Bilan médical des Jeux Olympiques de Pékin

Transcription

Bilan médical des Jeux Olympiques de Pékin
Evolution des performances du cyclisme sur route
Nour EL HELOU
Nous avons étudié l’évolution des performances en cyclisme sur route au travers des
11 courses les plus représentatives : 4 courses en ligne d’une journée - Milan-San Remo,
Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et La Flèche Wallonne -, 4 courses à étape qui durent
de 4 à 6 jours - Paris-Nice, les Quatre Jours de Dunkerque, le Midi Libre et le Dauphiné
Libéré - et les 3 grands tours européens - Italie, France et Espagne. Pour chacune de ces
courses, depuis leur première édition jusqu’en 2008, nous avons collecté les kilomètres
parcourus, les temps des dix premiers coureurs et la vitesse moyenne des coureurs. Pour les
tours, nous avons également collecté les profils des courses- somme des altitudes de tous les
cols grimpés - afin d’obtenir un indice de difficulté. Au total, 8 540 performances ont été
collectées, dont celles de 854 vainqueurs.
Nous avons également étudié l’évolution annuelle des vitesses des vainqueurs et celle des
records de vitesse. Dans le cas du Dauphiné Libéré, la vitesse du vainqueur - 34 km/h aprèsguerre - a régulièrement progressé jusqu’en 1970, avant d’atteindre un plateau entre 1970 et
1990 - 37 km/h -, puis de repartir à la hausse jusqu’à 39 km/h.
Dauphiné libéré : évolution de la vitesse du vainqueur
Nous avons regroupé toutes les courses et effectué une moyenne annuelle des 11 vainqueurs
des 11 courses. Dans les années 1900, la moyenne de vitesse était de 26,5 km/h. Dans les
années 2008, elle était supérieure à 40 km/h.
L’évolution des vitesses s’est faite sur quatre périodes :
-
le début de la compétition où les performances sont très variables
-
l’entre deux-guerres : la croissance des performances est rapide du fait de l’évolution
du matériel et d’une meilleure structuration des méthodes d’entraînement
-
l’après-guerre : l’évolution est lente avec un plateau atteint dès les années 1970
-
les années 1990, avec une brusque amélioration des performances de 6,2 % par rapport
à l’étape de stagnation précédente.
Moyenne lissée des vitesses des onze courses
Cette évolution des années 90 ne peut pas être justifiée par des considérations technologiques,
puisque la technologie a commencé à jouer un rôle dans le cyclisme bien avant les années 90.
En fait, cette quatrième période de progression des performances est inexplicable par les
méthodes classiques. Les parcours n’ont pas changé, l’entraînement non plus - il était déjà
structuré. L’une des explications circonstantielles les plus probables tient à l’arrivée de l’EPO
dans le peloton : le gène est codé en 1985, les premières formes thérapeutiques mises sur le
marché en 1989. L’évolution de la quatrième période est asymptotique. Comme les autres
périodes, elle se stabilisera, mais nous ne savons pas encore à quelle échéance.
Nous avons également analysé l’évolution des records de vitesse du Tour d’Italie, du Tour de
France et de Paris-Roubaix.
Record de vitesse sur le Giro, le Tour de France et Paris-Roubaix
S’agissant de cette dernière course, les secteurs pavés ont changé. Il en a résulté une
modification des performances. Le record date de 1964. Par la suite, la progression s’est
avérée exponentielle et asymptotique. Les deux derniers records de vitesse du Tour de France
sont atypiques. Ils ne cadrent pas avec le modèle. Les records actuels sont très proches de leur
valeur asymptotique. La marge de progression est minime.
Nous avons comparé la relation entre le dénivelé total des courses et la vitesse du vainqueur.
Cette relation était cohérente entre 1960 et 1989 : plus la difficulté du parcours augmentait et
plus la vitesse diminuait. A partir des années 90, la vitesse a augmenté en même temps que la
difficulté des parcours. C’est incohérent.
Profil de la course
En résumé, cette période des années 90 présente plusieurs éléments troublants : pas de relation
entre le dénivelé du Tour de France et la vitesse de la course, pas de justification
technologique à la progression des vitesses, découverte et commercialisation de l’EPO. Y
aurait-il un lien entre l’amélioration des performances et l’arrivée de l’EPO ?
Questions-réponses avec l’amphithéâtre
Armand MÉGRET
Tout le monde sait que l’EPO est responsable de la progression anormale des performances.
Vous avez relevé que les deux derniers records de vitesse du Tour de France étaient
atypiques. En quelle année ont-ils été accomplis ?
Nour EL HELOU
En 2003 et en 2005. Ces deux Tours de France ont été gagnés par Lance Armstrong.
Jean-François TOUSSAINT
Nous n’avons pas encore d’explication claire quant à la progression des performances dans les
années 90. L’EPO n’est peut-être pas la seule explication car nous ne connaissons pas encore
son impact exact mesuré sur la performance cycliste.
Armand MÉGRET
Je ne peux pas vous en dire davantage à ce jour. En revanche, j’aimerais que le cyclisme cesse
d’être stigmatisé. Bien sûr, l’EPO est responsable de l’évolution anormale qui a été relevée,
mais s’il s’agissait du seul facteur, nous devrions assister à un repli des performances.
L’entraînement a peu évolué. Il n’est pas du tout optimisé. Les coureurs sont livrés à euxmêmes. Cela explique beaucoup de dérives.
Jean-François TOUSSAINT
La stigmatisation n’est clairement pas notre objet. Nous avons balayé l’ensemble du spectre
sportif. Le biais de l’entrée par l’épidémiologie de la performance nous a paru être un point
essentiel pour comprendre la situation actuelle du sport de haut niveau. Nous ne stigmatisons
pas. Nous mesurons. Or l’ensemble du cyclisme sur route montre la même évolution.
De la salle
Les deux points atypiques qui ont été relevés me font penser que les transfusions sont plus
efficaces que l’EPO.
De la salle
Je ne suis pas surpris du changement de performance dans les années 90. Nous savons très
bien ce qui s’est passé à cette époque. Toutefois, la difficulté du Tour de France ne se juge pas
par le dénivelé dans les cols, mais plutôt par la distance parcourue. Or celle-ci a diminué. De
fait, les coureurs vont plus vite. De plus, deux jours de repos ont été introduits. Enfin, les
vitesses ont peu changé sur Paris-Roubaix dans les années 90. Chacun sait que l’EPO agit
davantage sur une épreuve d’endurance que sur une épreuve d’un jour.
Nour EL HELOU
La vitesse du vainqueur de Paris-Roubaix a également évolué dans les années 90.
Jean-François TOUSSAINT
La diminution de la distance du Tour de France remonte au début des années 1920. Il n’y a
pas eu de mouvement nouveau dans les années 90.
De la salle
Un sociologue allemand avait travaillé sur cette question de l’évolution des performances. Il
serait intéressant de comparer les performances des meilleurs français avec les performances
des meilleurs mondiaux et des coureurs d’autres pays.
Jean-François TOUSSAINT
Une étude géopolitique de l’ensemble des records du monde sera présentée dès demain à la
société française de médecine du sport.