Particularités des peaux génétiquement pigmentées.
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Particularités des peaux génétiquement pigmentées.
Particularités des peaux génétiquement pigmentées. J.-J. Morand* & E. Lightburn Service de dermatologie,Hôpital d’instruction des armées Alphonse Laveran,13998 Marseille, France. *E-mail : [email protected] Manuscrit n°2472/DT 11.“Dermatologie tropicale”.Reçu le 25 septembre 2002.Accepté le 8 juillet 2003. black skin dermatosis papulosa nigra The analysis shows that apart from the relative hyperpigmentation of the "black"skin (genetically deter - acral punctuated hyperkeratosis mined and variable according to ethnic group, age, sex and solar exposure), which determines the secon progressive macular dary dyschromic reactions to the majority of the dermatosis, and, except the differences of frequency of hypomelanosis of the trunk diseases related especially to geographical or epidemiologic determinisms, there is no true specificity acne keloidalis although some entities are little or not described on "white" skin (dermatosis papulosa nigra, acral punc pseudofolliculitis barbae aïnhum tuated hyperkeratosis, progressive macular hypomelanosis of the trunk, acne keloidalis, pseudofolliculitis barbae, aïnhum…). Summary: Characteristics of the skins genetically pigmented. Résumé : peau noire L’importance des réactions dyschromiques secondaires à la plupart des dermatoses caractérise la peau dite dermatosis papulosa nigra classiquement “noire” et résulte de son hyperpigmentation relative génétiquement déterminée et variable selon l’ethnie, l’âge, le sexe et l’exposition solaire. Les différences de prévalence des maladies sont surtout kératodermie ponctuée palmaire hypomélanose maculeuse liées à des déterminismes géographiques ou épidémiologiques. Il n’y a en fait pas de véritable spécificité confluente progressive bien que quelques entités soient peu ou non décrites sur peau dite “blanche” (dermatosis papulosa nigra, acné chéloïdienne kératodermie ponctuée palmaire, hypomélanose maculeuse confluente progressive, acné chéloïdienne, pseudo-folliculite de barbe pseudo-folliculite de barbe, aïnhum…). aïnhum Introduction L e titre de cet article, d’approche essentiellement clinique, est adopté afin d’éviter les amalgames généralement faits entre la peau dite noire, certaines autres caractéristiques phénotypiques notamment phanériennes, ainsi que les confusions entre les populations géographiques (notamment africaine d’ailleurs non homogène génétiquement (28)), la notion toujours discutée de race (avec notamment l’hypothèse ancienne d’une race “noire” et d’une race “blanche ” dite caucasienne (4)), le terme d’ethnie (jugé parfois plus “politiquement” correct alors qu’il mêle volontiers des particularités culturelles avec des éléments géographiques et des critères génétiques). En effet, la problématique est justement que la plupart des articles ou ouvrages (généralement dermatologiques) sur la question, utilisent ce terme de “peau noire” : or il n’est jamais défini de façon scientifique. Historiquement, les travaux portaient sur les individus vivant en Afrique dite “noire”. De ce fait, les différences rapportées de prévalence des affections relevaient en fait plus de biais géographiques. Les études sur les sujets originaires de ces contrées, notamment sur “la” population afro-américaine des États-Unis d’Amérique (elle-même très hétérogène), ont permis de pondérer ces résultats. D’autre part, tous ces travaux comparaient volontiers des sujets à pigmentation extrême alors qu’en pratique on observe dorénavant dans le monde, tous les intermédiaires de dégradés qu’ont permis les migrations de populations et le métissage. La différenciation des individus uniquement selon le degré “visuel” de coloration de la peau ne peut être que subjective et il vaut Dermatologie tropicale mieux alors utiliser le terme relatif de peaux hyperpigmentées ou tout simplement pigmentées, en spécifiant le caractère génétique de cette caractéristique (15, 18), modifiée évidemment par la quantité d’exposition solaire, et en comprenant bien qu’un seul critère phénotypique ne permet pas d’identifier une population raciale génétiquement homogène d’où découleraient des caractéristiques physio-pathogéniques (24). Les peaux asiatiques et la palette de couleurs observée en Amérique du Sud, en Australie, en Inde et en Indonésie peuvent alors s’intégrer à ce continuum. Les critères phénotypiques, comme les cheveux crépus par exemple, ne sont plus liés alors automatiquement à la couleur foncée de la peau, puisque des Indiens “noirs” ont des cheveux lisses (figure 1). En somme, notre dessein est simplement de montrer les différences sémiologiques liées à la pigmentation de la peau, tant pour des caractéristiques physiologiques que pour les maladies dermatologiques ou infectieuses. Il semblerait illogique néanmoins de ne pas traiter ici la pathologie des cheveux et poils crépus et évidemment de ne pas essayer de comprendre les différences de prévalence de certaines dermatoses entre les diverses populations. Enfin la méta-analyse des études “biologiques” sur la “peau noire” sera très prudente car la plupart des travaux “scientifiques” sur le sujet sont biaisés et souvent contradictoires. Ils sont réalisés sur de faibles effectifs ; ils sont en outre peu nombreux comme si, malgré le fait que la population pigmentée soit bien représentée à l’échelle mondiale, les instituts de recherche et l’industrie pharmaceutique avaient un peu délaissé la question. 394 Biologie de la peau pigmentée et conséquences physiopathogéniques Figure 1.* Figure 2.* Chéloïde du lobe de l'oreille chez une Indienne. Earlobe cheloid in Indian woman. Carcinomes multiples chez une Africaine albinos. Numerous carcinomae in African albino woman. Figure 3.* Figure 4.* A insi, histologiquement, la distinction résulte d’une mélanisation (formation des grains de pigment élémentaires ou mélanosomes dans les mélanocytes) et d’une pigmentation (transfert du pigment dans les kératinocytes) différentes (6, 11). Statistiquement, les mélanosomes de la “peau noire” sont de plus grande taille (0,6 x 0,25 µ) et restent dispersés dans le cytoplasme des kératinocytes après leur transfert, contrairement à ceux de la “peau blanche” qui sont groupés, envacuolés dans des lysosomes et plus petits (0,5 x 0,2µ). De plus, ils ne sont pratiquement pas dégradés et peuvent parvenir intacts jusque dans la couche cornée (27). Une récente étude (1) apporte un argument supplémentaire en révélant une majoration significative de la tyrosinase related protein 1 chez des Africains et des Indiens comparativement à des Européens, des Chinois et des Mexicains, ainsi qu’une augmentation de l’expression de la tyrosinase proteindans les mélanocytes de la peau photo-exposée, alors que le nombre de mélanocytes n’est effectivement pas augmenté selon le groupe. La photoprotection du sujet noir est évidemment améliorée par l’hyperpigmentation mélanique: cela contribuerait à la moindre carcinogénèse photoinduite. Le carcinome basocellulaire est assurément plus rare chez le sujet noir (< 5% de l’ensemble des cancers cutanés contre plus de 65 % chez le sujet blanc) alors qu’il est très fréquent chez l’albinos (2, 9) (figure 2). Le carcinome épidermoïde est le plus fréquent des cancers cutanés du sujet noir vivant sous les tropiques. Or, il survient moins souvent en zone photo-exposée du fait de la photoprotection de la mélanine, mais surtout en raison de sa survenue fréquente sur les ulcérations chroniques, notamment les ulcères de jambe quelle que soit leur cause (phagédénique une fois sur deux) (figure 3). Moins fréquent en valeur absolue que chez l’individu blanc, le mélanome représente chez le sujet noir en valeur relative la troisième cause de cancer cutané (après les carcinomes et les sarcomes) (26) et présente la caractéristique de se localiser presque exclusivement en distalité avec, par ordre de fréquence, la plante des pieds (figure 4) et les talons (volontiers à la jonction entre zones pigmentées et hypochromes ; représentant plus des deux tiers des mélanomes alors qu’on estime à moins de 7% la fréquence relative de cette topographie sur peau blanche), les tissus sous- ou péri-unguéaux et les paumes des mains. Cette localisation particulière dans une zone classiquement non ou peu exposée au soleil, peu pigmentée relativement au reste du corps, est un argument pour l’existence d’autres facteurs que la photoexposition favorisant le mélanome. L’hypothèse traumatique favorisée par la marche pieds-nus est plausible pour la population africaine, moins pour les Afro-américains. Une multiplication focale majorée des mélanocytes dans cette topographie acrale, ce dont témoigneraient les macules lentigineuses plantaires (figure 5) (à ne pas confondre avec des syphilides généralement palmo-plantaires (figure 6)) ou les mélanonychies longitudinales (figure 7) considérées comme physiologiques, pourrait favoriser les erreurs Carcinome spinocellulaire sur ulcération chronique après brûlure (photo T.Passeron). Spinocellular carcinoma on chronic ulceration after burn Figure 5.* Macules hyperpigmentées plantaires. Plantar hyperpigmented maculae. Mélanome plantaire : noter la polychromie ` et l'extension acro-lentigineuse. Plantar melanoma: note the polychromia and the acrolentiginous spreading. Figure 6.* Syphilides palmo-plantaires chez un sidéen ; noter la collerette de Biett. Palmoplantar syphilids in AIDS patient: note the Biett's collar. * iconographie en couleur sur notre site: http://www.pasteur.fr/socpatex/pages/dermato.html Bull Soc Pathol Exot, 2003, 96, 5, 394-400 395 J.-J. Morand & E. Lightburn Figure 7.* Figure 8.* Mélanonychies longitudinales. Longitudinal melanonychiae. Figure 9.* Figure 12.* Figure 11.* Figure 10.* Hyperpigmentation mélanique gingivale. Melanotic gingival hyperpigmentation. Ligne de démarcation médiosternale. Mediosternal depigmentation line. Lichen d'évolution pigmentaire Lichen with pigmentary evolution. Erythème pigmenté fixe. Fixed pigmented erythema. Pigmentation ponctuée linguale Lingual punctuated pigmentation. de mitose et induire des clones tumoraux. On peut aussi inverser le problème et dire que la forte pigmentation cutanée protège le sujet “noir” du mélanome et que seules ces zones peu pigmentées (ainsi que, dans l’ordre, les muqueuses génitales, anales et buccales) comportent un risque de mélanome qui, globalement en terme de nombre absolu, n’est pas majoré comparativement aux sujets à peau claire. L’inconvénient de ce filtrage UVB est la carence en vitamine D avec risque d’ostéomalacie. La protection contre les UVA est moindre, expliquant l’existence non exceptionnelle de photoallergies de contact et de photosensibilité endogène chez le sujet noir. Le derme superficiel comporte quasi constamment du pigment mélanique et la présence d’une incontinence pigmentaire avec mélanophagie est fréquente lors d’inflammation. Il n’y a pas de variation objectivable entre le tissu conjonctif, les glandes sudorales ou sébacées de la peau noire et ceux de la population blanche et il serait trop long de détailler les diverses études contradictoires sur le sujet (14, 18). Variations physiologiques de l’hyperpigmentation et dyschromies pathologiques résultant des diverses dermatoses A u sein d’un même groupe ethnique, on peut observer des différences de pigmentation significative selon le sexe, l’âge et l’exposition solaire. De plus, la pigmentation naturelle du sujet noir n’est ni homogène ni uniforme. Ainsi, les paumes et les plantes sont moins pigmentées (hormis sur les plis de flexion) au contraire des zones péri-orbitaires, péri-buccales et des zones particulièrement photo-exposées. Il existe des lignes pigmentaires dites de “démarcation” qui sont peu visibles chez le sujet à peau claire et qui sont bien mieux visualisées et individualisées chez les sujets noirs, asiatiques ou métis. Ainsi, on note une moindre pigmentation de la face antéro-interne du bras, comparativement à la zone postéro-externe, définissant ainsi une ligne de démarcation dite de Futcher-Voigt ou, plutôt chez les enfants, plus rarement chez les adultes (figure 8), une ligne médiosternale hypopigmentée (23). L’hyperpigmentation mélanique gris-bleutée ou brune des muqueuses buccales, notamment des faces vestibulaires des gencives (figure 9), de la face interne des joues et plus rarement du palais est physiologique et n’apparaît nettement qu’à l’adolescence. La pigmentation de la langue est moins systématique et peut concerner aussi bien la pointe que les bords latéraux de façon très ponctiforme sur les papilles ou en nappes (12) (figure 10). Le diagnostic des principales dermatoses est modifié sur peau noire essentiellement en raison de cette différence de pigmentation, de la moins bonne perception de “l’érythème” et de la meilleure visibilité de l’évolution dyschromique de nombreuses dermatoses : pigmentogène lors d’incontinence pigmentaire dermique post-inflammatoire (soit par effraction de la couche basale et passage de mélanine dans le derme lors de lichen - figure 11 -, soit par nécrose cellulaire lors d’érythème pigmenté fixe - figure 12 -, soit encore par spongiose, * iconographie en couleur sur notre site: http://www.pasteur.fr/socpatex/pages/dermato.html Dermatologie tropicale 396 Particularités des peaux génétiquement pigmentées. inflammation et dissociation cellulaire lors d’eczéma lichénifié par exemple), hypochrome lors d’accélération de la kératinisation avec diminution du transfert de mélanine dans les kératinocytes (dermite séborrhéique - figure 13 -, eczématides -figure 14-, parapsoriasis…), ou variable selon le mécanisme Figure 13.* Dermite séborrhéique bipolaire de l'enfant d'évolution hypochrome. Bipolar seborrheic dermitis in child with hypochromia. Figure 14.* Eczématide achromiante (dartre) : noter la lésion active érythémateuse de la commissure labiale, évocatrice d'eczéma. Scurfy affection: (atteinte des mélanocytes lors de pityriasis versicolorfigure 15, 16 - ou au contraire pigments sécrétés par certains dermatophytes, atrophie épidermique lors de sclérodermie, infiltrats inflammatoires lors de lèpre avec modification de la mélanisation et du transfert kératinocytaire, production d’anticorps et/ou de molécules endogènes ou exoFigure 16.* gènes cytotoxiques inhibant le processus de mélaPityriasis versicolor achromiant. nogénèse lors du vitiligo). La conjonction d’hypo Achromatous pityriasis versicolor. et d’hyperchromie est fréquente soit parce qu’on peut observer simultanément des lésions séquellaires et des éléments actifs de la dermatose (lupus - figure 17 -, leucomélanodermie pintoïde ou lors de pian - figure 18 -, sclérodermie - figure 19 -), soit parce que les mécanismes pigmentogènes et achromiants se combinent (onchocercose, prurigo excorié). Bien entendu, les génodermatoses résultent de processus différents (déficit dans le système enzymatique des tyrosinases lors d’albinisme). La particularité de la sémiologie sur peau noire résulte Figure 17.* donc surtout de cette différence de coloration cutaLupus actif : noter l'érythème visible née. Ainsi la rougeole, outre sa classique gravité en en raison de l'atrophie et les séquelles hypo et hyperchromes des poussées précédentes milieu tropical, ne se traduit pas par un érythème Active lupus: note the visible erythema because of atrophy and the hypo and hyperchrome- mais par un teint grisâtre, un aspect velouté à jour mia sequelae of the previous eruptions. frisant, papuleux au toucher, suivi d’une pigmentation maculeuse “tigroïde” (figure 20) et d’une desquamation fine, furfuracée, plus marquée que sur peau blanche. L’érythrodermie ou classiquement “homme rouge de Hallopeau” c o rrespond ici à l’homme gris ardoisé (figure 21), même si, sur peau peu pigmentée, l’aspect inflammatoire d’une dermatose peut se voir notamment sur la face où l’on perçoit une coloration rosée. L’eczéma, la gale généralisée, les toxidermies et les lymphomes cutanés T note the active, erythemous lesion of the labial commissure suggesting eczema. Figure 20.* Pigmentation "tigroïde" d'une rougeole (photo Fabrice Simon) Spotted pigmentation of measles Figure 18.* Leucomélanodermie lors d'un pian (photo Emmanuel Clity) Leucomelanoderma during yaws Figure 21.* Figure 19.* Figure 15.* Pityriasis versicolor nigricans. Pityriasis versicolor nigricans. Sclérodermie : aspect moucheté par préservation des pigments périfolliculaires. Scleroderma : flecked aspect by preservation of perifollicular pigments. Erythrodermie : noter la couleur grise ardoisée. Erythroderma: note the slate grey color. Figure 22.* Vitiligo avec aspect "trichrome" sur peau noire. Viligo has often a "trichromatic" aspect on black skin. * iconographie en couleur sur notre site: http://www.pasteur.fr/socpatex/pages/dermato.html Bull Soc Pathol Exot, 2003, 96, 5, 394-400 397 J.-J. Morand & E. Lightburn Figure 23.* Lèpre indéterminée : la recherche d'une hypoesthésie et d'une hyposudation doit être systématique en zone endémique. Figure 25.* Figure 24.* Pseudo-ochronose exogène. Exogenous pseudo-ochronosus. Intermediate leprosy: hypoaesthesia and hyposudation Psoriasis chez une Djiboutienne ayant un mode de vie européen (photo Fabrice MARROT). Psoriasis in a woman native from Djibouti living as an European. investigations must be systematic in endemic area. épidermotropes en constituent les étiologies essentielles, le psoriasis étant moins fréquent que dans nos contrées. Le purpura est difficile à distinguer sur une peau très foncée et on l’évoque devant des pétéchies violettes ne s’effaçant pas à la vitropression ; l’atteinte muqueuse est mieux visualisée (tout comme pour l’ictère et l’anémie qui peuvent être évoqués au niveau de la face ventrale de la langue et des conjonctives). Les hypo ou achromies sont mieux contrastées et le vitiligo peut être ainsi particulièrement affichant. Il persiste souvent une zone hypochrome brune à la jonction du centre achromique et de la périphérie volontiers hyperpigmentée donnant un aspect “trichrome” au vitiligo (figure 22). Le problème majeur des hypochromies localisées est évidemment de les distinguer, en zone d’endémie, d’une lèpre indéterm i n é e ; la re c h e rche d’une hypoesthésie et surtout d’un trouble de la sudation doit être systématique (figure 23). Les hypermélanoses acquises sont fréquentes ; d’une part le sujet noir peut bronzer : cette pigmentation augmente le contraste entre les inégalités congénitales de coloration ou bien les variations pigmentaires cicatricielles existantes. Les phénomènes de photosensibilisation ou de phototoxicité sont fréquents ; le mélasma (chloasma) n’est pas rare, surtout depuis la généralisation de la contraception orale. Les agressions cutanées physiques sont nombreuses (friction avec un gant de crin ou une pierre ponce… ; utilisation de brasero favorisant une dermite des chaufferettes à type de livedo fixe, à mailles épaisses et très pigmentées). De tout temps, dans le cadre de pratiques traditionnelles, les individus noirs ont cherché à modifier leur apparence, soit de façon temporaire par l’intermédiaire de colorants, soit de façon plus durable par application de topiques le plus souvent décolorant ou défrisant, soit de façon définitive par le biais de tatouages, scarifications ou circoncisions. Ainsi, en Afrique noire (études épidémiologiques notamment à Bamako et Dakar), l’utilisation de corticoïdes à visée dépigmentante est fréquente et, outre l’hypochromie, on observe les autres effets secondaires que sont l’acné, les vergetures, l’atrophie cutanée, les infections cutanées fongiques (dermatophytie), bactériennes (folliculite) ou virales (herpès) ainsi que les complications métaboliques et le risque d’insuffisance surrénalienne à l’arrêt brutal du traitement. Les autres produits les plus fréquemment utilisés sont des topiques à base d’hydroquinone, des dérivés mercuriels ou des crèmes traditionnelles. Les complications résultent aussi bien de la technique de dépigmentation utilisant initialement des produits caustiques (avec effet “peeling” laissant des séquelles à la fois hyper et hypopigmentées) que de l’évolution imprévue de l’action dépigmentante avec, fréquemment, une accentuation des contrastes entre les zones naturellement hypo ou hyperpigmentées. La pseudo-ochronose exogène est une complication de l’utilisation cosmétique répétée de produits contenant de l’hy- droquinone peut-être par effet photo-toxique. Elle concerne généralement des femmes et se traduit par de vastes placards brun foncé, cartonnés, parsemés de micropapules confluentes, contrastant avec les zones adjacentes éclaircies par les dépigmentants. La face et les régions découvertes (cou, épaule, décolleté) sont les plus touchées (figure 24). Les oreilles peuvent prendre une coloration bleutée. L’alcaptonurie, les hyperpigmentations favorisées par la prise d’antipaludéens de synthèse, de résorcine, de phénol ou de mercure constituent les principaux diagnostics différentiels cliniques. La dermatose ne régresse pas, même après l’arrêt des dépigmentants (13, 14). Les différences de prévalence des maladies classiquement rapportées pour les individus à peau noire sont surtout liées en fait à des déterminismes géographiques (16): la plupart des sujets hyperpigmentés vivent dans les régions tropicales où naturellement les infections et parasitoses, parfois à risque létal, prédominent. Les dermatoses classiques ne constituent pas alors, sauf dans les villes en voie d’industrialisation, un motif essentiel des consultations et ne sont parfois même pas reconnues. Néanmoins, si l’on prend l’exemple du psoriasis, peu décrit sur peau noire, il est de façon indiscutable, malgré l’absence de statistiques précises, plus rare en Afrique et de façon générale sur peau pigmentée, car même si l’on prend en compte la difficulté d’accès aux soins pour les pathologies sans risque vital et les erreurs diagnostiques, la chronicité de cette pathologie, malgré les thérapeutiques modernes, en ferait si son incidence était non négligeable, un motif important de consultation, a fortiori dans les pays où elle peut simuler des affections plus graves, notamment les infections dues aux mycobactéries ou aux tréponèmes. Les explications avancées de cette prévalence moindre (avérée surtout en Afrique de l’Ouest ; les Noirs d’origine hamitique ou bantou de l’est seraient plus concernés par la maladie) sont diverses: rôle de l’exposition au soleil, terrain génétique, agent déclenchant éventuellement infectieux plus fréquent en dehors des tropiques, rôle du stress favorisé par le mode de vie des pays industrialisés (en Afrique, ce sont d’ailleurs les citadins les plus touchés par cette maladie (17 ; figure 25))… Inversement, les chéloïdes sont globalement plus fréquentes, volontiers plus exubérantes, “tumorales” chez le sujet noir surtout sous les tropiques: cela pourrait résulter à la fois d’un phénomène d’isolat avec majoration de la transmission génétique de l’affection, mais aussi d’une plus forte induction par les pratiques rituelles (incisions, scarifications avec un rôle aggravant des substances colorantes ou hémostatiques indigènes). Même les entités considérées comme assez spécifiques de la peau noire sont désormais décrites sur peau dite “blanche” ou en tout cas peu pigmentée : dermatosis papulosa nigra (figure 26), aïnhum (figure 27), kératodermie ponctuée palmaire (figure 28), hypomélanose confluente progressive (figure 29), pseudo- * iconographie en couleur sur notre site: http://www.pasteur.fr/socpatex/pages/dermato.html Dermatologie tropicale 398 Particularités des peaux génétiquement pigmentées. Figure 26.* Dermatosis papulosa nigra Dermatosis papulosa negra. Figure 27.* Figure 28.* Aïnhum. Aïnhum. folliculite de barbe, acné chéloïdienne… Ainsi les papules verruqueuses brunes ou noires du dermatosis papulosa nigra étaient décrites électivement sur la face du sujet à peau noire, à partir de l’adolescence. En fait, elles peuvent aussi s’observer chez l’Asiatique pigmenté ou le métis et ont été rapportées aussi, certes exceptionnellement, sur peau blanche. Elles correspondent histologiquement à des kératoses séborrhéiques, bien que cliniquement leur aspect, leur nombre, leur topographie soient différents et que leur déterminisme génétique semble plus fort (3). De même l’aïnhum (constriction fibreuse progressive du pli digito-plantaire avec lyse osseuse plus ou moins douloureuse, siégeant bilatéralement au cinquième orteil aboutissant à l’amputation spontanée), n’était rapporté que dans les zones tropicales chez des adultes noirs. Or le pseudo-aïnhum individualisé plus récemment sans distinction ethnique, survenant au cours de pathologies comportant une neuropathie périphérique évoluée et/ou un trouble de vascularisation des extrémités (alcoolisme, diabète, lèpre, tréponématoses, kératodermies congénitales, enroulement de fibres de tissus, de cheveux…) s’en rapproche par bien des points (19). Quant à la kératodermie ponctuée des plis palmaires et l’hyperkératose Figure 29.* focale acrale, décrites Hypomélanose maculeuse confluente et progres- exclusivement chez le sive chez une métis mélanoderme. sujet noir, se caractériConfluent and progressive macular hypomelanosis in mixed race woman with melanoderma. sant par la disposition élective sur les paumes et ou les plantes, de papules kératosiques arrondies et de petites dépressions cupuliformes entourées ou centrées par un anneau d’hyperkératose, elles ressemblent beaucoup à l’hyperke ratosis lenticularis pers tans décrite par FLEGEL sur peau blanche. Figure 30.* L’étude génétique autoPili incarnati de barbe risera à l’avenir leur clasPili incarnati barbae. sification nosologique. Le rôle traumatisant de certains topiques dépigmentants ou de pratiques d’hygiène un peu agressives ne peut être exclu (20). L’hypomélanose maculeuse confluente et pro- Kératodermie ponctuée des plis palmaires. Keratodermia punctuated of palmar folds. gressive du métis mélanoderme (dyschromie créole) est observée surtout chez le métis à peau brun-clair, notamment antillais (avec une nette prédominance féminine dans cette population), mais nous l’avons observé aussi chez des sujets originaires du Maghreb. Elle est souvent confondue avec le pityriasis ver sicolordans sa phase séquellaire hypochrome et l’application abusive d’antifongiques est fréquente. Elle se traduit en effet par des macules non squameuses hypochromes (le plus souvent modérément), volontiers confluentes et progressives (aboutissant parfois à un aspect réticulé), non prurigineuses, prédominant au tronc (volontiers aux lombes) mais pouvant toucher les membres de façon parfois asymétrique, survenant vers l’adolescence pour se stabiliser et même s’atténuer à l’âge adulte. La fluorescence jaune-orangée en lumière de Wood est négative ou faible et punctiforme. L’hypothèse physiopathogénique est celle d’un mosaïcisme devant la coexistence de zones hypochromes comportant des kératinocytes avec des mélanosomes agrégés de petite taille et des zones normalement pigmentées, constituées de kératinocytes avec des mélanosomes dispersés de grande taille (7). Pathologie des cheveux et poils crépus L es différences capillaires sont importantes avec la plupart des Noirs africains : on note la présence de cheveux, de poils de barbe, des plis axillaires et du pubis, crépus, noirs, eumélaniques, plus courts et moins denses ; les follicules pilaires anagènes ont une implantation dermique profonde presque horizontale et les tiges pilaires qui en sont issues ont une section elliptique ou aplatie et un trajet en hélice serrée dont la spirale s’amorce avec l’émergence du cheveu à la surface cutanée. La fréquence des nœuds capillaires est majorée avec des torsions complexes entraînant une rupture transversale, une déchirure longitudinale ou un dédoublement (fourches) des cheveux. Ainsi la quantité de cheveux spontanément recueillis est nettement majorée et le pourcentage ayant leur racine attachée est plus faible (8, 10, 21, 22). Sur le plan pathologique, la pseudo-folliculite de barbe (figure 30) est fréquente et correspond à l’incarnation pilaire des poils après un rasage trop court. L’acné dite chéloïdienne correspond à une péri-folliculite chronique et résulte aussi d’un rasage des cheveux crépus avec incarnation pilaire et réaction granulomateuse, ainsi que d’une fréquente surinfection avec apparition de papulo-pustules volontiers prurigineuses parfois alopéciantes d’évolution nodulaire hypertrophique avec (pseudo-)polytrichie (5) (figure 31). Elle ne se limite pas à la nuque et peut s’observer sur l’ensemble du cuir chevelu après un rasage excessif (pseudofolliculitis capitis).L’ultra- * iconographie en couleur sur notre site: http://www.pasteur.fr/socpatex/pages/dermato.html Bull Soc Pathol Exot, 2003, 96, 5, 394-400 399 J.-J. Morand & E. Lightburn Figure 31.* Acné chéloïdienne : on devine les poils qui émergent des lésions pseudo-chéloïdiennes nuquales. Acne keloidalis: we can almost see hair emerging from pseudo-keloidalis lesions of the nape. Références bibliographiques 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Figure 32.* Alopécie de traction résultant de techniques agressives de tressage. Traction alopecia resulting from aggressive techniques of plaiting. Figure 33.* Hot comb alopecia après défrisage chimique et thermique. Hot comb alopecia after chemical and thermic hair straightening. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. structure du cheveu crépu spiralé majore le risque de nœuds et de fracture du cheveu lors du peignage ; on comprend qu’un tressage complexe a fortiori en traction favorise la chute capillaire et une alopécie dite de traction (figure 32), le plus souvent réversible, ce qui n’est pas le cas de l’alopécie cicatricelle par brûlure et dégénérescence folliculaire après défrisage du cheveu crépu (à l’aide de soude ou de thyoglycollate d’ammonium, anciennement par chauffage au fer ou à l’huile : hot comb alopecia) (25) (figure 33). Conclusion I l faut retenir que le principal critère de distinction des peaux dites classiquement noires est justement l’hyperpigmentation cutanée relative liée à la plus forte concentration de mélanosomes de grande taille et à leurs modalités de migration épidermique. La majoration de l’incontinence pigmentaire lors d’inflammation explique aussi l’importance des dyschromies. Les différences épidémiologiques des diverses dermatoses semblent relever plus de contingences géographiques que de différences fondamentales sur le plan physiopathogénique. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. ALALUF S, BARRETT K, BLOUNT M & CARTER N - Ethnic variation in tyrosinase and TYRP1 expression in photoexposed and photoprotected human skin. Pigment Cell Res, 2003, 16, 35-42. ABREO F & SANUSI ID -Basal cell carcinoma in North American blacks. J Am Acad Dermatol, 1991, 25, 1005-1011. BINAZZI M & SIMONETTI S -Un cas de Dermatosis papulosa nigra chez un homme de race blanche. Ann Dermatol Véné réol, 1984, 111, 1013-1015. CATHÉBRAS P & PERROT JL - Qu’est-ce qu’un caucasien ? Race et ethnicité dans la littérature médicale. Presse Méd, 2001, 30, 1012-1014. DINEHART SM, HERZBERG AJ, KERNS BJ & POLLACK SV Acne keloidalis: a review. J Dermatol Surg Oncol, 1989, 15, 642-647. 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