RDA: élite ou masse, le sport reste prioritaire. (Libres opinions)

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RDA: élite ou masse, le sport reste prioritaire. (Libres opinions)
Libres opinions
RDA : ÉLITE OU
MASSE, LE SPORT RESTE
PRIORITAIRE...
par ERIC LAHMY
ans un ouvrage d’histoire du sport paru en
1962, l’auteur 1, témoin attentif des grands
événements sportifs, estimait que le fait le plus marquant des années d’après-guerre était la participation des Soviétiques aux Jeux Olympiques à Helsinki, en 1952. Les vingt-deux médailles d’or que
l’URSS avait alors conquises à sa première compétition olympique, le caractère inattendu de duel
USA-URSS qu’avait pu prendre la joute du stade,
tout cela révolutionnait à ses yeux l’histoire et la
géographie du sport.
Trente-trois ans après Helsinki, on peut se
demander si un bouleversement encore plus significatif n’a pas marqué de son empreinte la communauté sportive ; l’émergence, parmi les grandes
puissances athlétiques, d’un pays de dix-sept millions d’habitants, produit de la partition de l’AlIemagne après la seconde guerre mondiale. Le fait
qu’un Etat quinze fois moins peuplé que les EtatsUnis et l’URSS parvienne, dans la plupart des
sports, à se faire une place privilégiée, voire à mettre d’accord les deux Grands, a frappé de stupeur
les observateurs et provoqué dans bien des cas les
interrogations les plus effarées : comment cela
était-il possible ?
Les réponses à ces questions, il a bien fallu que
les sportifs, les entraîneurs et les responsables du
monde entier aillent les chercher en RDA. Ils ont dû
D
convenir qu’il n’y avait pas de miracle, si ce n’est de
volonté, de passion, d’astuce et d’organisation.
LE COMBAT DE LA RECONNAISSANCE
En 1946, la reprise du sport se fait dans les conditions que l’on imagine de ruine matérielle et sociale
de l’après-guerre.
Cette même année, part de l’Ouest une tentative, vouée à l’échec, d’un « groupe de travail pour
le sport allemand » de réintégrer l’Allemagne dans
le Mouvement olympique avant les Jeux de la XXIVe
Olympiade à Londres.
En RDA, la relance du sport se fait par la FJD, à
l’origine non partisane, puis organe de jeunesse du
parti. En juin 1948, le sport passe sous la gestion de
la FJD alliée aux syndicats (FDGB).
Le 24 septembre, la RFA est fondée. Son
Comité Olympique, constitué le 28, est reconnu
par le CIO. En octobre naît la République démocratique allemande. Des clubs sportifs d’entreprises
apparaissent. Chaque industrie est dotée d’une
union sportive.
II n’empêche : le sport connaît des débuts très
difficiles à un niveau très bas. Le 17 mars 1951, deux
ans après la création de la RDA, le Comité central
du SED vote une résolution sur le sport : « Le
recours à la science, lit-on dans ce texte d’une Iucidité prémonitoire, permettra d’améliorer les
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Libres opinions
records de RDA, de revenir au niveau des meilleures performances d’Allemagne, puis de les
dépasser et de trouver place dans l’élite internationale ».
Le plus remarquable, dans cette phrase, qui
aurait facilement pu être prise pour une vague
déclaration d’intention, c’est qu’elle constitue un
programme rigoureux, qui sera inflexiblement
mené à bien puis largement dépassé.
II existe cent façons de mesurer un tiers de siècle de progrès des athlètes de RDA. L’une d’entre
elles consiste à suivre sa participation aux Jeux
Olympiques.
En 1952, seule J’Allemagne fédérale est habilitée à participer aux Jeux. Pour le rassemblement
olympique de Melbourne, en 1956, la RFA a obtenu
que des équipes uniques soient formées à partir de
sélections effectuées dans les deux pays. Cela
conduit immanquablement à mettre d’abord en
concurrence directe les athlètes des deux pays : un
système qui semble désavantager terriblement la
RDA, plus pauvre, deux fois et demi plus petite et
presque quatre fois moins peuplée. Et, en effet, en
1956, l’équipe panallemande qui se rend à Melbourne compte 141 athlètes de RFA contre 36 de
RDA. Mais dès 1960, à Rome, l’équipe conjointe
des deux Allemagnes trouve une composition
beaucoup plus équilibrée entre l’Est et l’Ouest : aux
194 représentants de RFA répondent les 137 individualités que la RDA a qualifiées. A Tokyo, en 1964,
les jeux sont faits, la tendance est inversée. Dès
1968, à Mexico, deux équipes allemandes séparées
iront aux Jeux.
LE RÔLE DES DIRIGEANTS
On oublie ou ignore souvent combien la « crédibilité » du sport doit à l’action de ses dirigeants. La
RDA a de grands sportifs, mais ils sont tributaires
d’une organisation qui a travaillé sans relâche, à I’intérieur comme à l’extérieur, à faire reconnaître I’importance de leur pratique, la richesse éducative et
sociale qu’elle représente.
Les succès du sport en RDA ne peuvent être
dissociés de l’action de ces grands responsables
que sont Helmut Behrendt, le Professeur Günter
Borrmann, Heinz Dose, Heinz Dragunsky, Manfred
Ewald, Wolfgang Gitter, Günther Heinze, Rudolf
Hellmann, Erhard Höhne, Franz Rydz, ou le Dr.
Heinz Schöbel.
Helmut Behrendt est apparu, à travers une
action incessante, comme un inébranlable défenseur de I’Olympisme, autant dans son pays qu’à
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l’étranger. Né le 18 janvier 1904, M. Behrendt,
jeune électromonteur, adhéra dès 1923 au sport
ouvrier, et pratiqua l’athlétisme, le football et le
handball avant d’exercer de hautes responsabilités
dans les Fédérations ouvrières. Incarcéré, pendant
dix ans, pour ses actes de résistance antinazis, il se
consacra après 1945 à l’organisation et au développement du sport et des activités de jeunesse socialiste. Secrétaire général du CNO de la RDA de 1951
à 1973, puis membre honoraire du présidium, ainsi
que de celui de la DTSB auquel il appartient depuis
sa fondation en 1957, il s’est employé de toutes ses
forces à la reconnaissance internationale de son
CNO.
Manfred Ewald, né le 17 mai 1926, fut, comme
président de la section d’athlétisme, membre fondateur du CNO de la RDA. II accéda à la vice-présidence en 1970, à la présidence en 1973. II était
athlète quand, des 1945, il fut appelé à assumer des
fonctions dirigeantes dans le mouvement sportif, à
I’organisation duquel il se consacra entièrement.
Après des études supérieures, Manfred Ewald,
devenu professeur de sport, accéda au poste de
secrétaire du Comité allemand des sports (19481952), puis de président du Conseil d’Etat de la culture physique et des sports (1952-1960). Elu président de l’Union sportive de gymnastique (DTSB),
M. Ewald occupa aussi les fonctions de vice-président des fédérations allemandes d’athlétisme (de
1959 à 1970) et de gymnastique (1970-1974) de la
RDA.
UNE CONSTITUTION ROBUSTE ET SPORTIVE
Dès les premières années cinquante a été mis en
place un réseau d’établissements universitaires de
recherche scientifique et de formation de cadres
qualifiés dont les relations avec le système de haut
niveau sont institutionnalisés.
La RDA est le premier pays au monde à avoir
inscrit ses préoccupations sportives dans sa Constitution. Son article 18, paragraphe 3, stipule : « La
culture physique, les sports et la marche sont des
éléments de la culture socialiste et servent I’épanouissement physique et intellectuel de la population ». On lit dans l’article 25, paragraphe 3 : « Chacun a le droit de participer à la vie culturelle, droit
qui, avec la révolution scientifique et technique et
l’élévation des exigences spirituelles, gagne en
importance. L’Etat et la société encouragent la participation des citoyens à la vie culturelle, à la culture
physique et aux sports de façon à former des per-
sonnalités socialistes et de satisfaire toujours mieux
les intérêts et les besoins culturels ».
Parmi les textes fondamentaux qui régissent le
sport, il faut citer l’article 225 du Code du travail. Ne
prévoit-il pas en effet « l’obligation pour les entre-.
prises de réaliser le droit des travailleurs de participer à la vie culturelle et sportive, d’encourager la
pratique régulière des sports par les travailleurs et
d’apporter leur aide aux organisations de base de la
Confédération de la gymnastique et des sports » ?
Essentiels également, deux articles de la loi sur
la jeunesse. L’article 35, qui engage les cadres de
l’administration publique et de la gestion économique, les enseignants et les éducateurs, inscrit la promotion du sport et de la culture physique dans les
plans annexes de développement, les plans et les
contrats collectifs des entreprises. L’article suivant
engage les administrations publiques dans l’aide
effective à la tenue des Spartakiades.
Dès le départ, le système sportif de la RDA est
structuré autour de trois organismes : le ministère
de la culture, le DTSB (Deutscher Turn und Sport
Bund), Confédération gymnique qui regroupe les
Fédérations sportives, et le ministère de la Jeunesse
et de I’Education populaire. Existe aussi un Comité
pour la culture et le sport.
La DTSB est gérée suivant des principes démocratiques. Elle regroupe tous les clubs sportifs qui lui
délèguent leurs représentants élus. A la base, ces
élus forment les comités locaux du DTSB, au-dessus
desquels on trouve les comités régionaux regroupésen une direction régionale. Enfin, au sommet, la
direction nationale du DTSB, dont l’administration
est assurée par des fonctionnaires mis à sa disposition par I’Etat, mais dont la gestion reste entre les
mains des représentants des clubs.
Le nombre d’adhérents de la DTSB — les cotisations y sont modiques — n’a cessé de croître : il
est passé de 200 000 en 1948 à plus de 2 000 000
en 1969. Les derniers chiffres connus, ceux du
début de 1984, annoncent 3 410 000 adhérents,
c’est-à-dire 20,6 % de la population ; 1 960 000
d’entre eux avaient plus de dix-huit ans, 1 380 000
entre six et dix-huit ans, et 73 000 moins de six ans.
La Confédération coiffe 35 fédérations.
UN PALMARÈS EXTRAORDINAIRE
Interdite de Jeux Olympiques en 1952, la RDA entre
cependant dans plusieurs Fédérations Internationales, Le CIO commence par la reconnaître « provisoirement ». La DTSB naît les 27 et 28 avril 1957.
La percée de l’élite de RDA se mesure au nombre
croissant de médailles et de places d’honneur remportées par ses athlètes dans les grandes compétitions.
Aux Jeux de l’olympiade, les représentants de
RDA commencent par glaner sept médailles à Melbourne en 1956 ; puis ils en ramènent 19 de Rome
(1960) et de Tokyo (1964), 25 de Mexico, 66 de
Munich, 90 de Montréal et enfin 106 de Moscou.
En décembre 1982, les statistiques générales
s’établissent ainsi : les sportifs de la RDA ont remporté 148 titres olympiques auxquels s’ajoutent 138
médailles d’argent et 135 de bronze. En championnats du monde, tous sports confondus, le palmarès
fait état de 587 titres, 526 deuxièmes places et 521
troisièmes places. Aux championnats d’Europe, les
chiffres, également éloquents, sont respectivement
576,694 et 706.
Depuis quelques années, des observateurs
étrangers ont cru pouvoir affirmer que la RDA n’allait pas soutenir son effort sportif, qu’elle s’en
détournerait au profit d’autres « priorités ». Mais
l’effort continu, jamais démenti et toujours croissant, ainsi que les déclarations des dirigeants,
démentent ces prédictions. Tout laisse croire que le
sport sera longtemps encore reconnu comme faisant partie intégrante d’une société socialiste en
développement et puissamment aidé. Le discours
du Président du Conseil d’Etat, M. Erich Honecker,
prononcé à l’ouverture des Spartakiades des
enfants et des adolescents en juillet 1983, ne laisse
aucun doute à ce sujet : « Dans le socialisme, a
déclaré M. Honecker, la culture physique et les
sports servent la prospérité et le bonheur du peuple... La pratique régulière des sports forme des
qualités et des valeurs humaines dont on a besoin
dans la vie... L’encouragement systématique des
sports restera un élément intangible de notre politique ».
DÉTECTION, SÉLECTION, SPARTAKIADES
Les succès sportifs de la RDA ne s’expliquent pas du
tout par une quelconque « obligation » de pratiquer, laquelle n’affecte que le sport à l’école en
dehors de toute préoccupation compétitive ; I’obligation se révélerait d’ailleurs tout à fait inopérante
vis-à-vis des champions, car comment contraindre
quelqu’un à réaliser de grandes performances ? En
fait, la réussite sportive est favorisée par tout un
ensemble de mesures positives qui finissent par
créer un état d’esprit. Un pays qui magnifie le sport
finira par avoir de grands sportifs comme une
société culturellement développée produit des
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artistes. La Finlande, la Hongrie, la Grande-Bretagne ont donné de brillants exemples de mécanismes équivalents.
Pour avoir un sport vigoureux, il faut former des
entraîneurs qualifiés. Le sport de la RDA doit une
partie de ses succès à l’action de meneurs
d’hommes (et de femmes) de la trempe de Jutta
Muller en patinage de vitesse, Paul Tiedemann et
Peter Kretzschmar en handball, Horst-Dieter Hille
en athlétisme, Theo Korner en aviron, Harry Roewer en haltérophilie et Gunter Debert en boxe. Les
entraîneurs suivent quatre années d’études à
I’Ecole supérieure de culture physique de Leipzig.
A côté de l’entraînement sportif, ils apprennent la
pédagogie, la psychologie, les rudiments de la
médecine du sport, la biophysique, les principes de
la physiologie de l’effort, la théorie générale de
l’entraînement et la pratique de langues étrangères.
Une fois leurs études terminées, ils suivent régulièrement des stages de troisième cycle sur les plus
récentes acquisitions de la recherche.
Le sport est assez largement répandu parmi les
jeunes pour qu’un vivier naturel relativement large
pour une population peu nombreuse permette la
détection puis la sélection de talents naturels par les
professeurs d’éducation physique des écoles ou les
moniteurs des clubs sportifs dans des conditions de
« rentabilité » inégalées.
Avec l’accord des parents et à la condition que
le principal intéressé manifeste un réel désir de
s’entraîner, celui-ci est dirigé vers un centre d’entraînement de son arrondissement. Les Spartakiades d’arrondissement sanctionneront les résultats de l’entraînement et indiqueront les capacités
de compétiteur du jeune. Entre les sociétés sportives et les lycées spécialisés, le jeune sportif disposera des infrastructures nécessaires à son épanouissement. II pourra pratiquer au plus haut niveau et,
grâce à des techniques de pédagogie de pointe,
conjuguer ses efforts physiques extrêmes avec des
études complètes et sérieuses. II n’aliénera donc
pas son avenir social à sa pratique. Ce qui n’est pas
le cas dans tous les systèmes sportifs !
E. L.
J. 1 le Flochiomoan. La Genèse des Sports, Payot Ed. (Paris). 1962.
20 000 coureurs ont pris part à une course dont le parcours
de 5 kilomètres traversait la ville de Halle. Cette compétition
organisée pendant le dernier week-end de mars a été la première
des nombreuses «courses de printemps» qui se déroulent à
travers le pays.
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