Politico, le site d`info US qui bouscule l`Union
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Politico, le site d`info US qui bouscule l`Union
Allemagne 4.40 € - Belgique 4 € - Cameroun 3400 CFA – Canada 6.99 CAD – DOM 4.80 € - Espagne 4.30 € - Grèce 4.30 € - Italie 4.30 € - Liban 11 000 LBP – Luxembourg 4 € - Maroc 42 MAD – Maurice Ile 6.30 € - Pays-Bas 5.90 € - Portugal 4.30 € - Royaume-Uni 6.30 GBP - Suisse 6.50 CHF – TOM 960 XPF – Tunisie 7 TNM exclusif reportage dans un bidonville de Paris, par Joy Sorman Harper Lee disparition d’un mythe de la littérature américaine Philip K. Dick est-il toujours le boss de la SF? 1056 couv def.indd 1 le groupe brûlant de 2016 The Revenant pourquoi survivre est devenu la fixette d’Hollywood Politico le journal US qui secoue l’Europe plus fort que le Brexit dans la roue des déglingos du rock anglais Fat White Family M 01154 - 1056S- F: 4,90 € Allemagne 5.90 € - Belgique 5.50 € - Cameroun 3700 CFA – Canada 9.20 CAD – DOM 6.30 € - Espagne 5.70€ - Grèce 5.70€ - Italie 5.70 € - Liban 15 000 LBP – Luxembourg 5.50 € - Maroc 46 MAD – Maurice Ile 7.20 € - Portugal 5.70 € - Royaume Uni 7.10 GBP - Suisse 9.20 CHF – TOM 1 200 XPF – Tunisie 7.60 TNM No.1056 du 24 février au 1er mars 2016 lesinrocks.com 22/02/16 16:26 GAB Pub.indd 1 16/02/16 10:10 cher Guy Roux par Christophe Conte E n réaction à la lamentable affaire Serge Aurier qui agite les filets du monde du foot depuis la semaine dernière, tu as su faire preuve encore une fois de cette sagesse propre aux grands éducateurs. Face à la faute – j’ai envie de dire la “fiotte” – dont s’est montré coupable le très gauche latéral droit du QatariSaint-Germain, et alors que chacun s’interrogeait sur l’exemplaire punition qu’il convenait d’administrer à cet impoli nocturne, tu prononçais au micro d’Europe 1 une sentence pleine de ce bon sens paysan qui a fait ta gloire : au gnouf ! Oui, Guitounet, tu y allais sans ambages : “Je vous dis que les sanctions devraient être de vraies sanctions pénales. Il devrait aller en prison”, vociférais-tu, à croire que ce très jeune défenseur ne méritait aucune plaidoirie, ni la moindre mansuétude. “J’aurais massacré Aurier, poursuivais-tu, et j’aurais réfléchi à quelle sanction nous pouvons prendre (sic). Je suis révolté. On est des hommes, on ne peut pas faire n’importe quoi.” Je traduis : “Il faut m’encager sans procès cette racaille qui ose insulter l’ancien Auxerrois Laurent Blanc.” Car tu ne m’ôteras pas de l’idée que si Aurier s’en était pris aussi bêtement à un entraîneur non homologué par ton chauvinisme régional, tu aurais remisé tes souhaits d’embastillement dans ton bas de survêt Le Coq sportif. On peut néanmoins se féliciter qu’à cet affront impardonnable tu n’aies pas souhaité répondre par des méthodes encore plus expéditives, appelant par exemple à fusiller le coupable au poteau de corner, ou à lui coller son Periscope dans la lucarne. Quoi qu’il en soit, la justice implacable semblant être pour toi une question de principe, j’aimerais te parler d’une autre affaire, révélée quelques jours plus tard par Le Monde, où il était question d’évasion fiscale et d’une série de comptes UBS en Suisse ayant appartenu à des personnalités françaises. Dans la liste, ô surprise, figurait ton nom, parmi les fraudeurs actifs ayant dissimulé leur bas de laine (sans doute un bonnet dans ton cas) à l’administration, pour le coffrer chez les Helvètes. Ce sont ainsi, selon les enquêteurs, 3,1 millions d’euros que tu aurais gentiment escamotés jadis, avant de régulariser en loucedé, et le feu au slip, la situation. 3,1 millions d’euros, c’est des sous, c’est pas à toi que je vais apprendre ça, vieux rapiat ! C’est vrai qu’on te voyait plus volontiers planquer des poulets de Loué et des packs de Cristaline dans le coffre de ta Renault Fuego 82 qu’un super magot dans les banques de Zurich, comme quoi il faut toujours se méfier des apparences. Mais, dis-moi, si un abruti de footeux immature mérite selon toi d’aller au ballon pour avoir un peu déconné dans une vidéo, quel sort faut-il alors réserver à un ancien coach respectable d’une équipe de terroir pour avoir fraudé le fisc comme un vulgaire parvenu bling-bling ? On le massacre ? On le fourre en zonzon également, ou bien, comme à l’autre zouave, on lui conseille juste de bien fermer sa gueule ? Je t’embrasse pas, t’es pas un exemple pour la jeunesse. 24.02.2016 les inrockuptibles 3 08 1056 03 Billet.indd 3 22/02/16 15:44 GAB Pub.indd 1 22/02/16 10:40 No. 1056 du 24 février au 1er mars 2016 couverture Feu ! Chatterton par Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles. Typographie Tyrsa. billet dur édito debrief recommandé reportage à Bruxelles, un site d’info américain, Politico, bouscule l’UE national d’Europe Ecologie-Les Verts 22 26 28 30 32 34 37 hommage Harper Lee (1926-2016) à la loupe la courbe nouvelle tête Tommy Genesis futurama style food 40 cette semaine sur 44 Feu ! Chatterton, c’est scotchant né sur la scène, le groupe français qui monte défend en tournée son premier album, Ici le jour (a tout enseveli). Rencontre Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles 18 portrait David Cormand, secrétaire 44 50 50 Joy Sorman et les invisibles l’auteur est allée pour Les Inrocks dans le bidonville parisien du boulevard Ney avant son démantèlement 58 Philip K. Dick, agent double schizophrène et visionnaire, il est l’écrivain qui aura le plus influencé penseurs et artistes de notre temps. Radio Nova et Arte lui consacrent plusieurs programmes 64 Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles 03 06 08 10 12 62 Fat White Family : enfants terribles à Londres, avec le gang de durs au cœur tendre, pour fêter leur deuxième album aux vapeurs psyché, Songs for Our Mothers 64 tendance : le film de survie The Revenant et Seul sur Mars, les deux favoris des oscars, entérinent la consécration d’un genre de plus en plus prisé cinémas No Home Movie, Merci patron !… musiques Get Well Soon, Rokia Traoré… livres Catherine Lacey, Frédéric Ciriez… scènes la danse à Athènes. Reportage expos Bentu, Rochelle Feinstein… médias Vers un monde altruiste ?… ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “édition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Objectif 2016, vol. 2” encarté dans toute l’édition ; un programme “Union libre” jeté dans l’édition kiosque des départements 25, 38, 69, 01, 04, l’édition abonnés France et les éditions kiosques et abonnés Suisse. 08 1056 05 sommaire.indd 5 Twentieth Century Fox 70 78 88 94 96 98 24.02.2016 les inrockuptibles 5 22/02/16 15:27 “The moment of truth: We must stop Trump.” C’est le titre d’un édito du Washington Post, publié le 21 février, dans la foulée de l’inquiétante victoire du milliardaire américain en Caroline du Sud. Littéralement : “Le moment de vérité : nous devons arrêter Trump.” Un édito de combat signé par Danielle Allen, professeur en théorie politique à Harvard, qui en appelle à la responsabilité de tous les Américains, républicains comme démocrates, à tous ceux qui pensent qu’il est encore temps de stopper la furieuse et flippante ascension de Donald Trump. Voici le plan. Aux républicains, Danielle Allen demande clairement de faire le choix de Marco Rubio, 44 ans, sénateur de Floride depuis 2010, dont nous vous parlions dans Les Inrocks en début d’année comme le vrai “plan anti-Trump”. Le type n’est pas des plus excitant, certes. Dans notre numéro du 13 janvier, nous le décrivions sous la plume de Maxime Robin comme “jeune, latino, talentueux, réac sur tout sauf les questions d’immigration, avec une pincée incongrue de justice sociale”. Pas franchement très glamour, une sorte d’Obama de droite, la classe et le progressisme en moins. Pourtant, Danielle Allen demande aussi aux démocrates d’aller voter Rubio. C’est dire l’urgence de la situation. “Démocrates, votre candidate (Hillary Clinton – ndlr) est trop faible pour se poser en pare-feu. Elle pourrait gagner les élections, mais elle pourrait aussi ne pas les gagner. Il y a trop d’incertitudes. Si vous n’avez pas dépassé la date qui vous permet de changer de parti, inscrivez-vous chez les républicains, votez pour Rubio, écrit Brian Snyder/Reuters le moment de vérité Danielle Allen, même si, comme moi, ses positions sur le mariage pour tous vous font mal au ventre (Rubio est contre, bien entendu, tout en étant bigot et anti-avortement – ndlr).” Effrayant. Mais cela aura le mérite d’avoir anticipé le drame que pourrait vivre l’Amérique en cas d’élection de Trump (même si Bernie Sanders et Hillary Clinton le devancent encore un peu dans les sondages). Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’incroyable documentaire de Richard Sanders, Le Monde fou de Donald Trump, diffusé le 1er mars sur Paris Première (lire page 100). Un film dans lequel on découvre l’origine de la hargne d’un homme dont le discours, écrit Jean-Marie Durand, “est le même que celui du Front national, en plus gras et vulgaire”. Ce “moment de vérité” dont parle Allen, nous sommes peut-être en train de le vivre aussi, chez nous. Un Sarkozy mis en examen mais qui kiffe la France dans un best-seller, une demidouzaine de candidats déclarés à la primaire à droite (dont Jean-François Copé, la blague), avec une seule valeur refuge potable, entre guillemets : Juppé (et encore, hein). Un Mélenchon déjà candidat pour 2017. Un embryon de primaire à gauche. Un Hollande impopulaire et chahuté, un Valls qui dit non à ladite primaire, un Cambadélis qui dit why not. Une Taubira “prête au combat”. Un Montebourg en retrait, mais on ne sait jamais. Des Verts qui partent prendre des Safrane au gouvernement mais une Duflot qui pourrait se présenter. Et au milieu de tout cela, une Marine Le Pen à qui l’on a déjà promis le second tour. On prend deux minutes et on y réfléchit aussi tous ensemble, à ce fameux moment de vérité ? Des groupies face à Donald Trump Pierre Siankowski 6 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 06 edito.indd 6 22/02/16 16:09 GAB Pub.indd 1 19/02/16 09:27 faire le parcours du combattant grâce aux inRocKs La semaine dernière en couve, Christiane Taubira était prête au combat et, notamment, à lutter contre les inégalités. Comment pourrons-nous l’aider ? M on cher Inrocks, Christiane Taubira est “prête au combat”. Moi aussi ! Faut dire, Taubira et moi, c’est une longue histoire. Je l’avais découverte en 2002 lorsqu’elle était candidate aux élections présidentielles. Jospin avait déclaré que son programme n’était pas socialiste. Alerté, j’avais jugé plus prudent de lire les programmes avant de déposer mon bulletin. C’était la première fois que je votais. Ça valait le coup de se donner du mal. Taubira m’avait séduit. Elle défendait les mêmes idées qu’aujourd’hui. Pas un reniement. Mêmes valeurs, mêmes révoltes, mêmes inquiétudes. Elle dénonçait le repli sur soi, l’hystérie sécuritaire, et surtout, elle avait axé son programme sur l’égalité des chances entre hommes et femmes, riches et pauvres, Blanc et Noirs avec des mots proches de ceux prononcés cette semaine : “Les inégalités sont insupportables parce qu’on ne peut s’accommoder de l’idée qu’un enfant qui pourrait être Nelson Mandela, Albert Einstein ou Marie Curie s’arrête en chemin juste parce qu’il est né à cet endroit-là. On ne peut dormir paisiblement en sachant cela.” Pas de promesses de grand soir, mais la volonté d’œuvrer à une société un peu plus juste et de miser sur l’intelligence des citoyens. Ça m’allait. J’ai voté Taubira le 21 avril à 17 heures. A 20 heures, j’étais coupable de tous les maux : politiquement naïf, idiot utile du lepénisme. Tout juste si je n’étais pas pas “le ventre fécond d’où a surgi la bête immonde.” Depuis, je suis rentré dans le rang. En 2012, j’ai voté utile. Voter utile, c’est renoncer à élire des idées, des programmes, une vision de la société et choisir le candidat le mieux placé pour éliminer celui qui vous semble le pire d’entre eux. C’est un vote adulte, prudent et sans espoir. Hollande a été élu et Hollande ne m’a pas déçu, puisque je n’en attendais pas grand-chose de plus que de ne pas être Sarkozy. Je dois même dire qu’après les attentats de janvier, j’ai été conforté dans mon choix. Hollande, ce n’était pas exactement l’idée que je me faisais de la gauche, mais avec l’autre à sa place, on aurait pu craindre le pire. Mais en 2017, je vais faire encore plus finaud ! Gestion de la crise des migrants, état d’urgence et déchéance de nationalité me conduisent à changer de stratégie. A quoi bon voter pour une gauche qui applique un programme économique de droite tout en piquant des idées à l’extrême droite pour éviter d’en faire le lit ? Il y a mieux à faire : voter utile aux primaires de la droite pour le candidat le mieux à même d’éliminer les moins républicains des Républicains ! Ainsi libéré du chantage au vote utile, on peut ensuite voter pour le candidat de son choix au premier tour, candidat qui, comme “la France se droitise”, n’aura absolument aucune chance de gagner les élections, et par conséquent de décevoir. C’est implacable. Et dire qu’il y en a qui désespèrent de la politique. Alexandre Gamelin 8 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 08 debrief.indd 8 22/02/16 15:27 GAB Pub.indd 1 16/02/16 10:39 une semaine bien remplie Se replonger dans le fonds d’un joyeux dadaïste, s’abreuver de torrents d’amour avec un grand maître du cinéma américain, se méfier de l’emprise tentaculaire de l’industrie agroalimentaire et profiter de cinq jours de live dans le Grand Est. égards de l’Est GéNéRiQ Festival Pendant cinq jours, cette neuvième édition de GéNéRiQ fera courir aux quatre coins de cinq agglomérations du Grand Est pour applaudir le folk délicat d’Other Lives, le rock tranchant de Savages, les douceurs ténébreuses des Tindersticks, la fée Ala.ni, l’electro-pop de LA Priest ou les grandiloquences des 3SomeSisters (photo). Leny Guetta Raoul Hausmann, Sans titre, 1951. Courtesy Collection Musée départemental d’Art contemporain de Rochechouart concerts du 24 au 28 février à Dijon, Besançon, Mulhouse, Belfort et dans le Pays de Montbéliard generiq-festival.com club cheval Raoul Hausmann, dadasophe Alors que l’on fête ce mois-ci le centenaire du mouvement artistique le plus iconoclaste du XXe siècle, le musée de Rochechouart, dépositaire du fonds Raoul Hausmann, l’un des joyeux porte-parole Dada aux côtés de Tristan Tzara ou d’Hugo Ball, inaugure une expo dédiée à ce dadasophe qui créa une antenne dada à Berlin avant de se réfugier dans le Limousin. exposition Raoul Hausmann, dadasophe – De Berlin à Limoges, du 27 février au 12 juin, musée Rochechouart, museerochechouart.com un grand plat pour l’humanité Cooked “C’est en apprenant à cuisiner que l’on est devenus vraiment humains”, telle est la thèse du best-seller Cooked signé du journaliste Michael Pollan. Aujourd’hui adaptée en une série de quatre épisodes, Cooked explore la genèse de nos traditions culinaires, relevant les dangers de l’industrie agroalimentaire. série documentaire disponible sur Netflix 10 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 10 recommande.indd 10 22/02/16 16:13 JohnC assavetes et Gena Rowlands dans Love Streams (1984) rééditions John Cassavetes A découvrir d’urgence dans une toute nouvelle édition, deux films de Cassavetes : Un enfant attend (1963), réalisé durant la période hollywoodienne du réalisateur ; et surtout Love Streams (1984), film testamentaire (cinq avant sa mort), peut-être son chef-d’œuvre absolu avec sa muse de toujours, Gena Rowlands, et lui-même dans le rôle de son frère. cinéma coffret Blu-ray (Wild Side) 08 1056 10 recommande.indd 11 22/02/16 16:13 le site d’info US qui secoue l’Union européenne Capitale grise de l’Europe, Bruxelles n’a jamais passionné les foules. C’était avant que Politico, rouleau compresseur du nouveau journalisme américain, et sa jeune journaliste star Tara Palmeri, ne débarquent en ville pour réveiller l’Union. 12 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 12 Bruxelles.indd 12 22/02/16 16:04 C Pour Politico, la journaliste Tara Palmeri couvre le sommet européen consacré au Brexit. Bruxelles, le 18 février orina Cretu est commissaire européenne, roumaine et extrêmement paresseuse. C’est bien simple : en un an, la moitié de son staff a jeté l’éponge, dont le directeur de cabinet, son adjoint, et le chef de sa com. Il faut dire que la blonde incendiaire de 48 ans ne se pointe jamais au bureau avant 10 heures, voire jamais au bureau tout court le lundi, le jeudi et le vendredi. Et comme si son emploi du temps n’était pas assez léger, Cretu n’hésite pas à transformer ses missions officielles en vacances familiales, comme lorsqu’elle est partie dix jours à La Réunion au mois de mai. Pire, l’ex-amante de Colin Powell, poussée par Jean-Claude Juncker pour réaliser un semblant de parité au sein de la Commission, utilise ses employés pour faire ses lessives et conduire sa famille partout dans Bruxelles. Pas mal pour un salaire à 300 K€ l’année. Et en plus, elle clope au boulot. Voilà typiquement le genre d’histoire bruxelloise que vous n’avez jamais lue : drôle, scandaleuse et hautement révélatrice de la dérive des élites de l’Union européenne. “Tout le monde le savait mais personne ne l’a jamais écrit. Pourquoi faut-il qu’une fille complètement extérieure aux institutions se penche dessus pour qu’on en parle enfin ?”, s’énerve Tara Palmeri, auteur de l’exclu dont tout Bruxelles parle. A 28 ans, la journaliste américaine est ce qu’on appelle une “scoop artist” – une reporter dédiée au hard news, accrochée à son iPhone et debout à des heures indues pour chopper la moindre info inédite. Surtout, c’est la figure montante de Politico. Les fans de House of Cards sont familiers du ton abrasif du site américain, jamais le dernier pour ruer dans les brancards de l’establishment. Souvenez-vous : c’est pour le turbulent et novateur Slugline (équivalent de Politico) que l’ambitieuse Zoe Barnes quitte son vieux quotidien ronronnant (un Washington Post à peine voilé). Fondé en 2007 par des journalistes issus de la presse écrite traditionnelle, Politico a bouleversé en un temps record le panorama des médias et de la politique made in Washington DC, donnant au passage ses lettres de noblesse au web. Oui, on peut produire de l’info inédite et de qualité sur internet. Et on peut même gagner de l’argent. Il suffit de viser juste. “Nous nous adressons à un public obsédé par la politique : pour eux, c’est un sport, une passion comme la musique ou le cinéma. On parle à des fans”, explique de sa chaude voix John Harris, cofondateur de Politico, de passage à Bruxelles. D’où une règle d’or : ne jamais barber ces lecteurs déjà très informés. “Politico, c’est à la fois le New York Times, pour son côté infos exigeantes qui redéfinissent l’agenda politique, et le New York Post, pour son côté outrageux et déterminé à sortir tous les scoops”, continue le quinqua aux yeux vifs, ex du Washington Post. Ce qui explique la présence sur le site de formats hybrides comme le Playbook, une newsletter quotidienne qui fait rire autant qu’elle instruit. Exemple, vendredi 19 février : “Le surréalisme sans limite de la Belgique. Bruxelles doit lancer de gros travaux pour réparer ses tunnels en 2016. Ça risque d’être compliqué : le gouvernement a rangé les plans dans un endroit sombre et humide, et les souris ont tout dévoré.” Fort de ce succès, Harris et son collègue Jim VandeHei ont décidé de transposer leur modèle à Bruxelles en s’associant au groupe Axel Springer, proprio, entre autres, du tabloïd 15.09.2012 les inrockuptibles 13 08 1056 12 Bruxelles.indd 13 22/02/16 16:04 Le siège du Conseil de l’UE transformé en salle de presse lors des sommets européens des histoires drôles, scandaleuses et hautement révélatrices de la dérive des élites de l’Union européenne allemand Bild. Le deal est chiffré quelque part entre “10 et 99 millions d’euros”. Sur le même créneau, seule une poignée de médias techno, comme EurActiv ou Contexte, plus habitués à disséquer les politiques publiques que les mœurs des hommes de pouvoir. Mais si la politique US se prête volontiers à une scénarisation type Hollywood, difficile d’imaginer s’amuser autant dans la morne capitale de la bureaucratie européenne. D’autant que le microcosme bruxellois (20 à 30 000 personnes) est bien plus petit que celui de DC… “Bruxelles n’est pas ennuyeuse !”, assure au contraire Matt Kaminski, rédacteur en chef de Politico.eu, passé par le Wall Street Journal. “Sous la surface austère, on retrouve les mêmes histoires humaines qu’ailleurs, le cynisme, les secrets, les rivalités… comme dans une série télé.” D’autant que depuis le lancement du site il y a dix mois, les crises (migratoire, diplomatique, terroriste, monétaire, britannique…) ont engendré bon nombre d’intrigues de palais. Harris rigole : “Qu’est-ce qu’il y a d’ennuyeux là-dedans ?” Pour dynamiter la communication verrouillée de la Commission, Politico frappe fort. Certes, les Américains n’ont pas réussi à embaucher le très connecté Peter Spiegel, patron star du bureau européen du Financial Times. Alors ils ont mis le paquet. Sous les ordres du staff US, on compte trois bureaux à Paris, Londres et Berlin, quarante journalistes (là où l’AFP et Reuters n’en compte qu’une dizaine), seize nationalités, dont une partie issue des institutions ou du secteur privé. Les vieux briscards s’interrogent : cette débauche de moyens est-elle nécessaire ? Politico assume : il faut secouer le traitement ronronnant de l’UE. Même du côté des journalistes pure souche, le casting a quelque chose d’inédit. A commencer par Tara Palmeri, première recrue et seule reporter américaine de la bande. “La première fois que l’on s’est rencontrés, elle m’a dit : ‘Je ne connais rien à la politique de l’UE, mais donne-moi un vrai budget de notes de frais et je te sortirai des scoops”, rigole encore John Harris. Formée à l’école du tabloïd, Tara n’a que deux mots à la bouche : “fun” et “sources”. “Quand j’étais au New York Post, on avait un budget illimité pour inviter nos sources dans les meilleurs endroits : ce sont des clients sur lesquels on investit pour avoir les infos en premier. On se marrait bien ! A Bruxelles, les gens sont plus timorés…”, râle la journaliste. De ce côté de l’Atlantique, la différence culturelle pèse de tout son poids. “Le journalisme américain est beaucoup plus transactionnel, je te donne une info si tu m’en donnes une autre. Ici, même au plus haut niveau, j’ai l’impression que les gens ne savent pas se servir de la presse”, continue-t-elle en agitant les mains. Père italien, mère polonaise, Tara Palmeri a grandi dans le New Jersey. Plutôt que de refaire tout Britney Spears sur sa machine à karaoké, elle fait semblant de couvrir la guerre des Balkans planquée derrière son lit, quand elle ne couche pas les invités sur le canapé familial façon Oprah. La mini-fouine est bientôt surnommée “Jersey Journal”. A l’American University, elle fonce tout naturellement vers le journalisme. Tara se fait embaucher par CNN comme 14 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 12 Bruxelles.indd 14 22/02/16 16:04 Découvrez dans le prochain numéro le Nissan JUKE relooké par Tin-Tin à l’occasion du Mondial du Tatouage portrait de Tin-Tin © Thomas Krauss Le Nissan JUKE a plus d’un point commun avec Tin-Tin, le tatoueur incontournable. Alors forcément, ils étaient faits pour se rencontrer. nissan_210x270_13 def.indd 1 Rendez-vous sur #JUKEBYTINTIN ou sur nissan.fr/jukebytintin et tentez de gagner un tatouage “Tin-Tin Tatouages” ou des places pour le Mondial du Tatouage du 4 au 6 mars à Paris. 19/02/16 16:40 “aux Etats-Unis, ils se fichent de savoir comment vous obtenez vos infos : c’est le résultat qui compte” Salade grecque ou crème anglais e ? news assistant pour couvrir les débuts d’Obama. On est en 2008, elle est déjà au bon moment au bon endroit. Les semaines de quatre-vingt-dix heures et les réveils à 3 heures du mat s’enchaînent. Pas grave, elle réseaute à fond et matraque les invités à grand renfort de cartes de visite. Rapidement, Palmeri creuse son sillon : des histoires piquantes, comme celle des SDF qui font la queue au Congrès pour garantir aux lobbyistes d’entrer dans le bâtiment… et détricoter la loi sur la sécu universelle. Repérée par le Washington Examiner, elle fait décoller la rubrique gossip politique qui passe, en un an, de 25 000 à 1,7 million de vues par mois. “J’étais déterminée à ce que mes scoops soient repris par les autres. Je frappais à la porte de tout le monde, je me suis incrustée dans des milliers de soirées…” Tant et si bien que Palmeri finit même par envoyer un puissant lobbyiste en désintox sexuelle. “C’est pas grave si tu sors des histoires qui fâchent : si tu fais du bon boulot, ta rubrique va devenir “hot” et les gens te rappelleront. Il faut écrire des trucs provocants : personne ne veut lire des papiers chiants !”, s’emporte-t-elle. Cette fois, c’est le légendaire New York Post qui l’appelle pour sa Page 6 – la rubrique de ragots la plus lue d’Amérique où politiciens faux-culs et stars mégalos sont passés au crible. Week-ends dans les Hamptons, after parties à profusion… Jamais couchée avant 5 heures, Tara fréquente le gratin du showbiz (elle fouine tant qu’Alec Baldwin en vient à la menacer de mort). Mais continue de garder un œil Tara Palmeri, journaliste sur la double vie des politiciens. Comme lorsqu’elle se fait passer pour une serveuse dans le pub où des sénateurs républicains pro-famille fricotent avec des lobbyistes sexy : ils ont tous été convoqués le lendemain par le président de la Chambre des représentants. “En Europe, on insiste sur la manière dont les choses sont faites. Aux Etats-Unis, ils se fichent de savoir comment vous obtenez vos infos : c’est le résultat qui compte.” Le rouleau compresseur Palmeri détonne dans la culture feutrée de Bruxelles. Forcément, à son arrivée, elle a commis quelques impairs, y compris auprès des collègues qui la trouvent très… “américaine”. Son collègue français Quentin Ariès, 25 ans, n’hésite pas à la vanner : “C’est une Jersey girl ! Cash et rigolote, mais elle n’a pas peur des sujets techniques.” Reste que sa roublardise new-yorkaise est très utile. Il suffit de la voir faire entrer en douce une journaliste sans papiers au sommet du 18 février sur le Brexit. Une fois dans l’antre du Conseil européen, à peine a-t-elle largué ses affaires dans la salle où se trouvent une quinzaine de ses collègues, qu’elle sillonne les couloirs cramponnée à son iPhone. “Toujours pas de scoop, Tara?”, la tance Frédéric Jung, porte-parole de la délégation française. Entre deux textos, elle lance des hashtags (#3shirtsummit en référence à David Cameron qui a emporté trois chemises pour assurer la longue négociation, ou encore #pray4sherpas pour les collaborateurs fatigués), et trépigne pour mettre en ligne un premier scoop : Cameron veut exclure les Européens de l’aide sociale britannique pendant treize ans. “Ils tapotent sur leurs trucs toute la journée”, observe en riant Jean-Pierre Stroobants, correspondant du Monde à Bruxelles. Composée d’une majorité de junior editors de moins de 35 ans, la rédaction de Politico est scrutée par le milieu, pas encore désarçonné. “C’est une boîte à idées avec des papiers longs, des angles pointus, c’est très bien fichu, estime Stroobants. Ils ont créé une marque qui s’impose mais pour l’instant son impact est marginal.” Certes, le “show à l’américaine”, comme l’appelle un lobbyiste, met en lumière les coulisses, mais ce n’est pas ce qui intéresse en premier lieu les drogués de l’actu européenne. Peter Spiegel, chef des cinq journalistes du Financial Times présents à Bruxelles, a souligné dans Le Monde en avril 2015 la différence entre les Etats-Unis et l’Union européenne : “A Washington, les parlementaires décident où doivent être dépensés les millions de dollars des recettes publiques, c’est très utile de tout connaître d’eux. Ici, les députés et les fonctionnaires européens ne peuvent rien dépenser, et leurs faits et gestes intéressent bien moins.” Politico a-t-il vu trop gros ? Pas le temps de se poser la question. Le petit déjeuner prévu par le Conseil européen pour clore la nuit de négos vient de se transformer en brunch. Il y a encore du pain sur la planche. #pray4sherpas. Mathilde Carton photo Thomas Vanden Driessche pour Les Inrockuptibles 16 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 12 Bruxelles.indd 16 22/02/16 16:04 GAB Pub.indd 1 16/02/16 16:58 cet homme peut-il encore sauver les Verts ? Suite au départ d’Emmanuelle Cosse qui a rejoint le gouvernement, David Cormand a été choisi pour lui succéder à la tête d’Europe Ecologie-Les Verts. Sa mission quasi impossible : redresser un parti en décomposition, où il est controversé. T u fais la connerie de ta vie, ça n’a pas de sens !” Jeudi 11 février, jour de remaniement ministériel. Il est 10 h 30 et David Cormand, numéro 2 d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), tombe de haut. Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale du parti, vient de lui annoncer par téléphone qu’elle a reçu une offre de l’Elysée – le ministère du Logement – et qu’elle l’a acceptée. La veille, le parti avait rejeté dans un communiqué toute collaboration avec l’équipe en cours de construction de Manuel Valls. “Que penses-tu avoir obtenu en retour ?”, l’interroget-il par acquit de conscience. “Consultation citoyenne sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim…” Il coupe court à la conversation : “Je te demande simplement de quitter le parti, je préférerais ne pas avoir à t’exclure.” Dans la foulée, l’ex-présidente d’Act Up envoie un mail aux adhérents d’EE-LV leur annonçant son “retrait”. Une réunion téléphonique a lieu entre plusieurs membres du Bureau exécutif (BE) l’après-midi même : David Cormand, 41 ans, est désigné comme secrétaire national par intérim jusqu’au prochain congrès, qui aura lieu en juin. Depuis, son téléphone vert fluo n’arrête pas de vibrer. Par SMS, certains de ses amis écolo trouvent encore les ressources pour ironiser : “La prochaine étape, c’est le ministère du Logement !” Le 16 février, l’ambiance est pourtant loin d’être funky à la Chocolaterie, le siège du parti dans le Xe arrondissement de Paris, mis en vente récemment à cause de coûts d’entretien élevés. Les quinze membres du BE doivent y définir une nouvelle direction collégiale et la proposer au Conseil fédéral. David Cormand, homme discret et flegmatique aux jambes immenses et à la voix naturellement cassée, esquisse un retour d’analyse sur le départ d’“Emma” : pourquoi en est-elle arrivée là ? Comment redonner confiance aux militants ? “L’ambiance était lourde… de responsabilité, relate Elise Lowy, tenante de l’aile gauche du parti. On est arrivés à la conclusion que l’écologie ne se réduit pas à une personne, que beaucoup de militants sont attachés à ce parti et aux valeurs écologistes, et qu’il doit continuer à leur être utile.” Le lendemain, le Conseil fédéral approuve à 88,7 % des suffrages exprimés la nouvelle organisation du Bureau exécutif. David Cormand remplace officiellement Emmanuelle Cosse et Elise Lowy est élue secrétaire nationale adjointe. “Cela veut dire que toutes les sensibilités sont intégrées, salue le député écolo Noël Mamère, qui a quitté EE-LV en 2013. David Cormand a très bien compris l’ampleur de la crise, il peut être celui qui évite l’effondrement complet d’EE-LV. Pour cela, il faudra qu’il réconcilie le parti avec ses militants et avec la société civile, en montrant qu’il n’a pas d’arrière-pensées politiciennes.” Mais qui est cet homme chargé de sauver un parti écologiste exsangue, par un concours de circonstances dont il se serait bien passé ? Sa trajectoire politique commence sur les bancs de la fac d’histoire de Mont-Saint-Aignan, en Normandie, à la fin des années 1990. David Cormand sympathise avec les militants d’un syndicat étudiant d’extrême gauche, Agir-Unef. “Je n’étais pas conscientisé politiquement, mais je les aimais bien, se souvient-il. C’étaient les seuls qui se battaient pour les étudiants étrangers, qui étaient accueillis comme des merdes.” Le jeune homme assiste à quelques réunions, participe aux tractages, et se retrouve élu sur la liste de ce syndicat, même s’il ne partage pas ses référents gauchistes. Sa licence d’histoire en poche, il se reconvertit dans le théâtre. Pendant quelques années, il joue En attendant Godot sur les scènes rouennaises, mais est finalement happé par les coulisses du parti écologiste en 2000, année où il adhère aux Verts. 18 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 18 Cormand.indd 18 22/02/16 16:00 08 1056 18 Cormand.indd 19 22/02/16 16:00 “David Cormand est constant dans le peu d’amour qu’il a pour le PS” un ancien cadre des Verts Depuis, David Cormand enchaîne les mandats locaux : conseiller municipal de Canteleu depuis 2001, il a aussi été président du groupe écolo à la région lors de la précédente mandature. “Il avait un pied sur le terrain, et l’autre dans les institutions, se souvient Philippe Vue, un de ses premiers mentors en HauteNormandie. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a adhéré aux Verts : il voulait construire une liste pour faire avancer des dossiers.” En parallèle, l’ex-intermittent du spectacle est très investi dans les jeux internes du parti, qui n’ont rien à envier à Game of Thrones. La nouvelle recrue des Verts milite dans le courant environnementaliste de Gilles Euzenat, un taulier écolo de la région : “Je pense qu’il est toujours sur cette ligne politique, au-dessus des clivages gauche-droite, même s’il est plus politicien que moi, et que les alliances ne lui font pas peur”, estime-t-il. Délégué en charge des élections en 2011, David Cormand a en effet eu un rôle de premier plan dans les négociations pour les accords sénatoriaux et législatifs avec le PS. “Il y avait des moments de tension, un rapport de force à maintenir, mais nous partagions la même volonté d’aboutir à une majorité gouvernementale”, se souvient Christophe Borgel, chargé des élections au PS. Son émergence dans les instances nationales du parti en 2006 témoigne pourtant de son rejet des compromis avec le “grand frère” socialiste. A l’époque proche de Yann Wehrling, le secrétaire national du mouvement (désormais porte-parole du Modem), il prend ses distances avec lui à l’Assemblée générale des Verts à Bordeaux. Contesté par une part importante des militants, Wehrling décide de s’allier avec les voynetistes pour sauver son poste, contre l’aile gauche incarnée par Cécile Duflot. Cormand s’y refuse : “Je te souhaite bonne chance, mais je ne vais pas avec ces gens-là”, lui assène-t-il. “Il est constant dans le peu d’amour qu’il a pour le PS, remarque un ancien cadre des Verts, qui a assisté à la scène. Il a une vraie défiance vis-à-vis de ce parti.” Toujours en 2006, il crée la motion “Vert et fort forever”, qui obtient 6 % des voix, ce qui lui permet de siéger au collège exécutif – un mandat rémunéré 1 500 euros par mois. David Cormand devient ainsi un professionnel de la politique : il est successivement directeur administratif du siège des Verts, délégué aux élections puis secrétaire national adjoint d’EE-LV. Cette trajectoire lui vaut quelques qualificatifs peu flatteurs en interne : “apparatchik”, “prototype du technocrate”, “porte-flingue de Duflot”, “ex-pion de Jean-Vincent Placé”… “Chez les écolos, on croit toujours qu’on est plus vert ailleurs, mais ce n’est pas vrai. Ce recentrage est plutôt positif car dans la difficulté, on a besoin de quelqu’un d’expérimenté”, balaie d’un revers de main Gilles Euzenat. Sa proximité avec Cécile Duflot irrite également certains cadres régionaux. “David Cormand n’est pas la bonne personne, martèle Françoise Diehlmann, ex-membre du Conseil fédéral, qui a claqué la porte d’EE-LV suite à la désignation de Cormand. Il n’y a pas plus proche de Cécile Duflot que lui. Dans la période actuelle, il faut se poser des questions de fond : mettre quelqu’un de clivant à ce poste n’est pas la solution.” “Sa boussole, c’est qu’il pense être l’orientation de la base d’EE-LV. On a vu où ça a mené”, raille encore François de Rugy, dissident d’EE-LV et coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Face à l’hémorragie de militants, d’élus et de cadres progouvernementaux, le nouveau secrétaire national souhaite calmer les esprits : “Il faut que l’on fasse un vrai travail sur notre relation au pouvoir et à ceux qui nous incarnent, pour redonner un sens collectif à ce qu’on fait.” Des personnalités qui incarnent de manière positive l’écologie pour 2017 ? Il en voit deux : Cécile Duflot et Nicolas Hulot. En 2006, son appel à la candidature de l’animateur de TF1 alors que Dominique Voynet était déjà la candidate désignée lui avait valu une demande d’exclusion, et sa suspension du collège exécutif. En 2011, il l’avait à nouveau soutenu avant la désignation d’Eva Joly. David Cormand garde un souvenir amer de cette période qui s’est soldée par un score de 2,31 % à la présidentielle de 2012 : “On a transformé l’or en plomb. On avait deux bons candidats au départ, et non seulement on les a neutralisés, mais on les a abîmés durablement. C’est une faute lourde, il faut arrêter d’abîmer celles et ceux qui nous incarnent.” Les luttes picrocholines qui minent le parti auront-elles raison de lui au congrès de juin ? “Certaines personnes veulent faire table rase du passé, et il fait partie de la charrette”, craint Gilles Euzenat. “Cécile Duflot voudrait être candidate à la présidentielle, elle le soutiendra pour avoir le parti derrière elle”, avance Françoise Diehlmann. L’intéressé a quatre mois pour faire ses preuves, et rassembler une famille politique en miettes – sa promotion a encore provoqué le départ de Gilles Lemaire, secrétaire national des Verts de 2003 à 2005. Comme à chaque fois que des écologistes participent au gouvernement, le parti est minablement tiraillé. David Cormand devra maintenir ce qu’il lui reste de cohésion, pour que le tournesol ne fane pas, même s’il est déjà très mal en point. Mathieu Dejean photo David Balicki pour Les Inrockuptibles 20 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 18 Cormand.indd 20 22/02/16 16:00 GAB Pub.indd 1 19/02/16 10:59 Harper Lee et l’actrice Mary Badham sur le tournage de Du silence et des ombres (1962), l’adaptation de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur 22 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 22 Harper Lee.indd 22 22/02/16 15:34 Harper Lee, disparue pour de bon Recluse depuis plus de cinquante ans, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur vient de mourir à 89 ans. Proche de Truman Capote, elle était l’un des derniers grands mythes de la littérature US. Universal Pictures Company/New York World-Telegram and The Sun Newspaper Photograph Collection/Library of Congress H arper Lee est morte le 19 février, à 89 ans, en emportant ses secrets dans la tombe. Pourquoi n’a-t-elle plus jamais publié de livre après le succès de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (1960, prix Pulitzer 1961) ? A-t-elle vraiment donné son accord pour la parution, en 2015, du manuscrit de Va et poste une sentinelle, le roman qu’elle avait écrit avant L’Oiseau…, et qu’elle n’avait jusqu’alors jamais voulu publier ? Pourquoi refusait-elle les interviews et les apparitions publiques, préférant vivre discrètement en Alabama, dans la ville de son enfance, Monroeville (alias Maycomb dans L’Oiseau…), auprès de sa sœur, Alice, avocate comme leur père Amasa Lee (alias Atticus Finch) ? Au rayon “écrivains reclus”, entre Salinger et Cormac McCarthy, Harper Lee est peut-être la plus énigmatique. Après la parution de son premier roman, elle ne publia qu’une poignée d’articles dans Vogue. Le reste du temps, elle jouait au golf, se baladait tranquille dans Monroeville, déjeunait régulièrement dans l’arrière-salle (pour éviter que les touristes la reconnaissent) d’un petit restaurant du coin, sous la protection bienveillante des habitants. Sa sociabilité se réduisit à son amitié avec Gregory Peck sur le tournage du film adapté de son livre par Robert Mulligan en 1962 (Du silence et des ombres, qui récolta trois oscars ainsi qu’un prix au Festival de Cannes), et à son voyage à Washington en 2007 pour recevoir la médaille présidentielle de la Liberté des mains de George W. Bush. avant L’Oiseau…, il y eut Va et poste une sentinelle En 2014, à la mort (à 103 ans) de sa sœur Alice, qui avait toujours veillé sur les droits de Harper Lee, sa nouvelle avocate, Tonja Carter, découvre un manuscrit inédit dans son coffre, et ses agents décident de le publier en juillet 2015. De quoi déclencher une polémique : confiée aux soins d’un hospice, sourde et presque aveugle après une attaque cérébrale, Harper Lee avait-elle toutes ses facultés pour accepter la parution de Va et poste une sentinelle ? Il s’agit de son tout premier roman, écrit en 1957. Scout y a 25 ans, vit et travaille à New York, et retourne auprès de son père, Atticus, le temps des vacances. Elle découvre alors une réalité insupportable : son père, qu’elle croyait pour l’égalité entre Blancs et Noirs, participe à des réunions anti-Noirs et, lors d’une longue explication avec sa fille, lui affirmera qu’ils ne peuvent prétendre aux mêmes droits car ils ne sont pas éduqués. Son éditrice de l’époque lui demande alors d’en écrire une nouvelle version, ne se basant que sur les flash-backs de l’enfance de Scout. Deux ans et demi plus tard, Harper Lee livre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur : la vie de la petite Scout et de son frère dans les années 1930, élevés par leur père avocat, qui défendra fermement un Noir accusé du viol d’une Blanche, contre toute la bonne société de Maycomb, quitte à se la mettre à dos. Enseignant à ses enfants le goût de la justice, de la bonté, de l’honnêteté et de l’humanité, Atticus Finch deviendra pour des millions d’Américains un symbole, et le roman de Lee, publié au moment de la reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains, un emblème de l’antiracisme, et un phénomène éditorial. Peut-être parce que le personnage du père permettait aux Américains de racheter leur mauvaise conscience et celle de tout un pays. C’est la seule explication possible au rejet, de la part de la critique américaine 24.02.2016 les inrockuptibles 23 08 1056 22 Harper Lee.indd 23 22/02/16 15:34 mais aussi des lecteurs, qu’a rencontré Va et poste une sentinelle en juillet dernier, soit cinquante-cinq ans après les bons sentiments de L’Oiseau moqueur. La réalité des pensées et des actes des Blancs vis-à-vis des Noirs, même dans les années 1950, était beaucoup plus complexe, et encore impardonnable : c’est leur hypocrisie que mettait en scène le très maîtrisé et certes dérangeant premier roman de Harper Lee. Est-ce pour cette raison qu’elle n’avait jamais souhaité, jusque-là, le publier ? Peut-être est-ce parce qu’elle savait que L’Oiseau moqueur, roman magique, émouvant, gentil, ne disait pas toute la vérité, qu’elle refusa les interviews, s’autocensurant par crainte de trop en dire et de trahir son propre texte. Si Harper Lee emporte toutes ses réponses dans sa tombe, il se pourrait que sa mort permette de découvrir quelques-uns de ses trésors cachés dans le grenier de son ancienne maison, comme sa correspondance avec son ami Truman Capote, jamais découverte, et les histoires qu’ils écrivaient ensemble pendant leur enfance, sur la machine à écrire que leur avait offerte Asam Lee ; ou encore un manuscrit inachevé, Le Révérend, un texte de narrative nonfiction, enquête sur une série de meurtres à la manière du De sang-froid de Capote. l’amitié avec Truman Capote L’amitié entre Harper Lee et Truman Capote est l’une des amitiés entre écrivains les plus fascinantes, davantage que celles entre Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway ou Mary Shelley et Lord Byron. Née le 28 avril 1926, Lee se lia dès sa petite enfance avec Truman Capote, de deux ans son aîné, qui était son voisin et camarade de classe à Monroeville. Déjà excentrique, vêtu différemment, Capote se fait souvent agresser par les autres enfants, et c’est une Harper Lee très garçon manqué qui le prend sous son aile et le protège. Quand la mère de Capote décide de s’installer à New York, les deux amis ne se revoient que l’été, quand Truman vient passer deux mois de vacances chez ses tantes. Plus tard, c’est lui qui poussera la jeune femme à se lancer dans l’écriture. Peu avant la sortie de L’Oiseau moqueur, il est fier d’annoncer à ses amis qu’il figure dans le roman sous les traits du petit Dill, un “Merlin de poche”. En 1959, Capote entraîne Harper dans le sillage de son nouveau texte, qui va inaugurer un nouveau genre littéraire, la narrative nonfiction. La jeune femme l’accompagne au Kansas pour enquêter sur le meurtre sauvage de la famille Clutter. C’est grâce à sa présence pendant les interviews que les habitants de la ville acceptent de se confier à Capote, dont l’allure pour le moins extravagante les avait d’abord rebutés. A la sortie de De sang-froid en 1965, Harper Lee est blessée de ne pas se voir remerciée en bonne et due forme. Ils resteront pourtant liés jusqu’à la mort de Truman en 1984. Et ni l’un ni l’autre ne publieront d’autres Harper Lee avait-elle toutes ses facultés pour accepter la parution de Va et poste une sentinelle ? livres : pendant que Capote se perd dans les mondanités après avoir donné son grand bal masqué en noir et blanc au Plaza en 1966, se consacrant au journalisme, aux parties, à la drogue et à l’alcool, Harper se retire à Monroeville – l’autodilution de Truman dans la jet-set avait-elle effrayé l’auteur de L’Oiseau… au point de lui faire choisir une forme de disparition ? Alors que Capote prétend travailler à un grand roman proustien (il n’en écrivit que trois chapitres, publiés dans la presse, et on ne retrouva rien de plus après sa mort), Harper Lee se met à la rédaction de son propre De sang-froid. où est Le Révérend ? Au début des années 1970, un jeune avocat, Tom Radney, reçoit l’appel d’un certain révérend Willie Maxwell. Sa femme a été retrouvée morte dans sa voiture, son frère, mort lui aussi le long d’une autoroute, puis sa seconde femme retrouvée également dans sa voiture ; quatre ans plus tard, c’est au tour de son neveu et enfin, en 1977, celui de la belle-fille de Maxwell. De quoi le rendre suspect, d’autant que les habitants de Tallapoosa County, Alabama, le soupçonnent de se consacrer au vaudou. Maxwell finira flingué par un de ses parents avant son procès, mais Radney a déjà convaincu Harper Lee de s’emparer de l’affaire pour en faire un livre. Elle passe de longues années à enquêter, écrit à un ami qu’elle est sûre que Maxwell est coupable mais qu’elle manque de preuves factuelles. Et abandonne le livre. Aujourd’hui, le seul mystère qui demeure de cette vieille affaire est : où est passé Le Révérend ? Nelly Kaprièlian Va et poste une sentinelle a été publié en octobre 2015 chez Grasset, en même temps qu’une réédition de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur 24 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 22 Harper Lee.indd 24 22/02/16 15:34 GAB Pub.indd 1 19/02/16 10:58 coup de poker à Las Vegas Publiée initialement avec le hashtag “#ImWithHer” par Britney Spears, cette photo affichait clairement le soutien de l’ancienne idole des jeunes à la candidate à la primaire démocrate Hillary Clinton. Avant d’être supprimée et repostée sans ledit hashtag. 1 Xanax Toutes nos excuses aux personnes sujettes aux crises d’angoisse : nous avons choisi de relayer une image qui dédramatiserait presque l’existence des sarouels et autres bolas. Il ne s’agit pas d’une carte postale chopée à la boutique du musée Grévin, mais de la rencontre improbable, le 18 février, entre la candidate à la primaire démocrate Hillary Clinton et l’ancienne idole des jeunes Britney Spears. La scène se déroulait à Las Vegas, où Spears joue Piece of Me, spectacle best-of de ses plus gros tubes, et où Clinton était de passage en prévision du caucus du Nevada. Deux femmes, deux mondes, mais un même sourire crispé qui donne envie de voir l’envers du décor. Soit, avec un peu de chance, Bill Clinton en jogging lâchant un si chic “chiiiiiiiizzzzzz !!!!!” 1 Instagram @britneyspears 3 3 2 2 naphtaline Tomber sur la photo de deux stars que l’on imaginait aux antipodes procure la même sensation que de croiser une célébrité dans le métro (ou, pire, au KFC) : la réalité a soudain un goût d’irréel. D’autant plus quand le cliché ressemble davantage à ceux que votre cousine a ramené de son p’tit trip à Vegas – et placardé sur son frigo à l’aide d’un magnet Elvis – qu’à une rencontre maxi VIP entre deux puissances, l’une de la pop, l’autre de la politique. L’incrédulité est alimentée par l’esthétique ici déployée : du col roulé blanc en stretch de Britney au papier peint de cette suite d’hôtel, tout ressuscite la fin des années 1990- début des années 2000, période où encadrer son visage juvénile de deux mèches gelées était un truc cool. droit de retrait Mais l’image est froissée. Alors qu’elle l’avait publiée sur Instagram avec le hashtag #ImWithHer, histoire d’afficher son soutien à celle qui est “une telle inspiration et une si belle voix pour les femmes dans le monde”, Britney Spears l’a supprimée avant de la reposter sans ledit hashtag. Aurait-elle eu peur de mettre un pied en terre inconnue ? Ou préférerait-elle finalement se joindre aux groupes indé (Vampire Weekend, Killer Mike, Thurston Moore…) qui soutiennent le concurrent de Clinton, le démocrate Bernie Sanders ? Aux EtatsUnis, la frontière entre politique et spectacle est ténue (rappelons-nous des Obama-Jay Z et Beyoncé) et les artistes n’hésitent pas à s’engager publiquement pour un candidat. Avec ou sans Britney, Clinton a remporté le Nevada. Carole Boinet 26 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 26 loupe.indd 26 22/02/16 15:37 GAB Pub.indd 1 18/02/16 10:17 Zootopie retour de hype “tu préférerais faire la fête avec Hidalgo ou Taubira ?” retour de bâton hype buzz pré-buzz Vanessa Beecroft les autocollants Facebook Rejjie Snow prendre des vacances “on dirait un transcript des Ch’tis à Mykonos ta conversation” “j’me sens vachement mieux depuis que je sais que Paul McCartney aussi se fait refuser l’entrée d’after” La Route du Rock hiver à Saint-Malo et Rennes la série de Scorsese Vinyl le hoquet Serge Aurier King Gizzard & The Lizard Wizard Rejjie Snow Le jeune rappeur irlandais cool sera en concert à la Bellevilloise le 9 avril et son premier album sortira dans l’année. King Gizzard & The Lizard Wizard Le 3 mars à la Flèche d’Or. “J’me sens…” L’ex-Beatles a été refoulé d’une after des Grammies et s’est exclamé “A quel degré de VIP doit-on tremper du pain dans de l’huile d’olive “y paraît que la bière c’est bon pour les cheveux” être ?!” Vanessa Beecroft scénographe du défilé de Kanye West. La Route du Rock hiver Du 24 au 28 février avec Flavien Berger, Blanck Mass, Bon Voyage Organisation, Here We Go Magic… Les autocollants Facebook Surtout les gros chats. Tremper du pain dans l’huile d’olive Un plaisir simple. C. B. tweetstat Après son duo avec Booba, la chanteuse s’essaie tant bien que mal à la punchline. Suivre Christine&theQueens @QueensChristine Pour qui me cherche, je suis à Châtelet sur ma calculatrice, à convertir mon seum en egotrips 14:10 - 16 févr. 2016 Répondre Retweeter Favori 87 % Jean Rochefort Qui lui aussi parle le djeuns 11 % Kanye West Qui lui aussi a un petit problème de mégalomanie 2“Mais %t’esVianney où ?” “Mais t’es où ?” 28 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 28 courbe.indd 28 18/02/16 17:39 GAB Pub.indd 1 17/02/16 16:02 Tommy Genesis Cette rappeuse de Vancouver captive par son charisme et une incroyable liberté stylistique. V oir un clip de Tommy Genesis suscite une fascination immédiate. Impressionnante d’aisance et d’autorité sur la vidéo du morceau Execute, la Canadienne a profité de l’année 2015 pour entrer dans le cœur des amateurs de rap alternatif. Signée sur l’excellent label d’Atlanta Awful Records, Tommy se revendique comme un pur produit de la génération internet. Influencée par des époques et des affects aussi contradictoires que le rap des années 1990, les punitions SM, John Coltrane ou les Pussy Riot, elle a publié son premier album (World Vision) l’été dernier. Un disque passionnant de diversité et de maîtrise dans les différents registres déployés tout au long de l’écoute. Capable d’évoquer la scansion radicale de M.I.A. ou le minimalisme éclairé d’Earl Sweatshirt, Tommy Genesis a déjà prévu de donner une suite à ses métamorphoses soniques. Son second album est annoncé pour le premier semestre 2016. Azzedine Fall Katrin Braga album World Vision 2, sortie courant 2016 retrouvez son portrait sur 30 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 30 NT.indd 30 18/02/16 17:39 GAB Pub.indd 1 16/02/16 10:09 juste un doigt A l’aide d’un algorithme censé déterminer le caractère des usagers de Facebook, une machine prépare des cocktails personnalisés. P remière loi de Coughlin : quand on s’ennuie, n’importe quoi paraît mieux”, enseigne le barman Doug Coughlin à son apprenti, le jeune Flanagan (Tom Cruise), dans le film Cocktail. C’est sans doute dans un état d’inactivité avancé qu’une équipe de designers allemands a décidé d’utiliser un algorithme, développé par des scientifiques de l’université de Cambridge, capable de dresser un portrait psychologique des utilisateurs de Facebook pour fabriquer des cocktails. L’algorithme en question utilise le modèle des Big Five, les cinq grands traits de la personnalité – selon les psychologues et Wikipédia – que sont l’ouverture (appréciation de l’art), la conscienciosité (le fait d’être consciencieux, donc), l’extraversion, l’agréabilité (en somme, être sympa) et le névrosisme (tendance à la colère, à l’inquiétude…). Chacun de nous recèle un peu de ces cinq traits qui, combinés, définissent un tempérament, un caractère. En fonction des likes et des commentaires glanés sur les réseaux sociaux, les chercheurs britanniques peuvent déterminer le taux d’ouverture, de conscienciosité, etc., des utilisateurs. Pour appliquer ce principe à la mixologie, lesdits designers allemands ont associé chacun de ces traits à différents breuvages censés représenter au mieux chacune de ces caractéristiques : curaçao pour l’ouverture, vodka pour la conscienciosité, un peu de jus de citron pour l’extraversion, liqueur de basilic pour l’agréabilité et grenadine pour le névrosisme. Sur leur machine, le Social Shot, cinq perfusions contenant les cinq liquides pendent sur une barre métallique au-dessus d’un tube à essais. On trinque ? Poke ! Voilà un cocktail unique et original conçu pour vous seulement ! Mais comment le Social Shot peut-il reconnaître les pince-sans-rire ? Les faux calmes ? Les lunatiques ? Dans L’Ecume des jours, Boris Vian avait créé le Pianocktail qui, déjà, utilisait un clavier pour produire une boisson. En fonction des notes jouées sur le piano, un système de tuyauterie sophistiqué distribuait un œuf battu, de l’eau de Seltz, des liqueurs et alcools divers. Cette idée vaut bien l’autre. Les designers ont voulu, par leur invention, moquer l’hyperpersonnalisation de tout. Mais il ne faut pas donner des idées pareilles aux bureaux de marketing. Nul doute qu’ils seront pris aux sérieux. Alors, fini la Suze et la pression. On posera sa main sur un capteur intégré au bar qui saura tout seul si l’on est venu pour fêter ou oublier. Les bouteilles virevolteront d’ellesmêmes sur des bras articulés pour épater la galerie et le cocktail coulera tout seul dans un verre glissant sur le zinc. Mais plus de barman pour s’épancher, plus d’oreilles attentives, plus de brèves de comptoir, seulement des amis Facebook. Remets-en un, tiens. Nicolas Carreau illustration Vincent Boudgourd pour Les Inrockuptibles pour aller plus loin Présentation du Social Shot tinyurl.com/hc47zxr 32 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 32 futurama.indd 32 18/02/16 17:55 GAB Pub.indd 1 16/02/16 16:28 style où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri dans la céramique L’enseigne italienne Mutina change notre façon d’appréhender la céramique et réalise, en alliant technologie et expérimentation, de nombreux objets destinés à l’architecture intérieure. Conçue en collaboration avec les frères Bouroullec, la collection Rombini propose ainsi des revêtements muraux 3D qui explorent la notion de vibration et s’appuient sur les couleurs phare des deux designers : gris, bleu, vert, rouge et blanc. mutina.it chez Na DI Après un passage à la Central Saint Martins, la fameuse école d’art, de mode et de design londonienne, la jeune designeuse Na Di a lancé son propre studio en 2013. Streetwear et modernes, ses collections allient un grand souci des matières et du tailoring à l’anglaise à un goût des broderies et des imprimés flamboyants. nadistudio.com 34 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 34 cool.indd 34 18/02/16 15:15 sur le campus de San Joaquin, au Chili Nina Vidic Le très sexy Alejandro Aravena, lauréat cette année du prix Pritzker d’architecture, a signé de nombreux bâtiments au Chili, souvent dédiés à l’enseignement. Il a ainsi réalisé la fac de médecine, celle d’architecture, et le Centre de recherche et d’innovation Anacleto Angelini sur le campus de San Joaquin, où deux notions (nécessaires à l’innovation justement) opèrent visiblement : l’ouverture et la protection. dans cette pochette en damier Pour sa nouvelle série de pochettes A5, Vitra se plonge dans ses archives et ressort des pièces créées il y a une cinquantaine d’années. Pourquoi ne pas craquer pour cette élégante pochette en damier signée Alexander Girard, un des grands noms du design textile américain ? vitra.com plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com 24.02.2016 les inrockuptibles 35 08 1056 34 cool.indd 35 18/02/16 15:15 vous n’y échapperez pas le bijou bondage a jeune fille ci-contre est toute de chaînes et de denim vêtue. La quincaillerie qui l’enserre a laissé des traces sur sa peau, comme un corset ou des nœuds shibari trop serrés puis relâchés après une tension mystérieuse. Mais notre belle n’a pas mal, jamais, elle est rugueuse à l’intérieur. Elle habite l’imaginaire de la dernière collection Ambush, une marque de bijoux créée en 2008 par le rappeur Verbal et sa it-woman de femme Yoon. Saison après saison, ce “power couple” – selon CNN – explore différentes facettes des cultures urbaines et cultive ses références – d’Afrika Bambaataa au nu-rave en passant par un surréalisme très pop. En découlent des pièces unisexes, imposantes, qui marquent leur territoire plus qu’elles ne fleurissent le corps, ce qui leur a valu à Ambush de collaborer avec Louis Vuitton, Maison Kitsuné, Sacai, Undercover… Pour l’automne-hiver 2016, la marque propose des pièces marquées par une esthétique industrielle. Intitulée Halbstarke (“petite frappe” en allemand), la collection cite les sous-cultures rebelles et revient à l’émergence d’une adolescence marginale des 50’s. Champion de la culture “mash-up”, Ambush glisse des références à certains bijoux des années 20 (notamment ceux de Raymond Templier et sa réappropriation art déco de matériaux d’usine) mais aussi au punk et au bondage, et à leur rapport violent et ornemental au corps. On trouve également des pièces réalisées dans des clous XXL, tordus et assemblés pour composer un coup-de-poing américain, ou des ceintures-chaînes et des cadenas érigés en pendentifs. Amy Gwatkin L La marque Ambush raconte un nouveau rapport au corps et à l’ornement. Si les punks ont émergé en opposition aux hippies idéalistes et rêveurs, c’est sûrement dans une démarche anti-hipster – vaguement bohème, toujours bourgeois – que s’inscrit Ambush. A l’heure où les usines ferment en masse et où les ateliers de métallurgie disparaissent à travers l’Europe, leurs pièces évoquent un monde du travail en train de se volatiliser. Ces signifiants dont la fonction première est devenue obsolète viennent ausculter le corps postmoderne, oisif par la force des choses – et en quête de nouvelles appropriations. Alice Pfeiffer ça va, ça vient : Pharrell Williams businessman 2005 Cette année-là, Pharrell Williams est déjà une créature multifonctions : il est rappeur, producteur, skateur, et lance la marque de prêt-à-porter street Billionaire Boys Club avec son pote le designer japonais Nigo. Sa force ? Avoir déjà compris que le hip-hop et les milieux dits urbains étaient un art de vivre au pouvoir mainstream. 2012 Le touche-à-tout a un doigt dans l’art, un deuxième dans la mode et un troisième dans l’environnement. Quoi de mieux que la création d’une plate-forme web pour justifier cette hyperactivité et la présenter sous couvert d’une philosophie inclusive voire philanthropique ? C’est le but de I Am Other (je suis autre). Et ça marche. 2016 Pour Adidas, Pharrell avait déjà créé une chaussure en plastique recyclé issu de déchets repêchés dans l’océan. Il est devenu cette année copropriétaire de la marque de jeans G-Star, l’associant à la société Bionic Yarn pour une collection de denims fabriqués à partir du même matériau. D’une pierre tant de coups… A. P. 36 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 36 vous.indd 36 18/02/16 15:24 bouche à oreille passion saucisse M On n’aurait pas misé un euro sur la wurst, la chipo ou la merguez. Pourtant, grande est la saucisse. algré l’hibernation des BBQ, la saucisse brave le froid. Au Bar Demory (62, rue Quincampoix, Paris IIIe), la chipo cochon/ chèvre/tomate confite/ basilic s’impose dès l’apéro avec la bière maison. La Crêperie de Josselin (67, rue du Montparnasse, Paris XIVe), avec sa fameuse galette saucisse, n’est plus la seule institution à considérer sérieusement ce fétiche germanique. La Sausage Factory (8, rue Mouffetard, Paris Ve), qui ouvrira fin février, va combler les accros au hot-dog. A la carte de ce nouveau corner, une collection d’une demi-douzaine de spécimens pour tous les goûts, à base de bœuf, porc ou volaille, avec des recettes orientales, japonaises ou françaises, toutes à fourrer dans un pain maison. Chacun s’exprime sur le sujet. A Viande&Chef (38, rue de Lancry, Paris Xe), Benjamin Darnaud, un chef qui a monté sa boucherie, prépare tous les jours des kilomètres de saucisse “un peu funky qui sortent de l’ordinaire”, comme celles à base de gras de cochon noir de Bigorre mariné au bourbon. Dans sa toute première gamme charcutière, le boucher Yves-Marie Le Bourdonnec s’y est également mis. Fortement identitaire, ce produit régional connaît différentes variantes. Marseille, élue Merguez Capitale en 2013 par le Off des festivités organisées dans le cadre de Marseille Capitale européenne de la culture, aime cultiver sa spécialité locale : la “sôcisse marseillaise qui donne envie de déguster, sans jamais se lasser”. Le fast-food toulousain Chez Rudy (27, rue Pouzonville) revendique son patrimoine dans un hot-dog à la crème de persil. Yannick Alléno (Terroir parisien, 25, place de la Bourse, Paris IIe) assume une interprétation parisienne de “veau chaud” : une tête de veau à la farce fine pressée puis roulée dans une baguette chaude à noyer dans une sauce gribiche, vendue à la sortie du métro Bourse, et qui cale les traders à moins de 10 euros. Microscopique enseigne historique du secteur, La Mosaïque – Pat’s Hot Dog (56, rue du Roi-de-Sicile, Paris IVe) défend son bout de gras depuis dix ans. Amusé par le buzz de la saucisse qu’il a été un des premiers à alimenter, Patrick Martin continue à vendre, de midi à minuit, tous les jours de l’année, des petits pains-saucisses. Dans son 7 m2 qui a pour seule déco des bocaux de moutarde Yellow, sa vie se résume au succès d’un petit boyau. Cécile Cau Une création de Benjamin Darnaud pour Viande&Chef 24.02.2016 les inrockuptibles 37 08 1056 37 FOOD.indd 37 18/02/16 17:28 objectif 2016 volume 2 La fleur sauvage d’Iggy Pop, le folk languide de Keren Ann, les éclats lyriques de Feu ! Chatterton, Katerine en équilibre fou, Rokia Traoré déracinée et Club Cheval bondissant… 1. Iggy Pop Gardenia extrait en avant-première de l’album Post Pop Depression (Rekords Rekords/ Loma Vista/Caroline International) Pour son nouvel album, l’Iguane convie Josh Homme à la production et sur plusieurs instruments, Matt Helders (Arctic Monkeys) à la batterie et Dean Fertita (QOTSA) aux guitares. Avis de tempête. 2. Get Well Soon It’s a Catalogue (radio edit) extrait de l’album Love (Caroline/Universal) Le nouvel album des Allemands romantiques prend l’amour comme sujet d’étude. Un programme qui culmine avec ce catalogue passionnel, lequel survivra sûrement à la Saint-Valentin. 3. Keren Ann Where Did You Go ? extrait en avant-première de l’album You’re Gonna Get Love (Polydor/Universal) La plus internationale des chanteuses frenchies poursuit son approche des grandes écritures pop et folk sur un septième album à la beauté languide. 4. Sage One Last Star extrait en avant-première de l’album Sage (Labelgum) Epaulé par la production experte de Benjamin Lebeau (The Shoes), l’ex-Revolver Ambroise Willaume déploie son songwriting délicat sur des morceaux electro-pop élégants. 5. Feu ! Chatterton Fou à lier extrait de l’album Ici le jour (a tout enseveli) (Barclay/Universal) Elégance, lyrisme, fougue et légèreté : il y a tout ça dans les morceaux de Feu ! Chatterton, dont les éclats sur scène ne se démentent plus. Leur album, sorti en septembre, est une révélation. 6. Maissiat Avril extrait en avant première de l’album Grand amour (Cinq7/Wagram) Où il est encore question d’amour avec ce deuxième album d’une Française que l’on aime d’ailleurs beaucoup. Ce premier extrait prouve que Françoise Hardy a aussi eu une fille. 7. Grand Blanc L’Amour fou (radio edit) extrait de l’album Mémoires vives (Entreprise/A+LSO/Sony) L’Amour fou : c’est à peu près ce qu’on ressent pour Grand Blanc à l’écoute de son premier album, véritable manifeste d’une pop urbaine et moderne à souhait. Parmi les groupes français les plus prometteurs. 8. Marlon Williams Strange Things extrait de l’album Marlon Williams (Dead Oceans/Pias) Plus loin que le far west, il y a la NouvelleZélande, d’où Marlon Williams chante une forme de country folk des plus ensorcelante. 9. Club Cheval From the Basement to the Roof (radio edit) extrait en avant-première de l’album Discipline (Bromance/Parlophone) Etendards du label Bromance, Canblaster, Panteros666 & Co. devraient toucher les étoiles et brûler les dance-floors. 10. M. Ward Girl from Conejo Valley extrait en avant-première de l’album More Rain (Bella Union/Pias Coop) Figure incontournable du folk américain, M. Ward est de retour avec un huitième album solo lumineux et apaisé. 11. Marvin Jouno L’Avalanche extrait en avant-première de l’album Intérieur nuit (Un Plan Simple/Sony) Invité surprise de la chanson française, Marvin Jouno publie un premier album bluffant de maîtrise et d’inventivité, truffé de classiques. 12. Rokia Traoré Né So extrait de l’album Né So (Nonesuch/Warner) Dixième album pour la Malienne Rokia Traoré, Né So est aussi une chanson, voire la chanson la plus digne écrite sur le thème des déracinés et des réfugiés. Album sobre, zen et grave. 13. The Magnetic North Signs (edit) extrait en avant-première de l’album Prospect of Skelmersdale (Fulltime Hobby/PIAS) Quatre ans après son symphonique et hanté premier album, The Magnetic North revient avec d’autres grandes chansons, contant l’histoire, cabossée et bizarre, d’une ville anglaise. 14. Katerine Moment parfait extrait en avant-première de l’album Le Film (Cinq7/Wagram) Un piano, une voix, un album minimal, des angoisses existentielles, un périple à travers la France et un Katerine magnifique, en équilibre fou entre le poignant et la fantaisie. 15. GoGo Penguin All Res extrait de l’album Man Made Object (Blue Note/Universal) Un trio jazz de Manchester, dont le premier album sur le légendaire label Blue Note joue avec l’espace-temps, lors d’instrumentaux tendus, lumineux et panoramiques. 38 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 38 Notules CD.indd 38 18/02/16 16:11 GAB Pub.indd 1 17/02/16 16:03 Pour continuer à vous transmettre nos passions et coups de gueule, nous proposons une offre 100 % numérique et multisupport où retrouver l’intégralité du magazine et des contenus exclusifs. Les inRocKs premium sont une déclinaison digitale de ce qui a forgé notre identité : un accès privilégié aux artistes, des articles et des entretiens au long cours, un point de vue acéré sur l’actualité. En plus de cette offre, chaque jour, des invitations et des cadeaux sont disponibles sur le club abonnés. Rendez-vous sur lesinrocks.com Renaud Monfourny cette semaine sur cl Lub abonnés théâtre What If They Went to Moscow ? du 1er au 12 mars au Théâtre national de La Colline, Paris XXe Autour des héroïnes de Tchekhov, cloîtrées dans leur espace domestique, résonnent des vies habitées par le même désir de tout quitter. Un spectacle de Christiane Jatahy. à gagner : 10 × 2 places pour les représentations des 2 et 3 mars festival Voix de fête du 16 au 20 mars à Genève (Suisse) Une programmation résolument Inrocks pour le festival suisse, qui fête cette année ses 18 ans, avec plus d’une quarantaine de concerts... à gagner : 2 × 2 places pour les concerts d’Arthur H, Grand Blanc et Rokia Traoré danse Vader du 15 au 17 mars à la Maison de la Danse, Lyon (69) Des interprètes aux très forts tempéraments dans un huis clos sophistiqué, et un théâtre décalé : autant de régals scéniques qui caractérisent le travail du collectif Peeping Tom. à gagner : 4 × 2 places pour la représentation du 15 mars 40 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 premium.indd 40 18/02/16 17:21 chaque jour, un contenu exclusif pour nos abonnés les Inrocks ont 30 ans A l’occasion de la sortie du numéro spécial anniversaire des 30 ans des Inrockuptibles (toujours en kiosque), nous publions une série de grands entretiens qui ont marqué l’histoire du magazine. Orange nue (1991), courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel/ADAGP Comptes à rebours de Roger Pigaut/Filmel Björk en 2001 (ci-contre) Elle avait coupé les micros après le tourbillon Dancer in the Dark. Björk retrouvait la voix grâce au grandiose Vespertine. Jean-Luc Moulène en 2002 Figure de l’art contemporain, il revenait sur vingt ans d’une production politique et poétique. Julie et Gérard Depardieu en 2010 Nous les avions rencontrés chez lui, avec Gérard en cuisine, pour leur premier entretien ensemble. Emmanuel Carrère en 2011 L’auteur s’emparait de la vie d’Edouard Limonov et passait au crible la Russie contemporaine. Caïmans Productions Jeanne Moreau en 2009 Au Festival d’Avignon, elle retraçait pour nous sa carrière théâtrale et cinématographique. danse Mass b du 9 au 18 mars au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe Spécialiste de la danse baroque, Béatrice Massin est une musicienne de l’espace. C’est sur des extraits de la Messe en si mineur de Bach qu’elle a choisi de créer son nouveau spectacle, Mass b. à gagner : 15 × 2 places pour la représentation du 10 mars théâtre Les Gens d’Oz du 3 mars au 2 avril au Théâtre national de La Colline, Paris XXe Ils vivent dans un immeuble. Au centre du réseau, Anna, écrivaine célèbre qui a cessé d’écrire. Autour d’elle, un pianiste, un rentier oisif, une jeune femme qui rêve de rencontrer la star de la littérature et un amoureux… à gagner : 10 × 2 places pour les représentations des 5 et 6 mars concert We Are Match en tournée jusqu’au 12 mai La découverte inRocKs lab 2013 sortait l’année dernière son premier album et compte bien en découdre sur les scènes de France. Incontournable. à gagner : 2 × 2 places pour les concerts de Bordeaux le 3 mars, Tours le 17 mars et Paris le 31 mars 24.02.2016 les inrockuptibles 41 08 1056 premium.indd 41 18/02/16 17:21 Sui generis - 131 portraits par Renaud Monfourny - 30 € A l’occasion de son exposition à la Maison européenne de la photographie, Renaud Monfourny livre des portraits noir & blanc des personnalités qui l’ont marqué, agrémentant ses clichés d’anecdotes de prise de vue ou de citations de ces rencontres. On y croise, entre autres : Patti Smith, Lou Reed, Claude Chabrol, Francis Ford Coppola, Brian Eno… Frais de port offerts jusqu'au 6 mars. rendez-vous sur boutique.lesinrocks.com abonné premium ? -10 % -20 % Vous bénéficiez d’avantages sur la boutique Entre 10 % et 20 % de réduction sur toute la boutique, toute l’année* Chaque mois, des produits en avant-première, ou en édition limitée, réservés aux abonnés inRocKs premium *réduction en fonction de l’ancienneté de votre abonnement, hors livres et produits déjà soumis à réduction 1056_pages_premium_ABO_STORE.indd 2 18/02/16 10:53 abonnez-vous et recevez en cadeau le grand jeu inRocKuptibles formule papier + digital - le magazine tous les mercredis - le site premium en illimité - le magazine sur tous les supports - un CD par mois 9,60 €/mois ou je paie 115 € en une seule fois - les cadeaux du club abonnés chaque semaine - des réductions et exclus sur les inrocks store 30 ans de pop culture sur un plateau et en 600 questions Enfin un jeu où vous n’aurez pas à répondre à une question sur le PIB de l’URSS… De la mort de Kurt Cobain aux révélations de WikiLeaks en passant par Sofia Coppola et la série Friends, plus vous aurez réponse à tout, plus vous avancerez vite ! abonnez-vous sur abonnement.lesinrocks.com 1056_pages_premium_ABO_STORE.indd 3 18/02/16 10:54 attention, décollage immédiat ! Nés sur la scène, les cinq jeunes Parisiens de Feu ! Chatterton défendent dans toutes les salles de France leur premier album, Ici le jour (a tout enseveli). Dandys, littéraires, pétris d’influences musicales allant de Dylan à Booba, ils tracent avec méthode et passion leur route singulière. par Maxime de Abreu photo Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 44 18/02/16 16:47 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 45 18/02/16 16:48 N ous sommes… Feu !… Chatterton !…” Arthur, le chanteur du groupe, a du mal à entamer le deuxième morceau du concert. “Vous êtes vraiment très intenses, ce soir !”, lancet-il à une assemblée effectivement surexcitée. Nous sommes le 17 février au Trianon, à Paris, et les fans crient tant et si bien que le groupe doit patienter, en riant de joie, avant de pouvoir reprendre son set. Les cinq garçons viennent de jouer Ophélie. Quand le public se calme, ils enchaînent avec Fou à lier, puis Côte Concorde. Ils joueront bientôt La Mort dans la pinède, Boeing et bien sûr La Malinche, qu’ils étirent dans une version technoïde et musclée de presque dix minutes. En quelques mois à peine, la clique parisienne a su imposer ses petits tubes en concert. Tout au long de celui-ci (deux rappels compris), Arthur alterne les moments de transe et ceux de poésie pure, tandis que ses camarades se lâchent progressivement autour de lui. Ils sont comme possédés par une fièvre qui les dépasse une fois la musique en marche – plus vraiment les mecs tranquilles et blagueurs qu’on croisait, une bière à la main, quelques minutes avant de les voir monter sur scène… Devant leur public, ils ne sont plus que gestes francs et tendus, mots lancés au ciel et pas de danse à la Ian Curtis. On a rarement vu, en France, un groupe si jeune maîtrisant une telle signature scénique. Depuis Noir Désir jusqu’aux éclats récents de Fauve ≠, rares ont été les Français capables de transporter une vision universelle du rock. Mille fois traversée mais toujours sur l’avant-poste du renouveau esthétique, cette musique trouve sa raison d’être sur scène : dans la chaleur, les cris et la communion d’un public avec son groupe préféré. Démonstration est faite au Trianon. Une semaine plus tôt, Feu ! Chatterton est aussi sur scène, dans une plus petite salle. Au Théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, les cinq garçons sont dans leur élément. Leur live est rodé, efficace, et leur prestance aurait de quoi questionner le charisme de beaucoup de musiciens consacrés. En tournée quasi constante depuis des mois, à raison parfois de trois ou quatre concerts par semaine, ils ont pris l’habitude de naviguer d’une ville à l’autre, partout en France, dans les petites salles et d’autres plus grandes, à la rencontre d’un public toujours plus dense. Car Feu ! Chatterton n’est pas le genre de groupe sur lequel on tombe par hasard en festival, en se disant : “Ah, tiens, c’est pas mal.” Après s’être révélé au festival Bars en Trans 2013 puis lors du concours inRocKs lab 2014, “Feu !” a su fédérer une communauté de fans fidèles qui, passionnée depuis qu’elle a vu le groupe sur scène, ne manque jamais une occasion de le retrouver Clément Doumic guitariste et claviériste, 28 ans Malgré son regard sombre, Clément est un type calme et sensible. Il est fan d’Arcade Fire et de Radiohead (surtout pour Jonny Greenwood), mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est oublier Paris pour voyager. Les périodes de tournée sont donc pour lui l’occasion idéale de rencontrer de nouvelles têtes et de partager un sourire, qu’il finit toujours par lâcher. quand il est de passage dans le coin. “J’aimerais bien pouvoir dire qu’on vient du studio, qu’on est ce genre de groupe, nous dit Arthur. Mais la vérité, c’est qu’on vient de la scène. Les gens qui nous suivent nous ont connus comme ça.” Il poursuit sur leur quotidien, le même depuis des mois : “Tout le monde fantasme la vie de musicien, mais il faut arrêter. Prendre un camion, partir dans des salles à l’autre bout de la France, ce n’est pas du tout sexy. Le vrai luxe, c’est l’instant du concert, cet échange fugace mais puissant qu’il permet. Le reste n’est pas très excitant et demande beaucoup d’abnégation. Moi, plus tard, je veux une famille, des enfants, et je sais d’avance que ce sera compliqué.” 46 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 46 18/02/16 16:48 “le vrai luxe, c’est l’instant du concert, cet échange fugace mais puissant qu’il permet” Arthur Arthur Teboul chanteur et parolier, 28 ans Avec ses airs de personnage de film noir, à la fois poseur, fêtard et séducteur, Arthur porte l’image du groupe sur ses épaules. Consommateur insatiable de chanson et de littérature, il écrit ses premiers textes à 10 ans, puis s’essaie au rap avant de rencontrer Clément et Sébastien au lycée, à Paris. Ces derniers l’encourageront bientôt à écrire pour eux et leur musique, jusqu’à la révélation commune que sera Feu ! Chatterton. Raphaël de Pressigny batteur, 27 ans En 2014, après avoir vu la bande-annonce du film Whiplash, Raphaël annule ses vacances et s’enferme dans une maison de campagne. Jour et nuit, pendant une semaine, il joue jusqu’à l’épuisement… C’est dire l’obsession du garçon pour la perfection rythmique, qu’il développe depuis toujours à travers sa passion pour les sons traditionnels africains et la musique répétitive. C’est le pilier technique du groupe. 24.02.2016 les inrockuptibles 47 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 47 18/02/16 16:48 Avec ses potes Clément, Sébastien, Raphaël et Antoine, Arthur a publié un premier album en octobre 2015. Enregistré entre Paris et Göteborg, en Suède, avec le producteur Samy Osta (Rover, La Femme…), Ici le jour (a tout enseveli) est à l’image de son titre : poétique et audacieux, jamais à court d’idées, à mille lieues des évidences musicales actuelles. Sa veine littéraire, qu’on doit à la plume aiguisée d’Arthur, s’empare des thèmes de l’amour et de la mort d’une façon qui échappera aux jeunes gens trop modernes – la force de ces quelques chansons, c’est aussi leur intemporalité. A la fois bourré de références et libre d’inventer l’avenir, cet album trouve une nouvelle résonance aujourd’hui en se confrontant à la rigueur d’une tournée, avec ses exigences physiques et mentales, son engagement sur la durée et le besoin qu’elle induit d’aller plus loin dans l’ambition artistique. Raphaël, le batteur, constate “un rapport nouveau à la scène et au public”. L’étape du premier album franchie, il a fallu mettre la barre plus haut et ne pas se reposer sur les acquis. Il continue : “Jusqu’à présent, on était beaucoup dans la présentation du groupe. Désormais, les gens qui viennent connaissent mieux, voire très bien, les morceaux. On n’a plus autant besoin d’aller les chercher, de les convaincre, mais il faut être à la hauteur des attentes. Du coup, on est plus détendus tout en se donnant davantage.” Clément acquiesce : “On n’a jamais été aussi fatigués qu’en ce moment, mais c’est cool. Nos live sont plus complets et plus professionnels, d’une certaine manière.” Quant à Arthur, qui termine chaque concert en sueur, tire sans manière sur sa voix rocailleuse et n’est pas avare d’une gestuelle toute particulière sur scène, il a également revu son approche de la vie de musicien : “C’est une période très intense, je suis devenu très discipliné. Ne serait-ce que pour préserver ma voix, je ne peux plus trop faire la teuf… On est entrés dans une autre phase de notre parcours. Jusqu’ici c’était la course, la conquête ; mais maintenant que ça devient stable et qu’on a la chance de vivre de notre musique – même si on sait que c’est potentiellement précaire –, on ne le vit plus du tout comme ça : nous sommes musiciens, voilà notre fonction, notre métier.” Un métier qui n’est pas “le plus dur du monde”, ajoute-t-il, mais dont l’angoisse particulière tient au fait de ne pas décevoir, de se confronter encore et toujours à l’altérité du public. Retour au Trianon. Le groupe y a joué au début de sa tournée en octobre, est revenu en décembre et s’apprête à y repasser en mars, puis en avril. En 2014, c’est également sous les boiseries mythiques de la salle qu’il a remporté la finale du concours inRocKs lab, décrochant à la fois le prix du public et celui du jury. A l’époque, le groupe est déjà loin au-dessus de ses concurrents, pourtant prometteurs. Après La Femme et Fauve ≠ ces dernières années, Feu ! Chatterton se hisse d’emblée parmi les candidats sérieux au statut de groupe générationnel, faisant d’une poignée de chansons le symptôme d’un courant d’air frais dans le rock français. Depuis des années, Feu ! Chatterton préparait son éclosion, mais sans plan préconçu, porté seulement par une approche singulière de l’écriture. Fan de Bob Dylan comme de Booba, biberonné à la pop culture autant qu’à la littérature, Arthur traîne dans ses cahiers plus de quinze ans d’écriture. Pendant longtemps, dès son enfance dans le XXe arrondissement de Paris, il griffonne des mots épars, passant un instant par le rap avant de rencontrer Clément et Sébastien. Il raconte : “A l’époque, Clément et Sébastien étaient les mecs cool du lycée. Ils gambadaient dans la cour entourés de jolies filles, et moi, comme dans une série B, je les regardais de loin. Un an plus tard, comme ils savaient que j’écrivais, ils m’ont proposé de chanter mes textes pour eux, qui faisaient déjà de la musique ensemble. J’étais hyper content mais ça a été une catastrophe. Je ne comprenais rien au rythme, à la musique… Pour eux, je n’étais qu’un cancre, un rigolo.” Difficile d’imaginer la situation quand on voit Arthur sur scène aujourd’hui, flamboyant comme un leader – ce qu’il n’est pas. Groupe férocement démocratique, quitte à perdre des journées entières à débattre sur chaque détail, Feu ! Chatterton prend forme dans les années qui suivent, en parallèle des études (brillantes) de chacun. Bientôt, ils seront rejoints par Antoine et Raphaël, qui ont reçu une formation musicale plus solide. A partir de là, on connaît l’histoire. “On est devenus cool quand on a arrêté d’essayer de l’être, sourit Arthur. Quand on a vu arriver Mustang, Lescop, Aline, La Femme et Granville, on s’est dit : ‘Putain, ça y est ! On peut faire de la musique en français sans être ringard !’ Et puis après, c’est Fauve ≠ qui est arrivé. Ça a donné un autre éclairage à la nouvelle scène française.” Le message est transmis aux Victoires de la musique, qui continuent de décerner des prix à Johnny Hallyday. Le 12 février sur France 2, en direct du Zénith, les live défilent à l’écran. Quelques prestations sauvent la mise (Christine And The Queens, Hindi Zahra) mais l’ensemble reste au niveau des habitudes. Ce soir-là, un seul espoir a raison de notre mauvais esprit. Feu ! Chatterton, sélectionné dans la catégorie “révélation scène”, participe pour la première fois. Le groupe joue le jeu et fait comme s’il était normal, pour lui, de se produire en direct devant presque trois millions de personnes. Toutefois, malgré une interprétation très classe et très maîtrisée de La Malinche, c’est Hyphen Hyphen qui remportera curieusement cette chère Victoire. Pour le reste, on ne manquera pas le rendez-vous de Feu ! Chatterton avec l’avenir, que le groupe pourrait bien se mettre dans la poche en un rien de temps (il serait déjà au travail sur un deuxième album). Et si Arthur et ses potes ne sont pas dupes des aléas de la vie d’artiste, ils n’en gardent pas moins une foi profonde en ce projet enfin abouti qu’est leur aventure commune. “On se rend compte que c’est illusoire d’imaginer toujours plus de sommets à atteindre, conclut Arthur. Quand on fait de la musique, il y a toujours des fantasmes de gloire, de succès, de reconnaissance… Mais quand tu frôles du doigt ton rêve, que reste-t-il après ça ? Avec ce groupe, on a trouvé une quête suffisante pour une vie entière.” album Ici le jour (a tout enseveli) (Barclay/Universal) en tournée en France, le 7 mars et le 4 avril à Paris (Trianon) facebook.com/feu.chatterton 48 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 48 18/02/16 16:48 “on n’a jamais été aussi fatigués qu’en ce moment, mais c’est cool” Clément Sébastien Wolf guitariste et claviériste, 28 ans Diplômé de l’Ecole normale supérieure en physique (oui, oui), Sébastien a finalement délaissé les ondes gravitationnelles pour les distorsions de sa guitare. Toujours enjoué, affable, souriant, c’est le genre de mec à se faire draguer sans s’en rendre compte, ignorant que ses mèches rebelles et son perfecto, qu’il ne quitte jamais, ne laissent pas insensible. Dans les débats sans fin du groupe, il arrive à calmer le jeu. Antoine Wilson bassiste, 26 ans Discret comme tout bassiste, Antoine est le plus jeune de la bande. Il est aussi le plus rêveur, du genre à se perdre dans ses idées en fixant bizarrement le plafond. Doté d’une solide formation classique due au Conservatoire, Antoine s’est toutefois révélé, aussi, à l’écoute des Ambient Works d’Aphex Twin. Il ne transige pas sur l’exigence artistique et pourrait encourager, avec Raphaël, des directions musicales inattendues pour l’avenir du groupe. 24.02.2016 les inrockuptibles 49 08 1056 44 Feu Chatterton.indd 49 18/02/16 16:48 Près de quatre cents personnes se sont installées durant neuf mois dans des abris de fortune sur les voies de la petite ceinture, le long du boulevard Ney, dans le XVIIIe arrondissement 08 1056 50 Sorman.indd 50 18/02/16 16:35 A l’occasion de la nouvelle édition de son livre-enquête sur les logements insalubres, Joy Sorman s’est rendue pour Les Inrocks dans le campement du boulevard Ney, à Paris, évacué le 3 février. Un démantèlement intervenu avant que l’Etat ne soit épinglé par le Conseil de l’Europe, qui s’inquiète de la “politique d’expulsion de masse” mise en œuvre par les autorités françaises. photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles dans les bidonvilles de Paris 08 1056 50 Sorman.indd 51 18/02/16 16:35 D ans La Clôture, récit paru en 2002, Jean Rolin arpente méticuleusement le boulevard Ney, qui relie la porte de Saint-Ouen et la porte d’Aubervilliers, dans le nord de Paris. A la hauteur de la porte des Poissonniers, il note le “caractère assez sombre et essentiellement transitoire” du boulevard, “impropre aux longs séjours comme aux activités régulières et déclarées”. Il relève la grille installée le long de la petite ceinture – tronçon désaffecté du réseau SNCF – “afin de prévenir la divagation des toxicomanes sur les voies”, raconte que des travestis ont tenté en vain de s’établir sous le pont du chemin de fer, repère un car de Médecins du monde qui distribue sans doute des seringues stériles. des cabanes de tôles et de carton Le dimanche 31 janvier, je gare mon scooter sur le trottoir rue des Poissonniers, le paysage distille toujours un air inhospitalier, la petite ceinture court sous mes pieds, coincée entre le boulevard Ney et la rue Belliard, des immeubles de bureaux, quelques tours d’habitation et un dépôt de bus de la RATP. Et les voitures filent sur les maréchaux qui enserrent Paris. De l’habitacle, arrêté au feu rouge de la porte des Poissonniers, alors qu’on vient de laisser derrière soi la porte de Clignancourt, on aura beau se pencher à la fenêtre, se tordre le cou, on ne verra rien, le regard ne plongera pas assez loin, ne pourra pas se faufiler jusqu’aux voies sur lesquelles s’est construit, il y a neuf mois déjà, un impressionnant bidonville – 90 cabanes de tôles, de planches et de carton où vivent autant de familles, entre 350 et 400 personnes venues de Roumanie et surtout d’autres campements franciliens dont elles ont été expulsées. J’écris “Roumains” car je ne veux plus écrire “Roms”, ce mot devenu celui du rejet, détourné et recouvert par une politique haineuse et stigmatisante, un fantasme identitaire construit par l’Etat. Le bidonville est ici un village encaissé, juste en contrebas du boulevard, il s’est établi sur plusieurs centaines de mètres, sur la largeur étriquée des voies, de part et d’autre du ballast, comme la rue unique d’une petite ville de western, de chercheurs d’or, desservie par une locomotive fumante – c’est la première image qui me vient, la seconde étant une photo du bidonville de Nanterre dans les années 60, incarnant aux yeux de la France entière ces zones insalubres à la périphérie des villes. C’est toujours la même image en noir et blanc, des baraques alignées dans la boue à perte de vue, une forêt de petites cheminées perçant une mer de toits faits de planches en aggloméré, de carton imbibé, de bâches retenues par des palettes et des pavés, sur lesquels s’entassent des escabeaux, des pneus, des poutres, des bidons, des baignoires d’enfants en plastique, une grille de chantier, un parasol, un sapin de Noël mité, n’importe quoi d’encombrant, de lourd pour empêcher que le vent ne fasse s’envoler la fragile protection, 52 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 50 Sorman.indd 52 18/02/16 16:35 Au quotidien, la vie s’organise comme dans un village où tout le monde se connaît un amoncellement hétéroclite de détritus, tout est bon pour se fabriquer un abri, se bricoler une épaisseur au-dessus de la tête, et pouvoir dire ici c’est chez moi, entrez dans ma maison. On accède au campement par des passerelles de fortune, un escalier de bois branlant que trois femmes empruntent avec précaution, portant de lourds bidons qu’elles ont rempli d’eau à la fontaine de la porte de la Chapelle, je demande si je peux les suivre – hochement de tête, je descends. chutes de moquette et gazon synthétique J’aborde un groupe d’hommes, des femmes seules, un enfant pas commode, des adolescents lookés – jeans slim, casquette américaine, fuseau léopard, sweats à capuche, yeux fardés des filles, strass à l’oreille des garçons –, on vient à ma rencontre, on va chercher un habitant qui parle mieux français, j’explique que je veux écrire sur le bidonville, carnet de notes à la main, je tâche d’exprimer mon empathie et mon soutien, maladroitement, autour de moi la vie semble gaie et désolante – des ordures emmêlées dans une végétation miséreuse, des braseros qui chauffent, la musique suave d’un poste de radio, du linge qui sèche, la fumée irritante, noire et épaisse, des poêles à bois, le sol boueux et les rails recouverts d’un palimpseste moelleux, empilement de chutes de moquette, gazon synthétique, toiles enduites, tapis et couvertures. Un confort pauvre et improvisé fait de mobilier de récupération, sièges de voiture ou de rendre visibles les invisibles Pour écrire L’Inhabitable, Joy Sorman est allée dans les logements insalubres de Paris, puis dans les foyers qui les ont remplacés. Une enquête forte, où s’écrivent des histoires de précarité et de détresse. Joy Sorman, qu’on avait découverte avec son livre féministe Boys, boys, boys (2005), s’est depuis investie d’une mission : se rendre dans les zones les plus défavorisées de Paris, pour les restituer et les mettre sous les yeux des Parisiens qui n’y sont jamais confrontés. Zones de transit, logements délabrés, foyers, Sorman s’entête à rendre visibles les invisibles, ceux que notre société s’acharne à reléguer dans ses marges, sa périphérie. Après son très bon Paris gare du Nord (2011), elle s’est rendue dans des logements insalubres rue du Faubourg-du-Temple, rue Mathis, rue Ramponeau, etc. Elle y a rencontré leur population – émigrés à la dérive, personnes âgées démunies, familles en difficulté. Dans L’Inhabitable, un texte qu’elle a d’abord écrit pour un recueil aux éditions Alternative, et qu’elle a entièrement revu et augmenté pour la présente édition, elle restitue les mots, les conditions de vie, les décors, les histoires de ces personnes. Un an après les avoir rencontrées, elle s’est rendue sur les mêmes lieux : rénovés, voire entièrement reconstruits, ces logements insalubres sont devenus des foyers d’accueil. Mais elle y croisera des êtres tout autant à la dérive, les mêmes histoires de précarité, qu’elle livre avec une neutralité respectueuse, sans pathos ni démagogie, mais sans rien éviter non plus de leurs paradoxes. Du beau travail d’enquête et un texte simplement fort, salutaire. Nelly Kaprièlian L’Inhabitable (L’Arbalète/Gallimard), 77 pages, 11,50 € 24.02.2016 les inrockuptibles 53 08 1056 50 Sorman.indd 53 18/02/16 16:36 Le 3 février, le camp est évacué dans le calme puis sera entièrement démantelé bureau, chariots, poussettes cassées, télés réparées, bidouillées, vélos crevés, lits de bébés privés de matelas, plaques de cuisson reliées à une bouteille de gaz, frigos rouillés, groupes électrogènes ronflants. Faute de place dans les abris – des espaces de quelques mètres carrés occupés par les matelas, de grands sacs de marché qui contiennent les vêtements et les effets personnels –, la plupart du mobilier de cuisine se trouve dehors, et un réseau électrique approximatif, rallonges et prises multiples emmêlées, court de cabane en cabane, de part et d’autre des rails, de la rue inventée ici – qui n’a pas de nom mais des numéros, chaque baraque étant marquée au feutre noir de deux chiffres, et chaque porte munie d’un cadenas, car si une porte ne ferme pas il n’y a pas de chez soi qui tienne. Au n° 63 habite Valentin, coiffeur privé d’emploi qui, pour survivre, travaille sur le marché d’Herblay dans le Val-d’Oise trois jours par semaine, soit, au mieux, ils préfèrent une solution pérenne les pieds dans la boue à du provisoire au sec dans un hôtel deux heures de trajet à chaque fois en empruntant, depuis la porte de Clignancourt, la ligne 4 du métro, le bus 85, puis le 80 qui le conduit à la gare Saint-Lazare où il monte dans un train en direction de Gisors. La cabane où vit Valentin avec ses quatre enfants et sa femme est, comme toutes les autres, un assemblage précaire, ingénieux et poreux, de contreplaqué, de portes et de fenêtres récupérées sur lesquelles on a pris soin de fixer un voilage ou un morceau de drap. On colmate, on cloue, on superpose, on assemble, on tâche d’isoler, on calfeutre avec des tentures, toutes sortes de tissus colorés, on échappe aux regards, on invente un peu de chaleur, de repos, d’intimité. Dehors tout est froid, humide, encombré, dedans tout est ordonné, soigné, propre. La femme de Valentin passe le balai sur le pas de sa porte, secoue son paillasson, repousse la saleté et la boue qui menacent tout autour. Nombre d’habitants se tiennent sur le seuil de leurs maisonnettes, fument, discutent, passent le temps, deux femmes m’interpellent – y a un problème ? – et je ne saurais dire si elles expriment l’inquiétude, la méfiance ou l’agressivité. Je crois que c’est ma présence qui est agressive, intrusive, contestable. le plus important est de rester ensemble Les habitants avec qui j’échange savent qu’ils sont menacés d’expulsion. Ils ne veulent pas bouger d’ici, refusent les propositions de relogement, me disent que leurs cabanes leur conviennent très bien. Parce qu’ils n’ont plus confiance dans ces autorités 54 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 50 Sorman.indd 54 18/02/16 16:36 qui les maltraitent, ne cessent de les déloger quand eux ne demandent qu’à se sédentariser, parce qu’ils préfèrent une solution pérenne les pieds dans la boue à du provisoire au sec dans un hôtel – quelques jours seulement avant de se retrouver à la rue de nouveau, d’appeler en vain le 115 –, parce qu’ils craignent, à juste titre, d’être dispersés aux quatre coins de l’Ilede-France, parce que le plus important est de rester ensemble – la plupart des habitants se connaissent depuis longtemps –, parce qu’ils sont fatigués d’errer, parce que quelques enfants pris en charge par les associations vont à l’école rue de Torcy tout près et qu’à nouveau le long processus de scolarisation et d’intégration serait interrompu, détruit, parce que les pères travaillent dans le quartier, parfois en interim dans le bâtiment, mais le plus souvent ils sont ferrailleurs, récupèrent du métal qu’ils peuvent stocker au bidonville mais pas dans une chambre d’hôtel. Les expulser, c’est alors les priver de la possibilité de travailler ; et s’ils sont ferrailleurs, ce n’est pas par goût, c’est que le marché du travail ne veut pas d’eux. Un ami de Valentin ajoute qu’ils sont européens et qu’ils ne veulent surtout pas être confondus avec les migrants – concurrence de la misère. Le jour décline, je marche jusqu’au bout du campement, là où la décharge resurgit, où les tags redeviennent visibles, où des emballages souillés jonchent à nouveau le sol. Un polochon est accroché dans un arbre, comme un corps mort, plié en deux, je quitte le bidonville. un homme harangue la foule en romani Le lendemain, le 1er février, je reviens au campement à 9 heures, un rassemblement est organisé pour marcher jusqu’à la mairie du XVIIIe et demander la suspension de l’expulsion, dont la rumeur dit qu’elle est prévue deux jours plus tard. Une associative du Secours catholique m’offre un gilet fluo floqué du slogan “25 ans de politiques coûteuses et inutiles d’expulsion des bidonvilles”, je l’enfile volontiers, imaginant qu’il va me donner une sorte de légitimité, je demande pourquoi 25 ans ?, j’apprends que, après l’éradication des derniers bidonvilles dans les années 70, ils ont réapparu en région parisienne dans les années 90, avec la chute du mur de Berlin et l’arrivée des premiers Roumains en France ; 25 ans donc. La plupart des habitants du campement se sont regroupés – bonnets, casquettes, foulards, enfants –, je repère aussi des membres de Médecins du monde, du collectif Romeurope, un homme harangue la foule en romani dans un mégaphone, nous nous mettons en route, la procession arrivera sans encombres jusqu’à la mairie malgré l’interdiction de manifester imposée par l’état d’urgence. Dans le cortège, un charpentier militant m’éclaire sur le projet des Bâtisseurs de cabanes, dont j’ai lu un communiqué de presse sur internet. L’association des Bâtisseurs de cabanes, créée par des habitants du bidonville, a déposé à la mairie de Paris un projet inédit et inventif : elle propose, sur un terrain qui serait mis à sa disposition, d’édifier 24.02.2016 les inrockuptibles 55 08 1056 50 Sorman.indd 55 18/02/16 16:36 c’est la consternation, la peine, beaucoup plus que la colère et la révolte : le camp sera évacué comme prévu de petites maisons modulaires, une soixantaine de logements familiaux démontables et transportables. Ce sont les habitants du bidonville eux-mêmes – des charpentiers, des forestiers – qui participeraient pour une grande part à la construction de ces maisonnettes écologiques en bois, paille et chanvre. Le projet, évalué entre 2 et 3 millions d’euros, pourrait recevoir un financement de l’Europe. Evidemment, cette entreprise d’autoconstruction ne pourra pas aboutir sans la Ville de Paris, son financement, son soutien, un terrain. Evidemment, on doute de sa bonne volonté en la matière. “dégagez ! Ah, elle est belle l’Europe !” On arrive devant la mairie, la circulation est bloquée, les grilles fermées, une poignée de militants de la Ligue des droits de l’homme nous attend, et quelques journalistes. Manon, du collectif Romeurope, me dit qu’elle n’a jamais vu ça, une telle mobilisation des Roumains eux-mêmes, décidée et organisée par eux – et c’est réconfortant. Des enfants tiennent à bout de bras des draps sur lesquels on a tagué à la va-vite “Nous ne voulons pas d’hôtel une semaine mais finir notre projet”, “Rom, européen, humain”, et aussi des dessins de maisons. On occupe la totalité du parvis devant la mairie, on crie “on veut pas partir”, “on reste ici”, “sortez de la mairie”, il y a aussi de simples cris de ralliement, de joie et de colère, des applaudissements, des annonces et des encouragements en romani dans le mégaphone. On exige qu’une délégation soit reçue, on attend, surveillés par quelques flics tandis qu’une dizaine de cars de CRS sont également garés dans une rue adjacente, un jeune homme en robe d’avocat erre, un vieux s’adresse à son chien : “Tu vois, c’est toujours les mêmes qui réclament”, Manon me présente un groupe d’adolescentes qu’elle connaît depuis 2012, qu’elle suit d’expulsion en expulsion, de bidonville en campement – porte de la Villette, porte de la Chapelle, la Courneuve, Saint-Denis, porte de Clignancourt. Quatre expulsions en quatre ans. Manon m’explique qu’à chaque expulsion elle perd leur trace pendant des semaines, que tout le travail d’insertion et de soin est anéanti, qu’il faut recommencer, que l’argument sanitaire avancé par les autorités pour justifier l’expulsion est fallacieux – on ne guérit pas en expulsant, c’est la stabilité qui permet de soigner. Une délégation est enfin reçue, une nouvelle attente commence, cela dure, les enfants fatiguent, le froid décourage un peu. Un homme d’une quarantaine d’années s’approche alors à la lisière du parvis et de la petite foule du bidonville, il éructe : “Dégagez, rentrez chez vous, moi mon père il est venu d’Algérie pour bosser au moins. Dégagez ! Ah, elle est belle l’Europe !” La réponse est immédiate, elle monte comme une clameur, les hommes du bidonville lui font maintenant face : “Pas partir ! pas partir ! pas partir !”, mais le type n’a pas peur, il fulmine, on tente de l’éloigner, personne ne s’aventure à le raisonner, à le convaincre qu’ils devraient plutôt unir leurs forces, que cette haine entre opprimés est la plus stérile et la plus triste de toutes les colères. On se désole en silence que les derniers arrivés deviennent les boucs émissaires de ceux arrivés juste avant, on est tout à coup très déprimé. La délégation sort enfin de la mairie et c’est la consternation, la peine, beaucoup plus que la colère et la révolte – je comprends à quel point les habitants du bidonville sont résignés. Le camp sera évacué comme prévu, on a juste obtenu quelques nuits d’hôtel en plus. En moins d’une minute, des CRS lourdement harnachés enserrent le parvis, se rapprochent pas à pas, obligeant la foule dépitée à se ramasser – plus personne n’a le droit de sortir du cercle. Les CRS ont l’ordre d’empêcher qu’un nouveau cortège ne se forme et marche vers la préfecture ou l’Hôtel de Ville, perspective envisagée un instant par les organisateurs puis abandonnée. capituler devant le pouvoir policier Le mercredi 3 février, le campement est évacué dans le calme à partir de 7 heures, en application d’une décision de justice du tribunal de grande instance de Paris, sur demande de la SNCF, propriétaire des voies. Un huissier est présent pour assister au démantèlement du campement. La situation est considérée comme illégale par les pouvoirs publics quand il saute aux yeux que le problème n’est pas l’illégalité mais la précarité. Le risque d’incendie (un extincteur a pourtant été fixé à l’entrée de toutes les cabanes et on a veillé à les espacer afin d’éviter la propagation du feu), les rats et l’insalubrité sont invoqués comme des motifs impérieux ; dormir sur un trottoir est sans doute moins dangereux. Beaucoup d’habitants sont déjà partis, évaporés dans la nuit, les autres sont prêts, échaudés, paquetage bouclé – ils ont l’habitude de capituler devant le pouvoir policier. Des cars stationnent sur le boulevard Ney pour les emmener vers des hôtels, loin, mais ils ne seront pas remplis car nombre d’entre eux ne veulent pas de cette solution temporaire et inadéquate. Ils reconstruiront certainement un bidonville ailleurs et seront à nouveaux expulsés. Quand je repasse en scooter, cinq jours plus tard, des bulldozers jaunes détruisent les dernières cabanes, des matelas éventrés volent. 56 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 50 Sorman.indd 56 18/02/16 16:36 GAB Pub.indd 1 16/02/16 10:13 Warner Bros le cas Dick Radio Nova et Arte consacrent une programmation spéciale à Philip K. Dick, mort en 1982. Schizophrène et visionnaire, l’Américain est l’écrivain qui aura le plus influencé artistes et penseurs de notre temps. par Nelly Kaprièlian 58 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 58 Philip K Dick.indd 58 18/02/16 16:46 T oute sa vie, Philip K. Dick a su que sa tombe l’attendait, que son nom y était gravé au-dessus de sa date de naissance (le 16 décembre 1928) dans l’attente de celle de sa mort, à côté du nom de sa sœur jumelle morte quelques semaines après leur naissance. De quoi changer n’importe quel Américain moyen en paranoïaque extrême. C’est cette paranoïa qui finit par le détruire à petit feu, mais c’est elle aussi qui alimenta une œuvre visionnaire qui allait rayonner sur des décennies, et influencer artistes et penseurs à venir. Dick est l’écrivain qui aura le plus marqué, esthétiquement et philosophiquement, notre temps, en questionnant sans cesse (dans ses 45 romans et 121 nouvelles) l’idée de simulacre, qui nourrira le travail de philosophes tels que Jean Baudrillard et Slavoj Zizec. La réalité n’est-elle que le paravent créé par une société (totalitaire) pour nous duper, nous manipuler, nous neutraliser en nous dissimulant la vérité ? Blade Runner de Ridley Scott (1982), adapté librement du roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Ses textes – dont ses romans les plus connus, du Maître du Haut Château, son premier succès en 1962, jusqu’à Ubik (1969) en passant par Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, dont Ridley Scott tira son chef-d’œuvre, Blade Runner, en 1982 – ne nous parlent que de mondes parallèles à dévoiler, d’androïdes similaires aux humains, capables dès lors de les remplacer, de souvenirs implantés dans nos cerveaux pour nous faire croire à une vie fausse, comme dans le Total Recall de Paul Verhoeven (1990), adapté de la nouvelle “Souvenirs à vendre” (1966). “Dick est l’écrivain qui a tout compris, et senti vers quoi on allait : la disparition de la réalité dans sa représentation”, explique Emmanuel Carrère, qui a écrit une passionnante biographie de l’auteur en 1993, Je suis vivant et vous êtes morts, à la suite d’un voyage en Roumanie communiste où, parce que la réalité s’y dérobait sans cesse, il avait eu l’impression d’être plongé dans un roman de Dick. “Il n’y a rien d’existentiel que Dick n’ait pas exploré, poursuit Carrère. Philosophiquement et en termes de fiction, je ne pense 24.02.2016 les inrockuptibles 59 08 1056 58 Philip K Dick.indd 59 18/02/16 16:46 in Les Mondes de Philip K. Dick/Nova Productions/Arte il écrit à une vitesse effrénée, cesse de dormir à l’aide d’amphètes. Un rythme qu’il conservera toute sa vie pas qu’il y ait d’auteurs aussi importants dans la seconde moitié du XXe siècle. Ses livres sont inégaux, mais le bloc énorme que constitue son œuvre, je continue à le trouver passionnant. Ça m’arrive de remettre le nez dans un de ses livres et je suis médusé. Pour moi, Dick est l’égal de Dostoïevski. On peut en dire la même chose : qu’il n’était pas un grand styliste, mais qu’il a tout dit.” Emmanuel Carrère a en commun avec Michel Houellebecq d’avoir été marqué par la sciencefiction, tous deux ont une passion pour Lovecraft (Houellebecq lui a consacré un livre), qui fut aussi une des lectures majeures de Philip K. Dick. : “Je préfère les débuts de Dick, les années 1950, il s’en dégage une paranoïa poignante. Dans les années 1960, à mon avis, il lui est arrivé de prendre trop de LSD”, nous confie Michel Houellebecq, faisant référence à une période de la vie de Dick où, se retrouvant à nouveau seul (ses quatre mariages ainsi que toutes ses relations amoureuses ne survivront pas à sa paranoïa), l’écrivain hébergeait hippies, rebelles, squatteurs, le temps de longs huis clos drogués. Une période qui se soldera dans les années 1970 par une crise de paranoïa aiguë (à la suite d’un cambriolage, Dick affirme être surveillé par le FBI et des espions soviétiques), un séjour en HP, une tentative de suicide, des voix qu’il croit entendre depuis sa radio débranchée, des hallucinations (en forme de tableaux abstraits) et la révélation qu’il serait le nouveau prophète. Mais ce qui lui arrivera surtout de prendre, ce sont des amphétamines : dès ses débuts à la fin des années 1940, quand Dick publie sa première nouvelle dans une revue, puis décide de larguer son job chez un disquaire à Berkeley pour se consacrer à l’écriture, commence alors une course pour gagner de quoi vivre. Il lui faut publier à une vitesse effrénée, donc écrire au même rythme (parfois un roman en quelques semaines), dès lors cesser de dormir à l’aide d’amphètes. Un rythme qu’il conservera toute sa vie. Dick est retrouvé sans connaissance chez lui, à Santa Ana, en février 1982 : il meurt à l’hôpital d’une défaillance cardiaque le 2 mars, quelques semaines avant la sortie de Blade Runner. Aujourd’hui, après avoir été de nombreuses fois adaptée au cinéma (dont le Minority Report de Steven Spielberg), son œuvre n’en finit toujours pas de passer sur les écrans (la récente série Le Maître du Haut Château produite par Amazon) et d’irriguer encore le cinéma contemporain, du Matrix des Wachowski à Inception de Christopher Nolan en passant par eXistenZ de David Cronenberg. “Ce film était délibérément dickien, presque un hommage, nous raconte le cinéaste canadien. Bien que j’aie toujours lu beaucoup de science-fiction, je n’ai découvert Philip K. Dick qu’en commençant à travailler avec Dino De Laurentiis sur le film Total Recall en 1984 – avant que ce projet échoue et soit réalisé par d’autres. Pour moi, Dick incarne le ferment intellectuel et politique des années 1960, à la fois en bien et en mal, ce que j’ai bien sûr connu et ce qui m’a formé. Son plus grand thème – qui crée la réalité et comment est-elle créée ? – me semble être une vérité existentielle.” L’artiste Dominique Gonzalez-Foerster s’inspire directement de certains livres de Dick dans ses œuvres comme Les Tapis de lecture et TH.2058, influencé par Le Maître du Haut Château : “L’œuvre de Philip K. Dick, comme celles de Kafka et de J. G. Ballard, anticipe largement des états du monde actuels et des situations nouvelles liées aux changements technologiques, climatiques et politiques, mais aussi des moments esthétiques et psychologiques différents. Ces dernières années, j’ai souvent l’impression d’être un personnage d’un de ses romans.” Dick avait annoncé notre monde rompu aux réalités virtuelles, à la représentation truquée de soi via les réseaux sociaux, et notre suspicion généralisée, entre les révélations sur certains mensonges d’Etat et autres manipulations financières, complots terroristes ourdis dans l’ombre au sein même de notre société, etc. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’œuvre de Philip K. Dick a éclos en pleine guerre froide et chasse aux sorcières, quand le gouvernement américain soupçonnait que derrière chaque Américain moyen se cachait un espion soviétique qu’il lui fallait coûte que coûte démasquer. Dans les années 1950, Dick aura même droit aux visites régulières de deux agents du FBI lui demandant d’espionner sa seconde épouse, 60 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 58 Philip K Dick.indd 60 18/02/16 16:46 Darjeeling/Nova Productions/Arte aux frontières du réel Jeu vidéo inspiré de l’univers de Philip K. Dick, où l’on navigue entre plusieurs mondes dans le Berkeley de 1967, Californium accompagne la programmation spéciale d’Arte consacrée à l’écrivain. Philip K. Dick en 1977 Kleo Apostolides, mêlée aux cercles gauchistes de Berkeley. Il refuse mais cet épisode le marque profondément, confirmant un trouble, une dualité plus intime que l’écrivain traîne depuis sa naissance. Quand, en 1987, Sonic Youth consacre son album Sister à Jane, la sœur jumelle de Dick morte de faim quelques semaines après leur naissance, le groupe touche au point aveugle qui a hanté l’écrivain toute sa vie. Si Dick voit tout en double – d’un côté une réalité visible (le factice), de l’autre une réalité invisible (le vrai) –, c’est peut-être parce que lui-même se sent scindé (des psys l’ont déclaré schizophrène). Est-ce Jane qui repose dans leur tombe commune depuis leur naissance, ou lui-même qui, sans le savoir, serait déjà mort ? Est-il un faux vivant, comme les réplicants Nexus-6 de Blade Runner ou comme le héros d’Ubik qui finira par comprendre qu’il est en fait mort alors qu’il se croyait en vie. Ultime schizophrénie littéraire, Dick consacre ses dernières années à un échange infini entre lui et son double, Horselover Fat (fat : traduction de “Dick” en allemand ; en grec, Philip signifierait “celui qui aime les chevaux”) : L’Exégèse, soit 8 000 pages de délire mystique et d’analyse de son œuvre, qui ne sera qu’en partie publié. En plus des témoignages de sa dernière épouse, Tessa, et de son thérapeute, le documentaire que lui consacrent Yann Coquart et Ariel Kyrou pour Arte a l’avantage de nous donner à voir et à entendre Philip K. Dick prononcer sa phrase culte, qui résume autant sa vie que son œuvre : “Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres.” à écouter sur Radio Nova, journée Philip K. Dick, le 1er mars à voir sur Arte, programmation spéciale jusqu’au 2 mars, dont Les Mondes de Philip K. Dick, documentaire de Yann Coquart et Ariel Kyrou, le 2 mars, 22 h 40 ; Californium, jeu vidéo (Darjeeling/Nova Productions/Arte France/ Neko), sur le site creative.arte.tv et aussi sur Mac et PC ; I, Philip, fiction en vidéo 360° et en relief de Pierre Zandrowicz et Rémi Giordano, sur creative.arte.tv à lire Je suis vivant et vous êtes morts d’Emmanuel Carrère (Points), 410 pages, 7,95 € La majorité des textes de Philip K. Dick sont disponibles chez J’ai lu Californium n’est pas une adaptation de Philip K. Dick. Plus profondément, le jeu vidéo pensé par Brice Roy (détaché pour l’occasion de l’excellent collectif parisien One Life Remains dont il est membre) et destiné à accompagner la programmation qu’Arte consacre à l’auteur de Coulez mes larmes, dit le policier est une œuvre qui dialogue avec la sienne en s’attachant à rendre interactif l’un de ses questionnements principaux : le rapport à la réalité. Dans Californium comme souvent chez K. Dick, celle-ci apparaît multicouche, comme le découvre rapidement le joueur en s’installant dans la peau et l’esprit embrumé d’un certain Elvin Green, écrivain en rupture de pas mal de choses dans le Berkeley de 1967 et dont toute ressemblance avec un certain Philip K. D. ou l’un de ses personnages ne serait pas totalement fortuite. A première vue, l’objectif est simple : rechercher les traces d’un autre réel qui ne demande qu’à se déployer dans un décor au style pop débordant de couleurs et peuplé de personnages-silhouettes à plat très BD, de l’emblématique diner local au bureau de l’éditeur du magazine Freak out dans lequel écrit (quand il arrive à écrire) notre héros. Californium est ainsi truffé de petites anomalies visuelles, un lampadaire qui se balance, un sofa ou une pile de livres qui clignote, puis un petit signe mystérieux sur lequel on va cliquer. Alors, murs et objets mutent, se déforment et un deuxième monde commence à se révéler au sein du premier. Une bibliothèque prend la place de la commode, un balcon pousse au-delà de la fenêtre, un bar avec billard naît dans les bureaux du procureur. Au total, il y a quatre mondes, façon poupées gigognes, à visiter un par un sur le site d’Arte ou réunis dans la version payante de Californium (disponible sur Steam). Le résultat est un jeu pour le moins étrange, sorte de rencontre entre les fictions interactives artistes du studio belge Tale of Tales, de Bientôt l’été (qui puisait son inspiration chez Marguerite Duras) à Sunset (qui, l’an dernier, nous plongeait dans l’Amérique latine des années 1970), et les nettement plus grand public jeux d’objets cachés, à ceci près qu’ici ce sont des symboles abstraits qu’il faut dénicher dans les images surchargées. Et que ces derniers apparaissent (ou non) en fonction de nos mouvements, d’où de curieuses parties de cache-cache avec un mur ou un bureau. L’exercice se révèle souvent fascinant, parfois un peu fastidieux – ici réside la limite du jeu. Mais la grande idée des auteurs de Californium est de travailler sur le principe et l’esthétique du glitch, mot qui, en matière de jeux vidéo, en est arrivé à désigner les bugs graphiques et déplacements non prévus par les programmeurs des objets à l’écran, pour les rapprocher de la vision de Philip K. Dick. Car chez lui, d’une certaine manière, il y a déjà des glitches dans la réalité, flottements identitaires, tremblements spatiotemporels et ouvertures sur un monde alternatif. Chez lui, au fond, il y a déjà le mode d’emploi de beaucoup de beaux jeux vidéo qui ne demandent qu’à exister. En voilà déjà un. Erwan Higuinen 24.02.2016 les inrockuptibles 61 08 1056 58 Philip K Dick.indd 61 18/02/16 16:46 têtes de vainqueurs Réputés pour la sauvagerie de leurs concerts, les Anglais de Fat White Family enveloppent leur deuxième album, Songs for Our Mothers, de vapeurs psychédéliques. Rencontre à Londres avec le noyau dur de ce gang au cœur tendre. L par Noémie Lecoq photo Tom Oxley pour Les Inrockuptibles a dernière fois qu’on les a vus, stoppés en plein concert, ils se sont éclipsés en nous conseillant de courir pour sauver nos vies. C’était le 13 novembre à la Cigale, pendant le Festival des Inrocks, alors que l’horreur dévastait le Bataclan. Avant cette déclaration en forme d’électrochoc, les six Anglais de Fat White Family nous avaient déjà stupéfiés en donnant sur scène une leçon magistrale, aussi envoûtante que volcanique, énième preuve de leur savoir-faire en matière de performance émeutière. Malgré la fascination qu’ils déclenchaient alors, on ne pouvait pas s’empêcher de se faire un peu de souci pour leur avenir. Exsangues, crânes rasés, d’une pâleur inquiétante sous leurs guenilles, ils semblaient avoir poussé l’autodestruction jusqu’au bord du précipice. Dès le lendemain, Saul Adamczewski, leur guitariste et compositeur en chef, jetait l’éponge et laissait le reste du groupe finir sans lui la tournée française, prétextant avec un humour impitoyable ne pas pouvoir supporter d’entendre Wolf Alice, leur première partie, un soir de plus. “Ça n’aurait certainement pas pu continuer longtemps dans l’état où l’on était”, reconnaît Saul aujourd’hui. Quand on les retrouve dans l’East End de Londres presque trois mois plus tard, la Family disloquée de la Cigale n’est plus qu’un mauvais souvenir. Saul vient de passer deux mois aux Etats-Unis pour une cure de désintoxication réussie, suivie par des vacances où il a été rejoint par son frère d’armes, le chanteur et parolier Lias Saoudi. Les deux fondateurs du groupe sont les derniers héritiers d’une grande tradition de couples masculins dans le rock britannique (Jagger-Richards, Morrissey-Marr, Doherty-Barât, etc.). Ce binôme de leaders se partage les rôles : Saul prend le dessus en studio et Lias sur scène, Saul compose la majorité de la musique tandis que Lias se charge de la plupart des paroles. Physiquement régénérés, mentalement apaisés, ils ont visiblement retrouvé leur force créatrice et parlent déjà d’une ribambelle de projets pour les mois à venir. Ils s’emballent sur la sortie cet été d’un album des Moonlandingz, leur projet parallèle, avec Le 28 janvier, avant leur passage chez Rough TradeEas t, à Londres des invités comme Sean Lennon, Yoko Ono, Phil Oakey (The Human League) et même Randy Jones, le cow-boy des Village People. Saul évoque pour sa part des concerts de Warmduscher (autre groupe dont il fait partie) et confie qu’il donne un coup de main à Evan Dando (The Lemonheads) pour préparer son nouvel album solo. Lias et lui ont déjà commencé à composer un troisième album “beaucoup plus mélodieux” pour Fat White Family, épaulés par leur ami Sean Lennon. “Fat White Family, c’est comme un exercice pour essayer de faire de la pop”, déclare Saul. Son sourire en coin indique qu’il est bien conscient du paradoxe. Car le groupe a une façon très personnelle de composer ce qu’ils désignent comme pop (à leur échelle), en faisant des clins d’œil appuyés à des icônes destroy comme The Fall, les Sex Pistols, Nick Cave And The Bad Seeds, ou encore The Gun Club, sans parler de leurs choix de titres de chansons – pour n’en citer qu’une, la cinglante Bomb Disneyland, qui clôture en général leurs concerts. 62 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 62 Fat Family.indd 62 18/02/16 16:54 Après l’explosif Champagne Holocaust, un premier album de garage-blues débraillé et radical, bricolé à la va-vite, ils viennent de sortir un deuxième album surprenant. Ne pas se fier au titre gentillet, Songs for Our Mothers : il est ici question de morceaux plus ténébreux et plus lents, contaminés par un psychédélisme dérangé mais ensorcelant. L’ambiance sombre reflète les conditions d’enregistrement : un abattoir désaffecté loin de toute civilisation, dans l’Etat de New York, en plein hiver neigeux et sans chauffage. Le parallèle entre studio et bunker n’a jamais été aussi parlant. En continuant de refuser toute solution de facilité, ils signent des paroles sur la violence conjugale entre Ike et Tina Turner (Hits Hits Hits) et sur le règne fasciste de Mussolini (Duce), inventent les adieux entre Goebbels et Hitler (Goodbye Goebbels) et plongent leurs mélodies dans du disco menaçant (Whitest Boy on the Beach). A force de jouer avec le nihilisme et les codes du rock, Saul avoue que leur sens de l’humour est souvent incompris et que leurs excès nuisent à la créativité. “Je suppose qu’on remplit beaucoup de critères parmi tous ces clichés.” Lias : “C’est une mythologie malsaine, le poète misanthrope, flamboyant et autodestructeur. Il faut dire qu’on s’est activement plongé dans tout ça. Je pense qu’au début tu fais ça délibérément, presque pour t’en moquer. Parce que c’est quand même très drôle, dans un sens, d’être un groupe dépravé, débile et rock’n’roll. C’est drôle pendant un temps, jusqu’à ce que la blague te rattrape et devienne réalité. Et là, tu es devenu ce truc que tu tournais en dérision dans tes chansons. Il est alors temps d’essayer de changer un peu.” Le soir même, en showcase chez Rough Trade East, le retour de Saul au sein du groupe donne lieu à une bacchanale de joie et d’insoumission. En sortant, on se dit qu’on n’aurait pas pu trouver de meilleure occasion pour retourner à un concert. album Songs for Our Mothers (Without Consent/Pias Coop) concert le 2 mars à Paris (Maroquinerie) facebook.com/FatWhiteFamily retrouvez l’intégralité de cet entretien sur 24.02.2016 les inrockuptibles 63 08 1056 62 Fat Family.indd 63 18/02/16 16:54 08 1056 64 SURVIVAL.indd 64 18/02/16 17:23 la survie devant soi LeonardoDiCapr io dans The Revenant Twentieth Century Fox The Revenant d’Alejandro González Iñárritu avec Leonardo DiCaprio, qui sort cette semaine, et Seul sur Mars de Ridley Scott avec Matt Damon sont les deux favoris des oscars qui se déroulent dimanche. La consécration d’un genre de plus en plus prisé : le film de survie. par Jean-Marc Lalanne 24.02.2016 les inrockuptibles 65 08 1056 64 SURVIVAL.indd 65 18/02/16 17:23 L ’un cultive des pommes de terre après avoir fabriqué de l’engrais avec ses propres excréments. L’autre se précipite en rampant sur des carcasses de grands mammifères en décomposition et racle les ossements avec ses ongles noirs pour en extraire un peu de chair pas encore putréfiée et s’en repaître avec l’avidité des grands affamés. Le premier brûle ses réserves d’oxygène pour fabriquer de l’eau sur une planète totalement aride. Le second se réchauffe avec des feux de fortune dans des plaines enneigées. Contre eux, les éléments se déchaînent : des tempêtes de cailloux rouges, des chutes à pic sur des sapins chargés de neige, un plongeon dans des eaux glacées ou une asphyxie dans une combi sans réserve d’oxygène. Mais toutes ces tortures n’auront pas été vaines : au bout de ces parcours d’épreuves, luit, pour l’un ou pour l’autre, la perspective d’une statuette dorée. La 88e cérémonie des oscars, ce dimanche 28 février, verra selon tous les pronostics la victoire de Seul sur Mars ou de The Revenant. Donc le sacre, depuis trop longtemps attendu, de l’un des deux meilleurs comédiens de ces vingt dernières années, Matt Damon dans Seul sur Mars de Ridley Scott ou Leonardo DiCaprio dans The Revenant d’Alejandro González Iñárritu (avec avantage au second). Mais cet affrontement marque aussi l’apothéose d’un certain type de récit, de plus en plus prisé depuis le début de la décennie, jusqu’à occuper cette année le haut de l’affiche de la cérémonie des oscars :le scénario survivaliste. Comme si le haut du panier de la production cinématographique ne s’articulait plus qu’autour d’une seule question : face à l’hostilité ontologique de notre monde, comment s’en sortir ? Pas d’autre forme de conquête, pas d’espoir plus vaste ni promesse d’autre récompense. Pas d’autre héroïsme que de sauver sa peau. Et encore d’extrême justesse. 66 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 64 SURVIVAL.indd 66 18/02/16 17:23 Matt Damon dans Seul sur Mars Cette réduction de l’enjeu narratif au plus infime gain, on l’a vu s’étendre dans des territoires fictionnels multiples. Deux ans avant Seul sur Mars, Gravity (Alfonso Cuarón, 2013) projetait déjà dans l’infini galactique (et simultanément sur la scène des oscars) l’épopée d’une astronaute en déréliction. Et trois ans avant Leonardo DiCaprio, Liam Neeson crapahutait dans les forêts gelées du Grand Nord, prêt à castagner tout prédateur l’envisageant comme son gibier (Le Territoire des loups, Joe Carnahan, 2011). Dans All Is Lost (J.C. Chandor, 2013), Robert Redford lutte seul, plusieurs jours, contre un océan tour à tour déchaîné et sournoisement étale, qui démembre par à-coups son voilier jusqu’a le mettre en miettes. Dans l’éblouissant Essential Killing (Jerzy Skolimovski, 2010), Vincent Gallo incarne un taliban rompu à se déplacer de grotte en grotte, en Afghanistan, qui, lâché dans les contrées glacées où les forces américaines l’avaient emprisonné, se heurte à l’hostilité sans pitié de la nature. Twentieth Century Fox l’Homme pourrait se retrouver seul, dans une situation de précarité absolue face à la sauvagerie du monde Bien sûr, plus lointainement, on pourrait remonter jusqu’à la robinsonnade de Tom Hanks dans Seul au monde (Robert Zemeckis, 2000) ou à la sublime déambulation égarée et morbide de Gerry (Gus Van Sant, 2002). Mais c’est peut-être Sean Penn, avec le succès en 2007 de Into the Wild, qui anticipe cet interêt croissant pour ces récits minimalistes, où la dramaturgie se réduit essentiellement à un seul personnage, un seul opposant – le milieu naturel – et un seul conflit – la survie. Dans Into the Wild, comme dans Wild (Jean-Marc Vallée, 2014), film de rando dangereuse surfant opportunément sur la vague – avec Reese Witherspoon en acharnée du trekking –, la confrontation avec la brutalité du monde sauvage est désirée, appréhendée même comme une rédemption. Mais l’espoir de salut rousseauiste tourne court. Dans les films plus récents, elle est au contraire subie. Elle devient un cauchemar terrifiant. Cette recrudescence du scénario de survie a bien sûr pour arrière-plan un moment historique. Celui de la montée dans la société du survivalisme, où l’individu se prépare à l’imminence d’une catastrophe – naturelle, écologique, économique – en forgeant les outils de sa propre survie, en apprenant à assurer seul sa nutrition, la construction d’un abri, sa défense contre les autres mammifères. Comme le théorisait récemment le philosophe Michael Foessel (Après la fin du monde – Critique de la raison apocalyptique, Seuil, 2012), l’idée se répand que chacun doit se préparer “à devoir vivre après la fin du monde”. Ou, selon le mot d’une autre philosophe, Thérèse Delpech, à la perspective du progrès se substitue insensiblement celle d’un “ensauvagement” (L’Ensauvagement – Le retour de la barbarie au XXIe siècle, Grasset, 2005). Qu’elles soient situées dans un futur proche (Gravity, 24.02.2016 les inrockuptibles 67 08 1056 64 SURVIVAL.indd 67 18/02/16 17:24 Pathé Distribution UPI Metropolitan Filmexport c’est à la condition de sa mutation vers l’animal que le revenant DiCaprio revient Le film de survie a le vent (froid) en poupe. De haut en bas : Liam Neeson dans Le Territoire des loups de Joe Carnahan (2011), Robert Redford dans All Is Lost de J.C. Chandor (2013), Emile Hirsch dans Into the Wild de Sean Penn (2007) Seul sur Mars), le présent (Essential Killing, All Is Lost) ou un passé lointain (The Revenant), ces fictions de la survie dialoguent avec la peur commune de voir s’effondrer tous les grands systèmes de solidarité, l’angoisse d’une organisation sociale tournant impitoyablement à la loi de la jungle ou l’imminence d’un désastre écologique. Le milieu naturel redevient la menace. L’Homme pourrait se retrouver seul, sans aucune protection, dans une situation de précarité absolue face à la sauvagerie du monde. La thématique infuse bien au-delà du cinéma américain. Elle s’infiltre aussi dans le cinéma français. Dans Les Combattants (Thomas Cailley, 2014), le personnage d’Adèle Haenel incarne cette jeunesse guerrière qui ne compte plus sur aucun système et se prépare à affronter la déliquescence du monde dans lequel elle a grandi. Le film se métamorphose d’ailleurs dans son dernier tiers en survival épique, où les protagonistes affrontent, en miniature, une nature hostile et un petit cataclysme climatique. Jusque dans le cinéma hexagonal le plus mainstream, on entend des échos de cette préoccupation planétaire. Dans la comédie sortie cette semaine, Les Naufragés (David Charhon, 2016), Daniel Auteuil et Laurent Stocker, suite à un accident d’avion, doivent à leur tour apprendre à se nourrir sur une île déserte. Sans parler de la vogue télévisuelle, depuis les années 2000, des émissions de téléréalité mimant les conditions d’un ensauvagement contraint : Le Survivant, Dual Survival, Seul face à la nature ou, dans une moindre mesure, Fear Factor. Mais, pour revenir au duel de titans de la prochaine cérémonie des oscars, si Seul sur Mars et The Revenant s’originent dans une frayeur contemporaine et commune, les stratégies de survie que les deux films mettent en place diffèrent radicalement. Isolé sur une planète lointaine, le personnage de Matt Damon s’en sort en s’affirmant humain contre tout. C’est d’abord à sa formation de biologiste émérite qu’il doit la possibilité de réinventer les conditions 68 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 64 SURVIVAL.indd 68 18/02/16 17:24 The Revenant d’Alejandro González Iñárritu Après Birdman, Iñárritu repousse encore plus loin les frontières de la prouesse technique. Ultra-spectaculaire, The Revenant laisse cependant un arrière-goût dérangeant. de l’agriculture dans un territoire qui ne l’autoriserait pas. Chaque palier de son combat marque un nouveau sursaut vers plus d’humanité, d’éducation, de science. Le charme badin du film, du moins dans sa première heure, tient à son aspect de comédie du bien-être et du cocooning. Finalement, dans son abri de fortune, égayé par une sautillante playlist de disco vintage, Matt restaure un mode de vie parfaitement organisé et assez plaisant. Son ingéniosité et son sens rigoureux de la discipline lui valent de vaincre l’hostilité de son environnement martien. Ce qui occupe l’esprit plus torturé d’Iñárritu est tout autre. Rien ne le passionne davantage que la part animale de l’homme. Et ce, dès son premier film. Amours chiennes (2000) tissait des correspondances naturalistes entre quelques échantillons humains et leurs animaux de compagnie : un jeune homme désocialisé et belliqueux dressant son molosse en redoutable animal de combat ; une jeune bourgeoise de Mexico et son toutou apprêté possiblement dévoré par des rats après avoir glissé entre deux lattes de plancher ; un tueur à gages clochardisé et sa meute de chiens pour seule compagnie. L’homme, le chien, n’ont pour perspective que de muter en animal de combat. C’est une pareille involution vers la bestialité qui permet à Leonardo de venir à bout du désert de glace qui l’enserre. Dans la première demi-heure du film, il survit à un combat titanesque contre un ours. Lacéré par les griffes de la bête, il en vient à bout et, pour résister au froid, il s’enveloppe de la peau de l’ours après l’avoir tué. C’est donc un Leonardo mi-homme mi-ours, le visage mangé par une pilosité incontrôlée se confondant presque avec les poils de sa seconde peau animale, qui erre dans la forêt glacée. Quand, par la suite, il trouve une maigre pitance, il doit passer après une meute de loups. Enfin, dans le dernier mouvement du film, après la mort de son cheval suite à une chute à pic, il éviscère l’animal, jette ses abats à l’extérieur de sa dépouille et se love dans la carcasse, nu, délesté de ses habits humides, comme un nourrisson en position fœtale à l’intérieur de la bête. Au petit matin, l’homme renaît, comme accouché de son cheval. C’est à la condition de cette mutation vers l’animal que le revenant revient. En puisant en lui les plus profonds reliquats de l’état sauvage, il fait face à la sauvagerie archaïque du monde. C’est donc entre deux appréhensions de l’espèce humaine et des conditions de son salut que devront arbitrer le 28 février les votants de l’académie des oscars. Celle de Ridley Scott, humaniste, optimiste et rieuse. Celle très sombre, agressive et plus cyniquement désenchantée d’Iñárritu. Qui survivra verra. Annoncédepuis des mois, de folles rumeurs de tournage en bandes-annonces hallucinatoires, comme un exploit tout autant qu’un cauchemar digne d’Apocalypse Now, The Revenant ambitionne d’être un film total. Atravers l’histoire (vraie) d’un trappeur laissépour mort qui s’en va braver les éléments pour assouvir sa vengeance, le sixième long métrage d’Alejandro González Iñárritu se pose comme réflexion sur la naissance d’une nation, méditation métaphysique et démonstration de force technique repoussant encore les limites atteintes avec le précédent. Cette dernière ambition apparaît comme la plus accomplie. Accompagnépour la seconde fois de son chef opérateur Emmanuel Lubezki – qui signe aussi la photographie des films d’Alfonso Cuarón ou de Terrence Malick –, Iñárritu perfectionne son usage du plan-séquence impossible et donne àvoir des scènes d’action parmi les plus spectaculaires et longues jamais filmées. Combat àmain nue contre un ours, champ de bataille chaotique avec effet d’immersion (à la façon Fils de l’homme de Cuarón), dantesque course-poursuite àcheval, avalanche impromptue : le cinéaste déclare une nouvelle fois la guerre àla coupe. Et il faut lui reconnaître dans ce domaine une certaine réussite, même si l’on peut trouver son emploi du grand angle harassant, et qu’à l’heure du trucage numérique invisible son exploit n’est pas comparable à ceux des grands ma°tres soviétiques du plan-séquence qu’il prend évidemment pour modèles : Tarkovski, Klimov ou Kalatozov. On peut également rester circonspect sur la performance outrée des deux acteurs principaux, Leonardo DiCaprio remplissant consciencieusement le cahier des charges du rôle àoscar (de la boue, du sang, de la souffrance, des rictus, l’important étant que le travail se voie), et Tom Hardy grommelant nonchalamment dans son coin. Mais le véritable problème de The Revenant est de nature morale et idéologique. Le film se déroule en 1823, soit bien avant la Guerre de Sécession, à l’époque où l’Amérique se cherche encore un destin. Et ce qu’il entend raconter, à travers le voyage extraordinaire de son héros, c’est précisément de quoi ce destin est le nom ou, pour le dire autrement, sur quelle sorte de barbarie la nation américaine s’est fondée. La réponse à cette question finit par être énoncée, très clairement, lors d’une scène-clé : “nous sommes tous des sauvages”, fait écrire le cinéaste, en français, sur un écriteau accrochéau cou d’un pauvre Indien pendu, résumant un message qui court par ailleurs tout au long du film. Ainsi donc, pour Iñárritu, nous serions tous des sauvages, colons, colonisés et animaux, tous emportés dans un même élan tragique, tous guidés par une même furie incontrôlable. Car c’est ainsi que Dieu a façonné les créatures terrestres, et c’est àDieu seul, nous souffle-t-il, qu’il appartient de rendre justice… Récemment, un autre western enneigé s’est posé cette même question, celle du récit national et de sa barbarie inhérente : Les Huit Salopards. Et Quentin Tarantino parvenait lui à une conclusion fort différente. Commençant et terminant son film par une image de crucifixion (pour bien enfoncer le clou, si l’on peut dire), il exposait dans un monologue brillant (prononcé par Tim Roth) la différence entre la justice civilisée et la justice du Far West : à peu près aucune en réalité, si ce n’est un vernis procédural dont savait se parer la première. Ainsi, Tarantino exposait politiquement, et non religieusement, les fondations barbares de son pays. En regardant non pas le ciel (qui est certes très joli dans The Revenant) mais droit dans les yeux des hommes. Qu’il nous soit permis de préférer cette version-ci au fatalisme bigot d’Iñárritu – qui n’est même pas assumé jusqu’au bout (attention, petit spoiler) puisque la vengeance sera bel et bien portée par la main de l’homme indien. Jacky Goldberg The Revenant d’Alejandro González Iñárritu, avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy (E.-U., 2015, 2 h 36) 24.02.2016 les inrockuptibles 69 08 1056 64 SURVIVAL.indd 69 18/02/16 17:24 No Home Movie de Chantal Akerman La cinéaste filme sa mère au seuil de la mort. Un portrait poignant, plus bouleversant encore depuis que la fille l’a rejointe en octobre. U n appartement bruxellois, sa cuisine, c’était le lieu de Chantal Akerman, c’est la matrice de son cinéma. Là où s’origine et se boucle son œuvre, ses films, où ils sont souvent pensés, tournés, là où la cinéaste est toujours revenue après avoir visité et filmé le vaste monde, de New York à la Russie, de la frontière américanomexicaine au Moyen-Orient. La cuisine, lieu de l’aliénation des femmes, mais aussi de leur révolte, de leur complicité… Et comme on peut le voir dans cet ultime No Home Movie, lieu filial, familial, utérin. Chantal filme donc sa mère dans son appartement à Bruxelles. La dame est âgée, physiquement fatiguée, empruntée, handicapée par les douleurs de son âge, mais la tête encore claire, la mémoire encore vivace, la voix un peu chevrotante mais parfaitement articulée, enroulée sur un charmant accent belgo-yiddish. Comme souvent chez Akerman, les plans sont fixes et longs. Ils sont parfois très composés, dans un couloir, une encoignure, une embrasure de porte, à la fois pudiques et aux aguets, et parfois plus aléatoirement disposés pour saisir le réel, comme si la caméra était négligemment posée sur une table ou une chaise de l’appartement, captant la vie qui s’y déroule sans précaution esthétique particulière. La vie dans cet appartement, c’est celle très ordinaire d’une vieille dame rien n’est dit, tout est dit. Ce qui s’appelle savoir filmer l’indicible 70 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 70 SCINE OUV.indd 70 18/02/16 16:34 et de sa fille qui lui rend visite : repas, conversations, souvenirs d’enfance, évocations de la jeunesse de la mère, de ses parents, du père de Chantal. “Tu étais la plus belle, tout le monde t’admirait quand je te promenais dans ton landau”, dit la mère. “Maman, mamieke, toi aussi tu étais belle, j’étais fière de toi quand tu venais me chercher à l’école”, répond Chantal. Passent aussi les souvenirs de la guerre, de la mention “juif” sur la carte d’identité, de l’absurdité cruelle de rencontrer l’antisémitisme en Belgique alors qu’on est venu dans ce pays pour y échapper. Chantal se souvient aussi de l’école juive d’où son père l’a un jour arrachée parce qu’il en avait marre des religieux et parce qu’il considérait que si Chantal y avait de très bonnes notes, c’est que cette école ne devait pas être si bonne ! Toute une vie, une histoire, de l’histoire, qui défilent par bribes, ces bribes qui restent avec l’être cher quand on sait que sa fin est proche. Et toujours la cuisine, lieu des repas et de la parole. La cinéaste n’est que furtivement présente à l’image (car elle est évidemment plus mobile que sa mère sur qui sont centrés les plans), mais omniprésente au son, et c’est une joie profonde que d’entendre sa voix pétillante de vie et d’intelligence avec son grain tabagique et ses chuintements caractéristiques. La mère ne sort plus de l’appartement, mais sa fille cinéaste a toujours la bougeotte. Des plans de désert (qui rappellent la dette du Gus Van Sant de Gerry envers Akerman), des échanges par Skype ponctuent le huis clos mère-fille bruxellois. Ces images de désert muettes, minérales, semblent n’avoir aucun rapport avec le cœur du film, mais la logique de cinéma d’Akerman est poétique, pas du tout prosaïque, causale : ces images de pierres, de sable et de vent, vierges de traces humaines, expriment un état mental, l’angoisse d’une désertification affective à l’approche de l’inéluctable. L’inéluctable survient bien sûr, mais n’est pas filmé. Akerman a trouvé d’autres solutions, cinématographiques : une chambre où on tire les rideaux, un long plan muet de l’appartement (à droite la cuisine, à gauche le salon) désormais vide, faisant écho aux images du désert. Le silence après la parole. L’absence après la présence. Rien n’est dit, tout est dit. Ce qui s’appelle savoir filmer l’indicible. Quand Chantal Akerman a tourné ce film, quand elle l’a montré à Locarno, savait-elle qu’elle allait volontairement et bientôt (bien trop tôt) rejoindre sa mère ? Découvrir ce film aujourd’hui, c’est évidemment ressentir l’émotion d’un double deuil face à un lien mère-fille qui était si puissant dans la vie qu’il s’est prolongé au cinéma et jusque dans la mort. C’est constater aussi que sous ses dehors superficiels de petit film de famille, No Home Movie est une puissante œuvre récapitulative (comme l’on comprend ce titre !), l’épilogue d’une immense cinéaste en lequel résonnent les échos de Saute ma ville, News from Home, Jeanne Dielman…, Demain on déménage… De la même façon qu’Akerman savait faire entrer le monde dans une cuisine, toute une vie, toute une œuvre essentielle sont contenues dans ces 115 minutes aux procédures élémentaires et aux moyens rudimentaires. Une sortie aussi humble qu’impériale, signée Akerman. Serge Kaganski No Home Movie de Chantal Akerman, avec Chantal et Natalia Akerman (Fr., Bel., 2015, 1 h 55) 24.02.2016 les inrockuptibles 71 08 1056 70 SCINE OUV.indd 71 18/02/16 16:34 Dans ma tête un rond-point d’Hassen Ferhani (Alg., Fr., Qat., P.-B., 2015, 1 h 40) Merci patron ! de François Ruffin A Dans un documentaire culotté, des chômeurs nordistes jouent un bon tour au patron de LVMH, fossoyeur d’emplois de la région. près avoir fondé Fakir, un journal satirique du Nord de tendance libertaire, François Ruffin se lance dans le cinéma avec un documentaire pugnace à la Michael Moore. Tout comme ce dernier s’en prenait, dans Roger et moi (1989), au pdg de General Motors qui avait mis toute la ville de Flint au chômage, Ruffin s’attaque sur le mode de la dérision à Bernard Arnault, directeur de LVMH, coupable selon lui d’avoir participé au démantèlement du tissu industriel du nord de la France en fermant et délocalisant des usines textiles. Dans le cas présent, Arnault a déplacé en Pologne l’usine Kenzo de Poix-du-Nord. Ruffin rend visite à divers chômeurs victimes de cette fermeture, jusqu’au jour où il rencontre la famille Klur, à deux doigts de l’expulsion à cause d’une dette d’assurance qu’elle ne peut pas payer. Ruffin, qui n’a peur de rien, conçoit alors avec cette famille un stratagème pour extorquer la somme à Arnault (une goutte d’eau pour la deuxième fortune de France). Contre toute attente, la manœuvre fonctionne et le couple est sauvé. Au-delà du résultat, de la revanche de classe, le ton véritablement farcesque du comme dans toutes les bonnes farces, on feinte et on se déguise documentaire le distingue du tout-venant des films sociopolitiques. Il y a un vrai sens de la mise en scène dans les tractations du couple Klur avec un émissaire d’Arnault. Comme dans toutes les bonnes farces, on feinte et on se déguise. Lors des entrevues, Ruffin – avec les cheveux décolorés et des lentilles de contact – se fait passer avec un aplomb incroyable pour le fils Klur. L’émissaire ne reconnaît pas Ruffin, qu’il avait pourtant expulsé peu de temps avant d’une réunion d’actionnaires de LVMH. Ces visites sont filmées en caméra cachée. L’envoyé d’Arnault insiste bien sur la confidentialité de ce don : il sera caduc s’il est divulgué. Ce que l’émissaire ne sait pas, c’est que d’un autre côté un conseiller d’Arnault va vendre la mèche en déclarant à découvert devant la caméra de Ruffin que son patron s’est personnellement occupé du cas des Klur. La clause de confidentialité vole en éclats… A côté de la réflexion sociale réelle, irréfutable, juste, le documentaire Merci patron ! a une dimension jouissive en détaillant sur un mode humoristique la victoire inespérée du pot de terre contre le pot de fer. Les dialogues en caméra cachée ont une truculence digne de Molière. D’ailleurs, on verrait très bien cet épisode sous forme de pièce de théâtre. On espère avoir trouvé la relève politico-satirique de Pierre Carles, qui jouait jadis le poil à gratter des puissants. Vincent Ostria Un docu sensible capte la parole des ouvriers du plus grand abattoir d’Alger. Un souvenir récent se rappelle à notre esprit devant Dans ma tête un rond-point : les images de l’association L214 filmées à l’abattoir d’Alès diffusées en septembre. Hassen Ferhani, outre qu’il filme magnifiquement, ne montre pourtant pas la même chose : cette fois, on est avec les hommes, qui relatent leurs histoires, leurs aspirations déçues, les frustrations de la classe ouvrière algérienne, dans les à-côtés de l’usine de mort – pause cigarette, nettoyage, palabres de fins de journée. Ici passent quelques bêtes, lentement suivies par la caméra ; là, d’autres agonisent, à quelques pas d’un technicien indifférent. Que filmer dans les abattoirs ? Grande question partagée par le film et les images d’Alès, dans ces lieux tenus généralement loin des caméras, où se font face une condition prolétaire alarmante et une chaîne de mort industrialisée. Ferhani arrive à merveille à dédoubler le regard, révéler les paradoxes de cette très étrange coexistence de deux systèmes oppressifs, incommunicables l’un à l’autre : celui des hommes entre eux, celui des hommes et des bêtes ; l’un se filme et s’exorcise par la parole, l’autre se tient juste à côté, sanguinolent, impénétrable. T. R. Merci pat ron ! de François Ruffin (Fr., 2 016, 1 h 24) 72 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 72-73 SCINE SEQ.indd 72 18/02/16 16:22 Claire Folguer The Finest Hours C de Craig Gillespie Un film de naufrage élégant et efficace. Une bonne surprise. ape Cod, hiver 1952. Pêcheurs, une mer trop forte. Or ce soir-là, un cargo gardes-côtes et épouses forment s’abîme au large et il ne reste au secouriste à peu de chose près l’unique qu’une coquille de noix et une poignée population de la petite ville littorale de volontaires pour aller porter assistance où commence l’histoire, et à laquelle aux rescapés, eux conduits par le mal-aimé un océan turbulent dicte depuis toujours Ray (Casey Affleck), simple mécano et plus sa cadence. Bernie Webber (Chris Pine, ancien matelot du navire. peut-être un peu trop testostéroné pour Il y a dans The Finest Hours un potentiel le rôle) y est un jeune sauveteur bientôt colossal, mêlant ambition de grand marié, et désireux de faire ses preuves spectacle et rouages d’un profond pour refermer les cicatrices d’une tragique classicisme, ne serait-ce que par l’épaisseur opération avortée un an plus tôt par de l’intrigue – à laquelle il faudrait ajouter 08 1056 72-73 SCINE SEQ.indd 73 un généreux réseau de personnages secondaires infesté de dettes morales et de vieilles rancœurs – et par la splendeur de sa production – éclairage sculptural des décors fifties, soigneusement soutenu par l’image de synthèse dès lors qu’il s’agit de faire rugir les éléments (neige battante, lames de fond). Le compteur de bigger than life est donc dans le rouge dans ce film dont, étonnamment, on avait à peine entendu parler et qui pourtant se place d’emblée en catégorie poids lourds sur la carte du film de naufrage. Un certain sentimentalisme patapouf fait que tout le potentiel reste à un état quelque peu inabouti, balourd là où il aurait pu être ponctuellement fin, mais n’est pas Titanic qui veut et The Finest Hours reste une excellente surprise. Un divertissement hors de toute logique de suite ou de franchise, à l’ambition prononcée mais toujours circonscrite à son genre, grouillant d’intrigues et généreux en spectacle, n’est-ce pas ce dont l’agenda des blockbusters devrait regorger ? Théo Ribeton The Finest Hours de Craig Gillespie, avec Chris Pine, Casey Affleck (E.-U., 2016, 1 h 57) 18/02/16 16:22 Tempête de Samuel Collardey avec Dominique Leborne, Mailys Leborne, Matteo Leborne (Fr., 2015, 1 h 29) Un docufiction âpre et sensible sur les tensions dans la vie familiale d’un pêcheur. e troisième long de Samuel Collardey (L’Apprenti, Comme un lion) n’est ni une fiction ni un documentaire mais une sorte de mélange des deux, où le réalisateur ne met pas en scène sa vie mais celle de ses comédiens. Dominique, Mailys et Matteo Leborne ne sont d’ailleurs pas comédiens professionnels mais jouent ici leurs propres rôles dans une histoire inspirée de certains épisodes réels de leurs vies. Dominique est donc pêcheur en haute mer, séparé de la mère de ses enfants dont il assure la garde alternée. Il s’efforce d’être un père aimant, complice de ses deux grands ados. Il projette d’acquérir son propre bateau et de monter une affaire avec Matteo, son garçon. Avec sa fille Mailys, 16 ans, les relations semblent plus tendues, pleines de silences pesants. Et puis elle finit par lui cracher le morceau : elle est tombée accidentellement enceinte. Comme dans ses précédents films, le regard de Collardey est attentif, précis, sobre, à la fois rugueux et stylisé, ancré dans le réel mais filmé en Scope, un peu dans la veine des Dardenne, ou d’un Ken Loach sans la pesanteur idéologico-moralisatrice. Dans ce film, il regarde autant une communauté de marins-pêcheurs, ses difficultés, sa culture, son mode de vie, qu’une famille légèrement dysfonctionnelle, ses nœuds relationnels, ses affects compliqués (et difficiles à verbaliser), mais sans juger personne : chacun a ses raisons, sa place de personnage. La part la plus saisissante du film réside dans ce que Collardey parvient à tirer de ses acteurs. Jouer, pour les Leborne, c’est rejouer un épisode pas facile de leur vie, et ils s’en sortent très bien, particulièrement la petite Mailys. On ignore les effets de ce tournage sur la vie réelle de cette famille mais il a au moins eu pour résultat un film âpre et sensible. Serge Kaganski C Je ne suis pas un salaud d’Emmanuel Finkiel J Agression, faux coupable, remords : un thriller anxieux, habité avec intensité par Nicolas Duvauchelle. e ne suis pas un salaud, drôle de titre qui dit bien toute l’ambiguïté psychologique de ce drame mêlant violence sociale et spirale paranoïaque, par le réalisateur de Nulle part, terre promise. Nicolas Duvauchelle y joue Eddie, homme à la dérive et au caractère orageux, agressé un soir par une bande de voyous. A sa sortie d’hôpital, il désigne à la police un coupable facile (un jeune Arabe) en exagérant sa certitude à un degré qui nous demeure inconnu. Remis sur pied, il se rabiboche peu à peu avec sa femme et son fils, trouve un maigre travail : tout va non pas pour le mieux, mais au moins dans la bonne direction, à ceci près qu’un garçon probablement innocent est en prison. Les doutes montent, et avec eux les relents de violence. Cette sorte de contagion du mal à tous les niveaux du personnage fait la qualité du film de Finkiel. Duvauchelle incarne cet animal blessé dont les bouffées de brutalité physique et psychologique sont toujours des faiblesses maladroites, symptomatiques d’une dangereuse anxiété ; ce qui est facile à dire mais moins à incarner. De l’intrigue policière, il nous reste ce doute finement entretenu par ce que le film dévoile ou dissimule : que le garçon soit innocent, c’est à peu près certain ; qu’Eddie sache s’il ment ou non, et surtout si cela fait donc de lui un lâche, un raciste ou, donc, un salaud, c’est bien plus indéterminé. Autant d’incertitudes qui permettent à Finkiel de faire de l’intériorité contrariée de son héros une véritable poudrière dont les mises à feu sont d’autant plus marquantes qu’elles carburent à la détresse sociale et au sentiment d’impuissance – gouffres mentaux rendus tout à fait tangibles par un Duvauchelle remarquablement bon dans une déclinaison lose de son ordinaire polar (Braquo), qui lui va justement beaucoup mieux. Théo Ribeton Je ne suis pas un salaud d’Emmanuel Finkiel, avec Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry (Fr., 2015, 1 h 51) 74 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 74-75 SCINE SEQ.indd 74 18/02/16 16:41 Aurora de Rodrigo Sepúlveda avec Amparo Noguera, Luis Gnecco (Chili, 2014, 1 h 23) Dans un Chili contemporain hanté par son histoire politique, une femme adopte un enfant mort. Un film troublant. ’est le troisième toutes ses pensées, elle évidemment l’histoire film du Chilien peut changer de physique et politique du Chili, ces Sepúlveda, interprété d’âge d’une scène à l’autre), mères qui continuent, par la grande actrice une grande sobriété, de plus de quarante ans après, Amparo Noguera, que la distance par rapport au à rechercher et parfois nous avons vue dans sujet – sans jugement, sans retrouver les restes de leurs les films de Pablo Larraín. compassion excessive –, enfants, torturés et exécutés Aurora, inspiré de faits réels, une absence de pathos par la junte militaire de raconte l’histoire d’une et de dramatisation, des Pinochet. Sophia est bien institutrice quadragénaire, personnages intelligents, sûr une Antigone moderne. Sophia, qui connaît avec son très conscients de ce qui Dans la plupart des mari aimant les difficultés advient même quand les civilisations, les humains, classiques pour adopter raisons leur en échappent. depuis au moins une un enfant. Le jour où Sepúlveda n’évite pas les centaine de milliers l’on retrouve un cadavre causes psychologiques qui d’années, comme d’autres de nouveau-né dans expliquent en partie le geste grands singes semble-t-il, une décharge publique, et l’obstination de Sophia. ressentent le besoin elle décide de l’adopter Mais il n’insiste pas. Il évite d’ensevelir leurs morts dans puis de l’enterrer. Elle va intelligemment la question la terre afin que ceux-ci se battre contre vents religieuse, absente chez puissent demeurer en paix. et marées pour y parvenir. Sophia. L’arrière-fond social Comme le dit Sophia : La qualité du film est présent : l’avortement “Etre humain, ce n’est pas tient à sa mise en scène : n’est pas légal au Chili, naître. C’est l’enterrement.” des acteurs incroyables (le la situation économique C’est beau et troublant. Jean-Baptiste Morain visage de Noguera reflète difficile. Et puis il y a aussi C Pattaya de Franck Gastambide avec lui-même, Malik Bentalha (Fr., 2016, 1 h 37) Autour de l’attrait touristique de la Thaïlande dans les cités françaises, une comédie portée avec entrain par son réalisateur-interprète. Végétant depuis trop longtemps à l’ombre de ses vieilles gloires, voilà soudain la comédie de banlieue gagnée par un petit vent de fraîcheur qu’on n’avait pas vu venir. Entre sa silhouette bodybuildée et sa petite voix ingénue, Franck Gastambide joue avec classe et humour de ses propres paradoxes (mi-Vin Diesel, mi-babtou fragile) et se met en danger d’une façon réjouissante et assez nouvelle. Avec son condensé parodique de rap culture livrée brute, échappant on ne sait trop comment à la logique normative pour sauvegarder une vraie sincérité, Pattaya se dégage du reliquat pourrissant de la comédie banlieusarde et aère le genre sur les plages thaïlandaises, où les deux héros sont venus s’échapper loin de leur 94. Pas de chef-d’œuvre – le film manque d’une vraie locomotive au casting – mais en effet un parfum de vacances, ainsi qu’un coup d’œil précieux sur un phénomène méconnu mais bien réel, et assez fascinant : le boom touristique pour la Thaïlande (le “paradis des cailleras”) dans les cités françaises. T. R. 24.02.2016 les inrockuptibles 75 08 1056 74-75 SCINE SEQ.indd 75 18/02/16 16:41 affaire non classée L David Duchovny et Gillian Anderson La série majeure des années 1990, X-Files, revient pour six épisodes et choisit de se ressembler. Pour quel résultat ? ’actu séries de ce mois de février est à peu près la même qu’en 1996. Un brun, Mulder, porté vers l’imaginaire (“I want to believe”, “Je veux croire”, reste son mot d’ordre passionné), et une quasi-rousse aux élans sceptiques confirmés, Scully, forment un couple qui ose à peine se toucher. Ensemble, ils parcourent l’Amérique des couloirs sombres et des caves, des déserts et des diners, tentant de résoudre des affaires étranges où le surnaturel se mêle à d’étranges complots politiques, cherchant surtout le moyen de se toucher quand même un peu. Les X-Files sont vivants et personne ou presque ne s’y attendait, treize ans après une première fin de transmission. La Fox avait mis un terme à la série de science-fiction et de mythologie la plus aimée des nineties en 2002, au bout de neuf saisons. C’était déjà long, beaucoup le reconnaissaient. Depuis, le film adapté de la série n’avait pas ranimé le désir. On parlait de X-Files au passé. On rappelait que Vince Gilligan, monsieur Breaking Bad, y avait fourbi ses premières armes dans la salle d’écriture, tout comme Howard Gordon (24 heures chrono, Homeland). On y voyait un emblème de l’époque où les séries ne traversaient pas encore ce que les critiques allaient appeler l’âge d’or. Avant Oz et Les Soprano, la création de Chris Carter régnait tranquillement sur la sériephilie – même si le mot n’existait pas encore vraiment – en compagnie notamment d’Urgences, NYPD Blue ou Homicide. Vingt ans après, tout a changé, mais rien n’a changé. Voilà à peu près le message que font passer Mulder et Scully dans la minisérie événementielle en six épisodes qui marque leur come-back. Le générique est toujours là, la musique de Mark Snow également. Réanimer les récits qui ont bercé notre passé commun suppose selon Chris Carter de ne pas plaisanter avec les signes. L’atmosphère générale de ces X-Files 2.0 reste fidèle à l’ancienne mouture jusque dans la variété de ton entre les épisodes et même à l’intérieur de certains d’entre eux. En un clin d’œil, on passe d’un comique badin à une histoire de monstre, avant de frayer dans les terres les plus sombres de l’expérience humaine – le deuil, la perte, l’irrémédiable victoire de la mort. La manière qu’avait la série de se situer d’elle-même dans la lignée des classiques comme La Quatrième Dimension fait toujours partie de l’ADN du show, pour la noirceur fondamentale de l’original se trouve renforcée par la violence et le dénuement contemporains le meilleur, comme dans le facétieux et séduisant épisode 3 de cette dixième saison, écrit et réalisé par Darin Morgan. Tout ne fonctionne pas dans ce retour des X-Files, notamment les grands moyens narratifs balourds employés par Carter en début de saison pour justifier un retour aux affaires. Esthétiquement, la série fait comme si le reste de la production télé n’avait pas changé et cela peut provoquer un effet rétro moyennement exaltant. Mais dans le fond, ces X-Files-là, politiquement et socialement acérés, ne vivent pas dans un autre monde que le nôtre : la noirceur fondamentale de l’original se trouve renforcée par le dénuement et la violence contemporains. Du point de vue intime, ce qui était moins intéressant il y a quinze ans – l’enfant commun de Mulder et Scully, aspect très controversé des dernières saisons – est devenu le cœur battant de la série, son point d’ancrage émotionnel (bel épisode 4). Du temps passé, Chris Carter tire le maximum, multipliant les références au vieillissement de ses héros, qui se laissent faire avec joie. L’autoparodie n’est jamais loin, la profondeur non plus. Etant donné le succès des épisodes diffusés aux Etats-Unis, il se pourrait qu’on n’ait pas fini d’entendre parler de Mulder et Scully. Olivier Joyard X-Files saison 10 à partir du jeudi 25, 20 h 55, M6. Nuit spéciale avec diffusion de dix épisodes historiques à partir de 22 h 40 76 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 76-77 SERIES.indd 76 18/02/16 17:37 element of crime Il n’y a pas que Faites entrer l’accusé dans la vie : les séries s’emparent aussi des grandes affaires criminelles, comme celle d’O. J. Simpson. i la plupart de vos dîners alcoolisés de ce début 2016 se sont terminés en pugilat verbal à propos des mésaventures de Steven Avery, héros malgré lui de la série documentaire Making a Murderer, sachez que votre addiction s’inscrit dans un moment de l’histoire de la télé qui prend une ampleur nouvelle. L’essor du true crime, le récit visuel ou littéraire d’histoires criminelles réelles (dont l’un des exemples historiques reste De sang-froid, écrit en 1965 par Truman Capote), semble inéluctable. L’année dernière, HBO avait sidéré l’Amérique avec The Jinx, un autre docusérie au scénario renversant. La fiction prend aussi sa part du gâteau. L’une des séries les plus fortes S 08 1056 76-77 SERIES.indd 77 John Travolta, David Schwimmer et Cuba Gooding Jr. du moment – malgré sa discrétion – s’appelle American Crime (Canal+ Séries). La création de John Ridley étudie chaque saison une affaire différente, un meurtre dans la première, un viol dans la seconde, avec une minutie et une hauteur de vue incroyables. Même si, concrètement, elle n’appartient pas au genre du true crime car les histoires sont inventées, American Crime fait tout pour y ressembler, au prix d’une documentation très poussée. La documentation, American Crime Story (à ne pas confondre avec sa quasi-homonyme, donc…) en utilise à foison, notamment un livreenquête de Jeffrey Toobin. Cette nouvelle série anthologique s’intéresse à l’arrestation et au procès ultramédiatique d’O. J. Simpson, star du football US soupçonnée du meurtre de son ex-épouse et d’un ami. L’affaire a tenu l’Amérique en haleine au milieu des années 1990, avec une diffusion en direct sur la chaîne Court TV. Déjà à l’origine d’American Horror Story – American Crime Story en est la version criminelle : à quand “American Love Story” pour équilibrer le tout ? –, le très malin Ryan Murphy (Glee, Nip/Tuck) fait revivre ce moment particulier de l’histoire de la justice et de la culture des célébrités. En ouvrant le premier épisode sur des images des émeutes de 1992 à Los Angeles, il n’oublie pas la dimension politique et raciale de l’affaire. De la nuit des meurtres à la conclusion du procès, rien ou presque n’est mis de côté. Aussi brillante dans sa construction que parfois outrée dans sa manière de cerner la psychologie des uns et des autres, American Crime Story remporte la partie grâce à ses comédiens. Si Cuba Gooding Jr. incarne un O. J. un peu monolithique, John Travolta et Courtney B. Vance détonnent dans leur costume d’avocat. Mais c’est David Schwimmer qui impressionne le plus. Dans la peau fragile et émotive du meilleur ami de Simpson, Robert Kardashian (père de Kim !), l’ex-Ross trouve son meilleur rôle depuis Friends. Une belle surprise. O. J. American Crime Story chaque mardi sur FX. Prochainement en France 18/02/16 17:37 d’amour tendre Avec son quatrième album, le jeune Allemand caché sous le nom de Get Well Soon a mis la pédale douce sur ses penchants pour l’emphase. Love reste toutefois une sacrée épreuve pour les cœurs sensibles. D Ecoutez les albums de la semaine sur epuis le XIXe siècle, depuis Beethoven, Schumann ou Brahms, le romantisme allemand a pris, il faut bien le reconnaître, un sacré coup de pompe dans le violon. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’âme allemande, réduite à sa caricature autoritaire et forcément martiale, n’a imprimé en mémoire quasiment que des souvenirs de musiques anguleuses, insurrectionnelles ou glaciales, laissant peu d’espace pour les sentiments. Même (surtout) le rock ou la pop germaniques n’ont jamais rendu à ces glorieux ancêtres échevelés la politesse de leur beau désespoir. Aussi, depuis la fin des années 2000, Konstantin Gropper apparaît, derrière le masque de Get Well Soon, comme une exception chérissable, lui qui a réussi à faire en sorte que Rammstein ou la techno minimale ne soient pas les seuls produits d’exportation musicale dont puisse se féliciter la Chancellerie. Alors que paraît le quatrième album de sa formation fantôme, Gropper est catégorique : “Oui, je suis un romantique, dit-il. Dès l’origine de ce projet, dès le choix de ce nom (“prompt rétablissement” – ndlr), il y avait cette propension au romantisme qui a toujours guidé mes choix. La musique dépourvue d’émotion ne m’attire pas. On peut coller plein de choses derrière le mot ‘romantisme’, mais pour moi c’est avant tout un état émotionnel que j’essaie de traduire en musique.” Alors, après avoir tourné longtemps autour du sujet, Konstantin s’est résolu à y plonger tête la première en intitulant le nouvel album Love. “J’ai su dès les premières notes composées pour ce disque que l’amour en serait le sujet central. Il fallait bien que je me rattrape, après un précédent album où il n’était question que de fin du monde, de choses très sombres qui me traversaient l’esprit à l’époque.” On n’en saura pas plus sur les tourments de ce jeune Werther 78 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 78 SMUS OUV.indd 78 18/02/16 15:18 un orfèvre distingué pour lequel une simple ballade prend vite la tournure d’une symphonie de poche moderne, mais on sait en revanche qu’à seulement 33 ans la palette des sentiments qu’il a déjà mis en musique constitue l’un des grands trésors de la pop contemporaine. Depuis 2008 et son déjà impressionnant manifeste introductif (Rest Now, Weary Head! You Will Get Well Soon), on a pris goût aux traversées tempétueuses dans lesquelles nous embarque ce songwriter grand luxe, solidement harnaché à sa formation classique (violoncelle, piano, orchestrations) mais qui aura dérivé, parce qu’il était de son propre aveu “trop paresseux”, vers les continents de la pop enflammée à la Divine Comedy et du folk lyrique façon Beirut. Avec les lumineux et exaltés Vexations (2010) et The Scarlet Beast O’Seven Heads (2012), Gropper a mené sa frégate fabuleuse jusqu’à une forme d’absolue perfection qui pouvait laisser craindre une baisse de régime. Alors, pour calmer ses ardeurs, il a décliné sur quatre ep, sortis en 2014, toute la palette de son savoir-faire, allant jusqu’à consacrer l’un d’entre eux à des reprises surprises, de Careless Whisper (George Michael) à Rocket Man (Elton John) en passant par Always the Sun (The Stranglers). “J’ai découvert assez tardivement la pop. Ma principale source d’inspiration, jusqu’à présent, avait été le classique et les musiques de films. Pour l’écriture de Love, je me suis plongé dans la pop des années 70 et 80, j’ai écouté Tom Petty, Fleetwood Mac, les Pet Shop Boys, autant de choses pour lesquelles j’avais montré, à tort, une forme de dédain.” Plus sobre et direct que les précédents, Love ne sonne pourtant pas comme un album pour routiers yankees, ni comme un pastiche de l’electro-pop eighties, mais comme du Get Well Soon qui aurait subi une légère cure d’amaigrissement et découvert les vertus de la modestie. L’écriture est toujours aussi subtile, complexe, mais sans artifices frimeurs, et l’enveloppe évite tout débordement qui aurait pu engloutir la fragilité du sujet. “Auparavant, les arrangements, la mise en scène, c’était la première de mes préoccupations, et je composais en pensant d’abord aux orchestrations. Cette fois, j’en suis revenu au piano et à la guitare comme seuls guides. Les arrangements sont apparus dans un second temps.” Celui qui avoue que Nirvana l’a détourné de ses études classiques – “même si ça ne s’entend sans doute pas dans ma musique” – demeure un orfèvre distingué pour lequel une simple ballade prend vite la tournure d’une symphonie de poche. Les grandes performance de l’album ont trait aux modulations de sa voix, haut perchée sur le tubesque It’s a Catalogue et ses chœurs en canon, plus ourlée et capiteuse sur It’s Love, où il chante presque comme Mark Lanegan, Gropper s’amusant même à taquiner Morrissey sur son terrain (Eulogy, I’m Painted Money), sortant pour l’occasion des guitares effervescentes (Marienbad) rarement invitées sur ses autres disques. Il se trouve qu’en enregistrant Love Bowie était pour Konstantin l’un des principaux points d’ancrage, ce qui se devine d’ailleurs en filigrane de chaque chanson. “Il est l’une de mes deux plus grosses idoles de toute l’histoire de la culture, l’autre étant Stanley Kubrick. Pour des raisons identiques, car ce sont deux artistes qui se sont appropriés des genres déjà établis pour en devenir aussitôt les maîtres. Le troisième de mes héros se nomme Ennio Morricone, j’espère qu’il va vivre encore longtemps.” Christophe Conte album Love (Caroline/Universal) concerts le 14 avril à Paris (Gaîté Lyrique), le 15 à Tourcoing, le 16 à Lyon, le 17 à Annecy, le 18 à Grenoble youwillgetwellsoon.com 24.02.2016 les inrockuptibles 79 08 1056 78 SMUS OUV.indd 79 18/02/16 15:18 Willi Dorner/Hervé Lassïnce vivement le Printemps Entre un hommage foufou de Lady Gaga (photo) à Bowie et une prestation littéralement enflammée de Kendrick Lamar, la 58e cérémonie des Grammy Awards, qui se déroulait le 15 février à Los Angeles, a finalement consacré les événements musicaux de l’année 2015. Le palmarès couronne ainsi Taylor Swift (1989, album de l’année), Ed Sheeran (meilleure chanson avec Thinking out Loud), Meghan Trainor (meilleure découverte) et bien sûr Kendrick Lamar, qui remporte cinq Grammy (dont celui de meilleur album rap). Presque aussi sexy que les Victoires de la musique… En 2013, le monde de la pop a tremblé avec Night Time, My Time, le premier album de Sky Ferreira. Il tremblera une nouvelle fois cet été avec Masochism, son deuxième, déjà annoncé mais repoussé car la principale intéressée ne le trouvait pas assez “honnête”. Dans une interview à Dazed & Confused, elle confirme que son album ne sera terminé que “quand elle se sentira à l’aise avec”. Pokemon sur vinyle Après Zelda et Mega Man, Moonshake Records s’est amusé à éditer les mélodies du jeu vidéo Pokemon sur vinyle. A l’occasion des 20 ans de la franchise (putain, 20 ans), on pourra donc retrouver les “bip bip” mythiques avec tout le confort de sa platine. Joie régressive mais sincère chez les moins de 30 ans. la caravane passe Belle moisson de saison pour les musiques du désert : en plus du discret mais excellent album Tumastin d’Amanar (sur le label Sahel Sounds), le fameux Bombino (photo) s’apprête lui aussi à sortir son nouvel album, Azel (le 1er avril). Etabli en Belgique, Kel Assouf publie début mars un album très rock, Tikounen. Et fin avril paraîtra le premier album d’Imarhan, autre groupe touareg parrainé par les vétérans Tinariwen, qui eux travaillent en ce moment à l’enregistrement de leur prochain album, au Maroc. neuf The Cars Jennifer Stenglein Martinguerre Sara Hartman Sky Ferreira maso Ron Wyman les Grammy clôturent 2015 Du 12 au 17 avril, le Printemps de Bourges revient avec une programmation toujours défricheuse. Dans cette 40e édition, les meilleurs espoirs de la pop française – Flavien Berger, Grand Blanc, Bagarre, Salut C’est Cool (photo)… –, du rap (Nekfeu, Bigflo & Oli, Georgio) ou des sensations venues d’autres horizons (Noiserv, Bachar Mar-Khalifé). En bonus, des têtes d’affiche dont Louise Attaque, Jeanne Cherhal et Dominique A, ainsi qu’une création originale du drôlissime Vincent Dedienne. printemps-bourges.com Révélée récemment au festival Eurosonic, à Groningue, Sara Hartman fait dans un genre de pop qui parle à tout le monde, façon Lorde ou Lana Del Rey. Elle navigue entre New York et Berlin mais c’est le monde entier qui lui ouvrira bientôt les bras : Sara Hartman est une future star. sara-hartman.com Produit par Peter von Poehl, le premier ep de Martinguerre est bien parti pour enrichir la carte du folk hexagonal. Car oui, malgré ses airs d’explorateur du Grand Nord, Martinguerre est le projet d’un garçon français dont la voix, fragile et chaude, a tout pour égayer l’hiver. facebook.com/martinguerremartinguerre Alex Harvey Pas moins de 14 CD, remplis à ras bord de 217 morceaux, ont été utiles pour contenir l’effervescence créative de cet Ecossais extravagant, qui fut un temps le perturbateur du glam-rock. Ses albums solo, ceux du Sensational Alex Harvey Band et beaucoup de raretés sont au programme de ce coffret gargantuesque. The Last of the Teenage Idols (Universal), le 18 mars Connu essentiellement ici pour son tube Drive, le groupe du brillant Ric Ocasek mérite plus d’attention et un retour sur ses albums des années Elektra, réunis dans un coffret de 6 CD. De The Cars (1978) à Door to Door (1987), une bonne dose de pop érudite et mainstream, qui a eu une grosse influence sur l’indie-rock américain. The Elektra Years (Warner), le 11 mars vintage 80 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 80 SMUS SEQ mur.indd 80 18/02/16 17:43 Bamako debout es chansons qui abordent le thème des migrants et des réfugiés, on commence à en voir affluer. M.I.A. et PJ Harvey en ont faites. Peut-être même que Renaud en a une toute moisie sous le coude. Mais la plus évidente et la plus essentielle, c’est Rokia Traoré qui la chante. C’est Né So, qui donne son titre au sixième album de la chanteuse-guitariste malienne. Une chanson parlée, qui déroule des statistiques comme un bulletin d’informations, et dont le refrain dit “Une maison, des habitudes, un futur”. Cette chanson en impose par sa simplicité mais elle ne tirera pas de larmes. Pas le genre de Rokia Traoré d’en rajouter dans le pathos ou l’émotion. C’est même ce qui fait son style depuis ses premiers disques : la retenue, la sobriété, la distance, l’épure. Ici encore, peu d’instruments, une voix acérée et des chœurs qui donnent le frisson. Sa musique est enracinée en Afrique, mais avec les instruments et la production du rock. “Je n’ai pas commencé la musique pour faire de la musique africaine, je ne sais pas jouer de musique traditionnelle”, nous disait-elle à l’époque de son précédent album, qui s’appelait Beautiful Africa. Une façon de définir un chemin qui n’est jamais un retour aux sources, ni une fuite vers l’inconnu, plutôt une synthèse, un alliage, des allers-retours dans une contrée esthétique qui n’appartient qu’à elle. Né So est dans la même veine que Beautiful Africa. Encore produit par John Parish, et encore un peu plus minéral et dépouillé. “Né So” veut dire “chez moi”. Ça parle donc du monde contemporain, celui qu’on voit au journal télé, mais aussi de Rokia Traoré elle-même. Fille de diplomate, habituée à séjourner dans les grandes villes occidentales, elle avait décidé en 2009 de s’installer à Bamako, d’y élever son fils et d’y développer la fondation de soutien aux musiciens qu’elle a créée. Les crises politiques et guerrières ont bouleversé ses plans. “C’était une période de turbulences, pour le Mali et pour moi. Avec la fermeture des écoles pendant six mois, je suis revenue en France avec mon fils, pour qu’il termine son année scolaire. J’étais investie dans des projets pour ma fondation au Mali. Ce sont les histoires banales d’une vie, rien d’extraordinaire, mais ajoutées à la crise peu d’instruments, une voix acérée et des chœurs qui donnent le frisson Danny Willems D Produit une nouvelle fois par John Parish et porté par de jeunes musiciens de jazz, le sixième album de la Malienne Rokia Traoré joue la carte du dépouillement et de la justesse. de l’industrie du disque, elles m’ont fait me questionner. Pourquoi continuer ? J’ai envisagé de faire un break, et c’est mon fils qui m’a poussée à continuer. Il avait 6 ans, il m’a dit : ‘Ce n’est pas une option, tu es chanteuse, on ne change pas de métier comme ça.’ Au bout de quinze ans de carrière, je me prenais enfin pour une artiste. Il avait raison.” Avant la fin de la tournée de Beautiful Africa, Rokia Traoré a organisé des auditions pour recruter de nouveaux musiciens en Afrique de l’Ouest. “Cette nouvelle équipe m’a donné envie d’enchaîner tout de suite avec l’enregistrement d’un album. Ce sont des musiciens qui viennent du jazz, ils sont dans la modernité et ont envie de faire carrière. Et ils ont tous autour de 25 ans, je me retrouve pour la première fois à être la plus âgée du groupe !” Tel le roseau dont elle a la fine silhouette, Rokia Traoré est du genre qui plie mais ne rompt point. Après la tempête, elle retrouve son cap et avance avec Né So, plus effilée que jamais. Stéphane Deschamps album Né So (Nonesuch/Warner) concerts le 25 février à Paris (104), le 27 à Dunkerque, le 5 mars à Amiens, le 9 à Arles, le 10 à Toulouse, le 12 à Fontevraud, le 25 juin à Moissac, le 28 octobre à Paris (Trianon) rokiatraore.net 24.02.2016 les inrockuptibles 81 08 1056 81 SMUS SEQ.indd 81 18/02/16 15:18 Wild Nothing Life of Pause Gontard ! Repeupler Ici, d’ailleurs Après trois mixtapes dévoilées chez les passeurs de La Souterraine, l’œuvre bordélique et bouillonnante du Valentinois se matérialise enfin dans un premier album. chantillonnant des bouts qui se moque de “la France de musique depuis tout des épiciers” – celle qui ne parle petit et sur toutes formes presque plus de politique mais de supports, Nestor Gontard s’éclate à droite toute dans met en œuvre son amusement les urnes et qui nous met dedans musical et vaguement clandestin depuis vingt ans –, et l’autre qui depuis qu’il a un peu plus serait un message plein d’espoir, de 20 ans. Après avoir beaucoup prêt à chasser le fatalisme (trop ?) observé et disséqué, avec une lampe-torche : plutôt que à un âge où l’on est censé être de passer des heures devant acteur, lui vient l’urgence son miroir facebookien, en pleine de gratter là où ça faisait mal, blessure narcissique, pourquoi de mettre des mots sur des ne pas pousser la porte sons, et surtout sur ses troubles. de nos centres sociaux, nos vieilles Caché derrière son masque MJC qui sont en train de crever ? de lapin, ce chroniqueur part de Et c’est justement pour donner l’intime, de la névrose personnelle plus de résonance à ses paroles (un amour perdu, une lettre à que Gontard ! les scande plus qu’il sa fille, un ami resté au bled) pour ne les chante, dans un talk-over aller vers des névroses collectives qui ne laisse pas en reste ses plus engagées, y révélant un mélodies. Compilant certains de Gontard ! encore persuadé que ses meilleurs titres, revus et rejoués l’on peut changer bien des par un groupe de desperados choses positivement dans ce pays. (et invitant la guitare mandole Gontard ! baptise son album d’un musicien algérien, star chaâbi Repeupler, et on peut lire ce titre des années 1970), ce premier sous deux angles : l’un ironique album leur donne une nouvelle vie et développe un imaginaire social, politique et amoureux qui n’est rien d’autre que son histoire. Imprimée et accompagnée de collages dans un fanzine dédié de 24 pages, cette histoire prend tout son sens. Abigaïl Aïnouz E gontard.bandcamp.com Romain Lejeune wildnothingmusic.com Shawn Brackbill Emoresh Bella Union/Pias Entre revival eighties et futurisme, le rock élastique et mutant d’un Américain dandy-punk. Tout à coup, Life of Pause s’envole. Le single éponyme du troisième album de Wild Nothing – le groupe de Jack Tatum, inimitable voleur de sons, génie trentenaire déjà emballant avec Nocturne, son deuxième disque sorti en 2012, collé aux Smiths – est désopilant, joyeux et lyrique. Il caractérise à lui seul l’essence et l’ossature du projet porté par l’Américain, qui virevolte entre les époques, picore les guitares de My Bloody Valentine, repère les éléments marquants de MGMT, débroussaille les synthés pop et anglo-saxons du dernier quart du XXe siècle. A l’arrivée, Wild Nothing signe son enregistrement le plus abouti, alternant les ombrages nostalgiques (Adore), le groove sans trop en faire (Whenever I), les ballades et la danse (TV Queen), donnant à ses accents eighties une rumeur de futur, un soupçon emballant de “ce sera mieux demain”, glissé entre les notes de ses refrains sucrés. Gourmand. 82 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 82 83 SMUS SEQ.indd 82 18/02/16 15:19 Tuff Love Resort Lost Map/Caroline/Universal Noisy et radieuse, de la pop magnifiquement incompétente venue d’Ecosse. uand Ride embarqua la matrice d’un son et d’une écriture récemment les Ecossaises qui allaient se radicaliser sous de Tuff Love en première les mines hostiles de The Jesus & partie, le choix semblait Mary Chain ou My Bloody Valentine. parfaitement logique. Voici deux Mais de l’histoire, Julie, Suse groupes pratiquant un shoegazing et leur batteur Ian s’en moquent onirique, noyant leurs mélodies comme de leur premier T-shirt tournantes dans des échos à rayures, que le groupe de cathédrale, rebondissant contre semble collectionner. Pourtant, un mur du son caoutchouteux, sans leur musique, si simple, si directe, angles, sans la moindre dureté. De si outrageusement pop n’est la pop jouée aux limites du vacarme, sans doute pas le résultat d’une du larsen, du bruit blanc, mais tout table rase, d’un refus intime en douceur, en langueur. de la prétention, la surproduction La logique était sonique, et l’entassement des pistes mais pas visuelle : on pense même de studio qui transforment la pop que Julie et Suse, les deux âmes en Bibendum, prétentieux en plus, espiègles de Tuff Love, n’étaient le con. Non, elles jouent aussi même pas nées à l’époque où candide parce que c’est tout Vapor Trail de Ride triomphait dans ce qu’elles arrivent à tirer de leurs ce qu’on appelait alors les charts maigres alliés – une fuzzbox, indie – des mots que l’on ne trouve des pédales qui dégueulassent plus que chez les antiquaires. le son, des voix à gorges déployées, Pour tout dire, les filles de Tuff Love radieuses comme un colibri pourraient être celles de Lush le jour du soleil. Parce qu’elles et Ride, deux des leaders sont sans doute incompétentes. de la guitare surmenée d’alors. Il faut donc protéger Par contre, la tradition dont ces chansons précieuses dans elles sont issues est largement leur maigreur, leur dénuement, plus ancienne que Ride. leur ignorance, les empêcher Elle est écossaise et remonte à de fréquenter un jour les peinedes groupuscules dont les femmes à-jouir qui leur diront qu’on avaient retroussé leurs manches, ne fait pas comme ça. Alors que si, histoire de caresser au papier les singles compilés par de verre des guitares qui en ce premier album le rappellent en gémissaient d’extase. On pense hurlant, en crissant, en dévissant, aux très influentes – même en riant, en jouissant : c’est si trop méconnues – Strawberry comme ça qu’on fait. JD Beauvallet Switchblade, aux Shop Assistants, reallytufflove.com aux plus mixtes Pastels : Q 24.02.2016 les inrockuptibles 83 08 1056 82 83 SMUS SEQ.indd 83 18/02/16 15:20 Her Magic Wand Electric Dream/Modulor La pop baroque d’un Français très doué pour l’évasion. Le nom de ce vrai-faux groupe pourrait se traduire par “Sa Baguette Magique”. Et elle efface la réalité, la grisaille, les angles saillants, la pesanteur de tout. C’est donc un monde enchanté, une utopie, une fantaisie que Charles Braud et son grand orchestre symphonique (un ordinateur) offrent sur ce premier album plein comme un œuf d’oiseau exotique, multicolore jusqu’à faire tourner les têtes mais n’oubliant pas les nuances plus grises ou mauves de la mélancolie confortable. Car cet album s’écoute comme un baume, un apaisement dans l’urgence et les gnons de 2015 : une fuite en avant qui culmine ici dans l’electro-pop MTV eighties de Draw a Line ou dans le rock plus physique mais tout aussi irréel du tubesque Everything at Once, qui rappelle que Grandaddy fait partie des héros nombreux du garçon. Le son, prodigieux, est l’œuvre d’une élite d’ici (Stéphane “Alf” Briat et Chab) mais le songwriting et ces fouillis d’arrangements n’appartiennent qu’au cerveau agité de Charles Braud. On remercie ce cerveau d’avoir autorisé ces quelques fuites. JD Beauvallet facebook.com/hermagicwand Nick Helderman Everything at Once Bombay Show Your Teeth V2/Bertus Remise à neuf, la formation néerlandaise sort de l’ombre avec un deuxième album à la sensibilité pop. l suffit d’entendre les quatre grinçantes ou quelques clins premières minutes de Show d’œil au grunge explosif de Your Teeth pour comprendre leur compatriote Mozes And The que la musique de Bombay est Firstborn, mais Show Your Teeth, frémissante, nécessaire. Autrefois d’un Slow Motion détonnant à un Bombay Show Pig, le duo devenu Sea taillé pour affoler les campus trio a raccourci son patronyme américains en passant par un mais a indéniablement élargi Love Your Enemies à la souplesse ses idées : Dolly Doesn’t Want to instrumentale indéniable, est Face the Facts s’éloigne ainsi de un deuxième disque à l’efficacité l’influence des Kills et de Blood Red redoutable, implacable même Shoes pour mettre en son une pop dans ses instants les plus amoureuse du vertige, extravagante amples et les plus rayonnants. et cérébrale. Visiblement inspirés, Avec Gold Rush, plus décomplexé les Hollandais gardent de bout et gigotant que jamais, en bout la même fraîcheur et Bombay tient même l’imparable appliquent les règles de bon sens single de 2016 et des années apprises chez MGMT ou Phoenix. à venir. Maxime Delcourt Il y a bien ici et là quelques bombaybombaybombay.com basses lourdes, quelques guitares I Dan Sartain Century Plaza One Little Indian/A+LSO Après le rockabilly et le punk, le songwriter américain explore la synth-pop ténébreuse. Depuis son antre Après un exercice de style Dans une ambiance en Alabama, Dan Sartain façon punk Ramones nocturne éclairée de n’en finit pas de composer, il y a quatre ans, on néons, des beats glaciaux en puisant son inspiration le retrouve métamorphosé portent ces huit morceaux dans le blues, le rockabilly, sur Century Plaza, sous les ténébreux, parmi lesquels le surf ou le garage. traits d’un sombre crooner une reprise possédée A la fois rageurs et synth-pop. Composé d’Alan Vega et, en guise romantiques, les hymnes sur iPad avec GarageBand, d’ouverture, une de cette petite frappe ce nouvel album revisite autoreprise étonnante. Noémie Lecoq au cœur tendre nous l’esthétique du Depeche poursuivent depuis Mode des années 80 dansartain.com une quinzaine d’années. ou du Kavinsky de Drive. 84 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 84 85 SMUS SEQ.indd 84 18/02/16 15:21 Atlanter Jewels of Crime Andreas Kleiberg Amandine Jean Gregg Bréhin Jansen Plateproduksjon Les Norvégiens convoquent le blues du désert africain pour un résultat à faisceaux multiples. Les quatre Norvégiens d’Atlanter ont mis trois ans à enregistrer Jewels of Crime, album concept serti de pierres précieuses. Depuis ses steppes norvégiennes, le groupe convoque le vent du désert africain pour un chaud et froid unique qui n’a pas peur d’allier blues des sables et krautrock allemand. Pour ce faire, Atlanter a invité à Oslo les touaregs maliens d’Imarhan Mali et Sadam, le chanteur de Tinariwen. L’album projette de jolis éclats de lumière (Let it Fade), avec notamment des sorties de morceaux extatiques (Human vs Human), mais aussi quelques rayons un peu plus faibles qui se perdent dans l’obscurité. C’est là le pari beau mais risqué du groupe, “des gens avec des approches et des goûts musicaux différents qui aiment jouer ensemble”. Von Pariahs Genuine Feelings Yotanka/Pias Des Nantais globe-trotters fédèrent shoegaze britannique et grunge américain. es guitares grincent, les structures s’étirent, glissent, dérapent, et les ombres bienveillantes de Ride ou My Bloody Valentine s’invitent en filigrane. Autant dire d’emblée que ce deuxième album de Von Pariahs annonce de solides ambitions et abat de sérieux atouts pour les atteindre. Sans renier les voies ouvertes par son prédécesseur, Genuine Feelings réaménage néanmoins de fond en comble le jeu de piste psychotonique et noisy de la PME bruitiste nantaise. Une rigueur mélodique plus américaine confère notamment une assise ronde et musclée à des titres longs en bouche mais jamais monolithiques. Entre nonchalance contrariée et force éruptive, le morceau-titre Genuine Feelings ou le nerveux Bike Crash caracolent de fait entre smog sonique et giboulées métalliques, sans jamais se départir d’une méticuleuse efficacité. On appréciera également la respiration mélancolique d’Oceanwide et les émotions plurielles de Tough Violence, sortes d’éclaircies inquiètes au cœur d’un ruban d’asphalte aussi fluide que propice. Jean-Luc Manet L concerts le 4 mars à Nantes, le 10 à Lille, le 11 à Rennes, le 12 à Quimper, le 18 à Clermont-Ferrand, le 19 à Nevers, le 24 à Paris (Point Ephémère), le 30 à Angers, le 31 à Saint-Avé, le 1er avril à Joué-les-Tours, le 2 à La Roche-sur-Yon, le 7 à Annecy, le 22 à Rouen, le 30 à Châlons-en-Champagne vonpariahs.com 24.02.2016 les inrockuptibles 85 08 1056 84 85 SMUS SEQ.indd 85 18/02/16 15:21 Marie Planeille la découverte du lab Eddy Le rap hybride et grinçant d’un trublion lyonnais, engagé (malgré lui) dans une époque (pas si) formidable. embre actif du collectif hip-hop L’Animalerie et rappeur-beatmaker pour sa bande de lascars Bavoog Avers : le trousseau d’Eddy, 24 ans, est déjà bien rempli. Plus habitué à sortir en famille et à jouer en meute, cet hyperactif se lance en solo avec Tout Eddy, premier ep révélant une plume de loser éclairé digne de son aîné Orelsan. Rappeur sans ego surdimensionné, ce banlieusard lyonnais à l’humour noir garde la tête bien vissée sur les épaules : “Quand on a une force de frappe médiatique, pourquoi ne pas la transformer en quelque chose de bon ?” Loin des guerres de gangs, les textes d’Eddy révèlent un décalage mordant, évitant le ton sur ton grossier ou parfois cheap. Ironique mais pas résigné, Eddy s’engage à son échelle : “J’aime la politique de solution.” Dans la grosse teuf du clip de 2015, il récite ainsi une satire des jeunes d’aujourd’hui, tournant en dérision la pseudo-liberté des réseaux sociaux, le marketing numérique aliénant, la génération X, Y ou Z qui ne sait plus ni lire ni écrire et se purge dans des fêtes arrosées pour zapper des lendemains pas très enchantés… Ne fuyant pas non plus des causes plus personnelles et sentimentales, on le découvre en plouc ordinaire dans le clip Cabanon. Cerise sur le micro, c’est le Nantais et jeune prodige des potards J.A.C.K qui a mis la main à la pâte pour sublimer les productions de l’ep. Abigaïl Aïnouz Don Cavalli M facebook.com/eddybvgv concert le 27 février au Social Club (Paris) retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com De Profundis A-Rag/Because L Réédition précieuse d’un disque français épris d’Amérique. a mélodie et les mots me sont comme l’album culte d’un obscur venus alors que je roulais vers génie des Appalaches ou du bayou. mon usine. J’ai fait demi-tour De profundis, ça rime avec et n’y suis jamais retourné”, Memphis, et c’est cette histoire-là dit Don Cavalli à propos de sa qui traverse Don Cavalli : Charlie chanson I Won’t Be Coming No More. Feathers, l’arrière-boutique de Sun Et c’est à ce genre d’anecdote qu’on Records, les hillbillies qui voyagent reconnaît le vrai truc. Estimé ces en wagon de marchandise et les dernières années pour deux albums héros oubliés du rock’n’roll primitif. qui lui ont valu d’ouvrir pour Loin du simple hommage ou de la les Black Keys, Robert Plant ou reconstitution, Don Cavalli, sa voix Ben Harper, Don Cavalli avait caverneuse et sa guitare cabossée, commencé dans les années 1990 affirme alors un style, une foi sur la scène rockabilly. Puis, et une classe folles. Le son, dans en 2003, il sortait cet album solo sa pauvreté, est parfait, et toutes confidentiel, De profundis, dont les chansons sont habitées par les la réédition vaut de sacrés voyages fantômes du Tennessee. Don Cavalli dans l’espace-temps. Seize chansons a fait demi-tour, et a trouvé enregistrées chez lui, en banlieue son chemin. Stéphane Deschamps parisienne, mais qui sonnent Pusha T King Push – Darkest Before Dawn: The Prelude Def Jam/GOOD Music Le vétéran du duo The Clipse impose son rap de coke-dealer dans un effort solo magnétique. Faire parler la poudre. sur les irrésistibles beats L’expression sied dépouillés des Neptunes. parfaitement au rappeur Mais depuis que virginien Pusha T, grand son frangin s’est converti pourvoyeur de rimesau christianisme, Pusha T gunshots dédiées à la fée hante seul le hip-hop blanche. Dès le crépuscule mainstream avec de la “crack era” des 90’s, sa cape sombre de “last Terrence Thornton cocaine superhero”. (Pusha T) et son frère Gene Dans le registre de la pure (Malice) n’ont eu de cesse décharge d’agressivité de peaufiner avec leur duo contrôlée, à coups The Clipse une poétique de “yeurr” gutturaux et rêche du trafic de coke, d’allitérations millimétrées montées sur des rythmiques paranoïdes signées Timbaland ou Puff Daddy, le protégé de Kanye West n’a de leçon à recevoir d’aucun MC. A l’instar du sample de Biggie ouvrant ce bal avec le diable, son rap reste “Intouchable”. Eric Vernay concert le 26 avril à Paris (Trianon) 86 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 86 SMUS SEQ.indd 86 18/02/16 15:22 dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com Jessica93 4/3 Paris, Café de la Danse Jim Jones And The Righteous Mind 24/2 SaintAndré-lez-Lille, 25/2 Evreux, 26/2 Paris, Maroquinerie, 27/2 Saint-Avé, 28/2 La Rochelle, 29/2 Bordeaux, 1/3 Jouélès-Tours, 2/3 Lyon, 3/3 Angoulême Joe Jackson 29/2 Villeurbanne sélection Inrocks/Fnac Vald à Nantes L’un des plus grands espoirs du rap français prend d’assaut le pays et part en tournée. L’occasion, immanquable, de (re)découvrir ses titres aussi crétins que polémiques, aussi géniaux que nullissimes. le 27 février aftershow LCD Soundsystem 4/6 Paris, Bois de Vincennes, We Love Green The Libertines 9/3 Paris, Olympia Massive Attack 26 & 27/2 Paris, Zénith Moderat 28/3 Paris, Olympia, 30/4 Marseille, 2/5 Cenon, 3/5 Nantes Nekfeu 13/3 Dijon, 15/3 Marseille, 16/3 Lyon, 18/3 Paris, Zénith, 27/3 Bordeaux, 2/4 Caen, 10/4 Paris, La Défense, 14/4 Bourges, 5/6 ClermontFerrand, 10/6 Argelès, 14/7 La Rochelle Odezenne 25/2 Amiens, 26/2 Orléans, 27/2 Nancy, 11/3 Biarritz, 17/3 La Rochelle sélection Inrocks/Fnac Massive Attack à Paris Impossible de rater le retour du groupe de trip-hop le plus important du monde. Massive Attack entend bien faire entrer Paris en transe à grands coups de mélopées sombres et entêtantes. Sortez vos briquets : leur tournée s’achèvera dans notre capitale, et qui sait, peut-être pouvons-nous rêver à une apparition de Tricky sur scène. les 26 et 27 février PJ Harvey 5/6 Paris, Bois de Vincennes, We Love Green, 3/7 HérouvilleSaint-Clair Rokia Traoré 25/2 Paris, 104, 27/2 Dunkerque, 5/3 Amiens Rover 18/3 Rennes, 19/3 Lorient, 24/3 Paris, Olympia Sage 22/3 Paris, Cigale Savages 26/2 Dijon, 27/2 Lyon, 28/2 Bordeaux, 1/3 Paris, Cigale Son Lux 2/3 Paris, Gaîté Lyrique Suuns 21/5 Tourcoing, 22/5 Bruxelles Temples 18/6 Noisiel, Paris PsychFest Vald 25/2 Jouélès-Tours, 26/2 Troyes, 27/2 Nantes, 11/3 Nîmes, 26/3 Garlan, 14/4 Bourges, 28/5 Laval Xiu Xiu 8/4 Paris, Centre Pompidou King Biscuit Vincent Muller Aline 2/4 Montauban Arkadin 14/3 Paris, Point Ephémère Avishai Cohen 26, 27 & 28/2 Paris, Philharmonie 3/3 Nice, 31/3 BoulogneBillancourt Breakbot 27/2 Audincourt, 2/3 Paris, Cigale, 4/3 Rouen, 5/3 Nantes, 11/3 Reims, 12/3 Montpellier, 17/3 Grenoble Calexico 19/4 Cenon, 20/4 Nîmes, 22/4 Feyzin, 23/4 Strasbourg Chassol 26/2 Calais, 17/3 Niort, 25 & 26/3 La Réunion, 4/4 Ibos, 6/4 Fortde-France, 13/5 Béziers, 24/5 Alfortville Chocolat 28/5 Laval, 5/6 Nîmes The Cure 15/11 Paris, AccorHotels Arena Dream Theater 5 & 6/3 Montreuil, Palais des Congrès Fat White Family 2/3 Paris, Maroquinerie Feu ! Chatterton 5/3 Grenoble, 7/3 Paris, Trianon, 11/3 Strasbourg, 12/3 Dijon, 19/3 Angers, 23/3 Massy, 1/4 Toulon, 2/4 Istres, 4/4 Paris, Trianon, 11/4 Tignes, 30/4 Bourgen-Bresse, 11/5 Paris, Trianon, 28/5 Laval Flavien Berger 5/3 Paris, Gaîté Lyrique, 31/3 Rouen Foals 26/2 Lyon, 29/2 Lille General Electriks 16/3 Feyzin, 23/3 Lille, 31/3 Paris, Trianon, 3 & 10/4 Paris, La Défense, Festival Chorus, 14/4 Limoges Hans Zimmer 14/4 Bruxelles, 23/4 Paris, Palais des Congrès, 31/5 Lille, 1/6 Rouen, 2/6 Nantes, 3/6 Bordeaux, 4/6 Toulouse, 5/6 Orange Jeanne Added 26/2 Cavaillon, 3/3 Périgueux, 6/3 Angoulême, 16/3 Dijon, 18 & 19/3 Marcoussis Les Nuits de l’alligator le 14 février à Paris (Maroquinerie) C’était le soir de la Saint-Valentin, et nous n’étions qu’amour. Amour pour cette soirée d’ouverture de la onzième édition des Nuits de l’alligator, le festival de musiques roots qui fait fondre l’hiver. Amour pour le souvenir de Thomas Duperron de la Maroquinerie, tué dans les attentats du 13 novembre. Amour pour le groupe rouennais King Biscuit, qui remplace à l’arrache un groupe qui a posé un lapin. On n’y perdait pas au change : le duo guitare-chant/violon ravive le blues endiablé et hypnotique, comme on l’aimait chez les dingos du label Fat Possum. Derrière, l’Américain Israel Nash et son groupe font comme si on était à Woodstock un soir d’été : son folk-rock millésimé fait pousser les cheveux, les barbes, et donne des ailes au public, soudain baba. Mission accomplie : on a encore oublié l’hiver à la Maroquinerie. Nous n’étions qu’amour, qui rime avec encore : les Nuits de l’alligator se poursuivent jusqu’au 28 février dans la tradition du rock’n’roll le plus furieux avec Jim Jones & The Righteous Mind, Daddy Longlegs et Dirty Deep, à Paris, Lille, Evreux, Vannes et La Rochelle. Robert Belfour 24.02.2016 les inrockuptibles 87 08 1056 87 SMUS CONCERTS.indd 87 18/02/16 16:20 elle s’en va Une New-Yorkaise de 30 ans plaque tout pour aller en Nouvelle-Zélande. Plume aux revues McSweeney’s et Granta, Catherine Lacey signe un beau premier roman sur un sujet éminemment contemporain : la perte de soi. P ersonne ne disparaît éblouit dès les premières pages. Il y a d’abord ces phrases, ciselées, puissantes, qui gonflent lentement, forment des boucles avant d’éclater en morceaux. Il y a ensuite la narratrice, cette jeune femme qui part à vau-l’eau, bouleversante de fragilité et d’indifférence mélangées, son renoncement au monde comme une forme d’idéal héroïque. Il y a enfin ses mots, ceux qu’elle ne prononce pas, mais auxquels elle songe sans relâche. Tendus, hirsutes, ils deviennent effrayants quand ils glissent vers les zones troubles de la violence et de la folie : “Il a dit Allo, comme si rien n’avait changé dans sa vie, comme si sa vie s’était poursuivie, complète et normale (…) et pendant tout ce temps sa voix ne s’était pas levée pour quitter sa gorge, et son corps n’était pas tombé en morceaux pour s’amonceler en tas sur le sol, et son cerveau ne s’était pas transformé en boue au point de couler par ses oreilles.” On a du mal à croire qu’il s’agit d’un premier roman, tant ce livre impressionne par son style, sa maturité, sa connaissance de l’âme humaine. New-Yorkaise de 30 ans à peine (comme son héroïne), Catherine Lacey s’était fait connaître par ces nouvelles et essais publiés dans des revues comme Granta, McSweeney’s ou encore The Believer. Dave Eggers crie au génie, et on ne peut qu’approuver. C’est l’histoire d’Elyria, jeune scénariste de Manhattan. Un matin, elle fait son sac à dos et elle s’en va. Sans un mot pour son mari ou qui que ce soit, elle embarque pour le bout du monde. On la retrouve au chapitre suivant, faisant de l’autostop en Nouvelle-Zélande. Sur les bords de route, elle laisse le drame qui l’a menée jusqu’ici reprendre possession de son cerveau abîmé. Le suicide de sa sœur adoptive, sa mère alcoolique, son mari devenu au fil des ans un étranger. Malgré le danger qui rôde (ces conducteurs psychopathes potentiels), la solitude et le dénuement, Elyria continue d’avancer. Elle s’égare toujours plus loin, dans ce pays lointain, et en vient à ne plus rien ressentir : aucun désir, presque aucun manque. 88 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 88 SLIV OUV.iidd.indd 88 18/02/16 15:23 Top of the Lake de Jane Campion (2013)/See-Saw Films Catherine Lacey a su donner un visage à ce qui pourrait bien devenir le mal du siècle Elle ne se projette plus dans le temps, ne participe plus au présent. “C’était ça que j’avais voulu tout le temps, réalise-t-elle, disparaître complètement, mais je ne pourrais jamais disparaître complètement, personne ne disparaît ainsi, personne n’a jamais eu ce luxe et personne ne l’aura jamais.” Cette “passion d’absence”, l’anthropologue David Le Breton l’a brillamment analysée dans un essai paru l’année dernière, Disparaître de soi – Une tentation contemporaine (Métailié). Il appelle “blancheur” cet état particulier, hors des mouvements du lien social, où l’on disparaît aux yeux des autres comme à soi-même. Une sorte d’engourdissement généralisé, volonté d’effacement qui, met en garde l’essayiste, “gagne de plus en plus de gens, et est de plus en plus durable”. La force de ce roman, car il s’agit bien ici de littérature, tient pourtant dans la part d’incertain et d’indécis de l’intrigue, cette part de mystère qui pousse l’héroïne à faire un pas après l’autre, comme le funambule de Genet, et tient en haleine le récit. Car Elyria lutte sans relâche contre sa maladie, ce “yack” qui habite en elle, la ronge de l’intérieur. Elle n’a rien perdu de son acuité intellectuelle, le soleil noir de sa mélancolie la rendant même plus lucide sur les gens qui l’entourent. Elle n’idéalise pas non plus son pays d’accueil, résumé en quelques mots lapidaires : “Une ennuyeuse petite montagne, un lac bleu pâle, une station-service, la même que les nôtres, sauf que pas exactement.” Cette conscience d’elle-même, de l’échec de son voyage, son entêtement à poursuivre pourtant, la rendent terriblement sympathique. De même que l’humour noir dans lequel elle sait se réfugier, avec l’énergie du désespoir (quand son mari l’insulte au téléphone, après des mois sans contact, elle s’applique à “essayer de l’écouter, à recevoir ses mots et à les plier comme il faut, à en faire une belle pile lisse et encore chaude, une pile du genre chaussettes et serviettes blanches tout juste lavées” – un subconscient subtilement féministe, face à un individu qui se révélera être un monstre). Catherine Lacey a su donner un visage à ce qui pourrait bien devenir le mal du siècle, du moins en Occident. Etrange et poétique, ensorceleur et presque inaudible, son monologue d’une âme en peine ressemble à une mélopée majestueuse. Dangereux, comme le chant des sirènes, il mène aux bords du gouffre celui qui n’y prend pas garde. Et tandis que la narratrice tombe dans l’anonymat, c’est le patronyme de l’auteur qui interpelle in fine. Car comment ne pas penser à l’autre Catherine Lacey, cette actrice anglaise née en 1904 connue notamment pour son rôle dans le film d’Alfred Hitchcock au titre éloquent : Une femme disparaît (1938) ? Yann Perreau Personne ne disparaît (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Myriam Anderson, 272 pages, 22 € 24.02.2016 les inrockuptibles 89 08 1056 88 SLIV OUV.iidd.indd 89 18/02/16 15:23 Salomon de Izarra Camisole Un hommage à la belle époque de la littérature fantastique, entre les murs d’un asile de fous. Après un premier roman déjà largement apocalyptique, au doux titre évocateur de Nous sommes tous morts, Salomon de Izarra revient aujourd’hui avec un récit tout aussi glaçant. La scène se passe dans un institut psychiatrique installé entre les murs d’un imposant manoir. Le narrateur, comptable de son état, s’y retrouve enfermé par hasard. Une effroyable tempête éclate dans la nuit, électrisant les fous qui se déchaînent, au sens propre, prennent possession des lieux et trucident leurs médecins. Entre les visions d’horreur et les hallucinations du narrateur se met en place alors un subtil jeu de déstabilisation du lecteur. L’auteur, dont on nous dit qu’il prépare une thèse sur l’écriture de l’enfermement, ce qui ne nous étonne pas vraiment au regard de ce qu’il publie, a de toute évidence pris un vrai plaisir à créer ce pastiche lovecraftien bourré de références littéraires, sorte d’hommage aux grands auteurs de littérature fantastique avec dialogues surannés échangés dans des pièces à hauts plafonds et parquets cirés dont les fenêtres donnent sur un parc entouré d’un muret. Il restera ce qui semble être au cœur des obsessions de l’auteur, l’idée d’un potentiel sanguinaire tapi à l’intérieur de chaque être humain. S. T. Catherine Hélié/Gallimard Rivages, 140 pages, 16 € les clichés à poil Pour son troisième roman, Frédéric Ciriez signe une critique ironique de notre société sur fond de naturisme. Q ’est-ce qui relie les manuels de coaching mental, la littérature érotico-sentimentale et les mangas ? Réponse : Frédéric Ciriez, l’auteur déjà remarqué de Mélo, publié chez Verticales en 2013. Ce livre est d’abord un lieu : l’île du Levant, sur les côtes varoises, convertie en un immense camp de nudistes – pardon : d’adeptes de la vie naturelle. Julie, séduisante cadre sup quarantenaire, est venue avec sa fille adolescente, Neko. Toutes deux bronzent sur la plage, Julie plongée dans un ouvrage de coaching mental, Neko dans un manga. Frédéric Ciriez circule entre ce que vivent les deux personnages et les pages de leurs livres, et c’est hilarant. Celui de Julie est signé d’un ancien sportif auteur d’une méthode infaillible pour révéler le potentiel caché en chacun de nous. Au fil des pages, il aligne ses conseils de réussite, absurdes on s’en doute. Julie est enthousiasmée par sa lecture, bien décidée à profiter de ses vacances pour changer de vie. D’ailleurs, elle a rendez-vous avec Giacomo, un bellâtre rencontré sur internet. A ses côtés, Neko avale les cinq tomes de la série Bad Love Hackers. Ici aussi, Frédéric Ciriez s’en donne à cœur joie, échafaudant une tortueuse histoire dans un Tokyo peuplé uniquement de jeunes geeks androgynes. On savourera de la même façon la rencontre de Giacomo et Julie, pur pastiche de littérature érotique soft, accumulant autant de clichés que de positions acrobatiques. On appréciera particulièrement la scène de coït debout contre un grillage chauffé à blanc par le soleil varois, façon barbecue, “le métal qui entrait dans ma peau et me saisissait à vif, comme une viande”. Chaque fois, Frédéric Ciriez fait mouche par son sens de la précision, et son détournement de chaque type de discours met au jour les lieux communs qu’ils véhiculent, les injonctions impitoyables de la méthode de coaching révélant d’autant mieux les limites du culte de la performance. Au final, c’est une analyse critique de notre société que propose Ciriez, à travers par exemple le concours des plus beaux estivants, hommes et femmes défilant nus sur un podium comme lors d’un comice agricole. Ainsi, la nudité de tous, au départ synonyme de liberté, s’avère au contraire lourde de marqueurs sociaux, selon que l’on est svelte et épilé, ou adipeux et rougeaud. Sylvie Tanette Je suis capable de tout (Verticales), 288 pages, 20 € 90 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 90 91 SLIV SEQ.indd 90 18/02/16 15:23 un roman anglais A travers une biographie romancée d’E. M. Forster, Damon Galgut poursuit l’exploration de ses thèmes fétiches, désir et solitude. Erudit et émouvant. uelle est, pour des années à se libérer de à la biographie romancée Ce roman, Route son auteur, la triple emprise des bonnes des Indes, permettra – en la circonstance, celle la visée secrète mœurs, de sa mère et de d’une sommité des lettres en 1924 à E. M. Forster d’un ouvrage britanniques, E. M. Forster – ses inhibitions. d’échapper à sa réputation biographique, sinon En privilégiant les séjours d’auteur de comédies la récurrence des thèmes de parler d’un autre afin de Forster en Egypte témoigne d’une cohérence légères. A la Chambre de mieux se pencher sur et en Inde, L’Eté arctique sans faille. avec vue de ses années soi-même ? Le précédent met l’accent sur le rôle joué italiennes succède Les failles, le héros roman de Damon Galgut par le dépaysement de L’Eté arctique les une grotte obscure, avait pour narrateur dans cette lente acceptation au fond de laquelle rôdent collectionne. Cérébral un voyageur solitaire, de l’emprise des sens. à l’extrême – “La raison des enjeux – de classe soupirant platonique Sur la terre des maharajas, était le seul moyen de sociale, d’identité – et successif – d’un Forster perd ses repères défense contre le sentiment sexuelle, de domination athlétique Allemand et mais enchaîne les nu. Comprendre aidait et d’appartenance d’un adolescent suisse. découvertes : “Ce qu’il avait à supporter la tristesse” –, ethnique – auxquels le livre Aujourd’hui, l’écrivain E. M. Forster est un héritier vu et entendu dans ce pays de Galgut fait brillamment sud-africain fait revivre était souvent si déconcertant de Jane Austen égaré au écho. Bruno Juffin les atermoiements que la pensée rationnelle siècle de D. H. Lawrence et d’un intellectuel anglais, de Virginia Woolf. Conscient n’y accédait pas. Le mystère L’Eté arctique (Editions de tour à tour amoureux d’un était au cœur des choses, de son homosexualité l’Olivier), traduit de l’anglais bel Indien et d’un jeune et il serait également au dès l’enfance mais encore (Afrique du Sud) par Hélène Egyptien : de la fiction cœur de son roman.” Papot, 381 pages, 22,50 € vierge à 34 ans, il va mettre Q 08 1056 90 91 SLIV SEQ.indd 91 18/02/16 15:24 Deux auteurs français s’emparent du genre gothique : Romain Slocombe signe le remake ultra dark des Petites filles modèles et Emmanuel Régniez enferme un frère et une sœur dans son premier roman. l y a eu les petites sœurs terrifiantes de Shining, l’étrange tandem des Hauts de Hurlevent, Hindley et Catherine… Dans la littérature gothique, les références ont plus d’importance qu’ailleurs : Lovecraft, Poe et King font office de sainte trinité sans cesse citée et revisitée. Peu nombreux sont ceux, en revanche, qui avaient vu dans l’œuvre éducative de la comtesse de Ségur l’abîme de noirceur que va y chercher Romain Slocombe. Pour la collection Remake des éditions Belfond, qui offre à des romanciers contemporains la possibilité de remixer les grands classiques, il revisite Les Petites Filles modèles et y injecte une bonne dose de perversité. Au cœur de son programme de “déséducation”, la candide et très pieuse Marguerite de Rosbourg, éhontément dévergondée par une paire de sœurs bien moins intéressées par les rosaires que par les écrits tendancieux du marquis de Sade. Audacieux et inventif dans sa relecture d’un classique de la Bibliothèque rose, Slocombe annonce la couleur : le texte que l’on s’apprête à lire a été retrouvé en 2014 I Les Innocents de Jack Clayton (1961)/20th Century Fox poupées gothiques dans une tombe, aux côtés d’une morte au cœur arraché… L’histoire elle-même s’amuse ensuite à jeter l’innocente Marguerite et sa mère corsetée dans les mains de la très pâle veuve Madame de Fleurville et de ses filles Camille et Madeleine. Trop de femmes en un château : il y aura des lectures interdites, des péchés mortels, des épisodes saphiques et même un meurtre de sang-froid. Le tout dans une immense demeure qui exerce sur son petit monde une inquiétante emprise. Un parfait petit nécessaire de l’écrivain gothique, qui met au jour tout le stupre que les esprits tordus – ou imaginatifs – avaient senti poindre sous la sage pédagogie de la comtesse. Motif incontournable pour qui s’intéresse aux ténèbres, la maison hantée est au cœur de Notre château d’Emmanuel Régniez Mais, déjà auteur d’un ABC du gothique, le primo-romancier plonge le genre dans le contemporain. “Je m’appelle Octave. Ma sœur s’appelle Vera. Nous ne fréquentons personne, ne parlons à personne et vivons tous les deux, rien que tous les deux, dans notre château.” La claustration, le tandem incestueux, dérangé par un intrus qui le regrettera vite… On pense bien sûr aux Innocents, l’inquiétant film de Jack Clayton qui inspira Les Autres à Alejandro Amenábar. L’univers gothique fonctionne en vase clos, se nourrit de routine et d’isolement. Le jour où Octave croit voir sa sœur Vera dans le bus, alors que celle-ci ne sort jamais, c’est leur monde qui bascule. Le pacte est brisé, les murs tremblent, et la maison, “si grande, si belle”, prend des allures de cercueil. Dans un style bref et vif, qui pâtit de temps à autre de quelques affèteries, Régniez rend un hommage appliqué à un genre qui sait mieux que tout autre exposer les travers de la nature humaine, et révéler les nébuleux tréfonds des fratries perverties. Clémentine Goldszal Des petites filles modèles… de Romain Slocombe (Belfond), 304 pages, 18 € Notre château d’Emmanuel Régniez (Le Tripode), 128 pages, 15 € la 4e dimension il était une fois David Lodge L’écrivain britannique, qui s’est toujours inspiré de sa vie dans ses romans aussi profonds que loufoques, abordera sa vie de front dans Né au bon moment (Rivages). De 1935 à 1975, le livre couvre ses expériences ainsi que toute une époque révolue. En librairie le 11 mars. écrivains du monde à Nantes Jonathan Lethem insoumis Dans Jardins de la dissidence (Editions de L’Olivier), l’Américain Jonathan Lethem retrace cinquante ans de contestation aux Etats-Unis, du communisme des années 1950 à Occupy Wall Street dans les années 2000. En librairie le 10 mars. La quatrième édition d’Atlantide – Les Mots du monde se déroulera du 10 au 13 mars au Lieu unique à Nantes. Avec Régis Jauffret, Hakan Günday, Antonio Muñoz Molina, Philippe Forest, etc. atlantide-festival.org le cercle vicieux de Dave Eggers Avec Le Cercle (Gallimard), Eggers signe un conte à l’ère du numérique en plongeant une jeune femme dans la firme internet (fictive) la plus puissante des Etats-Unis, “le Cercle”. Le livre est en cours d’adaptation cinématographique avec Tom Hanks et Emma Watson. En librairie le 1er avril. 92 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 92 SLIV SEQ.indd 92 18/02/16 15:25 Jon McNaught entre deux mondes Prenant des allures rétro, les histoires d’Emily Carroll peuvent basculer dans une étrangeté troublante. J eune auteur canadienne, Emily Carroll s’est fait connaître, depuis 2010, par ses web comics. Dans les bois, recueil d’histoires courtes, est son premier album publié et a déjà été récompensé en 2015 par deux Eisner Awards. Oscillant entre gothique et horreur, ses récits sont situés dans le passé, entre le XVIIIe siècle et le début du XXe. Même si les jeunes gens qu’elle met en scène sont en apparence tout à fait normaux, on sent que des drames se profilent, que l’étrange va faire déraper leurs vies. Ici, une jeune fille qui organise des rencontres spirites truquées disparaît mystérieusement, là un homme qui a tué son frère assiste à sa réapparition quelques jours plus tard, là encore, une adolescente voit un monstre en sa belle-sœur… Plus Edgar Allan Poe que Stephen King, les histoires d’Emily Carroll racontent l’enfermement, l’impossibilité de se sortir d’une situation, de se libérer – des autres, du danger, de son passé… La mise en page imaginative, le travail soigné sur le lettrage et le fond noir de la plupart des planches renforcent cette sensation d’oppression. Le dessin délicat, d’abord proche de l’illustration classique pour enfants ou même parfois du dessin de mode des années 1920, prend soudainement les traits terrifiants du manga d’horreur. Comme chez Junji Ito, qu’Emily Carroll admire, ses héros jeunes, beaux, aux visages à la jolie fraîcheur, peuvent se retrouver défigurés et repoussants, empreints de monstruosité. L’horreur finit toujours par surgir, mais le doute subsiste : est-ce un cauchemar ou la réalité ? L’auteur ne tranche jamais, laissant le lecteur imaginer le pire. Des récits finalement plus perturbants et entêtants que réellement terrifiants. Anne-Claire Norot Dans les bois (Casterman), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Basile Béguerie, 208 pages, 22 € Boulet Notes 10 – Le pixel quantique Delcourt, 200 pages, 15,50 € Les petites vignettes intimistes de Boulet, toujours aussi émouvantes. Commencé en 2004, le blog de réflexions – Le pixel l’espace à un autre se de Boulet est compilé en quantique est placé sous le déroulant sur un chantier recueils, Notes, depuis 2008. signe de la fuite du temps et public peuplé d’animaux. Ce dixième volume montre de l’immensité de l’univers – Une maîtrise graphique parfaitement comment ce évoluent, prennent du et narrative qui, mise chroniqueur du quotidien corps. Surtout, son dessin, au service de souvenirs poursuit sa recherche plus fouillé et de plus d’enfance comme ceux personnelle et intime tout en plus inventif, lui permet du récit, “Notre Toyota en arrivant à se renouveler. de déployer au mieux était fantastique”, permet Une gageure au bout son imagination explosive à Boulet de se montrer de douze ans, mais son et de passer allègrement particulièrement humour, ses pistes d’un récit situé dans émouvant. A.-C. N. Histoires de Pebble Island Dargaud, traduit de l’anglais par Nora Bouazzouni, 38 pages, 12 € Journées de solitude aux îles Malouines. Un vide attirant. Avec Dimanche et Automne, on avait déjà eu l’occasion de découvrir l’univers serein et onirique de Jon McNaught. Histoires de Pebble Island, trois récits courts inspirés de ses souvenirs d’enfance sur une petite île des Malouines, s’inscrit parfaitement dans la réflexion poétique de ce jeune auteur britannique. Sans mots, avec un dessin minimaliste, un découpage strict aux cases presque répétitives et un humour désespéré sous-jacent, il met en scène la solitude, l’isolement. Sur cette île quasi déserte où le temps n’a pas de prise, où seuls les éléments influencent la vie des rares habitants, on découvre un petit garçon dont le seul jeu consiste à faire sauter en l’air avec un pétard un dinosaure en plastique, et un homme solitaire qui occupe ses soirées en regardant de vieilles cassettes vidéo – quand son groupe électrogène fonctionne. Chez Jon McNaught, le temps s’écoule lentement, l’ennui guette. Pourtant ces vignettes aux couleurs tendres et passées donnent profondément envie de se promener là, sur ces rivages vides et désolés, de goûter le calme environnant. Histoires de Pebble Island, ou l’invitation à un merveilleux voyage en solitaire. A.-C. N. 24.02.2016 les inrockuptibles 93 08 1056 93 BD.indd 93 18/02/16 15:26 la bataille d’Athènes Dans la capitale grecque, des chorégraphes s’inventent un futur en mouvement en défiant la crise. Reportage au pied de l’Acropole avant le festival DañsFabrik, à Brest, où l’on retrouvera ces artistes en bonne compagnie. A u moins, nous avons le soleil !” On aura entendu plus d’une fois cette exclamation non dénuée d’humour dans la bouche de créateurs rencontrés à Athènes cet hiver. C’est le cas d’Alexandra Bachzetsis, Suisse d’origine grecque qui s’est installée quelque temps au cœur du chaudron contestataire athénien, dans le quartier remuant d’Exarchia. Dans un appartement transformé en studio, elle a répété Score en décembre, ouvrant ses portes à des amis ou des voisins pour dévoiler ce solo façon work in progress. Elle y travaille “la métamorphose, celle des adolescents comme la mienne”, se glissant dans le costume d’un danseur de zeibekiko, une tradition grecque uniquement perpétuée par des hommes. “Je travaille entre les genres, les langues, les cultures”, résume Alexandra Bachzetsis, qui s’avoue moins grecque ici qu’ailleurs. Paradoxe qui renvoie à l’idée de diaspora (il y a autant de Grecs dans le reste du monde que sur leur terre natale !). “Etre ici en ce moment par rapport à ce qu’il se passe est pour le moins spécial. J’ai choisi de vivre à Exarchia, l’épicentre des problèmes. Même si on peut avoir peur certains soirs de rentrer chez soi, on a également l’impression que tout bouge tout le temps ici”, conclut-elle. Alexandra Bachzetsis fait partie des chorégraphes invitées à Brest pour un focus grec concocté par Lenio Kaklea – qui, elle, vit et travaille à Paris depuis une dizaine d’années. Cette dernière est venue à Athènes faire le tour de la création en danse, “soit une cinquantaine de propositions vues. Mais l’idée, ce n’est pas de faire une programmation de caractère national. Plutôt de rencontrer des personnalités”. Des femmes en l’occurrence – comme dans tout le reste de la programmation DañsFabrik d’ailleurs –, Grecques d’ici ou de l’extérieur. “Nous sommes à ce moment de transformation. Les gens commencent à vouloir s’installer à Athènes.” Pourtant, la situation y est plus que difficile. Le ministère de la Culture 94 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 94 SCENES.indd 94 18/02/16 15:27 Répétitions d’Alaska d’IrisK arayan à l’Onassis Cultural Centre Marina Tselepi des espaces à la marge qui sont autant de bouffées d’air dans une ville où la culture est parfois menacée d’asphyxie est aux abonnés absents. Rares sont les soutiens financiers : il y a le Festival d’Athènes, dont le directeur Yorgos Loukos vient d’être remercié, et la fondation Onassis, qui bénéficie des largesses de l’héritage du fameux armateur. L’Onassis Cultural Centre, ouvert en 2010, reçoit ainsi 350 dossiers par an d’artistes locaux entre danse, théâtre et musique. Il va aider quatre ou cinq projets de chorégraphes, pas plus : financement, salle, aide aux tournées. C’est le cas cette saison pour Iris Karayan, sans doute une des plus intéressantes artistes de cette scène hellénique. Dans un des studios du centre, elle a montré trente minutes d’Alaska, coproduit par le Quartz de Brest. Impression durable d’une danse incroyablement maîtrisée qui travaille sur le vivre-ensemble, la relation à l’autre. Un maelström de corps qui se joue de la lenteur comme de la vélocité. “Nous travaillons en freelance, nous n’avons pas d’endroits, ni de studios. Si vous pouvez créer une pièce tous les deux ans, c’est un luxe. Il n’y a pas d’aides de l’Etat. Et ce depuis 2008 !”, constate Iris Karayan sans élever la voix. Le Festival d’Athènes a poussé à cette reconnaissance d’une scène locale en danse des plus fragile. Iris Karayan ou Lenio Kaklea y ont été programmées, tout comme Pina Bausch, Maguy Marin ou William Forsythe. “Nous avons aidé une génération à émerger durant cette décennie. Surtout, on a convaincu un public que la danse contemporaine avait une raison d’être”, commente Clementini Vounelaki, programmatrice du festival. Dans le milieu athénien de la danse, on s’entraide autrement. Les troupes de théâtre, peut-être moins impactées par la crise, ont, elles, pignon sur rue, avec une scène nationale. “Venant de la danse, j’ai souffert de la domination du théâtre en Grèce”, commente Lenio Kaklea. Alors, la communauté artistique s’invente un présent. A l’image de ce lieu pensé comme un studio avec pour nom un chiffre : 3137. Kosmas Nikolaou le gère avec deux autres créateurs. “Notre ville est pleine d’énergie. Mais les artistes font des événements pop up. Il manque de ce genre de lieux à l’année. Cela change.” Pas de budget à la clé mais une communauté qui se retrouve en essayant de toucher aussi le voisinage. Lenio Kaklea y a donné une version singulière de son Arranged by Date. Une histoire fascinante de code de carte bancaire perdu qui emprunte à la mythologie comme au discours actuel sur la crise économique par des voies de traverse. Autre lieu à la marge, le Centre de contrôle de télévision, dans le quartier de Kipseli abandonné par la bourgeoisie locale. Dimitri Alexakis, Français d’origine grecque, et Fotini Banou y accueillent musique expérimentale, débat, théâtre. Ou, ce soir-là, le Collective Choreography Project autour de Mariela Nestora, interprète passée de la génétique moléculaire apprise à Londres à la danse. Tous ces espaces sont autant de bouffées d’air dans une ville où la culture est parfois menacée d’asphyxie. Mais, de ce coup de projecteur de DañsFabrik à la prochaine Dokumenta qui braquera ses feux sur Athènes en 2017 en dialogue avec Kassel, l’avenir est plein de promesses. En attendant, les artistes jonglent avec un second boulot de jour pour certains, la création en pointillé pour d’autres. A chacun son horizon. Philippe Noisette DañsFabrik du 29 février au 5 mars au Quartz de Brest (Focus Athènes du 1er au 5), dansfabrik.com 24.02.2016 les inrockuptibles 95 08 1056 94 SCENES.indd 95 18/02/16 15:27 casse-tête chinois Amalgames et fusions d’œuvres agrémentent l’exposition Bentu, à la Fondation Louis-Vuitton. La Chine en tête, mais au cœur du monde. Tous les lundis à 8 h 50 sur France Musique, écoutez la chronique “Suivez mon regard” de Jean-Max Colard des Inrockuptibles, dans La Matinale de Vincent Josse de 7 h à 9 h F ocus sur une seule œuvre, mais monumentale et spectaculaire, parmi les dizaines qui composent la nouvelle exposition de la Fondation Louis-Vuitton, consacrée à la scène artistique chinoise et intitulée Bentu – Des artistes chinois dans la turbulence des mutations. Sous des allures disparates, et avec un choix éclectique de pièces, Bentu donne un aperçu vivifiant d’une scène chinoise en constant renouvellement. Plutôt que de céder aux logiques de groupes, très marquées sur cette scène artistique notamment à Pékin, ainsi qu’aux tendances Production : MadeIn Company Xu Zhen, Eternity – Material: Winged Victory of Samothrace, Tianlongshan Grottoes Bodhisattva, Winged Victory of Samothrace, 2013 du marché, la Fondation Vuitton a préféré mettre l’accent sur la singularité des artistes et des œuvres. Développé par le théoricien Gao Shiming, le mot “bentu” signifie “de cette terre”, mais on se tromperait à n’y voir qu’un retour en arrière de la part de ces artistes contemporains : le “bentu” désigne plutôt un retour critique ou en tout cas conscient des mutations qui agitent la Chine, et d’autant plus à l’heure de l’hypermodernité et de la globalisation. Ainsi, un artiste majeur comme Zhang Huan redécouvre et réinvestit l’histoire ancienne de la Chine, une nation qui n’est pas aussi attachée que la France au patrimoine d’origine, et qui se vit toujours plus pragmatiquement au présent qu’au passé. Cette remontée consciente et donc presque impossible vers les origines s’affirme nettement dans cette pièce montée et même renversée de l’artiste Xu Zhen. L’œuvre fait partie de la série Eternity, inaugurée en 2014 et qui organise un “tête à tête” littéral entre des sculptures antiques et des statues bouddhistes. Ici, la copie d’un bodhisattva (c’està-dire un bouddha qui n’a pas encore atteint le stade de l’éveil suprême) de la grotte de Tianlongshan est assise et “tient tête” à une copie de la fameuse Victoire de Samothrace. Haute de plus de six mètres, l’œuvre est puissamment spectaculaire, faisant se télescoper et dialoguer Occident et Asie. 96 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 96 EXPOS.indd 96 18/02/16 17:59 Mais par-delà cette binarité, les choses sont plus complexes. Ainsi, le bodhisattva d’origine a été acquis par une collection japonaise, et la vraie Samothrace grecque est depuis belle lurette un trésor du Louvre – le signe d’un monde qui n’est pas seulement bilatéral, mais qui se trouve précisément désaxé de ses repères anciens. D’ailleurs Xu Zhen est à la fois le nom d’origine de l’artiste, et une sousmarque puisque entretemps cet artiste a adopté le nom plus commercial de “MadeIn Company”, allusion ironique aux produits “made in China”. Ces dernières années, il s’est ingénié à repérer dans l’histoire de l’art des figures de gymnastique ou de yoga, qu’il fait parfois rejouer en live comme à la Biennale de Lyon en 2013. Il en montre un autre exemple dans l’exposition, qui mélange cette fois deux œuvres strictement occidentales : une sculpture du XIXe siècle représentant le soldat de Marathon faisant un saut de cheval au-dessus d’un Galate blessé de l’époque romaine. Ici, donc, tels les acrobates virtuoses du cirque de Pékin, Samothrace et bodhisattva prennent la pause pour l’éternité, ou juste pour un moment. Dans la tourmente des mutations, le tout est de tenir l’équilibre. Jean-Max Colard Bentu – Des artistes chinois dans la turbulence des mutations jusqu’au 2 mai à la Fondation Louis-Vuitton, Paris XVIe, fondationlouisvuitton.fr Photo Adam Reich, Courtesy of On Stellar Rays, New York and the artist Rochelle Feinstein, Gnorw, 2002 “I made a terrible mistake” Elle signe la pochette de la compile des Inrocks cette semaine. Mais qui est vraiment Rochelle Feinstein ? ans le travail de Rochelle Feinstein, son bébé au-dessus du vide. “I made a il est un angle mort dont on ne parle terrible mistake, c’est aussi, raconte amusé jamais : son passé de Guerrilla Girl. le commissaire de l’expo Fabrice Stroun, ce Si rien ne permet d’affirmer qu’elle que Rochelle veut nous faire croire : j’ai choisi fut active au sein de ce collectif né en 1985 d’être peintre mais, désolée, j’ai fait une grave en réaction à la sous-représentation des erreur. C’est un peu comme un musicien qui femmes – et pour cause, le groupe, vous dirait : j’ai pris la clé de sol pour ce toujours actif, fit de l’anonymat l’une de ses morceau mais je me suis trompé et tout ce armes –, il reste dans le travail de cette que vous allez entendre après est faux.” artiste américaine des traces de ce passé Voilà pour la dose d’humour. Au même militant et un net penchant pour l’humour. étage, l’artiste organise sa succession, La rétrospective que lui consacre The Estate of Rochelle F., avec une installation le Centre d’art contemporain de Genève de 2008 qui correspond à l’effondrement commence donc en 1991. Black-out du marché immobilier. Forcée de faire sur les années précédentes, on apprendra de la place, elle transforme tout ce que juste que Rochelle Feinstein (née en 1947) contient son stock en un gigantesque dirigea le département de peinture de Yale mural où s’alignent sur le même plan et vit défiler des générations d’artistes qui de vieux châssis, une annonce Craigslist constituent encore aujourd’hui son cercle et un cadeau offert par Rachel Harrison. d’amis, de Rachel Harrison à Wade Guyton. A l’étage supérieur, changement L’exposition se présente sur plusieurs d’ambiance, l’expo prend la mesure étages, très différents, qui font dire que de l’ampleur du travail et décline une série même pendant cette deuxième période de monochromes verts sur lesquels avouée du travail de Rochelle Feinstein, l’artiste reproduit à l’envers quelques-unes cohabitent plusieurs vies et esthétiques. des phrases les plus entendues dans Parmi les points de repère : “une conscience les vernissages : “J’adooore votre travail !”, de soi, en tant que femme et en tant que “Le chèque arrive” et un plus inattendu féministe” et un sens de l’autodérision (mais que nous ne traduirons pas) et de la formule qui rappelle les stratégies “I promise not to cum in your mouth”. de communication des Guerrilla Girls. Suivent un carnet de bord de son tour Mais côté outing, on ira plutôt chercher (raté) d’Europe, un clin d’œil ironique à dans cette exposition la révélation d’une l’opération “le mois de la femme” organisée pratique d’artiste décousue qui fait du tous les ans à Washington et une variation mélange des genres sa marque de fabrique. sur la “grille moderniste”. “Rochelle Au premier niveau, une installation plutôt Feinstein, c’est comme un acteur de stand-up mauvais goût – boule disco cimaises de qui ferait des blagues sur lui-même”, biais et bad paintings – convoque Michael conclut le commissaire. Claire Moulène Jackson et Barry White, son idole. La pièce s’appelle I Made a Terrible Mistake, eu égard In Anticipation of Women’s History Month à cette phrase que prononça le roi de la pop jusqu’au 24 avril au Centre d’art contemporain de Genève, centre.ch après avoir malencontreusement secoué D 24.02.2016 les inrockuptibles 97 08 1056 96 EXPOS.indd 97 18/02/16 17:59 l’avenir, c’est les autres Une enquête de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade éclaire la révolution de la connaissance du cerveau. Grâce aux neurosciences, la bienveillance et la coopération deviennent aujourd’hui des enjeux de société. R éceptacle des affects de notre époque, la télévision offre le spectacle hypertrophié d’un monde dominé par la guerre de tous contre tous, à l’image de la célèbre émission de téléréalité Survivor, baptisée Koh-Lanta en France. La règle du grand jeu télévisuel depuis le début des années 1990 consiste à éliminer ses voisins pour se sauver soi-même et triompher solitairement, en entérinant l’idée de la concurrence éternelle qui sépare les hommes entre eux, comme la faim braque les loups. Au-delà du cadre infini des émissions de téléréalité, tournant autour de ce credo concurrentiel sous de multiples formes, les images d’actualité nous rappellent chaque jour combien le climat de guerre civile hante notre époque. Pourtant, derrière cet écran belliqueux, propre à l’organisation des sociétés, d’autres images surgissent pour nous convaincre de notre capacité d’attention aux autres. Sur un quai de métro, une personne tombe sur les rails, et aussitôt des types sautent pour la sauver : exemple parmi plein d’autres présents dans le documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, Vers un monde altruiste ?, ce cas illustre combien l’organisation du cerveau humain est aussi structurée par le soutien à autrui. Agir pour le bien des autres, dans leur propre intérêt, par-delà le nôtre : l’altruisme forme une aventure scientifique en plein essor, dont les réalisateurs prennent ici la mesure, après d’autres enquêtes sur des recherches en vogue (Mâles en péril ; Le jeûne, une nouvelle thérapie ? ; Secrets de longévité). L’angle stimulant du film tient précisément à ce qu’il déplace la réflexion sur l’altruisme de son ancrage purement éthique pour l’orienter du côté des neurosciences, qui, depuis une vingtaine d’années, éclairent d’un regard inédit le fonctionnement du cerveau, notamment à travers la découverte de sa plasticité. 98 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 98 SMED OUV.indd 98 18/02/16 15:28 “en tant qu’espèce, nous sommes prédisposés à l’altruisme” Via Découvertes Thierry de Lestrade, réalisateur En s’attardant sur les recherches de neuroscientifiques comme Richard Davidson, qui collabore avec Matthieu Ricard à un programme de recherche sur l’altruisme et la méditation, mais aussi de chercheurs en psychologie (Daniel Batson, Michael Tomasello, Paul Bloom…) ou d’éthologues (Frans de Waal), les enquêteurs soulignent, preuves à l’appui, combien la coopération et l’entraide sont inscrites dans notre fonctionnement cérébral. “En tant qu’espèce, nous sommes prédisposés à l’altruisme”, explique Thierry de Lestrade, contrairement à cette croyance selon laquelle l’égoïsme et la compétition formeraient les principes fondateurs de la condition humaine. Tout l’enjeu auquel conduisent ces découvertes récentes sur la mécanique du cerveau (étayées par des expériences édifiantes auprès de bébés et de jeunes enfants, dont les réflexes altruistes s’expriment à travers des jeux) reste celui de la manière de cultiver cet héritage d’altruisme pour espérer changer le monde, à la manière du slogan de Matthieu Ricard, très engagé sur cette question : “Changez votre cerveau, changez le monde”. Le documentaire s’attarde sur les nombreuses expériences menées dans le monde pour contribuer, à partir d’un postulat empathique présent en chacun de nous, à élargir les liens et les soins. La méditation occupe dans ce dispositif une place centrale, comme l’éclaire un programme passionnant mené dans des écoles de quartiers pauvres de Baltimore aux Etats-Unis : les enfants agités et violents parviennent grâce à des exercices de méditation quotidiens à améliorer leurs résultats scolaires, à maîtriser leurs émotions négatives, à se sentir plus épanouis. “L’art d’être immobile”, pour reprendre le titre d’une conférence Technology, Entertainment and Design de Pico Iyer (publiée chez Marabout), aide à s’affranchir de l’idée de se battre inutilement pour avancer et progresser. Par-delà leur efficacité validée, les vertus de la méditation continuent pourtant de susciter l’ironie et la méfiance auprès de ceux qui la réduisent à une simple tendance “new age”, totalement dépolitisée et surtout de ceux qui dénoncent le réductionnisme biologique et “l’impérialisme neuronal”, comme le fait Nicolas Chevassus-au-Louis dans le nouveau numéro de la revue Le Crieur. Or ses promoteurs saluent au contraire sa fonction sociale émancipatrice, opposée aux dogmes dominants de l’idéologie néolibérale triomphante, dont les effets concrets sont largement connus au-delà même des injustices sociales qu’elle produit : le culte de la performance et tous les vices qu’il conditionne, du burn-out au stress, “épidémie du XXIe siècle” pour l’Organisation mondiale de la santé. Au fil de l’enquête argumentée et étayée de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, le constat minimal désormais scientifiquement établi – nous sommes tous des coopérateurs en puissance – s’ouvre ainsi à cet horizon encore incertain de l’art de cultiver l’altruisme en nous. Il serait évidemment naïf et sot de soutenir l’idée qu’un monde social préservé des pulsions de mort et des réflexes agressifs soit possible, ce que le film ne tend pas à faire croire. Il serait tout autant idiot de refuser, au nom d’un pessimisme légitime sur la condition humaine, d’imaginer des voies concrètes nouvelles sur la manière de sortir du nihilisme et du principe d’inquiétude. A chacun d’inventer son propre dispositif d’être au monde, dans le rapport à soi et aux autres ; ce que les auteurs de ce documentaire illustrent ici, c’est simplement que des chemins, scientifiquement validés, ouvrent une voie possible à l’altruisme, cet horizon nouveau d’une époque tenue de se raccrocher à lui pour ne pas sombrer dans le chaos.Jean-Marie Durand Vers un monde altruiste ? documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade. Vendredi 26, 2 2 h 20, A rte 24.02.2016 les inrockuptibles 99 08 1056 98 SMED OUV.indd 99 18/02/16 15:28 Police, ne quittez pas ! Press Association Images/Paris Première documentaire de François Chilowicz et Anne Bettenfeld. Mardi 1er mars, 23 h 10, France 2 le danger Trump Un documentaire britannique montre comment le candidat à la présidentielle Donald Trump parvient à séduire l’Amérique profonde avec sa grossièreté et son populisme. C onçue comme un long reportage de JT et présentée par Matt Frei, journaliste de la britannique Channel 4, cette enquête sur l’homme au balai sur la tête, Donald Trump, et son incroyable popularité – malgré ou grâce à la grossièreté de ses propos et à son message de haine –, n’apprend rien de nouveau. Pire : on ne conserve de ses meetings que les passages croustillants où il casse du métèque (haro sur les Hispanos et les Arabes). Il est certain que la plupart des discours de ce bouffon beauf sont fondés sur l’exclusion et le dénigrement. Mais, quoique selon certains de ses détracteurs la réflexion ne soit pas son fort, on aurait tout de même aimé en savoir un peu plus sur sa conception du rôle de président des Etats-Unis. Bien sûr, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre pourquoi le milliardaire Trump est la star son discours est le même que celui du Front national des white trash : il va les sauver de la mouise et remettre le monde en ordre d’une pichenette. Son discours est le même que celui du Front national, en plus gras et vulgaire. Une autre sorte de populisme. Au-delà des invectives et de la grande gueule, il est plus intéressant d’apprendre d’où vient cet individu et quelle est l’origine de sa hargne. Trump est simplement l’enfant gâté d’une dynastie de l’immobilier, retiré de l’école pour agressivité et envoyé à l’armée. On découvre qu’il s’est mis à dos toute l’Ecosse en y construisant un golf au mépris des normes environnementales et des riverains, qu’il aurait violé sa première épouse Ivana Trump et harcelé sans trêve une journaliste britannique à cause d’un documentaire. Jusqu’à maintenant, il “amuse” par ses frasques et ses réparties potaches, mais il fait même peur à certains de ses collègues du Parti républicain. L’un d’eux déclare que si Trump est élu, il quittera les Etats-Unis. Voici l’ère des barbares. Vincent Ostria Le Monde fou de Donald Trump documentaire de Richard Sanders. Mardi 1er mars, 2 0 h 45, Paris Première Sur la ligne du 17, à l’écoute du monde qui flippe – à tort ou à raison. Appeler le 17, c’est-à-dire la police, c’est faire aveu d’un sentiment de danger : les accidents, nuisances sonores et olfactives (un voisin qui fume de l’herbe du matin au soir), agressions en tout genre, vols sont toujours à l’origine des appels, par-delà les petits plaisantins qui s’amusent à polluer la ligne et exaspèrent les policiers aguerris au bout du fil. Ce dispositif purement oral – une voix apeurée s’adressant à une voix des forces de l’ordre – structure entièrement le documentaire de François Chilowicz et Anne Bettenfeld. Les plans du film, tournés dans un commissariat de Toulouse, entremêlent à la monotonie de l’espace physique – que c’est triste un commissariat – la furie des paroles paniquées, symptomatique d’un état de crise larvé, autant social que mental. Ce que les réalisateurs captent parfaitement, au fil des sonneries incessantes et des multiples appels au secours, c’est la difficulté pour les policiers d’ajuster une riposte précise à la mesure du péril exprimé, plus ou moins crédible. Entre les gens en panique pour rien et les autres en danger réel, chaque policier n’a que quelques minutes pour appréhender une situation assez floue. Ni psychologues (surtout pas) ni conseillers conjugaux (beaucoup de femmes agressées), les voix au bout du 17 oscillent entre plusieurs postures opposées : écoute attentive, bienveillance, conseils avisés, mais aussi humour, désinvolture, résignation, routinisation d’un geste d’écoute du monde qui part à vau-l’eau devant des yeux impuissants et des oreilles ahuries. Jean-Marie Durand 100 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 100 SMED SEQ.indd 100 18/02/16 17:54 Zadig Productions science sans conscience Retour sur le massacre par les nazis de plusieurs milliers de handicapés physiques et mentaux lors d’un programme auquel ont œuvré de nombreux scientifiques. écompensé par le Le nombre total de victimes Prix du public au dernier se situe entre 200 000 et 250 000… Festival des créations Au centre du documentaire télévisuelles de Luchon, se trouve le Dr Julius Hallervorden, T4 – Un médecin sous le nazisme neuroscientifique qui, en aborde un pan de l’histoire connaissance de cause, pratiqua de la Seconde Guerre mondiale des expérimentations sur les encore mal connu : la participation cerveaux de personnes exécutées de représentants du corps mais ne fut pourtant jamais médical à l’effroyable machine poursuivi devant un tribunal d’extermination nazie. après la guerre. S’il facilite La réalisatrice Catherine Bernstein l’appréhension d’un sujet ardu, a choisi de retracer ici en ce parti pris a pour inconvénient particulier la vaste campagne de reléguer à l’arrière-plan d’assassinat des handicapés les (nombreuses) autres personnes physiques et mentaux ordonnée impliquées dans l’Aktion T4 par Adolf Hitler à partir de – un inconvénient d’autant plus 1940, décrite alors comme un notable que le commentaire (dit programme d’“euthanasie”. par Nathalie Richard), s’adressant Désignée depuis la fin de directement à Hallervorden, la guerre sous le nom d’Aktion T4, prend par moments un ton en référence à l’adresse accusateur un peu trop appuyé, du bureau central de l’opération à la limite du pathos. (Tiergartenstrasse 4, à Berlin), Mêlant témoignages d’historiens cette campagne avait pour et documents d’archives – parmi but de faire disparaître des êtres lesquels de glaçants extraits jugés inférieurs, nuisant de films de propagande nazie – à la pureté de la race aryenne avec beaucoup de rigueur et causant d’inutiles dépenses. et de clarté, T4 – Un médecin sous Plus de 70 000 personnes ont le nazisme constitue néanmoins été gazées durant l’Aktion T4, un document du plus grand intérêt. Jérôme Provençal interrompue officiellement en août 1941, les exécutions ayant cependant continué par d’autres T4 – Un médecin sous le nazisme moyens (famine, injection létale) documentaire de Catherine Bernstein. Lundi 29 février, 22 h 25, France 3 jusqu’à la fin du régime nazi. R 24.02.2016 les inrockuptibles 101 08 1056 100 SMED SEQ.indd 101 18/02/16 17:54 HORS SÉRIE Il y a cinquante ans, les Beatles, Dylan, les Stones, les Beach Boys se disputent la tête des charts. La pop française s’émancipe avec Dutronc, Polnareff… Le psychédélisme naît en Californie. Une explosion musicale à l’unisson des profonds changements qui s’amorcent dans la culture et la société. Ce hors-série des inRocKs retrace une année exceptionnelle qui, il y a cinquante ans, a inventé la pop culture. +CD exclusif 12 titres les tubes de l’année ‘66 EN KIOSQUE LE 29 FÉVRIER et sur les inRocKs store également disponible en version numérique promo 1966 210x270.indd 1 18/02/16 10:17 sexy boy Du Bronx à Hollywood : comment Tony Curtis devint dans les années 1950 l’une des premières icônes masculines. ne curieuse fantaisie plusieurs années, son image de cette biographie de pin-up boy, quasiment de documentaire consiste à pré-icône gay, ne fut pas étayée par imaginer pendant quelques des supports artistiques adéquats. minutes que Tony Curtis soit mort Il apprit sur le tas, pâtissant de à 27 ans, donc en 1952. Il serait ses origines de pauvre juif hongrois, à coup sûr devenu une légende, de gosse des rues affligé d’un fort à l’instar de James Dean (disparu accent du Bronx qui limitait à 24 ans). Cette élucubration sa palette d’acteur. est avant tout destinée à expliquer Mais après des débuts anodins la popularité éclair de Curtis à ses de jeune premier dans des nanars débuts. Il aurait été, nous dit-on, exotisants, il s’affirmera peu la première idole des jeunes. à peu comme un solide comédien Pourtant, sans remonter à Rudolph grâce à des œuvres marquantes Valentino, superstar du muet, il ne telles que Le Grand Chantage, faut pas oublier que Frank Sinatra La Chaîne ou Certains l’aiment précéda son futur ami Curtis chaud. Son problème majeur dans le cœur des ados hystériques restera une inconstance chronique (alors appelées bobby-soxers). (amoureuse et professionnelle). En revanche, il semble plus Des choix erratiques plausible que, dès 1949, Tony Curtis feront péricliter sa carrière, inaugura dans le film Graine qui s’effilochera prématurément, de faubourg une rebel attitude malgré un sursaut télévisuel qui allait électriser le cinéma et au début des années 1970 avec la musique dans les années 1950. la série culte Amicalement vôtre. D’après Mamie Van Doren, En dépit d’un succès d’estime la it-girl rock’n’roll des fifties, réel, Curtis n’obtiendra ni oscars Elvis Presley, fan absolu de Curtis, ni honneurs tout au long de s’inspira de son look en teignant son parcours. Il aurait pu mieux ses cheveux blonds en noir faire, s’il avait voulu et s’il avait corbeau et en les plaquant sur les su. Vincent Ostria côtés. Un style qui aurait également influencé celui de James Dean. Tony Curtis, le gamin du Bronx Hélas, pour Curtis l’image documentaire de Ian Ayres. Lundi 29, 22 h 50, Arte a précédé l’essence. Pendant U French Connection Films En 1952 les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnement société Everial tél. 03 44 62 52 35 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 1er trimestre 2016 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Pierre Siankowski rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Carole Boinet, Claire Pomarès, Mathieu Dejean, Julien Rebucci, Marie Turcan, Adélaïde Tenaglia et Gaëlle Lebourg (stagiaires) style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria, Marilou Duponchel (stagiaire) musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu (coordinateur), Azzedine Fall (chef de rubrique sur lesinrocks.com), Xavier Ridel (stagiaire) reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/idées Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs D. 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On dirait un dessin en 3D. Je m’en suis inspiré quand j’ai conçu les décors pour mon film, Aladdin, en peignant des lignes noires sur du papier mâché et du carton. Le résultat ressemble à un cartoon. film Un jour avec, un jour sans d’Hong Sangsoo Subtiles variations autour de la brève rencontre entre un cinéaste et une jeune peintre. Grand Blanc Mémoires vives Mignon et trash : le manifeste d’un nouveau genre de pop urbaine. Œuvres complètes de Bret Easton Ellis Le parcours hors norme de l’auteur de Moins que zéro. La Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky J’ai été ébloui par l’ambition de ce film, sa vision surréaliste et son alchimie. Je voulais que mon film existe dans la même dimension que celui-ci, entre Jodorowsky et South Park. dessin animé Xavier: Renegade Angel L’émission la plus intelligente et rapide que je connaisse. C’est aussi très drôle, dans la lignée des pièces absurdes et satiriques comme Ubu roi. Le héros, Xavier, est un fou délirant, un mystique empoté qui cherche la lumière spirituelle. propos recueillis par Noémie Lecoq Ce sentiment de l’été de Mikhaël Hers La noirceur de la perte et du deuil exposée en pleine lumière d’un été toujours renouvelé. Peur de rien de Danielle Arbid La réalisatrice poursuit son œuvre autofictive et politique dans un vibrant récit d’initiation teen. Le Trésor de Corneliu Porumboiu Une chasse au trésor dans un quartier de la moyenne bourgeoisie roumaine. Une métaphore politique cinglante. DIIV Is the Is Are Un album électrique et ambitieux à la gestation pourtant r ocambolesque. Tindersticks The Waiting Room Un grand cru pour le groupe anglais, où onze nouveaux titres s’accompagnent d’autant de minifilms. Musicien, il vient d’écrire et de réaliser son propre film, Adam Green’s Aladdin. Il en a composé la bande originale. sur Tokyo Vice de Jake Adelstein Un livre-enquête sur les yakuzas, ces gangsters tatoués infiltrés partout au Japon. Chantier interdit au public de Claire Braud Exploration des difficiles conditions de travail sur les chantiers. Fabrication de la guerre civile de Charles Robinson Deuxième volet d’un cycle romanesque sur les ghettos urbains. Sweet Tooth ; Descender de Jeff Lemire Deux romans graphiques du maître canadien. Savages Adore Life Les Londoniennes prolongent l’incandescence de leurs concerts. Candide et lubrique d’Adam Thirlwell L’auteur de Politique renouvelle le roman décadent anglais avec le portrait d’un dandy bon à rien. Vinyl HBO et OCS City La série sur la scène musicale new-yorkaise des années 1970 de Martin Scorsese arrive enfin. Baron noir Canal+ Une série politique qui s’ancre avec justesse dans la réalité française. American Crime Canal+ Séries Une deuxième saison qui réinvente la série chorale. Adam Green L’Eté diabolik de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse Une plongée ludique dans les bouillonnantes années 1960. Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, mise en scène Arnaud Meunier Comédie de Caen Arnaud Meunier offre un bras de fer jubilatoire entre Catherine Hiegel et Didier Bezace. De toi à la surface Plateau Frac Ile-de-France Une réflexion sur notre attachement aux objets du quotidien et notre capacité à leur conférer des pouvoirs magiques. Tartuffe mise en scène Luc Bondy Odéon-Ateliers Berthier, Paris Une reprise du regretté Luc Bondy, qui transforme l’affaire du faux dévot en une étreinte empoisonnée. George Henry Longly galerie Valentin, Paris L’artiste anglais nous donne la berlue avec cette exposition à lire en deux temps, où l’on est invité à entrer dans l’image après l’avoir contemplée. La Tempête mise en scène Thierry Roisin Bar-le-Duc, Dunkerque La création de La Tempête de Shakespeare avec des acteurs burkinabés à Ouagadougou a coïncidé avec le coup d’Etat au Burkina Faso. Pixel-Collage galerie Chantal Crousel, Paris Dans des collages grand format, Thomas Hirschhorn coud ensemble deux régimes d’images pour mieux faire dérailler la machine : la propagande publicitaire et les images de guerre. Noct sur PC et Mac Disponible depuis peu en “early access”, Noct marie le survival horror avec l’arcade multijoueurs. That Dragon, Cancer sur PC, Mac et Ouya La fin de vie d’un petit garçon malade du cancer racontée par ses parents : ce pourrait être une expérience déprimante, c’est le jeu le plus lumineux de ce début d’année. Cibele sur PC et Mac Ou comment se retrouver à la place d’une jeune fille qui rencontre son premier amour dans un jeu en ligne. Entre fiction interactive et cinéma mumblecore. 104 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 104 Best.indd 104 18/02/16 15:29 GAB Pub.indd 1 16/02/16 10:11 Daido Moriyama par Renaud Monfourny L’exposition Daido Tokyo présente les nouveaux travaux de l’artiste japonais à la Fondation Cartier parisienne jusqu’au 5 juin. Consacrée au quartier de Shinjuku, elle se partage entre photographies couleur et slide-show noir et blanc. 106 les inrockuptibles 24.02.2016 08 1056 106 CARTE.indd 106 18/02/16 15:29 GAB Pub.indd 1 17/02/16 11:28 GAB Pub.indd 1 16/02/16 09:35