ainsi fut- il - Raconter la vie

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ainsi fut- il - Raconter la vie
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A Romain GARY †
Je tombe, par hasard, sur cette phrase de Machado :
“Vivez, la vie continue, les morts meurent
et les ombres passent,
emporte qui laisse et vit qui a vécu.”
qui ne peut qu’alimenter mon spleen.
Je suis présentement embarqué, ballotté, perturbé, sur un esquif. Déboussolé. Plus
aucun rivage salvateur mais un ciel noir à l’horizon annonciateur du pire. J’ai perdu
tous mes repères, remisé au rayon : accessoires inutiles, mes illusions évanouies de
jeunesse. Quand je me retourne, d’un regard las, mon passé surgit. Revit dans mon
présent. Je me fuis et me réfugie dans mes souvenirs de jadis tant revigorant. Ils me
rajeunissent et assurent ma survie. Mon futur est copieusement hypothéqué. Au
demeurant : Ai-je un avenir ? Je ne crois plus en demain, ni en rien. A dire vrai.
Alors, les autres ! Pfeuh.
Mais cette prise de conscience vient trop tard.
Mais l’indifférence à l’autre m’est chose impossible même si mon vécu le prescrit.
Tout comme Crevel, l’élan de mort me porte. Mon cœur fossilisé est irrigué par un
sang de cobra. Finalement, j’écris en noir et blanc. Non : en noir tout simplement.
Je vis hier dans la flamboyance. Je me mens et vous mens. Je le sais. Je ne suis point
dupe pour autant mais cette veule lâcheté me permet de supporter et d’endurer
avec un minimum de souffrance.
La patine des ans magnifie mon vécu. Elle m’est stimulante de vie. Je rêve mes hiers
chantants. Par delà la raison, le sardanalesque se doit de régner. Hédoniste ! Quelle
qualité pour un homme accompli. Fragrances d’antan : les cheminées exhalaient le
chêne vert, le fumet de crottin tapissait nos rues colonisées par des norias de
mouches à fientes. Habité de nostalgie je suis.
La vérité d’un homme, de bien et de mal bâtie, si cruelle soit-elle témoignera de ma
droiture. Je pars en paix une fois ces aveux couchés. A trop jouer avec le feu…
Côtoyer le danger, le domestiquer m’était fontaine de jouvence. Ma vie durant j’ai
jonglé avec la légalité et me suis de tous temps rétabli.
Pour quelle incongrue raison la chose a-t-elle cessé ?
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Sans prise de risques la vie a-t-elle un quelconque intérêt ?
Cette permanente remise en cause me construit et me singularise rapport à la glèbe.
Masse indifférenciée, misérablement interchangeable.
Un petit bonheur avec bobonne dans un cocon douillet. Non merci. Des vacances à
Palavas dans la caravane Digue toute équipée, avec Médor et les deux chiards, la
partie de pétanque au camping “Le bon repos” sous un pin parasol, et l’apéro de dix
huit heures sous les platanes du village voisin avec ses olives flétries et ses toasts
caoutchouteux. Ses Marius et autres l’Andolfi avec leurs assengues, leurs poitrails
pileux, leurs ongles crasseuses, leurs Opinel graisseux pour enfourcher les anchois.
Le pagnolesque Midi de pacotille.
Je n’ai ni marge, ni normalité. Mots honnis rayés de mon vocabulaire. Je ne suis pas
pour autant un marginal car je tire profit, sinon assistance, de la société de mes
congénères. Aliénés esclaves, garants à leurs dépends de ma liberté. Un demi siècle
et même plus : six décennies présentement. Au seuil de la soixantaine, “La vie
devant soi” est forcément plus courte que la vie laissée derrière moi. Au hasard de
mes vagabondages j’ai posé mes valises pour me perdre dans un havre habité par
une certaine sagesse intime. Sagesse vite affichée étant toujours en proie à quelques
pulsions d’où la chair n’est point définitivement chassée. Entre autre tentation qui
me relie encore au monde des vivants. Affection – Amitié. Je n’ai point encore
réussi à ce jour à intégrer le troisième A. Le A de l’Amour. Pourtant la dialectique
voudrait que ce dernier en soit l’heureuse synthèse. J’ai toujours vécu l’amour sous
son angle bestial, leurre à la procréation, indispensable réservoir pour vidanger
notre violence originelle.
Au fil de mes vagabondages j’ai butiné de droite et de gauche m’enrichissant de
l’un, appauvrissant l’autre. Tour à tour : pompiste, postier jaune (l’hors d’une
grève), veilleur d’hôtel borgne, Les Américains rue de Provence à Paris, journaliste
dans la finance, le ghetto gay puis porno, assistant parlementaire, maintenant
échoué nulle part sous traitement lourd rongé par un crabe pervers qui épuise mes
dernières résistances. A l’affût guettant mes moindres faiblesses pour monter au
front. Tapi dans l’ombre ce honteux ne se dévoile pas, ne dort que d’un œil prêt à
bondir en redoutable prédateur.
Thanatos a cruellement sévi dans mon champs d’amitié et fauché de prometteurs
fleurons : Boubou de l’Huma Dimanche, Kriss couturier, Michou mon coiffeur,
Fanchon le Compagnon du Devoir, et tant d’autres. Mon arbre de vie est
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sérieusement émondé : Popo la théâtreuse du Canau de Montpellier, Pierrot grand
frère mon camarade ambassadeur, Gastounet de Narbonne. Je me retrouve sans bras
ni jambe, seul le tronc résiste encore. Mais pour combien de temps ? La rubrique
nécrologique du régional me paraît particulièrement prédestinée. Je suis presque
étonné de ne pas y lire mon nom.
Ma plaque est prête :
“Ici gît un homme libre. Je fus mon seul dieu et maître”.
Dernière facétie. Dernières volontés. Mes cendres seront répandues par plein vent
du haut de la falaise de La Franqui portées jusqu’au Maghreb, ma terre d’amour, où
je rejoindrai mes sœurs et frères de cœur.
Hédoniste des choses, rabelaisien de la chair. J’ai pratiqué la politique de l’autruche
en prenant la fuite. Mon père Enrique vient d’inaugurer notre dernier gîte des
familles. J’ai fait graver à sa mémoire cette adresse au paternel :
“Tous les printemps l’amandier refleurit.
Hélios réchauffe ta flamme meurtrie.
Ragaillardi je suis par ta présence.
Réminiscence malgré ton absence.”
Jip - Germinal 2009.
Ces gémissements ne sont points doléances. Je ne suis pas à plaindre. Et ne veux
pas l’être. La compassion m’est tout autant insupportable que la charité. L’heure a
sonné du solde de tout compte, mais je n’ai de compte à rendre à personne sinon à
ma conscience. De biens grands mots pour dire tout simplement que je n’ai pas à
avoir honte de la vie que j’ai menée. Vie faite de bric et de broc, avec une
constance : mon bon plaisir.
Je revis (incongru verbe utilisé pour relater ce vécu) le dernier mois pendant lequel
j’ai accompagné dans ses derniers, et pénibles moments mon ami Christian
rebaptisé Rasky. Je l’ai affublé de ce prénom en référence à un auteur gay inspiré
par San Francisco et sa faune interlope. Comme Christian adorait les States je ne
pouvais que le renommer ainsi. Il en fut surpris et interpréta cela comme un caprice
de folle.
Désarmé j’assiste impuissant, tous les samedis, à sa lente décomposition dans sa
bonbonnière de la rue Pecquay. Deux mois d’agonie. Deux mois de déchéance
physique. Deux pas, je suis à Buchenwald. Deux chambres de bonnes réunies, sous
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un toit en zinc avec un couple d’œil de bœufs pour simple ouverture. Tanière d’un
célibataire
aux unions mouchoir jetable. Je visite mon Rasky, un dieu,
métamorphosé, les mois s’écoulant, en nain difforme : jambes boursouflées, ventre
ballonné prêt à l’implosion, pieds dilatés, son visage se décharne. Ce n’est plus
qu’un masque de cire à la Joe Bousquet, de la peau collée sur un squelette encore
survivant. J’ai devant moi, pour la première fois de ma vie un mort-vivant. Et cet
insoutenable regard noir. Christian, alias Rasky, est un Michel-Angesque David fait
homme. A moitié micheton, son petit ami lui a offert un magasin au premier soussol des Halles.
Dans ce trou, Christian a creusé son nid, un magasin de vêtement qui marche au
mieux. Il est étranger aux fins de mois difficiles. L’hors de ma première visite à son
appart il passait la serpillière, en string cuir, avec son Cachemire lie de vin de la
veille. Très chic ! Je m’en souviens car nous nous étions achevés au Trap. Je le
fréquentais épisodiquement. Au bout d’un an, en 1980, après un séjour aux States il
tomba malade. Il se traîna des mois durant. Sur mes conseils il consulta Florian qui
terminait ses études en médecine avec Montagné comme prof. Flo après l’avoir
ausculté me demande de passer le voir au plus tôt. Le soir même je lui rends visite à
Bécon les Bruyères. D’habitude guilleret, là il avait une mine décomposée.
Il est au plus mal. Il a récupéré une merde là-bas avec un Antillais. Tu connais
ses fréquentations. Quelques cas se sont déclarés depuis peu de temps et
notamment un au Québec. Nous savons très peu de choses sur cette maladie
mais apparemment seuls les gays seraient concernés. Ces patients perdent
leurs défenses immunitaires à une vitesse foudroyante. Là bas ils qualifient la
chose de : cancer gay. Je maugrée : Et une stigmatisation de plus. Une. La
transmission se ferait par le sperme. Conclusion : capote pour tout le monde
et en toute circonstance et systématiquement. Transmets mon message à
Michel. Je fis très grise mine, hermétique que je suis aux charmes du latex. Et
puis ce n’est qu’une MST de plus, une piquouse et plus de prob.
L’état de santé de Rasky empira rapidement. Il fut hospitalisé et traité à l’AZT, seul
médicament alors disponible. Dérisoire poudre de Perlin Pinpin. Un placebo.
J’enrage. Il bourgeonna de cloques purulentes, son corps recouvert de pastilles
dites : sarcome de Kaposi. Quasi quotidiennement je lui rendais visite à l’hosto. Il ne
supportait pas l’ambiance. Confession reconstituée : “Les infirmières, je ne
supporte pas ces immaculées oies morbides qui refusent de voir ma mort en face, et
qui gâtifient avec leurs insupportables gnangnans. Ces méduses asthéniques
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m’horripilent. Mais la roue tourne, un jour viendra où elles aussi, ces verbeuses
diarrhéiques reposeront pour l’éternité au paradis des paumés et autres crevures.
Vu ta mimique, cher compagnon ces propos t’atterrent. Pauvre choux. Mais tu
verras, quand toi aussi tu affronteras, l’unique fois de ta vie, le moment fatal
(excuse mais je deviens grandiloquent et donc chiant) tu réagiras comme moi. Nous
sommes issus du même moule, mec, estampillé : “Fin de race”. Je ne veux plus voir,
ni entendre tous ces communs qui pontifient, blablatent sur tout, pour surtout ne
rien dire.
Même toi, veux plus te voir. Dégage ! Non ! Je ne suis plus de bonne compagnie. Je
suis entrain de tirer définitivement le rideau noir de ma vie. Qu’on me laisse crever
en paix. Seul, comme un clebs. Que personne ne soit témoin de mon inexorable
décomposition. Je veux être le seul témoin de ma décrépitude. Je vous merde tous
et toutes. Ouais, je sais ce que tu penses : il soliloque, il délire, il faut l’excuser il est
très malade. Et non c…………, suis pas malade je t’ai déjà dit que j’étais entrain de
crever. Je suis là, pantois. Interloqué. Mes neurones tambourinent, mon crâne va
imploser. Je vais fondre en larmes. Faut pas. Je me l’interdis. Il veut me faire
craquer. Je ne lui offrirai pas ce dernier plaisir. Je le saisis au col et lui jette
rageusement : -Ta gueule Rasky ! C’est pas parce que tu es entrain de trépasser que
je vais excuser ta vulgarité. Ressaisis-toi. Joue pas au rat pustuleux car le spectacle
est terminé. L’image de toi que j’ai gravé dans mon cœur est indélébile et tu ne vas
pas la changer.
Tu es toujours, pour moi, Rasky-le-Magnifique. Ce magnifique que j’ai toujours rêvé
mettre dans mon pucier, glisser dans mes draps pour violer son intimité.
Mais pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
Parce que je suis un petit con. Et toi, grande gueule, pourquoi n’es tu jamais
passé à l’offensive ? La prunelle du Magnifique a repris vie. Je viole son
regard. Je m’approche de sa bouche et le ventouse goulûment. Je m’éclipse.
Quelques jours avant le 10 Mai 1981, il me téléphone pour m’annoncer qu’il
est chez lui. Il me dit avoir signé une décharge pour pouvoir quitter cette
taule. Il veut fêter l’élection de La Mite chez lui. Avec quelques amis nous
fêtons donc le 10 mai chez lui : champagne rosé à volonté. Quelques jours
plus tard je passe chez lui à sa demande.
C’est le début de la fin. Viens. Je suis à genoux, mon visage effleure le sien.
Un léger souffle s’échappe de ses lèvres. J’ai accompagné un fin de vie. Je
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regagnais mes pénates à deux pas et retrouvais mon petit ami. Petit ami !
D’un ridicule pour dire mon amant, mon homme, mon amour, mon Jules.
Quoi ! Sans précaution je dis à Michel qu’il nous a définitivement quittés. Il
se mure dans un lourd silence. Le lendemain matin avant de prendre le métro
Rambuteau nous fîmes un détour pour un dernier adieu. Les charognards
avaient humé la mort. Nous fûmes accueillis par la famille entrain de dévaliser
l’appartement. Je jetais un regard furibond sur ces chacals : les tableaux
avaient été arrachés, les meubles en acajou subtilisés ne restait plus dans le
studio que quelques bricoles sans intérêt. Dire que ces bâtards là avaient
renié leur fils unique quand ils apprirent, de la bouche même de Rasky son
homosexualité. Vingt ans durant ils l’ignorèrent, et là je ne sais par qui
avertis, ils dépeçaient un cadavre. Là est la vraie racaille des biens pensants.
Je partis en subtilisant un polo Lacoste lie de vin. Quand je l’enfile j’ai
l’impression que mon Rasky renaît. Je n’ai jamais lavé ce polo. Rasky
idolâtrait Barbara. Vous êtes présentement réunis mes amis. Bises à vous
deux et à bientôt.
Bonjour, Dame Sida. Ce n’est pas Rasky qui m’a laissé en héritage un indésirable colocataire, mais plutôt une blatte qui s’est intégré à moi dans un sauna, fréquenté
essentiellement par des Maghrébins, boulevard Voltaire (Paris) où j’allais faire mon
marché après Aligre, le dimanche matin. Sida est un bien grand mot puisqu’il s’agit
de son cousin délétère, dénommé : Monsieur Séropo. C’est le missi dominici envoyé
en éclaireur pour une divine mission : éradiquer de ce bas monde la populace des
dégénérés invertis au triangle rose. Ces iconoclastes qui confondent les genres.
Depuis plus de 20 ans il m’habite, en hibernation mais d’une vigilance de chat. Il ne
sommeille jamais que d’un œil. L’autre est aux aguets traquant la moindre
défaillance de mon système immunitaire. Vaillamment mon brave petit soldat
Kalétra, secondé par la cantinière Combivir, montent au front ces inconscients.
Merci à tous deux, brave soldatesque. Je suis un véritable nid à virus, outre à
microbe, néanmoins le corps médical me considère comme « porteur sain » Je sais
bien qu’il faut savoir rire sur tout.
Au seuil de la soixantaine, je sais tout de même ce que je veux faire de ma vie et
comment j’entends la terminer : DEBOUT. Après la fumée m’élèvera plus haut.
Encore plus haut. Toujours plus haut.
Point d’avis de décès, point de cérémonies : A la mémoire de, point de lieu de
recueillement. Le jardin du souvenir mes amis l’auront dans leurs cœurs. Nul besoin
de signes extérieurs ostentatoires. A son gré, un vent purificateur éparpillera mes
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cendres. Je ne servirai pas de pâture à quelques larves prédatrices. Je refuse tout
acharnement thérapeutique, les bouchers sont instamment priez d’œuvrer sous
d’autres cieux. Je n’ai besoin d’aucune aide, d’aucun tuteur, d’aucun directeur de
conscience. Qu’ils se cassent les croisés de corbeaux croasser avec les charognards.
Que les dieux aillent fricoter avec Satan. Dos à dos ces bouffons. Bonnet noir et
noir bonnet. Je m’en vais, j’ai pris mon billet sans retour en choisissant librement
le jour, le mois, l’année. Assez de tournicoter en rond. La boucle est bouclée. Je n’ai
plus rien à apporter. Plus personne ne m’apporte. J’ai hâte de rejoindre mes amis
disparus : Pierre, Andrée, Raymond, Cyril.
Cyril C. que j’ai dû croiser, sans le savoir, une nuit de pleine lune dans ce grand
entrepôt désaffecté en bord de Seine, sur la rive gauche, entre les ponts de Bercy et
d’Austerlitz. Cyril qui s’est dévoilé un soir à vingt heures sur le petit écran, en
ouverture du J.T. pour faire part de sa mort et m’aviser de la mienne future.
Les bateaux mouches, par intermittence, jetaient une lumière blafarde sur des
ombres enchevêtrées dans un concert de silhouettes spectrales et muettes. Les
corps se fondaient, fusionnaient, se diluaient, s’évanouissaient pour ressusciter
quelques mètres plus loin, s’interpénétraient à l’aveugle. Cour des miracles,
macabre sarabande de vicelards malsains, handicapés exhib, bourbeux voyeurs,
anges impurs, détestables truqueurs, corrupteurs patentés, contaminateurs
assassins. Toutes les saisons, toutes les nuits, les fauves se lâchaient en troupeau
dans de bestiales nuits de débauche. Les faunes titubants, gorgés de poppers,
bâchés de stupre regagnaient aux paupières tremblantes de l’aube leurs litières
conscients de border leurs propres civières, ensorceleurs de candides partenaires.
Proies offertes, expiant des péchés qu’ils n’ont jamais commis. Crédules brebis en
perdition, cernées de morts vivants.
Putain de vie. 2000, année horribilis. La vie est un long fleuve tranquille. Je sais pas
quel gros con a gerbé cette idiotie. Ben ! En ce qui me concerne le nouveau siècle a
charrié son flot de fiente boueuse. Bonjour la bonne année. Macabre nouveau
siècle. L’avenir s’annonce houleux et orageux. Vasouillard quoi. Description
didactique de mes conditions de vie depuis le nouveau siècle.
D’abord suite à un accident moto (ma frêle Cagiva 125 contre un 4X4 Mercèdes)
j’apprends ma séropositivité. L’anesthésiste, tout en indélicatesse, venant me
visiter après l’opération claironne : Bien sûr tu sais que tu es séropo. T’as tout faux.
Je m’en doutais fortement vu mon style de vie dans les années 80 à Paris
(fréquentation frénétique des saunas et autres back rooms à touze) J’avais toujours
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refusé de faire le test pour officialiser mon état sérologique. Je rejetais tout
traitement vu mon état de santé excellent. Sa révélation ne me fit donc ni chaud ni
froid. Pour la forme je lui fis remarquer qu’il a fait une analyse sans me demander
mon aval. Première faute. Seconde faute (psychologique) il m’annonce mon état
sans aucune préparation. Irresponsabilité. Vexé que je lui donne une leçon, moi le
patient, il tourne talons. Quel con ce Klein !
Dans la foulée je suis lourdé, comme un valet, par mon employeur Gérard Menou
(Defi Perpignan) Viré sur le champ pour fautes professionnelles graves. Mes fautes :
je m’absentais sans raison au gré de mes humeurs et vu que j’avais un poste de
responsabilité (production de plusieurs magazines et encadrement du personnel de
l’entreprise) j’handicapais la sortie des produits et la bonne marche de la boite
(secteur du porno) Faribole. Gérard m’a viré parce que publiquement je lui ai fait
part de mon désaccord sur certaines de ses pratiques condamnées par la loi. Il ne
tint pas compte de mes avertissements. Me lourda donc. Quelques années plus tard
ma mère m’apprit qu’en écoutant une radio locale, Grand Sud, elle avait entendu
que Gérard Menou avait été condamné pour « pédophilie active »
Bref, je passais deux années sabbatiques à Perpignan me prélassant la journée sur la
plage de Torreilles. Par mauvais temps je me refugiais dans un sauna de Nîmes qui
comblait mes fantasmes SM. Je m’arrêtais, au retour, régulièrement à Agde Village
pour dîner rue de l’Amour (sic) dans un resto tenu par un anglais qui servait fruits
de mer et loup à des prix très compétitifs. Sur un Picpoul, quel plaisir.
Au bout de deux ans bye bye la dolce vita. Fin de droit. Je bascule RMI. Je plonge.
Congédié de mon appart : 6 mois de retard de loyer. Je débarque en catastrophe
chez mes parents. Accueil réfrigérant de mère, qui me trouve une HLM en quinze
jours. Et là, la crise. J’ai jamais vécu dans ces cages à lapin. Rien à voir avec
l’immeuble Haussmannien du 88bis avenue Parmentier dans le XIème. Je ne
supporte pas le traitement tri qui m’est prescrit (effets secondaires massifs :
démangeaisons, trouble de l’équilibre, problème gastriques) Un matin au réveil je
me retrouve face à ma glace avec la gueule vérolée et purulente. Quasimodo mâtiné
à un mort vivant. Pétage de plomb. De brefs séjours en H.P. s’enchaînent : délire de
persécution, paranoïa. Mais 2000 je me retrouve sous mandat spécial, majeur
protégé. Juridiquement j’ai autant de droits qu’un mineur.
Je suis en marge de la vraie vie. L’état providence assure ma survie matérielle.
Pesant de vivre en assisté. Autant l’antan m’a transcendé, autant le présent m’a
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descendu, avec la participation active et désintéressée de « proche » qui ne me
voudraient que du bien. Ma famille, qui ne me hait point, a la prétention de faire
mon bonheur à l’insu de mon plein gré. Braves gens va !
Il est vrai qu’à 56 ans révolus, je ne suis pas encore mature. D’ailleurs le serai-je un
jour ? Je préfère garder ma naïveté de jeunesse. D’autorité un expert psychiatre, de
surcroit expert près les tribunaux (c’est dire le réfléchi de l’appréciation) a décrété
après quelques minutes de fréquentation que j’avais perdu le sens du discernement.
En gros, je ne distingue plus le jour de la nuit. Comme je me targue d’un esprit
logique, avant tout échange, faut-il s’entendre sur l’acception des mots pour
pouvoir construire un échange constructif.
Je décortique donc les deux mots : sens et discernement.
1°) Le sens : faculté de bien juger nous apprend le Larousse. Juger avec raison et
sagesse. L’expression « sens commun » introduit une notion d’importance en
notant une manière de voir, un point de vue particulier. Autrement dit il n’existe
pas de sens partagé consensuellement par une communauté. Tout un chacun,
suivant sa propre logique peut avoir une perception personnelle et subjective des
choses et des êtres. Tout rationnellement il ne peut y avoir de perte de sens sinon
par rapport à sa propre logique qui n’est pas, et fort heureusement, celle d’un autre
soi. Tous les hommes ne sont pas fondus dans le même moule. Le monde n’est pas
meublé que de clones, chacun à sa personnalité qui doit être respectée. Mieux
même nos différences doivent être encouragées car elles sont sources
d’enrichissement pour tous.
2°) Le discernement. Action de séparer. Opération de l’esprit par laquelle on
distingue des objets de pensée. Synonymes : distinguer, identifier, percevoir. Se
rendre compte précisément de la nature, de la valeur de quelque chose.
Je fais partie de la France des incapables (majeurs) soit 1 000 000 d’hommes et
femmes de l’ombre que vous côtoyez en les ignorant. Ce sont des sous-citoyens
privés d’une bonne partie de leur droit, une atteinte donc aux libertés
fondamentales. De plus ces formules de protection (curatelle, tutelle) outre le fait
quelles infantilisent permettent un contrôle social et une normalisation des
éléments les plus rebelles. Sombre et répétitive rengaine que de compiler des faits
divers sordides d’adultes ramenés au rang de gosses. La dignité humaine rabaissée
au rang de la bête dans la patrie des droits de l’homme. Entendre gloser des Droits
des animaux sonne bizarrement à mes oreilles. Voltaire doit se retourner dans sa
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tombe. Le sujet : Tutelle est devenu un marronnier digne d’un feuilleton naturaliste
à la Zola. Point besoin d’imagination : la réalité sordide fournit tout sur un plateau.
Bordeaux – février 2007 : Quatre notables spolient une personne âgée. Abus de
faiblesse portant sur plusieurs millions d’euros. Strasbourg – mai 2005 : Mahilde
Klee (84 ans) mise arbitrairement sous curatelle d’Etat aggravée, malgré l’avis d’un
psychiatre expert auprès des tribunaux et malgré deux autres certificats médicaux.
Son fils, Jean-Paul, dénonce dans un pavé publicitaire paru dans le quotidien
Libération cette mise sous tutelle abusive. Sa mère est la veuve de l’un des premiers
résistants gaullistes Raymond Lucien Klee. Jean-Paul avait porté plainte contre une
clinique pour kiné incomplète. Lyon – Martha (84 ans) ancienne visiteuse médicale.
Par appât du gain, héritage de 2 millions d’euros, son fils unique la fait mettre sous
tutelle au prétexte qu’elle vit dans un capharnaüm et quelle se livre à des dépenses
somptuaires. Certificat d’expertise favorable la main levée est demandée. Nouvel
expert nommé par le juge qui se livre a des questions délirantes : Qui était Pétain.
Réponse : un président de la République, triste sire. Faux. Le Président de l’Etat
Français. Un an après le juge n’a toujours pas pris sa décision. Marthe vit la chose
comme « une infamie ».
La tutelle est devenue une voie de garage liberticide, une petite mort civique contre
laquelle cette population n’a que peu de recours. Ce n’est pas moi qui l’écris mais
Bandali-Topalov dans le bouquin : “La France des incapables” (Cherche Midi avril
2005)
Le rideau tombe. Fermeture définitive. Ma fin est annoncée. Inéluctable. Je serai
fauché dans une trentaine de jours. Je puis être aussi précis puisque je compte
m’anéantir. De tous temps je suis fasciné par le suicide. Le hara kiri mystique dit
seppuku de Mishima, Gary en tenue de Compagnon de la Libération qui se flingue
avec son Mauser dans son lit, Bory qui s’absente définitivement après une
déception amoureuse, Navarre, Arenas et tant, et tant. Le suicide est un exercice de
liberté et de maîtrise de sa vie. Je n’ai pas choisi d’être là, ici et maintenant,
pourquoi vouloir m’empêcher de choisir ma porte de sortie ? Ce plaisir si simple, ce
noble exercice de liberté. Hemingway, tu es devenu ton propre gibier, Crevel
pulsion de mort, Reinaldo, à 47 ans, tu as courageusement arpenté la colline de
l’ange noir, Cyril l’amour t’a condamné, Jean-Louis mortelle maladie d’amour, Hervé
ton protocole avec Thanatos ne fut nullement compassionnel, Yves un maléfique
galopin a bouffé ton corps, Romain ta vie était derrière toi pourquoi s’entêter ? Pier
Paolo, tu as délégué Pino pour commettre l’acte impur, Yukio, tu as tombé
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théâtralement le masque.
Je me suis rendu compte que même mon désespoir ne sert à rien et n’a pas de sens.
Personne n’est interpellé. Je m’époumone dans un désert meublé de millions de
sourdingues. La mort n’est qu’une partie de ma trajectoire de vie, je suis né pour
mourir. L’immortalité ? Quelle prétention. Une vie paradisiaque avec au menu
perpétuel : la pomme d’Adam. Indigestion. Non merci, pas pour moi ça. Les belles
âmes s’indignent de l’euthanasie, hurlent à l’eugénisme et glorifient l’acharnement
thérapeutique dans des mouroirs indignes de l’ordure Goebbels. Facile à écrire :
Celui qui a appris à mourir, a désappris à servir. Je n’ai jamais servi, nativement
réfractaire à toute forme d’autorité. Un sage à proclamé : Il est plus facile de mourir
que de vivre. Oui mais avoir le courage de se mourir ? Cette vie : insupportable.
Mais je suis trop lâche pour l’abréger. Je ne suis ni Gary, ni Mishima.
Chaque matin, quand j’évacue mon taudis et que je suis contraint de croiser mes
semblables, minables devrais-je plutôt écrire, j’ai un haut le cœur. Une bouffée
fielleuse m’envahit. Fruit du courroux des cœurs forts et puissants (Zola) Du même
dans mes haines ; si je vaux un tant soi peu c’est que je suis seul et que je hais.
Je hais, j’exècre, j’abhorre, j’abomine, je vomis sur tout et sur tous. Cette précieuse
liqueur baudelairienne, poison plus cher que celui des Borgia, car il est fait de mon
sang contaminé, de mon sommeil cauchemardesque. J’en suis avare, c’est l’encre
spermatique de mon talent.
Je déteste légitimement mes semblables : épaves formatées, inconscientes de leurs
conditionnements accrochées à leurs habitudes. Meute pleutre. Harde en guenille.
Clique bêlante. Des zéros en nombre. Des zéros évidés. Des zéros translucides. Des
zéros évanescents. Des bulles excavées. Des bulles trouées.
Bulles à zéro. Néant dans un vide sidéral.
Tels sont mes compatriotes. Con-citoyens !
Dire que je clapote dans cette mare fétide et contaminatrice. Mais avant de servir
de pâture à la vermine dans une fosse publique, il faut que j’accouche aux forceps
mon exécration de l’autre, vous, toi qui me lis. Le dégoût que vous m’inspirez
jusqu’à l’écœurement.
Saine haine, tu m’es moteur. Pas de bornes, pas de nuances dans l’abhorrassion qui
aiguise et stimule ma plume bâtarde. Je suis ce brave chevalier qui monte célibataire
et s’expose corps et âmes au Pont d’Arcole. Je guerroie à l’avant-garde pendant que
les planqués sirotent leur Dom Pérignon à l’arrière, comptant les points qui leurs
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donneront droit à galons, décorations et bimbeloteries autrement baptisée : Légion
d’honneur. Quelle horreur ! La seule fanfreluche que j’exhibe avec fierté : FILS DU
PEUPLE. Je n’ai rien fait pour l’obtenir, comme les honorés au demeurant, mais je
me l’épingle sans vergogne. J’ai l’âme sale mais moins pourrie que la moyenne.
Tout est bon : insultes, mensonges, sarcasmes, vilénies, calomnies mariant dans une
mare croupissante et glauque de grossièretés. J’ai ma devise pendue en bandoulière :
“omnium porcorum porcissimus” (les plus porc de tous les porcs) J’ai revêtu l’habit
d’épouvantable crotale lubrique et pervers, sépulcre d’abomination. Gens de bonne
compagnie haïssez le satire que je suis car je ne vous épargnerai pas. Je ne suis rien.
Je fais surtout le mal. Le bien si rarement, c’est ma seule faiblesse. J’obéis toujours
quand j’ordonne. Je reçois plus que je ne donne. Rejetez-moi. L’âge venant, la haine
de moi ne fait que grandir. Je suis un vieux échalas édenté, décrépis, pontifiant,
nostalgique du bon temps d’antan. Une vomissure de réactionnaire qui convulse
misérablement dans son taudis poisseux. Je plante votre torchon tricolore dans le
fumier.
Je sens monter mollement, depuis mon bas ventre, une pesante barre. Cette assurée
ascension m’oppresse. Elle me paraît inexorable, aucun obstacle ne saurait la
stopper. Elle poursuit avec assurance son chemin vers je ne sais quelle destination.
Quel est le but ? Plus elle s’approche de ma gorge, plus j’angoisse. Cette chose veut
m’étrangler, je me dégrafe et sue d’abondance. J’avale un verre d’eau. Rien n’y fait,
la macabre grimpette se poursuit. Le rendez-vous fatal avec gueux SIDA s’annonce.
Maintenant il se bat à visage découvert sûr qu’il est, le lâche, de remporter la mise.
Je vais faire front.
Enfin j’essaie ! J’ai peur.
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