NOTRE-DAME DE LA GARDE

Transcription

NOTRE-DAME DE LA GARDE
LE CULTE DE LA SAINTE VIERGE A MARSEILLE
NOTRE-DAME DE LA GARDE
LA PREMIÈRE CHAPELLE (1214-1477)
Nous avons dit que la première chapelle fut très-probablement bâtie au sommet de la
montagne de la Garde, sur le plateau qui porte aujourd'hui la basilique. Tout nous paraît
confirmer cette opinion. Nous savons , en effet, que François Ier enferma, dans le fort qu'il fit
construire vers 1525, la tour connue dès 1385 sous le nom de Turris Beatae Mari e de Gardia
ou Turris Gardiae. Ce nom indique assez clairement que la tour, élevée certainement sur le
sommet de la colline, était attenante à l'église ; d'où il est permis de conclure que la chapelle
primitive reconstruite seulement en 1477, était sur l'emplacement qui fut plus tard occupé par
le fort.
D'ailleurs, le document du XIVe siècle relatif aux phares, dont nous avons parlé déjà, nous
apprend que les vigies du Rouet de Carry et de Marseille-Veyre correspondaient avec celle de
Notre-Dame de la Garde, « ad Beatam Mariam de Gardia » _, et non « ad Gardiam » ; c'est
donc bien l'église qui est désignée ici. Or, nul autre point que celui qu'occupe aujourd'hui le
sanctuaire ne pouvait être choisi pour l'observation de la côte devant Marseille et pour
l'échange des signaux avec les deux stations que nous venons de nommer.
Plusieurs auteurs s'appuyant sur Ruffi affirment que la tour de Notre-Dame de la Garde fut
bâtie en 1385. La concision ordinaire et très remarquable de l'auteur de l'Histoire de Marseille
les a, sans doute induits en erreur. Ruffi dit bien, à la vérité, qu' « il y a encore une tour que la
communauté fit construire pour faire le guet, qui est appelée dans les titres de l'an 1385
Turris Beatae Maria de Gardia, ou Turris Gardiae » ; que conclure de ce texte ?
Evidemment, il faut en conclure qu'il existait à cette époque, une tour connue sous le nom de
Turis Beatae Maria de Gardia ; mais on ne saurait raisonnablement prêter à l'historien
marseillais une affirmation qui n'est, en aucune façon, contenue dans sa phrase ; or le texte
précité n'indique nullement que la tour de Notre-Dame de la Garde ait été bâtie en l'année
1385.
II existe, aux archives des Bouches-du-Rhône, une pièce du milieu du quatorzième siècle, qui
fait mention déjà de la tour. Cette pièce porte pour titre :
« Lettres de commission de l'office de la Garde de la tour de Notre Dame de la Garde de la
ville de Marseille, en faveur de Pierre Albaric de Marseille. »
Raymond d'Agout, chevalier, seigneur de la vallée de Sault et de Valdoulle, et sénéchal des
comtés de Provence et de Forcalquier, confie au dit Pierre Albaric, en considération de sa
pauvreté et pour plusieurs autres motifs justes et raisonnables, l'office de la Garde de la ville
de Marseille, aux gages de 2 sous royaux par jour, évalués sur le pied| de 20 deniers pour un
provençal d'argent, voulant que ces fonctions lui soient conservées, à l'exclusion de toute
autre personne, tant que ce sera bon plaisir du roi, de la reine ou le sien propre. Il enjoint, en
conséquence, rigoureusement aux clavaires présent et futurs de la ville de Marseille de payer
intégralement et sans aucune difficulté au dit gardien et à son substitut, durant tout le temps
qu'ils exerceront leurs fonctions, les gages convenus, à partir du jour de son entrée en charge.
Nous venons de parler d'un « substitut. »
Une condition, en effet, digne d'être remarquée, était exprimée dans la pièce dont nous
publions ici le résumé. Pierre Albaric était aveugle. Ne pouvant donc remplir par lui-même
l'office qui lui était il lui était ordonné de se pourvoir d'un « substitut suffisant et capable », à
la charge par lui de le payer sur ses gages ; il devait, par ce moyen exercer sa charge avec
diligence et fidélité, à l'honneur du roi et de la reine et selon la foi qu'il leur avait promise,
restant, au demeurant, principalement responsable vis-à-vis de l'Etat des actes de son
remplaçant : toutes choses dont il avait prêté serment, en personne à l'administration..
Ces lettres furent délivrées à Aix par noble homme, seigneur Antoine Grégoire, licencié ès
lois, lieutenant du juge mage desdits comtés. L’an du Seigneur 1351, le 11 mars, 5me
indiction.
Aprés quoi, l'an et le mois susdits, et le 16 avril, Pierre Albaric fut possession de l'office de la
Garde, comme il appert de l'acte qui en fut dressé. (Archives des Bouches-du-Rhône. B. 1941,
f° 53).
Il. n'est point mutile, croyons-nous, de rappeler que l'année commençant alors au 25 mars, ce
que confirme, du reste, le chiffre de l'indiction, la date de l'acte que nous venons de citer est
en réalité le 11 mars 1352.
0n n'a pas oublié que l'intitulé de cet acte porte expressément qu'il s’agit ici de la tour de
Notre-Dame de la Garde. Or cet intitulé, est transcrit de la même main que les lettres du
Sénéchal sur le registre du calvaire de Marseille qui est de 1352.
I1 est donc certain que la tour de Notre-Dame de la Garde existait au moins dès le milieu du
quatorzième siècle. Nous avons même des raisons de croire qu'elle remonte à une époque
reculée. Voici, en effet, ce que nous lisons dans un état des droits royaux à Marseille, dressé
en 1302 par Jean de Roquemaure, clavaire sortant.:
« Ledit Jean a payé à Pierre Barthélémy, chargé de l'office de la de Marseille, où est établi le
phare, pour son salaire, à raison de six deniers royaux par jour, depuis le huit du mois de
juillet, indiction XIIIeme année 1300, jusqu'au onze du mois de février, XVme indiction,
année 1301, la somme de quatorze livres royaux, onze sous et deux deniers. Ce qui restait dû
pour les gages dudit Pierre Barthélémy devait être payé par le clavaire entrant en exercice. »
(Archives des Bouches-du-Rhone, B. 1937, f° 187 v°).
A quelle date précise faut-il placer la construction de la tour appelée dans tous les actes du
quatorzième siècle Turris Beatae Mariae de Gardîai ? ne saurions le dire encore. Etait-elle
antérieure a la chapelle élevée par maître Pierre sur la colline de la. Garde? Ne fut-elle
construite qu’après cette dernière ? De nouvelles découvertes permettront peut-être de fixer
bientôt ce dernier point.
Revenons maintenant à la chapelle.
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M. Régis de la Colombière nous apprend que le 29 mars 1256, et sans doute après la mort de
l'ermite Pierre, l'église de la Garde fut placée sous la direction de Uzenobre, diacre de SaintVictor.
Il nous a été impossible de contrôler cette assertion.
Pendant plus d'un siècle le silence se fait sur l'antique chapelle. Aucune pièce, aucun
document contemporain n'a été découvert jusqu'à ce jour, qui permette d'éclairer de quelque
lumière ces épaisses ténèbres. Ce n'est que vers la fin du XIVe siècle que nous retrouvons la
trace historique de notre vénéré sanctuaire.
« J'ai vu, dit Ruffi, des jugements de l'an 1371 qui méritent d'être remarqués : en l'un, il étoit
question d'un homme qui avoit la simple tonsure et qui n'étoit point marié, et parce qu'il avoit
commis un meurtre en se défendant, l'Official lui imposa cette peine d'aller nuds pieds tous les
samedis durant une année entière à Notre-Dame de la Garde ayant la tête et les yeux couverts
d'un capuche, et d'ailleurs qu'il jeûneroit ce jour-là au pain et à l'eau. »
Ce qui démontre clairement que, dès le quatorzième siècle, les pèlerinages à Notre-Dame de
la Garde étaient connus et en honneur. Est-il besoin de faire remarquer que c'est le samedi,
jour consacré spécialement à la Sainte-Vierge, que le clerc, simple tonsuré, condamné par
l'Official, devait accomplir sa pénitence ?
Une ancienne coutume marseillaise relatée par Ruffi vient encore confirmer ce premier
témoignage. Nos pères ne se contentaient point d'honorer leurs morts par l'éclat avec lequel ils
célébraient leurs funérailles. Ils priaient surtout pour ceux qu'ils avaient perdus et ils ne
craignaient point d'entreprendre, pour le repos et le soulagement de ces âmes si chères, des
œuvres de pénitence qui nous étonnent et effraient notre faiblesse. « Les messes étoient les
prières les plus ordinaires qu'on faisoit pour les morts.on les divisoit en trois trentains : l'un le
jour du décès, l'autre le lendemain, et le troisième au bout de l'année et à pareil jour que la
personne étoit décédée ; les messes de Saint-Grégoire et de Saint-Amador étoient fort usitées;
on y ajoutoit encore les sept Pseaumes de la Pénitence qu'on faisoit dire par un pauvre tous les
jours pendant une année à la porte de la maison du défunt. Les pèlerinages de Rome, de SaintJacques de Galice, de Saint-Antoine en Viennois et de Notre-Dame de la Garde n'étoient point
oubliés ; et parce que celui-ci étoit trop proche de la ville, il faloit s'éloigner de douze lieues
loin, pour de là y aller nuds pieds. »
On ne nous en voudra pas, nous l'espérons, d'avoir rappelé ces pieu- ses coutumes de nos
Pères.
.L'abbé Joseph BÉLEAU
Echo de Notre Dame de la Garde
4 juin 1882
N° 28