Politico, le site d`info US qui bouscule l`Union

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Politico, le site d`info US qui bouscule l`Union
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exclusif
reportage
dans un
bidonville
de Paris,
par Joy
Sorman
Harper Lee
disparition
d’un mythe
de la littérature
américaine
Philip K. Dick
est-il toujours
le boss de la SF?
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le groupe brûlant de 2016
The Revenant
pourquoi survivre
est devenu
la fixette
d’Hollywood
Politico
le journal US
qui secoue
l’Europe plus fort
que le Brexit
dans la roue
des déglingos
du rock anglais
Fat White Family
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Allemagne 5.90 € - Belgique 5.50 € - Cameroun 3700 CFA – Canada 9.20 CAD – DOM 6.30 € - Espagne 5.70€ - Grèce 5.70€ - Italie 5.70 € - Liban 15 000 LBP – Luxembourg 5.50 € - Maroc 46 MAD – Maurice Ile 7.20 € - Portugal 5.70 € - Royaume Uni 7.10 GBP - Suisse 9.20 CHF – TOM 1 200 XPF – Tunisie 7.60 TNM
No.1056 du 24 février au 1er mars 2016
lesinrocks.com
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cher Guy Roux
par Christophe Conte
E
n réaction à la lamentable
affaire Serge Aurier qui
agite les filets du monde
du foot depuis la semaine
dernière, tu as su faire
preuve encore une fois
de cette sagesse propre aux
grands éducateurs. Face à la faute
– j’ai envie de dire la “fiotte” –
dont s’est montré coupable le très
gauche latéral droit du QatariSaint-Germain, et alors que chacun
s’interrogeait sur l’exemplaire
punition qu’il convenait d’administrer
à cet impoli nocturne, tu prononçais
au micro d’Europe 1 une sentence
pleine de ce bon sens paysan
qui a fait ta gloire : au gnouf !
Oui, Guitounet, tu y allais sans
ambages : “Je vous dis que
les sanctions devraient être de vraies
sanctions pénales. Il devrait aller
en prison”, vociférais-tu, à croire que
ce très jeune défenseur ne méritait
aucune plaidoirie, ni la moindre
mansuétude. “J’aurais massacré
Aurier, poursuivais-tu, et j’aurais
réfléchi à quelle sanction nous pouvons
prendre (sic). Je suis révolté.
On est des hommes, on ne peut pas
faire n’importe quoi.”
Je traduis : “Il faut m’encager sans
procès cette racaille qui ose insulter
l’ancien Auxerrois Laurent Blanc.”
Car tu ne m’ôteras pas de l’idée
que si Aurier s’en était pris aussi
bêtement à un entraîneur non
homologué par ton chauvinisme
régional, tu aurais remisé
tes souhaits d’embastillement dans
ton bas de survêt Le Coq sportif.
On peut néanmoins se féliciter
qu’à cet affront impardonnable
tu n’aies pas souhaité répondre
par des méthodes encore plus
expéditives, appelant par exemple
à fusiller le coupable au poteau
de corner, ou à lui coller son
Periscope dans la lucarne.
Quoi qu’il en soit, la justice
implacable semblant être pour toi
une question de principe, j’aimerais
te parler d’une autre affaire,
révélée quelques jours plus tard
par Le Monde, où il était question
d’évasion fiscale et d’une série
de comptes UBS en Suisse ayant
appartenu à des personnalités
françaises. Dans la liste, ô surprise,
figurait ton nom, parmi les
fraudeurs actifs ayant dissimulé
leur bas de laine (sans doute
un bonnet dans ton cas)
à l’administration, pour le coffrer
chez les Helvètes.
Ce sont ainsi, selon les
enquêteurs, 3,1 millions d’euros que
tu aurais gentiment escamotés jadis,
avant de régulariser en loucedé,
et le feu au slip, la situation.
3,1 millions d’euros, c’est des sous,
c’est pas à toi que je vais apprendre
ça, vieux rapiat ! C’est vrai qu’on
te voyait plus volontiers planquer
des poulets de Loué et des packs
de Cristaline dans le coffre de
ta Renault Fuego 82 qu’un super
magot dans les banques de Zurich,
comme quoi il faut toujours
se méfier des apparences. Mais,
dis-moi, si un abruti de footeux
immature mérite selon toi d’aller
au ballon pour avoir un peu déconné
dans une vidéo, quel sort faut-il
alors réserver à un ancien
coach respectable d’une équipe
de terroir pour avoir fraudé le fisc
comme un vulgaire parvenu
bling-bling ? On le massacre ?
On le fourre en zonzon également,
ou bien, comme à l’autre zouave,
on lui conseille juste de bien fermer
sa gueule ?
Je t’embrasse pas, t’es pas
un exemple pour la jeunesse.
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No. 1056 du 24 février au 1er mars 2016
couverture Feu ! Chatterton par Philippe Garcia
pour Les Inrockuptibles. Typographie Tyrsa.
billet dur
édito
debrief
recommandé
reportage à Bruxelles, un site d’info
américain, Politico, bouscule l’UE
national d’Europe Ecologie-Les Verts
22
26
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37
hommage Harper Lee (1926-2016)
à la loupe
la courbe
nouvelle tête Tommy Genesis
futurama
style
food
40 cette semaine sur
44 Feu ! Chatterton, c’est scotchant
né sur la scène, le groupe français qui
monte défend en tournée son premier
album, Ici le jour (a tout enseveli). Rencontre
Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles
18 portrait David Cormand, secrétaire
44
50
50 Joy Sorman et les invisibles
l’auteur est allée pour Les Inrocks dans
le bidonville parisien du boulevard Ney
avant son démantèlement
58 Philip K. Dick, agent double
schizophrène et visionnaire, il est l’écrivain
qui aura le plus influencé penseurs et
artistes de notre temps. Radio Nova et Arte
lui consacrent plusieurs programmes
64
Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles
03
06
08
10
12
62 Fat White Family : enfants terribles
à Londres, avec le gang de durs au cœur
tendre, pour fêter leur deuxième album
aux vapeurs psyché, Songs for Our Mothers
64 tendance : le film de survie
The Revenant et Seul sur Mars,
les deux favoris des oscars,
entérinent la consécration d’un genre
de plus en plus prisé
cinémas No Home Movie, Merci patron !…
musiques Get Well Soon, Rokia Traoré…
livres Catherine Lacey, Frédéric Ciriez…
scènes la danse à Athènes. Reportage
expos Bentu, Rochelle Feinstein…
médias Vers un monde altruiste ?…
ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “édition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ;
un CD “Objectif 2016, vol. 2” encarté dans toute l’édition ; un programme “Union libre” jeté dans l’édition kiosque
des départements 25, 38, 69, 01, 04, l’édition abonnés France et les éditions kiosques et abonnés Suisse.
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Twentieth Century Fox
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“The moment of truth: We must stop Trump.”
C’est le titre d’un édito du Washington Post,
publié le 21 février, dans la foulée de
l’inquiétante victoire du milliardaire américain
en Caroline du Sud. Littéralement : “Le moment
de vérité : nous devons arrêter Trump.”
Un édito de combat signé par Danielle Allen,
professeur en théorie politique à Harvard,
qui en appelle à la responsabilité de tous
les Américains, républicains comme démocrates,
à tous ceux qui pensent qu’il est encore temps
de stopper la furieuse et flippante ascension de
Donald Trump. Voici le plan. Aux républicains,
Danielle Allen demande clairement de faire
le choix de Marco Rubio, 44 ans, sénateur
de Floride depuis 2010, dont nous vous parlions
dans Les Inrocks en début d’année comme
le vrai “plan anti-Trump”. Le type n’est pas
des plus excitant, certes.
Dans notre numéro du 13 janvier, nous
le décrivions sous la plume de Maxime Robin
comme “jeune, latino, talentueux, réac
sur tout sauf les questions d’immigration, avec
une pincée incongrue de justice sociale”.
Pas franchement très glamour, une sorte d’Obama
de droite, la classe et le progressisme en moins.
Pourtant, Danielle Allen demande aussi
aux démocrates d’aller voter Rubio. C’est dire
l’urgence de la situation. “Démocrates,
votre candidate (Hillary Clinton – ndlr) est
trop faible pour se poser en pare-feu. Elle
pourrait gagner les élections, mais elle pourrait
aussi ne pas les gagner. Il y a trop d’incertitudes.
Si vous n’avez pas dépassé la date qui vous
permet de changer de parti, inscrivez-vous chez
les républicains, votez pour Rubio, écrit
Brian Snyder/Reuters
le moment
de vérité
Danielle Allen, même si, comme moi,
ses positions sur le mariage pour tous vous font
mal au ventre (Rubio est contre, bien entendu,
tout en étant bigot et anti-avortement – ndlr).”
Effrayant. Mais cela aura le mérite d’avoir
anticipé le drame que pourrait vivre l’Amérique
en cas d’élection de Trump (même si Bernie
Sanders et Hillary Clinton le devancent encore
un peu dans les sondages). Pour s’en convaincre,
il suffit de voir l’incroyable documentaire de
Richard Sanders, Le Monde fou de Donald Trump,
diffusé le 1er mars sur Paris Première (lire
page 100). Un film dans lequel on découvre
l’origine de la hargne d’un homme dont le discours,
écrit Jean-Marie Durand, “est le même que celui
du Front national, en plus gras et vulgaire”.
Ce “moment de vérité” dont parle Allen,
nous sommes peut-être en train de le vivre aussi,
chez nous. Un Sarkozy mis en examen mais qui
kiffe la France dans un best-seller, une demidouzaine de candidats déclarés à la primaire
à droite (dont Jean-François Copé, la blague),
avec une seule valeur refuge potable, entre
guillemets : Juppé (et encore, hein). Un Mélenchon
déjà candidat pour 2017. Un embryon de
primaire à gauche. Un Hollande impopulaire et
chahuté, un Valls qui dit non à ladite primaire,
un Cambadélis qui dit why not. Une Taubira
“prête au combat”. Un Montebourg en retrait,
mais on ne sait jamais. Des Verts qui partent
prendre des Safrane au gouvernement mais une
Duflot qui pourrait se présenter. Et au milieu
de tout cela, une Marine Le Pen à qui l’on a déjà
promis le second tour. On prend deux minutes
et on y réfléchit aussi tous ensemble, à ce fameux
moment de vérité ?
Des groupies
face à
Donald Trump
Pierre Siankowski
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faire le parcours
du combattant
grâce aux inRocKs
La semaine dernière en couve, Christiane Taubira
était prête au combat et, notamment, à lutter contre
les inégalités. Comment pourrons-nous l’aider ?
M
on cher Inrocks, Christiane Taubira est “prête au combat”.
Moi aussi ! Faut dire, Taubira et moi, c’est une longue
histoire. Je l’avais découverte en 2002 lorsqu’elle était
candidate aux élections présidentielles. Jospin avait déclaré
que son programme n’était pas socialiste. Alerté, j’avais
jugé plus prudent de lire les programmes avant de déposer
mon bulletin. C’était la première fois que je votais. Ça valait le coup de se
donner du mal. Taubira m’avait séduit. Elle défendait les mêmes idées
qu’aujourd’hui. Pas un reniement. Mêmes valeurs, mêmes révoltes, mêmes
inquiétudes. Elle dénonçait le repli sur soi, l’hystérie sécuritaire, et surtout,
elle avait axé son programme sur l’égalité des chances entre hommes et
femmes, riches et pauvres, Blanc et Noirs avec des mots proches de ceux
prononcés cette semaine : “Les inégalités sont insupportables parce qu’on
ne peut s’accommoder de l’idée qu’un enfant qui pourrait être Nelson Mandela,
Albert Einstein ou Marie Curie s’arrête en chemin juste parce qu’il est né à
cet endroit-là. On ne peut dormir paisiblement en sachant cela.” Pas de
promesses de grand soir, mais la volonté d’œuvrer à une société un peu
plus juste et de miser sur l’intelligence des citoyens. Ça m’allait.
J’ai voté Taubira le 21 avril à 17 heures. A 20 heures, j’étais coupable
de tous les maux : politiquement naïf, idiot utile du lepénisme. Tout
juste si je n’étais pas pas “le ventre fécond d’où a surgi la bête immonde.”
Depuis, je suis rentré dans le rang. En 2012, j’ai voté utile. Voter utile,
c’est renoncer à élire des idées, des programmes, une vision de la société
et choisir le candidat le mieux placé pour éliminer celui qui vous semble
le pire d’entre eux. C’est un vote adulte, prudent et sans espoir. Hollande
a été élu et Hollande ne m’a pas déçu, puisque je n’en attendais pas
grand-chose de plus que de ne pas être Sarkozy. Je dois même dire
qu’après les attentats de janvier, j’ai été conforté dans mon choix.
Hollande, ce n’était pas exactement l’idée que je me faisais de la gauche,
mais avec l’autre à sa place, on aurait pu craindre le pire.
Mais en 2017, je vais faire encore plus finaud ! Gestion de la crise des
migrants, état d’urgence et déchéance de nationalité me conduisent à
changer de stratégie. A quoi bon voter pour une gauche qui applique un
programme économique de droite tout en piquant des idées à l’extrême
droite pour éviter d’en faire le lit ? Il y a mieux à faire : voter utile aux
primaires de la droite pour le candidat le mieux à même d’éliminer
les moins républicains des Républicains ! Ainsi libéré du chantage au
vote utile, on peut ensuite voter pour le candidat de son choix au premier
tour, candidat qui, comme “la France se droitise”, n’aura absolument
aucune chance de gagner les élections, et par conséquent de décevoir.
C’est implacable. Et dire qu’il y en a qui désespèrent de la politique.
Alexandre Gamelin
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une semaine bien remplie
Se replonger dans le fonds d’un joyeux dadaïste, s’abreuver de torrents d’amour
avec un grand maître du cinéma américain, se méfier de l’emprise tentaculaire
de l’industrie agroalimentaire et profiter de cinq jours de live dans le Grand Est.
égards de l’Est
GéNéRiQ Festival
Pendant cinq jours, cette neuvième édition
de GéNéRiQ fera courir aux quatre coins de cinq
agglomérations du Grand Est pour applaudir
le folk délicat d’Other Lives, le rock tranchant de
Savages, les douceurs ténébreuses des Tindersticks,
la fée Ala.ni, l’electro-pop de LA Priest ou
les grandiloquences des 3SomeSisters (photo).
Leny Guetta
Raoul Hausmann, Sans titre, 1951. Courtesy Collection Musée départemental d’Art contemporain de Rochechouart
concerts du 24 au 28 février à Dijon, Besançon,
Mulhouse, Belfort et dans le Pays de Montbéliard
generiq-festival.com
club cheval
Raoul Hausmann, dadasophe
Alors que l’on fête ce mois-ci le centenaire du
mouvement artistique le plus iconoclaste du XXe siècle,
le musée de Rochechouart, dépositaire du fonds Raoul
Hausmann, l’un des joyeux porte-parole Dada aux côtés
de Tristan Tzara ou d’Hugo Ball, inaugure une expo
dédiée à ce dadasophe qui créa une antenne dada à
Berlin avant de se réfugier dans le Limousin.
exposition Raoul Hausmann, dadasophe – De Berlin à Limoges,
du 27 février au 12 juin, musée Rochechouart, museerochechouart.com
un grand plat pour l’humanité
Cooked
“C’est en apprenant à cuisiner que l’on est devenus
vraiment humains”, telle est la thèse du best-seller
Cooked signé du journaliste Michael Pollan. Aujourd’hui
adaptée en une série de quatre épisodes, Cooked
explore la genèse de nos traditions culinaires,
relevant les dangers de l’industrie agroalimentaire.
série documentaire disponible sur Netflix
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JohnC assavetes
et Gena Rowlands dans
Love Streams (1984)
rééditions
John Cassavetes
A découvrir d’urgence dans une toute nouvelle
édition, deux films de Cassavetes : Un enfant attend
(1963), réalisé durant la période hollywoodienne
du réalisateur ; et surtout Love Streams (1984), film
testamentaire (cinq avant sa mort), peut-être son
chef-d’œuvre absolu avec sa muse de toujours,
Gena Rowlands, et lui-même dans le rôle de son frère.
cinéma coffret Blu-ray (Wild Side)
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le site d’info US qui secoue
l’Union européenne
Capitale grise de l’Europe, Bruxelles n’a jamais passionné les foules. C’était avant
que Politico, rouleau compresseur du nouveau journalisme américain,
et sa jeune journaliste star Tara Palmeri, ne débarquent en ville pour réveiller l’Union.
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C
Pour Politico, la journaliste
Tara Palmeri couvre le sommet
européen consacré au Brexit.
Bruxelles, le 18 février
orina Cretu est commissaire
européenne, roumaine
et extrêmement paresseuse.
C’est bien simple : en un an,
la moitié de son staff a jeté
l’éponge, dont le directeur de
cabinet, son adjoint, et le chef de sa com.
Il faut dire que la blonde incendiaire
de 48 ans ne se pointe jamais au bureau
avant 10 heures, voire jamais au bureau
tout court le lundi, le jeudi et le vendredi.
Et comme si son emploi du temps
n’était pas assez léger, Cretu n’hésite pas
à transformer ses missions officielles en
vacances familiales, comme lorsqu’elle
est partie dix jours à La Réunion au mois
de mai. Pire, l’ex-amante de Colin Powell,
poussée par Jean-Claude Juncker pour
réaliser un semblant de parité au sein
de la Commission, utilise ses employés
pour faire ses lessives et conduire
sa famille partout dans Bruxelles. Pas
mal pour un salaire à 300 K€ l’année.
Et en plus, elle clope au boulot.
Voilà typiquement le genre d’histoire
bruxelloise que vous n’avez jamais
lue : drôle, scandaleuse et hautement
révélatrice de la dérive des élites
de l’Union européenne. “Tout le monde
le savait mais personne ne l’a jamais
écrit. Pourquoi faut-il qu’une fille
complètement extérieure aux institutions
se penche dessus pour qu’on en parle
enfin ?”, s’énerve Tara Palmeri, auteur
de l’exclu dont tout Bruxelles parle.
A 28 ans, la journaliste américaine
est ce qu’on appelle une “scoop artist”
– une reporter dédiée au hard news,
accrochée à son iPhone et debout à des
heures indues pour chopper la moindre
info inédite. Surtout, c’est la figure
montante de Politico. Les fans de
House of Cards sont familiers du ton
abrasif du site américain, jamais
le dernier pour ruer dans les brancards
de l’establishment. Souvenez-vous : c’est
pour le turbulent et novateur Slugline
(équivalent de Politico) que l’ambitieuse
Zoe Barnes quitte son vieux quotidien
ronronnant (un Washington Post à peine
voilé). Fondé en 2007 par des journalistes
issus de la presse écrite traditionnelle,
Politico a bouleversé en un temps
record le panorama des médias et de
la politique made in Washington DC,
donnant au passage ses lettres de
noblesse au web. Oui, on peut produire
de l’info inédite et de qualité sur internet.
Et on peut même gagner de l’argent.
Il suffit de viser juste.
“Nous nous adressons à un public
obsédé par la politique : pour eux, c’est
un sport, une passion comme la musique
ou le cinéma. On parle à des fans”,
explique de sa chaude voix John Harris,
cofondateur de Politico, de passage
à Bruxelles. D’où une règle d’or :
ne jamais barber ces lecteurs déjà très
informés. “Politico, c’est à la fois le New
York Times, pour son côté infos exigeantes
qui redéfinissent l’agenda politique, et
le New York Post, pour son côté outrageux
et déterminé à sortir tous les scoops”,
continue le quinqua aux yeux vifs, ex
du Washington Post. Ce qui explique la
présence sur le site de formats hybrides
comme le Playbook, une newsletter
quotidienne qui fait rire autant qu’elle
instruit. Exemple, vendredi 19 février :
“Le surréalisme sans limite de la Belgique.
Bruxelles doit lancer de gros travaux pour
réparer ses tunnels en 2016. Ça risque
d’être compliqué : le gouvernement
a rangé les plans dans un endroit sombre
et humide, et les souris ont tout dévoré.”
Fort de ce succès, Harris et son
collègue Jim VandeHei ont décidé
de transposer leur modèle à Bruxelles
en s’associant au groupe Axel Springer,
proprio, entre autres, du tabloïd
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Le siège
du Conseil
de l’UE
transformé
en salle
de presse
lors des
sommets
européens
des histoires drôles, scandaleuses
et hautement révélatrices de la dérive
des élites de l’Union européenne
allemand Bild. Le deal est chiffré
quelque part entre “10 et 99 millions
d’euros”. Sur le même créneau, seule
une poignée de médias techno, comme
EurActiv ou Contexte, plus habitués
à disséquer les politiques publiques
que les mœurs des hommes de pouvoir.
Mais si la politique US se prête volontiers
à une scénarisation type Hollywood,
difficile d’imaginer s’amuser autant dans
la morne capitale de la bureaucratie
européenne. D’autant que le microcosme
bruxellois (20 à 30 000 personnes)
est bien plus petit que celui de DC…
“Bruxelles n’est pas ennuyeuse !”, assure
au contraire Matt Kaminski, rédacteur
en chef de Politico.eu, passé par le Wall
Street Journal. “Sous la surface austère,
on retrouve les mêmes histoires humaines
qu’ailleurs, le cynisme, les secrets,
les rivalités… comme dans une série télé.”
D’autant que depuis le lancement du site
il y a dix mois, les crises (migratoire,
diplomatique, terroriste, monétaire,
britannique…) ont engendré bon nombre
d’intrigues de palais. Harris rigole :
“Qu’est-ce qu’il y a d’ennuyeux là-dedans ?”
Pour dynamiter la communication
verrouillée de la Commission, Politico
frappe fort. Certes, les Américains n’ont
pas réussi à embaucher le très connecté
Peter Spiegel, patron star du bureau
européen du Financial Times. Alors ils ont
mis le paquet. Sous les ordres du staff US,
on compte trois bureaux à Paris, Londres
et Berlin, quarante journalistes (là où
l’AFP et Reuters n’en compte qu’une
dizaine), seize nationalités, dont une partie
issue des institutions ou du secteur privé.
Les vieux briscards s’interrogent : cette
débauche de moyens est-elle nécessaire ?
Politico assume : il faut secouer
le traitement ronronnant de l’UE. Même
du côté des journalistes pure souche,
le casting a quelque chose d’inédit.
A commencer par Tara Palmeri, première
recrue et seule reporter américaine
de la bande. “La première fois que l’on s’est
rencontrés, elle m’a dit : ‘Je ne connais rien
à la politique de l’UE, mais donne-moi un
vrai budget de notes de frais et je te sortirai
des scoops”, rigole encore John Harris.
Formée à l’école du tabloïd, Tara
n’a que deux mots à la bouche : “fun”
et “sources”. “Quand j’étais au New York
Post, on avait un budget illimité pour
inviter nos sources dans les meilleurs
endroits : ce sont des clients sur lesquels
on investit pour avoir les infos en premier.
On se marrait bien ! A Bruxelles, les gens
sont plus timorés…”, râle la journaliste.
De ce côté de l’Atlantique, la différence
culturelle pèse de tout son poids.
“Le journalisme américain est beaucoup
plus transactionnel, je te donne une info
si tu m’en donnes une autre. Ici, même
au plus haut niveau, j’ai l’impression que les
gens ne savent pas se servir de la presse”,
continue-t-elle en agitant les mains.
Père italien, mère polonaise, Tara
Palmeri a grandi dans le New Jersey.
Plutôt que de refaire tout Britney Spears
sur sa machine à karaoké, elle fait
semblant de couvrir la guerre des Balkans
planquée derrière son lit, quand elle
ne couche pas les invités sur le canapé
familial façon Oprah. La mini-fouine
est bientôt surnommée “Jersey Journal”.
A l’American University, elle fonce
tout naturellement vers le journalisme.
Tara se fait embaucher par CNN comme
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à l’occasion du Mondial du Tatouage
portrait de Tin-Tin © Thomas Krauss
Le Nissan JUKE a plus d’un point commun
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“aux Etats-Unis,
ils se fichent
de savoir
comment
vous obtenez
vos infos :
c’est le résultat
qui compte”
Salade grecque ou
crème anglais e ?
news assistant pour couvrir les débuts
d’Obama. On est en 2008, elle est déjà
au bon moment au bon endroit.
Les semaines de quatre-vingt-dix
heures et les réveils à 3 heures du mat
s’enchaînent. Pas grave, elle réseaute
à fond et matraque les invités à grand
renfort de cartes de visite. Rapidement,
Palmeri creuse son sillon : des histoires
piquantes, comme celle des SDF
qui font la queue au Congrès pour
garantir aux lobbyistes d’entrer dans le
bâtiment… et détricoter la loi sur la sécu
universelle. Repérée par le Washington
Examiner, elle fait décoller la rubrique
gossip politique qui passe, en un an,
de 25 000 à 1,7 million de vues par mois.
“J’étais déterminée à ce que mes scoops
soient repris par les autres. Je frappais
à la porte de tout le monde, je me suis
incrustée dans des milliers de soirées…”
Tant et si bien que Palmeri finit même
par envoyer un puissant lobbyiste
en désintox sexuelle. “C’est pas grave si
tu sors des histoires qui fâchent : si tu fais
du bon boulot, ta rubrique va devenir “hot”
et les gens te rappelleront. Il faut écrire
des trucs provocants : personne ne veut lire
des papiers chiants !”, s’emporte-t-elle.
Cette fois, c’est le légendaire New York
Post qui l’appelle pour sa Page 6 – la
rubrique de ragots la plus lue d’Amérique
où politiciens faux-culs et stars mégalos
sont passés au crible. Week-ends dans
les Hamptons, after parties à profusion…
Jamais couchée avant 5 heures, Tara
fréquente le gratin du showbiz (elle fouine
tant qu’Alec Baldwin en vient à la menacer
de mort). Mais continue de garder un œil
Tara Palmeri, journaliste
sur la double vie des politiciens. Comme
lorsqu’elle se fait passer pour une
serveuse dans le pub où des sénateurs
républicains pro-famille fricotent
avec des lobbyistes sexy : ils ont tous été
convoqués le lendemain par le président
de la Chambre des représentants.
“En Europe, on insiste sur la manière dont
les choses sont faites. Aux Etats-Unis, ils se
fichent de savoir comment vous obtenez
vos infos : c’est le résultat qui compte.”
Le rouleau compresseur Palmeri
détonne dans la culture feutrée
de Bruxelles. Forcément, à son arrivée,
elle a commis quelques impairs,
y compris auprès des collègues qui la
trouvent très… “américaine”. Son collègue
français Quentin Ariès, 25 ans, n’hésite
pas à la vanner : “C’est une Jersey girl !
Cash et rigolote, mais elle n’a pas peur
des sujets techniques.”
Reste que sa roublardise new-yorkaise
est très utile. Il suffit de la voir faire entrer
en douce une journaliste sans papiers
au sommet du 18 février sur le Brexit.
Une fois dans l’antre du Conseil européen,
à peine a-t-elle largué ses affaires dans
la salle où se trouvent une quinzaine de
ses collègues, qu’elle sillonne les couloirs
cramponnée à son iPhone. “Toujours pas
de scoop, Tara?”, la tance Frédéric Jung,
porte-parole de la délégation française.
Entre deux textos, elle lance des hashtags
(#3shirtsummit en référence à David
Cameron qui a emporté trois chemises
pour assurer la longue négociation,
ou encore #pray4sherpas pour les
collaborateurs fatigués), et trépigne pour
mettre en ligne un premier scoop :
Cameron veut exclure les Européens
de l’aide sociale britannique pendant
treize ans.
“Ils tapotent sur leurs trucs toute
la journée”, observe en riant Jean-Pierre
Stroobants, correspondant du Monde
à Bruxelles. Composée d’une majorité
de junior editors de moins de 35 ans,
la rédaction de Politico est scrutée par
le milieu, pas encore désarçonné.
“C’est une boîte à idées avec des papiers
longs, des angles pointus, c’est très bien
fichu, estime Stroobants. Ils ont créé une
marque qui s’impose mais pour l’instant
son impact est marginal.” Certes,
le “show à l’américaine”, comme l’appelle
un lobbyiste, met en lumière les coulisses,
mais ce n’est pas ce qui intéresse
en premier lieu les drogués de l’actu
européenne. Peter Spiegel, chef
des cinq journalistes du Financial Times
présents à Bruxelles, a souligné dans
Le Monde en avril 2015 la différence entre
les Etats-Unis et l’Union européenne :
“A Washington, les parlementaires décident
où doivent être dépensés les millions
de dollars des recettes publiques, c’est
très utile de tout connaître d’eux. Ici, les
députés et les fonctionnaires européens
ne peuvent rien dépenser, et leurs faits
et gestes intéressent bien moins.”
Politico a-t-il vu trop gros ? Pas
le temps de se poser la question. Le petit
déjeuner prévu par le Conseil européen
pour clore la nuit de négos vient de se
transformer en brunch. Il y a encore
du pain sur la planche. #pray4sherpas.
Mathilde Carton photo Thomas Vanden
Driessche pour Les Inrockuptibles
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cet homme
peut-il encore sauver
les Verts ?
Suite au départ d’Emmanuelle Cosse qui a rejoint le gouvernement,
David Cormand a été choisi pour lui succéder à la tête
d’Europe Ecologie-Les Verts. Sa mission quasi impossible :
redresser un parti en décomposition, où il est controversé.
T
u fais la connerie de ta vie, ça n’a pas de sens !”
Jeudi 11 février, jour de remaniement
ministériel. Il est 10 h 30 et David Cormand,
numéro 2 d’Europe Ecologie-Les Verts
(EE-LV), tombe de haut. Emmanuelle Cosse,
la secrétaire nationale du parti, vient de lui
annoncer par téléphone qu’elle a reçu une offre de
l’Elysée – le ministère du Logement – et qu’elle l’a
acceptée. La veille, le parti avait rejeté dans un
communiqué toute collaboration avec l’équipe en cours
de construction de Manuel Valls.
“Que penses-tu avoir obtenu en retour ?”, l’interroget-il par acquit de conscience. “Consultation citoyenne
sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, fermeture
de la centrale nucléaire de Fessenheim…” Il coupe court
à la conversation : “Je te demande simplement de quitter
le parti, je préférerais ne pas avoir à t’exclure.” Dans
la foulée, l’ex-présidente d’Act Up envoie un mail
aux adhérents d’EE-LV leur annonçant son “retrait”.
Une réunion téléphonique a lieu entre plusieurs
membres du Bureau exécutif (BE) l’après-midi même :
David Cormand, 41 ans, est désigné comme secrétaire
national par intérim jusqu’au prochain congrès,
qui aura lieu en juin.
Depuis, son téléphone vert fluo n’arrête pas de vibrer.
Par SMS, certains de ses amis écolo trouvent encore
les ressources pour ironiser : “La prochaine étape, c’est
le ministère du Logement !” Le 16 février, l’ambiance est
pourtant loin d’être funky à la Chocolaterie, le siège du
parti dans le Xe arrondissement de Paris, mis en vente
récemment à cause de coûts d’entretien élevés. Les
quinze membres du BE doivent y définir une nouvelle
direction collégiale et la proposer au Conseil fédéral.
David Cormand, homme discret et flegmatique aux
jambes immenses et à la voix naturellement cassée,
esquisse un retour d’analyse sur le départ d’“Emma” :
pourquoi en est-elle arrivée là ? Comment redonner
confiance aux militants ? “L’ambiance était lourde…
de responsabilité, relate Elise Lowy, tenante de l’aile
gauche du parti. On est arrivés à la conclusion que
l’écologie ne se réduit pas à une personne, que beaucoup
de militants sont attachés à ce parti et aux valeurs
écologistes, et qu’il doit continuer à leur être utile.”
Le lendemain, le Conseil fédéral approuve à
88,7 % des suffrages exprimés la nouvelle organisation
du Bureau exécutif. David Cormand remplace
officiellement Emmanuelle Cosse et Elise Lowy
est élue secrétaire nationale adjointe. “Cela veut dire
que toutes les sensibilités sont intégrées, salue
le député écolo Noël Mamère, qui a quitté EE-LV
en 2013. David Cormand a très bien compris l’ampleur
de la crise, il peut être celui qui évite l’effondrement
complet d’EE-LV. Pour cela, il faudra qu’il réconcilie
le parti avec ses militants et avec la société civile, en
montrant qu’il n’a pas d’arrière-pensées politiciennes.”
Mais qui est cet homme chargé de sauver un parti
écologiste exsangue, par un concours de circonstances
dont il se serait bien passé ?
Sa trajectoire politique commence sur les bancs de
la fac d’histoire de Mont-Saint-Aignan, en Normandie,
à la fin des années 1990. David Cormand sympathise
avec les militants d’un syndicat étudiant d’extrême
gauche, Agir-Unef. “Je n’étais pas conscientisé
politiquement, mais je les aimais bien, se souvient-il.
C’étaient les seuls qui se battaient pour les étudiants
étrangers, qui étaient accueillis comme des merdes.”
Le jeune homme assiste à quelques réunions,
participe aux tractages, et se retrouve élu sur la liste
de ce syndicat, même s’il ne partage pas ses référents
gauchistes. Sa licence d’histoire en poche, il se
reconvertit dans le théâtre. Pendant quelques années,
il joue En attendant Godot sur les scènes rouennaises,
mais est finalement happé par les coulisses du parti
écologiste en 2000, année où il adhère aux Verts.
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“David Cormand est
constant dans le peu
d’amour qu’il a pour le PS”
un ancien cadre des Verts
Depuis, David Cormand enchaîne les mandats
locaux : conseiller municipal de Canteleu depuis 2001,
il a aussi été président du groupe écolo à la région
lors de la précédente mandature. “Il avait un pied sur
le terrain, et l’autre dans les institutions, se souvient
Philippe Vue, un de ses premiers mentors en HauteNormandie. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a adhéré
aux Verts : il voulait construire une liste pour faire avancer
des dossiers.”
En parallèle, l’ex-intermittent du spectacle est très
investi dans les jeux internes du parti, qui n’ont rien
à envier à Game of Thrones. La nouvelle recrue des Verts
milite dans le courant environnementaliste de Gilles
Euzenat, un taulier écolo de la région : “Je pense qu’il
est toujours sur cette ligne politique, au-dessus des
clivages gauche-droite, même s’il est plus politicien que
moi, et que les alliances ne lui font pas peur”, estime-t-il.
Délégué en charge des élections en 2011, David
Cormand a en effet eu un rôle de premier plan dans les
négociations pour les accords sénatoriaux et législatifs
avec le PS. “Il y avait des moments de tension, un rapport
de force à maintenir, mais nous partagions la même
volonté d’aboutir à une majorité gouvernementale”, se
souvient Christophe Borgel, chargé des élections au PS.
Son émergence dans les instances nationales
du parti en 2006 témoigne pourtant de son rejet des
compromis avec le “grand frère” socialiste. A l’époque
proche de Yann Wehrling, le secrétaire national
du mouvement (désormais porte-parole du Modem),
il prend ses distances avec lui à l’Assemblée générale
des Verts à Bordeaux. Contesté par une part
importante des militants, Wehrling décide de s’allier
avec les voynetistes pour sauver son poste, contre
l’aile gauche incarnée par Cécile Duflot. Cormand
s’y refuse : “Je te souhaite bonne chance, mais je ne vais
pas avec ces gens-là”, lui assène-t-il. “Il est constant
dans le peu d’amour qu’il a pour le PS, remarque
un ancien cadre des Verts, qui a assisté à la scène.
Il a une vraie défiance vis-à-vis de ce parti.”
Toujours en 2006, il crée la motion “Vert et fort
forever”, qui obtient 6 % des voix, ce qui lui permet
de siéger au collège exécutif – un mandat rémunéré
1 500 euros par mois. David Cormand devient ainsi
un professionnel de la politique : il est successivement
directeur administratif du siège des Verts, délégué
aux élections puis secrétaire national adjoint d’EE-LV.
Cette trajectoire lui vaut quelques qualificatifs
peu flatteurs en interne : “apparatchik”, “prototype
du technocrate”, “porte-flingue de Duflot”, “ex-pion
de Jean-Vincent Placé”… “Chez les écolos, on croit
toujours qu’on est plus vert ailleurs, mais ce n’est pas
vrai. Ce recentrage est plutôt positif car dans
la difficulté, on a besoin de quelqu’un d’expérimenté”,
balaie d’un revers de main Gilles Euzenat.
Sa proximité avec Cécile Duflot irrite également
certains cadres régionaux. “David Cormand n’est
pas la bonne personne, martèle Françoise Diehlmann,
ex-membre du Conseil fédéral, qui a claqué la porte
d’EE-LV suite à la désignation de Cormand. Il n’y a pas
plus proche de Cécile Duflot que lui. Dans la période
actuelle, il faut se poser des questions de fond : mettre
quelqu’un de clivant à ce poste n’est pas la solution.”
“Sa boussole, c’est qu’il pense être l’orientation de la base
d’EE-LV. On a vu où ça a mené”, raille encore François
de Rugy, dissident d’EE-LV et coprésident du groupe
écologiste à l’Assemblée nationale.
Face à l’hémorragie de militants, d’élus et de cadres
progouvernementaux, le nouveau secrétaire national
souhaite calmer les esprits : “Il faut que l’on fasse un vrai
travail sur notre relation au pouvoir et à ceux qui nous
incarnent, pour redonner un sens collectif à ce qu’on fait.”
Des personnalités qui incarnent de manière positive
l’écologie pour 2017 ? Il en voit deux : Cécile Duflot
et Nicolas Hulot. En 2006, son appel à la candidature
de l’animateur de TF1 alors que Dominique Voynet était
déjà la candidate désignée lui avait valu une demande
d’exclusion, et sa suspension du collège exécutif.
En 2011, il l’avait à nouveau soutenu avant la
désignation d’Eva Joly. David Cormand garde un
souvenir amer de cette période qui s’est soldée par
un score de 2,31 % à la présidentielle de 2012 : “On
a transformé l’or en plomb. On avait deux bons candidats
au départ, et non seulement on les a neutralisés, mais
on les a abîmés durablement. C’est une faute lourde,
il faut arrêter d’abîmer celles et ceux qui nous incarnent.”
Les luttes picrocholines qui minent le parti
auront-elles raison de lui au congrès de juin ?
“Certaines personnes veulent faire table rase du passé,
et il fait partie de la charrette”, craint Gilles Euzenat.
“Cécile Duflot voudrait être candidate à la présidentielle,
elle le soutiendra pour avoir le parti derrière elle”,
avance Françoise Diehlmann.
L’intéressé a quatre mois pour faire ses preuves,
et rassembler une famille politique en miettes
– sa promotion a encore provoqué le départ de Gilles
Lemaire, secrétaire national des Verts de 2003 à 2005.
Comme à chaque fois que des écologistes participent
au gouvernement, le parti est minablement tiraillé.
David Cormand devra maintenir ce qu’il lui reste
de cohésion, pour que le tournesol ne fane pas,
même s’il est déjà très mal en point. Mathieu Dejean
photo David Balicki pour Les Inrockuptibles
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Harper Lee et l’actrice
Mary Badham sur
le tournage de Du silence
et des ombres (1962),
l’adaptation de Ne tirez pas
sur l’oiseau moqueur
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Harper Lee,
disparue
pour de bon
Recluse depuis plus de cinquante ans, l’auteur
de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur vient de mourir
à 89 ans. Proche de Truman Capote, elle était l’un
des derniers grands mythes de la littérature US.
Universal Pictures Company/New York World-Telegram and The Sun Newspaper Photograph Collection/Library of Congress
H
arper Lee est morte le 19 février, à 89 ans,
en emportant ses secrets dans la tombe.
Pourquoi n’a-t-elle plus jamais publié
de livre après le succès de Ne tirez pas sur
l’oiseau moqueur (1960, prix Pulitzer 1961) ?
A-t-elle vraiment donné son accord pour
la parution, en 2015, du manuscrit de Va et poste une
sentinelle, le roman qu’elle avait écrit avant L’Oiseau…,
et qu’elle n’avait jusqu’alors jamais voulu publier ?
Pourquoi refusait-elle les interviews et les apparitions
publiques, préférant vivre discrètement en Alabama,
dans la ville de son enfance, Monroeville (alias Maycomb
dans L’Oiseau…), auprès de sa sœur, Alice, avocate
comme leur père Amasa Lee (alias Atticus Finch) ?
Au rayon “écrivains reclus”, entre Salinger
et Cormac McCarthy, Harper Lee est peut-être la plus
énigmatique. Après la parution de son premier
roman, elle ne publia qu’une poignée d’articles dans
Vogue. Le reste du temps, elle jouait au golf, se baladait
tranquille dans Monroeville, déjeunait régulièrement
dans l’arrière-salle (pour éviter que les touristes
la reconnaissent) d’un petit restaurant du coin, sous
la protection bienveillante des habitants.
Sa sociabilité se réduisit à son amitié avec Gregory Peck
sur le tournage du film adapté de son livre par
Robert Mulligan en 1962 (Du silence et des ombres, qui
récolta trois oscars ainsi qu’un prix au Festival
de Cannes), et à son voyage à Washington en 2007
pour recevoir la médaille présidentielle de la Liberté
des mains de George W. Bush.
avant L’Oiseau…, il y eut Va et poste une sentinelle
En 2014, à la mort (à 103 ans) de sa sœur Alice,
qui avait toujours veillé sur les droits de Harper Lee,
sa nouvelle avocate, Tonja Carter, découvre
un manuscrit inédit dans son coffre, et ses agents
décident de le publier en juillet 2015. De quoi
déclencher une polémique : confiée aux soins d’un
hospice, sourde et presque aveugle après une attaque
cérébrale, Harper Lee avait-elle toutes ses facultés
pour accepter la parution de Va et poste une sentinelle ?
Il s’agit de son tout premier roman, écrit en 1957.
Scout y a 25 ans, vit et travaille à New York, et retourne
auprès de son père, Atticus, le temps des vacances.
Elle découvre alors une réalité insupportable :
son père, qu’elle croyait pour l’égalité entre Blancs
et Noirs, participe à des réunions anti-Noirs et,
lors d’une longue explication avec sa fille, lui affirmera
qu’ils ne peuvent prétendre aux mêmes droits
car ils ne sont pas éduqués.
Son éditrice de l’époque lui demande alors
d’en écrire une nouvelle version, ne se basant que
sur les flash-backs de l’enfance de Scout.
Deux ans et demi plus tard, Harper Lee livre Ne tirez
pas sur l’oiseau moqueur : la vie de la petite Scout
et de son frère dans les années 1930, élevés par leur
père avocat, qui défendra fermement un Noir
accusé du viol d’une Blanche, contre toute la bonne
société de Maycomb, quitte à se la mettre à dos.
Enseignant à ses enfants le goût de la justice,
de la bonté, de l’honnêteté et de l’humanité,
Atticus Finch deviendra pour des millions d’Américains
un symbole, et le roman de Lee, publié au moment
de la reconnaissance des droits civiques
des Afro-Américains, un emblème de l’antiracisme,
et un phénomène éditorial. Peut-être parce que
le personnage du père permettait aux Américains
de racheter leur mauvaise conscience et celle
de tout un pays. C’est la seule explication possible
au rejet, de la part de la critique américaine
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mais aussi des lecteurs, qu’a rencontré Va et poste
une sentinelle en juillet dernier, soit cinquante-cinq ans
après les bons sentiments de L’Oiseau moqueur.
La réalité des pensées et des actes des Blancs
vis-à-vis des Noirs, même dans les années 1950, était
beaucoup plus complexe, et encore impardonnable :
c’est leur hypocrisie que mettait en scène le très
maîtrisé et certes dérangeant premier roman
de Harper Lee. Est-ce pour cette raison qu’elle n’avait
jamais souhaité, jusque-là, le publier ? Peut-être
est-ce parce qu’elle savait que L’Oiseau moqueur, roman
magique, émouvant, gentil, ne disait pas toute
la vérité, qu’elle refusa les interviews, s’autocensurant
par crainte de trop en dire et de trahir son propre texte.
Si Harper Lee emporte toutes ses réponses
dans sa tombe, il se pourrait que sa mort permette
de découvrir quelques-uns de ses trésors cachés
dans le grenier de son ancienne maison, comme
sa correspondance avec son ami Truman Capote,
jamais découverte, et les histoires qu’ils écrivaient
ensemble pendant leur enfance, sur la machine
à écrire que leur avait offerte Asam Lee ; ou encore
un manuscrit inachevé, Le Révérend, un texte de
narrative nonfiction, enquête sur une série de meurtres
à la manière du De sang-froid de Capote.
l’amitié avec Truman Capote
L’amitié entre Harper Lee et Truman Capote est
l’une des amitiés entre écrivains les plus fascinantes,
davantage que celles entre Scott Fitzgerald
et Ernest Hemingway ou Mary Shelley et Lord Byron.
Née le 28 avril 1926, Lee se lia dès sa petite enfance
avec Truman Capote, de deux ans son aîné, qui
était son voisin et camarade de classe à Monroeville.
Déjà excentrique, vêtu différemment, Capote se fait
souvent agresser par les autres enfants, et c’est
une Harper Lee très garçon manqué qui le prend sous
son aile et le protège. Quand la mère de Capote décide
de s’installer à New York, les deux amis ne se revoient
que l’été, quand Truman vient passer deux mois
de vacances chez ses tantes. Plus tard, c’est lui qui
poussera la jeune femme à se lancer dans l’écriture.
Peu avant la sortie de L’Oiseau moqueur, il est fier
d’annoncer à ses amis qu’il figure dans le roman sous
les traits du petit Dill, un “Merlin de poche”.
En 1959, Capote entraîne Harper dans le sillage
de son nouveau texte, qui va inaugurer un nouveau
genre littéraire, la narrative nonfiction. La jeune femme
l’accompagne au Kansas pour enquêter sur le meurtre
sauvage de la famille Clutter. C’est grâce à sa présence
pendant les interviews que les habitants de la ville
acceptent de se confier à Capote, dont l’allure pour
le moins extravagante les avait d’abord rebutés. A la
sortie de De sang-froid en 1965, Harper Lee est blessée
de ne pas se voir remerciée en bonne et due forme.
Ils resteront pourtant liés jusqu’à la mort de Truman
en 1984. Et ni l’un ni l’autre ne publieront d’autres
Harper Lee avait-elle
toutes ses facultés pour
accepter la parution de
Va et poste une sentinelle ?
livres : pendant que Capote se perd dans
les mondanités après avoir donné son grand bal masqué
en noir et blanc au Plaza en 1966, se consacrant
au journalisme, aux parties, à la drogue et à l’alcool,
Harper se retire à Monroeville – l’autodilution
de Truman dans la jet-set avait-elle effrayé l’auteur
de L’Oiseau… au point de lui faire choisir une forme
de disparition ? Alors que Capote prétend travailler
à un grand roman proustien (il n’en écrivit que
trois chapitres, publiés dans la presse, et on ne retrouva
rien de plus après sa mort), Harper Lee se met
à la rédaction de son propre De sang-froid.
où est Le Révérend ?
Au début des années 1970, un jeune avocat,
Tom Radney, reçoit l’appel d’un certain révérend
Willie Maxwell. Sa femme a été retrouvée morte
dans sa voiture, son frère, mort lui aussi le long
d’une autoroute, puis sa seconde femme retrouvée
également dans sa voiture ; quatre ans plus tard,
c’est au tour de son neveu et enfin, en 1977, celui
de la belle-fille de Maxwell. De quoi le rendre suspect,
d’autant que les habitants de Tallapoosa County,
Alabama, le soupçonnent de se consacrer au vaudou.
Maxwell finira flingué par un de ses parents avant
son procès, mais Radney a déjà convaincu Harper Lee
de s’emparer de l’affaire pour en faire un livre.
Elle passe de longues années à enquêter, écrit à
un ami qu’elle est sûre que Maxwell est coupable mais
qu’elle manque de preuves factuelles. Et abandonne
le livre. Aujourd’hui, le seul mystère qui demeure
de cette vieille affaire est : où est passé Le Révérend ?
Nelly Kaprièlian
Va et poste une sentinelle a été publié en octobre 2015
chez Grasset, en même temps qu’une réédition
de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
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coup de poker à Las Vegas
Publiée initialement avec le hashtag “#ImWithHer” par Britney Spears, cette photo
affichait clairement le soutien de l’ancienne idole des jeunes à la candidate à la primaire
démocrate Hillary Clinton. Avant d’être supprimée et repostée sans ledit hashtag.
1
Xanax
Toutes nos excuses aux personnes sujettes aux crises d’angoisse :
nous avons choisi de relayer une image qui dédramatiserait
presque l’existence des sarouels et autres bolas. Il ne s’agit pas d’une
carte postale chopée à la boutique du musée Grévin, mais de la rencontre
improbable, le 18 février, entre la candidate à la primaire démocrate
Hillary Clinton et l’ancienne idole des jeunes Britney Spears. La scène
se déroulait à Las Vegas, où Spears joue Piece of Me, spectacle best-of
de ses plus gros tubes, et où Clinton était de passage en prévision du
caucus du Nevada. Deux femmes, deux mondes, mais un même sourire
crispé qui donne envie de voir l’envers du décor. Soit, avec un peu
de chance, Bill Clinton en jogging lâchant un si chic “chiiiiiiiizzzzzz !!!!!”
1
Instagram @britneyspears
3
3
2
2
naphtaline
Tomber sur la photo
de deux stars que l’on
imaginait aux antipodes
procure la même sensation
que de croiser une
célébrité dans le métro
(ou, pire, au KFC) : la
réalité a soudain un goût
d’irréel. D’autant plus
quand le cliché ressemble
davantage à ceux que
votre cousine a ramené
de son p’tit trip à Vegas
– et placardé sur son frigo
à l’aide d’un magnet Elvis –
qu’à une rencontre maxi
VIP entre deux puissances,
l’une de la pop, l’autre
de la politique.
L’incrédulité est alimentée
par l’esthétique ici
déployée : du col roulé
blanc en stretch de
Britney au papier peint de
cette suite d’hôtel,
tout ressuscite la fin des
années 1990- début
des années 2000, période
où encadrer son visage
juvénile de deux mèches
gelées était un truc cool.
droit de retrait
Mais l’image est froissée. Alors qu’elle l’avait publiée
sur Instagram avec le hashtag #ImWithHer, histoire
d’afficher son soutien à celle qui est “une telle inspiration
et une si belle voix pour les femmes dans le monde”,
Britney Spears l’a supprimée avant de la reposter sans
ledit hashtag. Aurait-elle eu peur de mettre un pied
en terre inconnue ? Ou préférerait-elle finalement
se joindre aux groupes indé (Vampire Weekend, Killer
Mike, Thurston Moore…) qui soutiennent le concurrent
de Clinton, le démocrate Bernie Sanders ? Aux EtatsUnis, la frontière entre politique et spectacle est
ténue (rappelons-nous des Obama-Jay Z et Beyoncé)
et les artistes n’hésitent pas à s’engager publiquement
pour un candidat. Avec ou sans Britney, Clinton
a remporté le Nevada. Carole Boinet
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Zootopie
retour de hype
“tu préférerais
faire la fête
avec Hidalgo
ou Taubira ?”
retour de bâton
hype
buzz
pré-buzz
Vanessa
Beecroft
les autocollants
Facebook
Rejjie Snow
prendre des
vacances
“on dirait
un transcript des
Ch’tis à Mykonos
ta conversation”
“j’me sens
vachement
mieux depuis
que je sais que
Paul McCartney
aussi se fait
refuser l’entrée
d’after”
La Route
du Rock hiver
à Saint-Malo
et Rennes
la série de
Scorsese Vinyl le hoquet
Serge Aurier
King Gizzard
& The Lizard
Wizard
Rejjie Snow Le jeune rappeur irlandais cool sera en concert
à la Bellevilloise le 9 avril et son premier album sortira
dans l’année. King Gizzard & The Lizard Wizard Le 3 mars à la
Flèche d’Or. “J’me sens…” L’ex-Beatles a été refoulé d’une
after des Grammies et s’est exclamé “A quel degré de VIP doit-on
tremper du pain
dans de l’huile
d’olive
“y paraît que la bière
c’est bon pour
les cheveux”
être ?!” Vanessa Beecroft scénographe du défilé de Kanye West.
La Route du Rock hiver Du 24 au 28 février avec Flavien Berger,
Blanck Mass, Bon Voyage Organisation, Here We Go Magic…
Les autocollants Facebook Surtout les gros chats.
Tremper du pain dans l’huile d’olive Un plaisir simple. C. B.
tweetstat
Après son duo avec Booba, la chanteuse
s’essaie tant bien que mal à la punchline.
Suivre
Christine&theQueens
@QueensChristine
Pour qui me cherche, je suis à Châtelet sur ma
calculatrice, à convertir mon seum en egotrips
14:10 - 16 févr. 2016
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Favori
87
% Jean Rochefort
Qui lui aussi parle le djeuns
11 % Kanye West
Qui lui aussi a un petit problème
de mégalomanie
2“Mais
%t’esVianney
où ?”
“Mais t’es où ?”
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Tommy
Genesis
Cette rappeuse
de Vancouver
captive par son
charisme et une
incroyable liberté
stylistique.
V
oir un clip
de Tommy Genesis
suscite
une fascination
immédiate.
Impressionnante d’aisance
et d’autorité sur la vidéo
du morceau Execute,
la Canadienne a profité
de l’année 2015 pour
entrer dans le cœur des
amateurs de rap alternatif.
Signée sur l’excellent
label d’Atlanta Awful
Records, Tommy se
revendique comme un pur
produit de la génération
internet. Influencée par
des époques et des affects
aussi contradictoires
que le rap des années
1990, les punitions SM,
John Coltrane ou les
Pussy Riot, elle a publié
son premier album
(World Vision) l’été dernier.
Un disque passionnant
de diversité et de maîtrise
dans les différents
registres déployés
tout au long de l’écoute.
Capable d’évoquer
la scansion radicale de
M.I.A. ou le minimalisme
éclairé d’Earl Sweatshirt,
Tommy Genesis a déjà
prévu de donner une suite
à ses métamorphoses
soniques. Son second
album est annoncé pour
le premier semestre 2016.
Azzedine Fall
Katrin Braga
album World Vision 2,
sortie courant 2016
retrouvez son portrait
sur
30 les inrockuptibles 24.02.2016
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juste un doigt
A l’aide d’un algorithme censé déterminer le caractère des usagers
de Facebook, une machine prépare des cocktails personnalisés.
P
remière loi de Coughlin : quand on s’ennuie,
n’importe quoi paraît mieux”, enseigne
le barman Doug Coughlin à son apprenti,
le jeune Flanagan (Tom Cruise),
dans le film Cocktail. C’est sans doute
dans un état d’inactivité avancé qu’une
équipe de designers allemands a décidé d’utiliser
un algorithme, développé par des scientifiques
de l’université de Cambridge, capable de dresser
un portrait psychologique des utilisateurs
de Facebook pour fabriquer des cocktails.
L’algorithme en question utilise le modèle des Big Five,
les cinq grands traits de la personnalité – selon
les psychologues et Wikipédia – que sont l’ouverture
(appréciation de l’art), la conscienciosité (le fait
d’être consciencieux, donc), l’extraversion, l’agréabilité
(en somme, être sympa) et le névrosisme (tendance
à la colère, à l’inquiétude…). Chacun de nous recèle
un peu de ces cinq traits qui, combinés, définissent
un tempérament, un caractère. En fonction des likes
et des commentaires glanés sur les réseaux sociaux,
les chercheurs britanniques peuvent déterminer le taux
d’ouverture, de conscienciosité, etc., des utilisateurs.
Pour appliquer ce principe à la mixologie,
lesdits designers allemands ont associé chacun
de ces traits à différents breuvages censés représenter
au mieux chacune de ces caractéristiques : curaçao
pour l’ouverture, vodka pour la conscienciosité,
un peu de jus de citron pour l’extraversion, liqueur
de basilic pour l’agréabilité et grenadine pour
le névrosisme. Sur leur machine, le Social Shot,
cinq perfusions contenant les cinq liquides
pendent sur une barre métallique au-dessus d’un tube
à essais. On trinque ? Poke ! Voilà un cocktail unique
et original conçu pour vous seulement ! Mais comment
le Social Shot peut-il reconnaître les pince-sans-rire ?
Les faux calmes ? Les lunatiques ? Dans L’Ecume
des jours, Boris Vian avait créé le Pianocktail qui,
déjà, utilisait un clavier pour produire une boisson.
En fonction des notes jouées sur le piano, un système
de tuyauterie sophistiqué distribuait un œuf battu,
de l’eau de Seltz, des liqueurs et alcools divers.
Cette idée vaut bien l’autre.
Les designers ont voulu, par leur invention, moquer
l’hyperpersonnalisation de tout. Mais il ne faut pas
donner des idées pareilles aux bureaux de marketing.
Nul doute qu’ils seront pris aux sérieux. Alors, fini
la Suze et la pression. On posera sa main sur un capteur
intégré au bar qui saura tout seul si l’on est venu pour
fêter ou oublier. Les bouteilles virevolteront d’ellesmêmes sur des bras articulés pour épater la galerie
et le cocktail coulera tout seul dans un verre glissant
sur le zinc. Mais plus de barman pour s’épancher,
plus d’oreilles attentives, plus de brèves de comptoir,
seulement des amis Facebook. Remets-en un, tiens.
Nicolas Carreau illustration Vincent Boudgourd
pour Les Inrockuptibles
pour aller plus loin
Présentation du Social Shot
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style
où est
le cool ?
par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri
dans la céramique
L’enseigne italienne Mutina change notre
façon d’appréhender la céramique et réalise,
en alliant technologie et expérimentation,
de nombreux objets destinés à l’architecture
intérieure. Conçue en collaboration avec
les frères Bouroullec, la collection Rombini
propose ainsi des revêtements muraux 3D
qui explorent la notion de vibration et s’appuient
sur les couleurs phare des deux designers :
gris, bleu, vert, rouge et blanc.
mutina.it
chez Na DI
Après un passage à la Central Saint Martins,
la fameuse école d’art, de mode et de design
londonienne, la jeune designeuse Na Di
a lancé son propre studio en 2013.
Streetwear et modernes, ses collections
allient un grand souci des matières et
du tailoring à l’anglaise à un goût
des broderies et des imprimés flamboyants.
nadistudio.com
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sur le campus de San Joaquin, au Chili
Nina Vidic
Le très sexy Alejandro Aravena, lauréat cette année du prix Pritzker
d’architecture, a signé de nombreux bâtiments au Chili, souvent dédiés à
l’enseignement. Il a ainsi réalisé la fac de médecine, celle d’architecture,
et le Centre de recherche et d’innovation Anacleto Angelini sur le campus
de San Joaquin, où deux notions (nécessaires à l’innovation justement)
opèrent visiblement : l’ouverture et la protection.
dans cette pochette
en damier
Pour sa nouvelle série
de pochettes A5, Vitra se plonge
dans ses archives et ressort
des pièces créées il y a une
cinquantaine d’années. Pourquoi
ne pas craquer pour cette
élégante pochette en damier
signée Alexander Girard,
un des grands noms du design
textile américain ?
vitra.com
plus de style sur
les inRocKs Style
style.lesinrocks.com
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vous n’y échapperez pas
le bijou bondage
a jeune fille ci-contre est toute de chaînes et
de denim vêtue. La quincaillerie qui l’enserre
a laissé des traces sur sa peau, comme un corset
ou des nœuds shibari trop serrés puis relâchés
après une tension mystérieuse. Mais notre belle n’a pas
mal, jamais, elle est rugueuse à l’intérieur. Elle habite
l’imaginaire de la dernière collection Ambush, une
marque de bijoux créée en 2008 par le rappeur Verbal
et sa it-woman de femme Yoon. Saison après saison, ce
“power couple” – selon CNN – explore différentes facettes
des cultures urbaines et cultive ses références – d’Afrika
Bambaataa au nu-rave en passant par un surréalisme
très pop. En découlent des pièces unisexes, imposantes,
qui marquent leur territoire plus qu’elles ne fleurissent
le corps, ce qui leur a valu à Ambush de collaborer
avec Louis Vuitton, Maison Kitsuné, Sacai, Undercover…
Pour l’automne-hiver 2016, la marque propose
des pièces marquées par une esthétique industrielle.
Intitulée Halbstarke (“petite frappe” en allemand),
la collection cite les sous-cultures rebelles et revient
à l’émergence d’une adolescence marginale des 50’s.
Champion de la culture “mash-up”, Ambush glisse des
références à certains bijoux des années 20 (notamment
ceux de Raymond Templier et sa réappropriation
art déco de matériaux d’usine) mais aussi au punk
et au bondage, et à leur rapport violent et ornemental
au corps. On trouve également des pièces réalisées
dans des clous XXL, tordus et assemblés pour composer
un coup-de-poing américain, ou des ceintures-chaînes
et des cadenas érigés en pendentifs.
Amy Gwatkin
L
La marque Ambush
raconte un nouveau rapport
au corps et à l’ornement.
Si les punks ont émergé en opposition aux hippies
idéalistes et rêveurs, c’est sûrement dans une
démarche anti-hipster – vaguement bohème, toujours
bourgeois – que s’inscrit Ambush. A l’heure
où les usines ferment en masse et où les ateliers
de métallurgie disparaissent à travers l’Europe,
leurs pièces évoquent un monde du travail en train de
se volatiliser. Ces signifiants dont la fonction première
est devenue obsolète viennent ausculter le corps
postmoderne, oisif par la force des choses – et
en quête de nouvelles appropriations. Alice Pfeiffer
ça va, ça vient : Pharrell Williams businessman
2005
Cette année-là, Pharrell Williams
est déjà une créature multifonctions :
il est rappeur, producteur, skateur,
et lance la marque de prêt-à-porter street
Billionaire Boys Club avec son pote
le designer japonais Nigo. Sa force ?
Avoir déjà compris que le hip-hop
et les milieux dits urbains étaient un art
de vivre au pouvoir mainstream.
2012
Le touche-à-tout a un doigt dans l’art,
un deuxième dans la mode et un troisième
dans l’environnement. Quoi de mieux
que la création d’une plate-forme web
pour justifier cette hyperactivité et
la présenter sous couvert d’une philosophie
inclusive voire philanthropique ?
C’est le but de I Am Other (je suis autre).
Et ça marche.
2016
Pour Adidas, Pharrell avait déjà créé
une chaussure en plastique recyclé
issu de déchets repêchés dans l’océan.
Il est devenu cette année copropriétaire
de la marque de jeans G-Star, l’associant
à la société Bionic Yarn pour une
collection de denims fabriqués à partir
du même matériau. D’une pierre
tant de coups… A. P.
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bouche à oreille
passion saucisse
M
On n’aurait pas misé un euro sur la wurst, la chipo
ou la merguez. Pourtant, grande est la saucisse.
algré l’hibernation
des BBQ, la saucisse brave
le froid. Au Bar Demory
(62, rue Quincampoix,
Paris IIIe), la chipo cochon/
chèvre/tomate confite/
basilic s’impose dès l’apéro avec la bière
maison. La Crêperie de Josselin
(67, rue du Montparnasse, Paris XIVe),
avec sa fameuse galette saucisse,
n’est plus la seule institution à considérer
sérieusement ce fétiche germanique.
La Sausage Factory (8, rue Mouffetard,
Paris Ve), qui ouvrira fin février,
va combler les accros au hot-dog.
A la carte de ce nouveau corner,
une collection d’une demi-douzaine de
spécimens pour tous les goûts, à base
de bœuf, porc ou volaille, avec des recettes
orientales, japonaises ou françaises,
toutes à fourrer dans un pain maison.
Chacun s’exprime sur le sujet.
A Viande&Chef (38, rue de Lancry,
Paris Xe), Benjamin Darnaud, un chef
qui a monté sa boucherie, prépare
tous les jours des kilomètres de saucisse
“un peu funky qui sortent de l’ordinaire”,
comme celles à base de gras de cochon
noir de Bigorre mariné au bourbon. Dans
sa toute première gamme charcutière,
le boucher Yves-Marie Le Bourdonnec
s’y est également mis.
Fortement identitaire, ce produit
régional connaît différentes variantes.
Marseille, élue Merguez Capitale en
2013 par le Off des festivités organisées
dans le cadre de Marseille Capitale
européenne de la culture, aime
cultiver sa spécialité locale : la “sôcisse
marseillaise qui donne envie de déguster,
sans jamais se lasser”. Le fast-food
toulousain Chez Rudy (27, rue Pouzonville)
revendique son patrimoine dans
un hot-dog à la crème de persil. Yannick
Alléno (Terroir parisien, 25, place de la
Bourse, Paris IIe) assume une interprétation
parisienne de “veau chaud” : une tête
de veau à la farce fine pressée puis
roulée dans une baguette chaude à noyer
dans une sauce gribiche, vendue à
la sortie du métro Bourse, et qui cale
les traders à moins de 10 euros.
Microscopique enseigne historique
du secteur, La Mosaïque – Pat’s Hot Dog
(56, rue du Roi-de-Sicile, Paris IVe)
défend son bout de gras depuis dix ans.
Amusé par le buzz de la saucisse
qu’il a été un des premiers à alimenter,
Patrick Martin continue à vendre, de
midi à minuit, tous les jours de l’année,
des petits pains-saucisses. Dans son
7 m2 qui a pour seule déco des bocaux
de moutarde Yellow, sa vie se résume
au succès d’un petit boyau. Cécile Cau
Une création
de Benjamin
Darnaud pour
Viande&Chef
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objectif 2016 volume 2
La fleur sauvage d’Iggy Pop, le folk languide de Keren Ann,
les éclats lyriques de Feu ! Chatterton, Katerine en équilibre
fou, Rokia Traoré déracinée et Club Cheval bondissant…
1. Iggy Pop Gardenia
extrait en avant-première de l’album
Post Pop Depression (Rekords Rekords/
Loma Vista/Caroline International)
Pour son nouvel album, l’Iguane convie
Josh Homme à la production et sur plusieurs
instruments, Matt Helders (Arctic Monkeys)
à la batterie et Dean Fertita (QOTSA) aux
guitares. Avis de tempête.
2. Get Well Soon It’s a Catalogue
(radio edit)
extrait de l’album Love (Caroline/Universal)
Le nouvel album des Allemands romantiques
prend l’amour comme sujet d’étude.
Un programme qui culmine avec ce catalogue
passionnel, lequel survivra sûrement
à la Saint-Valentin.
3. Keren Ann Where Did You Go ?
extrait en avant-première de l’album
You’re Gonna Get Love (Polydor/Universal)
La plus internationale des chanteuses
frenchies poursuit son approche des grandes
écritures pop et folk sur un septième
album à la beauté languide.
4. Sage One Last Star
extrait en avant-première de l’album
Sage (Labelgum)
Epaulé par la production experte de Benjamin
Lebeau (The Shoes), l’ex-Revolver Ambroise
Willaume déploie son songwriting délicat sur
des morceaux electro-pop élégants.
5. Feu ! Chatterton Fou à lier
extrait de l’album Ici le jour (a tout enseveli)
(Barclay/Universal)
Elégance, lyrisme, fougue et légèreté : il y a tout
ça dans les morceaux de Feu ! Chatterton, dont
les éclats sur scène ne se démentent plus. Leur
album, sorti en septembre, est une révélation.
6. Maissiat Avril
extrait en avant première de l’album
Grand amour (Cinq7/Wagram)
Où il est encore question d’amour avec ce
deuxième album d’une Française que l’on aime
d’ailleurs beaucoup. Ce premier extrait prouve
que Françoise Hardy a aussi eu une fille.
7. Grand Blanc L’Amour fou (radio edit)
extrait de l’album Mémoires vives
(Entreprise/A+LSO/Sony)
L’Amour fou : c’est à peu près ce qu’on ressent
pour Grand Blanc à l’écoute de son premier
album, véritable manifeste d’une pop urbaine
et moderne à souhait. Parmi les groupes
français les plus prometteurs.
8. Marlon Williams Strange Things
extrait de l’album Marlon Williams
(Dead Oceans/Pias)
Plus loin que le far west, il y a la NouvelleZélande, d’où Marlon Williams chante une forme
de country folk des plus ensorcelante.
9. Club Cheval From the Basement
to the Roof (radio edit)
extrait en avant-première de l’album Discipline
(Bromance/Parlophone)
Etendards du label Bromance, Canblaster,
Panteros666 & Co. devraient toucher les étoiles
et brûler les dance-floors.
10. M. Ward Girl from Conejo Valley
extrait en avant-première de l’album More Rain
(Bella Union/Pias Coop)
Figure incontournable du folk américain,
M. Ward est de retour avec un huitième album
solo lumineux et apaisé.
11. Marvin Jouno L’Avalanche
extrait en avant-première de l’album
Intérieur nuit (Un Plan Simple/Sony)
Invité surprise de la chanson française, Marvin
Jouno publie un premier album bluffant de
maîtrise et d’inventivité, truffé de classiques.
12. Rokia Traoré Né So
extrait de l’album Né So (Nonesuch/Warner)
Dixième album pour la Malienne Rokia Traoré,
Né So est aussi une chanson, voire la chanson
la plus digne écrite sur le thème des déracinés
et des réfugiés. Album sobre, zen et grave.
13. The Magnetic North Signs (edit)
extrait en avant-première de l’album Prospect
of Skelmersdale (Fulltime Hobby/PIAS)
Quatre ans après son symphonique et hanté
premier album, The Magnetic North revient avec
d’autres grandes chansons, contant l’histoire,
cabossée et bizarre, d’une ville anglaise.
14. Katerine Moment parfait
extrait en avant-première de l’album
Le Film (Cinq7/Wagram)
Un piano, une voix, un album minimal,
des angoisses existentielles, un périple à travers
la France et un Katerine magnifique, en équilibre
fou entre le poignant et la fantaisie.
15. GoGo Penguin All Res
extrait de l’album Man Made Object
(Blue Note/Universal)
Un trio jazz de Manchester, dont le premier
album sur le légendaire label Blue Note joue
avec l’espace-temps, lors d’instrumentaux
tendus, lumineux et panoramiques.
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Blanc et Rokia Traoré
danse
Vader
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Lyon (69)
Des interprètes aux
très forts tempéraments
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sophistiqué, et un
théâtre décalé : autant
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qui caractérisent
le travail du collectif
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40 les inrockuptibles 24.02.2016
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chaque jour, un contenu exclusif pour nos abonnés
les Inrocks ont 30 ans
A l’occasion de la sortie du numéro spécial
anniversaire des 30 ans des Inrockuptibles (toujours
en kiosque), nous publions une série de grands
entretiens qui ont marqué l’histoire du magazine.
Orange nue (1991), courtesy de l’artiste
et Galerie Chantal Crousel/ADAGP
Comptes à rebours de Roger Pigaut/Filmel
Björk en 2001 (ci-contre)
Elle avait coupé les micros après le tourbillon Dancer in the Dark.
Björk retrouvait la voix grâce au grandiose Vespertine.
Jean-Luc Moulène en 2002
Figure de l’art contemporain,
il revenait sur vingt ans d’une
production politique et poétique.
Julie et Gérard Depardieu en 2010
Nous les avions rencontrés chez
lui, avec Gérard en cuisine, pour
leur premier entretien ensemble.
Emmanuel Carrère en 2011
L’auteur s’emparait de la vie
d’Edouard Limonov et passait au
crible la Russie contemporaine.
Caïmans Productions
Jeanne Moreau en 2009
Au Festival d’Avignon, elle
retraçait pour nous sa carrière
théâtrale et cinématographique.
danse
Mass b
du 9 au 18 mars
au Théâtre national
de Chaillot, Paris XVIe
Spécialiste de
la danse baroque,
Béatrice Massin
est une musicienne
de l’espace. C’est
sur des extraits
de la Messe en si mineur
de Bach qu’elle a choisi
de créer son nouveau
spectacle, Mass b.
à gagner : 15 × 2 places
pour la représentation
du 10 mars
théâtre
Les Gens d’Oz
du 3 mars au 2 avril
au Théâtre national de
La Colline, Paris XXe
Ils vivent dans un
immeuble. Au centre du
réseau, Anna, écrivaine
célèbre qui a cessé
d’écrire. Autour d’elle,
un pianiste, un rentier
oisif, une jeune femme
qui rêve de rencontrer
la star de la littérature
et un amoureux…
à gagner :
10 × 2 places pour
les représentations
des 5 et 6 mars
concert
We Are Match
en tournée
jusqu’au 12 mai
La découverte
inRocKs lab 2013
sortait l’année dernière
son premier album
et compte bien
en découdre sur
les scènes de France.
Incontournable.
à gagner : 2 × 2 places
pour les concerts
de Bordeaux le 3 mars,
Tours le 17 mars
et Paris le 31 mars
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noir & blanc des personnalités qui l’ont marqué, agrémentant ses clichés d’anecdotes de prise de vue ou de citations
de ces rencontres. On y croise, entre autres : Patti Smith, Lou Reed, Claude Chabrol, Francis Ford Coppola, Brian Eno…
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Enfin un jeu où vous n’aurez pas
à répondre à une question sur le PIB
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attention,
décollage
immédiat !
Nés sur la scène, les cinq jeunes Parisiens
de Feu ! Chatterton défendent dans toutes les salles
de France leur premier album, Ici le jour (a tout enseveli).
Dandys, littéraires, pétris d’influences musicales
allant de Dylan à Booba, ils tracent avec méthode
et passion leur route singulière.
par Maxime de Abreu
photo Philippe Garcia pour Les Inrockuptibles
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N
ous sommes… Feu !… Chatterton !…”
Arthur, le chanteur du groupe,
a du mal à entamer le deuxième
morceau du concert. “Vous êtes
vraiment très intenses, ce soir !”, lancet-il à une assemblée effectivement
surexcitée. Nous sommes le 17 février
au Trianon, à Paris, et les fans crient
tant et si bien que le groupe doit
patienter, en riant de joie, avant de pouvoir reprendre
son set. Les cinq garçons viennent de jouer Ophélie.
Quand le public se calme, ils enchaînent avec Fou à lier,
puis Côte Concorde. Ils joueront bientôt La Mort
dans la pinède, Boeing et bien sûr La Malinche, qu’ils
étirent dans une version technoïde et musclée de
presque dix minutes. En quelques mois à peine, la clique
parisienne a su imposer ses petits tubes en concert.
Tout au long de celui-ci (deux rappels compris),
Arthur alterne les moments de transe et ceux de poésie
pure, tandis que ses camarades se lâchent
progressivement autour de lui. Ils sont comme possédés
par une fièvre qui les dépasse une fois la musique
en marche – plus vraiment les mecs tranquilles
et blagueurs qu’on croisait, une bière à la main, quelques
minutes avant de les voir monter sur scène…
Devant leur public, ils ne sont plus que gestes francs
et tendus, mots lancés au ciel et pas de danse à
la Ian Curtis. On a rarement vu, en France, un groupe si
jeune maîtrisant une telle signature scénique.
Depuis Noir Désir jusqu’aux éclats récents de Fauve ≠,
rares ont été les Français capables de transporter
une vision universelle du rock. Mille fois traversée mais
toujours sur l’avant-poste du renouveau esthétique,
cette musique trouve sa raison d’être sur scène : dans
la chaleur, les cris et la communion d’un public avec
son groupe préféré. Démonstration est faite au Trianon.
Une semaine plus tôt, Feu ! Chatterton est aussi
sur scène, dans une plus petite salle. Au Théâtre
du Garde-Chasse, aux Lilas, les cinq garçons sont
dans leur élément. Leur live est rodé, efficace, et leur
prestance aurait de quoi questionner le charisme
de beaucoup de musiciens consacrés. En tournée quasi
constante depuis des mois, à raison parfois de trois
ou quatre concerts par semaine, ils ont pris l’habitude
de naviguer d’une ville à l’autre, partout en France,
dans les petites salles et d’autres plus grandes, à la
rencontre d’un public toujours plus dense.
Car Feu ! Chatterton n’est pas le genre de groupe
sur lequel on tombe par hasard en festival, en se disant :
“Ah, tiens, c’est pas mal.” Après s’être révélé au festival
Bars en Trans 2013 puis lors du concours inRocKs lab
2014, “Feu !” a su fédérer une communauté de fans
fidèles qui, passionnée depuis qu’elle a vu le groupe sur
scène, ne manque jamais une occasion de le retrouver
Clément Doumic
guitariste et claviériste, 28 ans
Malgré son regard sombre, Clément est un type
calme et sensible. Il est fan d’Arcade Fire
et de Radiohead (surtout pour Jonny Greenwood),
mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est oublier
Paris pour voyager. Les périodes de tournée
sont donc pour lui l’occasion idéale
de rencontrer de nouvelles têtes et de partager
un sourire, qu’il finit toujours par lâcher.
quand il est de passage dans le coin. “J’aimerais
bien pouvoir dire qu’on vient du studio, qu’on est ce genre
de groupe, nous dit Arthur. Mais la vérité, c’est
qu’on vient de la scène. Les gens qui nous suivent nous
ont connus comme ça.” Il poursuit sur leur quotidien,
le même depuis des mois : “Tout le monde fantasme
la vie de musicien, mais il faut arrêter. Prendre un camion,
partir dans des salles à l’autre bout de la France,
ce n’est pas du tout sexy. Le vrai luxe, c’est l’instant du
concert, cet échange fugace mais puissant qu’il
permet. Le reste n’est pas très excitant et demande
beaucoup d’abnégation. Moi, plus tard, je veux une famille,
des enfants, et je sais d’avance que ce sera compliqué.”
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“le vrai luxe, c’est l’instant
du concert, cet échange fugace
mais puissant qu’il permet”
Arthur
Arthur Teboul
chanteur et parolier, 28 ans
Avec ses airs de personnage de film noir,
à la fois poseur, fêtard et séducteur,
Arthur porte l’image du groupe sur ses
épaules. Consommateur insatiable
de chanson et de littérature, il écrit ses
premiers textes à 10 ans, puis s’essaie
au rap avant de rencontrer Clément et
Sébastien au lycée, à Paris. Ces derniers
l’encourageront bientôt à écrire pour
eux et leur musique, jusqu’à la révélation
commune que sera Feu ! Chatterton.
Raphaël de Pressigny
batteur, 27 ans
En 2014, après avoir vu la bande-annonce
du film Whiplash, Raphaël annule ses vacances
et s’enferme dans une maison de campagne.
Jour et nuit, pendant une semaine, il joue
jusqu’à l’épuisement… C’est dire l’obsession
du garçon pour la perfection rythmique, qu’il
développe depuis toujours à travers sa passion
pour les sons traditionnels africains et
la musique répétitive. C’est le pilier technique
du groupe.
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Avec ses potes Clément, Sébastien, Raphaël et Antoine,
Arthur a publié un premier album en octobre 2015.
Enregistré entre Paris et Göteborg, en Suède, avec
le producteur Samy Osta (Rover, La Femme…), Ici le jour
(a tout enseveli) est à l’image de son titre : poétique
et audacieux, jamais à court d’idées, à mille lieues
des évidences musicales actuelles. Sa veine littéraire,
qu’on doit à la plume aiguisée d’Arthur, s’empare
des thèmes de l’amour et de la mort d’une façon qui
échappera aux jeunes gens trop modernes – la force de
ces quelques chansons, c’est aussi leur intemporalité.
A la fois bourré de références et libre d’inventer
l’avenir, cet album trouve une nouvelle résonance
aujourd’hui en se confrontant à la rigueur d’une
tournée, avec ses exigences physiques et mentales,
son engagement sur la durée et le besoin qu’elle induit
d’aller plus loin dans l’ambition artistique. Raphaël,
le batteur, constate “un rapport nouveau à la scène et
au public”. L’étape du premier album franchie, il a fallu
mettre la barre plus haut et ne pas se reposer sur les
acquis. Il continue : “Jusqu’à présent, on était beaucoup
dans la présentation du groupe. Désormais, les gens qui
viennent connaissent mieux, voire très bien, les morceaux.
On n’a plus autant besoin d’aller les chercher, de les
convaincre, mais il faut être à la hauteur des attentes. Du
coup, on est plus détendus tout en se donnant davantage.”
Clément acquiesce : “On n’a jamais été aussi fatigués
qu’en ce moment, mais c’est cool. Nos live sont plus
complets et plus professionnels, d’une certaine manière.”
Quant à Arthur, qui termine chaque concert en sueur,
tire sans manière sur sa voix rocailleuse et n’est pas
avare d’une gestuelle toute particulière sur scène,
il a également revu son approche de la vie de musicien :
“C’est une période très intense, je suis devenu très
discipliné. Ne serait-ce que pour préserver ma voix, je ne
peux plus trop faire la teuf… On est entrés dans une
autre phase de notre parcours. Jusqu’ici c’était la course,
la conquête ; mais maintenant que ça devient stable
et qu’on a la chance de vivre de notre musique – même si
on sait que c’est potentiellement précaire –, on ne le vit
plus du tout comme ça : nous sommes musiciens, voilà
notre fonction, notre métier.” Un métier qui n’est pas
“le plus dur du monde”, ajoute-t-il, mais dont l’angoisse
particulière tient au fait de ne pas décevoir, de
se confronter encore et toujours à l’altérité du public.
Retour au Trianon. Le groupe y a joué au début de sa
tournée en octobre, est revenu en décembre et s’apprête
à y repasser en mars, puis en avril. En 2014, c’est
également sous les boiseries mythiques de la salle
qu’il a remporté la finale du concours inRocKs lab,
décrochant à la fois le prix du public et celui du jury.
A l’époque, le groupe est déjà loin au-dessus de ses
concurrents, pourtant prometteurs. Après La Femme et
Fauve ≠ ces dernières années, Feu ! Chatterton se hisse
d’emblée parmi les candidats sérieux au statut de groupe
générationnel, faisant d’une poignée de chansons le
symptôme d’un courant d’air frais dans le rock français.
Depuis des années, Feu ! Chatterton préparait
son éclosion, mais sans plan préconçu, porté seulement
par une approche singulière de l’écriture. Fan
de Bob Dylan comme de Booba, biberonné à la pop
culture autant qu’à la littérature, Arthur traîne dans ses
cahiers plus de quinze ans d’écriture. Pendant longtemps,
dès son enfance dans le XXe arrondissement de Paris,
il griffonne des mots épars, passant un instant par le
rap avant de rencontrer Clément et Sébastien. Il raconte :
“A l’époque, Clément et Sébastien étaient les mecs cool du
lycée. Ils gambadaient dans la cour entourés de jolies filles,
et moi, comme dans une série B, je les regardais de loin.
Un an plus tard, comme ils savaient que j’écrivais, ils m’ont
proposé de chanter mes textes pour eux, qui faisaient déjà
de la musique ensemble. J’étais hyper content mais ça
a été une catastrophe. Je ne comprenais rien au rythme,
à la musique… Pour eux, je n’étais qu’un cancre, un rigolo.”
Difficile d’imaginer la situation quand on voit Arthur
sur scène aujourd’hui, flamboyant comme un leader
– ce qu’il n’est pas. Groupe férocement démocratique,
quitte à perdre des journées entières à débattre sur
chaque détail, Feu ! Chatterton prend forme dans les
années qui suivent, en parallèle des études (brillantes)
de chacun. Bientôt, ils seront rejoints par Antoine
et Raphaël, qui ont reçu une formation musicale plus
solide. A partir de là, on connaît l’histoire. “On est
devenus cool quand on a arrêté d’essayer de l’être,
sourit Arthur. Quand on a vu arriver Mustang, Lescop,
Aline, La Femme et Granville, on s’est dit : ‘Putain, ça y est !
On peut faire de la musique en français sans être ringard !’
Et puis après, c’est Fauve ≠ qui est arrivé. Ça a donné
un autre éclairage à la nouvelle scène française.”
Le message est transmis aux Victoires de la musique,
qui continuent de décerner des prix à Johnny Hallyday.
Le 12 février sur France 2, en direct du Zénith, les live
défilent à l’écran. Quelques prestations sauvent la mise
(Christine And The Queens, Hindi Zahra) mais l’ensemble
reste au niveau des habitudes. Ce soir-là, un seul
espoir a raison de notre mauvais esprit. Feu ! Chatterton,
sélectionné dans la catégorie “révélation scène”,
participe pour la première fois. Le groupe joue le jeu
et fait comme s’il était normal, pour lui, de se produire
en direct devant presque trois millions de personnes.
Toutefois, malgré une interprétation très classe
et très maîtrisée de La Malinche, c’est Hyphen Hyphen
qui remportera curieusement cette chère Victoire.
Pour le reste, on ne manquera pas le rendez-vous
de Feu ! Chatterton avec l’avenir, que le groupe pourrait
bien se mettre dans la poche en un rien de temps
(il serait déjà au travail sur un deuxième album). Et si
Arthur et ses potes ne sont pas dupes des aléas de la
vie d’artiste, ils n’en gardent pas moins une foi profonde
en ce projet enfin abouti qu’est leur aventure commune.
“On se rend compte que c’est illusoire d’imaginer toujours
plus de sommets à atteindre, conclut Arthur. Quand on
fait de la musique, il y a toujours des fantasmes de gloire,
de succès, de reconnaissance… Mais quand tu frôles
du doigt ton rêve, que reste-t-il après ça ? Avec ce groupe,
on a trouvé une quête suffisante pour une vie entière.”
album Ici le jour (a tout enseveli) (Barclay/Universal)
en tournée en France, le 7 mars et le 4 avril à Paris (Trianon)
facebook.com/feu.chatterton
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“on n’a jamais été aussi
fatigués qu’en ce moment,
mais c’est cool” Clément
Sébastien Wolf
guitariste et claviériste, 28 ans
Diplômé de l’Ecole normale supérieure
en physique (oui, oui), Sébastien a finalement
délaissé les ondes gravitationnelles
pour les distorsions de sa guitare. Toujours
enjoué, affable, souriant, c’est le genre
de mec à se faire draguer sans s’en rendre
compte, ignorant que ses mèches rebelles
et son perfecto, qu’il ne quitte jamais,
ne laissent pas insensible. Dans les débats
sans fin du groupe, il arrive à calmer le jeu.
Antoine Wilson
bassiste, 26 ans
Discret comme tout bassiste, Antoine est
le plus jeune de la bande. Il est aussi le plus
rêveur, du genre à se perdre dans ses idées
en fixant bizarrement le plafond. Doté d’une
solide formation classique due au Conservatoire,
Antoine s’est toutefois révélé, aussi, à l’écoute
des Ambient Works d’Aphex Twin. Il ne
transige pas sur l’exigence artistique et pourrait
encourager, avec Raphaël, des directions
musicales inattendues pour l’avenir du groupe.
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Près de quatre cents personnes
se sont installées durant neuf mois
dans des abris de fortune
sur les voies de la petite ceinture,
le long du boulevard Ney,
dans le XVIIIe arrondissement
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A l’occasion de la nouvelle édition
de son livre-enquête sur les logements
insalubres, Joy Sorman s’est rendue
pour Les Inrocks dans le campement
du boulevard Ney, à Paris, évacué
le 3 février. Un démantèlement intervenu
avant que l’Etat ne soit épinglé par
le Conseil de l’Europe, qui s’inquiète de
la “politique d’expulsion de masse” mise
en œuvre par les autorités françaises.
photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P pour Les Inrockuptibles
dans les
bidonvilles
de Paris
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D
ans La Clôture, récit paru en 2002,
Jean Rolin arpente méticuleusement
le boulevard Ney, qui relie la porte de
Saint-Ouen et la porte d’Aubervilliers,
dans le nord de Paris. A la hauteur
de la porte des Poissonniers,
il note le “caractère assez sombre et
essentiellement transitoire” du boulevard,
“impropre aux longs séjours comme
aux activités régulières et déclarées”. Il relève la grille
installée le long de la petite ceinture – tronçon désaffecté
du réseau SNCF – “afin de prévenir la divagation
des toxicomanes sur les voies”, raconte que des travestis
ont tenté en vain de s’établir sous le pont du chemin
de fer, repère un car de Médecins du monde qui distribue
sans doute des seringues stériles.
des cabanes de tôles et de carton
Le dimanche 31 janvier, je gare mon scooter
sur le trottoir rue des Poissonniers, le paysage distille
toujours un air inhospitalier, la petite ceinture
court sous mes pieds, coincée entre le boulevard Ney
et la rue Belliard, des immeubles de bureaux, quelques
tours d’habitation et un dépôt de bus de la RATP.
Et les voitures filent sur les maréchaux qui enserrent
Paris. De l’habitacle, arrêté au feu rouge de la porte
des Poissonniers, alors qu’on vient de laisser derrière
soi la porte de Clignancourt, on aura beau se pencher
à la fenêtre, se tordre le cou, on ne verra rien, le regard
ne plongera pas assez loin, ne pourra pas se faufiler
jusqu’aux voies sur lesquelles s’est construit,
il y a neuf mois déjà, un impressionnant bidonville
– 90 cabanes de tôles, de planches et de carton
où vivent autant de familles, entre 350 et 400 personnes
venues de Roumanie et surtout d’autres
campements franciliens dont elles ont été expulsées.
J’écris “Roumains” car je ne veux plus écrire
“Roms”, ce mot devenu celui du rejet, détourné et
recouvert par une politique haineuse et stigmatisante,
un fantasme identitaire construit par l’Etat.
Le bidonville est ici un village encaissé, juste
en contrebas du boulevard, il s’est établi sur plusieurs
centaines de mètres, sur la largeur étriquée
des voies, de part et d’autre du ballast, comme la rue
unique d’une petite ville de western, de chercheurs
d’or, desservie par une locomotive fumante – c’est
la première image qui me vient, la seconde étant
une photo du bidonville de Nanterre dans les années 60,
incarnant aux yeux de la France entière ces zones
insalubres à la périphérie des villes. C’est toujours
la même image en noir et blanc, des baraques alignées
dans la boue à perte de vue, une forêt de petites
cheminées perçant une mer de toits faits de planches
en aggloméré, de carton imbibé, de bâches retenues
par des palettes et des pavés, sur lesquels s’entassent
des escabeaux, des pneus, des poutres, des bidons,
des baignoires d’enfants en plastique, une grille
de chantier, un parasol, un sapin de Noël mité,
n’importe quoi d’encombrant, de lourd pour empêcher
que le vent ne fasse s’envoler la fragile protection,
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Au quotidien,
la vie s’organise
comme dans un
village où tout le
monde se connaît
un amoncellement hétéroclite de détritus, tout est bon
pour se fabriquer un abri, se bricoler une épaisseur
au-dessus de la tête, et pouvoir dire ici c’est chez moi,
entrez dans ma maison.
On accède au campement par des passerelles
de fortune, un escalier de bois branlant que
trois femmes empruntent avec précaution, portant
de lourds bidons qu’elles ont rempli d’eau à la fontaine
de la porte de la Chapelle, je demande si je peux
les suivre – hochement de tête, je descends.
chutes de moquette et gazon synthétique
J’aborde un groupe d’hommes, des femmes seules,
un enfant pas commode, des adolescents lookés
– jeans slim, casquette américaine, fuseau léopard,
sweats à capuche, yeux fardés des filles, strass
à l’oreille des garçons –, on vient à ma rencontre,
on va chercher un habitant qui parle mieux français,
j’explique que je veux écrire sur le bidonville, carnet
de notes à la main, je tâche d’exprimer mon empathie
et mon soutien, maladroitement, autour de moi
la vie semble gaie et désolante – des ordures emmêlées
dans une végétation miséreuse, des braseros
qui chauffent, la musique suave d’un poste de radio,
du linge qui sèche, la fumée irritante, noire et épaisse,
des poêles à bois, le sol boueux et les rails recouverts
d’un palimpseste moelleux, empilement de chutes
de moquette, gazon synthétique, toiles enduites, tapis
et couvertures. Un confort pauvre et improvisé fait
de mobilier de récupération, sièges de voiture ou de
rendre visibles
les invisibles
Pour écrire L’Inhabitable, Joy Sorman est allée dans
les logements insalubres de Paris, puis dans les foyers
qui les ont remplacés. Une enquête forte, où s’écrivent
des histoires de précarité et de détresse.
Joy Sorman, qu’on avait découverte avec son livre féministe
Boys, boys, boys (2005), s’est depuis investie d’une mission : se rendre
dans les zones les plus défavorisées de Paris, pour les restituer
et les mettre sous les yeux des Parisiens qui n’y sont jamais
confrontés. Zones de transit, logements délabrés, foyers, Sorman
s’entête à rendre visibles les invisibles, ceux que notre société
s’acharne à reléguer dans ses marges, sa périphérie. Après son
très bon Paris gare du Nord (2011), elle s’est rendue dans des
logements insalubres rue du Faubourg-du-Temple, rue Mathis,
rue Ramponeau, etc. Elle y a rencontré leur population – émigrés
à la dérive, personnes âgées démunies, familles en difficulté.
Dans L’Inhabitable, un texte qu’elle a d’abord écrit pour un recueil
aux éditions Alternative, et qu’elle a entièrement revu et augmenté
pour la présente édition, elle restitue les mots, les conditions de
vie, les décors, les histoires de ces personnes. Un an après les
avoir rencontrées, elle s’est rendue sur les mêmes lieux : rénovés,
voire entièrement reconstruits, ces logements insalubres sont
devenus des foyers d’accueil. Mais elle y croisera des êtres tout
autant à la dérive, les mêmes histoires de précarité, qu’elle livre
avec une neutralité respectueuse, sans pathos ni démagogie,
mais sans rien éviter non plus de leurs paradoxes. Du beau travail
d’enquête et un texte simplement fort, salutaire. Nelly Kaprièlian
L’Inhabitable (L’Arbalète/Gallimard), 77 pages, 11,50 €
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Le 3 février, le camp est
évacué dans le calme puis sera
entièrement démantelé
bureau, chariots, poussettes cassées, télés réparées,
bidouillées, vélos crevés, lits de bébés privés de matelas,
plaques de cuisson reliées à une bouteille de gaz,
frigos rouillés, groupes électrogènes ronflants.
Faute de place dans les abris – des espaces de quelques
mètres carrés occupés par les matelas, de grands
sacs de marché qui contiennent les vêtements et les
effets personnels –, la plupart du mobilier de cuisine
se trouve dehors, et un réseau électrique approximatif,
rallonges et prises multiples emmêlées, court
de cabane en cabane, de part et d’autre des rails, de la
rue inventée ici – qui n’a pas de nom mais des numéros,
chaque baraque étant marquée au feutre noir de deux
chiffres, et chaque porte munie d’un cadenas, car si
une porte ne ferme pas il n’y a pas de chez soi qui tienne.
Au n° 63 habite Valentin, coiffeur privé d’emploi qui,
pour survivre, travaille sur le marché d’Herblay dans
le Val-d’Oise trois jours par semaine, soit, au mieux,
ils préfèrent une solution
pérenne les pieds dans
la boue à du provisoire
au sec dans un hôtel
deux heures de trajet à chaque fois en empruntant,
depuis la porte de Clignancourt, la ligne 4 du métro, le
bus 85, puis le 80 qui le conduit à la gare Saint-Lazare
où il monte dans un train en direction de Gisors.
La cabane où vit Valentin avec ses quatre enfants et
sa femme est, comme toutes les autres, un assemblage
précaire, ingénieux et poreux, de contreplaqué,
de portes et de fenêtres récupérées sur lesquelles
on a pris soin de fixer un voilage ou un morceau de drap.
On colmate, on cloue, on superpose, on assemble,
on tâche d’isoler, on calfeutre avec des tentures, toutes
sortes de tissus colorés, on échappe aux regards, on
invente un peu de chaleur, de repos, d’intimité. Dehors
tout est froid, humide, encombré, dedans tout est
ordonné, soigné, propre. La femme de Valentin passe
le balai sur le pas de sa porte, secoue son paillasson,
repousse la saleté et la boue qui menacent tout autour.
Nombre d’habitants se tiennent sur le seuil de leurs
maisonnettes, fument, discutent, passent le temps,
deux femmes m’interpellent – y a un problème ? –
et je ne saurais dire si elles expriment l’inquiétude,
la méfiance ou l’agressivité. Je crois que c’est
ma présence qui est agressive, intrusive, contestable.
le plus important est de rester ensemble
Les habitants avec qui j’échange savent qu’ils sont
menacés d’expulsion. Ils ne veulent pas bouger d’ici,
refusent les propositions de relogement, me disent
que leurs cabanes leur conviennent très bien.
Parce qu’ils n’ont plus confiance dans ces autorités
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qui les maltraitent, ne cessent de les déloger quand
eux ne demandent qu’à se sédentariser, parce qu’ils
préfèrent une solution pérenne les pieds dans la boue
à du provisoire au sec dans un hôtel – quelques jours
seulement avant de se retrouver à la rue de nouveau,
d’appeler en vain le 115 –, parce qu’ils craignent,
à juste titre, d’être dispersés aux quatre coins de l’Ilede-France, parce que le plus important est de rester
ensemble – la plupart des habitants se connaissent
depuis longtemps –, parce qu’ils sont fatigués d’errer,
parce que quelques enfants pris en charge par
les associations vont à l’école rue de Torcy tout près
et qu’à nouveau le long processus de scolarisation
et d’intégration serait interrompu, détruit, parce
que les pères travaillent dans le quartier, parfois
en interim dans le bâtiment, mais le plus souvent
ils sont ferrailleurs, récupèrent du métal qu’ils peuvent
stocker au bidonville mais pas dans une chambre
d’hôtel. Les expulser, c’est alors les priver de
la possibilité de travailler ; et s’ils sont ferrailleurs,
ce n’est pas par goût, c’est que le marché
du travail ne veut pas d’eux.
Un ami de Valentin ajoute qu’ils sont européens
et qu’ils ne veulent surtout pas être confondus avec les
migrants – concurrence de la misère. Le jour décline,
je marche jusqu’au bout du campement, là où
la décharge resurgit, où les tags redeviennent visibles,
où des emballages souillés jonchent à nouveau le sol.
Un polochon est accroché dans un arbre, comme
un corps mort, plié en deux, je quitte le bidonville.
un homme harangue la foule en romani
Le lendemain, le 1er février, je reviens au campement
à 9 heures, un rassemblement est organisé
pour marcher jusqu’à la mairie du XVIIIe et demander
la suspension de l’expulsion, dont la rumeur dit
qu’elle est prévue deux jours plus tard. Une associative
du Secours catholique m’offre un gilet fluo floqué
du slogan “25 ans de politiques coûteuses et inutiles
d’expulsion des bidonvilles”, je l’enfile volontiers,
imaginant qu’il va me donner une sorte de légitimité,
je demande pourquoi 25 ans ?, j’apprends que,
après l’éradication des derniers bidonvilles dans
les années 70, ils ont réapparu en région parisienne
dans les années 90, avec la chute du mur de Berlin
et l’arrivée des premiers Roumains en France ;
25 ans donc.
La plupart des habitants du campement se sont
regroupés – bonnets, casquettes, foulards, enfants –,
je repère aussi des membres de Médecins du monde,
du collectif Romeurope, un homme harangue la foule
en romani dans un mégaphone, nous nous mettons en
route, la procession arrivera sans encombres jusqu’à
la mairie malgré l’interdiction de manifester imposée
par l’état d’urgence. Dans le cortège, un charpentier
militant m’éclaire sur le projet des Bâtisseurs
de cabanes, dont j’ai lu un communiqué de presse
sur internet. L’association des Bâtisseurs de cabanes,
créée par des habitants du bidonville, a déposé à la
mairie de Paris un projet inédit et inventif : elle propose,
sur un terrain qui serait mis à sa disposition, d’édifier
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c’est la consternation,
la peine, beaucoup plus que
la colère et la révolte : le camp
sera évacué comme prévu
de petites maisons modulaires, une soixantaine
de logements familiaux démontables et transportables.
Ce sont les habitants du bidonville eux-mêmes
– des charpentiers, des forestiers – qui participeraient
pour une grande part à la construction de ces
maisonnettes écologiques en bois, paille et chanvre.
Le projet, évalué entre 2 et 3 millions d’euros,
pourrait recevoir un financement de l’Europe.
Evidemment, cette entreprise d’autoconstruction
ne pourra pas aboutir sans la Ville de Paris,
son financement, son soutien, un terrain. Evidemment,
on doute de sa bonne volonté en la matière.
“dégagez ! Ah, elle est belle l’Europe !”
On arrive devant la mairie, la circulation est
bloquée, les grilles fermées, une poignée de militants
de la Ligue des droits de l’homme nous attend, et
quelques journalistes. Manon, du collectif Romeurope,
me dit qu’elle n’a jamais vu ça, une telle mobilisation
des Roumains eux-mêmes, décidée et organisée
par eux – et c’est réconfortant.
Des enfants tiennent à bout de bras des draps sur
lesquels on a tagué à la va-vite “Nous ne voulons pas
d’hôtel une semaine mais finir notre projet”, “Rom,
européen, humain”, et aussi des dessins de maisons.
On occupe la totalité du parvis devant la mairie, on crie
“on veut pas partir”, “on reste ici”, “sortez de la mairie”,
il y a aussi de simples cris de ralliement, de joie
et de colère, des applaudissements, des annonces et
des encouragements en romani dans le mégaphone.
On exige qu’une délégation soit reçue, on attend,
surveillés par quelques flics tandis qu’une dizaine
de cars de CRS sont également garés dans une rue
adjacente, un jeune homme en robe d’avocat erre,
un vieux s’adresse à son chien : “Tu vois, c’est toujours
les mêmes qui réclament”, Manon me présente
un groupe d’adolescentes qu’elle connaît depuis 2012,
qu’elle suit d’expulsion en expulsion, de bidonville
en campement – porte de la Villette, porte
de la Chapelle, la Courneuve, Saint-Denis, porte
de Clignancourt. Quatre expulsions en quatre ans.
Manon m’explique qu’à chaque expulsion elle perd
leur trace pendant des semaines, que tout le travail
d’insertion et de soin est anéanti, qu’il faut
recommencer, que l’argument sanitaire avancé
par les autorités pour justifier l’expulsion est fallacieux
– on ne guérit pas en expulsant, c’est la stabilité
qui permet de soigner.
Une délégation est enfin reçue, une nouvelle
attente commence, cela dure, les enfants fatiguent,
le froid décourage un peu. Un homme d’une quarantaine
d’années s’approche alors à la lisière du parvis
et de la petite foule du bidonville, il éructe : “Dégagez,
rentrez chez vous, moi mon père il est venu d’Algérie pour
bosser au moins. Dégagez ! Ah, elle est belle l’Europe !”
La réponse est immédiate, elle monte comme
une clameur, les hommes du bidonville lui font
maintenant face : “Pas partir ! pas partir ! pas partir !”,
mais le type n’a pas peur, il fulmine, on tente
de l’éloigner, personne ne s’aventure à le raisonner,
à le convaincre qu’ils devraient plutôt unir leurs forces,
que cette haine entre opprimés est la plus stérile
et la plus triste de toutes les colères. On se désole en
silence que les derniers arrivés deviennent les boucs
émissaires de ceux arrivés juste avant, on est tout
à coup très déprimé.
La délégation sort enfin de la mairie et c’est
la consternation, la peine, beaucoup plus que la colère
et la révolte – je comprends à quel point les habitants
du bidonville sont résignés. Le camp sera évacué
comme prévu, on a juste obtenu quelques nuits d’hôtel
en plus. En moins d’une minute, des CRS lourdement
harnachés enserrent le parvis, se rapprochent pas
à pas, obligeant la foule dépitée à se ramasser
– plus personne n’a le droit de sortir du cercle.
Les CRS ont l’ordre d’empêcher qu’un nouveau cortège
ne se forme et marche vers la préfecture ou
l’Hôtel de Ville, perspective envisagée un instant
par les organisateurs puis abandonnée.
capituler devant le pouvoir policier
Le mercredi 3 février, le campement est évacué
dans le calme à partir de 7 heures, en application
d’une décision de justice du tribunal de grande instance
de Paris, sur demande de la SNCF, propriétaire
des voies. Un huissier est présent pour assister
au démantèlement du campement.
La situation est considérée comme illégale
par les pouvoirs publics quand il saute aux yeux
que le problème n’est pas l’illégalité mais la précarité.
Le risque d’incendie (un extincteur a pourtant
été fixé à l’entrée de toutes les cabanes et on a veillé
à les espacer afin d’éviter la propagation du feu), les
rats et l’insalubrité sont invoqués comme des motifs
impérieux ; dormir sur un trottoir est sans doute
moins dangereux.
Beaucoup d’habitants sont déjà partis, évaporés
dans la nuit, les autres sont prêts, échaudés,
paquetage bouclé – ils ont l’habitude de capituler
devant le pouvoir policier. Des cars stationnent
sur le boulevard Ney pour les emmener vers des
hôtels, loin, mais ils ne seront pas remplis car nombre
d’entre eux ne veulent pas de cette solution temporaire
et inadéquate. Ils reconstruiront certainement
un bidonville ailleurs et seront à nouveaux expulsés.
Quand je repasse en scooter, cinq jours plus tard,
des bulldozers jaunes détruisent les dernières
cabanes, des matelas éventrés volent.
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Warner Bros
le cas Dick
Radio Nova et Arte consacrent une programmation
spéciale à Philip K. Dick, mort en 1982. Schizophrène
et visionnaire, l’Américain est l’écrivain qui aura
le plus influencé artistes et penseurs de notre temps.
par Nelly Kaprièlian
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T
oute sa vie, Philip K. Dick a su
que sa tombe l’attendait, que son nom
y était gravé au-dessus de sa date
de naissance (le 16 décembre 1928)
dans l’attente de celle de sa mort,
à côté du nom de sa sœur jumelle
morte quelques semaines après
leur naissance. De quoi changer
n’importe quel Américain moyen en
paranoïaque extrême. C’est cette paranoïa qui finit par
le détruire à petit feu, mais c’est elle aussi qui alimenta
une œuvre visionnaire qui allait rayonner sur des
décennies, et influencer artistes et penseurs à venir.
Dick est l’écrivain qui aura le plus marqué,
esthétiquement et philosophiquement, notre temps,
en questionnant sans cesse (dans ses 45 romans et
121 nouvelles) l’idée de simulacre, qui nourrira le travail
de philosophes tels que Jean Baudrillard et Slavoj Zizec.
La réalité n’est-elle que le paravent créé par une
société (totalitaire) pour nous duper, nous manipuler,
nous neutraliser en nous dissimulant la vérité ?
Blade Runner
de Ridley Scott
(1982), adapté
librement
du roman de
Philip K. Dick
Les androïdes
rêvent-ils de
moutons
électriques ?
Ses textes – dont ses romans les plus connus,
du Maître du Haut Château, son premier succès en 1962,
jusqu’à Ubik (1969) en passant par Les androïdes
rêvent-ils de moutons électriques ?, dont Ridley Scott
tira son chef-d’œuvre, Blade Runner, en 1982 – ne nous
parlent que de mondes parallèles à dévoiler, d’androïdes
similaires aux humains, capables dès lors de les
remplacer, de souvenirs implantés dans nos cerveaux
pour nous faire croire à une vie fausse, comme
dans le Total Recall de Paul Verhoeven (1990), adapté
de la nouvelle “Souvenirs à vendre” (1966).
“Dick est l’écrivain qui a tout compris, et senti vers
quoi on allait : la disparition de la réalité dans sa
représentation”, explique Emmanuel Carrère, qui a
écrit une passionnante biographie de l’auteur
en 1993, Je suis vivant et vous êtes morts, à la suite
d’un voyage en Roumanie communiste où, parce que la
réalité s’y dérobait sans cesse, il avait eu l’impression
d’être plongé dans un roman de Dick. “Il n’y a rien
d’existentiel que Dick n’ait pas exploré, poursuit Carrère.
Philosophiquement et en termes de fiction, je ne pense
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in Les Mondes de Philip K. Dick/Nova Productions/Arte
il écrit à une
vitesse effrénée,
cesse de
dormir à l’aide
d’amphètes.
Un rythme
qu’il conservera
toute sa vie
pas qu’il y ait d’auteurs aussi importants dans la seconde
moitié du XXe siècle. Ses livres sont inégaux, mais
le bloc énorme que constitue son œuvre, je continue
à le trouver passionnant. Ça m’arrive de remettre le nez
dans un de ses livres et je suis médusé. Pour moi, Dick
est l’égal de Dostoïevski. On peut en dire la même chose :
qu’il n’était pas un grand styliste, mais qu’il a tout dit.”
Emmanuel Carrère a en commun avec Michel
Houellebecq d’avoir été marqué par la sciencefiction, tous deux ont une passion pour Lovecraft
(Houellebecq lui a consacré un livre), qui fut aussi
une des lectures majeures de Philip K. Dick. :
“Je préfère les débuts de Dick, les années 1950, il s’en
dégage une paranoïa poignante. Dans les années 1960,
à mon avis, il lui est arrivé de prendre trop de LSD”,
nous confie Michel Houellebecq, faisant référence
à une période de la vie de Dick où, se retrouvant
à nouveau seul (ses quatre mariages ainsi que
toutes ses relations amoureuses ne survivront pas à
sa paranoïa), l’écrivain hébergeait hippies, rebelles,
squatteurs, le temps de longs huis clos drogués.
Une période qui se soldera dans les années 1970
par une crise de paranoïa aiguë (à la suite
d’un cambriolage, Dick affirme être surveillé par le FBI
et des espions soviétiques), un séjour en HP, une
tentative de suicide, des voix qu’il croit entendre depuis
sa radio débranchée, des hallucinations (en forme
de tableaux abstraits) et la révélation qu’il serait
le nouveau prophète. Mais ce qui lui arrivera surtout
de prendre, ce sont des amphétamines : dès ses
débuts à la fin des années 1940, quand Dick publie sa
première nouvelle dans une revue, puis décide
de larguer son job chez un disquaire à Berkeley pour
se consacrer à l’écriture, commence alors une course
pour gagner de quoi vivre. Il lui faut publier à une
vitesse effrénée, donc écrire au même rythme (parfois
un roman en quelques semaines), dès lors cesser de
dormir à l’aide d’amphètes. Un rythme qu’il conservera
toute sa vie. Dick est retrouvé sans connaissance
chez lui, à Santa Ana, en février 1982 : il meurt à
l’hôpital d’une défaillance cardiaque le 2 mars, quelques
semaines avant la sortie de Blade Runner.
Aujourd’hui, après avoir été de nombreuses fois
adaptée au cinéma (dont le Minority Report de Steven
Spielberg), son œuvre n’en finit toujours pas de passer
sur les écrans (la récente série Le Maître du Haut Château
produite par Amazon) et d’irriguer encore le cinéma
contemporain, du Matrix des Wachowski à Inception
de Christopher Nolan en passant par eXistenZ de
David Cronenberg. “Ce film était délibérément dickien,
presque un hommage, nous raconte le cinéaste canadien.
Bien que j’aie toujours lu beaucoup de science-fiction,
je n’ai découvert Philip K. Dick qu’en commençant
à travailler avec Dino De Laurentiis sur le film Total Recall
en 1984 – avant que ce projet échoue et soit réalisé
par d’autres. Pour moi, Dick incarne le ferment intellectuel
et politique des années 1960, à la fois en bien et en
mal, ce que j’ai bien sûr connu et ce qui m’a formé. Son
plus grand thème – qui crée la réalité et comment est-elle
créée ? – me semble être une vérité existentielle.”
L’artiste Dominique Gonzalez-Foerster s’inspire
directement de certains livres de Dick dans ses œuvres
comme Les Tapis de lecture et TH.2058, influencé
par Le Maître du Haut Château : “L’œuvre de Philip K. Dick,
comme celles de Kafka et de J. G. Ballard, anticipe
largement des états du monde actuels et des situations
nouvelles liées aux changements technologiques,
climatiques et politiques, mais aussi des moments
esthétiques et psychologiques différents. Ces dernières
années, j’ai souvent l’impression d’être un personnage
d’un de ses romans.” Dick avait annoncé notre
monde rompu aux réalités virtuelles, à la représentation
truquée de soi via les réseaux sociaux, et notre
suspicion généralisée, entre les révélations sur
certains mensonges d’Etat et autres manipulations
financières, complots terroristes ourdis dans
l’ombre au sein même de notre société, etc.
Ce n’est peut-être pas un hasard si l’œuvre de
Philip K. Dick a éclos en pleine guerre froide et chasse
aux sorcières, quand le gouvernement américain
soupçonnait que derrière chaque Américain moyen
se cachait un espion soviétique qu’il lui fallait coûte
que coûte démasquer. Dans les années 1950, Dick
aura même droit aux visites régulières de deux agents
du FBI lui demandant d’espionner sa seconde épouse,
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Darjeeling/Nova Productions/Arte
aux frontières du réel
Jeu vidéo inspiré de l’univers de Philip K. Dick, où
l’on navigue entre plusieurs mondes dans le Berkeley
de 1967, Californium accompagne la programmation
spéciale d’Arte consacrée à l’écrivain.
Philip K. Dick
en 1977
Kleo Apostolides, mêlée aux cercles gauchistes
de Berkeley. Il refuse mais cet épisode le marque
profondément, confirmant un trouble, une dualité plus
intime que l’écrivain traîne depuis sa naissance.
Quand, en 1987, Sonic Youth consacre son album Sister
à Jane, la sœur jumelle de Dick morte de faim quelques
semaines après leur naissance, le groupe touche
au point aveugle qui a hanté l’écrivain toute sa vie.
Si Dick voit tout en double – d’un côté une réalité
visible (le factice), de l’autre une réalité invisible
(le vrai) –, c’est peut-être parce que lui-même se sent
scindé (des psys l’ont déclaré schizophrène). Est-ce
Jane qui repose dans leur tombe commune depuis
leur naissance, ou lui-même qui, sans le savoir, serait
déjà mort ? Est-il un faux vivant, comme les réplicants
Nexus-6 de Blade Runner ou comme le héros d’Ubik
qui finira par comprendre qu’il est en fait mort alors
qu’il se croyait en vie. Ultime schizophrénie littéraire,
Dick consacre ses dernières années à un échange infini
entre lui et son double, Horselover Fat (fat : traduction
de “Dick” en allemand ; en grec, Philip signifierait
“celui qui aime les chevaux”) : L’Exégèse, soit 8 000 pages
de délire mystique et d’analyse de son œuvre, qui ne
sera qu’en partie publié.
En plus des témoignages de sa dernière épouse,
Tessa, et de son thérapeute, le documentaire que
lui consacrent Yann Coquart et Ariel Kyrou pour Arte
a l’avantage de nous donner à voir et à entendre
Philip K. Dick prononcer sa phrase culte, qui résume
autant sa vie que son œuvre : “Si vous trouvez ce monde
mauvais, vous devriez en voir quelques autres.”
à écouter sur Radio Nova, journée Philip K. Dick, le 1er mars
à voir sur Arte, programmation spéciale jusqu’au 2 mars,
dont Les Mondes de Philip K. Dick, documentaire de Yann Coquart
et Ariel Kyrou, le 2 mars, 22 h 40 ;
Californium, jeu vidéo (Darjeeling/Nova Productions/Arte France/
Neko), sur le site creative.arte.tv et aussi sur Mac et PC ;
I, Philip, fiction en vidéo 360° et en relief de Pierre Zandrowicz
et Rémi Giordano, sur creative.arte.tv
à lire Je suis vivant et vous êtes morts d’Emmanuel Carrère
(Points), 410 pages, 7,95 €
La majorité des textes de Philip K. Dick sont disponibles
chez J’ai lu
Californium n’est pas
une adaptation de Philip K. Dick.
Plus profondément, le jeu vidéo
pensé par Brice Roy (détaché
pour l’occasion de l’excellent
collectif parisien One Life
Remains dont il est membre)
et destiné à accompagner la
programmation qu’Arte consacre
à l’auteur de Coulez mes larmes,
dit le policier est une œuvre
qui dialogue avec la sienne
en s’attachant à rendre interactif
l’un de ses questionnements
principaux : le rapport à la
réalité. Dans Californium comme
souvent chez K. Dick, celle-ci
apparaît multicouche, comme
le découvre rapidement le joueur
en s’installant dans la peau
et l’esprit embrumé d’un certain
Elvin Green, écrivain en rupture
de pas mal de choses dans
le Berkeley de 1967 et dont toute
ressemblance avec un certain
Philip K. D. ou l’un de ses
personnages ne serait pas
totalement fortuite.
A première vue, l’objectif est
simple : rechercher les traces
d’un autre réel qui ne demande
qu’à se déployer dans
un décor au style pop débordant
de couleurs et peuplé
de personnages-silhouettes
à plat très BD, de l’emblématique
diner local au bureau de l’éditeur
du magazine Freak out dans
lequel écrit (quand il arrive
à écrire) notre héros. Californium
est ainsi truffé de petites
anomalies visuelles,
un lampadaire qui se balance,
un sofa ou une pile de livres
qui clignote, puis un petit
signe mystérieux sur lequel
on va cliquer. Alors, murs
et objets mutent, se déforment
et un deuxième monde
commence à se révéler au sein
du premier. Une bibliothèque
prend la place de la commode,
un balcon pousse au-delà
de la fenêtre, un bar avec
billard naît dans les bureaux
du procureur. Au total, il y a
quatre mondes, façon poupées
gigognes, à visiter un par un
sur le site d’Arte ou réunis dans
la version payante de Californium
(disponible sur Steam).
Le résultat est un jeu pour
le moins étrange, sorte
de rencontre entre les fictions
interactives artistes du studio
belge Tale of Tales, de Bientôt
l’été (qui puisait son inspiration
chez Marguerite Duras) à Sunset
(qui, l’an dernier, nous plongeait
dans l’Amérique latine des
années 1970), et les nettement
plus grand public jeux d’objets
cachés, à ceci près qu’ici
ce sont des symboles abstraits
qu’il faut dénicher dans les
images surchargées. Et que ces
derniers apparaissent (ou non)
en fonction de nos mouvements,
d’où de curieuses parties
de cache-cache avec un mur ou
un bureau. L’exercice se révèle
souvent fascinant, parfois
un peu fastidieux – ici réside
la limite du jeu.
Mais la grande idée
des auteurs de Californium
est de travailler sur le principe
et l’esthétique du glitch, mot
qui, en matière de jeux vidéo,
en est arrivé à désigner les bugs
graphiques et déplacements non
prévus par les programmeurs
des objets à l’écran, pour
les rapprocher de la vision
de Philip K. Dick. Car chez lui,
d’une certaine manière,
il y a déjà des glitches dans
la réalité, flottements
identitaires, tremblements
spatiotemporels et ouvertures
sur un monde alternatif.
Chez lui, au fond, il y a déjà
le mode d’emploi de beaucoup
de beaux jeux vidéo qui
ne demandent qu’à exister.
En voilà déjà un. Erwan Higuinen
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têtes de vainqueurs
Réputés pour la sauvagerie de leurs concerts,
les Anglais de Fat White Family enveloppent
leur deuxième album, Songs for Our Mothers,
de vapeurs psychédéliques. Rencontre à Londres
avec le noyau dur de ce gang au cœur tendre.
L
par Noémie Lecoq photo Tom Oxley pour Les Inrockuptibles
a dernière fois qu’on les a vus, stoppés
en plein concert, ils se sont éclipsés
en nous conseillant de courir pour
sauver nos vies. C’était le 13 novembre
à la Cigale, pendant le Festival
des Inrocks, alors que l’horreur dévastait
le Bataclan. Avant cette déclaration
en forme d’électrochoc, les six Anglais
de Fat White Family nous avaient déjà
stupéfiés en donnant sur scène une leçon magistrale,
aussi envoûtante que volcanique, énième preuve
de leur savoir-faire en matière de performance
émeutière. Malgré la fascination qu’ils déclenchaient
alors, on ne pouvait pas s’empêcher de se faire
un peu de souci pour leur avenir.
Exsangues, crânes rasés, d’une pâleur inquiétante
sous leurs guenilles, ils semblaient avoir poussé
l’autodestruction jusqu’au bord du précipice.
Dès le lendemain, Saul Adamczewski, leur guitariste
et compositeur en chef, jetait l’éponge et laissait
le reste du groupe finir sans lui la tournée française,
prétextant avec un humour impitoyable ne pas
pouvoir supporter d’entendre Wolf Alice, leur première
partie, un soir de plus. “Ça n’aurait certainement
pas pu continuer longtemps dans l’état où l’on était”,
reconnaît Saul aujourd’hui.
Quand on les retrouve dans l’East End de Londres
presque trois mois plus tard, la Family disloquée
de la Cigale n’est plus qu’un mauvais souvenir. Saul
vient de passer deux mois aux Etats-Unis pour une
cure de désintoxication réussie, suivie par des vacances
où il a été rejoint par son frère d’armes, le chanteur
et parolier Lias Saoudi. Les deux fondateurs du groupe
sont les derniers héritiers d’une grande tradition
de couples masculins dans le rock britannique
(Jagger-Richards, Morrissey-Marr, Doherty-Barât,
etc.). Ce binôme de leaders se partage les rôles :
Saul prend le dessus en studio et Lias sur scène,
Saul compose la majorité de la musique tandis que
Lias se charge de la plupart des paroles.
Physiquement régénérés, mentalement apaisés,
ils ont visiblement retrouvé leur force créatrice
et parlent déjà d’une ribambelle de projets pour les mois
à venir. Ils s’emballent sur la sortie cet été d’un
album des Moonlandingz, leur projet parallèle, avec
Le 28 janvier,
avant leur
passage
chez Rough
TradeEas t,
à Londres
des invités comme Sean Lennon, Yoko Ono, Phil Oakey
(The Human League) et même Randy Jones,
le cow-boy des Village People. Saul évoque pour sa part
des concerts de Warmduscher (autre groupe dont
il fait partie) et confie qu’il donne un coup de main à
Evan Dando (The Lemonheads) pour préparer son
nouvel album solo. Lias et lui ont déjà commencé à
composer un troisième album “beaucoup plus mélodieux”
pour Fat White Family, épaulés par leur ami Sean Lennon.
“Fat White Family, c’est comme un exercice pour
essayer de faire de la pop”, déclare Saul. Son sourire
en coin indique qu’il est bien conscient du paradoxe.
Car le groupe a une façon très personnelle de composer
ce qu’ils désignent comme pop (à leur échelle),
en faisant des clins d’œil appuyés à des icônes destroy
comme The Fall, les Sex Pistols, Nick Cave And
The Bad Seeds, ou encore The Gun Club, sans parler
de leurs choix de titres de chansons – pour n’en citer
qu’une, la cinglante Bomb Disneyland, qui clôture
en général leurs concerts.
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Après l’explosif Champagne Holocaust, un premier
album de garage-blues débraillé et radical, bricolé
à la va-vite, ils viennent de sortir un deuxième
album surprenant. Ne pas se fier au titre gentillet,
Songs for Our Mothers : il est ici question de morceaux
plus ténébreux et plus lents, contaminés par un
psychédélisme dérangé mais ensorcelant. L’ambiance
sombre reflète les conditions d’enregistrement :
un abattoir désaffecté loin de toute civilisation, dans
l’Etat de New York, en plein hiver neigeux et sans
chauffage. Le parallèle entre studio et bunker
n’a jamais été aussi parlant. En continuant de refuser
toute solution de facilité, ils signent des paroles sur
la violence conjugale entre Ike et Tina Turner (Hits Hits
Hits) et sur le règne fasciste de Mussolini (Duce),
inventent les adieux entre Goebbels et Hitler (Goodbye
Goebbels) et plongent leurs mélodies dans du disco
menaçant (Whitest Boy on the Beach).
A force de jouer avec le nihilisme et les codes du rock,
Saul avoue que leur sens de l’humour est souvent
incompris et que leurs excès nuisent à la créativité.
“Je suppose qu’on remplit beaucoup de critères parmi
tous ces clichés.” Lias : “C’est une mythologie malsaine,
le poète misanthrope, flamboyant et autodestructeur.
Il faut dire qu’on s’est activement plongé dans tout ça.
Je pense qu’au début tu fais ça délibérément, presque
pour t’en moquer. Parce que c’est quand même très
drôle, dans un sens, d’être un groupe dépravé, débile et
rock’n’roll. C’est drôle pendant un temps, jusqu’à ce que
la blague te rattrape et devienne réalité. Et là, tu es devenu
ce truc que tu tournais en dérision dans tes chansons.
Il est alors temps d’essayer de changer un peu.”
Le soir même, en showcase chez Rough Trade East,
le retour de Saul au sein du groupe donne lieu
à une bacchanale de joie et d’insoumission. En sortant,
on se dit qu’on n’aurait pas pu trouver de meilleure
occasion pour retourner à un concert.
album Songs for Our Mothers (Without Consent/Pias Coop)
concert le 2 mars à Paris (Maroquinerie)
facebook.com/FatWhiteFamily
retrouvez l’intégralité de cet entretien sur
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la
survie
devant
soi
LeonardoDiCapr io
dans The Revenant
Twentieth Century Fox
The Revenant d’Alejandro González
Iñárritu avec Leonardo DiCaprio,
qui sort cette semaine, et
Seul sur Mars de Ridley Scott avec
Matt Damon sont les deux
favoris des oscars qui se déroulent
dimanche. La consécration
d’un genre de plus en plus prisé :
le film de survie. par Jean-Marc Lalanne
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L
’un cultive des pommes de terre après
avoir fabriqué de l’engrais avec ses
propres excréments. L’autre se précipite
en rampant sur des carcasses de grands
mammifères en décomposition et racle
les ossements avec ses ongles noirs
pour en extraire un peu de chair pas
encore putréfiée et s’en repaître avec
l’avidité des grands affamés. Le premier
brûle ses réserves d’oxygène pour fabriquer de l’eau
sur une planète totalement aride. Le second
se réchauffe avec des feux de fortune dans des plaines
enneigées. Contre eux, les éléments se déchaînent :
des tempêtes de cailloux rouges, des chutes à pic
sur des sapins chargés de neige, un plongeon dans
des eaux glacées ou une asphyxie dans une combi
sans réserve d’oxygène. Mais toutes ces tortures
n’auront pas été vaines : au bout de ces parcours
d’épreuves, luit, pour l’un ou pour l’autre, la perspective
d’une statuette dorée.
La 88e cérémonie des oscars, ce dimanche
28 février, verra selon tous les pronostics la victoire
de Seul sur Mars ou de The Revenant. Donc le sacre,
depuis trop longtemps attendu, de l’un des deux
meilleurs comédiens de ces vingt dernières années,
Matt Damon dans Seul sur Mars de Ridley Scott
ou Leonardo DiCaprio dans The Revenant d’Alejandro
González Iñárritu (avec avantage au second).
Mais cet affrontement marque aussi l’apothéose
d’un certain type de récit, de plus en plus prisé
depuis le début de la décennie, jusqu’à occuper cette
année le haut de l’affiche de la cérémonie des
oscars :le scénario survivaliste. Comme si le haut
du panier de la production cinématographique
ne s’articulait plus qu’autour d’une seule question :
face à l’hostilité ontologique de notre monde,
comment s’en sortir ? Pas d’autre forme de conquête,
pas d’espoir plus vaste ni promesse d’autre
récompense. Pas d’autre héroïsme que de sauver
sa peau. Et encore d’extrême justesse.
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Matt Damon dans
Seul sur Mars
Cette réduction de l’enjeu narratif au plus infime
gain, on l’a vu s’étendre dans des territoires fictionnels
multiples. Deux ans avant Seul sur Mars, Gravity
(Alfonso Cuarón, 2013) projetait déjà dans l’infini
galactique (et simultanément sur la scène des oscars)
l’épopée d’une astronaute en déréliction. Et trois ans
avant Leonardo DiCaprio, Liam Neeson crapahutait
dans les forêts gelées du Grand Nord, prêt à castagner
tout prédateur l’envisageant comme son gibier
(Le Territoire des loups, Joe Carnahan, 2011).
Dans All Is Lost (J.C. Chandor, 2013), Robert Redford
lutte seul, plusieurs jours, contre un océan tour à tour
déchaîné et sournoisement étale, qui démembre
par à-coups son voilier jusqu’a le mettre en miettes.
Dans l’éblouissant Essential Killing (Jerzy Skolimovski,
2010), Vincent Gallo incarne un taliban rompu
à se déplacer de grotte en grotte, en Afghanistan,
qui, lâché dans les contrées glacées où les forces
américaines l’avaient emprisonné, se heurte
à l’hostilité sans pitié de la nature.
Twentieth Century Fox
l’Homme
pourrait se
retrouver
seul, dans
une situation
de précarité
absolue face
à la sauvagerie
du monde
Bien sûr, plus lointainement, on pourrait remonter
jusqu’à la robinsonnade de Tom Hanks dans
Seul au monde (Robert Zemeckis, 2000) ou à la sublime
déambulation égarée et morbide de Gerry
(Gus Van Sant, 2002). Mais c’est peut-être Sean Penn,
avec le succès en 2007 de Into the Wild, qui anticipe
cet interêt croissant pour ces récits minimalistes,
où la dramaturgie se réduit essentiellement à un seul
personnage, un seul opposant – le milieu naturel –
et un seul conflit – la survie. Dans Into the Wild, comme
dans Wild (Jean-Marc Vallée, 2014), film de rando
dangereuse surfant opportunément sur la vague
– avec Reese Witherspoon en acharnée du trekking –,
la confrontation avec la brutalité du monde sauvage
est désirée, appréhendée même comme une rédemption.
Mais l’espoir de salut rousseauiste tourne court.
Dans les films plus récents, elle est au contraire subie.
Elle devient un cauchemar terrifiant.
Cette recrudescence du scénario de survie
a bien sûr pour arrière-plan un moment historique.
Celui de la montée dans la société du survivalisme,
où l’individu se prépare à l’imminence d’une catastrophe
– naturelle, écologique, économique – en forgeant
les outils de sa propre survie, en apprenant à assurer
seul sa nutrition, la construction d’un abri, sa défense
contre les autres mammifères. Comme le théorisait
récemment le philosophe Michael Foessel (Après
la fin du monde – Critique de la raison apocalyptique, Seuil,
2012), l’idée se répand que chacun doit se préparer
“à devoir vivre après la fin du monde”. Ou, selon
le mot d’une autre philosophe, Thérèse Delpech, à
la perspective du progrès se substitue insensiblement
celle d’un “ensauvagement” (L’Ensauvagement
– Le retour de la barbarie au XXIe siècle, Grasset, 2005).
Qu’elles soient situées dans un futur proche (Gravity,
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Pathé Distribution
UPI
Metropolitan Filmexport
c’est à la condition
de sa mutation
vers l’animal
que le revenant
DiCaprio revient
Le film de survie a le vent (froid) en poupe.
De haut en bas : Liam Neeson dans
Le Territoire des loups de Joe Carnahan
(2011), Robert Redford dans All Is Lost
de J.C. Chandor (2013), Emile Hirsch dans
Into the Wild de Sean Penn (2007)
Seul sur Mars), le présent (Essential Killing, All Is Lost)
ou un passé lointain (The Revenant), ces fictions
de la survie dialoguent avec la peur commune de voir
s’effondrer tous les grands systèmes de solidarité,
l’angoisse d’une organisation sociale tournant
impitoyablement à la loi de la jungle ou l’imminence
d’un désastre écologique. Le milieu naturel
redevient la menace. L’Homme pourrait se retrouver
seul, sans aucune protection, dans une situation
de précarité absolue face à la sauvagerie du monde.
La thématique infuse bien au-delà du cinéma
américain. Elle s’infiltre aussi dans le cinéma
français. Dans Les Combattants (Thomas Cailley, 2014),
le personnage d’Adèle Haenel incarne cette jeunesse
guerrière qui ne compte plus sur aucun système
et se prépare à affronter la déliquescence du monde
dans lequel elle a grandi. Le film se métamorphose
d’ailleurs dans son dernier tiers en survival épique, où
les protagonistes affrontent, en miniature, une nature
hostile et un petit cataclysme climatique. Jusque dans
le cinéma hexagonal le plus mainstream, on entend
des échos de cette préoccupation planétaire. Dans
la comédie sortie cette semaine, Les Naufragés (David
Charhon, 2016), Daniel Auteuil et Laurent Stocker, suite
à un accident d’avion, doivent à leur tour apprendre à
se nourrir sur une île déserte. Sans parler de la vogue
télévisuelle, depuis les années 2000, des émissions de
téléréalité mimant les conditions d’un ensauvagement
contraint : Le Survivant, Dual Survival, Seul face
à la nature ou, dans une moindre mesure, Fear Factor.
Mais, pour revenir au duel de titans de la prochaine
cérémonie des oscars, si Seul sur Mars et The Revenant
s’originent dans une frayeur contemporaine et
commune, les stratégies de survie que les deux
films mettent en place diffèrent radicalement. Isolé
sur une planète lointaine, le personnage de Matt
Damon s’en sort en s’affirmant humain contre tout.
C’est d’abord à sa formation de biologiste émérite
qu’il doit la possibilité de réinventer les conditions
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The Revenant
d’Alejandro González Iñárritu
Après Birdman, Iñárritu repousse encore plus loin
les frontières de la prouesse technique. Ultra-spectaculaire,
The Revenant laisse cependant un arrière-goût dérangeant.
de l’agriculture dans un territoire qui ne l’autoriserait
pas. Chaque palier de son combat marque un nouveau
sursaut vers plus d’humanité, d’éducation, de science.
Le charme badin du film, du moins dans sa première
heure, tient à son aspect de comédie du bien-être
et du cocooning. Finalement, dans son abri de fortune,
égayé par une sautillante playlist de disco vintage,
Matt restaure un mode de vie parfaitement organisé
et assez plaisant. Son ingéniosité et son sens
rigoureux de la discipline lui valent de vaincre
l’hostilité de son environnement martien.
Ce qui occupe l’esprit plus torturé d’Iñárritu
est tout autre. Rien ne le passionne davantage
que la part animale de l’homme. Et ce, dès
son premier film. Amours chiennes (2000) tissait
des correspondances naturalistes entre quelques
échantillons humains et leurs animaux de compagnie :
un jeune homme désocialisé et belliqueux dressant
son molosse en redoutable animal de combat ;
une jeune bourgeoise de Mexico et son toutou
apprêté possiblement dévoré par des rats après avoir
glissé entre deux lattes de plancher ; un tueur
à gages clochardisé et sa meute de chiens pour
seule compagnie. L’homme, le chien, n’ont
pour perspective que de muter en animal de combat.
C’est une pareille involution vers la bestialité
qui permet à Leonardo de venir à bout du désert
de glace qui l’enserre. Dans la première demi-heure
du film, il survit à un combat titanesque contre
un ours. Lacéré par les griffes de la bête, il en vient
à bout et, pour résister au froid, il s’enveloppe
de la peau de l’ours après l’avoir tué. C’est donc
un Leonardo mi-homme mi-ours, le visage mangé
par une pilosité incontrôlée se confondant presque
avec les poils de sa seconde peau animale, qui
erre dans la forêt glacée. Quand, par la suite, il trouve
une maigre pitance, il doit passer après une meute
de loups. Enfin, dans le dernier mouvement du film,
après la mort de son cheval suite à une chute à pic,
il éviscère l’animal, jette ses abats à l’extérieur
de sa dépouille et se love dans la carcasse, nu, délesté
de ses habits humides, comme un nourrisson en
position fœtale à l’intérieur de la bête. Au petit matin,
l’homme renaît, comme accouché de son cheval.
C’est à la condition de cette mutation vers l’animal
que le revenant revient. En puisant en lui les plus
profonds reliquats de l’état sauvage, il fait face
à la sauvagerie archaïque du monde.
C’est donc entre deux appréhensions de l’espèce
humaine et des conditions de son salut que devront
arbitrer le 28 février les votants de l’académie
des oscars. Celle de Ridley Scott, humaniste,
optimiste et rieuse. Celle très sombre, agressive
et plus cyniquement désenchantée d’Iñárritu.
Qui survivra verra.
Annoncédepuis des mois,
de folles rumeurs de tournage en
bandes-annonces hallucinatoires,
comme un exploit tout autant
qu’un cauchemar digne
d’Apocalypse Now, The Revenant
ambitionne d’être un film total.
Atravers l’histoire (vraie)
d’un trappeur laissépour mort qui
s’en va braver les éléments
pour assouvir sa vengeance, le
sixième long métrage d’Alejandro
González Iñárritu se pose comme
réflexion sur la naissance d’une
nation, méditation métaphysique
et démonstration de force
technique repoussant encore les
limites atteintes avec le précédent.
Cette dernière ambition
apparaît comme la plus accomplie.
Accompagnépour la seconde fois
de son chef opérateur Emmanuel
Lubezki – qui signe aussi la
photographie des films d’Alfonso
Cuarón ou de Terrence Malick –,
Iñárritu perfectionne son usage
du plan-séquence impossible
et donne àvoir des scènes d’action
parmi les plus spectaculaires
et longues jamais filmées. Combat
àmain nue contre un ours, champ
de bataille chaotique avec effet
d’immersion (à la façon Fils
de l’homme de Cuarón), dantesque
course-poursuite àcheval,
avalanche impromptue :
le cinéaste déclare une nouvelle
fois la guerre àla coupe.
Et il faut lui reconnaître dans
ce domaine une certaine réussite,
même si l’on peut trouver son
emploi du grand angle harassant,
et qu’à l’heure du trucage
numérique invisible son exploit
n’est pas comparable à ceux
des grands ma°tres soviétiques
du plan-séquence qu’il prend
évidemment pour modèles :
Tarkovski, Klimov ou Kalatozov.
On peut également rester
circonspect sur la performance
outrée des deux acteurs
principaux, Leonardo DiCaprio
remplissant consciencieusement
le cahier des charges du rôle
àoscar (de la boue, du sang, de
la souffrance, des rictus,
l’important étant que le travail se
voie), et Tom Hardy grommelant
nonchalamment dans son coin.
Mais le véritable problème
de The Revenant est de nature
morale et idéologique. Le film se
déroule en 1823, soit bien avant
la Guerre de Sécession, à l’époque
où l’Amérique se cherche encore
un destin. Et ce qu’il entend
raconter, à travers le voyage
extraordinaire de son héros, c’est
précisément de quoi ce destin est
le nom ou, pour le dire autrement,
sur quelle sorte de barbarie la
nation américaine s’est fondée.
La réponse à cette question finit
par être énoncée, très clairement,
lors d’une scène-clé : “nous
sommes tous des sauvages”, fait
écrire le cinéaste, en français, sur
un écriteau accrochéau cou d’un
pauvre Indien pendu, résumant un
message qui court par ailleurs
tout au long du film. Ainsi donc,
pour Iñárritu, nous serions tous
des sauvages, colons, colonisés et
animaux, tous emportés dans un
même élan tragique, tous guidés
par une même furie incontrôlable.
Car c’est ainsi que Dieu a façonné
les créatures terrestres, et c’est
àDieu seul, nous souffle-t-il, qu’il
appartient de rendre justice…
Récemment, un autre western
enneigé s’est posé cette même
question, celle du récit national
et de sa barbarie inhérente :
Les Huit Salopards. Et Quentin
Tarantino parvenait lui à
une conclusion fort différente.
Commençant et terminant son
film par une image de crucifixion
(pour bien enfoncer le clou,
si l’on peut dire), il exposait dans
un monologue brillant (prononcé
par Tim Roth) la différence
entre la justice civilisée et la
justice du Far West : à peu près
aucune en réalité, si ce n’est un
vernis procédural dont savait se
parer la première. Ainsi, Tarantino
exposait politiquement, et non
religieusement, les fondations
barbares de son pays. En
regardant non pas le ciel (qui est
certes très joli dans The Revenant)
mais droit dans les yeux des
hommes. Qu’il nous soit permis
de préférer cette version-ci
au fatalisme bigot d’Iñárritu – qui
n’est même pas assumé jusqu’au
bout (attention, petit spoiler)
puisque la vengeance sera bel
et bien portée par la main de
l’homme indien. Jacky Goldberg
The Revenant d’Alejandro González Iñárritu, avec
Leonardo DiCaprio, Tom Hardy (E.-U., 2015, 2 h 36)
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No Home Movie
de Chantal Akerman
La cinéaste filme sa mère au seuil de la mort. Un portrait poignant,
plus bouleversant encore depuis que la fille l’a rejointe en octobre.
U
n appartement bruxellois,
sa cuisine, c’était le lieu de
Chantal Akerman, c’est la
matrice de son cinéma. Là
où s’origine et se boucle son
œuvre, ses films, où ils sont
souvent pensés, tournés, là où la cinéaste
est toujours revenue après avoir visité
et filmé le vaste monde, de New York
à la Russie, de la frontière américanomexicaine au Moyen-Orient. La cuisine, lieu
de l’aliénation des femmes, mais aussi de
leur révolte, de leur complicité… Et comme
on peut le voir dans cet ultime No Home
Movie, lieu filial, familial, utérin.
Chantal filme donc sa mère dans son
appartement à Bruxelles. La dame est
âgée, physiquement fatiguée, empruntée,
handicapée par les douleurs de son âge,
mais la tête encore claire, la mémoire
encore vivace, la voix un peu chevrotante
mais parfaitement articulée, enroulée sur
un charmant accent belgo-yiddish. Comme
souvent chez Akerman, les plans sont fixes
et longs. Ils sont parfois très composés,
dans un couloir, une encoignure, une
embrasure de porte, à la fois pudiques et
aux aguets, et parfois plus aléatoirement
disposés pour saisir le réel, comme si
la caméra était négligemment posée sur
une table ou une chaise de l’appartement,
captant la vie qui s’y déroule sans
précaution esthétique particulière.
La vie dans cet appartement, c’est
celle très ordinaire d’une vieille dame
rien n’est dit,
tout est dit. Ce qui
s’appelle savoir
filmer l’indicible
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et de sa fille qui lui rend visite :
repas, conversations, souvenirs d’enfance,
évocations de la jeunesse de la mère,
de ses parents, du père de Chantal.
“Tu étais la plus belle, tout le monde
t’admirait quand je te promenais dans ton
landau”, dit la mère. “Maman, mamieke,
toi aussi tu étais belle, j’étais fière de
toi quand tu venais me chercher à l’école”,
répond Chantal. Passent aussi les
souvenirs de la guerre, de la mention
“juif” sur la carte d’identité, de l’absurdité
cruelle de rencontrer l’antisémitisme
en Belgique alors qu’on est venu dans ce
pays pour y échapper. Chantal se souvient
aussi de l’école juive d’où son père l’a un
jour arrachée parce qu’il en avait marre
des religieux et parce qu’il considérait
que si Chantal y avait de très bonnes
notes, c’est que cette école ne devait pas
être si bonne !
Toute une vie, une histoire, de l’histoire,
qui défilent par bribes, ces bribes qui
restent avec l’être cher quand on sait que
sa fin est proche. Et toujours la cuisine,
lieu des repas et de la parole. La cinéaste
n’est que furtivement présente à l’image
(car elle est évidemment plus mobile que
sa mère sur qui sont centrés les plans),
mais omniprésente au son, et c’est une
joie profonde que d’entendre sa voix
pétillante de vie et d’intelligence avec
son grain tabagique et ses chuintements
caractéristiques.
La mère ne sort plus de l’appartement,
mais sa fille cinéaste a toujours la
bougeotte. Des plans de désert (qui
rappellent la dette du Gus Van Sant de
Gerry envers Akerman), des échanges par
Skype ponctuent le huis clos mère-fille
bruxellois. Ces images de désert muettes,
minérales, semblent n’avoir aucun rapport
avec le cœur du film, mais la logique
de cinéma d’Akerman est poétique, pas
du tout prosaïque, causale : ces images
de pierres, de sable et de vent, vierges
de traces humaines, expriment un état
mental, l’angoisse d’une désertification
affective à l’approche de l’inéluctable.
L’inéluctable survient bien sûr,
mais n’est pas filmé. Akerman a trouvé
d’autres solutions, cinématographiques :
une chambre où on tire les rideaux, un
long plan muet de l’appartement (à droite
la cuisine, à gauche le salon) désormais
vide, faisant écho aux images du désert.
Le silence après la parole. L’absence après
la présence. Rien n’est dit, tout est dit.
Ce qui s’appelle savoir filmer l’indicible.
Quand Chantal Akerman a tourné
ce film, quand elle l’a montré à Locarno,
savait-elle qu’elle allait volontairement et
bientôt (bien trop tôt) rejoindre sa mère ?
Découvrir ce film aujourd’hui, c’est
évidemment ressentir l’émotion d’un
double deuil face à un lien mère-fille qui
était si puissant dans la vie qu’il s’est
prolongé au cinéma et jusque dans
la mort. C’est constater aussi que sous ses
dehors superficiels de petit film de famille,
No Home Movie est une puissante œuvre
récapitulative (comme l’on comprend
ce titre !), l’épilogue d’une immense
cinéaste en lequel résonnent les échos
de Saute ma ville, News from Home, Jeanne
Dielman…, Demain on déménage…
De la même façon qu’Akerman savait
faire entrer le monde dans une cuisine,
toute une vie, toute une œuvre essentielle
sont contenues dans ces 115 minutes aux
procédures élémentaires et aux moyens
rudimentaires. Une sortie aussi humble
qu’impériale, signée Akerman.
Serge Kaganski
No Home Movie de Chantal Akerman, avec
Chantal et Natalia Akerman (Fr., Bel., 2015, 1 h 55)
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Dans ma tête
un rond-point
d’Hassen Ferhani
(Alg., Fr., Qat., P.-B., 2015, 1 h 40)
Merci patron !
de François Ruffin
A
Dans un documentaire culotté, des chômeurs
nordistes jouent un bon tour au patron
de LVMH, fossoyeur d’emplois de la région.
près avoir fondé Fakir,
un journal satirique du Nord
de tendance libertaire,
François Ruffin se lance
dans le cinéma avec un
documentaire pugnace à la
Michael Moore. Tout comme ce dernier s’en
prenait, dans Roger et moi (1989), au pdg de
General Motors qui avait mis toute la ville
de Flint au chômage, Ruffin s’attaque sur
le mode de la dérision à Bernard Arnault,
directeur de LVMH, coupable selon lui
d’avoir participé au démantèlement du tissu
industriel du nord de la France en fermant
et délocalisant des usines textiles.
Dans le cas présent, Arnault a déplacé
en Pologne l’usine Kenzo de Poix-du-Nord.
Ruffin rend visite à divers chômeurs
victimes de cette fermeture, jusqu’au jour
où il rencontre la famille Klur, à deux doigts
de l’expulsion à cause d’une dette
d’assurance qu’elle ne peut pas payer.
Ruffin, qui n’a peur de rien, conçoit alors
avec cette famille un stratagème pour
extorquer la somme à Arnault (une goutte
d’eau pour la deuxième fortune de France).
Contre toute attente, la manœuvre
fonctionne et le couple est sauvé.
Au-delà du résultat, de la revanche de
classe, le ton véritablement farcesque du
comme dans
toutes les bonnes
farces, on feinte
et on se déguise
documentaire le distingue du tout-venant
des films sociopolitiques. Il y a un vrai sens
de la mise en scène dans les tractations
du couple Klur avec un émissaire d’Arnault.
Comme dans toutes les bonnes farces, on
feinte et on se déguise. Lors des entrevues,
Ruffin – avec les cheveux décolorés et
des lentilles de contact – se fait passer
avec un aplomb incroyable pour le fils Klur.
L’émissaire ne reconnaît pas Ruffin, qu’il
avait pourtant expulsé peu de temps avant
d’une réunion d’actionnaires de LVMH.
Ces visites sont filmées en caméra
cachée. L’envoyé d’Arnault insiste bien sur
la confidentialité de ce don : il sera caduc
s’il est divulgué. Ce que l’émissaire ne sait
pas, c’est que d’un autre côté un conseiller
d’Arnault va vendre la mèche en déclarant
à découvert devant la caméra de Ruffin que
son patron s’est personnellement occupé
du cas des Klur. La clause de confidentialité
vole en éclats…
A côté de la réflexion sociale réelle,
irréfutable, juste, le documentaire
Merci patron ! a une dimension jouissive en
détaillant sur un mode humoristique la
victoire inespérée du pot de terre contre le
pot de fer. Les dialogues en caméra cachée
ont une truculence digne de Molière.
D’ailleurs, on verrait très bien cet épisode
sous forme de pièce de théâtre. On espère
avoir trouvé la relève politico-satirique
de Pierre Carles, qui jouait jadis le poil
à gratter des puissants. Vincent Ostria
Un docu sensible capte
la parole des ouvriers du
plus grand abattoir d’Alger.
Un souvenir récent
se rappelle à notre esprit
devant Dans ma tête
un rond-point : les images
de l’association L214
filmées à l’abattoir d’Alès
diffusées en septembre.
Hassen Ferhani, outre
qu’il filme magnifiquement,
ne montre pourtant pas
la même chose : cette fois,
on est avec les hommes,
qui relatent leurs histoires,
leurs aspirations déçues,
les frustrations de la classe
ouvrière algérienne,
dans les à-côtés de l’usine
de mort – pause cigarette,
nettoyage, palabres
de fins de journée. Ici
passent quelques bêtes,
lentement suivies par
la caméra ; là, d’autres
agonisent, à quelques pas
d’un technicien indifférent.
Que filmer dans les
abattoirs ? Grande question
partagée par le film et les
images d’Alès, dans ces
lieux tenus généralement
loin des caméras, où se font
face une condition prolétaire
alarmante et une chaîne
de mort industrialisée.
Ferhani arrive à merveille à
dédoubler le regard, révéler
les paradoxes de cette
très étrange coexistence de
deux systèmes oppressifs,
incommunicables l’un à
l’autre : celui des hommes
entre eux, celui des
hommes et des bêtes ; l’un
se filme et s’exorcise par
la parole, l’autre se tient
juste à côté, sanguinolent,
impénétrable. T. R.
Merci pat ron ! de François Ruffin
(Fr., 2 016, 1 h 24)
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Claire Folguer
The Finest Hours
C
de Craig Gillespie
Un film de naufrage élégant et efficace. Une bonne surprise.
ape Cod, hiver 1952. Pêcheurs,
une mer trop forte. Or ce soir-là, un cargo
gardes-côtes et épouses forment
s’abîme au large et il ne reste au secouriste
à peu de chose près l’unique
qu’une coquille de noix et une poignée
population de la petite ville littorale
de volontaires pour aller porter assistance
où commence l’histoire, et à laquelle
aux rescapés, eux conduits par le mal-aimé
un océan turbulent dicte depuis toujours
Ray (Casey Affleck), simple mécano et plus
sa cadence. Bernie Webber (Chris Pine,
ancien matelot du navire.
peut-être un peu trop testostéroné pour
Il y a dans The Finest Hours un potentiel
le rôle) y est un jeune sauveteur bientôt
colossal, mêlant ambition de grand
marié, et désireux de faire ses preuves
spectacle et rouages d’un profond
pour refermer les cicatrices d’une tragique classicisme, ne serait-ce que par l’épaisseur
opération avortée un an plus tôt par
de l’intrigue – à laquelle il faudrait ajouter
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un généreux réseau de personnages
secondaires infesté de dettes morales et
de vieilles rancœurs – et par la splendeur
de sa production – éclairage sculptural
des décors fifties, soigneusement soutenu
par l’image de synthèse dès lors qu’il s’agit
de faire rugir les éléments (neige battante,
lames de fond).
Le compteur de bigger than life
est donc dans le rouge dans ce film dont,
étonnamment, on avait à peine entendu
parler et qui pourtant se place d’emblée en
catégorie poids lourds sur la carte du film
de naufrage. Un certain sentimentalisme
patapouf fait que tout le potentiel reste
à un état quelque peu inabouti, balourd
là où il aurait pu être ponctuellement fin,
mais n’est pas Titanic qui veut et The Finest
Hours reste une excellente surprise.
Un divertissement hors de toute logique
de suite ou de franchise, à l’ambition
prononcée mais toujours circonscrite à son
genre, grouillant d’intrigues et généreux
en spectacle, n’est-ce pas ce dont l’agenda
des blockbusters devrait regorger ?
Théo Ribeton
The Finest Hours de Craig Gillespie, avec
Chris Pine, Casey Affleck (E.-U., 2016, 1 h 57)
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Tempête
de Samuel Collardey
avec Dominique Leborne, Mailys Leborne,
Matteo Leborne (Fr., 2015, 1 h 29)
Un docufiction âpre et sensible
sur les tensions dans la vie familiale
d’un pêcheur.
e troisième long de Samuel Collardey
(L’Apprenti, Comme un lion) n’est ni
une fiction ni un documentaire mais
une sorte de mélange des deux,
où le réalisateur ne met pas en scène sa vie
mais celle de ses comédiens. Dominique,
Mailys et Matteo Leborne ne sont d’ailleurs
pas comédiens professionnels mais jouent
ici leurs propres rôles dans une histoire
inspirée de certains épisodes réels
de leurs vies.
Dominique est donc pêcheur en haute
mer, séparé de la mère de ses enfants
dont il assure la garde alternée. Il s’efforce
d’être un père aimant, complice de ses
deux grands ados. Il projette d’acquérir
son propre bateau et de monter une affaire
avec Matteo, son garçon. Avec sa fille
Mailys, 16 ans, les relations semblent plus
tendues, pleines de silences pesants.
Et puis elle finit par lui cracher le morceau :
elle est tombée accidentellement enceinte.
Comme dans ses précédents films,
le regard de Collardey est attentif, précis,
sobre, à la fois rugueux et stylisé,
ancré dans le réel mais filmé en Scope,
un peu dans la veine des Dardenne,
ou d’un Ken Loach sans la pesanteur
idéologico-moralisatrice. Dans ce film,
il regarde autant une communauté
de marins-pêcheurs, ses difficultés,
sa culture, son mode de vie, qu’une famille
légèrement dysfonctionnelle, ses nœuds
relationnels, ses affects compliqués
(et difficiles à verbaliser), mais sans juger
personne : chacun a ses raisons,
sa place de personnage.
La part la plus saisissante du film réside
dans ce que Collardey parvient à tirer de
ses acteurs. Jouer, pour les Leborne, c’est
rejouer un épisode pas facile de leur vie, et
ils s’en sortent très bien, particulièrement
la petite Mailys. On ignore les effets de ce
tournage sur la vie réelle de cette famille
mais il a au moins eu pour résultat un film
âpre et sensible. Serge Kaganski
C
Je ne suis
pas un salaud
d’Emmanuel Finkiel
J Agression, faux coupable, remords :
un thriller anxieux, habité avec intensité
par Nicolas Duvauchelle.
e ne suis pas un salaud,
drôle de titre qui dit
bien toute l’ambiguïté
psychologique de ce drame
mêlant violence sociale
et spirale paranoïaque,
par le réalisateur de Nulle part, terre
promise. Nicolas Duvauchelle y joue
Eddie, homme à la dérive et au
caractère orageux, agressé un soir
par une bande de voyous. A sa sortie
d’hôpital, il désigne à la police
un coupable facile (un jeune Arabe)
en exagérant sa certitude à un degré
qui nous demeure inconnu. Remis
sur pied, il se rabiboche peu à peu
avec sa femme et son fils, trouve
un maigre travail : tout va non pas
pour le mieux, mais au moins
dans la bonne direction, à ceci près
qu’un garçon probablement innocent
est en prison. Les doutes montent,
et avec eux les relents de violence.
Cette sorte de contagion du mal
à tous les niveaux du personnage
fait la qualité du film de Finkiel.
Duvauchelle incarne cet animal
blessé dont les bouffées de
brutalité physique et psychologique
sont toujours des faiblesses
maladroites, symptomatiques d’une
dangereuse anxiété ; ce qui est
facile à dire mais moins à incarner.
De l’intrigue policière, il nous reste
ce doute finement entretenu par
ce que le film dévoile ou dissimule :
que le garçon soit innocent, c’est
à peu près certain ; qu’Eddie sache
s’il ment ou non, et surtout si cela
fait donc de lui un lâche, un raciste
ou, donc, un salaud, c’est bien plus
indéterminé.
Autant d’incertitudes qui
permettent à Finkiel de faire de
l’intériorité contrariée de son héros
une véritable poudrière dont les
mises à feu sont d’autant plus
marquantes qu’elles carburent à la
détresse sociale et au sentiment
d’impuissance – gouffres mentaux
rendus tout à fait tangibles par
un Duvauchelle remarquablement
bon dans une déclinaison lose de
son ordinaire polar (Braquo), qui lui
va justement beaucoup mieux.
Théo Ribeton
Je ne suis pas un salaud d’Emmanuel
Finkiel, avec Nicolas Duvauchelle,
Mélanie Thierry (Fr., 2015, 1 h 51)
74 les inrockuptibles 24.02.2016
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18/02/16 16:41
Aurora
de Rodrigo Sepúlveda
avec Amparo Noguera, Luis Gnecco (Chili, 2014, 1 h 23)
Dans un Chili contemporain hanté par son histoire politique,
une femme adopte un enfant mort. Un film troublant.
’est le troisième
toutes ses pensées, elle
évidemment l’histoire
film du Chilien
peut changer de physique et politique du Chili, ces
Sepúlveda, interprété d’âge d’une scène à l’autre), mères qui continuent,
par la grande actrice une grande sobriété, de
plus de quarante ans après,
Amparo Noguera, que
la distance par rapport au
à rechercher et parfois
nous avons vue dans
sujet – sans jugement, sans retrouver les restes de leurs
les films de Pablo Larraín.
compassion excessive –,
enfants, torturés et exécutés
Aurora, inspiré de faits réels, une absence de pathos
par la junte militaire de
raconte l’histoire d’une
et de dramatisation, des
Pinochet. Sophia est bien
institutrice quadragénaire,
personnages intelligents,
sûr une Antigone moderne.
Sophia, qui connaît avec son très conscients de ce qui
Dans la plupart des
mari aimant les difficultés
advient même quand les
civilisations, les humains,
classiques pour adopter
raisons leur en échappent.
depuis au moins une
un enfant. Le jour où
Sepúlveda n’évite pas les
centaine de milliers
l’on retrouve un cadavre
causes psychologiques qui
d’années, comme d’autres
de nouveau-né dans
expliquent en partie le geste grands singes semble-t-il,
une décharge publique,
et l’obstination de Sophia.
ressentent le besoin
elle décide de l’adopter
Mais il n’insiste pas. Il évite
d’ensevelir leurs morts dans
puis de l’enterrer. Elle va
intelligemment la question
la terre afin que ceux-ci
se battre contre vents
religieuse, absente chez
puissent demeurer en paix.
et marées pour y parvenir.
Sophia. L’arrière-fond social Comme le dit Sophia :
La qualité du film
est présent : l’avortement
“Etre humain, ce n’est pas
tient à sa mise en scène :
n’est pas légal au Chili,
naître. C’est l’enterrement.”
des acteurs incroyables (le
la situation économique
C’est beau et troublant.
Jean-Baptiste Morain
visage de Noguera reflète
difficile. Et puis il y a aussi
C
Pattaya
de Franck Gastambide
avec lui-même, Malik Bentalha (Fr., 2016, 1 h 37)
Autour de l’attrait touristique
de la Thaïlande dans les cités françaises,
une comédie portée avec entrain
par son réalisateur-interprète.
Végétant depuis trop longtemps à l’ombre
de ses vieilles gloires, voilà soudain la
comédie de banlieue gagnée par un petit
vent de fraîcheur qu’on n’avait pas vu venir.
Entre sa silhouette bodybuildée et sa petite
voix ingénue, Franck Gastambide joue avec
classe et humour de ses propres paradoxes
(mi-Vin Diesel, mi-babtou fragile) et se met
en danger d’une façon réjouissante et assez
nouvelle. Avec son condensé parodique de
rap culture livrée brute, échappant on ne
sait trop comment à la logique normative
pour sauvegarder une vraie sincérité,
Pattaya se dégage du reliquat pourrissant
de la comédie banlieusarde et aère
le genre sur les plages thaïlandaises,
où les deux héros sont venus s’échapper
loin de leur 94. Pas de chef-d’œuvre
– le film manque d’une vraie locomotive
au casting – mais en effet un parfum
de vacances, ainsi qu’un coup d’œil
précieux sur un phénomène méconnu
mais bien réel, et assez fascinant :
le boom touristique pour la Thaïlande
(le “paradis des cailleras”) dans les cités
françaises. T. R.
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affaire non classée
L
David
Duchovny
et Gillian
Anderson
La série majeure des années 1990, X-Files, revient pour six épisodes
et choisit de se ressembler. Pour quel résultat ?
’actu séries de ce mois de
février est à peu près la même
qu’en 1996. Un brun, Mulder,
porté vers l’imaginaire (“I want
to believe”, “Je veux croire”, reste
son mot d’ordre passionné),
et une quasi-rousse aux élans sceptiques
confirmés, Scully, forment un couple
qui ose à peine se toucher. Ensemble,
ils parcourent l’Amérique des couloirs
sombres et des caves, des déserts et des
diners, tentant de résoudre des affaires
étranges où le surnaturel se mêle à
d’étranges complots politiques, cherchant
surtout le moyen de se toucher quand
même un peu. Les X-Files sont vivants
et personne ou presque ne s’y attendait,
treize ans après une première fin de
transmission.
La Fox avait mis un terme à la série
de science-fiction et de mythologie la plus
aimée des nineties en 2002, au bout de
neuf saisons. C’était déjà long, beaucoup
le reconnaissaient. Depuis, le film adapté
de la série n’avait pas ranimé le désir.
On parlait de X-Files au passé. On rappelait
que Vince Gilligan, monsieur Breaking Bad,
y avait fourbi ses premières armes dans
la salle d’écriture, tout comme Howard
Gordon (24 heures chrono, Homeland).
On y voyait un emblème de l’époque où les
séries ne traversaient pas encore ce que
les critiques allaient appeler l’âge d’or.
Avant Oz et Les Soprano, la création de
Chris Carter régnait tranquillement sur la
sériephilie – même si le mot n’existait pas
encore vraiment – en compagnie notamment
d’Urgences, NYPD Blue ou Homicide.
Vingt ans après, tout a changé, mais rien
n’a changé. Voilà à peu près le message
que font passer Mulder et Scully dans la
minisérie événementielle en six épisodes
qui marque leur come-back. Le générique
est toujours là, la musique de Mark Snow
également. Réanimer les récits qui
ont bercé notre passé commun suppose
selon Chris Carter de ne pas plaisanter
avec les signes.
L’atmosphère générale de ces X-Files 2.0
reste fidèle à l’ancienne mouture jusque
dans la variété de ton entre les épisodes et
même à l’intérieur de certains d’entre eux.
En un clin d’œil, on passe d’un comique
badin à une histoire de monstre, avant
de frayer dans les terres les plus sombres
de l’expérience humaine – le deuil,
la perte, l’irrémédiable victoire de la mort.
La manière qu’avait la série de se situer
d’elle-même dans la lignée des classiques
comme La Quatrième Dimension fait
toujours partie de l’ADN du show, pour
la noirceur fondamentale
de l’original se trouve
renforcée par la
violence et le dénuement
contemporains
le meilleur, comme dans le facétieux
et séduisant épisode 3 de cette dixième
saison, écrit et réalisé par Darin Morgan.
Tout ne fonctionne pas dans ce retour
des X-Files, notamment les grands moyens
narratifs balourds employés par Carter
en début de saison pour justifier un retour
aux affaires. Esthétiquement, la série fait
comme si le reste de la production télé
n’avait pas changé et cela peut provoquer
un effet rétro moyennement exaltant. Mais
dans le fond, ces X-Files-là, politiquement
et socialement acérés, ne vivent pas dans
un autre monde que le nôtre : la noirceur
fondamentale de l’original se trouve
renforcée par le dénuement et la violence
contemporains.
Du point de vue intime, ce qui était moins
intéressant il y a quinze ans – l’enfant
commun de Mulder et Scully, aspect très
controversé des dernières saisons – est
devenu le cœur battant de la série, son point
d’ancrage émotionnel (bel épisode 4). Du
temps passé, Chris Carter tire le maximum,
multipliant les références au vieillissement
de ses héros, qui se laissent faire avec
joie. L’autoparodie n’est jamais loin, la
profondeur non plus. Etant donné le succès
des épisodes diffusés aux Etats-Unis,
il se pourrait qu’on n’ait pas fini d’entendre
parler de Mulder et Scully. Olivier Joyard
X-Files saison 10 à partir du jeudi 25, 20 h 55,
M6. Nuit spéciale avec diffusion de dix épisodes
historiques à partir de 22 h 40
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element
of crime
Il n’y a pas que Faites entrer l’accusé
dans la vie : les séries s’emparent
aussi des grandes affaires criminelles,
comme celle d’O. J. Simpson.
i la plupart de vos
dîners alcoolisés
de ce début 2016
se sont terminés
en pugilat verbal à propos
des mésaventures de
Steven Avery, héros malgré
lui de la série documentaire
Making a Murderer,
sachez que votre addiction
s’inscrit dans un moment
de l’histoire de la télé qui
prend une ampleur nouvelle.
L’essor du true crime,
le récit visuel ou littéraire
d’histoires criminelles
réelles (dont l’un des
exemples historiques
reste De sang-froid, écrit en
1965 par Truman Capote),
semble inéluctable. L’année
dernière, HBO avait sidéré
l’Amérique avec The Jinx,
un autre docusérie
au scénario renversant.
La fiction prend aussi
sa part du gâteau. L’une
des séries les plus fortes
S
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John
Travolta,
David
Schwimmer
et Cuba
Gooding Jr.
du moment – malgré
sa discrétion – s’appelle
American Crime (Canal+
Séries). La création de John
Ridley étudie chaque saison
une affaire différente, un
meurtre dans la première,
un viol dans la seconde,
avec une minutie et une
hauteur de vue incroyables.
Même si, concrètement,
elle n’appartient pas
au genre du true crime car
les histoires sont inventées,
American Crime fait tout
pour y ressembler, au prix
d’une documentation
très poussée.
La documentation,
American Crime Story
(à ne pas confondre
avec sa quasi-homonyme,
donc…) en utilise à foison,
notamment un livreenquête de Jeffrey Toobin.
Cette nouvelle série
anthologique s’intéresse
à l’arrestation et au
procès ultramédiatique
d’O. J. Simpson, star du
football US soupçonnée du
meurtre de son ex-épouse
et d’un ami. L’affaire a tenu
l’Amérique en haleine au
milieu des années 1990,
avec une diffusion en direct
sur la chaîne Court TV.
Déjà à l’origine d’American
Horror Story – American
Crime Story en est la
version criminelle : à quand
“American Love Story”
pour équilibrer le tout ? –,
le très malin Ryan Murphy
(Glee, Nip/Tuck) fait revivre
ce moment particulier
de l’histoire de la justice
et de la culture des
célébrités. En ouvrant
le premier épisode sur
des images des émeutes
de 1992 à Los Angeles,
il n’oublie pas la dimension
politique et raciale
de l’affaire. De la nuit des
meurtres à la conclusion
du procès, rien ou presque
n’est mis de côté.
Aussi brillante dans sa
construction que parfois
outrée dans sa manière
de cerner la psychologie
des uns et des autres,
American Crime Story
remporte la partie grâce
à ses comédiens. Si Cuba
Gooding Jr. incarne un
O. J. un peu monolithique,
John Travolta et Courtney
B. Vance détonnent dans
leur costume d’avocat. Mais
c’est David Schwimmer qui
impressionne le plus. Dans
la peau fragile et émotive
du meilleur ami de Simpson,
Robert Kardashian (père
de Kim !), l’ex-Ross trouve
son meilleur rôle depuis
Friends. Une belle surprise.
O. J.
American Crime Story
chaque mardi sur FX.
Prochainement en France
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d’amour tendre
Avec son quatrième album, le jeune Allemand caché sous le nom de
Get Well Soon a mis la pédale douce sur ses penchants pour l’emphase.
Love reste toutefois une sacrée épreuve pour les cœurs sensibles.
D
Ecoutez les albums de la semaine sur
epuis le XIXe siècle, depuis
Beethoven, Schumann
ou Brahms, le romantisme
allemand a pris, il faut bien
le reconnaître, un sacré coup
de pompe dans le violon.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’âme
allemande, réduite à sa caricature autoritaire
et forcément martiale, n’a imprimé
en mémoire quasiment que des souvenirs
de musiques anguleuses, insurrectionnelles
ou glaciales, laissant peu d’espace pour
les sentiments. Même (surtout) le rock
ou la pop germaniques n’ont jamais
rendu à ces glorieux ancêtres échevelés
la politesse de leur beau désespoir.
Aussi, depuis la fin des années 2000,
Konstantin Gropper apparaît, derrière
le masque de Get Well Soon, comme
une exception chérissable, lui qui a réussi
à faire en sorte que Rammstein ou la techno
minimale ne soient pas les seuls produits
d’exportation musicale dont puisse
se féliciter la Chancellerie. Alors que
paraît le quatrième album de sa formation
fantôme, Gropper est catégorique : “Oui,
je suis un romantique, dit-il. Dès l’origine
de ce projet, dès le choix de ce nom (“prompt
rétablissement” – ndlr), il y avait cette
propension au romantisme qui a toujours
guidé mes choix. La musique dépourvue
d’émotion ne m’attire pas. On peut coller plein
de choses derrière le mot ‘romantisme’, mais
pour moi c’est avant tout un état émotionnel
que j’essaie de traduire en musique.”
Alors, après avoir tourné longtemps
autour du sujet, Konstantin s’est résolu
à y plonger tête la première en intitulant
le nouvel album Love. “J’ai su dès les
premières notes composées pour ce disque
que l’amour en serait le sujet central. Il fallait
bien que je me rattrape, après un précédent
album où il n’était question que de fin du monde,
de choses très sombres qui me traversaient
l’esprit à l’époque.” On n’en saura pas
plus sur les tourments de ce jeune Werther
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un orfèvre distingué pour
lequel une simple ballade
prend vite la tournure
d’une symphonie de poche
moderne, mais on sait en revanche qu’à
seulement 33 ans la palette des sentiments
qu’il a déjà mis en musique constitue l’un des
grands trésors de la pop contemporaine.
Depuis 2008 et son déjà impressionnant
manifeste introductif (Rest Now, Weary Head!
You Will Get Well Soon), on a pris goût aux
traversées tempétueuses dans lesquelles
nous embarque ce songwriter grand
luxe, solidement harnaché à sa formation
classique (violoncelle, piano, orchestrations)
mais qui aura dérivé, parce qu’il était
de son propre aveu “trop paresseux”, vers les
continents de la pop enflammée à la Divine
Comedy et du folk lyrique façon Beirut.
Avec les lumineux et exaltés Vexations
(2010) et The Scarlet Beast O’Seven Heads
(2012), Gropper a mené sa frégate fabuleuse
jusqu’à une forme d’absolue perfection
qui pouvait laisser craindre une baisse de
régime. Alors, pour calmer ses ardeurs,
il a décliné sur quatre ep, sortis en 2014,
toute la palette de son savoir-faire, allant
jusqu’à consacrer l’un d’entre eux à
des reprises surprises, de Careless Whisper
(George Michael) à Rocket Man (Elton John) en
passant par Always the Sun (The Stranglers).
“J’ai découvert assez tardivement la pop. Ma
principale source d’inspiration, jusqu’à présent,
avait été le classique et les musiques de films.
Pour l’écriture de Love, je me suis plongé
dans la pop des années 70 et 80, j’ai écouté
Tom Petty, Fleetwood Mac, les Pet Shop Boys,
autant de choses pour lesquelles j’avais
montré, à tort, une forme de dédain.”
Plus sobre et direct que les précédents,
Love ne sonne pourtant pas comme
un album pour routiers yankees, ni comme
un pastiche de l’electro-pop eighties,
mais comme du Get Well Soon qui aurait
subi une légère cure d’amaigrissement
et découvert les vertus de la modestie.
L’écriture est toujours aussi subtile,
complexe, mais sans artifices frimeurs,
et l’enveloppe évite tout débordement
qui aurait pu engloutir la fragilité du sujet.
“Auparavant, les arrangements, la mise
en scène, c’était la première de mes
préoccupations, et je composais en pensant
d’abord aux orchestrations. Cette fois,
j’en suis revenu au piano et à la guitare
comme seuls guides. Les arrangements
sont apparus dans un second temps.”
Celui qui avoue que Nirvana l’a détourné
de ses études classiques – “même si ça ne
s’entend sans doute pas dans ma musique” –
demeure un orfèvre distingué pour lequel
une simple ballade prend vite la tournure
d’une symphonie de poche. Les grandes
performance de l’album ont trait aux
modulations de sa voix, haut perchée sur
le tubesque It’s a Catalogue et ses chœurs
en canon, plus ourlée et capiteuse sur
It’s Love, où il chante presque comme
Mark Lanegan, Gropper s’amusant même
à taquiner Morrissey sur son terrain (Eulogy,
I’m Painted Money), sortant pour l’occasion
des guitares effervescentes (Marienbad)
rarement invitées sur ses autres disques.
Il se trouve qu’en enregistrant Love Bowie
était pour Konstantin l’un des principaux
points d’ancrage, ce qui se devine d’ailleurs
en filigrane de chaque chanson. “Il est
l’une de mes deux plus grosses idoles de toute
l’histoire de la culture, l’autre étant Stanley
Kubrick. Pour des raisons identiques, car ce
sont deux artistes qui se sont appropriés des
genres déjà établis pour en devenir aussitôt
les maîtres. Le troisième de mes héros
se nomme Ennio Morricone, j’espère qu’il va
vivre encore longtemps.” Christophe Conte
album Love (Caroline/Universal)
concerts le 14 avril à Paris (Gaîté Lyrique),
le 15 à Tourcoing, le 16 à Lyon, le 17 à Annecy,
le 18 à Grenoble
youwillgetwellsoon.com
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Willi Dorner/Hervé Lassïnce
vivement
le Printemps
Entre un hommage foufou de Lady Gaga (photo)
à Bowie et une prestation littéralement enflammée
de Kendrick Lamar, la 58e cérémonie des Grammy
Awards, qui se déroulait le 15 février à Los Angeles,
a finalement consacré les événements musicaux
de l’année 2015. Le palmarès couronne ainsi
Taylor Swift (1989, album de l’année), Ed Sheeran
(meilleure chanson avec Thinking out Loud),
Meghan Trainor (meilleure découverte) et bien
sûr Kendrick Lamar, qui remporte cinq Grammy
(dont celui de meilleur album rap). Presque aussi
sexy que les Victoires de la musique…
En 2013,
le monde
de la pop a tremblé avec Night Time,
My Time, le premier album de Sky Ferreira.
Il tremblera une nouvelle fois cet été avec
Masochism, son deuxième, déjà annoncé
mais repoussé car la principale intéressée
ne le trouvait pas assez “honnête”. Dans
une interview à Dazed & Confused, elle
confirme que son album ne sera terminé
que “quand elle se sentira à l’aise avec”.
Pokemon
sur vinyle
Après Zelda et Mega
Man, Moonshake
Records s’est
amusé à éditer les
mélodies du jeu vidéo
Pokemon sur vinyle.
A l’occasion des 20 ans
de la franchise
(putain, 20 ans),
on pourra donc
retrouver les “bip
bip” mythiques
avec tout le confort
de sa platine.
Joie régressive mais
sincère chez
les moins de 30 ans.
la caravane passe
Belle moisson de saison pour les musiques du désert :
en plus du discret mais excellent album Tumastin
d’Amanar (sur le label Sahel Sounds), le fameux
Bombino (photo) s’apprête lui aussi à sortir son nouvel
album, Azel (le 1er avril). Etabli en Belgique, Kel Assouf
publie début mars un album très rock, Tikounen.
Et fin avril paraîtra le premier album d’Imarhan, autre
groupe touareg parrainé par les vétérans Tinariwen,
qui eux travaillent en ce moment à l’enregistrement
de leur prochain album, au Maroc.
neuf
The Cars
Jennifer Stenglein
Martinguerre
Sara Hartman
Sky
Ferreira
maso
Ron Wyman
les Grammy clôturent 2015
Du 12 au 17 avril, le Printemps
de Bourges revient avec
une programmation toujours
défricheuse. Dans cette
40e édition, les meilleurs
espoirs de la pop française
– Flavien Berger, Grand Blanc,
Bagarre, Salut C’est Cool
(photo)… –, du rap (Nekfeu,
Bigflo & Oli, Georgio) ou
des sensations venues
d’autres horizons (Noiserv,
Bachar Mar-Khalifé).
En bonus, des têtes d’affiche
dont Louise Attaque, Jeanne
Cherhal et Dominique A, ainsi
qu’une création originale du
drôlissime Vincent Dedienne.
printemps-bourges.com
Révélée récemment au festival
Eurosonic, à Groningue, Sara
Hartman fait dans un genre de
pop qui parle à tout le monde,
façon Lorde ou Lana Del Rey.
Elle navigue entre New York
et Berlin mais c’est le monde
entier qui lui ouvrira bientôt
les bras : Sara Hartman est
une future star.
sara-hartman.com
Produit par Peter von Poehl,
le premier ep de Martinguerre
est bien parti pour enrichir
la carte du folk hexagonal.
Car oui, malgré ses airs
d’explorateur du Grand Nord,
Martinguerre est le projet
d’un garçon français dont la
voix, fragile et chaude,
a tout pour égayer l’hiver.
facebook.com/martinguerremartinguerre
Alex Harvey
Pas moins de 14 CD, remplis
à ras bord de 217 morceaux,
ont été utiles pour contenir
l’effervescence créative de
cet Ecossais extravagant, qui
fut un temps le perturbateur
du glam-rock. Ses albums
solo, ceux du Sensational Alex
Harvey Band et beaucoup
de raretés sont au programme
de ce coffret gargantuesque.
The Last of the Teenage Idols (Universal),
le 18 mars
Connu essentiellement ici pour
son tube Drive, le groupe du
brillant Ric Ocasek mérite plus
d’attention et un retour sur
ses albums des années Elektra,
réunis dans un coffret de 6 CD.
De The Cars (1978) à Door
to Door (1987), une bonne dose
de pop érudite et mainstream,
qui a eu une grosse influence
sur l’indie-rock américain.
The Elektra Years (Warner), le 11 mars
vintage
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Bamako
debout
es chansons qui abordent
le thème des migrants et
des réfugiés, on commence à
en voir affluer. M.I.A. et PJ Harvey
en ont faites. Peut-être même
que Renaud en a une toute
moisie sous le coude. Mais la plus évidente
et la plus essentielle, c’est Rokia Traoré qui
la chante. C’est Né So, qui donne son titre
au sixième album de la chanteuse-guitariste
malienne. Une chanson parlée, qui
déroule des statistiques comme un bulletin
d’informations, et dont le refrain dit
“Une maison, des habitudes, un futur”.
Cette chanson en impose par sa simplicité
mais elle ne tirera pas de larmes. Pas
le genre de Rokia Traoré d’en rajouter dans
le pathos ou l’émotion. C’est même ce qui
fait son style depuis ses premiers disques :
la retenue, la sobriété, la distance, l’épure.
Ici encore, peu d’instruments, une voix
acérée et des chœurs qui donnent le frisson.
Sa musique est enracinée en Afrique,
mais avec les instruments et la production
du rock. “Je n’ai pas commencé la musique
pour faire de la musique africaine, je ne sais
pas jouer de musique traditionnelle”, nous
disait-elle à l’époque de son précédent
album, qui s’appelait Beautiful Africa. Une
façon de définir un chemin qui n’est jamais
un retour aux sources, ni une fuite vers
l’inconnu, plutôt une synthèse, un alliage,
des allers-retours dans une contrée
esthétique qui n’appartient qu’à elle. Né So
est dans la même veine que Beautiful Africa.
Encore produit par John Parish, et encore
un peu plus minéral et dépouillé.
“Né So” veut dire “chez moi”.
Ça parle donc du monde contemporain,
celui qu’on voit au journal télé, mais
aussi de Rokia Traoré elle-même. Fille
de diplomate, habituée à séjourner dans
les grandes villes occidentales, elle avait
décidé en 2009 de s’installer à Bamako,
d’y élever son fils et d’y développer la
fondation de soutien aux musiciens qu’elle
a créée. Les crises politiques et guerrières
ont bouleversé ses plans. “C’était une période
de turbulences, pour le Mali et pour moi. Avec
la fermeture des écoles pendant six mois,
je suis revenue en France avec mon fils, pour
qu’il termine son année scolaire. J’étais
investie dans des projets pour ma fondation
au Mali. Ce sont les histoires banales d’une vie,
rien d’extraordinaire, mais ajoutées à la crise
peu d’instruments,
une voix acérée
et des chœurs
qui donnent le frisson
Danny Willems
D
Produit une nouvelle fois
par John Parish et porté par
de jeunes musiciens de jazz,
le sixième album de la Malienne
Rokia Traoré joue la carte
du dépouillement et de
la justesse.
de l’industrie du disque, elles m’ont fait me
questionner. Pourquoi continuer ? J’ai envisagé
de faire un break, et c’est mon fils qui m’a
poussée à continuer. Il avait 6 ans, il m’a dit :
‘Ce n’est pas une option, tu es chanteuse,
on ne change pas de métier comme ça.’
Au bout de quinze ans de carrière, je me
prenais enfin pour une artiste. Il avait raison.”
Avant la fin de la tournée de Beautiful
Africa, Rokia Traoré a organisé des auditions
pour recruter de nouveaux musiciens
en Afrique de l’Ouest. “Cette nouvelle équipe
m’a donné envie d’enchaîner tout de suite
avec l’enregistrement d’un album. Ce sont
des musiciens qui viennent du jazz, ils sont
dans la modernité et ont envie de faire
carrière. Et ils ont tous autour de 25 ans,
je me retrouve pour la première fois à être
la plus âgée du groupe !”
Tel le roseau dont elle a la fine silhouette,
Rokia Traoré est du genre qui plie mais ne
rompt point. Après la tempête, elle retrouve
son cap et avance avec Né So, plus effilée
que jamais. Stéphane Deschamps
album Né So (Nonesuch/Warner)
concerts le 25 février à Paris (104), le 27
à Dunkerque, le 5 mars à Amiens, le 9 à Arles,
le 10 à Toulouse, le 12 à Fontevraud, le 25 juin
à Moissac, le 28 octobre à Paris (Trianon)
rokiatraore.net
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Wild Nothing
Life of Pause
Gontard !
Repeupler Ici, d’ailleurs
Après trois mixtapes dévoilées chez les passeurs de
La Souterraine, l’œuvre bordélique et bouillonnante
du Valentinois se matérialise enfin dans un premier album.
chantillonnant des bouts
qui se moque de “la France
de musique depuis tout
des épiciers” – celle qui ne parle
petit et sur toutes formes
presque plus de politique mais
de supports, Nestor Gontard
s’éclate à droite toute dans
met en œuvre son amusement
les urnes et qui nous met dedans
musical et vaguement clandestin
depuis vingt ans –, et l’autre qui
depuis qu’il a un peu plus
serait un message plein d’espoir,
de 20 ans. Après avoir beaucoup
prêt à chasser le fatalisme
(trop ?) observé et disséqué,
avec une lampe-torche : plutôt que
à un âge où l’on est censé être
de passer des heures devant
acteur, lui vient l’urgence
son miroir facebookien, en pleine
de gratter là où ça faisait mal,
blessure narcissique, pourquoi
de mettre des mots sur des
ne pas pousser la porte
sons, et surtout sur ses troubles.
de nos centres sociaux, nos vieilles
Caché derrière son masque
MJC qui sont en train de crever ?
de lapin, ce chroniqueur part de
Et c’est justement pour donner
l’intime, de la névrose personnelle
plus de résonance à ses paroles
(un amour perdu, une lettre à
que Gontard ! les scande plus qu’il
sa fille, un ami resté au bled) pour
ne les chante, dans un talk-over
aller vers des névroses collectives
qui ne laisse pas en reste ses
plus engagées, y révélant un
mélodies. Compilant certains de
Gontard ! encore persuadé que
ses meilleurs titres, revus et rejoués
l’on peut changer bien des
par un groupe de desperados
choses positivement dans ce pays.
(et invitant la guitare mandole
Gontard ! baptise son album
d’un musicien algérien, star chaâbi
Repeupler, et on peut lire ce titre
des années 1970), ce premier
sous deux angles : l’un ironique
album leur donne une nouvelle vie
et développe un imaginaire
social, politique et amoureux qui
n’est rien d’autre que son histoire.
Imprimée et accompagnée
de collages dans un fanzine dédié
de 24 pages, cette histoire
prend tout son sens. Abigaïl Aïnouz
E
gontard.bandcamp.com
Romain Lejeune
wildnothingmusic.com
Shawn Brackbill
Emoresh
Bella Union/Pias
Entre revival eighties
et futurisme, le rock
élastique et mutant d’un
Américain dandy-punk.
Tout à coup, Life of Pause
s’envole. Le single éponyme
du troisième album
de Wild Nothing – le groupe
de Jack Tatum, inimitable
voleur de sons, génie
trentenaire déjà emballant
avec Nocturne, son deuxième
disque sorti en 2012,
collé aux Smiths – est
désopilant, joyeux et lyrique.
Il caractérise à lui seul
l’essence et l’ossature du
projet porté par l’Américain,
qui virevolte entre les
époques, picore les guitares
de My Bloody Valentine,
repère les éléments
marquants de MGMT,
débroussaille les synthés
pop et anglo-saxons du
dernier quart du XXe siècle.
A l’arrivée, Wild Nothing
signe son enregistrement
le plus abouti, alternant
les ombrages nostalgiques
(Adore), le groove sans
trop en faire (Whenever I),
les ballades et la danse
(TV Queen), donnant
à ses accents eighties une
rumeur de futur, un soupçon
emballant de “ce sera
mieux demain”, glissé entre
les notes de ses refrains
sucrés. Gourmand.
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Tuff Love
Resort Lost Map/Caroline/Universal
Noisy et radieuse, de la pop magnifiquement
incompétente venue d’Ecosse.
uand Ride embarqua
la matrice d’un son et d’une écriture
récemment les Ecossaises
qui allaient se radicaliser sous
de Tuff Love en première
les mines hostiles de The Jesus &
partie, le choix semblait
Mary Chain ou My Bloody Valentine.
parfaitement logique. Voici deux
Mais de l’histoire, Julie, Suse
groupes pratiquant un shoegazing
et leur batteur Ian s’en moquent
onirique, noyant leurs mélodies
comme de leur premier T-shirt
tournantes dans des échos
à rayures, que le groupe
de cathédrale, rebondissant contre
semble collectionner. Pourtant,
un mur du son caoutchouteux, sans leur musique, si simple, si directe,
angles, sans la moindre dureté. De
si outrageusement pop n’est
la pop jouée aux limites du vacarme, sans doute pas le résultat d’une
du larsen, du bruit blanc, mais tout
table rase, d’un refus intime
en douceur, en langueur.
de la prétention, la surproduction
La logique était sonique,
et l’entassement des pistes
mais pas visuelle : on pense même
de studio qui transforment la pop
que Julie et Suse, les deux âmes
en Bibendum, prétentieux en plus,
espiègles de Tuff Love, n’étaient
le con. Non, elles jouent aussi
même pas nées à l’époque où
candide parce que c’est tout
Vapor Trail de Ride triomphait dans
ce qu’elles arrivent à tirer de leurs
ce qu’on appelait alors les charts
maigres alliés – une fuzzbox,
indie – des mots que l’on ne trouve
des pédales qui dégueulassent
plus que chez les antiquaires.
le son, des voix à gorges déployées,
Pour tout dire, les filles de Tuff Love radieuses comme un colibri
pourraient être celles de Lush
le jour du soleil. Parce qu’elles
et Ride, deux des leaders
sont sans doute incompétentes.
de la guitare surmenée d’alors.
Il faut donc protéger
Par contre, la tradition dont
ces chansons précieuses dans
elles sont issues est largement
leur maigreur, leur dénuement,
plus ancienne que Ride.
leur ignorance, les empêcher
Elle est écossaise et remonte à
de fréquenter un jour les peinedes groupuscules dont les femmes
à-jouir qui leur diront qu’on
avaient retroussé leurs manches,
ne fait pas comme ça. Alors que si,
histoire de caresser au papier
les singles compilés par
de verre des guitares qui en
ce premier album le rappellent en
gémissaient d’extase. On pense
hurlant, en crissant, en dévissant,
aux très influentes – même
en riant, en jouissant : c’est
si trop méconnues – Strawberry
comme ça qu’on fait. JD Beauvallet
Switchblade, aux Shop Assistants,
reallytufflove.com
aux plus mixtes Pastels :
Q
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Her Magic Wand
Electric Dream/Modulor
La pop baroque
d’un Français très doué
pour l’évasion.
Le nom de ce vrai-faux
groupe pourrait se traduire
par “Sa Baguette Magique”.
Et elle efface la réalité,
la grisaille, les angles
saillants, la pesanteur
de tout. C’est donc
un monde enchanté,
une utopie, une fantaisie
que Charles Braud
et son grand orchestre
symphonique (un ordinateur)
offrent sur ce premier
album plein comme
un œuf d’oiseau exotique,
multicolore jusqu’à faire
tourner les têtes mais
n’oubliant pas les nuances
plus grises ou mauves
de la mélancolie confortable.
Car cet album s’écoute
comme un baume, un
apaisement dans l’urgence
et les gnons de 2015 : une
fuite en avant qui culmine
ici dans l’electro-pop MTV
eighties de Draw a Line ou
dans le rock plus physique
mais tout aussi irréel du
tubesque Everything at Once,
qui rappelle que Grandaddy
fait partie des héros
nombreux du garçon. Le son,
prodigieux, est l’œuvre
d’une élite d’ici (Stéphane
“Alf” Briat et Chab)
mais le songwriting et
ces fouillis d’arrangements
n’appartiennent qu’au
cerveau agité de Charles
Braud. On remercie
ce cerveau d’avoir autorisé
ces quelques fuites.
JD Beauvallet
facebook.com/hermagicwand
Nick Helderman
Everything at Once
Bombay
Show Your Teeth V2/Bertus
Remise à neuf, la formation néerlandaise sort
de l’ombre avec un deuxième album à la sensibilité pop.
l suffit d’entendre les quatre
grinçantes ou quelques clins
premières minutes de Show
d’œil au grunge explosif de
Your Teeth pour comprendre
leur compatriote Mozes And The
que la musique de Bombay est
Firstborn, mais Show Your Teeth,
frémissante, nécessaire. Autrefois
d’un Slow Motion détonnant à un
Bombay Show Pig, le duo devenu
Sea taillé pour affoler les campus
trio a raccourci son patronyme
américains en passant par un
mais a indéniablement élargi
Love Your Enemies à la souplesse
ses idées : Dolly Doesn’t Want to
instrumentale indéniable, est
Face the Facts s’éloigne ainsi de
un deuxième disque à l’efficacité
l’influence des Kills et de Blood Red redoutable, implacable même
Shoes pour mettre en son une pop
dans ses instants les plus
amoureuse du vertige, extravagante amples et les plus rayonnants.
et cérébrale. Visiblement inspirés,
Avec Gold Rush, plus décomplexé
les Hollandais gardent de bout
et gigotant que jamais,
en bout la même fraîcheur et
Bombay tient même l’imparable
appliquent les règles de bon sens
single de 2016 et des années
apprises chez MGMT ou Phoenix.
à venir. Maxime Delcourt
Il y a bien ici et là quelques
bombaybombaybombay.com
basses lourdes, quelques guitares
I
Dan Sartain
Century Plaza One Little Indian/A+LSO
Après le rockabilly et le punk, le songwriter américain
explore la synth-pop ténébreuse.
Depuis son antre
Après un exercice de style
Dans une ambiance
en Alabama, Dan Sartain
façon punk Ramones
nocturne éclairée de
n’en finit pas de composer,
il y a quatre ans, on
néons, des beats glaciaux
en puisant son inspiration
le retrouve métamorphosé
portent ces huit morceaux
dans le blues, le rockabilly,
sur Century Plaza, sous les
ténébreux, parmi lesquels
le surf ou le garage.
traits d’un sombre crooner
une reprise possédée
A la fois rageurs et
synth-pop. Composé
d’Alan Vega et, en guise
romantiques, les hymnes
sur iPad avec GarageBand,
d’ouverture, une
de cette petite frappe
ce nouvel album revisite
autoreprise étonnante.
Noémie Lecoq
au cœur tendre nous
l’esthétique du Depeche
poursuivent depuis
Mode des années 80
dansartain.com
une quinzaine d’années.
ou du Kavinsky de Drive.
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Atlanter
Jewels of Crime
Andreas Kleiberg
Amandine Jean
Gregg Bréhin
Jansen Plateproduksjon
Les Norvégiens convoquent
le blues du désert
africain pour un résultat
à faisceaux multiples.
Les quatre Norvégiens
d’Atlanter ont mis trois ans
à enregistrer Jewels
of Crime, album concept
serti de pierres précieuses.
Depuis ses steppes
norvégiennes, le groupe
convoque le vent du désert
africain pour un chaud
et froid unique qui n’a
pas peur d’allier blues
des sables et krautrock
allemand. Pour ce faire,
Atlanter a invité à Oslo les
touaregs maliens d’Imarhan
Mali et Sadam, le chanteur
de Tinariwen. L’album
projette de jolis éclats
de lumière (Let it Fade),
avec notamment des sorties
de morceaux extatiques
(Human vs Human),
mais aussi quelques rayons
un peu plus faibles qui
se perdent dans l’obscurité.
C’est là le pari beau mais
risqué du groupe, “des
gens avec des approches et
des goûts musicaux différents
qui aiment jouer ensemble”.
Von Pariahs
Genuine Feelings Yotanka/Pias
Des Nantais globe-trotters fédèrent
shoegaze britannique et grunge américain.
es guitares grincent, les structures
s’étirent, glissent, dérapent,
et les ombres bienveillantes de Ride
ou My Bloody Valentine s’invitent
en filigrane. Autant dire d’emblée que
ce deuxième album de Von Pariahs annonce
de solides ambitions et abat de sérieux
atouts pour les atteindre. Sans renier
les voies ouvertes par son prédécesseur,
Genuine Feelings réaménage néanmoins
de fond en comble le jeu de piste
psychotonique et noisy de la PME bruitiste
nantaise. Une rigueur mélodique plus
américaine confère notamment une assise
ronde et musclée à des titres longs
en bouche mais jamais monolithiques.
Entre nonchalance contrariée et force
éruptive, le morceau-titre Genuine Feelings
ou le nerveux Bike Crash caracolent
de fait entre smog sonique et giboulées
métalliques, sans jamais se départir
d’une méticuleuse efficacité. On appréciera
également la respiration mélancolique
d’Oceanwide et les émotions plurielles
de Tough Violence, sortes d’éclaircies
inquiètes au cœur d’un ruban d’asphalte
aussi fluide que propice. Jean-Luc Manet
L
concerts le 4 mars à Nantes, le 10 à Lille,
le 11 à Rennes, le 12 à Quimper,
le 18 à Clermont-Ferrand, le 19 à Nevers,
le 24 à Paris (Point Ephémère), le 30 à Angers,
le 31 à Saint-Avé, le 1er avril à Joué-les-Tours,
le 2 à La Roche-sur-Yon, le 7 à Annecy,
le 22 à Rouen, le 30 à Châlons-en-Champagne
vonpariahs.com
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Marie Planeille
la découverte du lab
Eddy
Le rap hybride et grinçant d’un trublion
lyonnais, engagé (malgré lui)
dans une époque (pas si) formidable.
embre actif du collectif
hip-hop L’Animalerie
et rappeur-beatmaker pour
sa bande de lascars Bavoog
Avers : le trousseau d’Eddy, 24 ans,
est déjà bien rempli. Plus habitué
à sortir en famille et à jouer en meute,
cet hyperactif se lance en solo avec
Tout Eddy, premier ep révélant une plume
de loser éclairé digne de son aîné Orelsan.
Rappeur sans ego surdimensionné,
ce banlieusard lyonnais à l’humour noir
garde la tête bien vissée sur les
épaules : “Quand on a une force de frappe
médiatique, pourquoi ne pas la transformer
en quelque chose de bon ?”
Loin des guerres de gangs,
les textes d’Eddy révèlent un décalage
mordant, évitant le ton sur ton grossier
ou parfois cheap. Ironique mais pas
résigné, Eddy s’engage à son échelle :
“J’aime la politique de solution.”
Dans la grosse teuf du clip de 2015,
il récite ainsi une satire des jeunes
d’aujourd’hui, tournant en dérision
la pseudo-liberté des réseaux sociaux,
le marketing numérique aliénant,
la génération X, Y ou Z qui ne sait
plus ni lire ni écrire et se purge dans
des fêtes arrosées pour zapper
des lendemains pas très enchantés…
Ne fuyant pas non plus des causes
plus personnelles et sentimentales,
on le découvre en plouc ordinaire dans
le clip Cabanon. Cerise sur le micro,
c’est le Nantais et jeune prodige
des potards J.A.C.K qui a mis la main
à la pâte pour sublimer les productions
de l’ep. Abigaïl Aïnouz
Don Cavalli
M
facebook.com/eddybvgv
concert le 27 février au Social Club (Paris)
retrouvez toutes les découvertes
sur lesinrockslab.com
De Profundis A-Rag/Because
L
Réédition précieuse d’un disque français épris d’Amérique.
a mélodie et les mots me sont
comme l’album culte d’un obscur
venus alors que je roulais vers
génie des Appalaches ou du bayou.
mon usine. J’ai fait demi-tour
De profundis, ça rime avec
et n’y suis jamais retourné”,
Memphis, et c’est cette histoire-là
dit Don Cavalli à propos de sa
qui traverse Don Cavalli : Charlie
chanson I Won’t Be Coming No More. Feathers, l’arrière-boutique de Sun
Et c’est à ce genre d’anecdote qu’on Records, les hillbillies qui voyagent
reconnaît le vrai truc. Estimé ces
en wagon de marchandise et les
dernières années pour deux albums héros oubliés du rock’n’roll primitif.
qui lui ont valu d’ouvrir pour
Loin du simple hommage ou de la
les Black Keys, Robert Plant ou
reconstitution, Don Cavalli, sa voix
Ben Harper, Don Cavalli avait
caverneuse et sa guitare cabossée,
commencé dans les années 1990
affirme alors un style, une foi
sur la scène rockabilly. Puis,
et une classe folles. Le son, dans
en 2003, il sortait cet album solo
sa pauvreté, est parfait, et toutes
confidentiel, De profundis, dont
les chansons sont habitées par les
la réédition vaut de sacrés voyages
fantômes du Tennessee. Don Cavalli
dans l’espace-temps. Seize chansons a fait demi-tour, et a trouvé
enregistrées chez lui, en banlieue
son chemin. Stéphane Deschamps
parisienne, mais qui sonnent
Pusha T
King Push – Darkest Before Dawn:
The Prelude Def Jam/GOOD Music
Le vétéran du duo The Clipse
impose son rap de coke-dealer dans
un effort solo magnétique.
Faire parler la poudre.
sur les irrésistibles beats
L’expression sied
dépouillés des Neptunes.
parfaitement au rappeur
Mais depuis que
virginien Pusha T, grand
son frangin s’est converti
pourvoyeur de rimesau christianisme, Pusha T
gunshots dédiées à la fée
hante seul le hip-hop
blanche. Dès le crépuscule
mainstream avec
de la “crack era” des 90’s,
sa cape sombre de “last
Terrence Thornton
cocaine superhero”.
(Pusha T) et son frère Gene
Dans le registre de la pure
(Malice) n’ont eu de cesse
décharge d’agressivité
de peaufiner avec leur duo
contrôlée, à coups
The Clipse une poétique
de “yeurr” gutturaux et
rêche du trafic de coke,
d’allitérations millimétrées
montées sur des
rythmiques paranoïdes
signées Timbaland
ou Puff Daddy, le protégé
de Kanye West n’a de
leçon à recevoir d’aucun
MC. A l’instar du sample
de Biggie ouvrant ce bal
avec le diable, son rap
reste “Intouchable”.
Eric Vernay
concert le 26 avril à Paris
(Trianon)
86 les inrockuptibles 24.02.2016
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dès cette semaine nouvelles locations en location
retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com
Jessica93
4/3 Paris, Café
de la Danse
Jim Jones
And The
Righteous Mind
24/2 SaintAndré-lez-Lille,
25/2 Evreux,
26/2 Paris,
Maroquinerie,
27/2 Saint-Avé,
28/2 La Rochelle,
29/2 Bordeaux,
1/3 Jouélès-Tours,
2/3 Lyon,
3/3 Angoulême
Joe Jackson
29/2 Villeurbanne
sélection
Inrocks/Fnac
Vald à Nantes
L’un des plus
grands espoirs
du rap français
prend d’assaut
le pays et
part en tournée.
L’occasion,
immanquable,
de (re)découvrir
ses titres
aussi crétins
que polémiques,
aussi géniaux
que nullissimes.
le 27 février
aftershow
LCD
Soundsystem
4/6 Paris, Bois
de Vincennes,
We Love Green
The Libertines
9/3 Paris,
Olympia
Massive Attack
26 & 27/2
Paris, Zénith
Moderat
28/3 Paris,
Olympia,
30/4 Marseille,
2/5 Cenon,
3/5 Nantes
Nekfeu
13/3 Dijon,
15/3 Marseille,
16/3 Lyon,
18/3 Paris,
Zénith,
27/3 Bordeaux,
2/4 Caen,
10/4 Paris,
La Défense,
14/4 Bourges,
5/6 ClermontFerrand,
10/6 Argelès,
14/7 La Rochelle
Odezenne
25/2 Amiens,
26/2 Orléans,
27/2 Nancy,
11/3 Biarritz,
17/3 La Rochelle
sélection Inrocks/Fnac
Massive Attack à Paris
Impossible de rater le retour
du groupe de trip-hop
le plus important du monde.
Massive Attack entend bien faire
entrer Paris en transe à grands
coups de mélopées sombres
et entêtantes. Sortez vos briquets :
leur tournée s’achèvera dans
notre capitale, et qui sait,
peut-être pouvons-nous rêver à
une apparition de Tricky sur scène.
les 26 et 27 février
PJ Harvey
5/6 Paris, Bois
de Vincennes,
We Love Green,
3/7 HérouvilleSaint-Clair
Rokia Traoré
25/2 Paris, 104,
27/2 Dunkerque,
5/3 Amiens
Rover
18/3 Rennes,
19/3 Lorient,
24/3 Paris,
Olympia
Sage
22/3 Paris, Cigale
Savages
26/2 Dijon,
27/2 Lyon,
28/2 Bordeaux,
1/3 Paris, Cigale
Son Lux
2/3 Paris,
Gaîté Lyrique
Suuns
21/5 Tourcoing,
22/5 Bruxelles
Temples
18/6 Noisiel,
Paris PsychFest
Vald
25/2 Jouélès-Tours,
26/2 Troyes,
27/2 Nantes,
11/3 Nîmes,
26/3 Garlan,
14/4 Bourges,
28/5 Laval
Xiu Xiu
8/4 Paris,
Centre
Pompidou
King Biscuit
Vincent Muller
Aline
2/4 Montauban
Arkadin
14/3 Paris,
Point Ephémère
Avishai Cohen
26, 27 & 28/2
Paris,
Philharmonie
3/3 Nice,
31/3 BoulogneBillancourt
Breakbot
27/2 Audincourt,
2/3 Paris, Cigale,
4/3 Rouen,
5/3 Nantes,
11/3 Reims,
12/3 Montpellier,
17/3 Grenoble
Calexico
19/4 Cenon,
20/4 Nîmes,
22/4 Feyzin,
23/4 Strasbourg
Chassol
26/2 Calais,
17/3 Niort,
25 & 26/3
La Réunion,
4/4 Ibos,
6/4 Fortde-France,
13/5 Béziers,
24/5 Alfortville
Chocolat
28/5 Laval,
5/6 Nîmes
The Cure
15/11 Paris,
AccorHotels
Arena
Dream Theater
5 & 6/3 Montreuil,
Palais des
Congrès
Fat White Family
2/3 Paris,
Maroquinerie
Feu ! Chatterton
5/3 Grenoble,
7/3 Paris,
Trianon,
11/3 Strasbourg,
12/3 Dijon,
19/3 Angers,
23/3 Massy,
1/4 Toulon,
2/4 Istres,
4/4 Paris,
Trianon,
11/4 Tignes,
30/4 Bourgen-Bresse,
11/5 Paris,
Trianon,
28/5 Laval
Flavien Berger
5/3 Paris,
Gaîté Lyrique,
31/3 Rouen
Foals
26/2 Lyon,
29/2 Lille
General
Electriks
16/3 Feyzin,
23/3 Lille,
31/3 Paris,
Trianon,
3 & 10/4 Paris,
La Défense,
Festival Chorus,
14/4 Limoges
Hans Zimmer
14/4 Bruxelles,
23/4 Paris,
Palais des
Congrès,
31/5 Lille,
1/6 Rouen,
2/6 Nantes,
3/6 Bordeaux,
4/6 Toulouse,
5/6 Orange
Jeanne Added
26/2 Cavaillon,
3/3 Périgueux,
6/3 Angoulême,
16/3 Dijon,
18 & 19/3
Marcoussis
Les Nuits de l’alligator
le 14 février à Paris (Maroquinerie)
C’était le soir de la Saint-Valentin, et nous n’étions qu’amour.
Amour pour cette soirée d’ouverture de la onzième édition
des Nuits de l’alligator, le festival de musiques roots qui fait
fondre l’hiver. Amour pour le souvenir de Thomas Duperron
de la Maroquinerie, tué dans les attentats du 13 novembre.
Amour pour le groupe rouennais King Biscuit, qui remplace
à l’arrache un groupe qui a posé un lapin. On n’y perdait pas
au change : le duo guitare-chant/violon ravive le blues endiablé
et hypnotique, comme on l’aimait chez les dingos du label
Fat Possum. Derrière, l’Américain Israel Nash et son groupe font
comme si on était à Woodstock un soir d’été : son folk-rock
millésimé fait pousser les cheveux, les barbes, et donne des ailes
au public, soudain baba. Mission accomplie : on a encore oublié
l’hiver à la Maroquinerie. Nous n’étions qu’amour, qui rime avec
encore : les Nuits de l’alligator se poursuivent jusqu’au 28 février
dans la tradition du rock’n’roll le plus furieux avec Jim Jones
& The Righteous Mind, Daddy Longlegs et Dirty Deep,
à Paris, Lille, Evreux, Vannes et La Rochelle. Robert Belfour
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elle s’en va
Une New-Yorkaise de 30 ans plaque tout pour aller en
Nouvelle-Zélande. Plume aux revues McSweeney’s et Granta,
Catherine Lacey signe un beau premier roman sur un sujet
éminemment contemporain : la perte de soi.
P
ersonne ne disparaît éblouit
dès les premières pages.
Il y a d’abord ces phrases,
ciselées, puissantes, qui
gonflent lentement, forment
des boucles avant d’éclater
en morceaux. Il y a ensuite la narratrice,
cette jeune femme qui part à vau-l’eau,
bouleversante de fragilité et d’indifférence
mélangées, son renoncement au monde
comme une forme d’idéal héroïque. Il y a
enfin ses mots, ceux qu’elle ne prononce
pas, mais auxquels elle songe sans relâche.
Tendus, hirsutes, ils deviennent effrayants
quand ils glissent vers les zones troubles
de la violence et de la folie : “Il a dit Allo,
comme si rien n’avait changé dans sa vie,
comme si sa vie s’était poursuivie, complète
et normale (…) et pendant tout ce temps sa
voix ne s’était pas levée pour quitter sa gorge,
et son corps n’était pas tombé en morceaux
pour s’amonceler en tas sur le sol, et son
cerveau ne s’était pas transformé en boue
au point de couler par ses oreilles.”
On a du mal à croire qu’il s’agit d’un
premier roman, tant ce livre impressionne
par son style, sa maturité, sa connaissance
de l’âme humaine. New-Yorkaise de 30 ans
à peine (comme son héroïne), Catherine
Lacey s’était fait connaître par ces
nouvelles et essais publiés dans des revues
comme Granta, McSweeney’s ou encore
The Believer. Dave Eggers crie au génie,
et on ne peut qu’approuver.
C’est l’histoire d’Elyria, jeune scénariste
de Manhattan. Un matin, elle fait son sac
à dos et elle s’en va. Sans un mot pour
son mari ou qui que ce soit, elle embarque
pour le bout du monde. On la retrouve
au chapitre suivant, faisant de l’autostop en
Nouvelle-Zélande. Sur les bords de route,
elle laisse le drame qui l’a menée jusqu’ici
reprendre possession de son cerveau
abîmé. Le suicide de sa sœur adoptive,
sa mère alcoolique, son mari devenu au fil
des ans un étranger. Malgré le danger
qui rôde (ces conducteurs psychopathes
potentiels), la solitude et le dénuement,
Elyria continue d’avancer. Elle s’égare
toujours plus loin, dans ce pays lointain,
et en vient à ne plus rien ressentir :
aucun désir, presque aucun manque.
88 les inrockuptibles 24.02.2016
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Top of the Lake de Jane Campion (2013)/See-Saw Films
Catherine Lacey
a su donner
un visage à ce
qui pourrait bien
devenir le mal
du siècle
Elle ne se projette plus dans le temps,
ne participe plus au présent. “C’était ça que
j’avais voulu tout le temps, réalise-t-elle,
disparaître complètement, mais je ne pourrais
jamais disparaître complètement, personne
ne disparaît ainsi, personne n’a jamais eu
ce luxe et personne ne l’aura jamais.”
Cette “passion d’absence”,
l’anthropologue David Le Breton l’a
brillamment analysée dans un essai paru
l’année dernière, Disparaître de soi
– Une tentation contemporaine (Métailié).
Il appelle “blancheur” cet état particulier,
hors des mouvements du lien social, où
l’on disparaît aux yeux des autres comme
à soi-même. Une sorte d’engourdissement
généralisé, volonté d’effacement qui, met
en garde l’essayiste, “gagne de plus en plus
de gens, et est de plus en plus durable”.
La force de ce roman, car il s’agit bien
ici de littérature, tient pourtant dans la
part d’incertain et d’indécis de l’intrigue,
cette part de mystère qui pousse l’héroïne
à faire un pas après l’autre, comme le
funambule de Genet, et tient en haleine
le récit. Car Elyria lutte sans relâche contre
sa maladie, ce “yack” qui habite en elle,
la ronge de l’intérieur. Elle n’a rien perdu
de son acuité intellectuelle, le soleil noir
de sa mélancolie la rendant même plus
lucide sur les gens qui l’entourent. Elle
n’idéalise pas non plus son pays d’accueil,
résumé en quelques mots lapidaires :
“Une ennuyeuse petite montagne, un lac bleu
pâle, une station-service, la même que
les nôtres, sauf que pas exactement.”
Cette conscience d’elle-même,
de l’échec de son voyage, son entêtement
à poursuivre pourtant, la rendent
terriblement sympathique. De même
que l’humour noir dans lequel elle sait
se réfugier, avec l’énergie du désespoir
(quand son mari l’insulte au téléphone,
après des mois sans contact, elle s’applique
à “essayer de l’écouter, à recevoir ses mots
et à les plier comme il faut, à en faire une
belle pile lisse et encore chaude, une pile
du genre chaussettes et serviettes blanches
tout juste lavées” – un subconscient
subtilement féministe, face à un individu
qui se révélera être un monstre).
Catherine Lacey a su donner un visage
à ce qui pourrait bien devenir le mal
du siècle, du moins en Occident. Etrange
et poétique, ensorceleur et presque
inaudible, son monologue d’une âme
en peine ressemble à une mélopée
majestueuse. Dangereux, comme le chant
des sirènes, il mène aux bords du gouffre
celui qui n’y prend pas garde. Et tandis
que la narratrice tombe dans l’anonymat,
c’est le patronyme de l’auteur qui interpelle
in fine. Car comment ne pas penser
à l’autre Catherine Lacey, cette actrice
anglaise née en 1904 connue notamment
pour son rôle dans le film d’Alfred
Hitchcock au titre éloquent : Une femme
disparaît (1938) ? Yann Perreau
Personne ne disparaît (Actes Sud),
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par
Myriam Anderson, 272 pages, 22 €
24.02.2016 les inrockuptibles 89
08 1056 88 SLIV OUV.iidd.indd 89
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Salomon
de Izarra
Camisole
Un hommage à la belle
époque de la littérature
fantastique, entre les
murs d’un asile de fous.
Après un premier
roman déjà largement
apocalyptique, au doux titre
évocateur de Nous sommes
tous morts, Salomon de
Izarra revient aujourd’hui
avec un récit tout aussi
glaçant. La scène se
passe dans un institut
psychiatrique installé entre
les murs d’un imposant
manoir. Le narrateur,
comptable de son état,
s’y retrouve enfermé
par hasard. Une effroyable
tempête éclate dans la nuit,
électrisant les fous qui se
déchaînent, au sens propre,
prennent possession
des lieux et trucident leurs
médecins. Entre les
visions d’horreur et les
hallucinations du narrateur
se met en place alors un
subtil jeu de déstabilisation
du lecteur. L’auteur, dont
on nous dit qu’il prépare
une thèse sur l’écriture
de l’enfermement,
ce qui ne nous étonne pas
vraiment au regard de
ce qu’il publie, a de toute
évidence pris un vrai
plaisir à créer ce pastiche
lovecraftien bourré de
références littéraires, sorte
d’hommage aux grands
auteurs de littérature
fantastique avec dialogues
surannés échangés dans
des pièces à hauts plafonds
et parquets cirés dont
les fenêtres donnent sur
un parc entouré d’un muret.
Il restera ce qui semble
être au cœur des obsessions
de l’auteur, l’idée d’un
potentiel sanguinaire tapi
à l’intérieur de chaque
être humain. S. T.
Catherine Hélié/Gallimard
Rivages, 140 pages, 16 €
les clichés à poil
Pour son troisième roman, Frédéric Ciriez signe une critique
ironique de notre société sur fond de naturisme.
Q ’est-ce qui relie les manuels
de coaching mental, la littérature
érotico-sentimentale et les
mangas ? Réponse : Frédéric Ciriez,
l’auteur déjà remarqué de Mélo,
publié chez Verticales en 2013.
Ce livre est d’abord un lieu : l’île
du Levant, sur les côtes varoises, convertie
en un immense camp de nudistes
– pardon : d’adeptes de la vie naturelle.
Julie, séduisante cadre sup quarantenaire,
est venue avec sa fille adolescente,
Neko. Toutes deux bronzent sur la plage,
Julie plongée dans un ouvrage de coaching
mental, Neko dans un manga. Frédéric
Ciriez circule entre ce que vivent les deux
personnages et les pages de leurs livres,
et c’est hilarant.
Celui de Julie est signé d’un ancien
sportif auteur d’une méthode infaillible
pour révéler le potentiel caché en
chacun de nous. Au fil des pages, il aligne
ses conseils de réussite, absurdes
on s’en doute. Julie est enthousiasmée
par sa lecture, bien décidée à profiter de
ses vacances pour changer de vie.
D’ailleurs, elle a rendez-vous avec Giacomo,
un bellâtre rencontré sur internet.
A ses côtés, Neko avale les cinq tomes
de la série Bad Love Hackers. Ici aussi,
Frédéric Ciriez s’en donne à cœur joie,
échafaudant une tortueuse histoire dans
un Tokyo peuplé uniquement de jeunes
geeks androgynes. On savourera de
la même façon la rencontre de Giacomo
et Julie, pur pastiche de littérature érotique
soft, accumulant autant de clichés que
de positions acrobatiques. On appréciera
particulièrement la scène de coït
debout contre un grillage chauffé à blanc
par le soleil varois, façon barbecue,
“le métal qui entrait dans ma peau et me
saisissait à vif, comme une viande”.
Chaque fois, Frédéric Ciriez fait
mouche par son sens de la précision,
et son détournement de chaque type de
discours met au jour les lieux communs
qu’ils véhiculent, les injonctions
impitoyables de la méthode de coaching
révélant d’autant mieux les limites
du culte de la performance.
Au final, c’est une analyse critique de
notre société que propose Ciriez, à travers
par exemple le concours des plus beaux
estivants, hommes et femmes défilant nus
sur un podium comme lors d’un comice
agricole. Ainsi, la nudité de tous, au départ
synonyme de liberté, s’avère au contraire
lourde de marqueurs sociaux, selon
que l’on est svelte et épilé, ou adipeux
et rougeaud. Sylvie Tanette
Je suis capable de tout (Verticales),
288 pages, 20 €
90 les inrockuptibles 24.02.2016
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un roman anglais
A travers une biographie romancée d’E. M. Forster, Damon Galgut poursuit
l’exploration de ses thèmes fétiches, désir et solitude. Erudit et émouvant.
uelle est, pour
des années à se libérer de
à la biographie romancée
Ce roman, Route
son auteur,
la triple emprise des bonnes des Indes, permettra
– en la circonstance, celle
la visée secrète
mœurs, de sa mère et de
d’une sommité des lettres
en 1924 à E. M. Forster
d’un ouvrage
britanniques, E. M. Forster – ses inhibitions.
d’échapper à sa réputation
biographique, sinon
En privilégiant les séjours d’auteur de comédies
la récurrence des thèmes
de parler d’un autre afin
de Forster en Egypte
témoigne d’une cohérence
légères. A la Chambre
de mieux se pencher sur
et en Inde, L’Eté arctique
sans faille.
avec vue de ses années
soi-même ? Le précédent
met l’accent sur le rôle joué italiennes succède
Les failles, le héros
roman de Damon Galgut
par le dépaysement
de L’Eté arctique les
une grotte obscure,
avait pour narrateur
dans cette lente acceptation au fond de laquelle rôdent
collectionne. Cérébral
un voyageur solitaire,
de l’emprise des sens.
à l’extrême – “La raison
des enjeux – de classe
soupirant platonique
Sur la terre des maharajas,
était le seul moyen de
sociale, d’identité
– et successif – d’un
Forster perd ses repères
défense contre le sentiment
sexuelle, de domination
athlétique Allemand et
mais enchaîne les
nu. Comprendre aidait
et d’appartenance
d’un adolescent suisse.
découvertes : “Ce qu’il avait
à supporter la tristesse” –,
ethnique – auxquels le livre
Aujourd’hui, l’écrivain
E. M. Forster est un héritier vu et entendu dans ce pays
de Galgut fait brillamment
sud-africain fait revivre
était souvent si déconcertant
de Jane Austen égaré au
écho. Bruno Juffin
les atermoiements
que la pensée rationnelle
siècle de D. H. Lawrence et
d’un intellectuel anglais,
de Virginia Woolf. Conscient n’y accédait pas. Le mystère
L’Eté arctique (Editions de
tour à tour amoureux d’un
était au cœur des choses,
de son homosexualité
l’Olivier), traduit de l’anglais
bel Indien et d’un jeune
et il serait également au
dès l’enfance mais encore
(Afrique du Sud) par Hélène
Egyptien : de la fiction
cœur de son roman.”
Papot, 381 pages, 22,50 €
vierge à 34 ans, il va mettre
Q
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Deux auteurs français s’emparent
du genre gothique : Romain Slocombe
signe le remake ultra dark des
Petites filles modèles et Emmanuel
Régniez enferme un frère et
une sœur dans son premier roman.
l y a eu les petites sœurs terrifiantes
de Shining, l’étrange tandem des
Hauts de Hurlevent, Hindley et Catherine…
Dans la littérature gothique,
les références ont plus d’importance
qu’ailleurs : Lovecraft, Poe et King font
office de sainte trinité sans cesse citée
et revisitée. Peu nombreux sont ceux,
en revanche, qui avaient vu dans l’œuvre
éducative de la comtesse de Ségur
l’abîme de noirceur que va y chercher
Romain Slocombe.
Pour la collection Remake des éditions
Belfond, qui offre à des romanciers
contemporains la possibilité de remixer
les grands classiques, il revisite Les Petites
Filles modèles et y injecte une bonne
dose de perversité. Au cœur de son
programme de “déséducation”, la candide
et très pieuse Marguerite de Rosbourg,
éhontément dévergondée par une paire
de sœurs bien moins intéressées par
les rosaires que par les écrits tendancieux
du marquis de Sade.
Audacieux et inventif dans sa relecture
d’un classique de la Bibliothèque rose,
Slocombe annonce la couleur : le texte que
l’on s’apprête à lire a été retrouvé en 2014
I
Les Innocents de Jack Clayton (1961)/20th Century Fox
poupées
gothiques
dans une tombe, aux côtés d’une morte au
cœur arraché… L’histoire elle-même s’amuse
ensuite à jeter l’innocente Marguerite et
sa mère corsetée dans les mains de la très
pâle veuve Madame de Fleurville et de ses
filles Camille et Madeleine. Trop de femmes
en un château : il y aura des lectures
interdites, des péchés mortels, des
épisodes saphiques et même un meurtre
de sang-froid. Le tout dans une immense
demeure qui exerce sur son petit monde
une inquiétante emprise. Un parfait petit
nécessaire de l’écrivain gothique, qui met
au jour tout le stupre que les esprits tordus
– ou imaginatifs – avaient senti poindre
sous la sage pédagogie de la comtesse.
Motif incontournable pour qui s’intéresse
aux ténèbres, la maison hantée est au
cœur de Notre château d’Emmanuel Régniez
Mais, déjà auteur d’un ABC du gothique,
le primo-romancier plonge le genre dans
le contemporain. “Je m’appelle Octave.
Ma sœur s’appelle Vera. Nous ne fréquentons
personne, ne parlons à personne et vivons
tous les deux, rien que tous les deux, dans
notre château.” La claustration, le tandem
incestueux, dérangé par un intrus qui
le regrettera vite… On pense bien sûr aux
Innocents, l’inquiétant film de Jack Clayton
qui inspira Les Autres à Alejandro Amenábar.
L’univers gothique fonctionne en vase
clos, se nourrit de routine et d’isolement.
Le jour où Octave croit voir sa sœur Vera
dans le bus, alors que celle-ci ne sort jamais,
c’est leur monde qui bascule. Le pacte
est brisé, les murs tremblent, et la maison,
“si grande, si belle”, prend des allures
de cercueil. Dans un style bref et vif, qui
pâtit de temps à autre de quelques affèteries,
Régniez rend un hommage appliqué
à un genre qui sait mieux que tout autre
exposer les travers de la nature humaine, et
révéler les nébuleux tréfonds des fratries
perverties. Clémentine Goldszal
Des petites filles modèles… de Romain Slocombe
(Belfond), 304 pages, 18 €
Notre château d’Emmanuel Régniez (Le Tripode),
128 pages, 15 €
la 4e dimension
il était une fois David Lodge
L’écrivain britannique, qui s’est toujours inspiré
de sa vie dans ses romans aussi profonds
que loufoques, abordera sa vie de front dans
Né au bon moment (Rivages). De 1935 à 1975,
le livre couvre ses expériences ainsi que toute
une époque révolue. En librairie le 11 mars.
écrivains du monde à Nantes
Jonathan Lethem insoumis
Dans Jardins de la dissidence (Editions
de L’Olivier), l’Américain Jonathan Lethem
retrace cinquante ans de contestation
aux Etats-Unis, du communisme des
années 1950 à Occupy Wall Street dans
les années 2000. En librairie le 10 mars.
La quatrième édition d’Atlantide – Les Mots du
monde se déroulera du 10 au 13 mars au Lieu unique
à Nantes. Avec Régis Jauffret, Hakan Günday,
Antonio Muñoz Molina, Philippe Forest, etc.
atlantide-festival.org
le cercle vicieux de Dave Eggers
Avec Le Cercle (Gallimard), Eggers
signe un conte à l’ère du numérique
en plongeant une jeune femme dans la
firme internet (fictive) la plus puissante
des Etats-Unis, “le Cercle”. Le livre est
en cours d’adaptation cinématographique
avec Tom Hanks et Emma Watson.
En librairie le 1er avril.
92 les inrockuptibles 24.02.2016
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Jon McNaught
entre deux mondes
Prenant des allures rétro, les histoires d’Emily Carroll
peuvent basculer dans une étrangeté troublante.
J
eune auteur canadienne,
Emily Carroll s’est fait connaître,
depuis 2010, par ses web comics.
Dans les bois, recueil d’histoires
courtes, est son premier album
publié et a déjà été récompensé
en 2015 par deux Eisner Awards. Oscillant
entre gothique et horreur, ses récits sont
situés dans le passé, entre le XVIIIe siècle
et le début du XXe. Même si les jeunes gens
qu’elle met en scène sont en apparence
tout à fait normaux, on sent que des drames
se profilent, que l’étrange va faire déraper
leurs vies. Ici, une jeune fille qui organise
des rencontres spirites truquées disparaît
mystérieusement, là un homme qui a tué
son frère assiste à sa réapparition quelques
jours plus tard, là encore, une adolescente
voit un monstre en sa belle-sœur…
Plus Edgar Allan Poe que Stephen King,
les histoires d’Emily Carroll racontent
l’enfermement, l’impossibilité de se sortir
d’une situation, de se libérer – des autres,
du danger, de son passé… La mise en page
imaginative, le travail soigné sur le lettrage
et le fond noir de la plupart des planches
renforcent cette sensation d’oppression.
Le dessin délicat, d’abord proche
de l’illustration classique pour enfants
ou même parfois du dessin de mode
des années 1920, prend soudainement
les traits terrifiants du manga d’horreur.
Comme chez Junji Ito, qu’Emily Carroll
admire, ses héros jeunes, beaux,
aux visages à la jolie fraîcheur, peuvent
se retrouver défigurés et repoussants,
empreints de monstruosité. L’horreur finit
toujours par surgir, mais le doute subsiste :
est-ce un cauchemar ou la réalité ?
L’auteur ne tranche jamais, laissant le
lecteur imaginer le pire. Des récits
finalement plus perturbants et entêtants
que réellement terrifiants. Anne-Claire Norot
Dans les bois (Casterman), traduit de l’anglais
(Etats-Unis) par Basile Béguerie, 208 pages, 22 €
Boulet
Notes 10 – Le pixel quantique
Delcourt, 200 pages, 15,50 €
Les petites vignettes intimistes de Boulet, toujours aussi émouvantes.
Commencé en 2004, le blog de réflexions – Le pixel
l’espace à un autre se
de Boulet est compilé en
quantique est placé sous le
déroulant sur un chantier
recueils, Notes, depuis 2008. signe de la fuite du temps et public peuplé d’animaux.
Ce dixième volume montre
de l’immensité de l’univers – Une maîtrise graphique
parfaitement comment ce
évoluent, prennent du
et narrative qui, mise
chroniqueur du quotidien
corps. Surtout, son dessin,
au service de souvenirs
poursuit sa recherche
plus fouillé et de plus
d’enfance comme ceux
personnelle et intime tout
en plus inventif, lui permet
du récit, “Notre Toyota
en arrivant à se renouveler.
de déployer au mieux
était fantastique”, permet
Une gageure au bout
son imagination explosive
à Boulet de se montrer
de douze ans, mais son
et de passer allègrement
particulièrement
humour, ses pistes
d’un récit situé dans
émouvant. A.-C. N.
Histoires
de Pebble Island
Dargaud, traduit de l’anglais
par Nora Bouazzouni,
38 pages, 12 €
Journées de solitude
aux îles Malouines.
Un vide attirant.
Avec Dimanche et Automne,
on avait déjà eu l’occasion
de découvrir l’univers
serein et onirique de Jon
McNaught. Histoires
de Pebble Island, trois récits
courts inspirés de ses
souvenirs d’enfance sur
une petite île des Malouines,
s’inscrit parfaitement dans
la réflexion poétique de
ce jeune auteur britannique.
Sans mots, avec un dessin
minimaliste, un découpage
strict aux cases presque
répétitives et un humour
désespéré sous-jacent,
il met en scène la solitude,
l’isolement. Sur cette île
quasi déserte où le temps
n’a pas de prise, où seuls
les éléments influencent
la vie des rares habitants,
on découvre un petit garçon
dont le seul jeu consiste
à faire sauter en l’air avec
un pétard un dinosaure
en plastique, et un homme
solitaire qui occupe
ses soirées en regardant
de vieilles cassettes
vidéo – quand son groupe
électrogène fonctionne.
Chez Jon McNaught,
le temps s’écoule
lentement, l’ennui guette.
Pourtant ces vignettes aux
couleurs tendres et passées
donnent profondément
envie de se promener là,
sur ces rivages vides et
désolés, de goûter le calme
environnant. Histoires de
Pebble Island, ou l’invitation
à un merveilleux voyage
en solitaire. A.-C. N.
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la bataille d’Athènes
Dans la capitale grecque, des chorégraphes s’inventent un futur
en mouvement en défiant la crise. Reportage au pied de l’Acropole avant
le festival DañsFabrik, à Brest, où l’on retrouvera ces artistes
en bonne compagnie.
A
u moins, nous avons le soleil !”
On aura entendu plus
d’une fois cette exclamation
non dénuée d’humour
dans la bouche de créateurs
rencontrés à Athènes cet
hiver. C’est le cas d’Alexandra Bachzetsis,
Suisse d’origine grecque qui s’est installée
quelque temps au cœur du chaudron
contestataire athénien, dans le quartier
remuant d’Exarchia. Dans un appartement
transformé en studio, elle a répété Score
en décembre, ouvrant ses portes à des
amis ou des voisins pour dévoiler ce solo
façon work in progress. Elle y travaille “la
métamorphose, celle des adolescents comme
la mienne”, se glissant dans le costume d’un
danseur de zeibekiko, une tradition grecque
uniquement perpétuée par des hommes.
“Je travaille entre les genres, les langues,
les cultures”, résume Alexandra Bachzetsis,
qui s’avoue moins grecque ici qu’ailleurs.
Paradoxe qui renvoie à l’idée de diaspora
(il y a autant de Grecs dans le reste
du monde que sur leur terre natale !).
“Etre ici en ce moment par rapport
à ce qu’il se passe est pour le moins spécial.
J’ai choisi de vivre à Exarchia, l’épicentre
des problèmes. Même si on peut avoir
peur certains soirs de rentrer chez soi, on a
également l’impression que tout bouge
tout le temps ici”, conclut-elle. Alexandra
Bachzetsis fait partie des chorégraphes
invitées à Brest pour un focus grec
concocté par Lenio Kaklea – qui, elle,
vit et travaille à Paris depuis une dizaine
d’années. Cette dernière est venue
à Athènes faire le tour de la création en
danse, “soit une cinquantaine de propositions
vues. Mais l’idée, ce n’est pas de faire
une programmation de caractère national.
Plutôt de rencontrer des personnalités”.
Des femmes en l’occurrence – comme
dans tout le reste de la programmation
DañsFabrik d’ailleurs –, Grecques d’ici ou
de l’extérieur. “Nous sommes à ce moment
de transformation. Les gens commencent
à vouloir s’installer à Athènes.”
Pourtant, la situation y est plus
que difficile. Le ministère de la Culture
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Répétitions
d’Alaska
d’IrisK arayan
à l’Onassis Cultural Centre
Marina Tselepi
des espaces à la marge
qui sont autant de bouffées
d’air dans une ville
où la culture est parfois
menacée d’asphyxie
est aux abonnés absents. Rares sont
les soutiens financiers : il y a le Festival
d’Athènes, dont le directeur Yorgos Loukos
vient d’être remercié, et la fondation
Onassis, qui bénéficie des largesses
de l’héritage du fameux armateur.
L’Onassis Cultural Centre, ouvert en 2010,
reçoit ainsi 350 dossiers par an d’artistes
locaux entre danse, théâtre et musique.
Il va aider quatre ou cinq projets de
chorégraphes, pas plus : financement,
salle, aide aux tournées.
C’est le cas cette saison pour
Iris Karayan, sans doute une des plus
intéressantes artistes de cette scène
hellénique. Dans un des studios
du centre, elle a montré trente minutes
d’Alaska, coproduit par le Quartz
de Brest. Impression durable d’une danse
incroyablement maîtrisée qui travaille
sur le vivre-ensemble, la relation à
l’autre. Un maelström de corps qui se joue
de la lenteur comme de la vélocité.
“Nous travaillons en freelance, nous n’avons
pas d’endroits, ni de studios. Si vous
pouvez créer une pièce tous les deux ans,
c’est un luxe. Il n’y a pas d’aides de l’Etat.
Et ce depuis 2008 !”, constate Iris Karayan
sans élever la voix. Le Festival d’Athènes
a poussé à cette reconnaissance d’une
scène locale en danse des plus fragile.
Iris Karayan ou Lenio Kaklea y ont été
programmées, tout comme Pina Bausch,
Maguy Marin ou William Forsythe.
“Nous avons aidé une génération à émerger
durant cette décennie. Surtout, on a convaincu
un public que la danse contemporaine avait
une raison d’être”, commente Clementini
Vounelaki, programmatrice du festival.
Dans le milieu athénien de la danse,
on s’entraide autrement. Les troupes
de théâtre, peut-être moins impactées
par la crise, ont, elles, pignon sur rue, avec
une scène nationale. “Venant de la danse,
j’ai souffert de la domination du théâtre
en Grèce”, commente Lenio Kaklea. Alors,
la communauté artistique s’invente un
présent. A l’image de ce lieu pensé comme
un studio avec pour nom un chiffre : 3137.
Kosmas Nikolaou le gère avec deux autres
créateurs. “Notre ville est pleine d’énergie.
Mais les artistes font des événements pop up.
Il manque de ce genre de lieux à l’année.
Cela change.” Pas de budget à la clé mais
une communauté qui se retrouve en
essayant de toucher aussi le voisinage.
Lenio Kaklea y a donné une version
singulière de son Arranged by Date.
Une histoire fascinante de code de carte
bancaire perdu qui emprunte à la mythologie
comme au discours actuel sur la crise
économique par des voies de traverse.
Autre lieu à la marge, le Centre
de contrôle de télévision, dans le quartier
de Kipseli abandonné par la bourgeoisie
locale. Dimitri Alexakis, Français
d’origine grecque, et Fotini Banou y
accueillent musique expérimentale, débat,
théâtre. Ou, ce soir-là, le Collective
Choreography Project autour de Mariela
Nestora, interprète passée de la génétique
moléculaire apprise à Londres à
la danse. Tous ces espaces sont autant
de bouffées d’air dans une ville où
la culture est parfois menacée d’asphyxie.
Mais, de ce coup de projecteur
de DañsFabrik à la prochaine Dokumenta
qui braquera ses feux sur Athènes
en 2017 en dialogue avec Kassel, l’avenir
est plein de promesses. En attendant,
les artistes jonglent avec un second
boulot de jour pour certains, la création
en pointillé pour d’autres. A chacun
son horizon. Philippe Noisette
DañsFabrik du 29 février au 5 mars au Quartz
de Brest (Focus Athènes du 1er au 5),
dansfabrik.com
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casse-tête
chinois
Amalgames et fusions d’œuvres agrémentent
l’exposition Bentu, à la Fondation Louis-Vuitton.
La Chine en tête, mais au cœur du monde.
Tous les lundis à 8 h 50
sur France Musique,
écoutez la chronique
“Suivez mon regard”
de Jean-Max Colard
des Inrockuptibles,
dans La Matinale
de Vincent Josse
de 7 h à 9 h
F
ocus sur
une seule
œuvre, mais
monumentale
et spectaculaire,
parmi les
dizaines qui composent
la nouvelle exposition
de la Fondation
Louis-Vuitton, consacrée
à la scène artistique
chinoise et intitulée Bentu
– Des artistes chinois dans
la turbulence des mutations.
Sous des allures
disparates, et avec un choix
éclectique de pièces, Bentu
donne un aperçu vivifiant
d’une scène chinoise en
constant renouvellement.
Plutôt que de céder
aux logiques de groupes,
très marquées sur
cette scène artistique
notamment à Pékin,
ainsi qu’aux tendances
Production : MadeIn Company
Xu Zhen, Eternity
– Material: Winged
Victory of Samothrace,
Tianlongshan Grottoes
Bodhisattva, Winged
Victory of Samothrace,
2013
du marché, la Fondation
Vuitton a préféré mettre
l’accent sur la singularité
des artistes et des œuvres.
Développé par
le théoricien Gao Shiming,
le mot “bentu” signifie
“de cette terre”, mais on
se tromperait à n’y voir
qu’un retour en arrière de
la part de ces artistes
contemporains : le “bentu”
désigne plutôt un retour
critique ou en tout cas
conscient des mutations
qui agitent la Chine,
et d’autant plus à l’heure
de l’hypermodernité
et de la globalisation.
Ainsi, un artiste majeur
comme Zhang Huan
redécouvre et réinvestit
l’histoire ancienne
de la Chine, une nation
qui n’est pas aussi
attachée que la France
au patrimoine d’origine,
et qui se vit toujours
plus pragmatiquement
au présent qu’au passé.
Cette remontée
consciente et donc
presque impossible vers
les origines s’affirme
nettement dans cette pièce
montée et même renversée
de l’artiste Xu Zhen.
L’œuvre fait partie de la
série Eternity, inaugurée
en 2014 et qui organise
un “tête à tête” littéral
entre des sculptures
antiques et des statues
bouddhistes. Ici, la copie
d’un bodhisattva (c’està-dire un bouddha qui n’a
pas encore atteint le stade
de l’éveil suprême) de la
grotte de Tianlongshan
est assise et “tient tête”
à une copie de la fameuse
Victoire de Samothrace.
Haute de plus de six mètres,
l’œuvre est puissamment
spectaculaire, faisant
se télescoper et dialoguer
Occident et Asie.
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Mais par-delà cette
binarité, les choses sont
plus complexes. Ainsi,
le bodhisattva d’origine
a été acquis par une
collection japonaise, et la
vraie Samothrace grecque
est depuis belle lurette
un trésor du Louvre
– le signe d’un monde
qui n’est pas seulement
bilatéral, mais qui se
trouve précisément désaxé
de ses repères anciens.
D’ailleurs Xu Zhen est
à la fois le nom d’origine
de l’artiste, et une sousmarque puisque entretemps cet artiste a adopté
le nom plus commercial
de “MadeIn Company”,
allusion ironique aux
produits “made in China”.
Ces dernières années,
il s’est ingénié à repérer
dans l’histoire de l’art des
figures de gymnastique
ou de yoga, qu’il fait parfois
rejouer en live comme à la
Biennale de Lyon en 2013.
Il en montre un autre
exemple dans l’exposition,
qui mélange cette fois
deux œuvres strictement
occidentales : une
sculpture du XIXe siècle
représentant le soldat
de Marathon faisant un
saut de cheval au-dessus
d’un Galate blessé de
l’époque romaine. Ici, donc,
tels les acrobates virtuoses
du cirque de Pékin,
Samothrace et bodhisattva
prennent la pause pour
l’éternité, ou juste pour
un moment. Dans la
tourmente des mutations,
le tout est de tenir
l’équilibre. Jean-Max Colard
Bentu – Des artistes
chinois dans la turbulence
des mutations
jusqu’au 2 mai à la Fondation
Louis-Vuitton, Paris XVIe,
fondationlouisvuitton.fr
Photo Adam Reich, Courtesy of On Stellar Rays, New York and the artist
Rochelle
Feinstein,
Gnorw, 2002
“I made a terrible mistake”
Elle signe la pochette de la compile des Inrocks cette semaine.
Mais qui est vraiment Rochelle Feinstein ?
ans le travail de Rochelle Feinstein,
son bébé au-dessus du vide. “I made a
il est un angle mort dont on ne parle
terrible mistake, c’est aussi, raconte amusé
jamais : son passé de Guerrilla Girl.
le commissaire de l’expo Fabrice Stroun, ce
Si rien ne permet d’affirmer qu’elle
que Rochelle veut nous faire croire : j’ai choisi
fut active au sein de ce collectif né en 1985
d’être peintre mais, désolée, j’ai fait une grave
en réaction à la sous-représentation des
erreur. C’est un peu comme un musicien qui
femmes – et pour cause, le groupe,
vous dirait : j’ai pris la clé de sol pour ce
toujours actif, fit de l’anonymat l’une de ses morceau mais je me suis trompé et tout ce
armes –, il reste dans le travail de cette
que vous allez entendre après est faux.”
artiste américaine des traces de ce passé
Voilà pour la dose d’humour. Au même
militant et un net penchant pour l’humour.
étage, l’artiste organise sa succession,
La rétrospective que lui consacre
The Estate of Rochelle F., avec une installation
le Centre d’art contemporain de Genève
de 2008 qui correspond à l’effondrement
commence donc en 1991. Black-out
du marché immobilier. Forcée de faire
sur les années précédentes, on apprendra
de la place, elle transforme tout ce que
juste que Rochelle Feinstein (née en 1947)
contient son stock en un gigantesque
dirigea le département de peinture de Yale
mural où s’alignent sur le même plan
et vit défiler des générations d’artistes qui
de vieux châssis, une annonce Craigslist
constituent encore aujourd’hui son cercle
et un cadeau offert par Rachel Harrison.
d’amis, de Rachel Harrison à Wade Guyton.
A l’étage supérieur, changement
L’exposition se présente sur plusieurs
d’ambiance, l’expo prend la mesure
étages, très différents, qui font dire que
de l’ampleur du travail et décline une série
même pendant cette deuxième période
de monochromes verts sur lesquels
avouée du travail de Rochelle Feinstein,
l’artiste reproduit à l’envers quelques-unes
cohabitent plusieurs vies et esthétiques.
des phrases les plus entendues dans
Parmi les points de repère : “une conscience
les vernissages : “J’adooore votre travail !”,
de soi, en tant que femme et en tant que
“Le chèque arrive” et un plus inattendu
féministe” et un sens de l’autodérision
(mais que nous ne traduirons pas)
et de la formule qui rappelle les stratégies
“I promise not to cum in your mouth”.
de communication des Guerrilla Girls.
Suivent un carnet de bord de son tour
Mais côté outing, on ira plutôt chercher
(raté) d’Europe, un clin d’œil ironique à
dans cette exposition la révélation d’une
l’opération “le mois de la femme” organisée
pratique d’artiste décousue qui fait du
tous les ans à Washington et une variation
mélange des genres sa marque de fabrique. sur la “grille moderniste”. “Rochelle
Au premier niveau, une installation plutôt
Feinstein, c’est comme un acteur de stand-up
mauvais goût – boule disco cimaises de
qui ferait des blagues sur lui-même”,
biais et bad paintings – convoque Michael
conclut le commissaire. Claire Moulène
Jackson et Barry White, son idole. La pièce
s’appelle I Made a Terrible Mistake, eu égard
In Anticipation of Women’s History Month
à cette phrase que prononça le roi de la pop jusqu’au 24 avril au Centre d’art contemporain
de Genève, centre.ch
après avoir malencontreusement secoué
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l’avenir,
c’est les autres
Une enquête de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade
éclaire la révolution de la connaissance du cerveau.
Grâce aux neurosciences, la bienveillance et la coopération
deviennent aujourd’hui des enjeux de société.
R éceptacle des affects de notre
époque, la télévision offre le spectacle
hypertrophié d’un monde dominé
par la guerre de tous contre tous, à
l’image de la célèbre émission
de téléréalité Survivor, baptisée
Koh-Lanta en France. La règle du grand jeu
télévisuel depuis le début des années
1990 consiste à éliminer ses voisins pour se
sauver soi-même et triompher solitairement,
en entérinant l’idée de la concurrence
éternelle qui sépare les hommes entre eux,
comme la faim braque les loups.
Au-delà du cadre infini des émissions
de téléréalité, tournant autour de ce credo
concurrentiel sous de multiples formes,
les images d’actualité nous rappellent
chaque jour combien le climat de guerre
civile hante notre époque.
Pourtant, derrière cet écran belliqueux,
propre à l’organisation des sociétés,
d’autres images surgissent pour nous
convaincre de notre capacité d’attention
aux autres. Sur un quai de métro,
une personne tombe sur les rails,
et aussitôt des types sautent pour la
sauver : exemple parmi plein d’autres
présents dans le documentaire
de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade,
Vers un monde altruiste ?, ce cas illustre
combien l’organisation du cerveau
humain est aussi structurée par le soutien
à autrui. Agir pour le bien des autres,
dans leur propre intérêt, par-delà le nôtre :
l’altruisme forme une aventure scientifique
en plein essor, dont les réalisateurs
prennent ici la mesure, après d’autres
enquêtes sur des recherches en
vogue (Mâles en péril ; Le jeûne, une nouvelle
thérapie ? ; Secrets de longévité).
L’angle stimulant du film tient
précisément à ce qu’il déplace la réflexion
sur l’altruisme de son ancrage purement
éthique pour l’orienter du côté des
neurosciences, qui, depuis une vingtaine
d’années, éclairent d’un regard inédit
le fonctionnement du cerveau, notamment
à travers la découverte de sa plasticité.
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18/02/16 15:28
“en tant qu’espèce,
nous sommes prédisposés
à l’altruisme”
Via Découvertes
Thierry de Lestrade, réalisateur
En s’attardant sur les recherches
de neuroscientifiques comme Richard
Davidson, qui collabore avec Matthieu
Ricard à un programme de recherche sur
l’altruisme et la méditation, mais aussi
de chercheurs en psychologie (Daniel
Batson, Michael Tomasello, Paul Bloom…)
ou d’éthologues (Frans de Waal),
les enquêteurs soulignent, preuves à
l’appui, combien la coopération et l’entraide
sont inscrites dans notre fonctionnement
cérébral. “En tant qu’espèce, nous sommes
prédisposés à l’altruisme”, explique
Thierry de Lestrade, contrairement à cette
croyance selon laquelle l’égoïsme et
la compétition formeraient les principes
fondateurs de la condition humaine.
Tout l’enjeu auquel conduisent
ces découvertes récentes sur la mécanique
du cerveau (étayées par des expériences
édifiantes auprès de bébés et de jeunes
enfants, dont les réflexes altruistes
s’expriment à travers des jeux) reste
celui de la manière de cultiver cet héritage
d’altruisme pour espérer changer le
monde, à la manière du slogan de Matthieu
Ricard, très engagé sur cette question :
“Changez votre cerveau, changez le monde”.
Le documentaire s’attarde sur
les nombreuses expériences menées
dans le monde pour contribuer,
à partir d’un postulat empathique présent
en chacun de nous, à élargir les liens
et les soins. La méditation occupe dans
ce dispositif une place centrale, comme
l’éclaire un programme passionnant mené
dans des écoles de quartiers pauvres
de Baltimore aux Etats-Unis : les enfants
agités et violents parviennent grâce
à des exercices de méditation quotidiens
à améliorer leurs résultats scolaires,
à maîtriser leurs émotions négatives, à se
sentir plus épanouis. “L’art d’être immobile”,
pour reprendre le titre d’une conférence
Technology, Entertainment and Design
de Pico Iyer (publiée chez Marabout), aide à
s’affranchir de l’idée de se battre inutilement
pour avancer et progresser.
Par-delà leur efficacité validée,
les vertus de la méditation continuent
pourtant de susciter l’ironie et la méfiance
auprès de ceux qui la réduisent à une
simple tendance “new age”, totalement
dépolitisée et surtout de ceux qui
dénoncent le réductionnisme biologique
et “l’impérialisme neuronal”, comme
le fait Nicolas Chevassus-au-Louis dans
le nouveau numéro de la revue Le Crieur.
Or ses promoteurs saluent au contraire
sa fonction sociale émancipatrice, opposée
aux dogmes dominants de l’idéologie
néolibérale triomphante, dont les effets
concrets sont largement connus au-delà
même des injustices sociales qu’elle
produit : le culte de la performance et tous
les vices qu’il conditionne, du burn-out
au stress, “épidémie du XXIe siècle” pour
l’Organisation mondiale de la santé.
Au fil de l’enquête argumentée et étayée
de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, le
constat minimal désormais scientifiquement
établi – nous sommes tous des coopérateurs
en puissance – s’ouvre ainsi à cet horizon
encore incertain de l’art de cultiver
l’altruisme en nous. Il serait évidemment
naïf et sot de soutenir l’idée qu’un monde
social préservé des pulsions de mort
et des réflexes agressifs soit possible,
ce que le film ne tend pas à faire croire.
Il serait tout autant idiot de refuser, au nom
d’un pessimisme légitime sur la condition
humaine, d’imaginer des voies concrètes
nouvelles sur la manière de sortir
du nihilisme et du principe d’inquiétude.
A chacun d’inventer son propre dispositif
d’être au monde, dans le rapport à soi
et aux autres ; ce que les auteurs de ce
documentaire illustrent ici, c’est simplement
que des chemins, scientifiquement validés,
ouvrent une voie possible à l’altruisme,
cet horizon nouveau d’une époque tenue de
se raccrocher à lui pour ne pas sombrer
dans le chaos.Jean-Marie Durand
Vers un monde altruiste ? documentaire
de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade.
Vendredi 26, 2 2 h 20, A rte
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Police,
ne quittez pas !
Press Association Images/Paris Première
documentaire de François
Chilowicz et Anne Bettenfeld.
Mardi 1er mars, 23 h 10, France 2
le danger Trump
Un documentaire britannique montre comment le candidat
à la présidentielle Donald Trump parvient à séduire
l’Amérique profonde avec sa grossièreté et son populisme.
C
onçue comme un long reportage
de JT et présentée par Matt Frei,
journaliste de la britannique
Channel 4, cette enquête sur
l’homme au balai sur la tête,
Donald Trump, et son incroyable
popularité – malgré ou grâce à la
grossièreté de ses propos et à son
message de haine –, n’apprend rien de
nouveau. Pire : on ne conserve de ses
meetings que les passages croustillants
où il casse du métèque (haro sur les
Hispanos et les Arabes).
Il est certain que la plupart des discours
de ce bouffon beauf sont fondés sur
l’exclusion et le dénigrement. Mais,
quoique selon certains de ses détracteurs
la réflexion ne soit pas son fort, on aurait
tout de même aimé en savoir un peu plus
sur sa conception du rôle de président
des Etats-Unis. Bien sûr, il n’y a pas besoin
d’être grand clerc pour comprendre
pourquoi le milliardaire Trump est la star
son discours est
le même que celui
du Front national
des white trash : il va les sauver
de la mouise et remettre le monde
en ordre d’une pichenette. Son discours
est le même que celui du Front national,
en plus gras et vulgaire. Une autre
sorte de populisme.
Au-delà des invectives et de la grande
gueule, il est plus intéressant d’apprendre
d’où vient cet individu et quelle est l’origine
de sa hargne. Trump est simplement
l’enfant gâté d’une dynastie de l’immobilier,
retiré de l’école pour agressivité et envoyé
à l’armée. On découvre qu’il s’est mis à dos
toute l’Ecosse en y construisant un golf
au mépris des normes environnementales
et des riverains, qu’il aurait violé sa
première épouse Ivana Trump et harcelé
sans trêve une journaliste britannique
à cause d’un documentaire.
Jusqu’à maintenant, il “amuse” par ses
frasques et ses réparties potaches, mais il
fait même peur à certains de ses collègues
du Parti républicain. L’un d’eux déclare que
si Trump est élu, il quittera les Etats-Unis.
Voici l’ère des barbares. Vincent Ostria
Le Monde fou de Donald Trump documentaire
de Richard Sanders. Mardi 1er mars, 2 0 h 45,
Paris Première
Sur la ligne du 17,
à l’écoute du monde qui
flippe – à tort ou à raison.
Appeler le 17, c’est-à-dire
la police, c’est faire aveu
d’un sentiment de danger :
les accidents, nuisances
sonores et olfactives (un
voisin qui fume de l’herbe du
matin au soir), agressions
en tout genre, vols sont
toujours à l’origine des
appels, par-delà les petits
plaisantins qui s’amusent à
polluer la ligne et exaspèrent
les policiers aguerris au
bout du fil. Ce dispositif
purement oral – une voix
apeurée s’adressant à une
voix des forces de l’ordre –
structure entièrement
le documentaire de
François Chilowicz et
Anne Bettenfeld. Les plans
du film, tournés dans un
commissariat de Toulouse,
entremêlent à la monotonie
de l’espace physique – que
c’est triste un commissariat –
la furie des paroles
paniquées, symptomatique
d’un état de crise larvé,
autant social que mental.
Ce que les réalisateurs
captent parfaitement, au fil
des sonneries incessantes
et des multiples appels
au secours, c’est la difficulté
pour les policiers d’ajuster
une riposte précise à
la mesure du péril exprimé,
plus ou moins crédible.
Entre les gens en panique
pour rien et les autres en
danger réel, chaque policier
n’a que quelques minutes
pour appréhender une
situation assez floue. Ni
psychologues (surtout pas)
ni conseillers conjugaux
(beaucoup de femmes
agressées), les voix au
bout du 17 oscillent entre
plusieurs postures
opposées : écoute attentive,
bienveillance, conseils
avisés, mais aussi humour,
désinvolture, résignation,
routinisation d’un geste
d’écoute du monde qui part
à vau-l’eau devant des yeux
impuissants et des oreilles
ahuries. Jean-Marie Durand
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Zadig Productions
science sans conscience
Retour sur le massacre par les nazis de plusieurs milliers de handicapés physiques
et mentaux lors d’un programme auquel ont œuvré de nombreux scientifiques.
écompensé par le
Le nombre total de victimes
Prix du public au dernier
se situe entre 200 000 et 250 000…
Festival des créations
Au centre du documentaire
télévisuelles de Luchon,
se trouve le Dr Julius Hallervorden,
T4 – Un médecin sous le nazisme
neuroscientifique qui, en
aborde un pan de l’histoire
connaissance de cause, pratiqua
de la Seconde Guerre mondiale
des expérimentations sur les
encore mal connu : la participation
cerveaux de personnes exécutées
de représentants du corps
mais ne fut pourtant jamais
médical à l’effroyable machine
poursuivi devant un tribunal
d’extermination nazie.
après la guerre. S’il facilite
La réalisatrice Catherine Bernstein
l’appréhension d’un sujet ardu,
a choisi de retracer ici en
ce parti pris a pour inconvénient
particulier la vaste campagne
de reléguer à l’arrière-plan
d’assassinat des handicapés
les (nombreuses) autres personnes
physiques et mentaux ordonnée
impliquées dans l’Aktion T4
par Adolf Hitler à partir de
– un inconvénient d’autant plus
1940, décrite alors comme un
notable que le commentaire (dit
programme d’“euthanasie”.
par Nathalie Richard), s’adressant
Désignée depuis la fin de
directement à Hallervorden,
la guerre sous le nom d’Aktion T4,
prend par moments un ton
en référence à l’adresse
accusateur un peu trop appuyé,
du bureau central de l’opération
à la limite du pathos.
(Tiergartenstrasse 4, à Berlin),
Mêlant témoignages d’historiens
cette campagne avait pour
et documents d’archives – parmi
but de faire disparaître des êtres
lesquels de glaçants extraits
jugés inférieurs, nuisant
de films de propagande nazie –
à la pureté de la race aryenne
avec beaucoup de rigueur
et causant d’inutiles dépenses.
et de clarté, T4 – Un médecin sous
Plus de 70 000 personnes ont
le nazisme constitue néanmoins
été gazées durant l’Aktion T4,
un document du plus grand intérêt.
Jérôme Provençal
interrompue officiellement
en août 1941, les exécutions ayant
cependant continué par d’autres
T4 – Un médecin sous le nazisme
moyens (famine, injection létale)
documentaire de Catherine Bernstein.
Lundi 29 février, 22 h 25, France 3
jusqu’à la fin du régime nazi.
R
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08 1056 100 SMED SEQ.indd 101
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Il y a cinquante ans,
les Beatles, Dylan, les
Stones, les Beach Boys
se disputent la tête
des charts. La pop
française s’émancipe
avec Dutronc,
Polnareff… Le
psychédélisme naît
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sexy boy
Du Bronx à Hollywood : comment Tony Curtis devint dans
les années 1950 l’une des premières icônes masculines.
ne curieuse fantaisie
plusieurs années, son image
de cette biographie
de pin-up boy, quasiment de
documentaire consiste à
pré-icône gay, ne fut pas étayée par
imaginer pendant quelques
des supports artistiques adéquats.
minutes que Tony Curtis soit mort
Il apprit sur le tas, pâtissant de
à 27 ans, donc en 1952. Il serait
ses origines de pauvre juif hongrois,
à coup sûr devenu une légende,
de gosse des rues affligé d’un fort
à l’instar de James Dean (disparu
accent du Bronx qui limitait
à 24 ans). Cette élucubration
sa palette d’acteur.
est avant tout destinée à expliquer
Mais après des débuts anodins
la popularité éclair de Curtis à ses
de jeune premier dans des nanars
débuts. Il aurait été, nous dit-on,
exotisants, il s’affirmera peu
la première idole des jeunes.
à peu comme un solide comédien
Pourtant, sans remonter à Rudolph grâce à des œuvres marquantes
Valentino, superstar du muet, il ne
telles que Le Grand Chantage,
faut pas oublier que Frank Sinatra
La Chaîne ou Certains l’aiment
précéda son futur ami Curtis
chaud. Son problème majeur
dans le cœur des ados hystériques
restera une inconstance chronique
(alors appelées bobby-soxers).
(amoureuse et professionnelle).
En revanche, il semble plus
Des choix erratiques
plausible que, dès 1949, Tony Curtis feront péricliter sa carrière,
inaugura dans le film Graine
qui s’effilochera prématurément,
de faubourg une rebel attitude
malgré un sursaut télévisuel
qui allait électriser le cinéma et
au début des années 1970 avec
la musique dans les années 1950.
la série culte Amicalement vôtre.
D’après Mamie Van Doren,
En dépit d’un succès d’estime
la it-girl rock’n’roll des fifties,
réel, Curtis n’obtiendra ni oscars
Elvis Presley, fan absolu de Curtis,
ni honneurs tout au long de
s’inspira de son look en teignant
son parcours. Il aurait pu mieux
ses cheveux blonds en noir
faire, s’il avait voulu et s’il avait
corbeau et en les plaquant sur les
su. Vincent Ostria
côtés. Un style qui aurait également
influencé celui de James Dean.
Tony Curtis, le gamin du Bronx
Hélas, pour Curtis l’image
documentaire de Ian Ayres.
Lundi 29, 22 h 50, Arte
a précédé l’essence. Pendant
U
French Connection Films
En 1952
les inrockuptibles est édité par la société les éditions
indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 €
24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21
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rédaction directeur de la rédaction Pierre Siankowski
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secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava
secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot
actu rédacteurs Carole Boinet, Claire Pomarès, Mathieu Dejean,
Julien Rebucci, Marie Turcan, Adélaïde Tenaglia et Gaëlle Lebourg
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Vincent Ostria, Marilou Duponchel (stagiaire)
musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel,
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(stagiaire) reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor
livres Nelly Kaprièlian
scènes Fabienne Arvers
expos Jean-Max Colard, Claire Moulène
médias/idées Jean-Marie Durand
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second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo,
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photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin,
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collaborateurs D. Balicki, R. Belfour, D. Boggeri, V. Boudgourd,
N. Carreau, M. Carton, C. Cau, Coco, M. Delcourt, A. Gamelin,
P. Garcia, J. Goldberg, C. Goldszal, E. Higuinen, A. Jean, O. Joyard,
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24.02.2016 les inrockuptibles 103
08 1056 103 SMED + OURS.indd 103
22/02/16 15:24
sculpture
Le Jardin d’hiver de Jean Dubuffet
Cette œuvre occupe toute une salle
au Centre Pompidou. On dirait un dessin
en 3D. Je m’en suis inspiré quand
j’ai conçu les décors pour mon film,
Aladdin, en peignant des lignes noires
sur du papier mâché et du carton.
Le résultat ressemble à un cartoon.
film
Un jour avec, un jour sans
d’Hong Sangsoo
Subtiles variations autour
de la brève rencontre
entre un cinéaste
et une jeune peintre.
Grand Blanc
Mémoires vives
Mignon et trash : le
manifeste d’un nouveau
genre de pop urbaine.
Œuvres complètes
de Bret Easton Ellis
Le parcours hors
norme de l’auteur
de Moins que zéro.
La Montagne sacrée d’Alejandro
Jodorowsky J’ai été ébloui
par l’ambition de ce film, sa vision
surréaliste et son alchimie.
Je voulais que mon film existe
dans la même dimension que celui-ci,
entre Jodorowsky et South Park.
dessin animé
Xavier: Renegade Angel L’émission
la plus intelligente et rapide que je
connaisse. C’est aussi très drôle, dans la
lignée des pièces absurdes et satiriques
comme Ubu roi. Le héros, Xavier,
est un fou délirant, un mystique empoté
qui cherche la lumière spirituelle.
propos recueillis par Noémie Lecoq
Ce sentiment de l’été
de Mikhaël Hers
La noirceur de la perte
et du deuil exposée
en pleine lumière d’un été
toujours renouvelé.
Peur de rien
de Danielle Arbid
La réalisatrice poursuit
son œuvre autofictive
et politique dans un vibrant
récit d’initiation teen.
Le Trésor
de Corneliu Porumboiu
Une chasse au trésor
dans un quartier de
la moyenne bourgeoisie
roumaine. Une métaphore
politique cinglante.
DIIV
Is the Is Are
Un album électrique et
ambitieux à la gestation
pourtant r ocambolesque.
Tindersticks
The Waiting Room
Un grand cru pour
le groupe anglais,
où onze nouveaux titres
s’accompagnent
d’autant de minifilms.
Musicien, il vient d’écrire
et de réaliser son propre film,
Adam Green’s Aladdin. Il en
a composé la bande originale.
sur
Tokyo Vice
de Jake Adelstein
Un livre-enquête
sur les yakuzas,
ces gangsters
tatoués infiltrés
partout au Japon.
Chantier interdit
au public
de Claire Braud
Exploration des
difficiles conditions
de travail sur les
chantiers.
Fabrication
de la guerre civile
de Charles
Robinson
Deuxième volet
d’un cycle
romanesque sur
les ghettos
urbains.
Sweet Tooth ;
Descender
de Jeff Lemire
Deux romans
graphiques du
maître canadien.
Savages
Adore Life
Les Londoniennes
prolongent
l’incandescence
de leurs concerts.
Candide
et lubrique
d’Adam Thirlwell
L’auteur de
Politique renouvelle
le roman décadent
anglais avec le
portrait d’un dandy
bon à rien.
Vinyl HBO et OCS City La série sur la scène
musicale new-yorkaise des années 1970
de Martin Scorsese arrive enfin.
Baron noir Canal+ Une série politique qui
s’ancre avec justesse dans la réalité française.
American Crime Canal+ Séries Une deuxième
saison qui réinvente la série chorale.
Adam
Green
L’Eté diabolik
de Thierry
Smolderen et
Alexandre Clérisse
Une plongée
ludique dans
les bouillonnantes
années 1960.
Le Retour au désert
de Bernard-Marie
Koltès, mise
en scène Arnaud
Meunier
Comédie de Caen
Arnaud Meunier
offre un bras de fer
jubilatoire entre
Catherine Hiegel
et Didier Bezace.
De toi à la surface
Plateau Frac
Ile-de-France
Une réflexion sur
notre attachement
aux objets du
quotidien et notre
capacité à leur
conférer des
pouvoirs magiques.
Tartuffe
mise en scène
Luc Bondy
Odéon-Ateliers
Berthier, Paris
Une reprise du
regretté Luc
Bondy, qui
transforme
l’affaire du
faux dévot en
une étreinte
empoisonnée.
George Henry
Longly
galerie Valentin,
Paris
L’artiste anglais
nous donne la
berlue avec cette
exposition à lire
en deux temps,
où l’on est invité
à entrer dans
l’image après
l’avoir contemplée.
La Tempête
mise en scène
Thierry Roisin
Bar-le-Duc,
Dunkerque
La création
de La Tempête
de Shakespeare
avec des acteurs
burkinabés
à Ouagadougou
a coïncidé avec
le coup d’Etat
au Burkina Faso.
Pixel-Collage
galerie Chantal
Crousel, Paris
Dans des collages
grand format,
Thomas Hirschhorn
coud ensemble
deux régimes
d’images
pour mieux faire
dérailler
la machine : la
propagande
publicitaire et les
images de guerre.
Noct
sur PC et Mac
Disponible depuis
peu en “early
access”, Noct
marie le survival
horror avec
l’arcade
multijoueurs.
That Dragon,
Cancer
sur PC, Mac
et Ouya
La fin de vie
d’un petit garçon
malade du cancer
racontée par
ses parents :
ce pourrait être
une expérience
déprimante,
c’est le jeu le plus
lumineux de
ce début d’année.
Cibele
sur PC et Mac
Ou comment
se retrouver
à la place d’une
jeune fille
qui rencontre
son premier
amour dans
un jeu en ligne.
Entre fiction
interactive
et cinéma
mumblecore.
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Daido Moriyama
par Renaud Monfourny
L’exposition Daido Tokyo présente les nouveaux travaux de l’artiste japonais à
la Fondation Cartier parisienne jusqu’au 5 juin. Consacrée au quartier de Shinjuku,
elle se partage entre photographies couleur et slide-show noir et blanc.
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