunpetitpointsurce
quejepeuxdireetfaireounon.
Lemartyrequem'imposeElizamefaitgrimacer.J'ail'impressionquela
bonned'Emilyestbeaucoupplusdouce.Pourquoiest-cemoiquisuis
tombéesurcellequiadécidéd'arracherlescheveuxd'autrui?
Dansmavisionpériphérique,jevoisqu'Emilysourit.Lafiesta,c'est
vraimentsondada.
-Avanttout,sachequedèstonarrivée,siunmonsieurt'inviteàdanser,tu
doisaccepteràmoinsd'avoirl'intentiondet'abstenirdedansertoutela
soirée.
-Mêmes'ilestimmondedechezimmonde?
Elleneditrien.Jenepeuxpaspivoterlatêtepourvoirsonexpression.
-Jeveuxdire...mêmesijen'enaipasenvie?
-Déclinerl'invitationdupremierquit'invitesignifiequetun'aspas
l'intentiondedanser,etpersonned'autreneteledemandera.
-Ah,capito.
Étantdonnéquepersonnenem'ajamaisinvitéeàdanser,jedoutequela
formalitéposeunproblème.
-Autrechose?
Jecommenceàavoirmalauxfesses,assisesurcetabouretinconfortable,
maisj'aipeurdefroisserlarobeenremuant.
-Ilestinconvenantdeparlerdelaguerre,depolitiqueoud'argent.Les
potinssonttoujoursunsujetsansdanger.
Lespotins?Sansdanger?C'estàmourirderire.Inutiledeluipréciserque
jen'enconnaisaucun.
-JetemontreraiquiestladyPommeroy.Elleréclamerapeut-êtredes
dansesparticulièreset,lemomentvenu,tudevrasteréglersursonpas,ou
celuiducouplequidirige.Elleraffoledesdanseschampêtres,cequineveut
pasdirequ'ellenedemanderapasunquadrilleécossaispouragréeràses
invités.
J'opinedelatêteàtoutcequ'elledit,bienquelamoitiédeschoses
m'échappe.Lamoitié?Correction.Latotalité,c'estduchinoispourmoi.
-Jecroisquenousvoilàprêtes!s'exclame-t-elleenfin.
Mabonnemetendunpetitmiroiràmain.Lorsquejevoismonreflet,le
chocmelaissebouchebée.
Jesuis...belle.Mescheveuxsontrelevésenunedouzainedetorsades
différentesetfixésàl'aidedepetitesépinglesgarniesdeperles.Desboucles
tombentencascadesurmesépaules.
C'estunevéritablemétamorphose.Enmelevant,j'accrocheunpeigne,qui
tombeparterre.
J'essaiedeleramasser.Impossible.Sangléedanslecorset,jepeuxme
pencherenavant,maispasmecourber.Elizahochelatêteetleramasse,
commesiçan'avaitriendebizarre.
JesourisetregardeEmily.Cesoir...toutseradifférent.Jeseraidifférente.Je
porteuncorsetetunerobelongue,etdesgantsetmesPradaàtalonshauts
(qui,malgrélesmauvaistraitementsquejeleuraiadministrés,ontétési
admirablementnettoyéesetciréesqu'ellessontcommeneuves),etjevais
aubal.Ouplutôt,àunesoiréedansante.Emilyditqu'onneparledebalque
lorsqu'ilyaplusdecinqcentsinvités.
Maisjerelèverailedéfi.JesuisRebecca.Jesuisintelligenteetcharmanteet
ouverte.ToutlemondeaimeuneAméricainequiadestasd'anecdotesà
raconter.Jepeuxêtrecettefille.Cesoir,jeseraiàlahauteur.
Chapitre15
Alexestassissuruntabouretdansunepetitepièceprochedel'entrée,dont
ladoubleporteestgrandeouverte.Ilnenousvoitpas.Ilcontempleles
braisesrougeoyantesdanslacheminée,lesmainscroiséessursesgenoux.
Jem'arrêtedanslevestibule,profitantdel'occasionpourl'observer,ettant
pissiEmilymetaquinetoutàl'heure.Elleestfolledes'imaginerqueje
l'aimebien.Cequej'aimebien,c'estleregarder.Dèsqu'ilouvrelabouche,
toutsoncharmes'évanouit.Etplusj'enapprendssursoncompte,plusjele
méprise.Iln'ad'égardspourpersonne.NiEmily,nisonpropreenfant,ni
sesdomestiques.
Aujourd'hui,ilatroquésesbottescavalièrescontredesespècesde
chaussurespluschicetdeschaussetteshautes.Jedevraistrouversonallure
parfaitementgrotesque.Vousimaginez,deschaussettesquimontent
pratiquementjusqu'auxgenoux?Sonpantaloncourtmoulant-çadoit
s'appeleruneculotte-estbleumarine.Jenevoispasle
devantdesaredingoteassortiemaisdetroisquartsarrière,jeconstate
qu'elleestparfaitementajustée.Etquandjedisparfaitement...Envérité,
cettetenuefaitl'effetd'unesecondepeau.Dommagequ'ilsoitsiobtus,
sinoncegarçonseraitfranchementremarquable.
Ennousvoyant,ilselèveets'écartedelacheminée.Maintenantqu'ilest
faceànous,jevoisqu'ilporteundesesamplesfoulardsblancs,nouéautour
desoncou.Songiletestàmotifscachemirebleuetargent,avecdesboutons
aussiluisantsqueseschaussures.Maiscequim'attirevraiment,c'estson
visage.Cettemâchoirepuissante,cesyeuxbrûlants.Sespassontallongéset
déterminés,etavantquejepuisseprendreuneinspirationpourmecalmer,
ilestdevantnous.
-Bonsoir,dit-ilens'inclinant.
Emilyetmoiexécutonsnotreplusbellerévérence.
-Bonsoir,dit-elle.
-Bonsoir,dis-je,bienquecelaparaissetotalementredondant.
-Sommes-noustoutàfaitprêts?Lelandauattend.Ilinsistesurle
motattend,commesinousétionsen
retardEmilyetmoi.Peuimporte.
Emilyhochelatête,etjel'imite.
J'aicomprismaintenantqu'ilexisteunmotdifférentpourqualifiertoutes
lesvoituresàcheval.C'estunsigneextérieurderichesse.Emilyadéclaréun
jourquelecomtedePorthnepouvaitsepermettrede«garderuncarrosse
»àcausedesonaccoutumanceaujeu,avecl'airdetrouverceladéplorable.
Alexpossédantquelquechosecommehuitvoitures,jesupposedoncqu'il
estcousud'or.J'aiaussiréaliséquemonestimationinitialedunombrede
serviteursétaitloin,trèsloinducompte.Ilsdoiventêtreauminimum
quarante.Sinoncinquante.
Jemedemandesil'und'entreeuxadroitàsesweek-ends.
Alorsquenousnousapprêtonsàsortir,Emilynetrouveriendemieuxque
demefairerougir:
-J'aiprêtécetterobeàRebecca.N'est-cepasqu'elleluiva
merveilleusementbien?
Rhaa!Elleétaitvraimentobligée?Jenecomprendspascommentellepeut
encorevoirAlexenpeinture.Çacrèvelesyeuxqu'iln'astrictementrienà
fairedenous.
Sonvisageresteaussiimpassiblequ'àsonhabitude,maisilsetournevers
moietsonregardvertpénétrantmetranspercelittéralement.Alorsjele
soutiens,mêmesimesjoueschauffentàtelpointquemonvisagetout
entierdoitressembleràunetomatetropmûre.Adieuteintdelys.
Jesuisconvaincuequ'ilnevarienrépondre.Quandsoudain:
-Oui.Vousêtesravissante,dit-il.
Etsansmentir,autimbredesavoix,j'ail'impressionqu'ilestsincère.
Emilyhochelatête.
-Nousyallons?
Nousfranchissonsl'immenseported'entréeaumomentoùunevoiture
s'arrêtedevantleperron,lessabotsdeschevauxclaquantsurlespierres.
C'estapparemmentunedécapotablecarlesbancssontdécouverts,etje
voisdutissurepliéderrièrelessièges,quidoitservirdetoitsionletire.Un
genred'écusson,ouplutôtdesarmoiriessontpeintessurlesportières.
Cettevoiture,toutenjolivéed'argent,estfastueuse.Elleesttiréeparles
chevauxlesplusluisantsquej'aiejamaisvus.Ilsbrillentcommedespièces
demonnaieneuves.Ilyadeuxvaletssurlabanquette,àl'avant,vêtusdela
livréenoireréglementairedeHarksbury.Lepremiersauteàterreavant
mêmequelesrouescessentdetourner,etabaisseunmarchepied.L'autre
restesurlesiègeettientlesbêtesimmobiles.L'undeschevauxcaracolesur
placedansuncliquetisdeharnais.L'ensembleesttrèssophistiqué,c'estle
grandluxe.
Alexm'escortejusqu'àlavoiture,etj'aiuneconscienceaiguëdel'effetque
produitsurmoisaproximité.Ilsetientàcôtédelaportièreetmeprésente
sonbraspourm'aideràgrimper.Jeremarquelamanièredontlamanchette
desavesteestretournéesursamain.Sesarticulationsdisparaissent
presquesouslamanche,etjevoisunautreboutonbrillerprèsdeson
poignet.Àcoupsûr,cetteredingotecoûtedavantagequetoutcequeje
possède.Mêmemeschaussures.
Ilestdeboutlà,avecsonvisagelégèrementrelevéetuneexpression
tellementarrogantedanslesyeuxquejeflirteavecl'idéedefairecommesi
samainn'existaitpaspourmontertouteseule,maisjeneveuxpas
l'énerver.Aussijeposebrièvementmesdoigtsgantéssurleboutdessiens
etm'efforcenepassentirlespicotementsbrûlantsquececontactenvoie
dansmonbras.
Pourquoitantd'amabilité?Parcequ'ilestréellementgentiloubienest-ce
lagalanteriederigueurpourungarçondesonrang?
Emilys'assiedsurlesiègeàcôtédemoi.Alexprendplaceenface,ettoutà
coupl'airestmoiteetunpeutroplourd.Onnepeutpass'ignorer
mutuellement,alorsonseregardeenchiensdefaïence.
Maisquiauraitenviedeparleràuntypepareil?
Labrisequisouffledanslelandauestdouce.Emilyetmoiportonssurnos
robesdescapesdoubléesdefourrure.Lamienneestd'unjolirose,dela
mêmeteintequelerubansousmapoitrine.
J'essaiedetrouverquelquechosedebrillantoudespirituelàdirepour
prouverquejesuisgéniale,maisriennemevientàl'esprit.Etpersonnen'a
encoreprononcéuneparolequandnousfranchissonsleslargesgrillesen
ferforgédeHarksbury.
C'estEmilyquibriselesilence.
-Lecielavaitunetrèsbellenuancedebleuaujourd'hui.Tunetrouvespas,
Rebecca?
Jesourisethochelatête.
-C'estvrai.
-Pourquoilecielest-ilbleu,àtonavis?Pourquoipasvertourouge?
Jehausselesépaulesetsuissonregard.Lesoleilestpresquecouché,lebleu
pâledelajournéesetransformeenvelourssombre.
-C'estunequestiond'ondeslumineuses.Lebleunesediffusepasdela
mêmefaçonquelerouge.
Emilym'adresseunregardperplexe.
-Tudisparfoisdeschosesétranges,Rebecca.
Jesouris,unpeugênée.Jenedevraismontrermafacettedepremièredela
classequesouslacontrainte.Ilexistecertainementunchapitrelà-dessus
dansleGuidedel'ascensionsocialesouslaRégenceanglaise.
-Dequoidoncparlez-vouslà?
Lavoixd'Alexestsigraveetsiinattenduequejedétachebrusquementles
yeuxdespremièresétoilespourleregarder.
-Jevousdemandepardon?
-Lesondeslumineuses.Quevoulez-vousdire?Ah.Ilfallaits'endouter.
-Euh,ehbien,lalumièrearrivedusoleilparvagues.Decouleurs.Etelles
réfléchissentdifférenteschosesdansl'atmosphèreet...Oh,peuimporte.
Çanesertàriend'expliquertoutça,c'estbeaucouptropcompliqué.
Alexmefixelonguement,puisilsetournedenouveauversleciel.
-Etquivousaditunetellechose?Jegrogne.
-Desgensbeaucoupplusintelligentsquevous.-Jesuisplusintelligentque
vousnelepensez,réplique-t-ilenévitantmonregard.
Ilfaitquasimentnuitàprésent,jenevoispasàquelpaysageilpeutbien
s'intéresser.
-Etmoijenesuispasaussiignarequevouslecroyez,dis-je.
Ilseretournesibrutalementquejem'étonnequ'ilnesefroissepasun
muscleducou.Samâchoiresecontracte,maisilgardelesilence.
Jelemetsaudéfideprotester.Jesuistoutouïe.Maisilsedétourneà
nouveau.
Emilydésamorcelatension.
-Pensez-vousqueDenworthseraàlasoirée?
Savoixestàpeineunmurmure,maisjeperçoisl'espoirderrièreses
paroles.L'espoirquesonfuturmarisoitàdeskilomètresdelà.
-Habite-t-ilprèsd'ici?
-ÀuneheurederouteenvirondeHarksbury.J'espèredetoutcœurqu'ilne
serapasprésent.
Alexcessedes'intéresseràlavégétation,letempsderegarderEmily.
-Vousferiezbiend'agréercesfiançailles,larépri-mandet-il.
Pourquiseprend-il?Poursonpère?Ilsnesontquecousins!Celanelui
donneaucuneautoritésurelle.
-Oui,VotreGrâce,réponddocilementEmily.
-Pourquoi?dis-jesoudainpresquemalgrémoi.Iltournelatêteversmoi.
-Parcequec'estsondevoirderespecterlavolontédesonpère.
-Etensuitecelledesonmari,jesuppose?
-Bienentendu.
-Etquandpourra-t-elleagirselonsavolontéàelle?
Alexal'airconfondu.Ilclignedeuxfoissesyeuxfrangésdelongscils,mais
nerépondpas.
Heureusement,j'enaiassezàdirepournousdeux.Pourquoisuis-je
incapabledeplaidermacausefaceàtroispin-updemaclasse,alorsque
quandils'agitd'Emily,jedeviensfarouchecommeunelionneavecses
petits?ÀmoinsquecenesoitAlexquifasseressortircetaspectdema
personnalité.
-Emilyadroitauxmêmesprérogativesquevous.Elledevraitpouvoir
prendresespropresdécisions.
Ilcroiselesbras,avecuneexpressiondeplusenpluspédante.
-Vousconsidérezqu'unefemmedoitavoirlesmêmesdroitsqu'unhomme
?Enest-ilréellementainsienAmérique?
-Oui!Etsivousportiezunminimumd'affectionàvotrecousine,vousne
resteriezpaslesbrasballants!
Enprononçantcesmots,jenesaisplusàquijefaisallusion,àEmilyouàla
filled'Alex.
Ilmetoise,sesyeuxs'assombrissantencoreplus.Celamecoupenetdans
monélanetmacolèrereflue.Jesensquej'aiétébeaucouptropeffrontée.
Sonregardperçantm'effraie.Sait-ilquejesuisaucourantpourleslettres?
-Chacunasaplaceensociété.Vousferiezbiendegarderlavôtre.
Surce,apparemmentpoursignifierqueladiscussionestclose,ilsetourne
verslaforêt.Lanuits'annoncelongue.
Chapitre16
Lelandauralentitdevantleperrond'unedemeurepresqueaussi
majestueusequecelled'Alex.Ellen'anibaiesvitréescintréesnitoutàfait
lamêmeclasseélégante,maiselleestégalementenpierre,etplusgrande
quetoutcequej'aipuvoirchezmoi.Lalonguealléeestflanquéedepartet
d'autredecentainesdelanternes.Notrecochersuitlecheminencourbe
pourconduirel'attelagedevantl'entrée.Troisautresvoituressontdéjà
derrièrenous.
Suis-jeridiculed'êtrefièrequenotrelandausoitnettementplusluxueux
quelesvoituresdesautres?Beaucoupnesonttiréesquepardeuxchevaux.
Nousenavonsquatre.Détailnonnégligeable,jecrois.
Enfait,jecommenceàtoucherdudoigttoutecettehistoiredehautesociété
élitiste.Jeparieraisqu'unducestl'équivalentd'unquarterbackvedette.De
sortequ'Alexestriche,sexy,etpuissant.Etc'estplusoumoinsmon
cavalier.Bond'accord,pasexactement,maissionétaitaubaldûlycée,je
m'éclateraisàlajouercommes'ilm'accompagnait.Etenplus,dansmes
fantasmes,iln'auraitpasavalésonparapluie.
Ildoityavoirdehorsunecentainedechevauxetàpeuprèsautantde
personnes,probablementvêtuesàladernièremode:robestailleEmpire,
étolesenfourrure,couleursvives,satinbrillant...legrandjeu.Tousles
hommessontencostume,leurschaussuresetleursboutonsbrillent
tellementqu'onpourraitseregarderdedans.Lescouleursetlesstylesme
fontdavantagepenseràunfilmdeBollywoodquelasobretenued'Alex.
Alorsquelesautressontpomponnéspourfairelafête,ondiraitqu'ilse
rendàunenterrement.
Lepeudedécontractiondontilafaitpreuvedurantletrajetestremplacé
paruneéchinerigideetunvisagehautain.Moiquicroyaisqu'ilnepouvait
pasparaîtreencorepluscoincé!Emilyluiprendunbrasetjeréalisequeje
suiscenséeprendrel'autre.Jesoupireetentouresoncoudedemesdoigts.
Sonbrasseraiditsousmoncontact,etjemedemandesicelasignifieque
monterlesmarchesduperronavecmoiestlacorvéedusiècle.
Pourquoicettepenséemecontrarie-t-elle?Cetypeestnul,mêmesitoutcet
apparatetcettecourtoisiesontjedoisbienl'avouer...charmants.
Maisilsuffitquejemeremémoreleslettresetlecharmesedissipe
instantanément.Jesaiscequec'estquedegrandirsanslaprésencedeson
papa.Cetenfant,quelqu'ilsoit,neméritepasça.Etmonsieurvaaubalau
lieudes'occuperdesafamille!Iln'yariendecharmantàesquiverses
responsabilités.
Dèsquenousentrons,jevoisunedouzainededomestiquesenperruques
poudréesalignésdanslevestibule,quirécupèrentlesmanteaux.Jedénoue
macapeetmeretourne,l'und'euxlafaitglisserdemesépaules,puisfaitde
mêmepourEmily.Noussuivonsleflotininterrompudegensdansunlong
etlargecouloirqu'unemultitudedebougiesbaignentdelumièrejaune.De
partetd'autre,lesflammesdansentsurnotrepassage.Larumeurdes
conversationsmefaitpenseràdel'énergieélectrique,etsoudainjemesens
bourdonnerd'adrénaline.Auboutducorridor,deuxgrandesportessont
ouvertesetlorsquejepénètredanslasalle,jesuistellementimpressionnée
quemamaintombetouteseuleducouded'Alex.Ilestrapidemententraîné
dansuneconversationparuncouplequisetrouveàmagauche,mais,quant
àmoi,jerestefigéesurplace.
Jesuisdansunesalledebal.Elledoitêtreaussigrandequelegymnasedu
lycée,et,évidemment,pasgrand-choseàvoirquestiondéco.Des
colonnadessoutiennentunhautplafondornédecoffragescarrés.Des
rideauxbleupastelrecouvrentpratiquementtouslesmurs,drapéset
enserrésdansdesembrassesàglandsdorés.Unevérandadansuncoin
accueilleunorchestre.Lamusiqueenjouéeflotteau-dessusdesinvités.
Deslustresetdesappliquessontsuspenduspartout,descentainesde
flammesjettentunelueurromantiquesurlafoule.Lesolenmarbre
reluisantestoccupéparprèsdedeuxcentspersonnes.Laplupartdansent
et,horrifiée,jeconstatequeçaressembleàunesortede
chorégraphiequetoutlemondeal'airdeconnaître.Deboutenrangs,ilsse
tournentautourenfrappantdansleursmainsetentourbillonnant.
Jelescontempleenmerappelantcequem'aditEmilyausujetdedanses
champêtresetdequadrilles,etjecomprendsqu'elleparlaitdedansesen
ligne!
-JeJem'apprêteàexpliquerquejenesauraijamaisfaire,quandungarçon
s'approched'Emily.
Ilestplutôtmignon.Unpeuplusâgé,peut-êtreunevingtained'années,
maisgrandetmusclé,avecdescheveuxblondrouxetdesyeuxbleus
pétillants.ContrairementàAlex,ilestvêtud'habitsdecouleursgaies:une
redingotebleuvifàrayuresbordeauxetunfoulardassorti,négligemment
noué.Unsourireilluminesonvisage,commesilemondeétaitàsespiedset
qu'ilnepouvaitpasêtreplusheureux.
Jedécideimmédiatementqu'ilmeplaît.
Ilplongelesyeuxdansceuxd'Emily,quiluirendsonsourire.
-MademoiselleThorton-Hawke,quelplaisirdevousvoir,dit-ilen
s'inclinantprofondément.
Ellefaitunerévérence,sibassequesesgenouxtouchentlittéralementle
sol,etsarobevertmenthes'épanouitencorolleautourd'elle.
-Toutleplaisirestpourmoi,répond-elled'unevoixchantantequeje
reconnaisàpeine.
-Meréserverez-vouslaprochainedanse?
Elleacquiesce,etilsouritavantdedisparaîtredanslafoule.Pendantune
seconde,jemedemandesiellenefaitquesuivresarègleconsistantà
accepterlapremièreinvitationàdanser,maisjecomprendsvitequejen'y
suispasdutout.
Dèsqu'ilestsuffisammentloinpourneplusnousentendre,ellepousseun
petitcrietmesaisitlamain.
-Oh,commej'espéraisletrouverici!Jehausseunsourcil.
-Ils'appelleTrentRallsmouth.Nousnoussommesrencontréslorsd'une
soiréedansante.Ilestlefilsd'unrichemarchand...etl'objetdetoutemon
adoration.
Jeveuxluidirequelquechose,maisdevantsesyeuxbrillants,lesmotsne
sortentpas.Trent.C'estlui.Masolution.D'unemanièreoud'uneautre,c'est
avecluiqu'elledoitêtre.
PasDenworth.IlfautquecesoitTrent.
Sij'échoue,Emilyneserapasseulementcondamnéeàsemarieravec
Denworth,celasignifieraaussiqu'ellenepourrapasaimerTrent.Etjamais
plusellenesouriracommeellelefaitmaintenant.
Jenelaisseraipasseproduireundramepareil.D'unepart,jeleluiai
promis.D'autrepart,çapourraitmepermettrederentrerchezmoi.
-Etdonc,vousenêtesoù?
Ellemeregardesanscomprendre.-Jeveuxdire...Trentettoi...vos
sentimentssontréciproques?
-Jen'ensuispascertaine.Jelecrois.
Elledétournelesyeuxunbrefinstant,puissoupire.
-D'aprèsmonpère,c'estsansimportance,puisquejesuisfiancéeàunautre
hommeplus...approprié.Trentestd'uneconditioninférieureàlamienne,et
monpèrerefusedemelaisserépouserungarçonquineseraitpasun
gentilhomme.
J'avalemasaliveetfixelafoulecommesicelaallaitm'aideràtrouverles
parolesjustes,maisjenepeuxqueresterlàdebout,silencieuse.Comment
m'yprendrepourrectifierletir?
Jedevaism'amuser,cesoir,etvoilàqueleschosessecompliquent.Les
fiançaillesd'Emilysontdevenuesconcrètes.Ladouleurqu'elleva
éprouver...Toutestréel.Ilfautabsolumentquejefassequelquechose.
Etpar-dessuslemarché,jeneconnaisaucunedecesdanses!Dèsla
prochaine,jevaisresterplantéelàtouteseulependantqu'Emilyfilera
rejoindreTrent.Stylemonpirecauchemartransforméenréalité.
Finalement,l'année1815n'estpassidifférenteduxxiesiècle:c'estpile-poil
cequisepasseraitsij'étaisenAmérique.Mêmeentrerdanslapeaude
Rebeccan'arienrésolu.
Commentai-jepul'espérer?Enjamberl'Atlantiquen'apaschangémon
sort.Enjamberdeuxsiècles,manifestement,n'ypeutriennonplus.
Chapitre17
Jememordilleleslèvresenscrutantlafoule,composéed'unmélangede
genres:hommesetfemmes,jeunesgarçonsetjeunesfilles(bienque
personnen'aitapparemmentmoinsdequatorzeans).Àvoirleurstenues
vestimentaires,certainsdoiventêtretrèsriches,d'autresmoins.Et
pourtantnulnesembles'ensoucier,carilsdansentetrientetsourient,etje
crèved'enviedefairepartiedelafête.
Pourquoiest-ceimpossible?Pourquoiest-cequejemeretrouvetoujours
danslerôledelavictime?J'ailapeauquimedémange,tellementj'aimerais
sortirdemoi-même,m'élancersurlapisteetbannirl'ancienneCallie.
Maiscommentfaire?Jevaisencoretrébucherdansmesjuponsou
télescoperquelqu'un.Jesuistropstresséeparcetteperspectivepour
m'obligeràbouger.
Àunendroitdelasalle,ilyaunessaimdejeunesfilles,etjeplisselesyeux
pourvoircequiaccapareleurattention.Puisquelqu'unessaiedesortirdu
cercle,etjeréaliseavecstupeurquec'estAlex.Elleslecouventdesyeux
pendantqu'ilchercheàs'extrairedugroupe.
Çaalors,ilestcenséincarnerl'hommeidéal?Ellessontloindesedouter
quec'estunvrainaze.Quandjepenseàsesrépugnantssecrets...Sielles
savaientcequejesais,ellessetiendraientàdistance.
L'uned'ellestiresursamancheetditquelquechose,etiljetteuncoupd'œil
verslapiste.Vient-elledel'inviteràdanser?
Ilscontinuentàparleruneminuteetçamepermetd'examiner
tranquillementsonprofil.Sescheveuxnoirsetsesyeuxmaussadeset
brillants,seslèvrescharnuesetledessindesamâchoire,seslargesépaules
etceridiculefoulardqu'ilanouéjenesaiscombiendefoisautourdesa
gorge.Ils'éloignedelafille,ondiraitpresquequ'ilsepavane.
Jericaneintérieurement.Ilmefaitpenseràunchatenmaraude,ouàun
paon.Oui,unpaon,comptetenudesasuffisanceetdesonorgueil.
Àcetinstant,lamusiques'arrêteetlafoulesedispersetandisquede
nouveauxdanseursprennentlapisted'assaut.Avantquejepuissedireun
mot,Emilymetendsonverreetfileretrouverson...commentl'appeler?
Sonsoupirant?Jesupposequ'onn'apasdepetitcopain,àcetteépoque.
Jeresteenpériphérie,aveclesentimentsoudaind'avoirdéjàvécuça.
Pourquoicebalressemble-t-ilàtouteslessoiréesauxquellesjesuisallée?
Notezquemonexpérienceenlamatièreestplutôtmaigre.Mais
j'étaisquandmêmeaubaldefindequatrième.Etj'aimêmeessayéd'aller
augrandbaldulycéel'andernieravecKatie,maisonn'yestrestéesque
vingtminutes.Elles'étaitcomplètementplantéesursesestimationsdu
nombredecélibataires,etonestpasséespourdeuxlamentablesexcluesde
lasociété.Onestrentréesetonalouédesfilmsetprétenduquedetoute
façon,c'étaittropnulcommefête.
Jefaisundiscrettourd'horizon,sensibleàl'extrêmeàtoutmouvement,
sachantquej'ail'airpitoyable.Jeremarquedeschaisesdansuncoindela
salle,unpeucachéesderrièredesrideauxdevelours,etjem'yréfugie.Une
foisassise,jeresteenretrait.Sansêtretoutàfaitinvisible,jemesenstout
demêmemoinsapparente,etavecunpeudechancepersonneneme
remarquera.
Jejoueaveclesdoigtsdemesgantsetessaiededonnerl'impressionqueje
nefaispastotalementtapisserie.
Jerespirelentement;onsecalme.Noussommesen1815.JesuisRebecca.
Lacoqueluchedessalonsavecsesmorceauxdepianoàquatremainsetses
anecdotessurl'Amérique.
Delàoùjesuis,j'aiunassezbonchampdevision.Jepeuxmettreaupoint
unestratégiepourlaprochainedansesij'observebienattentivementle
processus.Unefemmesembledirigerlesopérationsetdécideexactement
delamanièredontvas'exécuterladanse.Puislapersonnesuivanteimite
sespas.Peut-êtres'agit-ilde
MmePommeroy.OuplutôtladyPommeroy.Bref.J'étudielesdanseursdix
bonnesminutesenessayantdemémoriserlesfigures.C'estassezrépétitif,
enfindecompte.Undemi-tourpar-ci,unclaquementdemainspar-là,et
hop,retourauboutdelaligne.Jedevraispouvoirm'ensortir.Enfin,à
supposerquequelqu'unm'inviteàdanser.
Lemorceaun'enfinitplus.Quinzeminutesplustard,ilsysontencore.Je
dénicheEmilyaumilieudelamaréedevisages,ellerayonne.Trentla
regardecommesielleétaitlaseulefilledelasoirée.
Oui,ilssontamoureux,mêmes'ilsnelesaventpasencore.Jelesobserve
cinqminutes.Detempsentemps,delaciretombedeslustresaccrochésau
plafond,maisilssontdansleurbulle.Ilsrientetdansentetsedévorentdes
yeux,etjepariequesilamaisonprenaitfeu,ilsneleremarqueraientmême
pas.
Emilyestmonamie,maisenlavoyantaussiradieuse,jeressensun
pincementfamilier.Jen'aijamaiséprouvécegenredebonheur.Niauxxf
sièclenijamais.MêmeKatieétaitsortieavecungarçonunmoisavantde
déménager.Etmoijesuislà,avecmesquinzeansenbandoulière,sans
avoirjamaisembrasséungarçon.Pourquoi?Qu'est-cequej'ai?Jesuissi
minable?
Jemerelève,gauchementàcauseducorsetrigide,etils'enfautdepeuque
jebousculeunefillequidoitavoirdeuxansdeplusquemoi.Sescheveux
dorésontlacouleurdelapaille,maisilssonttortillésetrelevésen
plusieurstressessiserréesqueçaluidonnel'aird'êtredemauvaise
humeuretd'avoirabuséduBotox.
-Oh...pardon.Excusez-moi.
Maisenmeretournant,j'aperçoisAlexquisedressefaceàmoi,ungarçon
plusâgédanssonsillage.Jemeretrouvecoincéeentredeuxinconnusetun
garçondontjepréféreraisqu'ilsoituninconnu.Qu'est-cequim'aprisde
quittermaplanquederrièrelesrideaux?
-JevoisquevousavezrencontréladyEverson,ditAlexenmontrantlajeune
filleblondequej'aipoussée.LadyEverson,voicimademoiselleRebecca
Vaughn,notrehôteàHarksbury.
Jefroncelessourcils.
-Pourquoiest-elleuneladyetmoiunesimpledemoiselle?
Ilentrouvreleslèvres,sidéré.
-Pardon?
-Pourquoinem'avez-vouspasqualifiéedelady?
Lafilleseretientdepoufferetavanced'unpas,histoired'êtreaux
premièreslogespourassisterausouffletverbalquiseprofile.L'inconnu
derrièreAlexserapprocheaussi.Ondiraitquenousavonsunpublic.
-Parcequevousn'êtespasunelady.Stupéfaite,jedemande:
-Qu'est-cequec'estcensésignifier?
Ilhausseunsourciletmecontemplecommesijeluiposaisunequestion
idiote.
-Uneladyfaitpartiedelapairie.Parallianceouparfiliation.Cen'estpas
votrecas.
Voilàquinemanquepasdesel,venantd'ungugussequiaunenfant
illégitime.
-D'oùjeviens,onestuneladylorsqu'onsecomportecommetelle.
Lorsqu'onseconduitavecdignitéetrespect.Cen'estpasuntitrede
noblesseauquelnousdonnedroitjenesaisquelarbregénéalogique.
Ilhausseunsourcilmaisnerépondpas.
Leculotdecetype!Affirmerquejenesuispasunelady!Meprésenterà
cettefillecommesiellevalaitmieuxquemoi!Est-cequ'ilvaenfincesserde
meprendredehautetcomprendrequejevauxaussibienquen'importequi
mêmesijesuisroturière?
L'inconnus'éclaircitlagorge.
-Pardonnez-moi,VotreGrâce,dit-ilenlesaluant.Alexs'inclineégalement,
maismoinsprofondément.
Indicationquelerangdel'autreestmoinsélevé?L'idéeestcocasse,étant
donnéqu'Alexparaîtbeaucoupplusjeune.
-Bonsoir,lordBrimmon,dit-il.
Savoixestfroideetdétachée,commehiersoiraudîner.
-Bellesoiréepourdanser,n'est-cepas?
L'autrealargementplusdevingtans,etsescheveuxbrunsontdesreflets
auburn.Ilestpluspetitqu'Alexetsemblemoinssoigné,maisiladesyeux
noisetteétincelantsetuncorpsmince,etilestrelativementséduisant.
Enfin,pouruntypeplusâgé,biensûr.
-Eneffet,répondAlex.
Sonregardpassealternativementdemoiàlafille.Ilapeurquejememette
àluicrêperlechignondèsqu'ilarrêteradenoussurveiller?Pitié.
C'estluiquim'insupporte.Jen'airiencontreelle.
-Pourriez-vousmeprésenteràcesdeuxcharmantesladies?
J'esquisseunsourirenarquois.Cetype,aumoins,m'accordelebénéficedu
doute.
-Certainement.Puis-jevousprésenterladyEversonetmademoiselle
RebeccaVaughn?
J'aidumalànepasmerembrunirdevantunetellepédanterie.
-C'estunplaisirdevousrencontrer,ladyEverson,mademoiselleVaughn.
Meferiez-vousl'honneurdem'accordercettedanse?
Enmerelevantdemarévérence,jeréalisequec'estmoiqu'ilregarde.Je
croisquependantuntemps,j'arrêtederespirer,carchacundesmusclesde
moncorpssefige.Jenecillemêmepas.Cegarspréfèredanseravecmoi
plutôtqu'aveccette«lady»!C'esttoutcequej'espérais,etpourtant,jesuis
paralyséedefrayeur.Onnem'ajamaisinvitéeàdanser.Jamais.Jesuis
partagéeentreangoisseetjubilation.
-Nepréféreriez-vouspasdanseravecladyEverson?intervientAlex.
Etavantmêmequejecomprennecequ'ilfait,ilpoussedélicatementlady
Eversondevantmoi,m'empê-chantdevoirBrimmon.
-Aprèstout,elleestpairesse,ajoute-t-il.Interdite,jevoislesdeuxdanseurs
s'éloigner.QuandAlexsetourneversmoi,jesorsbecetongles:moitiéde
cesgens,maisquandmême,cetypenemedemandaitpasdel'épouser,il
voulaitjustedanser!Impossiblequejepuisseternirsaréputationaussi
vite.
Auboutd'unedizainedeminutes,j'oublieprovidentiellementoùjesuis(et
avecquijedanse),etjecommenceàm'amuser.Alexetmoiremontons
toutelarangéededanseurs,etc'estànousdefairecetteparadeidiote
jusqu'auboutdelafile,oùsonbrasestaccrochéaumienetl'ondoit
sautillertoutdulong.Jemerendscomptequejesouris.Jecroisquec'estla
premièrefois,depuisquejesuistombéedanscemondedefous,quejene
suispasobnubiléeparl'enviederentreràlamaisonniparlagalère
incroyabledanslaquellejemetrouve.Jesuismêmedétendueetjem'amuse
sansm'embarrasserdecequ'onpeutpenserdemoi.Entoutehonnêteté,
j'aidumalàmesouvenird'unecirconstanceoùj'aiétéaussinaturelledans
monxxiesiècle.C'estagréable.Jemesenslibre.J'aienviequeçadure
indéfiniment.
Ladanseestprévuepourinterdiretouteconversation,etjepeuxfaireassez
facilementabstractiondufaitquejedanseavecAlex.
Jerespireunpeuvite.Mapoitrinevirtuellementinexistantepigeonne
presquejusquesousmonmenton,etmacagethoraciqueestcompriméepar
lecorset,desortequej'aiunpeudemalàreprendremonsouffle.
Lorsqu'ilbriselesilence,c'estd'untonhésitant:
-Jen'avaisaucunementl'intentiondevous...insulter,toutàl'heure.
-Benvoyons,dis-jeavecironie.
-Sincèrement.Jenevoulaispasvous...
-Metraitercommesij'étaisdesecondezone?
Jeneveuxpasenparler.Jeneveuxpasparlerdutout.
Noustournoyonsetnousécartons,cequileprivedel'occasionderépondre.
Jepivoteautourd'unautrecouple,puisreviensverslui.
-Laisseztomber.Jen'aipasbesoinderéponse.C'est,enfin,c'estbon.
Sérieusement.Je...çava.
Etvoilàquejerecommenceàbavasser,etenplusavecuneexpression
amère.Ouvexée.Cequiestladernièrechosequejesouhaite,parcequ'ilva
savoirquesesmotsm'onteffectivementatteinte,alorsquecequ'ilpeut
penserdemoinemefaitnichaudnifroid.Ettoc.
-Vousmetrouvezprétentieux,dit-ilenprofitantd'uneoccasionoùnous
sommesànouveauréunis.
C'estuneaffirmation,pasunequestion.
Jeleregardepourvoirs'ilestencolère.Maisnon,ilmecontemple
simplementenattendantmaréponse.Sonvisagen'exprimerienmaisses
sourcilssontlégèrementfroncés,commeperplexes,cequimerendencore
plusindécisequantàlaréponsequejesuiscenséedonner.Est-cequeje
doislajouersincère?
-Totalement.Jenevoisd'ailleurspaspourquoivousaveztenuàdanser
avecmoi.Oservousafficheravecunefemmedemonrang!dis-jed'unton
dégoulinantdesarcasme.
Jecomprendsunpeutardquej'enaitropfait.Certes,jeledéteste,maisje
nepeuxtoutdemêmepasmemontrersigrossièreavecceluiquidoitme
rameneràlamaison.Celuichezquijem'incruste.Ducoup,j'ajoute:
-Voussavezquoi?Peuimporte.Contentons-nousdedanser.Ensilence.
Peuaprès,lemorceausetermineetjelâchesamain.
Ils'incline,etjefaisunerévérence,maissansleregarder.
D'accord,ilestcraquant,maisplusborné,tumeurs.
Chapitre18
Lelendemain,Emilys'évertueàm'enseignerunartdanslequelelleexcelle:
latapisserie.
Jesuisnulle.Ilm'afalludixminutesrienquepourenfilerl'aiguille,etlefil
s'enestéchappépresqueaussitôt.
Cequisignifieàcoupsûrquejeferaisuneépousedéplorable,dansles
années1800.Latapisserie,c'estplusoumoinsleb.a.-badelaparfaite
maîtressedemaison.N'empêchequ'Emilyprendcelatrèsausérieux,assise
biendroitesurunechaisetapisséedebrocart,sonaiguillefilantàtraversle
tissuàlavitessedel'éclair.
Noussommesinstalléesdansuneespècedesalonoudeboudoir(sivous
voulezmonavis,ilsontbeaucouptropdepiècesdanscecastel),aupremier
étagedel'aileouest.Celui-ciestdécorédansunéclatantcamaïeudebleus,
desrideauxauxtapis,jusqu'autableausituéau-dessusdelacheminée
ouvragée,quireprésenteunnavireenpleinetempête.
Jesucel'extrémitédufilpouressayerdeleraidiraumomentoùAlexfait
sonentrée.
Ilnoussaluetouteslesdeuxetquandilprendlaparole,savoixemplitla
pièce,beaucoupplusforteetplustonitruantequenedevraitl'êtreunevoix
avantmidi.
-J'ail'intentiondemepromeneràchevalsurlesterres,aujourd'hui.
Désirez-vousm'accompagner?
J'ouvrelabouchepourrépliquerunsec«Sansfaçon,plutôtmourir»,mais
Emilymedevance.
-Commec'estgentilàvous!Nousenserionsravies.Hein?Jenecomprends
toujourspascommentEmilypeutnepashaïrsoncousin.Iln'arienfait
pourluiépargnersesfiançailles,etmalgrétoutelleestvolontairepour
sortiraveclui?
Unprétexte.Ilfautquejetrouveunprétextepourmedébiner.
Alexs'approchedelafenêtreetregardedehors,offrantunevisionplutôt
flatteusedel'arrièredesonpantalonéquestre.
-Avez-vouspasséunebonnesoiréehier?
Nousferait-illaconversation?C'estunepremière!
-Oh,oui,répondEmily.C'étaitmerveilleux.J'opinedelatête.
-Oui,c'étaitsympa.
Jen'avoueraipasquejemesuisbienamuséeparcequejeneveuxpasqu'il
sefassedesidées.Iln'apasbesoindesavoirquedanseravecluiaétéla
demi-heurelaplusgrisantedelasoiréeetlaplusatrocementinterminable
detoutemonexistence.
Alexmeconsidèreunlongmoment.Jesupposequ'ilvamettresurletapisle
fiascodela«lady»versusla«demoiselle».Ousimplementévoquerlefait
quenousavonsdansé.Maisnon.
-Oui,jemesuisbeaucoupamuséaussi,dit-il.Qu'est-cequeçasignifie?Je
suislaseuleaveclaquelleilaitdansé.Detoutelasoirée.Est-cequ'il
essaieraitdemetransmettreunmessage?Ha!Évidemment:ilveutdire
qu'ils'estbienamuséàm'insulter.
C'estl'instantquechoisitEmilypoursefrotterlefront.Elleposeson
ouvrageetfroncelessourcils,etsemasselatempeendécrivantdes
mouvementscirculaires.
Ausecours,dites-moiquejemetrompe...
-Monchercousin,jecrainsd'êtreprised'unemigraine.Ilestpréférableque
voussortiezsansmoi,Rebeccaetvous.
JetressailleenentendantRebecca.Chaquejourquipassemedonne
l'impressionquenotreamitiéserenforce...etquejelatrahisdavantage.
Là-dessus,ellesetourneversmoi,sachantqu'Alexnepeutlavoir,
etm'adresseunclind'œil.
Encomprenantcequ'elleprémédite,j'essaiedeprotester.Jerêve!Me
promeneràchevalseuleavecAlex?Nonmerci!
-Ohnon,je...
MaisAlexm'interromptendisantàEmily:
-Biensûr,ilvautmieuxvousreposer.Nousviendronsprendredevos
nouvellesànotreretour.
Halte-là!Cen'estpascommeçaquej'aienviedepassermonaprès-midi.Je
préféreraisencoremefairedévitaliserunedentqueresterseuleavecAlex.
D'unautrecôté...c'estprobablementl'occasionidéaledeluiparlerd'Emily.
Peut-êtrequ'iln'estpasaucourant,pourTrent.EmilyabienditqueTrent
avaitdel'argent,non?Àdéfautd'êtrenoble,ilestriche.SiAlexsavaitqu'ils
sontamoureux...peut-êtrequ'illibéreraitEmilydesesobligationsenvers
Denworth?
C'estsansdoutecelaqu'elleespèreenmelaissantentêteàtêteavecson
cousin.Ehbienaprès,ellemedevraunefièrechandelle.
Jepeuxgérerledossier.Jepeuxpasserquelquesheuresaveclui.Letemps
deluiparleretdeleconvaincredenousaider.
Emilysautedesachaisebeaucouptropvivementpourquelqu'unqui
souffred'unemigraineetquittelesalonsansmelaisserletempsdedire
ouf.
Jemefrottelesyeux.Etjem'apprêteàpasserlepluslongaprès-mididema
vie.
Chapitre19
-Bon.Doncjesoulèvelepied,dis-jeenmontrantlapointedemaPrada,et
jeleglissedansce...cetobjet?
L'expéditionvireaucauchemar.Déjà,ilafalluquej'enfileunetenue
d'équitation.Commesijesavaisàquoiçaressemble.Etmaintenant,onme
demandedemonterenamazone.Sérieusement.Cen'estpasdéjàassez
difficiledefaireduchevalavecunejambedechaquecôtédel'animal?Jene
saismêmepasencoreconduireunevoiture!
Alexhochelatête.
-L'étrier.
Ilaunemainsurlesrênesetdel'autreilmetientl'étrier.Deuxpalefreniers
sontdanslesparages,vaguementdépités,apparemment.Jecroisqu'ils
avaientprévudem'aider.Alexestsiprochequejesenssonodeur,cette
odeurmusquéemasculinequimedonneenviedeposermatêtesursa
poitrineetdelarespirer.
Cequiesttotalementaffligeant:ilfautquej'arrêtededérailler.
C'estunsaletype.Nel'oubliepas.
Jelogemonpieddansl'étrieretdoissautillerunpeusurplacepournepas
perdrel'équilibre,ducoupmonpieddérapeettoutestàrefaire.Lecheval
tournelatêteetmeregarded'unairdedirealorsquoi,tuestoujourslà?
Muetetimpassible,Alextientl'animaletattendquejerecommence.Ildoit
fulminerintérieurementdevantmonincompétence.
Jeréitèrel'opération.Cettefois,jeparviensàcoincermonpieddansl'étrier
etmamainàhauteurdupommeauet,aprèsquelquespetitssursautspour
medonnerdel'élan,jemehissedetoutmonpoidssurl'étrier.Alexdoitme
prendrelataillepourm'aideràgrimpersurlaselle.Ilmefautpratiquement
cinqminutespourm'installer,etilrestelà,àtenirlesrênespourempêcher
lechevaldebougertantquejeneseraipasprête.
-Merci,dis-je.
Jesensl'endroitoùsesdoigtsonttouchémeshanches,commes'ilsyétaient
encore.Consternant.
-Jevousenprie,répond-ilenlâchantlesrênes.Êtes-vousprête?
Jehochelatêteetsoudain,c'estmoiquiailesrênesentrelesmains.Jetire
dessussifortquelechevalcommenceàreculer.
-Eh,oh!Quedois-jefaire?
Jem'affoleparcequelechevalbouge.Etdanslemauvaissens.
Alexrevientversmoi.
-Donnezdujeu.Jevousprometsquecettejumentnepiquerapasungalop.
Laissezflotterunpeulesrênes.Sivouslesserreztrop,ellecroiraquevous
voulezreculer.Elleessaieseulementdevoussatisfaire.
Savoixestcalmeetimperturbable.
Jefaisunsignedetêteetrelâchelégèrementlesrênes,jusqu'àleurlaisser
unpeudejeu.Jerésisteàlatentationdelesresserrerimmédiatement.
-Faites-moiconfiance,dit-ilenmeregardantdroitdanslesyeux.
Etjeleregardeaussi,enhochantinstinctivementlatêteetenmerendant
comptebrusquementquejeluifaisconfiance.Pasbon,ça!Pasbondutout.
Onsaitoùçavousmènedefaireconfianceaupremierbeaugarçonvenu.
Nonmais!Voilàuntypequin'arienàfairedesaproprecousine,qui
m'insulteenpublicetquiabandonnesonpropreenfant.Luifaireconfiance
?C'estuneblague!
Ilsedirigeverssonétalongrisetgrimpeavecaisance,bienquel'animal
soitlargementplusgrandquelemien.Ilestparfaitdanssesbottesetsa
veste,commetoutdroitsortid'uncataloguedematérield'équitation.Notez
quejen'aijamaisvucegenredevêtementsdansuncatalogue.Rhaa,qu'estcequejesuisencoreentraindepenser?
Nouspartonsaupas.Jemecramponneauxrênesdemapetitejument
cuivrée,commesimavieendépendait.Alexestparfaitementàl'aise,alors
quesonchevaldanseavecexcitationetquesespattess'agitentdeuxfois
plusvitequenécessaire.Lesimplefaitdeleregardermerendnerveuse!
Est-cequ'ilal'intentiondes'excuser,aumoins?Ilsaitbienquesapetite
tiraded'hiersoirm'acontrariée.Ildevraitdirequelquechose,non?S'il
penses'entireraussifacilement,ilsefourreledoigtdansl'œil.
-J'espèrequ'Emilyvabien,dit-ilpendantquenouspassonsdevantles
grangesendirectiond'unecollineherbeuse.
Unbrincaustique,jeréponds:
-Oh,j'ensuiscertaine.Jesuismêmeconvaincuequ'elleseratoutàfait
rétablieànotreretour.
Suffisammentrétabliepourmebombarderdequestionssurnotrepetite
escapade.
Ilfaituntempsmagnifique.Lecielestbleuetunepetitebrisesouffle.En
fait,avecmestrois(jecrois)couchesdevêtements,j'aiplutôttropchaud.
Partoutlesoiseauxgazouillent,descimesdesarbresauxclôtures.Toutsent
sibon,sifrais.Sipropre,si...neuf.
-Êtes-vouspropriétairedetoutescesterres?
Nousavonsatteintlesommetdelabutteetdeschampss'étendentàl'infini
devantmoi,émaillésd'arbres.Auloin,uneforêt.Cedomaineestplusgrand
quemonquartiertoutentier.Plusgrandquel'école,lestadeetleterrainde
base-ballréunis.
-Oui,cinqmillehectares.
-Vousvoulezdirecinqcents.
Ilrit.C'estbrefetretenu,maisc'estunrire,etjen'arrivepasàcroireque
j'aientenduuntelsonsortirdesabouche.
-Non.Cinqmille.
Gloups.Cinqmillehectares.Unkilomètrecarrévautcenthectares.Jesais,le
simplefaitdesavoirçamecolleuneétiquettedegrossetête.Cequisignifie
queledomainecouvre-j'effectuerapidementlecalcul-cinquante
kilomètrescarrés.
Voilàpourquoionestàvingtkilomètresdelaville.Voilàpourquoijen'aivu
aucuneautrehabitationdanslevoisinage.Voilàpourquoionadûparcourir
tantdecheminpourallerchezlesPommeroy.
C'estparcequeAlexestpropriétairedelamoitiédesterresentreicietlàbas.
-Jecomprends,dis-jeenessayantdecacheràquelpointjesuis
impressionnée.Etque...faites-vousdetoutcela?Del'agriculture?De
l'élevage?
Ilsecouelatête.
-Jedirigelesmétayers.Ilsviventdel'autrecôtédesarbres.Etsurle
domaineentreeuxetici,jechasselerenard.
Horreur.Lachasseaurenard.Encoreunedesesdélicieusesqualités.
-C'estcruel.
Ilmeconsidèreenhaussantunsourcil.
-D'oùtenez-vousquec'estcruel?
-Nousavonsappriscelaen...dansunlivre.Bravo,j'aibienfaillisortir«en
coursd'histoire».
-Onbouchetouteslestanièresdesrenardsdesortequ'ilsnepeuventplus
rentrerchezeux.Etensuiteiln'yaplusqu'àlâcherleschiens,quimettent
enpièceslespauvresbêtesdébusquées.
Ilhochelatêteenfaisantlamoue,etjem'appliqueànepasfixerseslèvres
pourcontinuer:
-Etenquoicelaprouvevotrehabileté?Toutcequevousfaites,c'est
galoperàbrideabattuesurlapistedevostoutous.Aucunsavoir-faire
n'entreenjeudanscetteapprochedelachasse.Toutlemériterevientaux
chiens.Pourquoinepasvouspromenersimplementàchevaldansla
campagneaulieudemassacrerunmalheureuxanimal?
-Lesfemmesnecomprennentjamaisl'attraitdelachasse.
Jegrogne.
-Etvousrecommencezànousjugercommeuneespèceinférieure.
-Cesontleshommesquiontconquiscemonde,dit-ild'untondétaché.
-Vousêtesirrécupérable,jegrommelle,plusdégoûtéequejamais.
Nousnousengageonsdanslesbois,etlafraîcheurdel'ombreestagréable.
J'espèrequ'ellem'empêchederougir.Jetranspire,soustoutesces
épaisseurs.Noussuivonsunlargesentiersinuantentreleschênesdontles
branchesnoueusess'élancentversleciel.
-L'airparaîttoujoursplusfraisdanslesbois,dit-ildansl'objectifmanifeste
d'éviterlesdisputes.
-Ill'est.Plusfrais,jeveuxdire.Lesplantesabsorbentdudioxydede
carboneetrejettentdel'oxygène.
Alexsetournesursasellepourmedévisager.
-Vousn'êtesqu'unpuitsdeconnaissancesscientifiques,n'est-cepas?
Etilditcelad'unairterriblementennuyéetcondescendant.
-MonDieu,commevousdétestezquejesachedeschosesquevousignorez.
Ilserembrunitetregardeànouveaudevantlui.
-Biensûrquenon.
-N'importequoi.Vousn'avezpasl'habitudequ'unefillevoussurclasse.
Allez,reconnaissez-le.
-Iln'enestpasquestion.
-OK,alorssionparlaitsciences?Jepariequevousnesaviezpasquevous
clignezdesyeuxplusdequatremillionsdefoisparan.
Sonexpressionresteimmuable,maisjedonneraismamainàcouperqu'il
essaiedenepasclignerdesyeux.
-Etsaviez-vousquequatorzecentimètresdeneigeégalentuncentimètre
depluie?
Ilhausseimperceptiblementunsourcil,maisgardeunsilenceobstiné.
-Etqu'onperdlaplusgrandepartiedenotrechaleurcorporelleparlatête
?
-Vousvousêtesfortbienfaitcomprendre,déclare-
t-il.
-Etjepariequevousn'avezpaschangéd'avissurmoncompte.Vousêtes
bientroptêtu.
Laconversations'éteintalorsqu'ilpassedevantmoisurlesentier,etnous
continuonsàavancerensilence.Ainsiderrièrelui,j'aiunevueimprenable
etjepeuxlecontemplersansqu'illesache.J'aimebiensadécontraction.Il
estplusàl'aisesurunchevaldecinqousixcentskilosqu'àtable.Oh,
évidemment,sesépaulessonttoujourscarréesetsondosdroit,maisilse
balanceunpeuaurythmechaloupéetimpatientdel'animal,sesmains
serrantetdesserrantlesrênescommesic'étaientdesélastiques.
-Doucement,Fantôme,ditAlexlorsquenousdescendonsunepetite
éminenceendirectiond'unruisseau.
Jeconstatequesonchevalestnerveuxcarsacroupeoscilledecôtéjusqu'à
cequ'ilsedirigeeffectivementdansladirectiondemandée,croisantles
pattesl'uneau-dessusdel'autretandisqu'Alexl'entraîneverslecours
d'eaupeuprofond.
-Nemesuivezpasdetropprès,jenesaispasdequoiFantômeestcapable.
Jetirelégèrementlesrênes,enm'appliquantànepasexagérerafindene
pasrenouvelerl'expériencedetoutàl'heure.Lapetitejuments'arrêteet
j'essaiedemedétendre.J'enprofitepourarrangermesjupesdefaçon
qu'ellescouvrentmespieds.
Fantômes'agitesurplacedanslabouemaintenant,devantceruisseauqui
n'apasl'airdeluiplaire.Sessabotsfrappentlagadoue,deuxpardeux,et
produisentdedrôlesdebruitsdesuccion.Alexesttrèslégèrement
penchéenavant,lesmainsposéessurl'encoluredel'animal,commes'ilne
songeaitpasunesecondeàsecramponneraucasoùlechevals'emballerait.
Commentpeut-ilêtreaussiàl'aise?Cettebestiolevasecabrer,c'estclair.
Fantômeexécutedeuxdrôlesdepassautillants,puisilsoulèvesessabots
avantetsauted'unbondpar-dessusleruisseau.Alexnedécollemêmepas
delaselle.Iln'apasl'airdes'émouvoir.
Enfait,lorsqu'ilatterritdel'autrecôté,iléclatederire,unevraiehilarité,
quirésonnetelleunemusiqueàmesoreilles.J'aimeraisqu'ilrecommence,
millefois.Jusqu'àprésent,jecroyaisqu'ilétaitinapteàlagaieté.
Triplemisère,jenedevraispasêtrecharméeparunsimpleéclatderire.
Ilflattel'encoluredesamonture.
-Cen'estpastoutàfaitcequej'avaisescompté.
Etbrusquement,ilfaitdemi-touretréitère.Lechevalsauteànouveauet
atterritaumilieuducoursd'eau.Alexestradieux.Ilfaitencorevolte-faceet
lefranchitàtroisreprises,jusqu'àcequel'animaltraverseleruisseausans
sourcillercommes'iln'avaitfaitqueçatoutesavie.
-Nouspouvonsyaller.Jenelâchepaslesrênes.
-Cettejumentnevapasmejouerlemêmetour,aumoins?
Ilsecouelatête,puisilmesourit.Àmoi,directement.Toutelahainequeje
ressentaisfondinstantanément,etj'aienviederesterlàjusqu'àlanuità
savourerlerayonnementdesonsourire.Seslèvressontretroussées,ses
yeuxbrillentcommejamaisjenel'auraisimaginépossible.Etsoudain,je
rêved'êtreprèsdelui.Très,trèsprèsdelui.
Vousn'êtespasunelady.Jemerappellesesmotsetravalel'enviede
sourire.Vousest-ilsifaciled'oubliertouteslespromessesquevousm'avez
murmurées?
J'aitantdebonnesraisonspourgarderunmaximumdedistanceaveclui.Je
n'aiaucuneintentiondelesoubliersimplementparcequ'ilmesourit.Même
sisonsourireesttotalementravageur.
-Non.Mollyestunvieuxchevaldeselle.Elleadéjàtoutvu.Elletraversera
ceruisseausansmêmeregarderl'eau.
Jehochelatêteetfaisclaquermalangue.J'aitroppeurquemamonture
s'emballepourdonneruncoupdanssonflanc.Mais,commel'apromisAlex,
elleavancelessabotsdansl'eau,traverseenquelquespasetautant
d'éclaboussures,etmerevoilààcôtédelui.
-Mercipourvotrepatience,medit-il.Fantômeestencoreunpeufougueux.
Vousn'avezsûrementpasmanquédeleremarquer.
Jemecontentedehocherlatête,carjen'arrivepasàcomprendrepourquoi
ilestsiheureux.Sigentil.Si...différent.Ilyadixminutes,ilmeprenaitde
haut.Commentpeut-ilêtrecetAlex,etl'autreaussi?
J'essaied'engageruneconversationanodine.
-Etdonc,qu'est-cequeçafaitd'êtreduc?
Ilseredresseencoresursaselle,prouvantquesesépaulespeuvent,contre
touteattente,êtreplusenarrière.Ilm'asuffidementionnersadignitépour
qu'ilseremetteillicoàfairelepaon.
-LeduchédeHarksburyaétécrééparleroienremerciementdelongues
annéesdeserviceetdelaloyautédemonarrière-arrière-arrière-grandpère.Entantquefilsaîné,j'aihéritédutitre,desterresetdelafortune.
Chaqueannée,jeservirainotregrandpaysàlaChambredesLords,oùje
participeraiàlacréationdenouvelleslois.Puisl'été,jeretourneraià
Harksburyetm'occuperaidudomaine.Ilestdemondevoirdeveilleràce
quetouticiprospère.
Quetouticiprospère?Etailleurs?Làoùlesfemmesabandonnéesse
retrouventavecleurenfantillégitime?Commentpeut-illajouergrandet
magnanimeetenterrerceslettressansbroncher?
Chaquechoseensontemps.Ilfautquejeparvienneàaborderlesujetdes
fiançaillesd'Emily.Jetrouveraiforcémentuneouverturesijecontinueàle
faireparler.
-Et...touscesautreslords.Vousêtestoussurunpiedd'égalitéouest-ce
qu'ilexisteuneespècedehiérarchie?
J'espèrequecesontdesquestionsnormalesàposer.Bienqu'iln'existepas
depairsenAmérique,lesgensde1815outre-Atlantiquesavaient
probablementcequec'était.Maisça,ill'ignore,pasvrai?
-Unducesthonorédelaplushautedignitéauseindespairsduroyaume.
Aprèslafamilleroyale,bien
entendu.Plusletitreestancien,plusilestprestigieux.Sousleducviennent
lemarquis,puislecomte,levicomteetlebaron.
Bon,ilfautquej'arrêtedetergiverser.Jedoisluiparlerd'EmilyetdeTrent.
-Vousdisposezdoncdebeaucoupdepouvoir,n'est-cepas?
Voilà.Jevaisflattersonimmenseegoetdefilenaiguille,j'enviendraià
implorersonaide.Ilhochelatête.
-Oui,lepouvoirvadepairaveclanoblesse.
-Vousn'avezjamaisenviedefairevaloircepouvoirpourvenirenaideaux
autres?
-Celavadesoi.
Allez,jemejetteàl'eau.
-Parcequevoilà,j'airencontréuncertainTrentRallsmouthhiersoir.Emily
etlui...s'apprécient.Énormément.Etellem'aditqu'ilétaitriche.
-Oui?
-Etjetrouvequ'elledevraitsemarieravecluiplutôtqu'aveclord
Denworth.
-Nousavionsdécidé,mesemble-t-il,quevousresteriezàvotreplaceet
cesseriezdevousimmiscerdanscesaffaires.
-JecesserailejouroùEmilyauraledroitd'épouserceluiqu'elleaenvie
d'épouser.
-EmilysemarieraavecDenworthparcequec'estcequ'onluidemande.Elle
nepeuts'ysoustrairesousprétexted'unetoquadepourunautrehomme.
-Mais...
-Non.
J'aicompris.Alexnelèverapaslepetitdoigtpournousaider.Findela
conversation.
Jemedemandecommentj'aipucroirequ'ilinterviendraitensafaveur.Ilse
moqueéperdumentd'Emily,etdequiquecesoit.
Seulesapetitepersonnel'intéresse,pointfinal.
Maisjenebaisseraipaslesbras.Jel'aipromisàEmily.Jepeuxforcément
fairequelquechose.Jeviensduxxiesiècle.Dupaysdel'égalitédeschances
ettoutlebaratin.Jeconnaisdeschosesquecesgensnepeuventmêmepas
concevoir.Jedoistrouverunesolution.
Maislaquelle?Toutcequejesais,c'estquec'estuniquementgrâceàEmily
quejenesuispasentraindemourirdefaimdanslesbois.Siellen'avaitpas
étéàlaportecejour-là,onmel'auraitclaquéeaunez.
Etmaintenant,àcausedemesmensonges,ellecroitquejevaislatirer
d'embarras.PourtrouverlaRebeccaquisommeilleenmoi,pourêtreà
l'aiseetpopulaire,ilfautquejememontreàlahauteurdesesespérances.
Jedoisremédieràlasituation.Detoutefaçon,sic'estréellementpourcette
raisonquej'aiatterriici,aiderEmilydevraitmepermettrederentrerchez
moi.
SiAlexrefusedem'aider,jemedébrouilleraiseule.
Illefaut.Sansquoijeresteraipeut-êtrecoincéeici.
Éternellement.
Chapitre20
Lelendemainmatin,assisedanslapetitesalleàmangerensoleillée,
j'attendsqueVictoriaaitfinides'empiffrerd'œufsbrouilléspourpouvoir
discutertranquillementavecEmily.
Ànousdeux,ilfautqu'ontrouveunplanleplusvitepossible.J'ignore
quandestprévulemariage,mais...lesmariagesforcésprécipitésc'était
bienleurgenreàl'époque,non?
Deplus,l'arrivéedeRebeccaestdangereusementimminente.Ilmereste
moinsdetroissemaines.Chaquejourquipassemerapprochedelamiseà
nu.
EtsiRebeccaarrivaitenavance?Ellepourraittrèsbiense
pointeraujourd'hui,siçasetrouve!Supposonsquejesoisentrainde
déjeuneroudedîneraveceux,etqueRebeccadébarqueàl'improviste?
Qu'est-cequ'onréservecommesortauxusurpateurs?Jen'aiaucuneenvie
del'apprendre.Alexn'estpasdugenretrèsclément.
-Vousêtes-vousbiendiverties,touteslesdeux,àlaréceptiondes
Pommeroy?
Génial.Victoriaaleventrepleinmaiselleadécidéderesteràtable.Elle
s'installeconfortablementdanssachaiseavecuneposturedereine,etnous
dévisagecommeàtraversunmicroscope.Jenesauraispasdirecequime
dérangeautant,chezelle.Elleestplusintimidantequ'AngelaetTrisha
Marksréunies.
-Oui,trèsbien,répondEmily.
-LadyTonowaym'aditquevousavezdanséavecSaGrâce,dit-elle.
Ellemeregardedesesyeuxvertsperçants,telsdeuxrayonslaserprêtsà
medécouperenlanièressijerépondsdetravers.
Jen'arrivepasàignorercepincementaucreuxduventre.C'estmauvais
signe,unregardpareil.
-Oui,dis-jeaprèsunebrèvehésitation.
-C'était...polidesapart.
Polidesapart.Autrementdit,ils'yestastreintparobligation.Celadit,pour
êtrehonnête,c'estbiencequ'ilm'afaitcomprendre.Jeserrelesmâchoires
detoutesmesforces.
Jesaispertinemmenttoutcela.Maisa-t-ellebesoind'ajoutersongrainde
sel?Ellen'aaucuneidéedecequ'ilm'aditavantdedanser.Toutcequ'elle
veut,c'estm'abreuverdesacondescendance.
Etçamefaitmaldel'admettre,maiselleditlavérité.Alexmedéteste
autantquejeledéteste,c'estdonclogique.Ilfaisaitsondevoirdegalant
homme.
N'empêche,j'aiuneenviediaboliquedel'agresser,lamégère.
Jemaîtrisemalangue.Jenedirairiendegrossier.Jemaîtrisemalangue.Jene
dirairiendegrossier.
-Oui.Ilesttrès...poli,n'est-cepas?D'autantplusqu'ilsemblenepasaimer
danser.Iln'ainvitépersonned'autrequemoi.
Jeluisourisgracieusementetenfourneunmorceaudeviande,queje
mastiqueavecentrain.
Lafourchetted'Emilys'immobilise,ellelèvelesyeuxversmoietjelavois
déglutirlentement.Ellemefaitsigneavecsesyeuxdemetaireetenchaîne:
-Sinousallionsfaireuntourdanslejardin,Rebecca?
Etçarecommence.Rebecca.J'essaiedeluisouriremaismeslèvresremuent
àpeine.
Emilyetmoiquittonslatablesivitequejenesuismêmepassûreque
Victoriaaiteuletempsderéfléchiràuneréponse,etsonairdésorienté
m'enchantetandisquenousprenonslelarge.
-Jecroisquematantevaressassertonattitudedesheuresdurant.
Emilyneparaîtpasencolèrenimêmesurprise,maisplutôtamusée.Un
sourireespièglequejereconnaisàpeineretrousselecoindeseslèvres.
-Ilfautquetum'apprennesàfairecela.
-Quoidonc?
Nousavonsfranchilaporteetsommesdehorsausoleil,etelleglisseun
brassouslemien.Nosjupessefrôlentparmomentspendantquenousnous
promenonssuruncheminpavé.
-Ladésarçonneralorsqu'elleessaieàtoutprixdetetenirladragéehaute.
-C'estplutôtuneimpulsionqu'untalent.J'aibienpeurdenepassavoir
restermaîtressedemoi.Toi,enrevanche,tuasledondeprendreleschoses
aveccalmeetgrâce.
Emilysourit.
-Sijesavaism'exprimeraussidirectementquetoi,peut-êtrepourrais-je
convaincremonpèrederompremesfiançaillesavecunhommequejen'ai
aucuneenviedeconnaître.
J'aipresqueenvied'éclaterderire.Danslavraievie,jesuisladernière
personnequisachesedéfendre.Oudéfendrelesautres.Jesuistimideet
frappéedemutisme.Etpourtant...jemesensassezstimuléeparlefait
qu'Emilymeconsidèredifféremment.Commesijepouvaisluidonner
raisonetprouveràtouslesautresqu'ilssetrompentàmonsujet!
Jem'arrêtedevantunrosierethumeleparfumdesroses.Jem'attardesur
unepetitefleurjaune.Celamedonneletempsderéfléchiràcequejevais
répondre.
-Crois-tuqu'ilm'écouterait?Jepourraisintercéderentafaveur.Essayerde
luifairecomprendre.
Siellepensequeçapeutmarcher,lasolutionestsimple.
PlanA:parleraupèred'Emily.
Ellepousseunsoupiretjoueaveclesreplisdesarobe.
-C'estperdud'avance.Cequemonpèreveut,ill'obtient.Iln'yaaucun
espoirdelefairefléchir.
Jesoupireetmetourneverselle.Damned.AdieuleplanA.
Elleselaissetombersurunbancenpierreetenfouitsonvisageentreses
mains.Jenepeuxpaslalaisserrenonceraussifacilement.Ondoitpouvoir
sesortird'unmariagearrangé.Çaarrivetoutletemps,non?
-Etsioncherchaitunefilleformidablequiauraitenvied'épouserDenworth
?Peut-êtrequ'ilaunfaiblepourlesblondesoulesrousses,oulesgrandes
oujenesaisquoi?Onpourraitserenseignersursespréférences?Sion
trouvequelqu'unquirépondeàsescritèresdeperfection,ilt'oubliera.
PlanB:leleurre.
MaisEmilysecouelatête.
-Non,n'ycomptepas.Denworthn'aqu'uneparole.Ilnelarenierajamais.
Sapristi.Bye-byeleplanB.
-Oh.
J'entortillelarosedansmamainjusqu'àl'arracher,etjelalaissedansma
paume,enlalissantdoucementavecmonpouce.
-Etsinon,ildoitbienexisterdescasdefiançaillesrompuesdansl'histoire
decepays,non?
Emilyhochelatêtemaisjenevoistoujourspassonvisage.Pourvuqu'elle
nepleurepas.Jenevoudraispasluidonneràcroirequelasituationest
encoreplusdésespérée.
-Àquelgenredeprocédésontrecourslesgenspourobtenircerésultat?'
J'effeuillelaroseunpétaleaprèsl'autre,leslaissantdoucementtomberà
terre.J'espèrequ'ellenevapasmerappelerquejeluiaiditavoirdes
milliardsd'idées.
Ellerelèvelevisage,etjesuissoulagéedevoirquesesyeuxnebrillentpas.
Ellesetapotelementonettordsabouchesurlecôté,plongéedansses
réflexions.
-Leplussouvent,onromptparconsentementmutuel,maisc'est
inenvisageableavecDenworth.Parfois,celaseproduitaprèsladécouverte
d'unscandale,unefailliteparexemple,ousil'onapprendquequelqu'unest
illégitime.
Jegrimace-lemotillégitimeréveilledesimagesdecettelettreadresséeà
Alex.Emilysoupire.
-D'autresfois...ehbien,sil'ondécouvrequelafemmeest...
Emilyregardeautourd'elleetbaisselavoix.
-Quelafemmeestperdue,c'estsanscontesteunmotifderupture.Lord
ForsythearompusesfiançaillesaveclafilleducomtedeBowmontla
saisondernière.Celaafaitscandale,tupensesbien.
Monoptimismeremonteenflèche.
-Queveux-tudirepar«perdue»?
ÀlafaçondontEmilyavalelentementsasalive,oncroiraitqu'elleparlede
fumerducrack.Ilestpossiblequejel'aieenfinscandalisée.
-Compromise.Par...parunautrehomme.
-Oh!Tuveuxdirequesilafillen'estpasvierge,lemonsieurnevoudraplus
l'épouser?
Elleacquiesce,lesyeuxécarquillés,commesineplusêtreviergeétaitaussi
gravequeréduiresonprochainencharpieàcoupsdehache.
-Ehbienvoilà!Onn'aqu'àfaireça!
Emilyal'airtellementchoquéequesijeluidonnaisunpetitcoupdecoude,
elletomberaitàlarenverseaumilieudesroses.
-Jeveuxdire,pasenvrai...Maisest-cequ'onnepeutpasfairesemblant?
Ellesecouelatête,unpeupâle,etçamefaitrire.
-Jecroisquetuinterprètesmalcequejedis.Cequej'essaiedetesuggérer,
c'est...onnepourraitpassimulerquetues,euh,compromise?Tun'auras
rienàfairedeparticulier.Maissionpeutlefairecroireauxgens,propager
peut-êtredesrumeurs,Denworthtelaisseratombercommeunepatate
chaude.Problèmeréglé.
Emilysecouelatêteànouveau,commesij'étaisfolle.
-Tuveuxparlerd'unemiseenscènededéfloraison?
Jeravaleunéclatderirecar,formuléainsi,leprojetparaîtdingueet
insensé,toutenseprésentantcommeuneprocéduretrèsformelle.
-Çapourraitmarcher,non?Jeveuxdire,sitaréputationestternie,
Denworthnevoudraplust'épouser?
Ellehochelatête.
-Maistoutlemondecroiraitquej'aiétéimmorale!
-Immorale?Ahbon?
Jemarqueunepause.Jevoisbienqu'Emilyneselaisserapasconvaincresi
facilement.
-Maisçapourraitmarcher.Etd'iciàunanoudeux,pluspersonnenese
rappelleraitlescandale,ettuvivraisheureuseavecTrentetvousauriez
beaucoupd'enfants.
-Jenepeuxpas.
-TupréfèresépouserDenworth?
Maquestionflottetandisqu'Emilytriturelesplisdesarobeencontemplant
letissulégercommesic'étaitunebouledecristalcapablederépondreàses
interrogations.
-Commentnousyprendrions-nous?
-Ens'arrangeantpourquelesgenspensentquetuaspassédutempsseule
avecTrent.C'estcontraireauxbonnesmœurs,non?Vousautres,vous
devezavoirdeschaperonssivoussortezensemble?
J'arracheencoreunerosedubuisson,débordantd'uneénergienerveuse.Si
Emilyjouelejeu,onpeutréussir.Jepeuxromprelesfiançaillesetles
réunir,Trentetelle.
Ellehochelatête.
-Ehbienonferacourirlebruitquetuaspassélanuitseuleaveclui.Ça
suffira.Attention,siontecroitperdue,celasignifieraforcémentqueparla
suitetoutlemonde,etpasseulementDenworth,t'évitera.Situn'espas
assezbonnepourlui,tuneleseraspasnonpluspourlerestedelasociété.
Emilyplisselefrontethochelatête.Ondiraitqu'ellevarendresonpetit
déjeunerd'unmomentàl'autre.Saravissantepeaupâleaprislacouleurde
lacendre.
-Maissionréussitàs'arrangeràl'avanceavecM.Rallsmouth,àêtre
certainesqu'ilvoudrat'épousermêmesitaréputationestsouillée,çapeut
marcher.
Ellehocheànouveaulatête,lentement,commesiellenevoulaitpassuivre
monraisonnement.
-C'estnotreseulesolution.Ilfautessayer.Parlons-luietmettonsnotreplan
àexécution.OnvatefianceràTrentRallsmouth.
PlanC:ruinerlaréputationd'Emily.
Chapitre21
Deuxheuresseulements'écoulentavantquejenecommenceàme
demanders'ilestbienjudicieuxdemettretousnosœufsdanslemême
panier.EtsiTrentchangeaitd'avisalorsqu'onauradéjàtoutmanigancé?
Toutlemondecroiraqu'Emilyn'estplusviergeetpersonnenevoudra
jamaisl'épouser.
Cettemanœuvrecomportequelquesfaillessérieuses.Maisjen'osepasles
soulevercarEmilyestdéjàréticente.Jelacroiscapabled'avoirunecrise
cardiaqueoud'entrerencombustionspontanéeàtoutinstant.
Zutàlafin,c'esttropbête.Ildoitexisterunplanmoinssuicidaire.
J'aifaitenvoyerunmessageàTrentilyauneheurepourluiexpliquertoute
l'histoire.S'ilestd'accord,ilviendraàlatombéedujourenleverEmilypour
lasoirée.Jenepeuxplusreculeràprésent,mêmesic'estlapanique.
Çavamarcher.-Qu'est-cequirisqueraitd'allerdetravers?SiTrentest
d'accord,ill'épousera.C'estaussisimplequeça.
Alexdoitêtreoccupéàjenesaisquelsdevoirsducaux,carilestabsentpour
lajournée.Maisc'estparfait,Emilyetmoi,onajustementbesoindela
journéepourdiscuteretcomplotersanscraindrequ'ildevinecequ'on
trame.
Onvavraimentselancerdanscetteaventure.Jesuisàlafoisexcitéeet
terrorisée,parcequej'aitellement,tellementenviequeçamarche...Sinon...
Quoi?J'auraidonnéàEmilydel'espoirpourrien.Etprobablementaggravé
lasituation.Orjenepeuxpassupporterl'idéedeladécevoir.
J'espèrequej'aipenséàtout.
J'aideEmilyàemballerquelquesaffairesdansunepetitemallependantque
nousattendonsuneréponsedeTrent.Nousessayonsdemettrelemoinsde
genspossibledanslaconfidence,cequisignifielestrictminimumen
termesdedomestiques.Les«étagesinférieurs»,commeonlesappelleici,
sontuneusineàrumeurs.Pirequelelycée.Oh,jelescomprends.C'est
assimilableauxmœursdulycée,oùlamajoritédesélèvesjasentsurlasoidisantélitedugangdesbranchées.
Naturellement,entempsetenheure,lesdomestiquesjouerontleurrôle,ils
fontpartieduplan:propagerlarumeurselonlaquelleEmilyestperdue.
Maiss'ilssontaucouranttroptôt,ilsrisquentdeprévenirVictoriaouAlex,
quiferonttoutlouper.
-Commec'estexcitant!s'écrieEmilyenfourrantunenouvellerobedansla
malle.Toutlemondeserasichoquéenapprenantmonéchappée.
Ellevibred'énergieetnetientplusenplace.Lesjouesrosiesetlesyeux
brillants,ellevirevoltedanssachambrepoursélectionnerd'autresrobes.
-Jetecouvriraijusqu'àcequenoussoyonsprêtesàpasseràl'étapenuméro
deux,dis-je,n'ayantaucuneidéedelamanièredontjem'yprendrai.Ilsne
saurontmêmepasquetuespartietantquejen'auraipasvendulamèche.
Pourquoiest-cequejeluirépèteçaconstamment?Jenesaisabsolument
pascommentlacouvrir.Entempsnormal,jemecontenteraisdedirequ'elle
nesesentpasbien...Maisunefemmedechambrenevoudra-t-ellepas
s'occuperd'elle?Ellesvonttrouverbizarrequecesoitmoiquiluiapporte
sonrepas.
Bah,j'auraibienuneidéedegénied'icilà.
Quelqu'unfrappeàlaporteetonseregardetouteslesdeux,lesyeux
agrandis.Vite,onrefermelamalleetons'assiedenprétendantn'être
occupéesàriendeparticulier.Letopdeladiscrétion.Çaneseraitpaspire
sionsifflotaitavecdésinvolture.
-Entrez,ditEmilyd'unevoixbeaucouppluscalmequeneleseraitla
mienne.
Uneservantearriveetluitendunemissiveavantdefairelarévérenceetde
repartir.
-Ouvre-la!
MaisEmilylacontemple,interdite.
-Oh,d'accord,laisse-moifaire.
Ellemetendl'enveloppe.Jelaluiarrachedesmainsetglisseunpoucesous
lebordpourladécacheter.Jesurvolelespremiersmotsetungrandsourire
m'éclairelevisage.
-Ilestd'accord!Ilacceptedes'enfuiravectoi!Emilybonditenl'airet
m'enlaceavecuntelélanqu'ellemefaitpresquetomber.Sonrireme
chatouillel'oreille,etnousvoilàtouteslesdeuxentraindenousétaleretde
roulerparterreenriantetencriant.Leplansemetenplace.Exactement
commejel'avaisprévu.
-Jen'arrivepasàcroirequ'ilaaccepté.Oh,ilfaitdemoilajeunefillelaplus
heureusedetoutel'Angleterre!
Jehochelatête.Jedevraisêtresoulagée,maisjemesensseulement
nerveuse.Ilfautqueçamarche.Illefaut.C'estmonbilletderetour.J'ensuis
convaincue.Quelautremoyenyaurait-il?
Emilyetmoiépoussetonsnosrobesetreprenonsl'opérationbagages,
ajoutantencorequelquesvêtementsdanslamalledéjàpleine.Jenesaispas
troppourquoielleemporteautantd'affairesalorsqu'ellen'abesoindes'en
allerqu'unenuit,maisçasembleluicalmerlesnerfs,aussijelalaissefaire.
Elles'immobilisesoudain,lamaincrispéeautourd'unemulejaune,et
sourit.
-Jesavaisquetum'aiderais.Entevoyantarriveravantladateprévue,jeme
suisditquetuétaisuncadeauduciel.Etlesfaitsmedonnentraison,on
dirait.
Radieuse,elleretourneàsesbagages,etjeluiadresseunvaguesourire.Et
sileplancapotait?Elleestdéjàentraind'écriresondiscoursde
remerciementpourl'oscarqu'elleestloind'avoirremporté.Siellesavait
quemagrandespécialité,c'estdetoutfairetomberàl'eau...
Jeprendsuneinspirationetrassemblelesderniersvêtements.Jedois
impérativementarrêterd'envisagerlepire.
J'aipenséàtout.Qu'est-cequipourraitbienclocher?
Aprèsledîner,j'attendssurleperronpendantdessiècles,mesemble-t-il,
enobservantleciels'assombrir.Ilfaitfrisquet.
EtsiTrentnevenaitpas?S'ilavaitmenti,ous'ilsedégonflait?Ilapeutêtrecomprisqueceprojetesttotalementdingue,etchangéd'avis.Ilaurait
milleraisonsd'esquiver.
J'effectueuntelnombred'allers-retoursentreleshautescolonnesqueje
doisuserlapierre.Iltombeunepetitebruine.Grâceàl'auvent,jesuisau
sec,maisjenecessedesurveillerl'horizonetdefairedesvœuxpourquele
tempsnevirepasàl'orage,cequigâcheraittout.Leciels'obscurcitetle
soleilsecouche,etTrentn'esttoujourspaslà.
Enfin,aumomentoùjefrôlel'arrêtcardiaque,jevoisunelueurauloin,qui
bringuebale.Elleestdeplusenplusvive,puisunevoitureémergedes
ombresdelanuit,tiréetranquillementparunchevalnoir.Enreconnaissant
Trentsurlebancassissouslacapote,enveloppédansuneredingotefoncée,
jesouriscommeuneidiote.C'estunepetitevoitureàdeuxplaces:pour
Emilyetlui.Ils'arrêtedevantlesmarchesets'apprêteàdescendre.
-Attendezici!dis-jeenchuchotantaussifortquejelepeux.
Ilfautquepersonnenelevoie,siEmilyveutsesauverincognito.Trent
hochelatêteetserassoit.Iln'amêmepasl'airdemetrouverbizarre,ce
dontjeluisuisreconnaissante.PlanC:étape1terminée.Maintenant,étape
2:fairepartirEmily.
Jemeretourneetouvrelaported'entrée,etjepercutepresquele
majordome.
Rhaa!Jel'avaisoublié,celui-l{.Lecœurtambourinant,jerentreetfermela
porteavantqu'iln'aperçoiveTrentoulavoiture.Quesuis-jecenséefaire,à
présent?Ilrisqued'alerterVictoriaoudedirequelquechoseàTrent...Il
fautqu'Emilyprennelapoudred'escampettesanstémoins.
-Grommley!appelle-t-elleenfinissantdedescendrelesmarches.VoulezvousallervoirsiMmeWestpréparelesquatrechambresd'amisdansl'aile
est?J'attendsdesvisiteurs.
Unéclairdegénie.Unvéritableéclairdegénie.Grommley-lemajordomes'inclineetquittesonposte,etjerespireànouveau.
-Merci,dis-jeàEmily.
-Oui.Etmaintenant,jevaischerchermesaffaires.
Jehochelatêteetlaregarderemonterl'escalierets'éclipser.Jesuis
toujourslà,seule,quandjelevois.
Alex.Ilarrivedel'aileest,unétagesousceluid'Emily.Aïeaïeaïe,elledoit
êtrejusteau-dessusdelui,entraindeprendresamalle.Pourquoitoutle
mondedébarqueenmêmetemps?
Ilavanceàsigrandspasqu'ilvasetrouverfaceàmoi,etaumilieudu
vestibule,danstroissecondes.Ilétaitcenséêtrecouché!Jenel'avaispasvu
depuisdesheures...Qu'est-cequ'ilfabrique?Ilvatoutgâcher!
Chapitre22
Unrapidecoupd'œilenhautm'apprendqu'Emilysortdeses
appartements,escortéededeuxdomestiquesquiportentsamalle.Elleagite
lamainets'apprêteàparler,maisjeladevance.
-Alex!dis-jed'unevoixplusfortequenécessaire.Euh,bonsoir.
Jefaisunecourbettemaladroite.Ilmerépondd'unhochementdetêteetme
salue.Pendantqu'ilalatêtebaissée,jelèvelesyeuxetaperçoisEmily,qui
refermelaboucheets'arrêtesibrusquementquelesdomestiques
manquentlapercuter.JemeraidisetattendsdevoirsiAlexaremarqué
l'agitationderrièreluiàl'étage,maiscen'estpaslecas.Ilmefixedesyeux.
Aussi,jem'obligeàparaîtrenormale.Iln'estpastroptard.Jepeuxle
distraire.
Euh...d'accord,maisparquelmoyen?
J'essaiedeleregarderetjevoisenmêmetempsducoindel'oeilEmily
reculeretfairesigneauxautres.Ilsbattentenretraitedanslachambrela
plusproche,etlaporteserefermebruyammentsureux.Lebruitse
répercutedanstoutlevestibule,beaucoupplusfortquejenel'auraiscru.
Alexavanced'unpasetlèvelatête.
-Ehbien,hem,quesepasse-t-il?dis-je.Parici.C'estmoiqu'ilfautregarder.
Unelongueseconde,ilrestetournéversl'étage.Dansquellepiècesont-ils?
A-t-ilvuEmilylà-haut?Sait-ilqu'ilsetramequelquechose?Ilfaitunpas
versl'escalier.Hé,oùva-t-ilcommeça?
-Voslettres.
C'estsortitoutseul.Argh,pourquoiai-jeditça?C'estlaseulechosequim'a
traversél'esprit.Jenevoulaispasqu'ilsachequej'étaisaucourant,pourle
bébé.Jevoulaislirelerestedeslettresetélaborerunplan.
Simplement,jen'enaipasencoreeuletemps.J'aiétédistraite,entreune
soiréechampêtreetdesfiançailles.Etmaintenant,jevaisêtreobligéedeles
luirendrepouraiderEmilyàsesauver.
-Pardon?
Ilseretourneversmoi.Commentfait-ilpourêtretoujoursaussibeau?Ces
hautesbottesbrillantes,laredingotevertetellementstylée,lefoulardd'un
blancéclatant...Jem'obligeàfermerlespaupièresetàsecouerlatête.Pour
letrouverirrésistibleàcepoint,c'estquejesuisicidepuistroplongtemps.
-Je...ehbien,euh,jesuistombéesurvoslettres.Danslabibliothèque.
Ilpenchelégèrementlatêtedecôtéetm'adresseunregardquejen'arrive
pasàdéchiffrer.
Moncœurbatdeplusenplusfort.Pitié,qu'ilnemedemandepascequ'on
traficoté,qu'ilnedevinepasnotremachination.Jefaisunpasenavantet
souris.
-Sivousvoulezmesuivre,jevaisvouslesremettre.Machambresetrouve
danslecouloiropposédeceluioùs'estcachéeEmily.S'ilmesuitlà-bas,elle
pourraressortir.
Ilfaitunemoue,c'estinterminable,etjegardelesyeuxrivésauxsiensen
essayantdesavoircequisepassesoussoncrâne,maissoudainilhoche
simplementlatêteetjepousseunsoupirdesoulagement.
-Fortbien,dit-il.
Jeluifaissignedemesuivreetnousmontonsl'escalier,puissurlepalier
nousnousengageonsdansl'aileouest,loind'Emily,versmachambre.
Lecouloirmesembles'étirerindéfiniment.Jecroisentendrelecliquetisde
laportederrièrelaquelles'estréfugiéeEmily,maisjetoussepourcouvrirle
bruit,etAlexmeregarded'undrôled'air.
Ouf!Onaeuchaud.
Est-ilconvenablequ'ilentredanslachambre?Çam'étonnerait.MonDieu,
j'espèrequ'Emilynefaitpasdebruit.Devantmaporte,onnelesvoitpas,
maisAlexnemanqueraitpasd'entendreleremue-ménage.
-Attendez,jevaisleschercher,d'accord?Nebougezpas,dis-je.
Jenepourraispasêtreplusmaladroite!Jenesuisvraimentpasdouéepour
cesintriguesd'agentsecret.Ilvaleurfalloirencoreplusieursminutespour
descendrelamalled'Emilyetlachargerdehors.
Jecoursdansmachambre,droitverslelit.Leslettressontcachéessousle
matelas.Lepaquetàlamain,jereviensverslaporteouverte.Alexest
deboutdanslecouloir.Ilareculédequelquespas,commesisesitueràun
petitmètredemachambreétaitcontraireauxrèglesdelabienséance.Ça
medonnepresqueenviederire.Envérité,sanslaliassedelettresquime
brûlelamain,jecroisbienquejem'esclafferais.
Jereculedanslecouloiretsuissoulagéed'entendrerégnerlesilence.Jeme
demandesiEmilyestpartie.
Jeserrelespapiersdansmamain,refusantdelescéderalorsqu'ilsrecèlent
tantdesecrets.Siseulementj'avaisprisletempsdeleslire...
Iltendlamain,maisjenepeuxquecrisperlamiennedavantageautour.
L'idéedelesluirendremefaitbouillonnerdecolère.
SijeparviensàaiderEmilyetsielleépouseTrent,jeseraipeut-être
catapultéechezmoi.
Etcettepetitefilleresteralà,seule.Toutesavie.Alexatiréuntraitsurelle.
Jelesais.
-Commentavez-vouspuluifaireça?
-Jevousdemandepardon?Àqui?
Jepousseungrognementdoubléd'unrictusdégoûté.Etl'emportementqui
frémissaitexplose.
-Votrefille,espèced'imbécile!Commentavez-vouspul'abandonnerainsi?
Savez-vousseulementsiellesvontbien?
Ilestsichoquéqu'ilreculed'unoudeuxpas.
-Mafille?Jen'aipasdefille,etjevousconseilleraidenepasrépandre
d'aussisordidesrumeurs.
Jesecouelatête.
-C'estçaquivousfaitpeur,hein?Vousnevoulezpasqu'onsachequevous
vousdésintéressezdesonsortetvousespérezqu'ellevadisparaîtrede
votreexistence.Maisn'ycomptezpas.Certes,jen'ailuqu'uneseuledeces
lettres,maisjesaisbienàquelpointellesouffredevotreattitude!
Sonvisagebouleverséchangepeuàpeud'expression;ilcomprendquelque
chose.
Etsoudain,ilrit.Çacommenceparunpetitéclat,avantdes'amplifier.Il
appuieunemaincontreunmurpoursesouteniretposel'autresurson
ventre.Sahautesilhouettesecourbetandisqu'ilsuccombeàl'hilaritéque
sembleluiinspirerlasituation.
Jelecontemple,médusée.Jenem'attendaisabsolumentpasàcegenrede
réaction.Niàletrouveraussiadorablequandquelquechosel'amuse.
Non.Iln'estpasadorable.
-Qu'est-cequivousprend?dis-jeenm'approchant.Voustrouvezvraiment
qu'ilyadequoirire?
Ilsemaîtrisepuisseredresseenessuyantunelarmesursajoue.
-Jetrouvesimplementextraordinairequevousmepensiezimmoralau
pointd'avoirunenfantetdemanqueràtousmesdevoirsenversluietsa
mère.
-Quesignifiececi,alors?dis-jeenagitantleslettres.
-Nevousest-ilpasvenuàl'espritquecesplispourraients'adresseràmon
père?
J'enrestebouchebée,subitementfrappéedestupeur.
LeducdeHarksbury.VotreGrâce.Lenomd'Alexnefigurenullepart.Les
lettresétaient-ellesdatées?Ai-jeseulementvérifié?Cebébéestsasœur!
-Je...
Jenesaisplusquoidire.Pendanttoutcetempsjel'aiméprisé,révoltée,
m'imaginantqu'ilvivaittranquillementdanscechâteauennégligeantses
responsabilités.
Alorsquec'étaitsonpère.
Jeluitendsleslettres,furieuse.Etd'unevoixtoutàcoupenrouée,jelui
demande:
-Quesont-ellesdevenues?
Alexsoupireetcontempleunlongmomentleslettres,sansriendire,
commeperdudansunautremonde.Sesyeuxs'adoucissent,songeurs.
-L'enfants'appelleAmelia.J'ignoraiscomplètementsonexistence,jusqu'au
décèsdemonpère.J'aidécouvertceslettresdanssonbureau.Ilm'afallu
troismoispourretrouvermèreetfille.Àl'époque,Ameliaavaitpresque
troisans.
Alextortillesesboutonsdemanchette,preuvedenervositéqui
ressembleraitplutôtàuntrucquejeferaismoi.Sadistinctiondésinvoltea
disparuetpourlapremièrefois,ilal'aird'unadolescent.
-Lamèreétaitservantechezunbaronnet.Ellesnes'ensortaientpasmal.
MaisAmeliaméritaitmieux.
Est-cedela...peine,quejevoissursonvisage?C'estdélirant,ilsefait
réellementdusoucipourelle.Commentai-jepuêtreàcepointàcôtédela
plaque?
-Ellesviventdansl'unedesmaisonsappartenantànotrefamille,plusau
nord.ÀGreysbrooke,plusprécisément.Avecdupersonneldemaison,y
comprisunegouvernantepourAmelia.
J'ail'impressionquemoncœurbatparintermittence.
-Vousvousoccupezd'elles,alors?Ilhochelatête.
-Monpèren'auraitjamaisdûleslaisserlivréesàelles-mêmes.Ameliaest
peut-êtreillégitime,maisc'estlafilled'unduc.
-Jesuissûrequeleurvieestdevenuemerveilleuse,grâceàvous.
Jemesensparfaitementstupide.
-Jegardel'espoirdeparveniràétoufferleplusgrosduscandale,et
qu'Ameliapuisseunjourfairepartiedelabonnesociété.Jelasoutiendraiet
veilleraiàcequ'elledisposedetoutcequ'ellemérite.
Jehochelatête.Millemotstourbillonnentdansmonespritmaisaucunne
sort.Ilssonttousperdusquelquepartàl'intérieur.
Jemetrompaislourdementsursoncompte.Etmaintenant,jecomplote
danssondos.C'estaffreux:jesuisplusoumoinsenflagrantdélitde
mensonge,àcetinstantprécis,pouraiderEmilyàs'enfuir.
Ilaconsacrédesmois{larecherched'unesœurqu'ilneconnaissaitpas,
simplementpours'assurerqu'ellenemanquaitderien.Voilàdonclegenre
detypequ'ilest,endéfinitive.
Non,jerefusedelecroire.Pourtoutlereste,ils'estmontréodieux.Peutêtrequ'iln'apasd'enfant,maisilprendquandmêmelesfillespourdes
êtresinférieurs.Jenedevraispasêtreobligéed'agirendouce.C'estluiqui
devraitaiderEmilyIC'estparcequ'ilnefaitrienquejem'ycolle.
Pasquestiondemesentircoupable.
-Mercidemelesavoirrendues,dit-ilens'inclinantlégèrement.Jenesais
pastroppourquoijemesensobligédelesconserver.
-Jevousenprie,pasdeproblème.
Jenetrouveriend'autreàdiretandisqu'ilseretourneets'éloigne.Pourvu,
pourvuqu'Emilysoitpartie,sinonc'estfichu.
Jeregagnemachambreetvaisàlafenêtre.Lapluietombeplusdru,
maintenant,ettracedesrigolessurlavitre.Jediscernevaguementlalueur
d'unelanternedehors,prèsdel'écurie.
Maproprechambreestplongéedanslenoir.Unfeudecharbonbrûledans
lacheminéeetunebougiecoulesurmapetitetable.Jem'assiedssurla
banquettedevantlafenêtreetramènemesgenouxcontremoi.
Emilyvapasserlanuitdansunepetitechaumièredejardinier,àlalisière
deHarksbury.Elleditquepersonnenel'utiliseplusdepuisdeuxansetque
nulnesongeraàyaller.Ellen'auraqu'àêtreabsenteuneseulenuitpour
ruinersaréputationàjamais.
Nousnepouvonsplusrevenirenarrière.Quoiquej'aiefait,jenepeuxplus
ledéfaire.
Emilyestunefilleperdue.
Chapitre23
Lelendemainmatin,Elizaentredansmachambre,etunseulregardvers
sonvisagem'apprendcequej'auraisdéjàdûsavoir:çavaêtremafête.
-SaGrâcedemandeàvousvoir.
Jedevraisréagir,maisjegrogneetremontelescouverturesau-dessusde
matête.C'estsûr,iladéjàtoutcompris,entremoncomportement
bizarroïdehieretlasoudainedisparitiond'Emily...Iladevinéquejela
couvrais.
-Ilfautvouslever,décrèteElizaenarrachantlescouverturesdulit.
Sérieusement,elleestobligéedem'infligerça?
Jefaisquelquespassurleparquetetm'affalesurletabouretenla
regardantsortirunetenuedel'armoire.Elleestpleineàcraquer,
maintenant.Emilym'aoffertrobesurrobe,prétendantqu'ellen'aimaitpas
lacouleur,oulepassepoil,oul'arrondi.Ellemaîtriselesujet,c'estclair.
-Avez-vousbienprofitédevotrejournéedecongé,hier?dis-jependant
qu'ellemetirelescheveux.
-Oui,mademoiselle.Merci.
-Iln'yapasdequoi.Jesuisstupéfaitequ'ilnevousaccordejamaisde
journéesentières.C'estparfaitementinacceptable,non?
-C'estdeuxfoisplusd'après-midisquelaplupartdesautresemployeurs.Sa
Grâceesttrèséquitable.
Quoi?Onestcontentquandondisposededeuxdemi-journées,ici?
Houlala...Jevoislalogique.Zéropointépourmoi.Ilfautvraimentque
j'arrêtemesidéespréconçuessurlesautres.
Bah,peuimporte.Mêmesijemetrompaisaussisurcepoint,Alexn'enest
pasmoinsarrogantetsexiste.Là-dessus,personnenerisquerademe
contredire.
Bon.Revenons-enàmonplan.
-Et,euh,avez-vousentenduqu'Emilys'estenfuieavecTrentRallsmouth
hier?dis-jed'untondésinvolte.
Pourquelamachinationfonctionne,ilfautquetoutlemondesoitau
courantdel'escapade.Etd'aprèsEmily,lemeilleurmoyenconsisteàlaisser
lesdomestiquesrépandrelarumeur.Elizacessedemebrosserlescheveux,
samainfigéeenpleinélan.Commejeregrettequ'iln'yaitpasunmiroiren
facedenous.J'adoreraisvoirsonexpression.
-Ilssontpartisensemble.Ellenevoulaitpasépousersonfiancé.
Ilfautencorequelquessecondesavantqu'Elizanereprennesonbrossage.
-Oh?Est-celemonsieurquiestvenuhiersoir?
Jedoismemordrelalèvrepourempêcherungrandsouriredetraverser
monvisage.Jepariequec'estainsiqu'Alexestaucourant.Iln'amêmepas
remarquéqu'Emilyétaitpartie.Ill'aapprisparlabande.Parfait.
-Oui.C'étaitlui.
-C'est...trèsintéressant.
-Commevousdites...
Ellesortunerobebleucielavecunefinitionpasse-poiléeauxemmanchures
etàl'ourlet,etj'endureleshabituellesopérationsdetiragedecheveux,
chignonetécorchagedecuirchevelu.Jen'aipasencoreréfléchiàceque
j'allaisdireexactementàAlex.Jem'attendaisàdisposerdelamatinéepour
mettreaupointunpetitdiscours.
Quelquesminutesplustard,jedescendslesmarchesàlasuited'Eliza,le
cœurbattantsifortquej'ail'impressionqu'ilessaiedes'échapperdema
poitrine.Jeneveuxpasdecetentretien.Jen'airienrépété.Siaumoins
j'avaisanticipé,si...
-MademoiselleRebeccaVaughn,annonceElizacommesiellem'offrait
solennellementàAlex.
J'entredansunesortedepetitsalon,enessayantdegarderlatêtehauteet
deprétendrequejenesuispasdutoutnerveuse.J'espèrevaguement
qu'Elizavarester,maiselles'écarteetmelaissepasseravantdedisparaître.
J'avanceversun"fauteuilàhautdossiergarnide
brocartdontlesbrasetlespiedssontdorés.Ilfaitfaceaugrandcanapésur
lequelestassisAlex,etj'yprendsplace.Jecroiseleschevillesetétale
soigneusementmesjupescommesic'étaitlachoselaplusimportantedu
monde,quiexigeraittoutemaconcentration.Victoriaseraitfièredemon
maintien.
-Oùest-elle?
Savoixestferme,impérieuse.
Droitaubut.Jememordslalèvreethasardequandmême:
-Qui?
-Pasdecespetitsjeux,coupe-t-il.
J'étudiemesmainscrispéessurmesgenoux.Jepeuxfairel'innocente,je
peuxretarderlemomentderépondre,oujepeuxtoutsimplementlelui
avouer.Celareviendraitàarracherunsparadrap.
-AvecTrentRallsmouth,dis-jeenluicoulantunregardsousmescils.
Ilouvregrandlesyeuxetseredressevivement!
-Legarçondelasoiréedansante?Où?Oh,monDieu.Iln'apasl'air
content.
-Danslachaumièredujardinier,àlabordureestdeHarksbury.
Alexselèvecommes'ilétaitl'incroyableHulk,sivivementquejem'étonne
denepasvoirlecanapévolerets'écrasercontrelemur.
MonDieu,quellefoliej'aicommise!Ilvamefairelapeau-Oumejeterdans
cecachotqui,j'enresteconvaincue,existebeletbienici.
-Jevousenprie,dites-moiqu'ilsontunchaperon.Jefaisunemoueet
secouelatête.
Ilpousseungrandsoupirirritéetcroiselesbras.Celafaitsaillirlesmuscles
desapoitrine,etj'essaiedemeconcentrersurlefaitqu'ilal'airprêtà
m'étriperplutôtquesursaséduction.
Qui,avouons-le,estdetoutepremièrecatégorie.Sonvisageestempourpré
parlacolère,cequifaitressortirsesyeuxvertsombre...
Meconcentrer.
-Etjesupposequevousavezencouragécerendez-vousgalant?
Jemelèveparcequejenepeuxplussupporterqu'ilmedominedetoutesa
hauteur.
-Oui,dis-jeunefoisquenoussommesàpeuprèsaumêmeniveau.Ellene
peutpasépouserDenworth.Elleseraittropmalheureuse.C'estpourquoi
elles'estenfuieavecTrent.Jememoquedevosarguments;c'étaitlaseule
choseàfaire.
Ilprendquelqueslentesetprofondesinspirations,puisilsedétournede
moi.Jenevoisplussonvisage.Cequiestpire,carjebrûledesavoircequ'il
penseencemoment.
-Petitesotte,dit-il.
Savoixestsibassequejenesuispassûred'avoirbienentendu.
-Hein?
-Petitesotte,répète-t-ilplusfort.Cettefois,j'aibiencapté.
-Peuimportecequ'ilveut,oumêmecequ'elleveut.Sonpèredoitdonner
sonconsentement!
Jecessederespirer.
-Quoi?
-Ellen'auravingtetunansquedanstroisans!Sonpèredoitsignerun
papierattestantqu'ilconsentaumariage!
Jesuissoudainprised'unenauséequisediffusedepuismonestomac,
jusqu'àcequejecommenceàmesentirgrelotterdespiedsàlatête.Je
gardelesmainscontremesflancsetserrelespoings,afinqu'Alexnevoie
pascombienjetremble.
PourquoiEmilynem'a-t-elleriendit?Commentpouvait-elleignorerque
sonpèredevaitsignerunedéchargepourqu'ellepuisseépouserTrent?
Jesecouelatêtevigoureusement.
-Ilacceptera.Denworthnevoudraplusd'elle,àprésent.Maintenantqu'elle
estcompromise.Ilrompralesfiançailles,etlepèred'Emilyseraaupieddu
mur.
Mavoixrésonnedefaçonplusdésespéréequejenelesouhaiterais.
Ilpivotesibrusquementquejem'empêtredansmesjupesenreculantetil
doitmetenirlebraspourm'empêcherdetomber.
-Vousnesaisissezpas,Rébecca.
Quelquechosedanssafaçondeprononcermonnommedonneenviede
rentrersousterre.
-Sonpèreestunhommeméchantetrancunier.Ilrefusedemevoirdepuis
lamortdemonpèreparceque
sansmonexistence,ilseraitdevenuleprochainducdeHarksbury.Croyezvousqu'untelhommerépondeauxvoixdelaraison?Emilyvientdese
dresserouvertementcontrelui.Ilpréféreral'obligeràrestervieillefilleque
consentiràcemariage.
Sesparolesretentissentdansmesoreilles,indéfiniment,maisjenepeuxni
bougernirépondre.
Unefaillefatale.Voilàcequec'est.Unefaillemonumentaledansmonplan.
J'aifichuleplanenl'air.
Passeulementleplan.Lavied'Emîly.Commentai-jepuenarriverlà?
Maisilesttroptardpourrevenirenarrière.Onnepeutqu'allerdel'avant.Il
fautqueçamarchequandmême.Illefaut.Ildoitexisterunesolutionpour
sauverlesmeubles.
-Maiscetteautorisationneseraplusnécessairedèsqu'elleauravingtetun
ans?Nepeuvent-ilspassimplement...sortirensemble,enattendant?
Ilsecouelatêteavecunrictusdedégoût.
-Sonpèreestsonresponsablelégal.Elleestjuridiquementtenuedeseplier
àsavolonté.S'ilchoisitdel'enfermerdanssesappartementsjusqu'àson
vingtetunièmeanniversaire,ilenaledroit.
Jecroisquejevaisvomir.
Leslèvresd'Alexremuent-elles?Parle-t-ilencore?Qu'ai-jefait?
Emilyestromantiqueàl'extrême.Elleabesoindeconnaîtrel'amour.*
Unevieprivéed'amour...
Jeparviensàpeineàm'approcherdufauteuilavantquemesjambesse
dérobent.
Alexgrogneetpasseunemainàtraverssescheveuxindisciplinés.
-Ilfautquejeréparecetteinfortune.Vousferiezmieuxdeprierpourqueje
réussisse.
Ilsediriged'unpasvifverslaporte,ets'arrête.
-Espéronsquemamèrenesaurariendecetteaffairetantqu'ellenesera
pasrésolue.Elleestdeconstitutionfragile.Jenevoudraispasqueparvotre
fautesasantéenpâtisse.
Jehochelatêtemaisjenesuismêmepassûred'avoirentendusesparoles.
C'estunecatastrophe.J'auraisdûtrouverunautremoyen,unstratagème
quinenousauraitpascontraintesàbernerAlexetcomploteret...
Lorsquejerelèvelesyeux,jesuisseule.Alexadisparu.
Commeéblouie,jegagnelecouloir,puislevestibule,oùsetientle
majordome.
-LalettreadresséeàlordDenwortha-t-elleétéenvoyéecematin?
Ditesnon,parpitié,ditesnon.L'hommeacquiesce.
-Oui.Ilyaplusieursheures.
-Trèsbien.
Jevoisàpeinelesoldevantmoi.Mêmesijevoulaistoutarrêter...ilesttrop
tard.NousavonsenvoyéunelettreàDenworthpourluiapprendreceque
faisaitEmily,etqu'ellenel'épouseraitpas,carellesedonnaitàM.
Rallsmouth.C'étaitnotregarantiequ'ilsoitaucourant,aucasoùleboucheà-oreillen'auraitpassuffi.
D'aprèsEmily,ilsuffitquelesgensvousperçoiventcommeétantperdue.De
simplesrumeurssuffisent.Celaneserviraitàriendeluiexpliquerquetout
étaitmisenscène.
Denworthadûlirelalettre.Ajoutéeauxcomméragesdesdomestiques...
C'estfait.Emilyestperdue.
Jemeretourneetmontel'escalierpourregagnermachambre.Jem'agrippe
àlarampepournepastomber.C'estàpeinesijevoislesmarches,jesuis
toutétourdie.
JemedemandecommentaréagiDenworthenlisantlalettre.
JemedemandecequefaitAlex.
Jemedemandesitoutcelavasesolderparundésastre.
Chapitre24
Mavieaofficiellementtournéaucauchemar.Jesuisassisesurunechaise
droitedesalleàmanger,vêtued'unerobeempeséeetd'uncorset,avec
Victoriapourseulecompagnie.Àvoirlafaçondontellemange
tranquillement-etbruyamment-sasoupe,ellen'aaucuneidéedu
chambardementquienvironneEmily.
Etc'estàmoidel'entretenirdansl'ignorance.
Commentai-jepuêtreaussibête?Commentai-jepunégligerundétail
aussicrucialqu'uneautorisationparentale?
Jesupposequ'Alexs'estrendudirectementàlachaumière.N'avoiraucune
idéedecequisepassemefaitamèrementregretterlasimplicitédu
téléphone.Aumoins,jepourraisappelerEmilyetsavoiroùilsensont!
C'estunvraisuppliced'êtreassiselààgamberger!
Victoriam'ademandéaudébutdudîneroùétaitEmily,etj'aiinventé
quelquechose.Jenemerappellemêmepasquoi.
Lepiredînerde'monexistences'éternise,encorepluslentqueletic-tac
d'unehorloge,etjen'arriveàpenseràriend'autrequ'àcequisedéroule
danscettepetitechaumièreàquelqueskilomètres.Alexest-ilentrainde
sermonnerTrentetEmily?Trentest-ilprêtàsoutenirEmilyquoiqu'il
arrive?
Leseulmomentoùjecessederéfléchir,c'estlorsqueVictoriamerappelleà
sasidélicieuseprésence.
-Rebecca,monenfant,iln'estpasseyantdes'avachir,dit-elle.
Çam'exaspèremaisaussitôtjemeredresse,parpurinstinct.Victoriaacette
espècedefibrematernelle,onluiobéitaudoigtet{l'œilavantmêmede
s'enrendrecompte.J'auraisdûmelaisserallerencoreplussurmachaise,
tiens;bienque,aveclecorset,c'estmissionimpossible.
Sijamaisj'ail'occasiondevoyagerànouveaudansletemps,jetrouveraile
typequiainventélecorsetetluietmoi,onaurauneconversationsérieuse.
Unserviteurdéposeungrosmorceaudebœufdevantmoi.J'attendset
observeVictoriaavantdeprendrelamêmefourchette,detenirmon
couteaudanslamêmemainetdedécouperlaviandeenminuscules
morceaux,exactementcommeelle.Laregardermangerrevientàvoirune
vidéosurleprotocoledesdînersmondains.Jen'aiplusqu'àl'imiter.Jacques
adit...
D'uncôté,jelaplainsunpeu.Toutesavieneconsistequ'àsesoucierdece
qu'ilfautfaireounepasfaire,desbonnesmanières,desprincipes.Jeserais
prête
àparierquetoutçan'estqu'unefaçade.Quesonobsessionvientdufaitque
sonmariavaitunemaîtresse,etqu'elleétaitcondamnéeàfairebonne
figureetàfeindrevis-à-visdesautresquetoutallaitpourlemieuxdansle
meilleurdesmondes.
JecomprendspourquoilesapparencesimportentautantpourVictoria.Son
maril'atrompée.Ilaeuunenfantavecuneautre.Maiselleamisunpoint
d'honneuràcequetoutlemondepensequelaviedeladuchessede
Harksburyétaitparfaite.Unlongfleuvetranquille.Elleestexemplaire,
voyez-vous?
Jesupposequejen'auraispasdûlajugeraussidurement.
-Lesrosessontenpleinefloraison.Emilyetmoinoussommespromenées
danslejardinhier,ilembaume,dis-jepourêtreaimable.
Victoriamâcheunmorceaudeviandeetmedévisage.
-Oui.Lesjardinssonttoujoursmagnifiquesàcetteépoquedel'année.Feu
leduclesafaitconcevoirdetellefaçonqueleparfumsoituncompagnon
constantdequisepromènesurleschemins.
Feusonmari.Ellevientdefaireallusionàlui.Lesmotssonttombéstelsdes
coupsdecanon,lourdsetécrasants.Jenesaistropquedire,aussi
j'ingurgiteunenouvellebouchéependantqu'unangepasse.
Combiendeplatsyaura-t-ilcesoir?Seulementtrois,j'espère.Jenepourrai
jamaisendurerencorecinqousixplats.Cettepseudo-conversationguindée
m'anéantitet,meconnaissant,jenevaispastarderàfaireunegaffeausujet
d'Emilypourcomblerlesblancs.
Victoriaserresafourchettesifortquesesarticulationspâlissent,ondirait
qu'ellearéalisél'erreurqu'elleacommiseenparlantdupèred'Alex.Elle
posesafourchetteetremuelesdoigts.Elleposeensuitesoncouteaupour
semasserlamainetlepoignet.Ladouleurselitbrièvementsursonvisage,
puisellereprendsescouvertscommesielleespéraitquejen'avaisrien
remarqué.Jedemande:
-Çanevapas?
-Toutecettebroderieaufildesanssemblenepasm'avoirtrèsbienréussi,
dit-elle.
Jesuisquelquepeusurprisedecetaveu.Victoriasanspeuretsans
reproche.Victoria-la-parfaite.
-Queressentez-vous?
-J'aidesfourmisdanslesmains,parmoments.
-C'estprobablementlecanalcarpien.
Ellemefixedesyeuxsanscomprendre.Jehausseuneépaule.
-C'estunnerfquisepinceaupoignet.Essayezdelemaintenirleplusdroit
possiblependantlanuit.Sivousaviezunesorted'attelle,celavousaiderait.
Auboutdequelquessemaines,vousdevriezenressentirlesbénéfices.
Pourquoiest-cequejeluiraconteça?Personnellementjepréféreraisque
samaintombe,toutbonnement.
-Merci,dit-elled'unevoixdouce.
Maisunesecondeplustard,elleserappellequenoussommesdesennemies
jurées.
-Onnemetpassoncoudesurlatable.
-Oh.
Jem'empressedemeredresseretlaisselesmainssurmesgenoux.
-Pourquoiêtes-vousd'avisqu'EmilynedevraitpasépouserDenworth?
demandesoudainVictoria.
Elleétudiesafourchetteavectantd'attentionquej'ail'impressionquec'est
àellequ'elles'adresse,etnonàmoi.
-Jevousdemandepardon?
Pitié,faitesqu'ellenesoitpasaucourant!Alexvahurlersielleadécouvert
lepotauxrosesetqu'ellesemetdanstoussesétats.Ici,jepensaisqu'elle
échapperaitauxcommérages.Elleal'airdepasserpasmaldetempsaulit,
commesielleétaitsouffrante.Maisdesdomestiquesauraientpuvenirla
voir,oudiscutertropfortdanslecouloir...
-J'aisurprisuneconversationentreEmilyetvous.Vousestimezque
Denworthetellesontmalassortis.Voulez-vousbienmedirepourquoi?
Ah!Çava,ellenesaitencorerien.
Victoriaregardeenl'air,commesicen'étaitpasellequiavaitparlé.De
toutefaçon,iln'yaquenousdeuxdanslapièce.Çaluiestdoncsipénible
d'êtreaimableavecmoi?
C'estàmontourd'examinermafourchette.Devrais-jeinventeruneraison
fabuleuse,unargumentirréfutableàlaportéedeVictoria,ousimplement
luidirelavérité?Unefemmecommeellenecroitpasàl'amour.Etpour
cause.ElleapprouvaitlemariageentreEmilyetDenworth.Elleprétendait
quetelétaitsondevoir,ettrêvedediscussion.
-Elleméritemieux.
Victoriam'étudieunmoment.Sonvisageestlégèrementlevéversle
plafond,aussidoit-ellebaisserlesyeuxpourmetoiser.
-Mieuxqu'unbaron?Elleaautantdechancedetrouverl'amouraveclord
Denworthqu'avecn'importequelautre.Peut-êtremêmedavantage.
Leplusbizarre,c'estquejecroisqu'ellelepensesincèrement.Elleleditsi
simplement,commesic'étaituneévidence.
-Commentserait-cepossible?Denworthestsivieux.
Ellereposesafourchetteàcôtédesonassietteetmeregardebienenface.
Pourlapremièrefois,sesyeuxnesontniperçantsniterrifiants.Ilssesont
légèrementadoucis.Celamefournitunaperçudeceàquoipouvait
ressemblerVictoriailyaunevingtained'années.Etjepensequ'elleadû
êtretrèsbelle.
-Leducavaitpresquecinquante-cinqanslorsquenousnoussommes
mariés.Jen'enavaisquevingt.
-Etl'aimiez-vous?
Lesilencedanslasalleàmangerm'apprendcequejevoulaissavoir.
Manifestement,non.Danscecas,pourquoiessayerdemeconvertiràses
arguments?Jejoueavecunmorceaudegrasdemonrôtietattendsdevoir
sielleval'admettre.
-Audébut,non.Pasavantlestroisouquatredernièresannées.
Jerelèvelatête,surprise.Troisouquatreansavantsamort?Celasignifie...
Voilàpourquoilevieuxducespéraitneplusjamaisentendreparlerdu
bébé.Ils'étaitréconciliéavecVictoria.Ilmarchaitsurdesœufs,sûrement,
etespéraitqu'ellenedécouvriraitjamaisl'existencedecettepetite.
Maispourquoinel'avait-ilpasaidéefinancièrement?Samèreetelleen
avaientbesoin.
LesmainsdeVictoriasontimmobilesetellenem'apasquittéedesyeux.
Est-elleréellemententraindemordillersalèvreinférieure?Impossible.
Victoriaesttoujoursimpassibleetpétried'assurance.
-Envérité,jel'aimais.Maisj'aiessayédemel'interdire.Pendantdes
années.Etàprésent,jepenseàcesannéesperduesetj'aimeraispouvoirles
revivre.
Éberluée,j'écarquillelesyeux,muette.J'étaisconvaincuequ'elleétait
maussadesansraison.Qu'ellesecroyaitjustemeilleurequetoutlemonde.
Alorsqu'elleavécul'histoired'amourlaplustordueetlaplustragiqueque
j'aiejamaisentendue.BienpirequeduShakespeare.
Résultat,ellesecachederrièresonétiquetteirréprochableetsespréceptes.
-Ilestraredetomberamoureux,Rebecca.Etplusencoredelerester.Emily
nesaitpasdavantagecequ'elleveutquemoiàl'époque.Elleépouseralord
Denworth,toutcommej'aiépouséleduc.Conformémentàcequiestprévu.
Saufquecen'estplusd'actualité.Siellesavaitcequisepasseàquelques
kilomètresd'ici...Victoriaaeudelachanceavecsonmari.Elleesttombée
amoureusedelui.Maisjerefusedecroirequ'unquinquagénaireaitautant
dechosesàpartageravecEmilyqu'ungarçondesonâge.Ungarçonquiest
vraisemblablementdéjàamoureuxd'elle.
-Necroyez-vouspasqueladécisiondevraitapparteniràEmily?
LavoixdeVictorias'adoucitunpeu.
-Elleneluiincomberajamais.
Etdurantuneseconde,lesyeuxdanslesyeux,j'ail'impressionqueVictoria
essaiedemedirequ'elleestd'accordavecmoi.Quelechoixdevraiteneffet
reveniràEmily.
Maisdéjàellegâchetout:
-Votrecoude.
Jelèvelesyeuxauciel,ôtemoncoudedelatableetmeredressesurma
chaise.Ilfautcroirequecertaineschosessontinaltérables.
Chapitre25
Longtempsaprèslafindudîner,niAlexniEmilynesontencorerevenus.Il
estpartilacherchercematin.Quepeuvent-ilsbienfaire?Emilyétait
seulementcenséedisparaîtreunenuit...etladeuxièmeapproche
dangereusement.
J'erredanslescouloirsdeHarksburycommeunanimalencage.Jetraverse
labibliothèque,lebureauetleschambresd'amis,etlacour.Jemerends
danslescuisines,puisdanstroisautressallesàmanger.
Qu'est-cequ'ilsfabriquent,àlafin?Pourquoiest-cesilong?Quesepasse-til?Ets'ilétaitarrivéquelquechosedefou?S'ilss'étaientfait...jenesaispas
moi,arrêter,oudévaliser,ous'ilsétaientmorts?Noussommesen1815.
Toutessortesdechosesinsenséespourraientseproduire.
Jemedemandes'ilssontallésdirectementvoirlepèred'Emily.Tousles
trois.MonDieu,ets'ilentraitdansuneragefolleetcriaitvengeance?
D'aprèsAlex,ilestd'uneextrêmesévérité.
Etsij'aiirrémédiablementgâchélavied'Emily?
Quefont-ils?Jenesupporteraipasunenuitdeplusàmeretournercomme
unecrêpe.Quececauchemarcesse.Jeveuxrentreràlamaison.Au
xxiesiècle,oùcegenred'enfern'arrivepas.
Lexxiesiècle.C'estàpeinecroyablequejen'yaieplusrepensécesderniers
temps.Lesdeuxpremiersjours,j'enétaisobsédée.Maisrécemment,j'aiété
tropoccupéeparlesfiançaillesd'Emily,lesinsultesd'Alex,leprotocoledu
dîneravecVictoria...J'aiplusoumoinsfiniparmelaisseremporterdans
toutesceshistoires.
Ilfautquejemecreuselesméningesquantàlasuitedesévénements.Jene
peuxpascontinueràvivreici.Rebeccadoitarriverdansdeuxsemaines.
Etcejour-là,monimpostureéclateraaugrandjour:toutlemondesaura
quejesuisuneusurpatrice.Ilfautàtoutprixquejetrouveunplande
secours,unestratégie.Etsurtout,commentsuis-jecenséerevenirdansmon
siècle?
C'estpeut-êtreabsurdedem'incrustercommeçamais,franchement,
quellessontmesautresoptions?Sijepeuxaumoinsmeconcentrersur
quelquechosedepositif,espéronsqueleresteserésoudratoutseul.
Pourl'instant,c'estl'impasse.
Jedéambuleactuellementdansl'aileestenregardantlestableaux,une
bougieàlamain;lamaisonestplongéedansl'obscurité.Cesontsurtout
despaysagesquisontaccrochéssurcemur.Debellescollinesverdoyantes,
devastesprésherbeux,desvallonsmajestueux.Çanesuffitpasàme
distraire,maisc'esttoutdemêmeintéressant.
Jecontempleunemerdémontéesefracassantcontredesfalaisesquandsa
voixmeparvient.Emily.Elleestrevenue.
Jesoulèvemesjupesetcoursversl'extrémitéducouloir;messouliers
résonnentlourdementsurleparquet.
Jedérapeaucoinjusteàtempspourlavoirmonterlapremièremarche
menantverssachambre.Ellem'entendetlorsqu'ellemevoit,sesyeux
s'éclairent.Jepousseunimmensesoupirdesoulagement.Sonvisagen'est
passtriédelarmes.C'estsûrementbonsigne,non?
-OùestAlex?
-Ilestpartis'entreteniravecmonpère.
Emilypinceleslèvres,etl'inquiétudeplissesonfront.
Jem'arrêteàquelquesmètres,aveclasoudaineimpressionqu'unmurs'est
dresséentrenous.
-Avais-tuoubliéqu'ildevaittedonnerl'autorisation?Jel'ignorais
complètement.Çanesepassepasainsi...cheznous.
Elleinspireprofondément,poursecalmer.
-Jesupposequedansmafébrilité,j'ainégligécetélément.
-Oh.
Jehausselesépaules,fautedesavoirquoifaired'autre.
-A-t-ilditquandilreviendrait?
-Dansdeuxjours.Ilfautunejournéedechevalpouratteindreledomaine
demonpère.Ildevras'arrêterdansuneaubergepourlanuit.
Ehbien.Ildoitsecoltinerunejournéederoutealleretretourplusunenuit
àl'hôtelàcausedemoi.Ildoitêtreravi.
-Etsinon,euh...comments'estpasséelasoirée?Tut'esbienamusée,au
moins?
-Oui.Nousavonsdînéauxchandelles,c'étaitmerveilleux.Trentnousavait
apportéundélicieuxpanierdepique-nique.
-Oh,c'estchouette!dis-jeavecunenthousiasmeforcé.Pourlapremière
fois,laconversationparaîtaffectéeetgênée,commesinousétionsdeux
étrangères.Jen'aijamaisvuEmilyavecunemineaussiinquiète.Sesépaules
etsonvisagetrahissentsatension,etellen'estpassurexcitéed'avoirpassé
unesoiréeavecTrent.
MonDieu,j'aicommisuneénormebévue.SiAlexnerattrapepaslecoup...
Bientôt,ellesauraqu'elleaconfiésavieàuneparfaiteinconnue.Etqueje
l'aitrahie.
C'esthorrible.
-Euh,bon...hem,jevaismecoucher.Jesupposequenousensauronsplus
demain,dis-je.
Ilvautmieuxquejem'éclipseavantdetoutluirévéler.
Ellehochelatêteetmontel'escalier.Jelasuis.Nousnousséparonssurle
palier,chacunesedirigeverssonaile.
Unechoseestsûre:jenedormiraipascettenuit.
Lesdeuxjourssuivantss'écoulentaveclenteur.Jenefaisquepasseren
revuetoutcequipourraitmaltourner,toutcequipourraitbientourner,et
toutesleséventualitésintermédiaires.
Etaumilieudetoutcela,jepenseàmavie.
Etsipendantcetemps-làj'étaisportéedisparue,danslexxfsiècle?S'ils
avaientlancédeséquipesderecherche,sitoutlemondecroyaitqueje
m'étaisfaitkidnapper?J'imaginemamèreauborddeladépression
nerveuse.J'aieutantdemalàlaconvaincredemelaisserfairecevoyage.
Elleculpabiliseraàmort.
Misère,elleseraobligéed'appelermonpère,aussi.Etelleahorreurdeça.
Etsijeréapparaiscommeunefleuraprèsunmoisd'absence,jesuiscensée
leurdirequoi?Désolée,jesuispartieenvacancesdansl'Angleterrede1815.
Jemesuisunpeufourvoyéedanscettehistoiredemariagearrangé,enfinvous
savezcommentc'est.Etjesuisalléeàquelquesbals,etj'aiportédescorsets,
toutça.Enfait,c'étaitplutôtmarrantcommeexpérience.Surtout,nevous
faitespasdesoucipourmoi,hein!
Elizaentredansmachambrependantquejesuisdéjàentraindeme
brosserlescheveux,assisesurletabouret.C'estlapremièrefoisquejelui
coupel'herbesouslepiedenmelevanttouteseule.Jecroisqu'elleadore
particulièrementcemomentdelajournée,quandjevoisavecquelélanelle
arrachelescouverturesetouvregrandslesrideaux.
-SaGrâcevousdemande.
Jemefige,labrosseenl'air.
-Quoi?
-Ildemandeàvousvoir,répète-t-elleenmeprenantlabrossedesmainset
enpoursuivantledémêlagedemescheveux.
-Ilestrevenu?
Ellefait«oui»delatête.
-Oh!
J'avalemasalive.L'heuredevéritéasonné.A-t-ilconvainculepèred'Emily,
ousavieest-elledéfinitivementgâchée?Va-t-ilmedirequej'aitoutfichu
enl'airetqu'ilavaitraison?
J'aiprisl'habitudeduritueldel'habillageetsuisprêtebeaucouptropviteà
mongoût.Monparcoursjusqu'aubureaud'Alexestceluid'unecondamnée
àmort.Jemedemandecequ'ilvamedire.Detoutemanière,ceneserapas
unepartiedeplaisir.
J'entredanssonbureau,maispersonnenem'annonceetilnemeremarque
pas.Alorsjeleregarde.
Ilestentraind'écrire.Avecuneplumeetdel'encre.L'encrierestposéà
côtédesamaindroite.Ilesttellementabsorbéqu'ilcontinuetrente
secondesavantdem'apercevoir.J'aieuletempsd'observerlafaçondontil
plisselesyeuxlorsqu'ilseconcentre,lepincementdeseslèvres.
J'aieuletempsdemedemandercequeçaferaitdel'embrasser.
Ausecours!Quem'arrive-t-il?Jeledéteste.Jeledéteste.Jen'aiabsolument
aucuneenviedel'embrasser.
C'estàcetinstantqu'illèvelatête,etjefaisdemonmieuxpourluisourire
sanstrahirmespensées.
-Asseyez-vous,jevousprie,m'invite-t-ilenselevant.J'obéisetjeprends
placesurlemêmefauteuilqueladernièrefois.Laporteresteouverte.
Jesuisassiseaussidroitequepossible,lesmainssurlesgenoux,lespieds
sagementréunis.L'influencedeVictoriadoitdéteindresurmoi.
Alexfaitletourdesonbureauets'yappuie,àmoitiéassis,encroisantune
chevilleetensepenchantenarrière.
-Vousavezdépasséleslimites.
Jeserrelesdents,durement,pourm'interdirederiposter.Jedoissavoiroù
ilveutenveniravantdeperdremonsang-froid.
-Vousavezmanigancédansmondosuncomplotbancaletterriblement
risqué.Jesuisoutré.
-Mais...
Illèveunemainpourmeréduireausilence.
-Jenevousraconteraipascequej'aidûfairepourconvaincresonpèrede
consentiràl'arrangement.VousavezdelachancequeM.Rallsmouth
disposed'unefortunesuffisantepoursubvenirauxbesoinsde
mademoiselleEmily,carellenerecevraplusriendemononcleàpartir
d'aujourd'hui.
Laseulechosequej'entends,c'estconvaincresonpère.
-Alors,çaamarché?
Unsourires'épanouitsurmonvisageetjebondissurmespieds.
-EllevaépouserM.Rallsmouth?
Alexs'écartedubureaupoursedresserdevantmoi.
-N'avez-vousdoncrienentendudecequejeviensdedire?Vousavez
commisdeterribleserreursdejugement.Vous...
-Maisj'avaisraison!Etgrâceàmoi,ellevaépouserl'amourdesavie!
Ilestdeboutenfacedemoi,àquelquescentimètres.
-Vousn'aviezpasraison!Vousvousêtesmêléed'affairesquinevous
regardaientaucunement!
Jeserrelespoingsetsensmacolères'enflammeretégalerlasienne.
-Vousmetenezpourquantiténégligeableparcequejenesuisqu'une
misérablefillesanstitredenoblesse!Maisilfallaitquequelqu'unréagisse,
etvousnelejugiezpasutile!
-Vousn'auriezjamaisdûintervenir,grogne-t-il.
-Vousn'auriezjamaisdûm'yobliger!jeriposte,enenfonçantundoigt
danssapoitrine.VousauriezdûêtreprésentpourEmilyquandelleaeu
besoindevous!
Enunéclair,ilcombleladistancequinousséparait.Seslèvresfrappentles
miennessivitequejenepeuxmêmepasfermerlesyeux.Sesmains
trouventuneplacedechaquecôtédemonvisageetm'attirent,etpendant
deuxsecondesetquatrecentièmes,jeflotteentrel'enviedefermerles
paupièresetcellederesterlàdebout,pétrifiée.Jenesaiscomment,c'estla
premièreenviequil'emporteetjefermelesyeux,ensentantmesgenouxse
déroberetenpressantmeslèvrescontrelessiennes.Jecessederespireret
saisissesmanchesdesdeuxmainspournepastomberàlarenverse.Ses
lèvressontchaudesetdouceset...
Etjeréalisecequisepasse.Quijesuisentraind'embrasser.
Vousn'êtespasunelady,a-t-ildit.
Laphrasemeblesseautantmaintenantqu'aumomentoùill'aprononcée.À
sesyeux,jesuisunemoinsquerien.
Qu'est-cequejefabrique?Jemerejetteenarrièreetmeheurteaumuravec
grandfracas.Ilrouvrelespaupières.
-Je...euh...
Jebredouilledeuxmots,puispivotesivivementquemesjupestournoient
autourdemesjambesetjedoisattendrequ'ellesretombentavantdeme
précipiterhorsdelapièce.
Chapitre26
C'estquoicedélire,qu'est-cequiluiaprisdem'embrasser?Etpire,qu'estcequim'aprisd'aimerça?Ilest...arrogant,critiqueetélitiste.Seulsles
aristocratessontdignesdelui.
Zutàlafin,jesuistropbête!Commenta-t-onpupasserdelagrandescène
duduoàunbaiser?
L'estomacnoué,jevaisdroitchezEmily.Elleestassisesurlagrande
banquettedevantlafenêtreetcontemplelacourquandjefaisirruption
danssachambre.Enquelquespas,jesuisàcôtéd'elleetj'annonce:
-Tuvastemarier.
J'essaiedeparaîtregaieetnormalealorsquetoutchavireàl'intérieuràune
tellevitessequejesuisàlalimitedelanausée.
Ellerelèvelesyeuxetmefixe,sansexpression.
-Çaamarché.Alexaconvaincutonpère.
Ellepousseuncrietmeserredanssesbras.Sonvisages'illumine,fendu
d'unsourirequicourtd'uneoreilleàl'autre.
-Quelbonheur!
Elleselèved'unbondetselancedansunedanseadorable,enpirouettant
indéfinimentjusqu'àcequesesjupesressemblentàunetoupie.Puiselle
retombe,essoufflée,surlabanquette,etjevoisqu'ellealatêtequitourne.
-Commentpourrai-jejamaisterendrecequetuasfaitpourmoi?
-Comment?
Jen'aipasentenducequ'ellevientdedire.Jesuistropoccupéeàpasserles
doigtssurmeslèvrespourcalmerlasensationdepicotement.
Monpremierbaiser.C'étaitmonpremierbaiser.Etc'estunduc.J'ai
embrasséunduc.Sansrienvoirvenir,enplus.J'aitoujoursrêvédubaiser
auralenti,sousleporchedevantchezmoi,enrentrantdenotrepremier
rendez-vous-ouunscénariodanscestyle.J'imaginaisletrac,l'attirance,
l'attente...Maisçaaétéaussisoudainqu'inattendu.C'estcomplètementfou.
-Çanevapas?medemandeEmily.
Sesyeuxnoisettesontdouxetexpressifs,ondiraitquejem'apprêteàme
déchargerdupoidsdumondeetqu'elleestheureuseàl'idéedeleporter.
-Je...jenesaispas.J'essaiedecernertoncousin.Toutcequ'ilafaitjusqu'à
présent...etpuis...jen'arrivepasàcomprendrequelgenredepersonneil
est,voilà.
Ellesecontentedesourireetd'attendre,commesiellesavaitqueje
continueraidèsquej'auraitrouvélesmots.
-C'estjusteque...àlasoiréechezlesPommeroy,ilaessayédedireàcet
autrenoblequejen'étaispasfréquentable.Illuiaconseillédedanserplutôt
avecunedame.Genre,jenevauxriensousprétextequejesuisunevulgaire
roturière.
Emilyfroncelessourcils.
-Celaneluiressemblepas.Jesuissûrequ'iln'ajamaisvouluteblesser.
-Maisc'étaitatrocementpédant,etchaquefoisquejemedisqu'ilmérite
peut-êtreunechance,j'yrepenseetjeréalisequec'estungoujat.Pourquoi
allerdireàcelordBrimmonquejenesuispasassezbienpourlui?
Elletournebrutalementlatêteversmoi.
-Ils'agissaitdelordBrimmon?
J'acquiesced'unsignedetêteetm'étonnedesaréaction.
-Pourquoi?Quelleimportance?Emilyhésite,etj'insiste:
-Dis-le-moi.
-Brimmonauneréputationdedébauchédanslemeilleurdescaset
d'escrocdanslepire.SiAlexavoulul'empêcherdedanseravectoi,c'était
pourprotégertonhonneur,nonlesien.
J'enrestecoite.Ceseraitpossible?J'auraispumetrompersursoncompte?
Vastesoupir.Jemesuisvraimentfourvoyéeàproposdecetteépoque.Je
jugeAlexàcausedecetteremarquedepuisl'instantoùill'aprononcée.
-Donc...çan'avaitrienàvoiraveclefaitquejesuisquantiténégligeable?
Emilyéclatederire.
-Granddieu,non.Tuessonhôte.Commentpourrait-ilenêtreainsi?
-Oh.Maisensuiteiladitqu'ildansaitavecmoiparcequec'étaitbienséant.
Parcequej'étaissonhôte,justement,etquec'étaitsondevoir.Àl'entendre,
unesalebesogne.
Emilysembletrèsamusée.
-BiendeshôtesontétéaccueillisàHarksbury.Alexadansétrèsexactement
avecuneseuleinvitée.Toi.
-Oh.
Jecontemplemesmainsetessayedecontenirunirrépressiblesourire.
Impossible.Déjà,ililluminemonvisagetoutentier.
Alexadanséavecmoiparcequ'ilenavaitenvie.Paspardevoir.
Est-ilréellementpossiblequ'ilnesoitpasceluiquejecroyais?
-Ehbien,maintenantquej'aitoutgâché...
Jemetais.JenesuispasprêteàadmettrelebaiserbâcléavecAlex.
-Ilvameprendrepourunefoldingue.
Elleplisselefront.Jenesaispassielles'interrogesurcequis'estpassé
entreAlexetmoiousurcequ'estunefoldingue.
-Jesuisconvaincuequ'ilnepenseraitjamaisunechosepareille.
J'aimeraispouvoirlacroire.Maislavérité,jelaconnais:Alexne
m'embrasseraplusjamais.
Etpourtant,j'enaifurieusementenvie.
Chapitre27
Cen'estqu'uneheureplustardqu'uneservanteentredansmachambre.Et
quandellem'annoncequeleducm'inviteàfaireunepromenadeàcheval,je
suisenvahied'émotionsbizarrementcontradictoires.Malgrémafuite,ila
encoreenviedemevoir?
Qu'est-cequisepasseentrenous?Etpourquoij'aisidésespérémentenvie
qu'ilyaitquelquechose?Jenedevraisriendésirer.Pasavecuntypecomme
lui.
Enfin,jel'avoue,j'aifaitfausserouteàproposdel'enfantillégitimeetde
lordBrimmon,maisl'individucontinueàpenserquejenedoisavoirni
opinionsnimonmotàdiresousprétextequejesuisunefille.Pourluij'ai
uneplace,etelleestderrièreungarçon.
Aurayoncontrariétés,jen'arrêtepasderepenserànotrebaiser.Le
momentoùjemesuiscognéecontrelemurdansmonimpatiencedeme
sauverestl'apothéosedelascène,jemelerepasseinlassablementdansma
tête.
Lorsquej'approchedel'écurieetqu'ilseretourneversmoi,pasmoyende
luttercontrelafièvrequimebrûlelesjoues.Ilseplaceàcôtédemon
cheval.Impossibledeleregarder.Jesuistellementgênéequejefixel'étrier
commes'ilexigeaittoutemaconcentration.Va-t-ildirequelquechose?
S'excuserdem'avoir...embrasséeàlahussarde?Peut-êtreques'ilmetle
sujetsurletapis...s'ils'excuse,jepourraim'excuseraussi.Dem'être
sauvée.C'étaitsisoudainquej'airéagiinstinctivement.
Maisilgardelesilence.Ilm'aideàmonter.J'yarrivedupremiercoupetje
mesensassezfièredemoitandisquej'arrangemajolierobepourqu'elle
tombeélégammentsurmeschevilles.Dumoins,jusqu'àcequejelevoie
grimpersursonchevaletréaliseàquelpointilrendlachosegracieuseet
facile,etpourtantsamonturesedérobealorsqu'iln'estmêmepasencore
dessus.
Nouslongeonsl'écurie,etenjetantuncoupd'oeilàl'intérieur,j'aperçois
l'undespalefreniersquimontreàl'autrecommentfairelerobot,lesbras
raidesetpliesdefaçonextravagante,latêtependante.Jedoismemordre
l'intérieurdesjouespourm'empêcherderireenvoyantlessourcilsd'Alex
sehaussersihautqu'ilsatteignentpresquelaracinedesescheveux.
J'aimebienlevoircommeçaprisaudépourvu.C'estmignon.Çamedonne
enviedefaireuntruccomplètementfou,rienquepourvoirsonexpression.
Nouspassonsdevantlamaison,lesjardinsetlesbaiesvitréeset
l'imposanteentréeprincipale,puisnousnousengageonsdansl'allée.Deux
garçonsd'écurienoussuiventpourservirdechaperons,maisjem'ysuis
habituée.Çanemechoqueplus.Aujourd'hui,Alexveutrendrevisiteàunde
sesmétayers,sij'aibiencompris.
Çavaêtreunejournéedélicate.Desjoursdurant,jemesuisempêchée
d'admettrequ'ilmefaisaitcraquer,etjesuisbienobligéedemerendreà
l'évidence:enfait,ilmeplaît.C'estincroyable.Commentpeut-ilmeplaire?
Etpourquoi?
Etpar-dessuslemarché,tôtoutardjedevrailuiavouerlavéritésurmon
identité.Cenuagenoirplaneau-dessusdetoutcequejefais,lamenacede
l'instantoùcemondemeseraarrachéparcequ'Alexettouslesautres
saurontquejenesuispasRebecca.Commentcelapeut-ilm'angoisseràce
point?Pourquoiya-t-ildesmomentsoùj'espèrequejepourrairesterici
longtemps,trèslongtemps?
L'avantagedechevauchersuruneroute,c'estqu'onpeutêtrecôteàcôte.
Alorsquenousavançonssurunchemindeterrebordéd'arbres,jenepeux
m'empêcherdepenserquejepréfèreêtreici,maintenant,quen'importeoù
ailleursaumonde.Ilfaitbeau,maisunpeuplusfraisquelorsdenotre
précédentesortieetjenesuepassangeteau.Alexporteunesuperbe
redingoteavecunequeuedepiequiflottechaquefoisquelabrises'y
engouffre.
-Sivousdesserrezlesrênes,ellenemordrapassifortsurlemors,observe
AlexunefoisquenoussommeséloignésdeHarksbury.
Jeregardemajumentetlavoisquiserrelesdentsautourdelabarreen
métaldanssabouche.Jel'entends,commedesonglessuruntableaunoir,
maisj'hésiteàluidonnerdumou.
-Vousmepromettezqu'elleresterasage?
Ilm'adresseunregardsolennelethochelatête.Jetrouveçagentilqu'ilne
semoquepasdemapeur.Jerelâchequelquescentimètresderênes,etle
grincementdedentscesse.Lajumentétireunpeulatêtemaissans
accélérerl'allure.
Soulagement.
JelèvelatêteversAlexetvoisqu'ilmedévisageavecunpetitsourire
amusé.Sesyeuxétincellentsouslerefletverdoyantdelavoûteforméepar
lesarbressouslesquelsnouscheminons.Lecontrasteaveclacolèrequej'y
aivuecematineststupéfiant.Sesmainssontposéessurlacrinièreluisante
desoncheval,seshanchesondulentaugrédesmouvementsdesamonture,
beaucoupplusgrandequelamienne.Pasungraindepoussièresursa
redingote,pasunfauxplisursacravateamidonnée.
-Avez-vouslemaldupays?medemande-t-il.
Moncœurmanqueunbattement.Ilsait.Ilmedemandesilexxiesiècleetles
Starbucksetlesvoituresetl'électricitémemanquent.
MaisjeréalisealorsqueRebeccan'esticiqu'envisite.
-Oh!Euh,oui.
Onestamis,maintenant?Pourquoitoutçadoit-ilêtreaussicompliquéet...
excitant?
Etpourquoinefait-ilmêmepasallusionàcequis'estpassétoutàl'heure?
Ilnepeutpasjustedirequelquechose?Horsdequestionquecesoitmoi
quiabordelesujet.Jel'aisurleboutdelalangue,maislesmotsneveulent
passortir.
-MaisvousaimezHarksbury?
Quemedemande-t-ilvraiment?Sij'aiaiménotrebaiser?Sijeregrettede
m'êtreenfuie?
Jeleregardelonguement,droitdanslesyeux,laissantmajumentgrignoter
quelqueshautesherbesetl'obligeantàs'arrêter.
-Oui.Jecroisqueçavaêtredifficiledem'enaller.Ilhochelatêtesansme
quitterdesyeux.J'ail'impressionqu'ilpasseentrenousbeaucoupplusde
motsqueceuxquenouséchangeons.Soudainjesuisàdeuxdoigtsdelaisser
échapperdestasdechosesquejenedevraispas.
Jerelèvelatêtedelapetitejumentet,sanslevouloir,jelaserretropfort
avecmespieds.Ellefaitunbondenavantetjedoissaisirledevantdela
sellepournepastomber.Demamainlibre,jetiresurlesrênesetelle
reprendunealluretranquille.Alexsetournedenouveauverssoncheval.
-Queferez-vousenrentrantchezvous?demande-t-il.
-Je...ehbien,jen'ensuispascertaine.Jenevoisplustoutàfaitleschoses
souslemêmeangle,àprésent.Qu'enarrivantici.
Ilapprouvecommes'ilcomprenait,maisc'estimpossible.J'aienviedelui
raconterqu'Angelaetlesautresm'ignoraient,avant.J'aienviedelui
raconteràquelpointj'étaisinhibée,combienj'avaispeurd'êtremoi-même.
Qu'enachetantceschaussures,cequejevoulaisenfaitacheter,c'étaitle
respectd'Angela.J'aienviedeluidirequemêmesijecomprendstoutça
avecunerelativeobjectivité,jesaisquejemesentiraiencoremalàl'aiseet
gaucheensaprésence.QuejecontinueraiàexhibermesPradaenespérant
qu'ellelesremarquera.Pourquoi?Mystère.
Maisilgardelesilence,etlesmotsnemeviennentpas.Celavaut
probablementmieux.Ilmecroitpeut-êtrecourageuseetintelligente,
commeRebecca,etçagâcheraittouts'ilsavaitlemalquejemedonne,et
qu'envéritéjefonceàl'aveuglette.S'ilconnaissaitlavraieCallie,ellene
l'intéresseraitabsolumentpas.
MonDieu,qu'est-cequejeraconte?Jenel'intéressesûrementpas.Ce
baiserestarrivéparhasard,danslefeudel'action.Çaneprouvepasqu'il
m'aimebien.
Nouspassonsdevantunchampoùpaissentdesmoutons.Leurlaineaété
tondueetilsparaissentminusculessurleurspetitespattesfragiles.Nous
longeonsensuitedesrangéesdeculturessoigneusementalignées,puis
franchissonsunpontetunpetitruisseaudanslequelsereflètelesoleil.
Nouspassonssurdesrochersquelesrouesdescarriolesetdesvoituresont
renduslisses.Nousrestonssousl'ombrefraîchedesaulnesetdesérables...
Deuxheuresplustard,nousnousarrêtonsaubord
delaroute,aumilieudechampsdemaïs.Alexfaitvoltersonchevalet
contemplelesrécoltespendantunlongmomentsansriendire,etje
n'entendsquelemugissementlointaind'unevache.Puisils'apprêteà
repartirdansladirectiond'oùnoussommesvenus.
-Êtes-vouscensé,jenesaispas,voirquelqu'un,aujourd'hui?
Ilinclinelatêtedecôtéetmesourit,commes'ilsavaitqu'ilavaitétéprisen
fautemaisqu'ils'enmoquait.
-Pasvraiment.Certainsjours,j'aisimplementenviedemonteràchevalet
d'admirerlesterrestellesqu'ellesm'ontétéléguées.J'aipeurdenejamais
toutvoir.
-Oh.
Nousfaisonsdemi-touretrepartonsversHarksbury.J'aimebienlafaçon
dontilsedétendquandilestloindelà-bas.Jecommenceàcomprendre
d'oùluivientsarigidité.Pourquoiilestsicoincé.
Lemondereposesursesépaules.Alorsqu'ici,iln'yaquenous.Ungarçon
etunefille.Quifontducheval.Quiprennentdutempspoureux.
-Merci,dit-il.Hein?
-Dequoi?
Iltortillesesrênesdanssamain,silongtempsquejemedemandes'ilm'a
entendue.C'estlapremièrefoisquejelevoismalassuré.
Onn'entendquelegrattementdessabotsdeschevauxsurlaterreduréet
lescailloux.
-D'êtrecellequevousêtes.Vousnevoussoumettezpasauxprescriptions.
Passivousn'êtespasd'accord.Vousvoyezleschosestellesqu'elles
devraientêtreetnontellesqu'ellessont...etcelamedonneenvied'enfaire
autant.
Jelecontemple,éberluée.OùestpasséAlexetquiestcetype?
-Jen'aijamaisrencontrédejeunefillequime...remetteencausecomme
vouslefaites.Etjemerendscomptequecelaamodifiémonjugement.
Ilrelâchelentementsonsouffle.
-Jen'auraispasdûéleverlavoixcematin.Jesuisnavré.
Jemanquem'étrangler.D'aborduncompliment,etmaintenantdesexcuses
?
Maisils'excused'avoircrié.Pasdem'avoirembrassée.Qu'est-cequeça
signifie?Iln'estpasdésolédem'avoirembrassée?
Unesensationdechaleurserépandàtraversmoietjenepeuxpas
m'empêcherdesourire.Bizarrement,aprèstoutescesconfrontations,j'ai
gagnésonrespect.Enprenantfaitetcausepourquelquechose.Pour
quelqu'un.
-Euh...ehbien,merci.Admettriez-vousparlàquejeconnaispeut-êtreune
oudeuxchosesquevousneconnaissezpas?
Jeluisourisetleregardedroitdanslesyeux.C'estça,flirter?
-C'estpossible,répond-ilenmerendantmonsourire,l'airamusé.
J'aimeraisquecemomentdureindéfiniment.Maiscen'estpaspossible.
Alexsepenchepourflatterl'encolureblancheetlustréedesoncheval,
d'unedesesmainsgantéesdedaim.
Dis-le.Dis-luijustequ'ilteplaît.
Ilrelèvelatêteversmoietjedétourneleregardpourfixerl'horizon.Tume
plais.
Non,jen'yarrivepas.Lesmotssontbloquésquelquepartdanslefondde
magorge.
-Jecroisquemamèreaimeraitdonneruneréceptionenl'honneurd'Emily,
pourcélébrersonmariageimminent.
-C'estvrai?C'estgentildesapart.ElletrouvaitquelordDenworthluiétait
mieuxassorti.
Jemetournedenouveauverslui.Pourquoinepuis-jeendétachermesyeux
?Pourquoin'ai-jequ'uneenvie,leregarderetsouriretoutelajournée?
Sansrelever,ils'éclaircitlagorge.Ilal'air...malàl'aise.Çaneluivapas.
-J'aimeraisbienquevousayezunerobe.Pasunedecellesd'Emily.Une
robeàvous.
Jecroisquemoncœurcessedebattre.
-Jenedoutepasquej'entrouveraiunetrèsbienparmicellesd'Emi...
-Macousinerecevraégalementunenouvellerobe,dit-ilrapidement.Vous
verrezlacouturièredèsnotreretour.
-Ah!Ehbien...D'accord.Jeveuxdire,merci.
Jetoussesansenavoirbesoin,histoiredemedonnerunecontenanceetde
mettremamaindevantmabouchepourqu'ilnevoiepasmonsourire
catégoriecentpourcentniais.
Ilhochelatêteetjelaisselaconversationretomber.Cedoitêtrel'undes
dialogueslesplusforcésquej'aievécusdepuismonarrivée,alorsqu'on
parletoutsimplementchiffons.
Alexm'offreuncadeau.Unerobe.Unerobesurmesure.Est-cequeça
m'arriveraencoredansmavie?C'estcarrémentlafolie.
Maispourquoifait-ilça?Est-ceunesortedecadeauàlaVousmeplaisez
gentedemoiselleetjesuiscontentqu'onsesoitembrassés?Maisilenoffre
uneaussiàEmily.Çanesignifiedoncsûrementriendeparticulier.
NousrentronsàHarksburyaprèsaumoinscinqousixheuresd'absence.
Nouscontournonslamaisonpourrejoindreunpalefrenieràl'arrière.Alex
luitendsesrênesetavanceversmoncheval,etquandjeréalisequ'ilva
m'aideràdescendre,j'aiuntracinsensé.
Jedécrochemajambedelafourcheencuiretmetrouvefaceàlui.Illèveles
mainsversmeshanchesetm'aideàglisseràterre.
Résultat,jemeretrouveplusprochedeluiquecematinpendantnotre
baiser,mondoscontreleflancduchevaletmesmainssurlessiennes,làoù
ellessontposéesprèsdemataille.Est-cequejerespireencore?Ilestsi
proche,àmetoiserdesahauteur.Est-cequ'ilvaencorem'embrasser?
Oh,monDieu...est-cequ'il...?
Est-cequejesuiscensée...?Pitié,faitesquecesoitunremakedelascènede
cematin.Ehlà,minute!Ai-jeréellementenviedel'embrasser?Qu'est-ce
quimeprend?Oh,tais-toietlaisse-toialler.
Jemehissesurlapointedespiedsetm'approchelégèrementdelui,cédant
àl'attirancemagnétiquequ'ilexercesurmoidepuisl'instantoùjel'ai
rencontré.Aumomentoùjefermelesyeux,jelevoisquirecule,etjeme
retrouveentraindemepencherverslevide.Ilestdéjààunoudeuxmètres
quandjemeredresse.
Cen'étaitpascequiétaitcenséarriver.Ilmefixe,leslèvreslégèrement
entrouvertes,avecuneexpressionévoquantvaguementdel'inquiétude,et
jeneveuxpasleregarderassezlongtempspourladéchiffrer.Est-il
embarrassé?Dégoûté?
J'ailevisagepivoineàtendanceviolacée.J'allaisvraimentl'embrasseretila
toutbonnementreculé.
-Je...
Jenetrouverienàdire,alorsjemarmonnequelquechosedustyle«àtoutà
l'heure»,puisjerassemblemesjupesetmesauve.Lefloptotal.Ne
cherchezpluslareinedessacsdenœuds:c'estmoi.D'abord,jedétale
quandilessaiedem'embrasseretquelquesheuresplustard,jechange
d'avisetc'estmoiquimejetteàsatête.Jepeuxdifficilementêtreplus
énigmatique.
Chapitre28
Lesjoursquisuivent,lesdomestiquess'absorbentdansunbourdonnement
d'activité.Ilsbattentlestapisetfontreluirelesrampesd'escalier,lessivent
lessolsetlaventlesrideaux,taillentleshaiesetépoussettentlestableaux.
Etchaquefoisquejecroislesavoirtousrepérés,j'enaperçoisquelques
autres.Jecroisqu'ilsdoiventfinalementêtreunesoixantaine.
Soixantedomestiques.C'estinsensé.IlfautdirequeHarksburyne
ressemblepasauxmaisonsdecheznous.Ici,pasdemachinesàlaveroude
chauffe-eau.Ilfautbienquequelqu'unfasseletravail,mêmemonterl'eauà
l'étagedanslapetitecuvettequej'utilisepourmatoilettelematin.
Emilyetmoinousrendonschezlacouturièreenville.C'estlapremièrefois
quej'yretournedepuislelendemaindemonarrivée,etcettefoisj'arriveà
apprécierlepaysageetàm'intéresserdavantageauxalentours.Les
boutiquessontravissantes,alignéeslesunesàcôtédesautres,avec"des
vitrinesclamantfièrementcequ'ellesrenferment.Boulangerie,boucherie,
forgeron,chapelier.Desdamessepromènentsurlestrottoirs,uneombrelle
àlamain.Delapoussièresesoulèvedanslarueaupassagedesvoituresà
chevalauxrouesgrinçantes.
Emilydescenddelacalècheavecl'aidedeladomestique,déjàperduedans
sesrêvesdenouvellerobe.
-SiseulementSaGrâcenousavaitlaissédavantagedetemps.J'aurais
beaucoupaimévoirlesdrapiersdeLondres.Ilssontcertainementplusau
faitdesderniersmodèles,sansparlerdeleuréventaild'accessoires.
Jehochelatête,sansriencomprendreàcedontellemeparle.Nous
traversonslaruepleined'ornièresetellecontinueàbabillerausujetdeses
vêtements,etnousentronsdanslaplusgrandeboutiqueducoindelarue.
Malgrélaporteouverte,ilfaitunpeuétouffantàl'intérieur.Mesyeux
s'accoutumentàlapénombredelavastesalleetjevoisunefemmeaux
cheveuxclairsvêtuedegrisquis'approcheetnoussalued'uneprofonde
révérence.
-MademoiselleThorton-Hawke,mademoiselleVaughn,enchantéedevous
rencontrer.
Emilyetmoiluirépondonsparuneautrerévérence.J'assure,maintenant.Je
croiseunejambederrièrel'autreetpenchelebustejusqu'àcequemes
jupesbouffentunpeuautourdemoi,puisjemerelève.Çapeutparaître
bizarre,maisjecommenceàappréciercesmanièresformelles.C'estun
témoignagederespect,unechosequelesgensnefontplussouvent.
Ellenousprécède;nouspassonsdevantdeuxjeunesfemmesquicousent
tranquillementderrièredecharmantspetitsbureaux,etarrivonsdevantun
murd'étoffes,debrocartsetderouleauxdesoieetdesatin,qui
dégringolentjusqu'àterreenformantunarc-en-cieldecouleurs.
-Jecrainsquenotresélectionnesoitquelquepeulimitéeaujourd'hui.
J'attendsunelivraisondenouveauxmodèlesenprovenanced'Amérique
dansquatrejours.
Mabouchedevientsèche.
-D'Amérique?
-Oui.LacompagniemaritimedubaronGaversons'estprocurécertaines
dessoieslesplusraffinéesenprovenancedesIndes.Dumoins,c'estcedont
ils'estvantéàquivoulaitbienl'entendre.
-Tonnaviren'appartenait-ilpasàlacompagniedeGaverson?medemande
Emily.
C'estlacata.Unbateaud'Amérique.Unbateaudelacompagniedont
RebeccaavaitparléàEmily.
C'estelle.Ellearrive.Dansquatrejours.Lelendemaindubal.Etencore,sile
navireestponctuel.Allezsavoir,elleestpeut-êtredéjàlà!
Letic-tacdel'horlogevientdesetransformerenbombeàretardement.
Jem'agrippeaubordd'unetablepoursoutenirmesgenouxdéfaillants.
Emilyn'apasremarquémonbouleversement,maisjesuissûrequemon
visagedoitêtrelivide.
Lafemmenousmontrelesrouleauxdetissu.
-Ehbien,avez-vousuneidéedecequevoussouhaiteriez?
-Delasoierouge,déclareaussitôtEmily.Lebalestdonnéenmonhonneur,
jepeuxmepermettred'attirerl'attention.
Lamodistehochelatêted'unairsatisfait.
-Etvous,mademoiselle?
Jehochelatêteaussi,lesyeuxdanslevague.
Quatrejours.Etaprès?Tantquejeneconnaissaispasladatedeson
arrivée,jepouvaisfaireabstractiond'elle.FairecommesilavraieRebecca
neviendraitjamais.
Maislaréalitévientdemerattraper.Lechocestbrutal.Jen'aiaucunplan.
Toutvavolerenéclatsdansquatrejours.
-Detouteévidence,vousn'envisagezpasdevouscoordonner,ditlafemme.
-Pardon?
Jerelèvelatête.Ellesm'observenttouteslesdeux.
-MlleEmilyachoisilasoiecramoisie.Savez-vousquellecouleurvous
tenterait?
-Oh,émeraude,dis-jesanshésitation.Celle-ci.
Jeneluidispaspourquoi.Jeneluidispasquec'estexactementlacouleur
desyeuxd'Alex.
Jeneluidispasquelleexpressionaurontcesyeuxdansquatrejours,
lorsqu'ildécouvriramatraîtrise.
MonDieu,commentai-jepulaisserfilerletemps?Pourquoiai-jepenséque
jepourraisparaderindéfinimentsousl'identitéd'uneautrefille?Jesuis
tropbête.Lechâteaudecartesvas'effondrer.Ilsvontsûrementm'arrêter
etmemettreenprison.
Mavies'arrête.
Lacouturièreopinedelatête.
-Avancez,jevaisprendrevosmesures.
Emilymefaitsignedepasserlapremière,etjemontesurunpetitescabeau.
Lafemmesemetautravailetmesuremataille,meshanches,montourde
taille.Elleneparlepas.Ellesoulèvemesbrasetdéplacematêtecommesi
j'étaisunchevaletnonunhumain.Jesupposequecelavautmieux,carsi
elles'adressaitàmoi,jenel'entendraismêmepasàcausedurugissement
demoncœur.
Pendantqu'elleprendlesdimensionsd'Emily,celle-ciluidonneses
instructionsconcernantlesdernièresmodesdelasaison,luiindiqueà
quellelongueurexactementellevoudraitl'ourletdelarobe,etlegenrede
décolletéqu'ilfaut.Bienquej'écouted'uneoreilledistraite,jemerends
comptequ'elleauneopiniontrèsarrêtéequantàcequ'elledésire.Elleest
parfaitementdanssonélément.Personnellement,mêmedansdes
circonstancesnormales,jepourraisdifficilementêtreàlahauteur.
LamodisteconduitEmilyversunerangéedetiroirsetellescommencentà
choisirles«garnitures»,apparemmentdeladentelle,despassepoilsetdes
boutons.Jen'entendspaslamoitiédecequ'ellessedisent.
Jenesuiscapablederiend'autrequedecontempler
lesolalorsqu'uneaffreusedéchiruremetordleventre.J'aiquatrejours
devantmoi,ettoutcecis'arrête.Quatrejours.
Enfin,nouspartonsenpromettantderevenirdeuxjoursplustardpourun
essayage,etjenesaismêmepascequej'aicommandé.Jecroisquelesmots
«surprenez-moi»ontfranchimeslèvres.
-C'estvraimenttontruc,lamode,n'est-cepas?dis-jeàEmilyenremontant
danslacalèche.
Ilfautquejepenseàautrechose,quejetiennelapaniqueàdistance.Le
soleilbrilleetjepenchelatêteenarrièrepourlaissermonvisagesavourer
sachaleur.
-Oh,oui.Monpèreatenuàcequej'aieunbeautrousseaupourmesdébuts
danslemonde,etjemesuisdécouvertunevéritablepassionpourlamode.
-Tudevraisêtrecouturière.Emilyglousse.
-Unejeunefilledebonnefamillen'apasàexercerdemétier.
Jerelèvelatête.
-OncroiraitentendreAlex.Franchement,tucroisquetuserasheureusede
tecontenterd'êtreuneépouseetunemaîtressedemaison?
Larésolutionfaiblitsursonvisage.
-Qu'est-cequecelapeutfairesil'onn'estpascenséavoirunmétier?La
modeestmanifestementunepassionpourtoi.Depuismonarrivée,tu
prendsplaisiràm'habiller.D'ailleurs,tun'espasobligéed'avoirune
boutiqueenville.Tupeuxpeut-êtreinventerdenouveauxmodèlespourtes
amies,parexemple?
Sonexpressionchange.J'ylisunespoiréperdu.Ohnon,pourquoifaut-il
encorequejeluimettedesidéesdanslatête?
Aumomentoùlecochers'apprêteàpartir,Emilyluidemandedes'arrêter.
Puis,avecungrandsourireetsansautreexplication,elleretourneen
courantdanslaboutique.Jelafixeavecdegrandsyeux.Malheur,j'aicréé
unmonstre.
Quelquesminutesplustard,ellerevientetprendplacedanslavoiture.
-J'aiexpliquétrèsprécisémentàlacouturièredequellefaçonelledoit
confectionnertarobe.Tuseraslapremièreàporterl'unedemescréations.
-Oh,merci,dis-jesanstropsavoirquoipenser.
Quelquechosemelaissecroirequecebalvaêtrelasoiréelaplus
importantedemavie.
Oupeut-êtretoutsimplementladernièresoiréedemavie...
Chapitre29
Étrangèreàl'effervescencequiagitelerez-de-chaussée,machambrereste
silencieuse.Jepasseuneheuredanslabaignoire,laissantpénétrerdansma
peaul'essencederoseparfuméeetrefroidirl'eau.Lespiedsposéssurle
rebord,lanuquecalée,jefermelesyeuxetrêvequecettenuitvadurer
éternellement.
Quatresemaines.Jesuisrestéeiciquatresemaines.
Hier,enretournantchezlacouturière,j'aiapprisquelenavireen
provenanced'Amériqueavaitdéjàétérepérédepuislacôte.Ilarrivedans
lestemps.Demain,Rebeccaseralà.
Lesmensongesquej'aiamoncelésautourd'Alex,d'EmilyetdeVictoriavont
s'effondrer.Jenesaispascequejedoisfaire.Simplementattendrequ'elle
sepointeetrévèlemonimposture?Lesavertir,etrisquerdemefairejeter
dehorsavantmêmed'yêtreobligée?
Est-cequ'ilsmechasseraient?Jen'aipasd'argent.Nullepartoùaller.
Voilàpourquoicettenuitdoitdureréternellement.
Afinquelematinneselèvepasetquejen'aiepasàprendreunedécision
pourlaquellejenesuispasdutoutpréparée.
Emilyvoulaitquenousnoushabillionsencoreensemble,maisj'aienvie
d'êtreseule.Auprèsd'elle,jesuissûrequejevaiscracherlemorceau.Lui
balancerquejenesuisqu'unementeuseetquesavéritableamieva
débarquerd'uneminuteàl'autre.Luidirequejeneméritepassonamitié.
Jen'aipasencoreexaminémarobe.Elleestarrivéedansuncartonquiest
posésurmonlit.
QuandElizaentre,jesors{contrecœurdel'eautièdeetprendslepeignoir
qu'ellemetend.Jevaisverslacoiffeuseetm'assiedsensilencetandis
qu'ellemetirelescheveuxetlesenroule-tropserrés-dansdesbigoudis.
Ellemepoudrelevisagemaisjerefusetoutautremaquillage.
J'enfilelecorsetetlesfinssous-vêtements,etjemelèvependantquema
bonnesortdélicatementlarobedesonemballageetladrapesursonbras
telleunescintillanteétendued'émeraude.Moncœurs'accélère{savue.
C'estlasoiréedemavie.JevaisdanseravecAlex.Jevaisleconvaincrede
m'embrasserencoreetcettefois,jenemedéroberaipas.
Cesoir,jeseraiCendrillon,cardemainjeredeviendraiCallieetlabelle
histoireseraterminée.Jeseraiànouveauseule,aulieudepartagerles
repasd'uneduchesse,deflirteravecunducetderompreetréarrangerdes
fiançailles.
Salutlacompagnie.
Jepasselesbrasau-dessusdematêteetElizafaitglisserlarobesanseffort
surmeshanches;elletombejusqu'ausol.Jedevineenvoyantl'expression
d'Elizaqu'elleestparfaite.Saboucheformeunminusculeoetsesyeux
s'agrandissent.
-Commeelleestbelle,mademoiselle.
Elleseplacederrièremoi,resserrelescordonsetajustelesmanches,puis
elleretourneverslecartonetensortdeuxlongsgantsd'unblancéclatant.
Jelesenfile,lasoiefraîchegainemesavant-brasjusqu'auxcoudes.
Jemerassois;Elizadéfaitlesrouleauxdemescheveuxetsemet{l'œuvre,
s'affairantsurlesbouclesavecdouceurpourlapremièrefoisdepuismon
arrivéeàHarksbury.Commesiellesavaitquecettesoiréeestdifférente,
commesilarobeluienavaitmontrél'importancecapitale.
Enbas,larumeurdesinvitésvacroissant.Parlafenêtre,j'entendsles
chevauxqu'onamèneàl'écurie.Jemesensincroyablementdétachéede
tout,déjà.J'essaiedem'obligeràmedirequedemain,jeneseraipeut-être
plusici.Dèsqu'ilsconnaîtronttouslavérité.DèsqueRebecca,enchaireten
os,frapperaàlaporte.Jedevraismeréjouirqu'ellenesoitpasarrivéeen
avance,maistoutcequejesouhaite,c'estqu'ellen'arrivepasdutout.
Jemedemandesijeluiressemble.Jepariequesijelavoyais,je
m'esclafferaisàl'idéequ'onaitpunousconfondre.Heureusementqu'en
1815laphotographien'apasencoreétéinventée.
Lorsquej'aienfilémessouliersetquelebourdonnementdesinvitésest
tropfortpourquejefasselasourdeoreille,jemelève.Elizametendle
miroiret,enmevoyant,jesuisestomaquée.
Çanepeutpasêtremoi.
Mescheveuxblondssontunecascadedebouclesfolles.Unrangdeperles
estentortillédanslesmèches,pareilàunetiareétincelante.Mondécolleté
estassezprofondpourlaisserdevinerlesseinsquejen'aiquasimentpas,
maisquisontmiraculeusementremontésetrapprochésparlecorset.
Bonnenouvelle.Finalement,cetinstrumentdetortureapeut-être
unecertaineutilité.
Marobevertelongueetamplefrôlelesol,etl'ourletestrepiquéde
centaines,sinondemilliersdeperlesvertestranslucides.Iladûfalloirdes
dizainesd'ouvrièrespourencoudreautantensipeudetemps.Unliseréde
perlesvientenrappelsouslatailleEmpireetàl'encolure.
Emilyaaccomplidesprodiges.Ellearéellementunavenirdanslestylisme.
Dommagequ'ellenepuissepasdevenirlaprochaineDonnaKaranou
équivalent.Maisaumoins,onpeutêtretranquille,toutessesamiesseront
toujourshabilléesderniercri.
C'estsitristequejenepuisseenfairepartie.Celamedonneunpincement
aucœuretlasensationd'êtrecreuse.
-VousallezdevoirvouscacherpournepaséclipserEmily.
JesourisàElizaetunedécharged'adrénalinecouledansmesveines.Jevais
yarriver.Jevaisarrêterdepenseràdemainetsavourersimplementcette
nuit.
Ellemelaisseetjem'approchedelafenêtre,oùjeprendsquelques
profondesinspirationspourmedétendre,toutenregardantlesvalets
s'activeravecleschevauxdesinvités.
Lorsquejemesensprête,toutesproportionsgardées,àêtredelapartie,je
quittelesanctuairedemachambreetmedirigeversl'entrée.Lebrouhaha
desconversationsetlesriress'intensifientrapidementpourdevenirun
rugissementassourdi.C'estassezétrangedevoirautantd'inconnus
bavarderetsemêlerdanslevestibule,enbas,tandisquelesserviteurs
prennentlesmanteaux.
Quandj'atteinslehautdesmarches,ilseproduitunmomentcurieuxdurant
lequellesconversationsfaiblissent,etj'ail'impressionquetoutlemondea
lesyeuxbraquéssurmoi.Non,jesuisparano.Ilsregardent,certes,maispas
tous.Jesouristimidementetrésisteàl'enviedelissermarobeoude
vérifiermescheveux.Aulieudecela,jefaisglissermamaingantéesurla
rampeetdescends.
Unfluxininterrompudegenssembleallerdanslamêmedirection,aussije
suislafoule,curieusedevoiroùcelavamemener.Etjemetrouvesoudain,
c'estincroyable,dansunendroitquejen'avaisjamaisvuauparavant.Ô
stupeur,deuxlargesportessontgrandesouvertessur...unesalledebal!
Depuistoutcetemps,ilexistaitunesalledebalàHarksbury.Jeconstateà
présentqu'elleoccupel'undesmurscontigusàlacour.Elleamêmedeux
portes.Commentai-jepunejamaislaremarquer?
Lesplanchersbrillentsousleslustresoùscintillentlesflammes,quifont
ressortirl'éclatdesdiamantsetdusatin.Unorchestreoccupeuncoindela
salleetlesdanseursunautre.Ilyaunetablesilonguequ'ellevad'unmurà
l'autre,couvertedenourriture.Uneautretable,plusloin,regorgede
boissons.
Desinvitésdéfilentdevantmoi,etlasalleseremplitàunbonrythme.
Deuxfemmespassent,l'unemebousculemaisnes'excusepas.Elles
paraissentaccaparéesparleurconversation.
-Illuiaversécinqmillelivrespourqu'ellepuisseépouserM.Rallsmouth,
voussavez.
-Leduc?
-Oui.Apparemment,sonpèrenourrissaitdegrandesambitionspourelle.Il
voulaitquesafilleépouseunpairduroyaume.Ilafalluuneindiscutable
persuasionfinancièrepourlefairechangerd'avis.
Quoi?Alexadonnédel'argentaupèred'Emily?
Jenevousdiraipascequej'aidûfaire,m'a-t-ilrapporté.J'avaisoubliécette
petitephrase.
J'ignorecequereprésententcinqmillelivres,probablementunepetite
fortune.
Jesuistoujoursdanslevestibule,unpeuhébétéeparlanouvelle,quand
Emilymerejoint.
-Oh,Rebecca,tuesravissante!
Jem'obligeàsouriremaisjen'aiqu'uneenvie,fondreenlarmesparce
qu'ellem'aappeléeRebecca.Noussommesdevenuessiproches.Nous
avonstraversétantdechoses.Elledevraitm'appelerCallie.
Siseulementjepouvaistoutluiexpliquer.Maisl'occasionnes'yprêtepas.
Cesoir,c'estlafête.Jenepeuxpasluigâchersasoirée.L'entendredirece
prénommedonnel'impressionquemesmensongesmereviennenten
pleineface,cinglants.Jen'aipasbesoindeluidemandersiellem'adéjà
menti,elle.Jeconnaislaréponse.Cen'esttoutsimplementpassongenre.
Ellefaitunerévérenceetj'observelesdétailsdesaroberougefoncé:
l'ourletfestonné,lesmancherons,lebustebrodé,toutcela
remarquablementmisenvaleurparsescheveuxbrunsauxreflets
chatoyants.Ilssontrelevésau-dessusdesatêteettenusparunepinceen
écaillereprésentantunpapillon.Emilytranchecommeunenotedecouleur
viveaumilieudelafoule.Maissarobepeineàrivaliseraveclesétincelles
quibrillentdanssesyeux.Elleestpositivementradieuse.
-Merci,dis-je,etjem'inclineàmontour,alorsquejepréféreraislaserrer
dansmesbras.
-N'est-cepasl'événementleplusgrandiosequetuaiesjamaisvu?Ettout
celaenmonhonneur.SaGrâceaététrèsennuyéedel'avancer,maisnous
avonsdéjàobtenunotredispensespécialeetsouhaitonsnousmarierdans
deuxjours.
-Vousvousmariezdansdeuxjours?Ellehochelatête.
-Oui,pourquoiattendre,nousledésironstousdeuxsiardemment?
-Cool.Euh,c'estmerveilleux.
Lasalledebalseremplit,maistoujoursaucunsignedeceluiquej'aileplus
enviedevoir.Celuiquienimposecommenulautreaumilieud'une
assistance.Quefait-il?C'estsamaison.Ildoitbiensetrouversouscetoit,
alorspourquoin'est-ilpaslà?
Cesoir,jel'embrasse.Illefaut.Jeleveux.Jenepeuxpascontinueràtout
gâcherconstammentetattendrequeleschosess'améliorentcommepar
enchantement.Rebeccaneferaitjamaiscela.Ellefonceraitsûrementsurlui
billeentêtepourluidirequ'illuiplaît.CettevieilleCallie?Ellese
ratatineraitenespérantquetoutlemondeoublieraitjusqu'àsonexistence.
Ehbiennon.Jenepeuxplusêtrecettepersonne.Alexmevoit.Etjeneveux
plusjamaisêtreinvisible.
-Sinousallionschercherquelquechoseàmanger?J'approuvedelatêteet
suisEmilyversl'assortiment
degourmandisessouslequelcroulentlestables.Jenedemandemêmepas
cequec'est.J'attrapeuneassietteetquelquesamuse-gueulesetbatsen
retraite.J'aiprisl'habitudedemangerdesnourrituresmystérieuses.Après
m'êtredébarrasséedemespréjugés,j'aidécouvertquec'étaitplutôtbon.
Enfin,leplussouvent.Certainsplatssontencoreunpeurudimentairesà
mongoût.
Jenemangepasgrand-chose:dèsqu'Alexentredanslasalle,j'oublieque
j'aifaimetmanquefairetombermonassiette.Undomestiqueserviableme
laprenddesmains.
Jelevoisdeprofil,sonlongcorpsmincesobrementvêtudenoiretblanc:
deschaussettesmontantes,uneculottenoireajustée,unevestesombre,et
unecravateblancheaussibienamidonnéequed'habitude.Jeletrouverais
plutôttrophabillé,maismaproprerobenel'estpasmoins.Cesoir,c'est
approprié.
J'adoreraislevoirenjean,tee-shirtetcasquettedebase-ball,mais
l'éléganceclassiqueluivabien.
Ilscrutelasalletandisquelesautresremarquentsaprésence,maisavant
qu'ilsnepuissentfondresurlui,sesyeuxpassentsurmoiets'yarrêtent.
Seslèvresesquissentuninfimesourireetilvientdroitversmoi,laissant
danssonsillageunenuéedevisagesdéçus.
-Commentjesuis?dis-jeenchuchotantàEmily,incapablededétacher
monregarddeluiassezlongtempspourvérifier.
Ellemeserrelamain.
-Tues...
-Éblouissante,termineAlexenarrivantdevantmoi.
-VotreGrâce,dis-jepourlapremièrefoisavantdefairelarévérence.
Ilal'airamuséquejemesoisadresséeàluisicérémonieusement.
-Milady.
Ils'incline,plusprofondémentquejenel'aijamaisvufaire.
Jemeredresseetleregardedanslesyeux.
-Jecroyaisvousavoirentendudirequejen'étaispasunelady.
-Jecroyaisvousavoirentenduedirequevousenétiezune.
Nousnoussourions,etlasalles'effaceautourdemoi.
-M'accorderez-vouslaprochainedanse?Jehochelatête.
-Merveilleux.Jereviendraidonc.
Surce,ilmelaisseavecEmily,etjesaisenfincequec'estque
lapâmoisontandisquejeluisaisislecoude.
-J'aicruqu'ilallaitt'enlevericimêmesurlapistededanse,pouffe-t-elle.
-Emily!
-Qu'ya-t-il?
Etjenepeuxmeretenir:jememetsàrireavecelle,jusqu'àcequej'enaie
malauxcôtesetpuisseàpeinerespirer.Quelquesinvitésnousdévisagent
aupassage,cegenred'attitudeestcertainementmalvu,maisjem'aperçois
quejem'enmoque.Çafaitsilongtempsquejen'aipaseuuneamieme
permettantd'êtremoi-même.Cequiestironique,soitditenpassant,étant
donnéquejesuisRebecca,maisc'estmalgrétoutrevigorantetexaltant,et
nouscontinuonsàresterlà,àrirecommedeuxfolles.C'estrésolument
contraireauxconventionsdeVictoriaconcernantlesjeunesfillesdebonne
famille.
Jem'enfichepasmal.Jesuismoi.Quecesoitunepersonnequ'ilsaimentou
qu'ilsdétestent,jesuiscellequejesuis,etc'estçalavérité.
Est-cequej'aidéjàeuautantconfianceenmoi?
-Tesens-tubien?medemandeEmilyunefoissonhilaritéretombée.
-Oui,dis-je.Je...
Jemetaispourrespirerprofondément.
-Jemesens...mieuxquebien.
Jeregardeautourdemoilasomptueusesalledebalétincelante,etmesyeux
reviennentverslevisagesouriantd'Emily.
-Jemesensparfaite.
Chapitre30
-Denworthvientdansnotredirection,ditsoudainEmilyunefractionde
secondeplustard.
-Quoi?Où?
Emilymontrediscrètementdumentonlevieuxmonsieurquis'approchede
nousetj'enaipresquelanausée.Ilestpluspetitquejenel'avaisimaginé,et
plutôtsecsoussaredingoterouge.Sescheveuxpoivreetselluidonnentje
nesaisquelleallurearistocratiqueetnoble.Puisjeremarquesonvisage.
MonDieu,ilal'air...
Toutsourire?C'estimpossible.
Jemurmureàl'oreilled'Emily:
-Qu'est-cequ'onfait?
Maisellen'apasletempsderépondre.Ilestàdeuxmètresdenous.Un
mètre.
-Milord,ditEmilyenfaisantlarévérence.
Jeparviensàmarmonnerlamêmechoseetàl'imiter.
-Mercid'êtrevenucesoirmeprésentervosvœux.Jesaiscombienceladoit
vousêtredifficile.
J'étudiesonvisage.Ilestplusâgé,c'estindéniable.Ilpourraitêtremon
père.Maisilauneétincelledegentillessedanslesyeux.Faceàlui,jeneme
senspasterrifiéeouintimidéecommejem'yseraisattendue.
-Eneffet,iln'estcertespasfacilederenonceràunecharmanteet
ravissantejeunelady.Jevoussouhaitetoutlebonheurdumonde.
Jedéglutisaveceffort.
Ilestgentil.C'estaussisimplequeça.J'étaiscomplètementàcôtédela
plaqueaveclacaricaturequejem'étaisreprésentée.Ilasincèrementenvie
qu'Emilysoitheureuse,mêmesic'estluiquiseretrouvepénalisé.
Emilyméritemalgrétout,biensûr,dechoisirsonmari,maismanifestement
Alexn'essayaitpasdel'obligeràépouserunvieuxgrigou.
Illesavait,çavadesoi.SiDenworthestunmembredela«société
mondaine»fréquentéeparAlex,ilsontdéjàdûserencontrer.Etilsavait
quec'étaituntypebien.
Cequiexpliquebeaucoupdechoses.
-Merci,murmure-t-elle.J'espèrequevouspasserezunebonnesoirée.
-Vousdemême,dit-il.
Puisilnoussalued'unsignedetêteets'éloigne.
Jeleregardepartir,muette.Emilyn'auraitpasvécuuncalvaire
monstrueux,aveclui.Aurait-elleétéamoureuse?Peuprobable.Maisiln'est
pasceluipourlequeljeleprenais.Loindelà.
-Iln'apasl'airbouleverséparlarupturedevosfiançailles,dis-jeenfin
aprèsunlongsilence.
-Non,eneffet.
Emilysourit,pluspourelle-mêmequepourmoi.
-J'aiétésurprisequ'ilvienne,maisjepensequ'ilentendainsicoupercourt
auxrumeurs.Endonnantsonaval,illaisseentendrequeladécisiondenous
désunirétaitréciproque.
-Oh,çasetient.Ellehochelatête.
-Etlevoilàassurémentrevenusurlemarchédescélibataires.
Jesouris.J'espèrequ'iltrouveraquelqu'unquilerendraheureux.Ille
mérite,apparemment.
Avantquejepuisseysongerdavantage,lamusiquechange,etjesuis
paralyséeparuntrachorrible.Jen'aimêmepasencorecommencéà
chercherAlexqu'ilestdéjààmoncoude,entraindemeconduireversla
piste.Lafoules'écartesurnotrepassage.JesuisréellementCendrillon,ce
soir,etjem'apprêteàdanseravecmonprince.
Nousprenonsplace,etjem'aperçoisquec'estVictoriaquimèneladanse,
entêtedelaformation.Elleestrayonnante.Çal'éclate,derecevoirtoutela
hautesociétélocale.Jenel'aijamaisvueafficherunsourirepareil.
Enfin,chacunsontrip.
Dèsl'exemplemontré,Alexs'inclinedevantmoietjefaislarévérence,et
c'estparti.Nousposonsnospaumesl'unecontrel'autreetdécrivonsun
petitcercle.Jesenssesyeuxsurmoi,intenses.Sonregardmeréchauffeles
joues.
Deretourànotrepointdedépart,jelaissetombermamainettournedans
ladirectionopposée,etlemouvementserépète,paumescontrepaumes.
Commejeregrettelesgantsentrenous.Commejeregrettedenepas
pouvoirleprendreparlecouetdansersimplementlajouecontreson
épaule,commejeleferaisauxxiesiècle.Dumoins,sij'avaislecran.
Puisnousnousécartonsettournoyonsdosàdosautourd'unautrecouple.
Jevirevoltedeuxfois,mesjupesflottentautourdemoi.Jereviensverslui,
surlapointedespieds,reculeenm'inclinant,etrevienssurlapointedes
pieds.
Ilnemequittepasdesyeux.Ilestassezgrandpourvoirpar-dessuslatête
delaplupartdesinvités,maistandisquenouspirouettonsetvirevoltonset
saluonsetnousinclinons,pasuninstantilnecessedemeregarder.Aulieu
d'êtregaucheetempotée,jemesensgonfléed'uneassuranceaussi
inattenduequ'incroyable.Jesuissousperfusiond'adrénalineetd'énergie.
Ellescirculentdansmesbrasetdansmesjambes,etj'aienviedelui
prendrelamain,derassemblermesjupesetdel'entraînerloindelafoule.
Maisceseraitincorrect,alorsonseborneàdanser.
Àchaquemouvement,monsourires'accentue.Cedoitêtrecelaqu'a
ressentiEmilyàlaprécédenteréception.C'étaitlaraisondesabéatitude.Et
pourtant,moncerveaunecessedebataillercontremesémotions,il
m'ordonnedeluirévélerquijesuis,deluibalancertoutelavérité.Jesais
quel'heuretourne.Jesaisqu'àtoutmoment,jepeuxêtrearrachéeàtout
cela...encoreundétailquimerapprochedeCendrillon.
Chaquefoisqueladansenousréunit,chaquefoisqu'ilmeregarde,j'essaie
deleluidire.J'essaiededire«JenesuispasRebecca»,j'essaiededireque
jedoisluiparlerenprivé.Maislesmotsn'arriventpasàsortir.
Lamusiques'arrête,l'orchestreenattaqueuneautre.Ladansechange.
Maisnousnequittonspaslapiste.Nousdansonssurtroismorceaux.Cequi
doitreprésenteraumoinsuneheurededanse.Jerenonceàl'idéedelui
parlercesoir.Çapeutattendre.Çaaattendutrentejours.Nousnesommes
plusàquelquesheuresprès.J'irailetrouverdemainmatin,avantl'arrivée
deRebecca.Jeluiexpliqueraitout.
C'estseulementlorsquejesuiscomplètementhorsd'haleineetétourdie-la
fauteaucorset,sûrement-quejedoisfaireunerévérenceetarrêterde
danser.Alexessaiedemesuivre,maisilestrapidementassailliparune
ribambelledefillesenrobesélégantesetbijouxmassifs.Jenepeux
m'empêcherdesourireencoinenvoyantsatête.Jecommenceàmedire
qu'iln'aaucuneenvied'êtreunduc,mêmes'ilnel'avouepas.
J'entendschuchotersurmonpassagependantquejequittelapistede
danse.Touslesyeuxsonttournésversmoi.J'aibesoinderespirer,aussije
quittelasalleetme
rendsdanslejardin,oùprennentlefraisplusieursdames.Emilysetrouve
parmielles.
-Jecommençaisàcroirequevousallieztoutsimplementcontinuerà
danserjusqu'audépartdudernierinvité.
Jeris.
-J'aieubesoindereprendremonsouffle.
-Nuldoutequelerestedesdemoisellest'ensontreconnaissantes.
-Nousnoussommesdoncfaitremarquer?
-Sileplafondluiétaittombésurlatête,SaGrâcenes'enseraitmêmepas
aperçu.
Jedevraisêtregênée,jelesais,maisjenepeuxquecontinueràsourire.
-C'étaitpurepolitessedesapart.
-Uneseuledanseauraitsuffi.Troissignifientqu'ils'estprisd'intérêt.Les
languesvontallerbontrain.Machère,tuvienstoutsimplementdedevenir
lareinedubal.
-Oh,Emily,jenevoulaispasteravirletitre...Elles'esclaffe.
-Allonsdonc.C'estàtoiquejedoismesfiançailles.Tupeuxattirertoute
l'attentionquetuveux.
Jeluisourisetessaiedenepasreleverqu'elleaditlavérité:lesgensnous
regardent.
Jesuissouslesfeuxdelarampeàlaplaced'Emilyetçaneladérangepas.
Elleesttrop,tropmimi.Elleesttoutsimplementquelqu'undebien.
Ilfautquejeluiparle.Ilfautquejeluifassecomprendreque,quoiqu'il
arrivedemain,elleestpourmoiuneauthentiqueamie.
-Emily...je...jevoulaistefairemesadieux.Ellemeconsidèred'unair
stupéfait.
-Jesaisquemonmariages'estprécipité,maisilnousrestedeuxjours...
-Jesais...c'estjuste...toutvabientôtchanger.Etjeveuxquetusachesune
chose:qu'importecequetudeviens,oumoi,j'aipasséunmoisgénialavec
toi.Tuesunevéritableamie.Etj'apprécietoutlesoutienquetum'as
apporté.Tuvashorriblementmemanquer.
Ellesourit,lesyeuxbrillants,etmeserredanssesbras.
-Jeressenslamêmechosepourtoi,Rebecca.
Çamefaitl'effetd'uncoupdepoignarddanslecœur.J'aimeraistantluidire
lavérité.SiseulementjepouvaisluiexpliquerquejenesuispasRebecca...
Maiscelagâcheraitcettesoiréequiestlasienne.Alorsjeravalelesmotset
hochejustelatêteenluttantcontreleslarmesquimenacentdejaillir.
-Onyretourne?
Jeneveuxpasraterlerestedelafête.Jeneveuxpasrateruneseuledanse.
Emilyopineetnousregagnonslasalledebalbrasdessusbrasdessous.
C'estalorsquej'entendslecricollectifquifrémitparmilesinvités.La
musiques'arrêteetlesilences'établit.-Seigneur!s'écriequelqu'un.
-Quiest-ce?demandequelqu'und'autre.Jemefigesurleseuil,pétrifiée.
MonDieu.Ilnepeuts'agirqued'unechose.Uneseuleraisonpeutplonger
lesinvitésdansunetellestupeur.Rebecca.Elleestici.
Chapitre31
Jem'élanceàlavitessedel'éclair,jesensàpeinelesolsousmespieds.Jene
saispassijedoisfuirHarksburyoufoncerdansletasettenterdeme
justifier.
C'estterminé.Toutestterminé.Alexvatoutsavoir.Emily,maseulevraie
amiedepuisunan,vamedétester.Victoriavavoirqu'elleavaitraisonde
mesnober.
Jem'arrêteenmerendantcomptequepersonnenes'intéresseàmoi.
Pourtant,s'ilssavaientquejesuisuneusurpatrice...Qu'est-cequ'ils
regardent?
Ilss'agglutinentautourdel'endroitoùsetrouvaientlesdanseurs.
-Commentva-t-elle?demandeunefemme.
-Elles'estécroulée,répond-on.
Jeprendsletypeleplusprochedemoiparl'épauleetlefaispivoter.
-Quesepasse-t-il?
-SaGrâceesttombée.
-Sa...Victoria?
L'hommefait«oui»delatête.
Jelebousculepourpasser,ainsiquetroisjeunesfillesenrobesvaporeuses,
etjemefrayeuncheminàtraverslafouleenjouantdescoudes.
-Excusez-moi!
Jedoispousser,etfort,pourfairereculerundeshommes.
Alexestàgenouxàcôtéd'elle,jenevoisquel'ourletdesarobeetlapointe
deseschaussures.Elleestallongéesurledos.
Oh,monDieu,monDieu,monDieu!C'estmauvaissigne.
-Ques'est-ilpassé?
JetombeparterreàcôtédeluietprendslepoignetdeVictoriapour
essayerdesentirsonpouls.Rien.Non,non,non!Est-ellemorte?
-Elledansaitquandelleaditqu'elleavaitbesoindes'asseoir,meditAlex.
Elles'estplainted'unedouleurdanslapoitrine.Elles'esteffondréeavant
d'atteindrelachaise.
Jemepencheau-dessusd'elle,monoreilleàcôtédeseslèvres,maisje
n'entendsquelesilenceetneperçoisaucunsouffle.Ellenerespireplus.
-Setenait-ellelebras,oucrispait-ellelamain?Samaingauche?
-Quoi?
-Répondez-moi.
-Je...oui.Quefaites-vous?
J'aicommencélaréanimationcardio-pulmonaire.Itsiçanemarchaitpasà
traverslecorset?Ilesttellementdifficiledesavoirsijesuisaubonendroit
dusternum.Oh,monDieu,faitesquej'yarrive.Sinon,siellenereprendpas
connaissance...
-Un-et-deux-et-trois-et...
Alexm'écartedurementdesamèreetjetombeenarrièresurlesfesses.Je
merattrapejusteavantdemecognerlatêteparterre.Mescoudesse
heurtentauparquetetunedouleurvivemevrillelesbras.
-Vouslatuez!gronde-t-il.J'avalemasalive,lentement.
-Ellenerespireplus,Alex,dis-je,sachantquejenesuispascenséel'appeler
ainsidevantlesinvités.Elleestdéjàmorte.Laissez-moifaire.Jepeuxla
sauver.
Complètementhagard,ilresteunmomentau-dessusd'elle,commes'ilavait
l'intentiondelaprotégercontreuneforceextérieurependantquelavie
s'évanouitlentementàl'intérieur.
Chaquesecondeestcruciale.Ilneserendpascompte.Elleestallongéelà,
entraindemourir,etilm'empêchedefairelaseulechosequipourraitêtre
utile.
Avecunelenteuratroce,ilserassoitsursestalons.Jen'attendspas;qu'il
m'endonnel'autorisation,jem'élanceetreprendslemassagecardiaque.
JepressemeslèvrescontrecellesdeVictoria,etlafouleautourdemoise
metàmurmurer.Ilsdoiventtrouverquec'esttotalementfouetchoquant.À
quelleépoqueremontel'inventiondelaréanimationcardio-pulmonaire?À
l'évidence,ilsn'ontjamaisrienvudepareil.
Ilsmeprennentsûrementpourunemaladementale.
Maisjem'enfiche.Ellenepeutpasmourir.Pascommeça.Pasmaintenant.
Jeluifaisdeuxinsufflations,etreprendslescompressionsenpsalmodiant:
-Un-et-deux-et-trois-et-quatre-et-cinq.
Jemeconcentresurleschiffres,surlerythme,etjem'appliqueàfaire
abstractiondureste.
C'esttropinjuste.Toutesavie,elles'estfaitavoir.Sonmarilatrompait,et
quandellearéaliséqu'ellel'aimait,ilestmort.Etmaintenant,elleviten
solitairesansriend'autreàquoiseraccrocherquesaprécieuseétiquette.
Ellenepeutpasmourirainsi.
Deuxnouvellesinsufflations.
Encorecinqcompressions.
Elleestsipâle.Etsijem'yprenaismal?J'aiapprisçal'andernier
seulement,etonlefaisaitsurdesmannequins.
Deuxinsufflations.
Cinqcompressions.
Est-cequejeviensdevoirsespaupièresbattre?
Non,c'estlalueurdeschandelles.Desombres.
MonDieu,parpitié,faitesqu'ellenemeurepas!Cen'estpaspossible.Ellene
peutpasdisparaîtredecettemanière.
Deuxinsufflations.Cinqcompressions.
Mespoumonsn'enpeuventplus.Jeluiinsuffletoutmonair.Àmoinsqueje
neretiennemarespiration.Jecommenceàavoirlatêtequitourneàforce
deluimartelerlapoitrine.
-Un-et-deux-et...
Àcetinstant,ellebouge.Sesdoigtsremuent.Ellepousseungémissementet
jemerecule,enobservantsesyeuxroulersoussespaupières.
Puisilss'ouvrent.Danslevague.Ellefixeleplafond,leslustres,etclignedes
yeuxplusieursfois.
-Mère?
Lavoixd'Alexsebrise,commes'ilavaitlagorgeaussiserréequelamienne.
Elleestvivante.Jeluiaisauvélavie.
Jenemerendscomptequejepleurequ'ensentantleslarmescoulerlelong
demesjouesettomberàterre.
Elleestvivante,Dieumerci,elleestvivante.
-Quoi?dit-elledansuncoassementrauque.
-Chut,murmureAlexenluitenantlamain.Vousêtestombée.Jevousai
cruepartiemais...Rebeccavousasauvélavie.
Rebecca.Biensûr,Rebecca.Pourquoisuis-jesurpriseetblesséechaquefois
quejelesentendsm'appelerainsi?
Victoriasetourneversmoi,etsonregardpénètrejusqu'aufonddemon
cœur.
-Merci,chuchotê-t-elle.
Jefaisunsignedetêteetmelève,enproieàunmélanged'exaltationetde...
nervosité.D'angoisse?Là,pendantquejelaregarde,toutd'uncoup
j'encaisselechoc.
Jel'airamenéeàlavie.J'aiaccompliça.
Jeréalisequejemarcheàreculons.Jesuiscomplètementoppressée.J'ai
besoindem'éloigner,deprendrel'air.
Jem'enfuisdelasalledebaletmedirigeversmachambre.
Chapitre32
Lesheurespassent.J'écoutelamaisonredevenirsilencieuse,jusqu'àceque
jesoiscertained'êtrelaseulepersonneréveillée.
J'aisauvélaviedeVictoria.Danslefeudel'action,j'étaiscomplètement
stressée,maisàprésentjeneressensplusqu'unesensationdepaix.
Jel'avaisàpeinerencontréequejeladétestaisetpourtant,enlavoyant
allongéelà,mourante,jen'avaisqu'undésir,c'étaitqu'ellerevienneàlavie
etmegrondepouravoirmismoncoudesurlatable.Peut-êtrenel'ai-je
jamaisvéritablementcomprise,maisjesaisquec'estunefemmebien.Et
sonheuren'étaitpasvenue.
Malgrétout,malgrélecaractèredramatiquedel'expérience,cen'estpasà
ellequejepenseencemoment.C'estàAlex.
Àquelquesheuresdel'arrivéedeRebecca,j'aienfinadmislavérité:jesuis
amoureusedelui.
Commentcelaapuseproduire?Jevenaisjustedecomprendrequejeriele
détestaispas,etmaintenantc'estcarrémentl'amourfou?Pouruntypequi
vasûrementmehaïrquandildécouvriramonimposture?Moiquiaifait
croireàtouteunefamillequej'étaisuneautresimplementpouravoirun
toitau-dessusdematête?
Jem'extraisdulourdédredonetmedirigeversl'armoire.Jesais
exactementoùchercheret,quelquesinstantsplustard,jesorsmonjeanet
montee-shirt.
Cesvêtementsmeparaissentbizarres.Étrangers.Agréableset
décontractés,etpourtant,cen'estpasmoi.Commentpuis-jeêtrelafillequi
portecela?Moijesuiscellequidanseetritetfaitlacoquetteenrobede
bal.
JesorsmesPradaetlesenfileenattachantprécautionneusementles
boucles.
Parquelmiracleceschaussuressont-ellesdevenuessiconfortables?Ilya
unmois,c'étaitunetorturedemarcheravec.Etmaintenantj'ail'impression
qu'ellesontétémouléespourmonpied.Commesij'yétaisàmaplace.Ou
peut-êtresont-ellesàleurplace.
Jeprendslabougiequiabrûlétoutelanuitetn'estplusqu'unmagmade
cire.Jemefaufiledanslecouloiretmedirigeversl'escalierd'honneur.La
flammeprojettedesombresallongéespartoutoùjepasse.C'estsurnaturel,
onsecroiraitdanslamaisonhantéeàDisneyland.Toutjustesijene
m'attendspasàvoirsurgirunfantôme.
Jedescendslesmarches,traversel'imposantvestibuleetquitterapidement
lamaison.Jeposelabougiesurleperronetfranchisl'allée,jusqu'àcequeje
voieunepetiteétendued'herbe.Laluneestsilumineusequ'elleéclairele
jardin.
Jem'allongesurl'herbepourcontemplerlesétoiles.Ilyenadesmillions,
quibrillentetscintillentdanslecield'unbleudevelours.Jen'observeplus
trèssouventlesétoiles,maisjepariequ'ellesn'ontpasgrand-choseàvoir
aveccellesduxxisiècle.Ici,j'ail'impressionquejen'auraisqu'àtendrela
mainpourenattraperunepoignée.
LaportedeHarksburys'ouvreetjemeredresse,pensantvoirun
domestiquevenirmedemandersij'aiperdulatête.Maisnon.
C'estAlex.Deboutàl'entréedelamaison,ilmescrute.Ilneportepasde
redingotenidecravate,justeunechemiseblanchedesserréeaucol.Jene
l'aijamaisvuaussinégligemmentvêtu.Pendantlongtemps,nousnous
regardons.Unebarrièreinvisibleestdresséeentrenous,etjedoutequ'illa
brise.
Erreur.
-Puis-jemejoindreàvous?
-Jevousenprie.
J'englobelapeloused'ungesteauguste,trèsScarlettJohansson,etilvient
s'asseoiràcôtédemoi.Uninstant,jecroisqu'ilvadirequelquechoseau
sujetdematenue.Ilm'observelonguement,leslèvreslégèrement
entrouvertes,maisillesrefermesansriendire.Ilafiniparcomprendreque
jefaistoujoursceàquoionnes'attendpas.
Jemerallongeetadmirelesdeux.
-Mettez-voussurledos,c'estmagnifique,dis-je.Enfin,c'est-à-dire,sic'est
convenable.
Jememaudisintérieurementdeluirappelerl'étiquette,carnoussavons
touslesdeuxqueçan'entrepasdanslacatégoriedesChosesqu'unducpeut
faireavecunefilleàlaquelleiln'estpasmarié.
Ilesquisseunsourire,seslèvresparfaitess'ourlentd'uncôté,maisilfaitce
quejedisets'allonge{côtédemoi.Dèsquesonbrasmefrôle,moncœurse
metàbattretroisfoisplusvite.Sesdoigtstrouventlesmiensets'y
entrelacent,etnousvoilàtouslesdeuxmaindanslamainentrain
d'admirerlesétoiles.Jerésisteàl'enviederegardernosmainspourvérifier
sicemomentestréel.Jefermelesyeuxetm'abandonneàlasensationdesa
peaunuecontrelamiennepourlapremièrefois.Ileffleuremondoigtavec
sonpouce,décrivantdepetitscerclesquimechatouillentlapeauetme
donnentlachairdepoule.Jen'arrivepasàlecroire,aprèstoutesces
occasionsettoutescespairesdegants,enfin,iln'yaplusquelui.
-Avez-vouspasséunebonnesoirée?J'ouvrelespaupières.
-Oui,dis-jedansunmurmureàpeineaudible.
J'aisipeurderomprelecharme,cetinstantesttropparfait.
-Vousétiezravissante,dit-il.Jesouris.
-Vousaussi,dis-jeavantdecorrigeravecunegrimace:enfinjeveuxdire,
trèsséduisant.
Uncourtsilences'installe,etjepenseàunmilliondemoyensdifférents
d'entameruneconversationdestinéeàluirévélertoutel'histoire.Cequ'il
saitsurmoin'estqu'untissudemensonges.
Ilfautquejeluiavouelavérité.Jenepourraipassupporterl'expressionde
trahisonsursonvisageàl'arrivéedeRebecca.Jesaisqu'enluiparlantjele
perdraiaussi,etplusvitequ'enattendantl'accomplissementdudestin,
maistantpis.Ilatoujoursmisunpointd'honneuràseconduireenparfait
gentleman.Dequeldroitpuis-jecontinuercettemascarade?Ilmérite
tellementmieux.
Toutàtrac,jemejetteàl'eau:
-Jenem'appellepasRebecca.
Jeregardelecielcommesijecomptaistouteslesétoilesetnepouvaisen
détacherlesyeux,alorsqu'enfaitjenevoisriendutout.
Samaincessederemueretlesilencemefrappeaveclabrutalitéd'une
enclume.
Ilsetourneversmoi.Etlorsquejemetourneaussiverslui,nosvisagessont
siprochesquenosnezsetouchentpresque.J'aipeurderespirer.
-Quiêtes-vous?
Jefermelesyeux.C'esttropintense.Jenepeuxpasleregarder.Iln'a
sûrementjamaismentidesavie.Ilnecomprendrapas.
-Jem'appelleCallie.Jesuisaméricaine,maisc'estprobablementmonseul
pointcommunavecRebecca.J'étaisperduelejouroùjesuisarrivéeici,
c'estunelonguehistoire.Jeneconnaissaispersonne.PuisEmilyasurgiet
m'aappeléeRebeccaetm'ainvitéeàentrer.Ducoup,j'aisuivile
mouvement.SaufqueRebeccaarrivedemainetquetoutlemondeva
découvrirlasupercherie.
J'aitoujourslesyeuxsoigneusementfermés.Jenepeuxpasleregarder.J'ai
peurdecequejevaisliredanssonregard,peurdecequ'ilvadire,peur
qu'ilmedéteste.
-Ouvrezlesyeux.Impossible.
-Callie,dit-il.
J'obéis.Jesuisinondéedesoulagementenconstatantqu'iln'apasl'airen
colère.
-Redites-le?
-Callie,répète-t-ilavecunsourireencoin.J'aisuquevousn'étiezpas
Rebeccadèsl'instantoùjevousaivue.
Cettefois,j'écarquillelesyeux.
-Quoi?Comment?
Jerevoissoudainnotrerencontredanslasalleàmanger.Lemomentoùil
m'aregardéeetadétournélesyeux,etoùj'aicruqu'ilavaitcompris.Et
quandilm'asaluéeetestallés'asseoiràsaplace,lesoulagementquej'ai
éprouvéenmedisantqu'ilnem'avaitpasdémasquée.
Maissi.Toutcetemps,ilsavait.C'estpourcelaqu'ilm'observait
bizarrement.C'estpourcelaqu'ilsemontraitsidistantavecmoi.
-Ellealesyeuxbruns.Lesvôtressontbleus.Elleaaussidesfossettes.Emily
nes'ensouvientpeut-êtreplus,carelleétaittrèsjeuneladernièrefois
qu'elleavuRebecca.Maismoisi.J'avaisunpetitfaiblepourlajeune
Rebecca.J'aisuimmédiatementquevousn'étiezpaselle.
-Maisvousn'avezriendit!
Ilm'adresseunsourireencoin.
-Pourêtrehonnête,j'étaisintrigué.J'avaisl'intentiondevousinterrogeren
privéafinden'alarmernimamèreniEmily.Maistrèsvite,j'aiconstatéle
changementqu'aproduitvotrevenuechezmacousine.Laperspectivede
sonmariagel'avaitconsidérablementabattue.Jereconnaisquejen'avais
pasl'intentiondem'opposeràsesfiançailles,maisjenepouvaistoutde
mêmepaslapriverdelagaietéquevousluiapportiez.Sansdouteétait-ce
unmoyendesoulagerlaculpabilitéquejeressentaisdufaitdenepas
plaiderensafaveur.Dureste,celamisàpart,vousnesembliezcauser
aucunpréjudice.
Ilsouritenprononçantcesmots,carmanifestementj'aicommisbienplus
debêtisesqu'ilnes'yattendait.
-Vousvoulezdirequedepuistoutcetemps,jestresseàl'idéequevous
allezmedétesteralorsquevoussaviez?
Sonsouriredevientpenaud,maparole.Quelquechosequiressemblerait
mêmeàdel'embarrassepeintsursonvisage.
-Oui.
Jegrogne.
-Jesupposequejel'aibienmérité.
Jemetourneànouveauverslecielet,pourlapremièrefois,jesuisgonflée
d'uneétrangesérénité.J'aienviederesterici.Jesaismaintenant,sans
l'ombred'undoute,quej'aienviederester.Cetteconfusiondessentiments
estremplacéeparautrechose:lapeur.Lapeurdenepasvraimentavoirle
choix.
Sonpoucereprendsescerclessurmamain.
-Qu'allez-vousfaireàprésent?
-Jene...jenesaispas.Jeveuxdire,jesuisperdueàtelpointquejen'arrive
pasàtrouverlemoyenderentrerchezmoi.Celavousparaîtpeut-être
singulier,maisc'estlavérité.
-Vouspouvezresterici.Aussilongtempsquevousenaurezbesoin.
Jeluipresselamain.
-Merci.Jenesaispassijedoisaccepter,cependant.Maplaceestailleurs,et
unjourviendrajepenseoùilmefaudrarepartir.Quandje...ledevrai.Etje
nevoudraispasvous...jeneveuxpasquevousmettiezquoiquecesoit
entreparenthèsesàcausedemoi.
Jesuisstupéfaitedecequejeviensdedire.Jen'arrivepasàlecroire:j'ai
sous-entenduqu'ilpuisseavoirunbéguinpourmoiaupointdenégligerles
autresfillesetsondevoirdetrouveruneépouse.Uneduchessepour
Harksbury.
-Jenesouhaitepasquevouspartiezsiteln'estpasvotredésir.
Jehochelatêteetravalelabouleénormerestéeentraversdemagorge.Je
nesaispass'ilestaussiraidedinguedemoiquemoidelui,maisiltientà
moi.Etçamefaitdubien.-Merci.
Onsetournedenouveauverslecieletjemerapprochedelui.Jemesens
bizarre,dansmonjeanetmontee-shirt,alorsqu'ilesthabillécommeill'est
d'habitude.Celarenddouloureusementflagrantquenousvenonsdedeux
mondesdifférents.Desmondesquinesecôtoierontjamais.Desmondes
beaucouptropéloignés.
Jemetournedesoncôté,etmajouereposesurl'herbefraîche.Lorsqu'ilme
regarde,sesyeuxseconfondentaveclesbrinsd'herbeetjenevoisqu'une
merd'unvertintense.
Etlà,jelefais.Jem'approcheunpeuplus,jefermelesyeux,etje
l'embrasse.Seslèvressontaussidoucesetaussicharnuesqu'avant,mais
cettefoisjelessavoure,carmonespritn'estpasenébullitioncommelors
duprécédentbaiser.Jemelaissealleretprofite,tandisqu'ilseplaque
contremoi.
C'estparfait.C'estexactementcedontjerêvais,etmieuxencore.
Puisons'éloigne,etjerouvrelespaupières.
Ildéplacesonbrasdefaçonàl'enroulerautourdemesépaules,etçamefait
unendroitoùposermatête,alorsjemeblottiscontreluietrefermeles
yeux,etlelourdpouvoird'attractiondusommeilmeberceetm'apaise.
Chapitre33
J'aidûm'endormirsurunrocher.Ils'enfoncedansmonomoplate.Jeme
recroquevilleenmeretournant,maissoudainjemefige.
Cen'estpasjusteunrocher.C'estunemassegéante.Dubéton,enfait.
Hébétée,jeréalisecequecelasignifie.Cenepeutpas...J'entrouvreune
paupière,etaussitôt,jem'assiedsetpromènemonregardautourdemoi.Je
nevoisquedesvoitures.Desgensenjean.Despanneauxdesignalisation.Je
senslesgazd'échappement,j'entendsdesradioscrépiterdanslestaxisqui
défilent.
Jefermelesyeuxpendantaumoinsdixsecondesavantdelesrouvrir,mais
«il»esttoujourslà.
LeXXIesiècle.
Malgrémoi,monvisagesedécompose.Jesuisrevenue.Justeaumomentoù
jecomprenaisquejen'enavaisaucuneenvie,jesuisrevenue.Messacsde
coursessontéparpillésautourdemoi.Jesuisenjeanettee-shirt.Eten
Prada.
Jejetteuncoupd'oeilderrièremoietconstatequelaboutiquePradaest
toujoursquelquesmètresenarrière,làoùjel'ailaissée.Jesuisassiseà
l'endroitprécisoùj'aitrébuché.
Jenesuisjamaisalléenullepart.
Jeresteimmobilequelquesinstants,etpeuàpeulemaldetêtequime
martèlelestempess'estompe.
Alex.Emily.EtmêmeVictoria.
Toutcetuniversn'étaitquepurefiction.Uneinventiondemoncerveau
commotionné.Cequisignifiequelebaiser...ohnon,j'aitoutimaginé!
Absolumenttout,danslesmoindresdétails!
Jeveuxmerallonger,fermerlesyeuxetyretourner.Jeveuxunesoupe
infecteetdescorsetsbaleinésetdesmatelascabossés.Jedonneraistout
pourrevoirAlex.Pourassisteraumariaged'Emily.
Unpassantbutecontremajambeetaleculotdemefusillerduregard,alors
qu'enfait,c'estquandmêmeluiquivientdemeshooterdansletibia.
Pasdedoute,jesuisbeletbienrevenueauxxiesiècle.
Jemerelèvetantbienquemaletépoussettemonjean,puisjemepenche
pourramassermessacs.C'estlàquejelesremarque.
MesPrada.Mesmagnifiqueschaussuresàtalonstoutabîmées.Jevérifie
dansmondos.Oui,laboutiquePradaesttoujourslà.J'aifaitquatrepasau
maximumdepuislaporte.Impossibledelesavoirautantusées.Ellessont
éraflées,cabosséesetcouvertesdegriffures.
Jeréunislerestedemessacsavecungrandsourire.Cen'étaitpaslefruitde
monimagination.Cen'étaitpasunrêveoujenesaisquelledivagation.
C'estarrivé.Aussisûrementquelabouesurlestalons,c'estarrivé.Ilya
mêmeuneentailleàl'endroitoùlaported'entréedeHarksburyarebondi,
surlapointe.
Jenesaiscommentnipourquoi,maisj'aiétélà-bas.J'aidanséavecAlexet
j'aiaidéEmily.J'aijouédupianodevantunducetuneduchesse,etj'ai
mangéplusd'animauxexotiquesquejenel'auraisjamaissouhaité.
C'estarrivé.Jen'ycomprendsrien.Jesaisseulementquelessemaines
écouléesétaientréelles,etqueçaaétélesmeilleuresdemavie.
Jemetslessacssurmonépauleetretourneversl'hôtelpresqueen
gambadant.Quoiqu'ilpuissearrivermaintenant,quoiqu'ilpuisse
arriverjusqu'àlafindemavie,jepossèdequelquechosequepersonne
d'autren'aurajamais.J'aivécuuneaventureàfairepâlird'envieIndiana
Jones.Unmoisdefoliequenulnepourrajamaisconnaître.
Surlechemindel'hôtel,jemesensétrangementdéplacée,etàlafoischez
moi.Unehorlogesonnequelquepartauloin.Jemedemandesic'estBig
Ben.
Quelleheurepeut-ilêtre?
-Excusez-moi,dis-jeàlapremièredamequejecroise.
Elleporteunerobebaindesoleilsicriardequej'ensuiséblouie.
-Quelleheureest-il?
-Troisheuresmoinsdix.
Jelaremercieetrepars.Troisheuresmoinsdix.Jenesuispasrestée
inconscientelongtemps.Probablementmêmepasuneminuteentière.
J'examineunenouvellefoismeschaussures,justepourêtresûrequ'elles
sonttoujoursaussiéraflées.Jelesadore.J'adorechaqueégratignure,
chaquetrace,chaquemarque.Ellessontparfaites.
Jemarched'unpasassuré,parfaitementàl'aisedansmesPrada.Commesi
c'étaientdesbasketsetnondestalonsdehuitcentimètres.
Alexmemanque.
Jemedemandes'ilsesouvientdemoi.Sidutempss'estécoulédepuis...et
s'ilétaitarrivélamêmechoselà-bas?Etsilemoistoutentier
recommençait?
Non,jenepuislecroire.Sijemesouviensdelui,ildoitsesouvenirdemoi.
Emilydoits'apprêteràépouserTrent.Victoriadoitêtreaussigrincheuse
qued'habitude.Ilesttoutsimplementimpensablequ'ilsaientputousme
marquerautantetnemêmepassesouvenirdemoi.J'étaislà-bas.Jelesais.
J'aperçoisl'hôtelpendantquejesuisencoreentraindecogiter,etje
ralentis.MmeBentleypourraitêtredanslesparages.Paslapeinequejeme
fassesurprendre,enplusdureste.
Jemeglisseparuneportedeserviceenutilisantlacarte-clédemachambre
etmontedeuxvoléesdemarchestapisséesd'unemoquettequiamortitmes
pas.
RienàvoiraveclegrandescalierenmarbredeHarksbury.
Unefoisàl'intérieurdelachambre312,jelaissetombertousmessacset
vaisdroitàlasalledebains.
Ôledivinconfortd'unedouche...Jemedemandesionpeutêtreàcourt
d'eauchaudedansunhôtel.
Jecroisquejenevaispastarderàlesavoir.
Assisedansunfauteuilsurlebalcon,jeregardelacirculationdanslarue,en
bas,quandj'entendsfrapper.Lebruitrésonnedanslachambre.Je
contemplelaporte,clouéesurplace.J'ail'espoirfouetinsenséquecesoit
Alex,mêmesic'esttotalementirrationnel.
Jenepeuxpasmeconsolerdel'avoirperduenunbattementdepaupières.
Jem'endorscontreluietàmonréveil,iladisparu.J'aiperduunmoisàle
prendrepourunignoblepersonnage,etaumomentoùjeréalisequec'est
untypesuper,pluspersonne.
Jequittelebalconetréussisàm'emberlificoterdanslesvoilagesdoucement
agitésparlabrise.Quandj'arriveàlaporte,onafrappéunedeuxièmefois.
J'ouvreetmesespoirss'effondrent.C'estMindy.Elleportelemêmejeanet
lemêmedébardeurrosequelejouroùjesuispartie.Lemêmedébardeur
quecematin.
-Salut.
-Ah,salut,dis-je,unemainsurlaporte.
-Dis,euh...
Elleal'airnerveuse,est-cepossible?
-Angie,Summeretmoi,onfaitlemurpourallerenboîtecesoir.Alors,euh,
onsedemandaitsituvoulaisveniraussi,propose-t-elleenfixantla
moquette.
Jenelecroispas.Elleestnerveuse.Depuisledébut,jem'imaginequ'elle
m'ignoreparcequejeluifaishonte.Nemeditespasqu'enfaitelleserait
toutsimplementtimide,elleaussi?
Ilfautcroirequ'onaplusdechosesencommunquejenelepensais.
Jerestelà,àladévisager.
-Jevoulaisteleproposertoutàl'heure,quandons'estcroiséesaux
toilettes,maistuespartiecommeunefusée.
-Oh.Euh...
Jeréfléchisuneminute.Pourêtrehonnête,dînerdansmachambreet
sombrerdanslesommeilmetenteterriblement.Avecéventuellementen
bonusunpotdeBen&Jerry'spournoyermonchagrin.
Commentest-cequ'ilapudisparaîtreenunclaquementdedoigts?C'estla
premièrefoisdemaviequej'ail'impressiondetomberamoureuse...et
nousvoilààpresquedeuxcentsansd'écart.Ça,c'estdelarelationà
distance.
-Euh,jenesaispastrop.
-Allez,viens.Tuneretrouverasplusjamaisuneoccasionpareille!
Ellen'apastort.UneboîtedenuitàLondres.Lavariantedépoussiéréedu
baldeHarksbury.Etsijen'yvaispas,cevoyageterminéjerentreraichez
moi.Sansamies.Aprèsunmoisencompagnied'Emily,jenepourraispasle
supporter.Voilàl'occasionoujamaisdechangerladonne.Dèscesoir.
-OK,d'accord.Mindysourit.
-Génial.Onsepréparetouteschezmoisituveuxnousrejoindre.Chambre
Jeneluidispasquejelesaisdéjà.
-OK.Jerassemblequelquesaffaires,jesuislàdansdeuxminutes.
Mindyrepartsansmelaisserletempsdechangerd'avis,enrasantlesmurs
commeunagentsecret.J'avaispresqueoubliéqu'onétaitcenséeslajouer
profilbassurcecoup.
Jeprendsmessacsàcôtédelaporte,oùilssonttoujoursdepuisquejelesy
aijetésilyaquatreheures.Jelesvidesurmonlitetlesinspecte.Pullà
capucheprèsducorps,tee-shirts,bustiers.
Jechoisisunminusculehautsansmanchesavecunpeudedentelleaucol,il
iratrèsbienavecmonjeanpropre.Jen'aimêmepasàmedemanderquelles
chaussuresjevaisporter.LesPrada,çavadesoi.Jeprendsmatroussede
maquillageetmonferàfriser,bienqu'ilsmeparaissentincongrusentre
mesmains,etjesorsdanslecouloir,piedsnus.
Cesoir,mavievachanger.
Cesoir,RebeccaetCallienefontplusqu'une.Etc'estdudéfinitif.
Chapitre34
QuandMindyouvrelaporte,lamusiquepopm'agresselessens.J'aurais
aiméduclassique.J'auraisaiméentendrelesmorceauxjouéspar
l'orchestreàlasoiréechampêtre.
JevoudraistantdanserencoreavecAlexnosridiculespetitespirouettes,
révérencesetquadrilles.
Mindymefaitsigned'entreretretournesurlachaiseàcôtédelaporteà
miroirduplacard,oùelleestentraindereleversescheveuxtorsadésen
unedouzainedepetitstortillons.Cen'estpasterminémaisc'estdéjà
mignon.
Etbizarrement,jenesuispasjalouse.
Assisesurlelit,Summerenfiledeschaussuresnoiresàtalonsaiguilles.
-Salut.
-Salut.
Jelaissetombermesaffairessurlelitderrièreelleetrestelàdeboutàme
demanderquoifaire.Laportedelasalledebainsestfermée,jenepeux
doncpasmechanger.
-Jemesuismaquilléedevantcemiroir.Tupeuxpoussermesaffairessitu
veux,ditSummerenmontrantlepetitbureaudanslecoin.
Cesdeuxphrasescomptentplusdemotsqu'ellenem'enaadressés
pendanttoutenotreannéedeseconde.Jemedemandesic'estparceque
Angelan'estpasdanslachambre.
-Merci.
Jevaism'affalersurlachaiseetjemepencheenavant.J'ail'airunpeu
fatiguée.Techniquement,jenemesuiscouchéequ'àl'aube,lanuitdernière.
Àmoinsquecenesoitcematin.
JesuisenpleineopérationmaquillagequandAngelasortnonchalamment
delasalledebainsenminijupeetpetithautdosnu.
-Wow,commenteMindy.
Jemedemandesic'estlemêmewowqueceluiquimevientàl'esprit.
LewowdeWow,limitepouffe,non?Jedécidedenepasposerlaquestion.
-Tiens,salut.
Angelametoisecommesij'étaisunefemmedechambrevenueretaperses
oreillers.
-Salut.
Jeposeunpiedsurlachaiseetmepencheànouveauverslemiroirpour
appliquerunenouvellecouchedemascara.Évidemment,çarisquedefaire
despaquets,maisjepréfèreavoirl'airoccupéequedevoirparleràAngela.
Pourquoijelalaissemefaireça?Onn'estpasdanslamêmepiècedepuis
unesecondequ'àcaused'ellejemesenscomplètementnulle?
-Pasmaltessimili-Prada,lâche-t-elleens'installantsurlelitetenrepliant
lesgenouxmalgrélamini-jupequiremonteetlaissedevinersapetite
culotterosevif.
Jemelèveetplantelesyeuxdanslessiens.
-C'estdemeschaussuresquetuparles?
-Oui.Tulesastrouvéeschezunvendeurambulantouquelquechosedece
genre?
J'ouvrelabouchepourluidirequenon,etquej'aileticketdecaissepourle
prouver,maissoudainjem'arrête.Est-cequeçaaencorevéritablementde
l'importance?Est-cequej'aibesoindesonestime,d'abord?Elleestaussi
artificiellequecesfillesquisepâmaientdanslesillaged'Alex.Ellescourent
aprèsl'argent,leprestige,lapopularité.Etpourpeuquevous
correspondiezuntantsoitpeuauprofil,cesontvosnouvellesmeilleures
amies.Maisellesneserontjamais,absolumentjamais,devraiesamies.Pas
commeAlexouEmily.
Jen'enaiplusrienàfaire,decettefille.Jemeficheroyalementd'Angela
Marks.C'estterminé,plusjamaisjenelalaisseraimedonnerlesentiment
d'êtreunenullité.
-Untrucdugenre,jeréponds,etjeretournedevantlemiroir.
Jen'aiplusbesoind'elle.Etçamefaitunbienfoud'enprendreenfin
conscience.
Uneheureetdemieplustard,nostéléviseurssontallumés,lesonen
sourdine,noslitsrembourrésdepolochonshumanoïdes,etnoussortonsdu
taxiquinousdéposedevantlaboîte.L'adrénalinefaitbattremoncœurplus
vite.
Maisjen'aipaspeur.Lespréceptes,l'étiquetteetlesconventionssociales
extravagantsdel'année1815m'ontapprisquejepeuxsurvivreàtout.
MêmesijenesuisplusRebecca.J'aiunpeul'impressiond'ôterunmasque
deprotection,etjemesenscommeexposée.
Jetirelégèrementsurmonhautpoursoustraireàlapetitebriseledernier
centimètredepeaunuedemonventre,etjesuislestroisfillesdans
l'impassequimèneàlasortiedesecours.C'estunpeurépugnant
d'enjamberdesflaquesdeboueetdecontournerdespoubellesrempliesà
rasbord,maispeuimporte.Aumoins,çamefaitpenseràautrechosequ'à
Alex.
Alex.MonDieu,siseulementj'avaispul'emmenericiavecmoi.Luifaire
mettreunjean.
Ilfautquej'arrêted'êtreobnubiléeparlui.Etvite.Çamefaitmaldansla
poitrine.
Àl'arrièredel'édifice,lefortrythmedebasses'intensifie.Ilfaitquasiment
vibrertoutelaruelle.Uneporteanonymes'ouvreetunetêteémerge.Je
supposequec'estletypequiestcensénousfaireentrer,carAngelasejette
àsoncou.Ilalescheveuxras,àlaJustinTimberlake,etsontee-shirtnoir
moulesesmusclessaillants.Ils'écarteetnoustientlaporteouverte,etje
suislesfillesàl'intérieurenessayantdenepasrougirlorsqu'ilmefaitun
signedetêteaumomentoùjepassedevantlui.
Ilfaitsombre,exceptéquandlestroboscopeilluminelapistecouvertede
danseurs.Unepulsationnourrieserépercutedansmapoitrineetmedonne
desvibrationsdanslespoumons.
JenelâchepasMindyd'unesemelle,j'aitroppeurdelaperdresije
m'aventureneserait-cequ'àregarderautourdemoi.Onsefrayeunchemin
àtraversunefoulecompacte,àl'écartdelapiste,versunmélangedesièges
disparatesetdecanapésasymétriques.Angelagrimpequelquesmarches
jusqu'àcequ'onsetrouvesurunesortedemezzaninequisurplombela
piste.Çamefaitpenseràl'estradesurlaquellejouaitl'orchestreaubaldes
Pommeroy.
Jeréaliseenm'asseyantqueceluiquinousaouvertlaporteestsurnos
talons.Ilyatroisautresgarçonsaveclui.Soudainprisedepassionpourla
table,jeramasseunsous-verrequejecontemplecommesic'étaitl'objetle
plusintéressantdumonde,carsanscriergare,c'estlegrandretourenforce
demoninhibition.
Etbrusquement,lesous-verredevientl'objetleplusintéressantdumonde.
Unseulmotestimpriméenreliefdessus,avecunecalligraphietravaillée.
Harksbury.J'hallucine.
Jehurledansl'oreilledeMindyenleluimontrant:-Qu'est-cequec'est?
Ellehausselessourcils.
-Unsous-verre?
-Maisnon,lemot.Harksbury.
-Ah.C'estlenomduclub.Maisjenesaispascequeçaveutdire.
Moisi.C'estlenomd'unduché.Est-cequecelasignifiequ'undescendant
d'Alexainvestidanscetteboîte?Ouquequelqu'unaempruntéleurnom?
MaisçaimpliqueforcémentqueHarksburyestréel,queledomaineaexisté.
Jefixelemot.Sileschaussuresn'avaientpassuffiàmeconvaincre...Jen'ai
doncrienrêvé.Voircenom,là,commeça,merappellequellepersonne
j'étaislà-bas.Commentjemesentais,danslerôledeRebecca.
Jeglisselesous-verredansmapochearrièreetessaiederester
imperméableauregardd'Angela.Volerunsous-verre,elledoitmeprendre
pourunefolle.Maisjenepourraispasrêvermieux,commesouvenirde
monvoyagedansletemps.Etlefaitdel'avoircontremoi,bizarrement,me
donnedel'assurance,commesijepouvaistoujoursêtrelafilledubal.
Jelèvelesyeuxpendantquelesgarçonss'asseyentsuruncanapéorangevif
enformedelimace.
-Mesdemoiselles,jevousprésenteGrant,TimetAlex,ditlepremier.
Ilnesenommemêmepas.Jesuissansdoutecenséesavoirquiilest.
JesourisàGrantetfaisunsignedetêteàTim,maisquandvientletour
d'Alex,jenepeuxqueledévisager.
Alex.MonAlex.
Non,non,c'estimpossible.Ilalescheveuxpluscourts,lapeaulisseetrasée.
Ilporteuntee-shirtboutonnévertaucolouvert,quifaitressortir
l'émeraudeintensedesesyeux.Ilyaquelquechosededifférent.Lecontour
deseslèvres.L'arêtedesonnez.C'estpresquelui,maispastoutàfait.
Etilsoutientmonregard.Ilsaitquijesuis?Non,c'estridicule.Puisquece
n'estpaslui.PasAlexThorton-Hawke,ducdeHarksbury.C'estjusteAlex,le
typeduxxiesièclequisetientdevantmoi.Dansuneboîtedenuit.Dansla
vraievie.
Mindymedonneunpetitcoupdecoude.
-Etvoici...
-Callie,dis-jeenluitendantlamain.Jem'appelleCallie.
Commec'estagréablededireça.D'êtremoi.Jesourisinvolontairementen
m'enrendantcompte.Ilsouritetmeserrelamain.
-Salut.
Puis,ongardetouslesdeuxlesilence.Oncontinueàseserrerlamainetà
sefixer.Moncœurs'affole.Jemesensdéj{moite.
Maisc'estl'adrénaline.L'excitation.Jen'aipluspeur.Nid'Angelanid'Alex.
Jegère.
-Tuveuxdanser?dis-je.
Jeviensdeposerlaquestionàvoixhaute,là?Non,çanepeutpasêtremoi,
c'étaitquelqu'und'autre.
-Hein?
Ilnem'entendpasàcausedelamusique.
-Tuveuxdanser?
Jel'airépétéplusfort,avecunpeuplusdeconviction.Poursouligner
l'invitation,jedésignedumentonlapistededanse.Jesuisréellementen
traindefaireça.
-OK.
Jenesaispassij'aibiencomprislaréponse,maissansattendreilmeprend
lamainetm'emmène,etjehasardeuncoupd'ceilverslesautres.
Ilsnenouslâchentpasdesyeux.Pourunefoisdansmavie,jeleurvolela
vedette.Avecungrandsourire,jereportemonattentionsurAlex.Depuis
unmois,jerêved'êtreprochedelui.
C'estlemomentdesaisirmachance.