L`évolution des politiques sociales en France

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L`évolution des politiques sociales en France
Le 29 Mars 2010
L'évolution des politiques
sociales en France
Marie-Thérèse Join-Lambert
Bonjour à tous, bienvenue aux citoyens allemands et polonais, et merci de m'avoir invitée.
Et bravo pour ce que vous faites et entreprenez. Toute mon activité passée m'en a convaincue : c'est
vous qui savez, vous qui, au contact du terrain, voyez les dénis de droits, les phénomènes sociaux
émergents, vous qui décelez les phénomènes bureaucratiques, les risques de dérive. Par là même
vous êtes les mieux à même d'innover dans la prévention, dans les réponses à apporter à des
problèmes sociaux nouveaux, dans les modalités de participation des personnes aux décisions qui
les concernent. Les grands tournants de politiques sociales ont souvent été pris à partir
d'innovations conçues ou suggérées par des acteurs non gouvernementaux (allocations familiales
créées par certaines entreprises au 19é siècle, plus près de nous revenu minimum grâce notamment
à ATD et aux travaux menés par le père Wresinski au Conseil économique et social...).
Le problème est de trouver des passerelles, ou plutôt des passeurs, entre la connaissance
sensible et les divers échelons de décision. Le problème est aussi la généralisation des innovations .
Autre échelle, autre méthode. Beaucoup d'innovations intéressantes ont été dénaturées lors de leur
extension au plus grand nombre. Je songe par exemple aux missions locales imaginées par Bertrand
Schwartz en 1982 après de nombreuses réunions d'écoute des acteurs sociaux sur le terrain. Créées
dans un petit nombre de lieux où les problèmes d'emploi, de logement, de santé des jeunes se
posaient de façon plus intense qu'ailleurs, elles ont fait l'objet quelques années plus tard d'une quasi
généralisation à l'ensemble du territoire. Ce qui n'a pas manqué de faire naître des problèmes
bureaucratiques liés à la concurrence avec des organismes en charge de l'emploi, notamment
l'Agence nationale pour l'emploi (aujourd'hui Pôle Emploi).
Vous m'avez demandé de parler de l'évolution des politiques sociales en France. Je le ferai en deux
temps :
-Les grands traits des politiques sociales françaises
-Le sens de leur évolution
J'insisterai bien entendu sur les politiques qui vous occupent plus particulièrement : famille,
exclusion
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I- les politiques sociales françaises
A- Histoire
Les politiques sociales sont nées en France relativement tardivement par rapport à d'autres pays
comme l'Allemagne. On a coutume de faire remonter leur première manifestation à 1841, date de la
loi interdisant le travail des enfants de moins de huit ans. Sont d'abord apparues les politiques du
travail (protection des salariés des grandes industries naissantes), assurances sociales, politiques de
l'emploi et de la formation professionnelle. A partir des années 1980 se sont développées des
politiques dites transversales : politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, politique
d'intégration des immigrés, politique de la ville...De plus en plus en effet les problèmes sociaux liés
aux transformations économiques nécessitaient une coordination entre plusieurs ministères
B- Spécificités françaises
Ces spécificités s'expliquent par l'histoire et la culture de notre pays.
a) Un modèle « bismarckien », ou « conservateur-corporatiste »
En 1945, la France avait deux modèles possibles d'organisation d'une sécurité sociale pour tous : le
modèle bismarckien, né en Allemagne dès la fin du 19è siècle, le modèle beveridgien, institué au
Royaume-Uni en 1940.
Les régimes bismarckiens reposent sur des assurances sociales obligatoires liées au statut de
travailleur, la population étant couverte soit à ce titre, soit au titre d'ayant droit. Leur financement
reposent majoritairement sur des cotisations assises sur les salaires1. Leur gestion est effectuée par
des caisses comprenant les représentants des employeurs et des travailleurs. Les prestations
d'assurance obligatoire sont complétées par des dispositifs d'assistance mis en place par l'Etat, les
collectivités locales, ou encore le secteur associatif.
Le modèle beveridgien, à l'inverse, prend comme base de couverture sociale la résidence sur le sol
national. Il prend en charge les besoins fondamentaux parfois sous forme d'un simple minimum
vital ; il est financé principalement par l'impôt.
Bien entendu, ce classement est extrêmement sommaire. Beaucoup d'analyses effectuées depuis
lors conduisent à un classement plus pertinent des régimes sociaux existant aujourd'hui.
C'est ainsi que l'on distingue :
le régime libéral, dans lequel la place essentielle est laissée au marché, et où il existe simplement
une protection destinée aux plus pauvres. C'est dans les pays de cette inspiration que les taux de
pauvreté sont les plus élevés. On y retrouve-avec des nuances- le Royaume-Uni, et surtout les EtatsUnis
le régime « conservateur-corporatiste », où l'Etat intervient plus fortement pour réguler le marché, à
la fois pour garantir les droits liés aux statuts professionnels et sociaux, et pour compléter les
protections pour ceux qui y échappent.
le régime social-démocrate qui opère une distribution de grande ampleur par le biaix de
1 Les chiffres publiés par la commission européenne donnent pour la période récente un financement par cotisation de
66% en France, 64% en Allemagne, 52% en Pologne. Ces chiffres doivent être considérés avec précaution, car les
définitions des « cotisations » peuvent être différentes selon les pays : ainsi la cotisation sociale généralisée (CSG)
est prélevée non seulement sur les salaires, mais au-delà sur les revenus du capital
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prélèvements progressifs. Il garantit un accès universel et individualisé à des prestations et des
services destinés à l'ensemble de la population. C'est dans les pays qui le pratiquent (pays nordiques
essentiellement) que les taux de pauvreté sont les plus faibles
b) L'Etat acteur toujours puissant, mais une grande complexité
La tradition colbertiste a doté notre pays d'un Etat fort : en matière sociale, c'est lui qui
traditionnellement fixe les règles, les procédures, lui qui a institutionnalisé par la loi les
organisations patronales et syndicales, la section syndicale d'entreprise, lui qui exerce une tutelle
sans partage sur les caisses de Sécurité sociale.
Cependant dès la création de la sécurité sociale, les professions et corporations ont obtenu de
disposer de leurs propres caisses : coexistent avec le régime général de salariés les régimes de la
fonction publique, des agriculteurs, des travailleurs indépendants... Des mutuelles, des régimes
paritaires existent pour les retraites complémentaires de santé, de vieillesse, pour l'indemnisation
du chômage. Dans le domaine médico-social, existent une quantité d'établissements et de services,
regroupés en de fédérations.
La décentralisation des politiques d'aide et d'action sociale engagée en 1983, poursuivie avec le
RMI en 2003, puis avec le RSA, a ajouté à cette complexité. D'autant que, encore mal « digérée ,
elle a provoqué une déstabilisation certaine de l'Etat et de ses services extérieurs qui ont du mal à se
positionner. Il demeure des partages de compétence, des transferts de ressources encore très
contestés.
c)Une couverture sociale généreuse
En témoignent les données comparatives européennes
Les dépenses sociales représentent en moyenne 28% du produit intérieur brut pour l'Europe à 25
31% en France
30% en Allemagne
20% en Pologne
C-Présentation sommaire
a) Niveaux de protection
Il existe quatre niveaux de protection:
1. la sécurité sociale de base, gérées par les Caisses tripartites maladie, retraite, famille
2. les protections complémentaires obligatoires, gérées par des régimes paritaires
3. les protections complémentaires facultatives, gérées par des mutuelles ou des assurances
privées
4. l'aide sociale et les revenus minima : notamment minimum vieillesse, minimum
handicapés, revenu minimum d'insertion (RMI) devenu revenu de solidarité active (RSA).
L'aide sociale est accordée sous condition de ressources et gérée par les départements.
A noter que le RMI lors de sa création ne devait pas, dans l'esprit de ses promoteurs, relever de
l'aide sociale et n'était pas géré de ce fait parles départements..C'était une prestation de solidarité
nationale, accompagnée non d'une contrepartie, mais d'un contrat, librement consenti à partir dune
offre d'insertion que la collectivité avait le devoir de développer. La décentralisation -prématurée à
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mon sens- du RMI a fait perdre de vue l'esprit initial de la loi et interdit au surplus une évolution
vers une insertion plus nette dans l'ensemble de la protection sociale, sous forme par exemple d'un
filet de sécurité de base.
Quoiqu'il en soit, la quasi-totalité de la population devrait être couverte par les 4 niveaux existants,
mais il reste toujours des lacunes ; les causes en sont multiples : complexité des démarches, non
recours, sans papiers...
b) Schémas très simplifiés d'interventions complexes
Politiques de la famille.
Elle est en France généreuse et diversifiée. Elle comprend
-des prestations sociales aux ménages2, dont certaines soumises à conditions de ressources
-des avantages fiscaux : le « quotient familial »qui allège la charge des familles en fonction
du nombre d'enfants
-des aides au logement
-des services sociaux aux famille gratuits ou à prix réduits :crèches, écoles, centres sociaux,
aide aux vacances
La Caisse Nationale d'Allocations Familiales (CNAF) et les 123 CAF présentes sur le territoire
national instruisent et versent les prestations familiales dont le montant et les conditions
d'attribution sont définis par l'Etat. Ce sont les services des impôts qui calculent et déduisent les
charges liées à l'éducation des enfants. Mais les CAF sont aussi chargées depuis 1988 du versement
du RMI, et aujourd'hui du RSA et participent de ce fait directement à la politique de lutte contre la
pauvreté. Elles participent aussi, pour tous les allocataires, aux aides facultatives et aux services
rendus dans le cadre de l'action sociale : vacances , loisirs, bourses d'études. Elles complètent
l'action des municipalités qui sont en charge des crèches et des écoles maternelles.
Des clubs de prévention, des actions éducatives en milieu ouvert travaillent pour prévenir la
déscolarisation, la désocialisation de jeunes, de même que nombre d'associations et
d'établissements travaillent dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance » (ASE) qui est dans la
compétence du conseil général..Les jeunes prédélinquants ou délinquants relèvent eux de la
protection judiciare de la jeunesse qui est demeurée compétence de l'Etat.
Politique le lutte contre la pauvreté
Elle comprend elle aussi des prestations sous condition de ressources (minima sociaux), ainsi que,
sous forme de prestations, de services ou d'hébergement l'aide sociale obligatoire : aides aux
personnes âgées, handicapées, dépendantes (établissements médicosocial ou médical, aide au
maintien à domicile), aide sociale à l'enfance (aides à domicile, mesures en milieu ouvert et de
placement); établissements et services d'aide par le travail pour les handicapés, centres
d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) pour les personnes en difficulté... Toutes choses
auxquelles il faut ajouter l'aide facultative des collectivités locale, des caisses de sécurité sociale qui
disposent de fonds sociaux importants, les moyens particuliers qui sont attribués aux quartiers
reconnus en grande difficulté.
Les prestations obligatoires-notamment le revenu minimum, sont définies par l'Etat, elles sont
instruites par divers acteurs (CAF, associations, départements, centres communaux d'action socialeCCAS)), décidées par le conseil général, versées par les CAF, suivies par un référent départemental
2 Prestations d'accueil du jeune enfant, allocations familiales à partir de deux enfants, complément familial, allocation
de rentrée scolaire...
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L'aide sociale obligatoire est du ressort des départements, mais l'Etat intervient pour l'autorisation
des établissements, la tarification, le financement ; il a toujours dans sa compétence les CHRS et le
établissements d'aide par le travail pour les handicapés.
L'aide sociale facultative (transports, aide aux personnes âgées, jeune...)relèvent des fonds sociaux
des caisses, des communes.
II- L'évolution des politiques sociales françaises
Les politiques sociale françaises ont connu ces vingt dernières années d'importantes évolutions,
plutôt par petites touches. Depuis quelques années, la multiplication des réformes sur tous les
fronts, la difficulté de faire la part de simples déclarations d'intention, de projets qui peuvent être
abandonnés, sont à l'origine d'un manque certain de visibilité. Sans compter les évolutions
silencieuses, dont on aperçoit seulement après coup l'importance.
A- Les causes
1)La montée du chômage, l'instabilité économique, les crises financières alors que les
besoins de financement sont importants, du fait notamment du vieillissement démographique. Les
déficits des régimes sociaux ont mis la pression sur les dépenses sociales. Plus profondément le
changement de système économique, la nouvelle donne internationale, la globalisation,.ont conduit
à d'importants bouleversements sociaux. Si certaines catégories arrivent à tirer leur épingle du jeu,
d'autres, plus démunies, sont vouées à la précarité ou au chômage. Elles ne sont pas reconnues
comme acteur social
2)L'évolution du travail : sous-emploi, développement de l'emploi précaire, mobilités
accrues mettent en cause l'efficacité même de la couverture sociale par l'assurance sociale, mal
adaptée aux personnes aux carrières courtes, discontinues, à celles qui entrent sur le marché du
travail. Le régime français bismarckien est à cet égard particulièrement fragilisé. La nécessité de le
réformer est une évidence.
3)Le mouvement des idées, ce qu'on appelle « le grand retournement ». Après une période
de 30 années où le social et l'économie étaient liés, la crise a fait (ré)apparaître des critiques
anciennes, mais aujourd'hui renouvelées sur les coûts excessifs de dépenses sociales jugées
« improductives, les fraudes aux prestations, les dangers de l'assistance. Beaucoup d'économistes
inspirés par une puissante vague néolibérale ont consacré l'essentiel de leurs travaux à la
« désincitation au travail », aux « trappes à pauvreté », sans tenir compte des conclusions d'études
qualitatives sérieuses montrant que la majorité des personnes en situation de chômage ou relevant
de l'assistance ne souhaitaient qu'une chose lorsque leur état le leur permettait : trouver du travail.
Ce mouvement d'idées a concerné aussi certains adeptes de philosophie politique qui se sont saisis
des notions de droits/devoirs, de responsabilité individuelle sans précautions suffisantes.
4)Cette évolution a été relayée par les médias, et a renforcé la suspicion d'une partie de
l'opinion publique sur les aides accordées aux plus pauvres, liée à l'inquiétude des classes
moyennes craignant de tomber dans la pauvreté, à la montée de l'individualisme, tous phénomènes
témoignant d'une anxiété face à l'avenir plus développée en France que dans d'autres pays
européens.
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B-Les grands traits des évolutions jusqu'à aujourd'hui
Les grandes phases, par périodes
a)Années 1980 : plans successifs de redressement de la Sécurité Sociale. Compression des
dépense (limitation des remboursements, contrôle du budget des hôpitaux), accroissement des
financements (cotisations et ressources fiscales affectées). En même temps développement de
politiques de l'emploi spécifiques en direction des jeunes entrant sur le marché du travail et des
chômeurs de longue durée
b)Années 90 : mesures plus importantes et plus structurelles visant à la maîtrise des dépenses de
maladie, retraite, chômage ; en contrepartie création de dispositifs d'un nouveau type pour faire face
aux difficultés nées de la crise : RMI en 1988, couverture maladie universelle (CMU), loi sur la
famille en 1994, loi de lutte contre les exclusions en 1998
c)Années 2000 : nouvelle phase poursuivant l'objectif affiché d'infléchir les comportements.
Les remboursements de santé sont réduits, le ticket modérateur augmenté, ainsi que le « forfait
hospitalier ». L'incitation à rechercher et trouver un emploi est renforcée pour les chômeurs et les
allocataires du revenu minimum d'insertion, transformé en fin de période en revenu de solidarité
active (RSA). Parallèlement, est poursuivi un objectif de couverture de nouveaux besoins
(allocation pour personnes âgées dépendantes, prestation de compensation du handicap).
Les projets actuellement en cours sont la réforme des retraites -indispensable du fait de
l'allongement de la durée de la vie, et ce qu'on appelle la couverture du « cinquième risque » ( la
dépendance, à côté de la maladie, de la famille, des retraites, les accidents du travail), couverture
qui existe depuis un certain nombre d'années en Allemagne.
Au total, il n'y a pas eu régression globale des dépenses sociales : la proportion des dépenses
sociales dans le PIB s'est accrue3. Le système français a fait flèche de tout bois pour s'adapter aux
changements de son environnement, mais sans perspective d'ensemble. Les inégalités de traitement
et les défauts de couverture n'ont pas été supprimés : ainsi la réduction de la couverture du chômage
a conduit nombre de demandeurs d'emploi à être allocataires du RMI, et pour ceux qui ne
remplissaient pas les conditions de ressources pour l'obtenir, à n'avoir aucune indemnisation au titre
du chômage. La fragmentation et la complexité de notre système s'est plutôt accrue avec la
décentralisation. Les réformes importantes se sont essouflées trop vite : ainsi « la grande loi » de
lutte contre les exclusions n'a été portée par une vraie volonté politique que durant un temps limité.
Les droits proclamés restent par trop théoriques faute d'une mobilisation citoyenne vers un objectif
commun de justice sociale.
C- Plusieurs orientations préoccupantes pour la cohésion sociale
a)Les politiques sociales se focalisent sur la liberté et la responsabilité des personnes. Ces
conceptions ont leurs limites : elles se refusent à prendre en compte les obstacles bien concrets
auxquels se heurtent les personnes en difficulté dont la liberté effective de choix est très restreinte.
Dans ce contexte, les personnes en situation de pauvreté ou d'exclusion se sentent, à juste titre,
ignorées, transparentes, voire méprisées. Les milieux sociaux sont beaucoup plus séparés
qu'auparavant- j'entends « physiquement »séparés du fait de la ségrégation spatiale des logements.
Les classes bien intégrées connaissent souvent mal les conditions de vie des personnes en
3 Ile est vrai qu'en moyenne durant la période considérée, le PIB a cru beaucoup plus faiblement et régressé en fin de
période.
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difficulté. Les enquêtes d'opinion le montrent clairement : le montant du RMI n'est pas connu, ou il
est largement surestimé -alors même que plus de la moitié des personnes interrogées se déclarent
« suspicieuses » à son égard ; les images de la pauvreté sont stéréotypées : beaucoup estiment que la
pauvreté c'est quand on a faim, or il s'agit de toute autre chose, dans un pays développé.
b)Le « tout emploi ». La « valeur » travail prime tout. Les titulaires du RSA sont soumis aux
mêmes contrôles et aux mêmes sanctions (par ailleurs renforcés par une loi de 2008) que les
demandeurs d'emploi. Le RSA dit « socle » c'est-à-dire versé aux personnes qui ne travaillent pas
reste et restera à un niveau très faible. Mais lorsque le chômage est très important ? Et que peuvent
faire les personnes trop éloignées de l'emploi ? C'était une des observations de Patrick Declerck, qui
avait publié en son temps un ouvrage percutant sur les clochards de Paris : qu'on laisse tranquilles
ceux qui n'en peuvent plus, qu'on les laisse tenter de se remettre pendant un temps long, sans leur
demander à tout propos des comptes : un projet de vie, la recherche d'un emploi... Ce qu'on appelle
des maisons relais ont été créées à la suite de cet ouvrage. Innovation heureuse, s'il en est.
c)L'ouverture au secteur privé, qui accompagne la réduction des protections obligatoires, ouvre
la voie au développement des inégalités. Pour la santé le « reste à charge » pour les assurés sociaux
a beaucoup augmenté Dans le même temps les dépassements d'honoraires pour les spécialistes se
sont étendus. Dans certains endroits les assurés ne trouvent plus d'offre de soins financièrement
accessible. Les assurances privées « piétinent » en attendant la mise en place du cinquième
risque..Parallèlement la mise en concurrence entre associations et secteur lucratif se généralise par
le biais des appels d'offre . La mise en concurrence est pratiquée aussi au sein du secteur associatif :
c'est ainsi que la CIMADE a été mise en concurrence dans le domaine de l'action dans les centres
de rétention d'étrangers et doit aujourd'hui licencier 40 personnes sur 126 salariés..
Le tournant n'est pas totalement engagé, mais les menaces sont là.
Conclusion
Vu l'ampleur du sujet que vous m'avez assigné, cet exposé est nécessairement sommaire et partiel.
J'espère surtout qu'il ne vous aura pas trop ennuyé ! Bien sûr, des réformes des politiques sociales
sont nécessaires. La tâche aujourd'hui est difficile pour voir clair dans les évolutions de nos sociétés
européennes. Ouvrir un débat sur un nouveau modèle d'ensemble suppose la compréhension de ce
que nous vivons, grâce à la connaissance concrète, à l'éclairage de grandes théories sociales
indispensables pour une synthèse et une mobilisation. Peut-être faudra-t-il, comme à d'autres
époques, beaucoup de temps, de mouvements sociaux, d'allers et retours..Mais nous ne pourrons
échapper, pour rétablir une cohésion sociale menacée, à revenir aux droits fondamentaux des êtres
humains et à une refondation des idéaux de justice et de solidarité.
Marie-Thérèse Join-Lambert, 29 mars 2010
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