Les effets de la musique à la Renaissance : pouvoir et séduction
Transcription
Les effets de la musique à la Renaissance : pouvoir et séduction
« Les effets de la musique à la Renaissance : pouvoir et séduction » Le Complexus effectuum musices du théoricien et compositeur Johannes Tinctoris (ca. 1435-1511), écrit en 1475, est le premier exemple d'un traité consacré entièrement aux effets de la musique. Pourtant, les écrits théoriques, qu’il s’agisse de traités du Moyen Age ou de la Renaissance, n’éludent en rien la question des effets. Le plus souvent, les pouvoirs de la musique sont évoqués en début de traité, à la suite de considérations sur la définition et les origines de la musique. A l'époque de Tinctoris, la littérature sur les effets de la musique puise abondamment à un répertoire d'anecdotes, de citations et d'histoires, rapporté notamment dans les Etymologiae d'Isidore de Séville (ca. 560/570-636). Johannes Tinctoris Né en plein coeur du XVe siècle, le théoricien et compositeur Johannes Tinctoris reçoit son éducation musicale vraisemblablement dans une maîtrise proche de son lieu de naissance (Braine-l’Alleud, village situé actuellement en Belgique, à proximité de la petite ville de Nivelles). Dès le début des années 1460, il occupe le poste de “petit vicaire”1 à la Cathédrale de Cambrai où officie un certain Guillaume Dufay. Tinctoris poursuit sa formation à l’Université d’Orléans où il obtient en 1463 le titre de "licencié en droit civil et en droit canon". Le théoricien aurait également été, comme il l’affirme dans son traité De inventione et usu musices, "magister pueri" à la cathédrale de Chartres. Tinctoris passera la plus grande partie de sa carrière à la prestigieuse cour aragonaise de Naples où il cumule les fonctions de chanteur, conseiller et secrétaire du roi Ferrante mais aussi précepteur de la princesse Béatrice, future reine de Hongrie. Les traités de Tinctoris fournissent une démonstration détaillée de tous les aspects de l'art musical. Ainsi, le théoricien consacre un traité à la notation (Tractatus de regulari valore notarum, 1474-75), un autre au contrepoint (Liber de arte contrapuncti, 1477), un autre aux proportions (Proportionale musices, 1472-73), un à la terminologie musicale (Diffinitorium musices, 1472-74) ainsi qu'un autre -moins technique- aux effets de la musique (Complexus effectuum musices, 1473-74). 1 Les « petits vicaires » sont des musiciens venus du nord de la France et des Pays-Bas pour chanter la polyphonie dans les cathédrales. Voir Craig Wright, «Dufay at Cambrai : Discoveries and Revisions», Journal of American Musicological Society, xxvii, 1975, p. 194 et sq. 1 Le Complexus effectuum musices, traité atypique Dans le Complexus, Tinctoris énumère vingt effets de la musique qu'il illustre par diverses références et citations (à Quitilien, Saint Augustin, Aristote, Cicéron, Virgile, Bernard de Clairvaux, Thomas d'Aquin, les Ecritures, Horace, Juvénal, Ovide, etc.). Les premiers effets présentés (voir les 6 premiers chapitres dans le tableau 1) donnent d’emblée à la musique un rôle de premier plan dans la liturgie. La définition de ces effets sert Tinctoris à légitimer les pratiques musicales au sein de l’Eglise. Ces pratiques, bien que largement répandues, ne cessaient d’inquiéter les théoriciens mais aussi les théologiens qui se penchaient sur les problèmes musicaux. Toujours méfiants à l’égard des sens et, par conséquent, à l’égard du plaisir musical, les théoriciens et théologiens avaient besoin, pour légitimer l’usage de la musique au coeur de la liturgie, de trouver des arguments bien fondés. Les doutes quant à l’utilité de prier Dieu en musique apparaissent de manière régulière dans les écrits sur la musique tout au long du Moyen Age. De Saint Augustin à Tinctoris, en passant par d’autres philosophes tels Thomas d’Aquin, les discours n’ont de cesse de justifier l’utilisation de la musique, tout en mettant en garde contre son caractère sensuel et donc dangereux. L’expression de ce paradoxe trouve sa formulation la plus forte chez Saint Augustin. Au XVe siècle, des théologiens comme Gilles Charlier (1390-1471) ou Jean Le Munérat (mort ca. 1498) ravivent ce débat sur l’utilité de la musique. Les prises de position de Gilles Charlier en faveur de la musique dans l’institution chrétienne s'inscrivent dans les discussions menées en France au XVe siècle sur l’utilisation de la musique dans l’Eglise et ses effets, bénéfiques ou pernicieux. Proche de Charlier dont il fut vraisemblablement l’élève au Collège de Navarre, Jean Le Munérat a occupé des fonctions importantes à l'Université de Paris, tout comme son prédécesseur. Le conflit entre le textuel et le musical, hérité de la patristique et présent dans le Tractatus de duplici ritu cantus ecclesiastici in divinis officiis (ca. 1470), unique ouvrage sur la musique de Charlier, perdure chez Le Munérat. Ce dernier, dans son De moderatione et concordia grammatica et musice (1490), ancre le conflit dans une pratique vivante qu’il connaît bien : celle de la musique interprétée dans le chapelle du Collège de Navarre. Un de ses autres traités, le Qui precedenti tractatu (1493), rapport d'un débat scolastique mené la même année par l’auteur en défense de la musique, cherche à définir et délimiter les fonctions respectives de la parole et de la musique dans la célébration de la messe et des offices. 2 La pratique à laquelle se heurte Le Munérat, est celle héritée du Concile de Bâle (1431-1449), qui avait réglé un certain nombre de points à propos des cérémonies religieuses. Les règles du Concile, conformes aux prescriptions des Pères de l'Eglise, exigeaient que le chant convienne au caractère sacré et solennel de la liturgie. Le chant guidé par des considérations musicales (donc non verbales) était évidemment écarté par ces prescriptions2. C’est dans ce cadre précis, dans ce contexte marqué par les disputes théologiques, que je voudrais replacer le Complexus effectuum musices. Depuis quelques temps déjà, la musicologie s’est penchée avec intérêt sur le Complexus3. Il est loin le temps où un historien comme Charles Van den Borren pouvait écrire, dans sa notice biographique sur Tinctoris : “Le Complexus est le moins intéressant de tous les traités de Tinctoris. Le sujet qu’il traite-les effets de la musique- n’est point de ceux dans lesquels un esprit féru de logique concrète pouvait apporter du neuf et de l’original. Ses vingt chapitres s’appuient, en majeure partie, sur des conceptions héritées de l’Antiquité, l’auteur s’efforçant de les adapter à l’esprit religieux de son temps, sans négliger pour cela le facteur profane que le moyen âge n’était point parvenu à écarter entièrement.”4 Dès la première lecture, le Complexus apparaît comme un traité surprenant. Le ton y est différent que dans les autres écrits de Tinctoris, sans parler de la construction – un florilège de citations- très loin de la démonstration implacablement rigoureuse du Liber de arte contrapuncti par exemple. Traité atypique dans l’oeuvre du théoricien, le Complexus l’est également dans la production théorique de son temps. 2 Don Harran, In Defense of Music. The Case for Music as Argued by a Singer and Scholar of the Late Fifteenth Century, Lincoln, University of Nebraska Press, 1989, p. 51. 3 Chr. Page , « Reading and Reminiscence : Tinctoris on the Beauty of Music », Journal of American Musicological Society, 69/1 (1996), 1-31 ; Strohm R. and Cullington, D. (éds), On the Dignity & the Effects of Music: Egidius Carlerius; Johannes Tinctoris, King's College, Londres, 1996 ; Rob C. Wegman, « Sense and Sensibility in LateMedieval Music : Thoughts on Aesthetics and Authenticity », Early Music, 22/2 (1995), 299-312 ; L. Zanoncelli, Sulla estetica di Johannes Tinctoris, con edizione critica, traduzione e commentario del Complexus effectuum musices, Bologne, Casa Forni, 1979. 4 Charles Van den Borren, « Johannes Tinctoris », dans Biographie nationale de Belgique, Académie royale des sciences, tome XXV, 1930. 3 Tableau 1. Complexus effectuum musices : liste des vingt principaux effets de la musique Musica : La musique : 1. Deum delectat Plaît à Dieu 2. Dei laudes decorat Embellit les prières 3. Gaudia beatorum amplificat Augmente la joie des bienheureux 4. Ecclesiam militantem triumphanti assimilat Assure le triomphe de l’Eglise militante 5. Ad susceptionem benedictionis divinae Prépare les fidèles à la bénédiction divine praeparat 6. Animos ad pietatem excitat Incite l’âme à la piété 7. Tristitiam depellit Chasse la tristesse 8. Duritiam cordis resolvit Adoucit les cœurs 9. Diabolum fugat Fait fuir le diable 10. Extasim causat Cause l’extase 11. Terrenam mentem elevat Elève l’esprit terrestre 12. Voluntatem malam revocat Détourne la mauvaise volonté 13. Homines letificat Réjouit les hommes 14. Egrotos sanat Guérit les malades 15. Labores temperat Adoucit le travail 16. Animos ad praelium incitat Incite l’âme au combat 17. Amorem allicit Attire l’amour 18. Iocunditatem convivii augmentat Accroît la joie dans les banquets 19. Peritos in ea glorificat Glorifie ceux qui la pratiquent 20. Animas beatificat Rend l’âme heureuse Sans aucune prétention technique, le Complexus se présente avant tout comme un hommage “au noble art de la musique”. Les effets énoncés sont attribués à la musique en général et non à telle ou telle caractéristique musicale, comme c’est le cas dans la théorie de l’éthos des 4 modes très en vogue à la Renaissance5. Dans le Complexus, Tinctoris ne fait qu’une brève allusion aux modes. Au chapitre 10 (Musica extasim causat), il rapporte l’anecdote fameuse puisée de l’Institutio oratoria de Quitilien d’un flûtiste provoquant la folie d’un homme par l’emploi du mode phrygien. Ailleurs, dans le Liber de natura et proprietate tonorum, Tinctoris reconnaît que les compositeurs et les chanteurs peuvent intentionnellement doter leur musique d’une certaine qualité affective. Il y discute aussi l’idée selon laquelle les modes possèdent des puissances affectives intrinsèques6, ajoutant que les qualités perçues dépendent en partie des prédispositions de l’auditeur, du compositeur et de l’exécutant. Le titre Complexus effectumm musices place ce court traité hors des catégories habituelles du traité musical. Au sens propre, le terme “complexus-us” signifie “action d’embrasser, d’entourer, embrassement, étreinte”7 mais aussi “liaison”, “enchaînement” ou “communauté”. Dans le cas du traité de Tinctoris, “complexus” désignerait plutôt “enchaînement”, “assemblage” ou même “liste”. Des nombreux effets connus et discourus au Moyen Age et à la Renaissance, l’auteur n’en retient que vingt comme il l’écrit dans le prologue, ce qui renforce le côté sélectif de son discours. Les vingt petits chapitres (quelques lignes à peine) du Complexus correspondent chacun à l’un des vingt effets sélectionnés par l’auteur. Le titre laisse aussi penser que Tinctoris n’épuisera pas le sujet. A la lecture du traité, des difficultés surgissent, certaines liées à son 5 L’éthos des modes connaît un réel engouement durant la Renaissance. Soucieux de conserver une filiation avec la musique de l’Antiquité, les théoriciens puisent dans des textes classiques connus — La République de Platon, La Politique d’Aristote — la définition des effets des modes. Puisque l’émotion naît du rapport entre le texte et la musique, une composition polyphonique doit s’accorder avec la qualité affective du texte mis en musique, et requiert donc le choix d’un mode approprié. Dans les traités de la Renaissance, le choix du mode est considéré comme crucial même s’il y a peu de cohérence entre la définition des qualités émotionnelles (l’ethos) et les huit modes de la musique polyphonique. En effet, la plupart de ces définitions sont simplement transférées telles quelles, à partir d’un système modal étranger à la pratique du plain-chant et de la polyphonie, à savoir le système grec et ses huit modes (Dorien, Hypodorien, Phrygien, Hypophrygien, Lydien, Hypolydien, Mixolydien, Hypermixolydien). Les théoriciens de la Renaissance, tels Gaffurius et Glarean, retiennent des modes grecs (tout à fait différents du système modal occidental) leur pouvoir de provoquer chez l’auditeur des passions variées ou des attitudes morales. L’actualisation de la théorie antique leur sert tout à la fois à proposer une définition des modes contemporains, et à tenter d’expliquer les effets merveilleux de la musique. 6 Liber de natura et proprietate tonorum, i, [1 :68] dans Johannes Tinctoris, Opera theoretica, éd. Albert Seay, 2 vols., Corpus scriptorum de musica, 22, Rome, 1975-8, Les références aux traités de Tinctoris se feront comme suit : les nombres en chiffres romains majuscules indiquent les livres ; les nombres en chiffres romains minuscules réfèrent aux chapitres, la numérotation entre crochets renvoie à la pagination de l’éditeur. . 7 Félix Gaffiot, Le Grand Gaffiot, dictionnaire Latin-français, Hachette, 2000. Voir aussi « complexus (decl. iv), *association, société », J. F. Niermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden, E. J. Brill, 1976. 5 caractère de mosaïque, d’autres au manque de précision de la description des effets ou à l’absence d’explication causale de ces phénomènes. Parmi les effets choisis par Tinctoris, une belle proportion illustre les relations entre la liturgie et la musique. Ces effets lui servent tout à la fois à ancrer la musique au cœur de la liturgie, à légitimer les pratiques et à justifier l’instrumentalisation de la musique par l’Église. Johannes Tinctoris, Complexus effectuum musices8 Illustrissimae dominae Beatrici de Aragonia, Regis Siciliae, Jherusalem et Ungariae probissimae filiae, Johannes Tinctoris inter legum artiumque mathematicarum professores minimus immortalem servitutem. Scienti mihi, beatissima Beatrix, quam ardenti quamque vehementi studio ingenuae arti musices operam impendas, occurrit quosdam ingentes effectus ipsius compendiose tuae celsitudini exponere. Quibus, licet animum tuum instar illius a quo caelestem duxit originem arbitror constantissimum, exciteris nunquam abs tam insigni opera desistere. Quod quidem aggressus ego sum non minus amore tui quam artis inductus. Enimvero ut quam gratissimum mihi est musicen, cui me ab ineunte aetate dedidi, studio tam illustris, tam prudentis tamque formosae dominae regis filiae gloriosissimam fore, sic et beneficio ipsius artis quam ceterarum potentissimam Plato, pulcherrimam Quintilianus, divinamque scientiam Augustinus asserit, tuum semper animum ab omni dolore purificatissimum expeto. Neque me credas velim omnes effectus ipsius liberalis ac honestae musices, sic eam Aristotiles vocat, hoc in opusculo complecti, verum tantummodo viginti (...) A l'illustre princesse Béatrice d'Aragon, fille vertueuse du Roi de Sicile, de Jérusalem et de Hongrie, Johannes Tinctoris, le plus humble des professeurs de loi et des mathématiques, présente sa soumission éternelle. Sachant l'ardeur et la véhémence du zèle avec lequel vous vous consacrez à cet art libéral qu'est la musique, il m'est venu l'idée, Ô bienheureuse Béatrice, de présenter à son Altesse un abrégé de quelques-uns de ses immenses effets. Et ce, bien que je juge votre âme tout à fait constante, à l'image de celui dont elle tient son origine céleste, afin qu'elle ne renonce jamais à cet art si noble. Quant à moi, j'ai entrepris cet ouvrage tant par amour de l'art que par affection pour vous. En effet, il m'est très agréable que la musique, à laquelle je me suis dévoué depuis mon plus jeune âge, acquière de la gloire par le zèle d'une aussi illustre, prudente et belle dame, fille d'un roi. Bien plus, je souhaite que, par les bienfaits de cet art -que Platon9 appelle le plus puissant de tous, Quintilien le plus beau10, et Augustin la divine science -, votre âme soit entièrement libérée de toute douleur. Ne croyez pas que j'ai voulu ici rassembler tous les effets de cet art libéral et honorable, comme le nomme Aristote dans un petit ouvrage11, mais seulement vingt (...) Dès le prologue, Tinctoris, se référant à Augustin, souligne le caractère “divin” de la musique. Ensuite, les six premiers chapitres (1. Charme Dieu 2. Embellit les prières 3. Augmente 8 Johannes Tinctoris, op. cit., [2 : 165] Sauf mention spécifique, les traductions du latin au français sont miennes. Platon, République, 401d. 10 Quintilien, Institution oratoire, I, 10: 17. 11 Aristote, Politique, VIII, 1339a. 9 6 la joie des bienheureux 4. Assure le triomphe de l’Eglise militante 5. Prépare les fidèles à la bénédiction divine 6. Incite l’âme à la piété) proposent au lecteur un véritable programme liturgique. D’autres chapitres, comme le dernier (20. Rend l’âme heureuse) illustrent également et avec intensité cette convergence entre musique et foi. On ne peut cependant réduire le Complexus à une liste d’effets “religieux” ; d’autres effets, profanes, sont également abordés par Tinctoris. Ainsi l’auteur consacre-t-il quelques chapitres aux pouvoirs “merveilleux” de la musique, certains ayant traversé la littérature musicale depuis l’Antiquité. Ces effets circulaient alors à partir de deux sources incontournables de la science de l’époque : les Etymologiæ d’Isidore de Séville et l’Institutio oratoria de Quintilien. Tableau 2. Typologie des effets à partir du Complexus effectuum musices 1. MUSIQUE ET LITURGIE 2. MUSIQUE ET MERVEILLEUX Plaît à Dieu (1) Cause l’extase (10) Embellit les prières (2) Incite l’âme au combat (16) Augmente la joie des bienheureux (3) Attire l’amour (17) Assure le triomphe de l’Eglise militante (4) Prépare les fidèles à la bénédiction divine (5) Incite l’âme à la prière (6) Elève l’esprit terrestre (11) Rend l’âme heureuse (20) 3. MUSIQUE ET ETHIQUE 4. MUSIQUE ET THERAPEUTIQUE Chasse la tristesse (7) Guérit les malades (14) Adoucit le coeur (8) Fait fuir le diable (9) Détourne la mauvaise volonté (12) Réjouit les hommes (13) Adoucit le travail (15) Accroît la joie dans les banquets (18) Glorifie ceux qui la pratiquent (19) La plupart des théoriciens de la Renaissance, lorsqu’ils abordent la question des effets, se contentent de citer le passage des Etymologiae d’Isidore de Séville où sont énumérés les pouvoirs 7 merveilleux, thérapeutiques et éthiques de la musique. On retrouve quelques-uns de ces effets dans le Complexus : effets merveilleux (la musique adoucit les coeurs-la musique cause l’extase); effets thérapeutiques (la musique guérit les malades)12; effets éthiques (la musique incite à l’amour) etc. Isidore de Séville, Etymologiae13 Musica movet affectus, provocat in diversum habitum sensus. In praeliis quoque tubae concentus pugnantes accendit, et quanto vehementior fuerit clangor, tanto fit ad certatem animus fortior. Siquidem et remiges cantus hortatur ad tolerandos quoque labores. Musica animum mulcet, et singulorum operum fatigationem modulatio vocis consolatur. Excitatos quoque animos musica sedat, sicut de David legitur, quia a spiritu immundo Saulem arte modulationis eripuit. Ipsas quoque bestias, necnon et serpentes, volucres atque delphinos ad auditum suae modulationis Musica provocat. La musique excite les émotions et transporte les sens dans un autre état, elle anime les combattants dans les batailles, et plus le son de la trompette est impétueux, plus l'esprit devient fort. Puisqu'en effet elle encourage les rameurs, la musique calme l'esprit pour l'aider à supporter toutes sortes de peines. Le chant soulage la fatigue de toute tâche. La musique apaise l'âme en proie à la fureur, comme on peut le lire de David qui parvint, par l'art de la mélodie, à arracher Saül à un esprit mauvais. Il n'est pas jusqu'aux bêtes sauvages, pour ne pas parler des serpents, oiseaux et dauphins, qu'elle n'incite à prêter l'oreille à ses sons mélodieux. Un simple coup d’oeil à deux traités, l’un du XIIIe siècle (Egidius Zamorensis) et l’autre du XVe siècle (Gilles Charlier), suffit à démontrer la postérité de ce passage des Etymologiae. Johannes Egidius Zamorensis, Ars musica14 Elle [la musique] avive les sentiments, éduque les sens, anime les combattants, et plus le son de la trompette est impétueux, plus l’homme résolu au combat devient courageux : lorsqu’elle résonne aux oreilles des ennemis, elle remplit de joie ceux qui étaient dans l’abattement et terrifie les adversaires. Elle allège le travail ; elle soulage la fatigue des bergers et de tous ceux qui sont accablés ; elle calme les esprits échauffés et éloigne les soucis et les inquiétudes. Affectus provocat, sensus praeparat, pugnantes animat, et quanto clangor fuerit vehementior, tanto ad certandum fit strenuus fortior : tristes laetificat, reos terrificat, quum ad eorum hostium (aures) tuba buccinat. Labores alleviat, pastorales et alios languentes sanat : animos excitatos sedat : curas et sollicitudines alienat (…) 12 L’idée d’une vertu thérapeutique de la musique avait été remise à l’honneur au XIVe siècle par Jean de Murs dans sa Somme musicæ, mais déjà présente dans l’Antiquité (Galien) et au Moyen Age (Avicenne), deux penseurs également évoqués par Tinctoris dans le Complexus. 13 Isidorus Hispalensis, Sententiae de musica, dans Martin Gerbert (éd.), Scriptores ecclesiastici, 3 vols., St. Blaise, 1 : 20. 14 Egidius Zamorensis, Ars musica, dans Martin Gerbert (éd.), Scriptores ecclesiastici, 3 vols., St. Blaise, 1784 ; réédition par Hidelsheim, Olms, 1963, 2 : 373. 8 Gilles Charlier, Tractatus de duplici ritu cantus ecclesiastici in divinis officiis15 …movet affectus, provocat in diversum habitum sensus […] Siquisdem remiges hortatur, ad tolerandos quosque labores musica animum mulcet, et singulorum operum fatigationem modulatio vocis solatur. Excitatosque animos musica sedat, sicut de David legitur, qui ab immundo spirito Saulem arte modulationis eripuit. Ipsasque bestias, necnon et serpentes, volucres atque delphinos ad auditum suae modulationis musica provocat. Elle [la musique] excite les émotions et transporte les sens dans un autre état […] Puisqu’en effet elle encourage les rameurs, la musique calme l’esprit pour l’aider à supporter toutes sortes de peines. Le chant soulage la fatigue de toute tâche. La musique apaise l’âme en proie à la fureur, comme on peut le lire de David qui parvint, par l’art de la mélodie, à arracher Saül à un esprit mauvais. Il n’est pas jusqu’aux bêtes sauvages, pour ne pas parler des serpents, oiseaux et dauphins, qu’elle n’entraîne à prêter l’oreille à ses sons mélodieux. A la Renaissance, le merveilleux et le spectaculaire hantent les discours sur la musique et les théoriciens invoquent les récits bibliques (David), mythologiques (Orphée, Apollon) et historiques (Timothée) tout en puisant aux anecdotes présentes dans l’Institutio oratoria de Quintilien ou les Etymologiæ d’Isidore de Séville. Ainsi, au chapitre 19 du Complexus, Tinctoris dresse un parallèle entre les musiciens du XVe siècle et des figures légendaires chargées de pouvoirs surnaturels, comme Amphion et Orphée. La musique, légitimation du pouvoir de l’Église Jamais, dans ses traités, Tinctoris n’oublie d’aborder, fut-ce même brièvement, la place qu’occupe la musique dans la religion. La question de l’utilité de la musique dans les pratiques rituelles constitue le point de départ d’un débat général sur les pouvoirs de la musique et sur son utilisation dans le culte, déjà vieux lorsque Tinctoris écrit ses traités. Les discussions du Moyen Age prenaient appui sur les réflexions d’Augustin qui, dans les Confessions et le De civitate Dei, se demandait s’il était souhaitable de prier en chantant. Fasciné par la théorie des nombres de Pythagore, Augustin, pour qui la musique est la science des nombres par excellence, la considère comme la “science divine”. Quand il aborde la question de l’utilisation de la musique dans la foi, Augustin se soucie avant tout du rapport entre le chant et les paroles. L’instrumentalisation, la légitimation de la musique dans la foi ne va pas sans Egidius Carlerius, Tractatus de duplici ritu cantus ecclesiastici in divinis officiis dans J. D. Cullington et R. Strohm (éds.), On the Dignity and Effects of Music : Egidius Carlerius and Johannes Tinctoris, Londres, King’s College, 1996., p. 42. 15 9 troubler Augustin, même s’il considère la musique comme une voie de connaissance pour approcher Dieu. Selon Augustin, le plaisir provoqué par la musique représente un certain danger et s’il ne peut nier que la volupté des chants joue un rôle dans la foi, il craint qu’elle n’aveugle les fidèles et ne les éloigne du sens du texte. Pour lui, le chant serait utile et souhaitable lorsque les psaumes et les hymnes sont interprétés de manière à préserver l’intelligibilité du texte. Un célèbre traité anonyme du XIVe siècle — le Quatuor Principalia — se fera l’écho des considérations augustiniennes sur la musique. Quatuor Principalia16 Non enim sine ratione mos cantilenae in Dei ecclesia institutus est, in qua mentes audientium delectantes ; ad virtutis amorem excitarentur tamen tanta est vis musicae ut si ultra quam oportet mollioribus modis utantur, animos audientium ad lasciviam delectat. Ce n’est pas sans raison qu’a été instituée dans l’Eglise de Dieu la pratique des chants sacrés, grâce à laquelle les esprits des auditeurs, sous le charme, pourraient être entraînés à l’amour de la vertu. Cependant la force de la musique est telle que s’il est fait usage de modes plus amollissants qu’il ne convient, elle peut ravir les âmes des auditeurs jusqu’à la volupté. Les interrogations au centre de la pensée de Saint Augustin reviendront « hanter » le Complexus. Dans son traité, Tinctoris montre, si pas la maîtrise, du moins la connaissance d’un grand nombre de sources et d’autorités parmi lesquelles Saint Augustin et surtout, ses Confessions, tiennent une place centrale. La première référence apparaît au chapitre 6 (la musique incite l’âme à la piété) dans lequel Tinctoris nous donne comme matière cet extrait du livre 10 des Confessions, sans aucun commentaire ou explication, sans aucune autre citation que ce soit d’Augustin ou d’un autre auteur. 16 Quatuor Principalia I, E. De Coussemaker (éd.), Scriptorum des musica medii aevi nova series a Gerbertina altera, [4 : 204]. 10 Complexus effectuum musices17 Musica animos ad pietatem excitat La musique incite l’âme à la piété Unde Augustinus in libro 10° Confessionum : « Adducor… cantandi consuetudinem approbare in Ecclesia, ut per oblectamenta aurium animus infirmior ad affectum pietatis assurgat »18 Ainsi, Augustin, dans le livre 10 des Confessions : «Je suis amené (…) à approuver que la coutume de chanter dans l'Eglise se conserve afin que, par le plaisir qui touche l'oreille, l'esprit encore faible s'élève dans les sentiments de la piété. Plus loin, dans le chapitre 8 intitulé (la musique adoucit le cœur), le théoricien cite à nouveau les Confessions mais cette fois le livre 9. Complexus effectuum musices19 Musica duritiam cordis resolvit La musique adoucit le coeur Unde Augustinus in libro nono Confessionum : D'où Augustin, dans les Confessions (livre 9) «Flevi in hymnis et canticis tuis, suave sonantis avoue : «J'ai versé des larmes à tes hymnes et Ccclesiae tuae vocibus commotus acriter.»20 cantiques, profondément ému par les accents suaves des voix de ton Eglise.» Dans ce chapitre, le plus long du Complexus, Tinctoris fait suivre la citation d’Augustin par diverses références aux Ecritures, à la Somme théologique, et à d’autres textes (Institutio oratoria de Quitilien, les Odes d’Horace, les Georgiques de Virgile) pour illustrer la capacité de la musique à remuer les émotions des êtres humains mais aussi de tous les êtres animés et inanimés. Ainsi, on apprend par une référence à l’Institutio oratoria que la musique d’Orphée captivait les bêtes sauvages, mais aussi les rochers et les forêts. Un extrait des Odes d’Horace raconte qu’Amphion parvenait à faire se mouvoir les pierres, rien qu’en chantant. Les deux références du Complexus aux Confessions ne semblent pas faire écho à la tension qui anime les propos d’Augustin quand il s’agit de justifier le rôle de la musique dans la foi et par là, d’envisager la notion de plaisir musical. Voici un passage où Augustin, dans un style chargé d’affects, formule ce conflit : 17 Johannes Tinctoris, Complexus, op. cit., iv [2 : 169-170] Augustin, Confessions, X, 33 : 50.« Adducor cantandi consuetudinem approbare in Ecclesia, ut per oblectamenta aurium infirmiorum animus in effectum pietatis assurgat ». 19 Johannes Tinctoris, Complexus, op. cit., viii [2 : 170] 20 Augustin, ibid., IX, 6 : 14. 18 11 «[…] lorsqu'il arrive que le chant me touche davantage que ce que l'on chante, je confesse avoir commis un pêché qui mérite châtiment ; et j'aimerais alors beaucoup mieux n'avoir point entendu chanter.»21 Après Augustin, Thomas d’Aquin s’interroge lui aussi sur les rapports entre musique et théologie. Dans la Somme théologique (2. 2. 91. 2), il consacre un chapitre à la nécessité de prier Dieu en musique. Dès le premier article de ce passage de la Somme, reprenant les arguments d’Augustin, Thomas d'Aquin affirme que le chant augmente la ferveur de celui qui prie et crée dans toute l’assemblée une atmosphère de dévotion. Thomas d’Aquin, Somme théologique22 La louange extérieure a le pouvoir de rendre plus exaltée l’effusion intime du chanteur, et d’inciter les autres à louer Dieu. Valet exterior laus ad excitandeum interiorem affectum laudantis, et ad provocandos alios ad Dei laudem. Thomas d’Aquin, et plus précisément la partie de la Somme où il est question de la musique dans l’Eglise, est cité à deux reprises dans le Complexus. La Somme contient également tout le matériau des Confessions cité par Tinctoris. Au chapitre 8 (La musique adoucit le cœur) du Complexus, Tinctoris invoque une série d’auteurs dont Thomas d’Aquin qui, selon le théoricien, aurait écrit que Dieu avait besoin, dans les temps reculés, d’une multitude d’instruments pour adoucir le cœur des juifs (le passage de la Somme est lui-même introduit par un extrait de l’Exode). Thomas d’Aquin, Somme théologique23 Praeterea, in veteri lege laudabatur, Deus in musicis instrumentis et humanis cantibus : secundum illud Psalm. (ps. 32, v. 2, 3) : « Confetemini Domino in cithara ; in psalterio decem chordarum psallite illi ; cantate ei canticum novum ». Sed instrumenta musica, sicut citharas et psalteria, non assumit Ecclesia in divinas laudes, ne videatur judaizare. Ergo, pari ratione, nec cantus in divinas laudes sunt assumendi. Sous l’ancienne loi on louait Dieu avec des instruments de musique et des voix humaines : témoin ce verset du Psaume : « Louez le Seigneur sur la cithare, sur le psaltérion aux dix cordes accompagnez-vous ; chantez-lui un cantique nouveau ! » Or l’Eglise a abandonné l’usage des instruments, comme la cithare et le psaltérion, pour ne pas sembler suivre les pratiques judaïques. Il faut donc pour le même motif éviter le chant dans la louange de Dieu. 21 Augustin, ibid., 10 : 33 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique. « La Religion », Tome 2, 2a-2ae, Questions 88-100, édition latinfrançais, traduction française de J. Mennessier, éd. de la Revue des Jeunes, Paris, 1934, p. 141 23 Ibid.,p. 143. 22 12 Thomas d’Aquin pose la question suivante : « Doit-on faire usage de chants pour louer Dieu ? ». Il répond d’abord par la négative en faisant référence aux Ecritures (Paul, Epître aux Ephésiens), où il est écrit : « Enseignez-vous et exhortez-vous les uns les autres, par des psaumes, des hymnes et cantiques spirituels »24. Pour Thomas d’Aquin, on ne peut introduire dans le culte rien de plus que ce qu’autorisent les Ecritures c’est-à-dire le chant de l’esprit et non le chant de nos lèvres. Suivent quatre autres objections à l’utilisation du chant dans l’Eglise dans laquelle le Docteur souligne l’abandon par l’Eglise de l’usage des instruments (passage cité plus haut et auquel réfère Tinctoris). Intervient alors une proposition contradictoire (sed contra) puisque, Thomas d’Aquin constate, comme l’avait fait dix siècles plus tôt Augustin, que le chant a été institué dans l’Eglise de Milan grâce à l’acte fondateur d’Ambroise. Vient ensuite la conclusion (respondeo): la louange vocale est nécessaire pour entraîner le cœur humain vers Dieu25. Il ne reste plus après à Thomas d’Aquin qu’à démontrer cette nécessité en proposant des solutions aux cinq objections qu’il avaient avancées, relues à la lumière de sa conclusion (respondeo), avec force autorités (Jérôme, Augustin, Grégoire, Aristote). A propos des instruments, puisque qu’il en est question dans le passage cité par le Complexus, Thomas d’Aquin fait référence au livre 8 de la Politique d’Aristote où il est affirmé qu’il faut bannir de l’enseignement certains instruments comme la flûte ou la harpe, et n’admettre que les instruments qui sont capables d’améliorer les auditeurs. Pour Thomas d’Aquin, « Les instruments de musique de ce genre, impressionnent plus l’âme dans le sens des émotions agréables, qu’ils ne forment de bonnes dispositions intérieures »26. Si Tinctoris allègue la Somme comme autorité, il ne rentre par contre pas dans le débat soulevé par Thomas d’Aquin. Plus encore, il ne craint pas une certaine forme de contradiction. En effet, lorsque Thomas d’Aquin cite le psaume 147, il y fait référence comme à une ancienne pratique pour en conclure qu’il ne faut PAS utiliser une multitude d’instruments. Or, l’utilisation par Tinctoris de ce passage de la Somme suggère le contraire, comme vient d’ailleurs le confirmer 24 « Docentes et comonentes vosmetipsos in psalmis et hymnis et canticis spiritualibus » Je souligne. Ibid., p. 142 « Laus vocalis ad hoc necessaria est ut affectus hominis provocetur in Deum », ibid., p. 144. 26 « Hujusmodi enim musica intrumenta magis animum movent ad delectationem quam per ea formetur interius bona dispositio », ibid., p. 147. 25 13 un autre chapitre – « La musique embellit les louanges à Dieu » (chapitre 2) où le théoricien cite le dernier psaume de la doxologie (psaume 150). Johannes Tinctoris, Complexus effectumm musices27 Musica Dei laudes decorat La musique embellit les prières de Dieu Laudate eum in sono tubae; laudate eum in psalterio et cythara; laudate eum in tympano et choro; laudate eum in chordis et organo; laudate eum in cymbalis benesonantibus; laudate eum in cymbalis iubilationis; omnis spiritus laudet Dominum. Louez-le au son de la trompette; louez-le avec la harpe et la lyre; louez-le avec les timbales et la danse; louez-le avec des instruments à corde et l'orgue; louez-le avec des cymbales retentissantes; louez-le avec des cymbales jubilatoires; que tout esprit loue Dieu. Une deuxième et dernière occurrence de la Somme apparaît à la fin du Complexus, dans le chapitre 20 (la musique rend l’âme heureuse). Tinctoris dit ceci : la pratique de prier en chantant a été instituée car la musique pousse l’âme au repentir et participe au Salut. Si on doute encore du rôle de la musique dans la foi, de sa capacité à apporter la félicité, il suffit de relire ce dernier chapitre du Complexus. Johannes Tinctoris, Complexus effectuum musices28 Musica animas beatificat La musique rend l’âme heureuse Propter hoc enim ecclesia Dei laudes cantari instituit, ut patet per capitulum Cleros 21 dis, et per Doctorem Sanctum secunda secundae, quaestione XCIa, articulo secundo. Unde, cum per compunctionem animae salutem attingant, sequitur musicam huiusmodi salutis esse causam. C'est pour cette raison que l'Eglise a institué le chant dans les prières à Dieu, comme cela est clair dans la Somme théologique de Saint Thomas ainsi que dans le chapitre Cleros29. Et comme l'âme atteint le salut grâce au repentir, il s'ensuit que la musique est la cause de son salut. Des deux autorités théologiques, Augustin est celui dont la pensée semble avoir le plus imprégné Tinctoris. L’influence de Thomas d’Aquin sur les écrits du théoricien demanderait à être approfondie par l’identification systématique et l’analyse des nombreuses allusions que 27 Johannes Tinctoris, Complexus, op. cit., ii, [2 : 168] Ibid., xx, [2 : 177] 29 Voir Thomas d'Aquin, Somme théologique [2.2.91.1] et Distinctio 21 (Cleros) dans Decretum Gratiani I, xxi. Voir E. L. Richter & E. Friedeberg, Corpus Iuris Canonici I, Leipzig, 1879, pp. 66-72. 28 14 Tinctoris fait des œuvres d’Aristote, car les références identifiées jusqu’ici sont de celles pour lesquelles Thomas d’Aquin a écrit des commentaires (le De coelo et l’Ethique à Nicomaque dans le Liber de arte contrapuncti, la Politique dans le Liber de natura et proprietate tonorum). Ce tour d’horizon aura tout juste permis d’affirmer que Tinctoris avait une connaissance, peut-être pas toujours directe mais, en tout cas très ponctuelle des textes d’Augustin et de Thomas d’Aquin. Assurément Tinctoris se sert de ceux-ci en tant qu’autorités et ne cherche pas à débattre ou à répondre à leurs arguments à la manière d’un philosophe. Les propos de l’un et de l’autre sont insérés dans un discours qui vise à appuyer le rôle de la musique dans la foi, un discours à la fois musical et théologique. Le Complexus, traité consacré aux effets de la musique, relie le pouvoir et le musical avec, comme renforcement de cette union sacrée, de nombreuses références à des figures ellesmêmes chargées d’autorité (les nombreux auteurs cités au cours du traité). Le Complexus illustre, par sa volonté d’à la fois légitimer les pratiques et d’instrumentaliser la musique, à quel point, dans l’esprit d’un homme de la Renaissance, la musique reste au service de Dieu. © Marlène Britta 15