LE PQ AU TROISIÈME RANG ET EN REMISE EN QUESTION

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LE PQ AU TROISIÈME RANG ET EN REMISE EN QUESTION
LE PQ AU TROISIÈME RANG ET
EN REMISE EN QUESTION
Michel C. Auger
Les élections du 26 mars ont été une catastrophe pour le Parti québécois, relégué au
statut de tiers parti à l’Assemblée nationale et au troisième rang du vote national
avec 28 p. cent des suffrages exprimés, son pire résultat depuis 1970. Même pour
ce qui est du vote francophone, le PQ se retrouve deuxième, derrière l’ADQ de
Mario Dumont. Comment expliquer cette déconfiture du PQ, qui a remporté quatre
élections en 30 ans et organisé deux référendums sur la souveraineté ? Tout aussi
récemment qu’à son congrès à la direction de 2005, le parti était en tête des
sondages alors que l’ADQ semblait menacée de disparition. Tout commence avec le
leadership d’André Boisclair, estime le chroniqueur Michel C. Auger.
The March 26 election resulted in a trainwreck for the Parti Québécois, which was
relegated to third party status in the National Assembly, as well as finishing third in
the popular vote with 28 percent, its worst score since 1970. The PQ also finished
second in the francophone vote to Mario Dumont’s Action démocratique du
Québec. How to explain such a disaster for the PQ, which had won four elections,
and organized two referendums on sovereignty in the previous 30 years? As recently
as its 2005 leadership convention, the PQ was cruising in the polls, and the ADQ
was deemed to be in danger of disappearing. It starts with the leadership of André
Boisclair. Columnist Michel C. Auger explains why.
L
e soir du 15 novembre 2005, vingt-neuf ans après sa
première prise du pouvoir, André Boisclair devenait le
sixième chef du Parti québécois sous les auspices les
plus favorables. Le PQ avait plus de 50 p. 100 des intentions
de vote dans les sondages, tout comme l’option souverainiste. L’impopularité du gouvernement Charest était à son
sommet et la marque de commerce fédéraliste elle-même
était ternie par le scandale des commandites.
Quant à l’Action démocratique du Québec de Mario
Dumont, elle n’était qu’un tiers-parti, qui n’avait aucune
reconnaissance officielle à l’Assemblée nationale et qui était
en perte de vitesse dans les sondages, au point où plusieurs
de ses partisans s’interrogeaient sur sa viabilité à long terme.
Rien, absolument rien, ne laissait présager cette soirée, 16
mois plus tard, quand Mario Dumont allait entrer dans la plus
grande salle disponible à Rivière-du-Loup comme s’il était le
véritable vainqueur de l’élection du 26 mars 2007. De son
côté, André Boisclair entrait au Club soda à Montréal comme
leader du troisième parti à l’Assemblée nationale, avec seulement 28 p. 100 des voix, un statut que le PQ n’avait occupé
qu’une seule fois en quarante ans, entre 1970 et 1973.
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omment le Parti québécois a-t-il pu connaître un tel
déclin en si peu de temps ? La première des raisons est
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sans doute son remarquable succès au gouvernement. Voici
un parti qui a si bien agi sur les raisons qu’il avait identifiées
comme justifiant la souveraineté du Québec que la souveraineté elle-même ne semble plus nécessaire pour une
majorité de Québécois.
La loi 101 a réussi à assurer la sécurité linguistique des
francophones effaçant ainsi la crainte de l’assimilation à
plus ou moins long terme. Avec le Québec qui assure un plus
grand contrôle de son immigration, il s’agit sans doute de la
principale motivation de l’indépendance qui n’a plus sa raison d’être.
Les « enfants de la Loi 101 », de toutes origines, passés
par l’école française, sont un témoignage quotidien du succès de la francisation de la société québécoise au cours des
trente dernières années. De même, la culture québécoise rayonne partout dans le monde, de Paris à Las Vegas,
témoignant de sa vitalité.
Le succès a été tout aussi important sur le plan
économique, l’autre grande justification de l’indépendance.
Au début des années 1970, le Québec avait une économie
presque entièrement contrôlée par la minorité anglophone.
Le visage commercial de Montréal était presque exclusivement en langue anglaise et rare étaient les dirigeants d’entreprises francophones.
Le PQ au troisième rang et en remise en question
Cette situation a changé de façon
importante, en bonne partie grâce à
l’emploi plus vigoureux des institutions de l’État comme la Caisse de
dépôts et la Société générale de
financement que privilégiait le Parti
québécois. On peut aussi parler de certaines de ses initiatives comme le
Régime d’épargnes-actions, qui a permis à plusieurs sociétés québécoises de
prendre leur envol.
Avec le résultat, aujourd’hui,
qu’on ne puisse plus dire que l’économie des Québécois est sous contrôle
étranger ou que les francophones n’y
ont pas leur place.
Ces succès sont réels et incontestables, mais c’est maintenant une
théorie assez bien reconnue chez les
observateurs de la politique québécoise que de dire que le PQ a été, dans
les faits, son propre pire ennemi. Ou
au moins qu’il a contribué à rendre
moins nécessaire la réalisation de son
objectif ultime : la souveraineté politique du Québec.
M
ais les membres du Parti québécois ne partageaient visiblement
pas cette analyse en juin 2005, lors
d’un congrès dont on se souvient
surtout pour la démission de Bernard
Landry après un vote de confiance
décevant.
C’est à cette époque qu’il faut
remonter pour comprendre les ennuis
qui ont miné la campagne électorale
désastreuse du Parti québécois au
printemps de 2007.
Comme dopés par le scandale des
commandites, les militants péquistes
ont voulu adopter un programme ne
laissant que très peu de marge de
manœuvre à leur futur chef. Le programme prévoyait, notamment,
qu’un référendum sur la souveraineté
devrait être tenu « le plus vite possible
dans le premier mandat » du gouvernement péquiste.
Plus question pour le chef du PQ
d’avoir la possibilité d’attendre « des
conditions gagnantes » ou l’assurance
de pouvoir gagner le référendum ; les
militants le voulaient tout de suite.
Après deux élections où Lucien
The Gazette, Montreal
André Boisclair remercie ses militants du PQ lors de sa défaite le 26 mars. Les chiffres sur
les classements des trois parties politiques sur l’écran de télévision en arrière-scène
démontre bien la situation difficile du PQ — il est tombé en troisième place, perdant le
statut d’opposition officielle au profit de l’ADQ.
Bouchard d’abord, puis Bernard Landry
ensuite ne voulaient pas demander le
mandat de tenir un référendum, les
militants en avaient assez. Ils voulaient
un engagement concret, quitte à lier les
mains de leur chef.
La course au leadership, qui devait
monopoliser les énergies du PQ pour le
plus clair des mois qui allaient suivre,
se déroulait en outre dans la foulée du
scandale des commandites, alors que
l’image de marque du fédéralisme était
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Michel C. Auger
l’idée d’obtenir plus de 50 p. 100 des
voix — a plutôt mal tourné.
Dans la grande région de Québec,
contre toute attente, le Parti conservateur obtenait huit sièges et deux
autres en Outaouais et au Saguenay.
Avec 25 p. 100 des voix, le parti de
Stephen Harper devenait la seconde
formation politique fédérale au
Québec. Celle-là, les souverainistes ne
l’avaient pas vu venir.
Il a suffi d’un seul discours de
Stephen Harper, en décembre 2005 à
Québec, pour provoquer ce changement profond dans l’électorat. Un seul
discours promettant un « fédéralisme
d’ouverture » et, soudainement, les
effet sur les débats, mais elle permit
aux libéraux de l’attaquer sur son
manque de jugement et de maturité —
une allusion à peine voilée à sa consommation de cocaïne.
Puis, en novembre, comme pour
confirmer ces perceptions, le chef
péquiste participait à un sketch de
mauvais goût dans une émission de fin
d’année. Une parodie de « Brokeback
Mountain » montrant Stephen Harper
et George W. Bush pendant que M.
Boisclair déclarait que « jamais les
Québécois ne vont accepter ça ».
Venant d’un chef de parti ouvertement homosexuel, cet épisode devait
en quelque sorte cristalliser les perceptions à l’effet qu’il n’avait pas la
lu chef au premier tour de
maturité et le jugement nécesscrutin avec 53 p. 100 des
Plus question pour le chef du PQ
suffrages, devant sa plus proche d’avoir la possibilité d’attendre « des saires, pour être premier ministre. Sans compter son
rivale, Pauline Marois, qui a
conditions gagnantes » ou
langage, souvent qualifié de
obtenu 30 p. 100, M. Boisclair
l’assurance de pouvoir gagner le
« langue de bois », et sa diffiavait les coudées franches. Il
culté à parler aux électeurs dans
pouvait prendre ses distances
référendum ; les militants le
d’un programme qui allait,
voulaient tout de suite. Après deux des mots simples plutôt que
dans un jargon bureaucratique.
rapidement, devenir un boulet
élections où Lucien Bouchard
Pendant tout ce temps, de
aux pieds de son parti. Il a
d’abord, puis Bernard Landry
sondage en sondage, le Parti
choisi de ne pas le faire.
Tout au plus, en juin 2006,
ensuite ne voulaient pas demander québécois perdait des appuis, ce
affirmait-il dans une entrevue
le mandat de tenir un référendum, qui devait causer un malaise
profond au sein du PQ, au point
au Soleil qu’il n’était « pas un
les militants en avaient assez. Ils
où, quelques semaines seulekamikaze » et qu’il ne lancerait
voulaient un engagement concret, ment avant le déclenchement
pas le Québec dans un référendum qu’il ne serait pas certain
quitte à lier les mains de leur chef. des élections, certains militants
demandaient ouvertement la
de gagner.
tête de M. Boisclair. Mais l’imminence
souverainistes constataient qu’ils
Mais il restait, officiellement, lié par
des élections a eu pour effet de donner
devaient compter avec un autre adverle programme de son parti, un engageune nouvelle chance à celui-ci.
saire que des libéraux discrédités par
ment dont il ne devait jamais se défaire,
les scandales.
même dans les derniers jours de la camBien sûr, le 23 janvier 2006, c’est
pagne électorale.
ès le début de la campagne élecle Bloc québécois qui obtenait un
torale, il fut évident que l’on
moins
bon
résultat
que
prévu,
mais
allait
assister à une lutte à trois, avec
ès son arrivée à la tête
c’était tout le mouvement souverail’Action démocratique de Mario
du PQ, les choses devaient se
niste qui venait de connaître un revers
Dumont qui devenait un joueur
compliquer pour M. Boisclair. D’abord,
inattendu.
important en étant capable d’articuler
le gouvernement minoritaire de Paul
les frustrations de bien des électeurs.
Martin était renversé par un vote de
La question des « accommodements
non confiance à la Chambre des comu cours des mois qui ont suivi,
raisonnables » — ces décisions des
munes, moins de deux semaines après
André Boisclair n’a pas dévié du
tribunaux permettant, par exemple, le
son élection comme chef.
plan qu’il s’était fixé lors de son
port du kirpan par un jeune sikh dans
Ce qui devait être la grande vicélection.
une école de Montréal — provoquaient
toire du mouvement souverainiste à la
Il ne fit son entrée à la législature
beaucoup de remous, dont M. Dumont
suite du rapport Gomery et donc de la
qu’à l’automne, au moment même où
était le seul à parler.
faiblesse du camp fédéraliste — les
les libéraux faisaient une remontée
Puis, pendant que le PQ et les
stratèges du Bloc québécois, en début
dans les sondages. La présence de M.
libéraux jouaient les prolongations de
de campagne, évoquaient ouvertement
Boisclair à l’Assemblée ne fit pas grand
ternie et que les sondages indiquaient
une victoire facile du PQ.
Ce fut une campagne où aucun
des candidats n’a jugé bon de remettre
en question le programme ou la
stratégie référendaire et où tous les
candidats étaient plus occupés à
décrire le Québec souverain qu’à
penser aux étapes qu’il restait à
franchir avant d’y arriver. Le reste de la
campagne fut surtout dominé par les
écarts de conduite d’André Boisclair
alors qu’il était ministre dans les gouvernements Bouchard et Landry, en
particulier sa consommation de
cocaïne.
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la campagne référendaire de 1995 —
Jean Charest allant même jusqu’à
invoquer la partition du territoire
québécois — Mario Dumont parlait des
questions de pain et de beurre qui
s’adressaient justement aux électeurs
fatigués du débat constitutionnel.
Mais, en même temps, Mario
Dumont s’attaquait directement à la
social-démocratie à la sauce péquiste.
Voilà qui est une sorte de microcosme de la social-démocratie péquiste.
Les programmes étaient souvent excellents, mais ceux qui ne peuvent, pour
quelque raison, se conformer au moule
sont souvent laissés pour compte.
M.
Boisclair a mené une campagne électorale presque sans
faute. Mais il n’a vu venir ni le rejet de
l’option souverainiste, ni celui de la
social-démocratie péquiste. Attaqué
sur les deux principales affirmations
du credo péquiste, le PQ et André
Boisclair devaient terminer au
’est précisément à cette clientèle
troisième rang, avec seulement
que s’adressait l’ADQ. Une clien28 p. 100 des voix. Son pire résultat
tèle de jeunes familles, qui paient
depuis 1970.
Une parodie de « Brokeback Mountain » montrant Stephen
Mais, au cours du
dernier
week-end, le proHarper et George W. Bush alors que M. Boisclair déclarait
gramme
de son parti devait
que « jamais les Québécois ne vont accepter ça ». Venant
le rattraper. Devant tous les
d’un chef de parti ouvertement homosexuel, ce manque de sondages qui annoncaient
jugement devait, en quelque sorte, cristalliser les
un gouvernement minoritaire, M. Boisclair devait
perceptions à l’effet qu’il n’avait pas la maturité et le
tenir mordicus à la possibijugement pour être premier ministre. Sans compter son
lité qu’il puisse quand même
langage souvent qualifié de « langue de bois » et sa
tenir un référendum. Même
difficulté à parler aux électeurs dans des mots simples plutôt ses deux prédécesseurs,
Jacques Parizeau et Bernard
qu’empruntés au jargon bureaucratique.
Landry, disaient que cela
n’était guère réaliste.
Le meilleur exemple est la question des
beaucoup d’impôts et qui n’ont pas
En insistant jusqu’au bout sur la
garderies. Prenant exemple sur
l’impression de recevoir les services
tenue d’un référendum, André
Stephen Harper qui avait promis une
gouvernementaux
auxquels
ils
Boisclair s’est trouvé à faire le jeu de
allocation aux familles à la place d’un
devraient avoir droit. Une clientèle
l’ADQ et de ce large segment de l’opiprogramme national de garderies,
qui, contrairement au PQ, ne croit plus
nion publique québécoise qui ne veut
M. Dumont et l’ADQ ont promis 100 $
que l’État est la solution.
ni d’un référendum, ni d’un État
par semaine et par enfant qui ne
Des familles qui voient le gouencore plus présent dans leurs vies.
fréquente pas le réseau de garderies
vernement s’occuper des hôpitaux,
Aujourd’hui, le PQ doit donc se
subventionnées.
mais qui n’ont pas de médecin de
poser des questions difficiles et se
famille. Qui voient les garderies subredéfinir. Pas seulement sur sa raison
ventionnés, mais qui n’y ont pas
es garderies à 5 $ par jour (maind’être, mais sur sa façon de gouverner
nécessairement accès.
tenant 7 $) ont été un grand succès
et furent même le modèle
retenu par Paul Martin pour Mais, au cours du dernier week-end, le programme de son
son programme national. parti devait le rattraper. Devant tous les sondages qui
Mais cette initiative du PQ a annoncaient un gouvernement minoritaire, M. Boisclair
été la victime de son propre
devait tenir mordicus à la possibilité qu’il puisse quand
succès.
D’une part, seulement même tenir un référendum. Même ses deux prédécesseurs,
la moitié des enfants du Jacques Parizeau et Bernard Landry, disaient que cela n’était
Québec ont actuellement guère réaliste.
une place dans les garderies
quand il est au pouvoir.
subventionnées. D’autre part, les
Pour ces électeurs, il était possible
De ces remises en question
garderies publiques ont été financées,
d’être souverainiste — ou, au moins,
dépendent sa survie comme force
dans les faits, en abolissant le régime
de dire à un sondeur qu’on voterait
politique majeure sur l’échiquier
d’allocations familiales autrefois
Oui à un référendum sur la souquébécois.
disponible pour tous les parents.
veraineté — et de ne plus voter pour le
Ceux qui gardent leurs enfants à la
PQ. Pour la première fois, le PQ n’a
Michel C. Auger est chroniqueur politique
maison ou qui doivent avoir recours à
plus le monopole du vote souveraiau journal Le Soleil. Son blogue est puune garderie privée se sentent donc les
niste, une situation devant laquelle il
blié en ligne à cyberpresse.ca
victimes d’une double injustice.
n’a pas su réagir.
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