Louis DANTIN - Assumption College

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Louis DANTIN - Assumption College
Louis DANTIN (1865-1945)
Louis Dantin était le nom de plume d’Eugène Seers, né le 28 novembre
1865 à Beauharnois, au sein d’une famille d’origine anglaise installée au
Québec depuis la Conquête. À quelques kilomètres seulement au sud de
Montréal, le lieu de naissance de Dantin gravitait dans l’orbite de la
métropole du Canada et c’est très tôt, en 1875, que l’auteur s’y rendit pour y faire ses études dans
un collège classique. Élève surdoué mais de santé fragile, Dantin appartenait à une famille aisée
qui avait pu, dès son jeune âge, le dispenser de fatigues inutiles en le faisant instruire à la maison
même plutôt qu’à l’école du village. Dantin ne s’intégra donc plus tard que difficilement à la
société de ses pairs et poursuivit ses études de façon intermittente. Durant l’été de 1883, ses
parents l’envoient en Europe parfaire son éducation. Une fois là-bas, il prend la décision, sans
avertissement, d’entrer au noviciat des pères du Très Saint-Sacrement à Bruxelles. Dans les
années qui suivent, Dantin entreprend de surcroît des études supérieures en philosophie sous la
protection de son ordre religieux et est reçu docteur à Rome en 1887. La même année il est
ordonné prêtre et s’installe dans la maison de son ordre à Paris où il dirige une revue publiée par
les pères du Très Saint-Sacrement. Par une pratique fréquente de l’écriture il entreprend alors,
presque à son insu, une carrière littéraire remarquable tout en ne s’intéressant toutefois à ce
moment précis qu’à des thèmes d’ordre religieux. Sujet prometteur, il est nommé supérieur de la
maison de Paris en 1893 ; il n’a que vingt-sept ans et continue toujours de s’adonner à l’écriture.
Une crise religieuse profonde l’atteint toutefois dès l’année suivante, événement qui coïncide
avec son déménagement à la maison de l’avenue du Mont-Royal à Montréal.
Dantin est foudroyé par sa crise de conscience d’octobre 1894. Il perd la foi définitivement
mais poursuit néanmoins dans les formes sa vie religieuse, tout en s’attachant de plus en plus à
des cercles littéraires dont la fameuse école littéraire de Montréal qui réunissait à ses séances
certains parmi les plus brillants écrivains de la jeune littérature québécoise. C’est à ce moment,
vers 1896, que Dantin fit la connaissance d’Émile Nelligan, fulgurant poète emporté par la folie à
l’aube de la vingtaine. La rencontre devait marquer profondément le jeune prêtre qui adopte en
1900 le pseudonyme de Louis Dantin et fait paraître son premier recueil de vers : Franges
d’autel. Collaborateur au journal Les Débats, Dantin entreprend alors en 1902 une carrière de
critique en y faisant paraître une étude sur Émile Nelligan, reprise l’année suivante en volume
sous le titre Émile Nelligan et son œuvre. D’après le professeur et historien de la littérature
canadienne-française Gérard Tougas, « Ces pages restent parmi les plus brillantes de la critique
canadienne. Pour la première fois, les écrivains canadiens pouvaient légitimement avoir le
sentiment qu’il se trouvait enfin parmi eux un critique d’esprit parfaitement objectif et dévoué de
surcroît à la cause de la culture canadienne-française ».
Désireux de mettre fin à son tourment intérieur, Dantin quittait définitivement le sacerdoce
en 1903 et prenait le chemin de l’exil pour s’installer à Boston, Massachusetts. L’attendaient 1à
des années de misère et de tracasseries puisque en plus de vivre ses souffrances intérieures,
Dantin dut aussi, pour subsister, apprendre un métier manuel, celui de typographe. L’écrivain en
lui ne reprit vie qu’au début des années vingt, alors qu’il faisait paraître dans une revue
québécoise, après un long silence, un nouvel article de critique littéraire. Tant d’années s’étaient
écoulées depuis l’ouvrage sur Nelligan qu’une nouvelle génération d’auteurs émergeait déjà au
Québec. Dantin, qui n’avait pas mis les pieds dans son pays natal depuis 1903, aurait bientôt un
rôle capital à jouer auprès d’eux.
Les circonstances veulent en effet que Dantin devienne, depuis son modeste domicile de
Cambridge, Massachusetts, le critique littéraire et le confident de toute une génération
d’écrivains québécois tels Alfred Desrochers, Robert Choquette et Jean Bruchési pour ne citer
que les plus connus aujourd’hui. De ces contacts privilégiés, quoique surtout épistolaires, naîtra
une série d’ouvrages fort bien faits qui consacreront Dantin comme un des plus grands critiques
littéraires québécois de 1’entre-deux-guerres : Poètes de l’Amérique française (1928, 1934) et
Gloses critiques (1931, 1935). Plus ouvert sur le plan moral et plus tolérant face à la forme que la
plupart des critiques québécois de son temps dont l’abbé Camille Roy, Dantin dut peut-être à son
exil américain l’avantage décisif d’un recul vital face aux critères étouffants, dans le domaine de
l’art, d’un certain nationalisme étroit. Le rapport entre le critique et ses protégés devint si intime
et pressant que Dantin consentit en 1930, puis encore en 1931, à se rendre à Sherbrooke au
Québec pour les rencontrer publiquement. De ces journées d’échanges Dantin retiendra la
matière d’un petit livre : Le Mouvement littéraire dans les Cantons de 1’Est (1930). Détenteur
des papiers personnels de l’auteur après sa mort, l’archiviste et chercheur Gabriel Nadeau publia
dans un ouvrage très touchant les meilleures pages de cette correspondance très significative, du
point de vue des lettres, entre Dantin et ses amis québécois : Louis Dantin, sa vie et son œuvre.
(1948)
Dantin ne fut pas que critique littéraire au cours de ses années de maturité. Comme après un
départ précipité que l’on veut se faire pardonner, le poète revint faire surface en lui, prudemment
d’abord, puis dans toute la force du mot dès les années 1930. Tougas, dans Histoire de la
littérature canadienne-française, affirme que Dantin représente l’un des sommets du lyrisme
canadien et ce avec à peine une cinquantaine de poèmes connus à ce jour, la plupart publiés à
compte d’auteur dans des plaquettes à très petit tirage, comme Chanson javanaise (1930),
Chanson citadine (1931), Chanson intellectuelle (1932) et Le coffret de Crusoë (1932). Dantin
venait à la poésie après une longue série d’épreuves personnelles particulièrement éprouvantes,
et lui-même considéra toujours que pour cette raison il avait manqué sa carrière d’écrivain, sa
production tardive n’ayant valeur à ses yeux que d’exercices formels ou de confidences en vers.
Les thèmes de l’échec et de l’exil dominent d’ailleurs la poésie qu’il écrivit pendant cette période
tardive de sa vie, comme si le regret avait été le mobile principal de son inspiration, le poussant
en quelque sorte à produire enfin les œuvres que pendant toute son existence il avait contenues
en lui. Gabriel Nadeau, de Rutland, Massachusetts, publia en 1962 toute l’œuvre poétique de
Dantin qui n’avait pas encore été réunie en volume sous le titre de Poèmes d’outre-tombe.
Deux autres genres furent abordés par Dantin, mais sous un mode mineur, sans que
l’ensemble de son œuvre d’écrivain en soit vraiment marqué. Il s’agit d’abord du conte qu’il
voulut de facture très populaire avec un fort accent canadien-français et qu’il destinait avant tout
à des périodiques et à des journaux québécois. Ces contes furent presque tous publiés sous forme
de volume dans La Vie en rêve (1930) et dans Contes de Noël (1936) et abordent des thèmes
traditionnels dans un décor socio-culturel propre aux francophones d’Amérique. Dantin s’attaqua
enfin au roman à la toute fin de sa vie, dans une œuvre intitulée Les Enfances de Fanny et qui
parut à titre posthume en 1951, sous les soins du poète franco-américain Rosaire Dion-Lévesque.
En soi, ce roman n’est pas une grande œuvre, mais il jette une lumière inédite jusque-1à sur la
vie de Dantin lui-même, assez pour qu’on puisse le qualifier de partiellement autobiographique.
Le personnage de Donat Sylvain dégage en effet plusieurs des traits marquants de la personnalité
de Dantin mais sans les pousser aux extrêmes pénibles qui furent le lot courant de son quotidien.
Le roman Les Enfances de Fanny est intéressant toutefois à plus d’un titre, notamment parce
qu’il montre à quel point l’isolement social et le repli spirituel de Dantin avaient été profonds en
Nouvelle-Angleterre. Le poète-critique n’eut ainsi rien de commun dans ses aspirations ou dans
son art avec le mouvement de la littérature franco-américaine, à laquelle il ne s’identifia pas. S’il
lui arriva de fréquenter des Franco-Américains, ce fut à la toute fin de sa vie et privément. Ni son
esthétique, ni son mode de vie ne correspondaient d’ailleurs aux valeurs en cours dans le monde
franco-américain pourtant tout proche, et surtout pas l’agnosticisme qui fut le sien jusqu’au
dernier moment.
Les Enfances de Fanny marquent néanmoins une frontière très significative dans le monde
littéraire franco-américain en ce que ce fut l’un des derniers romans écrits en français en
Nouvelle-Angleterre et publiés au Québec. Après Dantin, les romanciers franco-américains
comme Jacques Ducharme ou Jack Kerouac préféreront écrire en anglais à partir d’une
thématique tout autre, et leurs œuvres seront connues d’abord et avant tout aux États-Unis.
Dantin mourut en 1945, à Boston, dans une solitude presque totale. Il reste le dernier d’une
longue suite d’écrivains et de journalistes franco-américains pour qui le Québec était plus qu’une
patrie d’origine, plus qu’une source d’inspiration abstraite, mais plutôt partie intégrante de leur
être.
Pierre ANCTIL
ŒUVRE
- L’Abîme hospitalier. Éric Roberge, éd. Trois-Rivières : Écrits des Forges, 2000. Regroupe
quelques-uns des poèmes qui révèlent avant tout le drame amoureux de leur auteur.
- La Chanson intellectuelle. [s.é.], 1932.
- Chanson javanaise, journal d’un Canadien errant. Sherbrooke, QC : La Tribune, 1930.
- Le Coffret de Crusoé. Montréal : Éd. Albert Lévesque, 1932. BeQ, vol. 30. Version 1.1,
décembre 2001. www.poesies.net.
- Contes de Noël. Montréal : Éditions Albert Lévesque, 1936.
- Contes et nouvelles. Avant-propos de Rosaire Dion-Lévesque, 1950. Montréal : Les Éditions
Chanteclerc, 1951. BeQ, vol. 183. Version 1.0, juillet 2002. www.poesies.net.
- Émile Nelligan et son œuvre. BeQ, vol. 186. Version 1.0, juillet, 2002. Selon l’édition de 1903.
Montréal : Beauchemin. Préface par Louis Dantin.
- Essais critiques. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2002.
- Fang et autres poèmes. Choix et présentation de François Hebert. Montréal : Les Herbes
rouges, 2003.
- Fanny, traduit du français par Raymond Y. Chamberlain. Montréal : Harvest House, 1974.
- Franges d’autel de Serge Usène [anagramme d’Eugène Seers]. Montréal : HMH, 1997.
- Gloses critiques. Montréal : Éditions Albert Lévesque. 2 vols. Collection Les Jugements. 1931,
1935.
- « La Locomotive » [nouvelle]. Le Phare, vol. IV, no 4, juin 1951, p. 41-42.
- Le Mouvement littéraire dans les Cantons de l’Est. Sherbrooke, QC : La Tribune, c1930.
- Poèmes d’outre-tombe. Trois-Rivières : Les Éditions du Bien public, 1962.
- Poètes de l’Amérique française. Études critiques. Montréal : Les Éditions du Mercure, 1928. IIe
série. Montréal : Éditions Albert Lévesque, 1934.
- Les Sentiments d’un père affectueux. Lettres de Louis Dantin à son fils. Trois-Rivières : Les
Éditions du Bien public, 1963.
- La Vie en rêve, nouvelles. Montréal : Librairie Action canadienne française, 1930.
BIBLIOGRAPHIE
- Beaulieu, Paul. Les Enfances de Fanny [compte rendu]. Le Phare, vol. IV, no 5, juin 1951, p.
28.
- Dion-Lévesque, Rosaire. « Une première visite à Louis Dantin ». Le Phare, vol. IV, no 4, mai
1951, p. 14-17.
- Francoli, Yvette, dir. Essais critiques I et II. Montréal : Presses de l’Université de Montréal,
Coll. Bibliothèque du Nouveau Monde, 2002, 528 p.
- Gaboury, Placide. Louis Dantin et la critique d’identification. Montréal : Éditions Hurtubise
HMH, 1973, 263 p.
- Garon, Yves. « Louis Dantin, sa vie et son œuvre ». Thèse de doctorat, Université Laval,
Québec, 1960, 641 p.
- Garon, Yves. Louis Dantin : textes choisis et présentés par Yves Garon. Montréal : Fides, 1968.
- Hayward, Annette. « Les Hauts et les bas d’une grande amitié littéraire : Louis Dantin-Alfred
Desrochers (1928-1939) ». Voix et images, no. 46, automne 1990.
- Hébert, Pierre. « L’Homme derrière une vitre : pseudonymie et transgression chez Eugène
Seers/Louis Dantin ». Voix et images, vol. 30, no. 1, (88) 2004, p. 81-92.
- Lees, Cynthia C. « Border Spaces and La Survivance : The Evolution of the Franco-American
Novel of New England (1875-2004) ». Thèse de doctorat, University of Florida, p. 111-163.
- LeFranc, Marie. « Lettres à Louis Dantin ». Les Cahiers Louis Dantin, no. 4. Trois-Rivières :
Les Éditions du Bien public, 1967. Avant-propos de Gabriel Nadeau.
- Mercier, Marcel. Bibliographie de Louis Dantin. Saint-Jérôme, QC : Imprimerie J.-H.-A.
Labelle, 1939.
- Mercier, Marcel. « The American Identity of Louis Dantin : More Francophone American than
Franco-American ». Canadian Review of American Studies, vol. 24, 1994, p. 103-109.
- Nadeau, Gabriel. Louis Dantin, sa vie et son œuvre. Manchester, NH : Éditions Lafayette 1948,
253 p.
- Nadeau, Gabriel. Dantin parmi les nègres. Dantin et l’Universal Bureau, Les Cahiers Louis
Dantin, Trois-Rivières, QC : Éditions du Bien public 1968, 109 p.
- Robidoux, Réjean, dir. Louis Dantin, Émile Nelligan et son œuvre. Édition critique. Coll.
Bibliothèque du Nouveau Monde. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1997.
- « Apologie de Louis Dantin ». Francophonies d’Amérique, no. 2, 1992, p. 193-99.
- Tougas, Gérard. « Louis Dantin ». La Littérature canadienne-française, Paris : PUF, 1974, p.
95-97 et 119-122.
- En ligne, un site à signaler : L’infocentre littéraire des écrivains québécois. www.litterature.org.
On y trouvera une bibliographie Dantin de 5 pages.