1 Marie-Thérèse Join-Lambert : POUR DES POLITIQUES
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1 Marie-Thérèse Join-Lambert : POUR DES POLITIQUES
1 Marie-Thérèse Join-Lambert : POUR DES POLITIQUES DE PREVENTION DE L’EXCLUSION Pour Marie-Thérèse Join-Lambert, présidente de la Commission lutte contre l’exclusion de l’Uniopss, l’Etat comme les associations ont trop privilégié des politiques sectorisées, centrées sur les pauvres ; dans une optique préventive, il faut s’attaquer aux racines de l’exclusion, d’où le rapprochement avec les partenaires sociaux. Interview. US.- Il semble, avec cette journée, que les associations de lutte contre l’exclusion amorcent un virage stratégique : jusque là, elles interpellaient l’Etat, à qui elles réclamaient des lois ; et là, elles privilégient la collaboration avec les partenaires sociaux. Quel bilan dressez-vous de la phase précédente et qu’est-ce qui justifie ce virage ? Marie-Thérèse Join-Lambert.- Plutôt que de changement de cap, je parlerais d’ouverture. Il n’est pas question pour les associations de renoncer à interpeller les pouvoirs publics ; mais nous souhaitons diversifier les interlocuteurs et effectivement, travailler avec les partenaires qui sont à la fois présents dans l’entreprise, dans un lieu qui peut être à la source de l’exclusion, et acteurs dans d’importantes institutions paritaires. Les associations ont engagé depuis 2,3 ans une réflexion sur les blocages de la lutte contre l’exclusion. Pourquoi le taux de pauvreté, qui s’était réduit de moitié entre 1970 et le début des années 1980 – ce qui représentait un fort facteur d’espoir pour la société française – s’est-il stabilisé depuis ? Pourquoi cet échec relatif des politiques publiques de lutte contre la pauvreté menées durant les 20 dernières années ? Elles s’inquiètent aussi de la réapparition de formes de pauvreté dégradantes, surtout dans les villes - sans domicile de plus en plus jeunes, demandeurs d’asile vivant dans des logements indignes… Faut-il imputer un manquement à nos devoirs d’hospitalité, la crise du logement, le délitement des liens de solidarité et de proximité ? Toujours est-il que nous sommes face à une réalité intolérable. Nous nous interrogeons aussi sur l’état de l’opinion, étudié par l’Observatoire de la Pauvreté, depuis sa création en 1999. Déjà, les enquêtes menées par le Credoc depuis la création du RMI en 1988 montraient que la suspicion à l’égard des gens qui le perçoivent était devenue plus importante, au point de concerner plus de la moitié des personnes interrogées. D’autres enquêtes régulières, plus larges, lancées par la DREES, sur l’opinion des Français, notamment à l’égard des exclus, indiquent que l’opinion se durcit, et met plus souvent en cause la responsabilité personnelle des personnes en difficulté. Les plus critiques ne sont pas les cadres ou les jeunes, mais les catégories qui se situent, en termes de ressources, juste au-dessus de la ligne de pauvreté, et qui, à force 2 de conditions de vie difficiles, craignent de sombrer définitivement dans la précarité et l’exclusion. D’où l’idée que les politiques publiques contre la pauvreté sont centrées à l’excès sur les personnes en situation difficile, trop « sectorisées » en quelque sorte, et qu’il faudrait se montrer plus préventif, inscrire ces politiques dans une lutte d’ensemble contre les inégalités. Il faut aussi se préoccuper des catégories modestes, très proches de la pauvreté, et faire en sorte qu’elles n’y tombent pas, car le coût humain et financier des interventions, une fois le mal fait, est beaucoup plus important. Il s’agit donc de favoriser des politiques plus préventives, afin que la société, dans son ensemble, fonctionne mieux, ce qui correspond aux objectifs des syndicats. US.- Vous avez donc pris contact avec ces derniers. Mais ne vous êtes-vous pas heurtés à des incompréhensions, voire de vives critiques ? MTJL.- Critiques et méconnaissance existaient des deux côtés : il s’agit de deux mondes, avec des champs d’action, des histoires, des cultures très différentes. Les associations reprochaient aux syndicats d’avoir « laissé tomber les pauvres ». Les syndicats nourrissaient quelque méfiance sur la représentativité des associations, leur culture « caritative », leur supposée absence de laïcité… Mais dès les premiers contacts, nous avons reçu un accueil très ouvert. Les réunions qui ont eu lieu, souvent en présence du secrétaire général, ont abouti à des discussions réellement franches et directes. Les syndicats ont expliqué qu’ils souffraient du déficit d’engagement propre à notre société – les effectifs syndiqués ont connu une forte diminution depuis l’après-guerre. Dans ce contexte, leurs adhérents, souvent mal rémunérés, en danger d’être licenciés, leur demandaient de s’occuper en priorité d’eux et les ont « tirés » vers des attitudes parfois peu soucieuses des personnes exclues. De leur côté, les associations ont du reconnaître, que malgré leurs efforts, la pauvreté n’avait pas régressé et que leurs interventions, trop centrées sur les exclus, avaient pu y contribuer. US.- Un consensus existe-t-il aujourd’hui, avec les syndicats, sur le diagnostic et sur les remèdes ? MJTL.- Au cours des échanges, chacun des partenaires, je crois, a été impressionné par la qualité de la réflexion de l’autre. Les travaux conduits au Conseil économique et social, entre autres le récent rapport de Didier Robert, ont facilité le rapprochement. Il y a totale convergence en tous cas pour inscrire l’action contre la pauvreté dans une lutte plus large contre les inégalités. US.- Sur quels thèmes avez-vous prévu de travailler ? 3 MJTL.- Au plan national, nous avons maintenant des correspondants identifiés dans les syndicats, nous échangeons régulièrement des informations. Nous avons retenu une série de thèmes, entre lesquels nous devrons choisir, et qui pourront varier d’une organisation syndicale à l’autre. Nous ne sommes pas obligés de faire au même moment la même chose avec les 5 organisations ! Nous allons discuter, en particulier avec la CFDT, mais aussi avec d’autres, sur l’indemnisation du chômage, cause directe de pauvreté, car elle est peu favorable aujourd’hui aux travailleurs précaires Sur le logement, nous avons en projet une plate-forme commune qui pourrait être rendue publique avant les Assises du logement, à l’automne 2005. Nous dresserons un premier bilan de notre collaboration en mai prochain, lors du rendez-vous annuel prévu par l’appel du 26 mai. Au niveau local, le choix reste ouvert entre décliner dans les collectifs régionaux des journées comme celle du 26 mai au CES ; ou organiser des rencontres, dans les bassins d’emploi, sur des thèmes relatifs à l’emploi dans la région. Une autre voie intéressante, proposée notamment par FO, consisterait à prendre contact avec les représentants syndicaux dans les Caisses de Sécurité sociale, dont les moyens face aux situations de rupture de droit sont réels : quand les problèmes se répètent, ils pourraient être corrigés par des interventions en CA. US.- Et où en êtes-vous avec le monde de l’entreprise ? MJTL.- Un gros travail reste à faire avec le Medef, qui a été difficile à joindre, et avec qui nous n’avons pas été aussi loin qu’avec les syndicats. Il en est de même pour la CGPME ou l’UPA. Mais je suis optimiste : il ne faut pas voir le monde patronal comme uniforme, fermé par nature au social ; parmi les patrons chrétiens, les jeunes dirigeants, dans les grandes comme les petites entreprises, il y a des gens d’une grande ouverture, avec qui, je l’espère, on pourra avancer… Propos recueillis par Bernard Boudet