Dynamique des populations bactériennes en cultures

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Dynamique des populations bactériennes en cultures
N° d'ordre : 213-2000
Année 2000
THESE
présentée
devant L'UNIVERSITE CLAUDE BERNARD - LYON I
pour l'obtention
du DIPLOME DE DOCTORAT
(arrêté du 30.03.92)
par
Marie CORNU
Dynamique des populations bactériennes
en cultures mixtes
Soutenue le 24 octobre 2000
JURY :
V. ATRACHE
C. BEAL
C. DUBY
J-P. FLANDROIS
P. MAIRE
A. PAVE
J. POURQUIE
L. ROSSO
rapporteur
président
rapporteur
Laboratoire Biométrie et Biologie Evolutive
UMR CNRS 5558
Université Claude Bernard LYON I
43, Boulevard du 11 Novembre 1918
69622 Villeurbanne CEDEX
2
Je remercie…
Jean-Pierre Flandrois, pour m'avoir accueillie dans son laboratoire et m'avoir suivie
et encouragée dans cette thèse et vers mon après-thèse.
Camille Duby et Jacques Pourquié, pour m'avoir il y a quelques années ouvert les
voies de la biométrie et de la microbiologie et pour avoir apporté à ce travail, en tant que
rapporteurs, leurs compétences respectives.
Vincent Atrache, for his permanent support, his communicative enthusiasm, and our
motivating discussions.
Catherine Béal, et avec elle toute l'équipe du Laboratoire de Génie Microbiologique
des Procédés Alimentaires, pour m'avoir il y a quelques années dévoilé les diverses applications technologiques de la microbiologie. Longue vie à l'étude des cultures mixtes.
Laurent Rosso, Pascal Maire et Alain Pavé, pour avoir éclairé ce travail avec leurs
touches respectives de microbiologie prévisionnelle, d'épistémologie et d'écologie.
Que chacun d'entre vous soit ici vivement remercié de m'avoir fait l'honneur d'accepter de participer à ce jury et le plaisir d'assister à ma soutenance, ainsi que pour l'attention et l'intérêt que vous
avez portés à ce travail..
3
Je remercie…
Richard Tomassone, qui m'a guidée vers la voie doctorale lyonnaise et a su me faire
approcher la planification expérimentale sous son angle le plus séduisant.
Claude Terrot, François Villeval, Daniel Monget et Claude Mabilat, et avec eux toute
la société bioMérieux, pour avoir soutenu l'ensemble de ce projet.
Cécile Lahellec et Pierre Colin et avec eux toute l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, pour avoir éclairé de leurs judicieux conseils et chaleureux encouragements les ultimes préparatifs.
Gérard Carret, pour avoir encouragé mes timides avancées vers la réflexion épistémologique.
Pierre Auger et René Bally, qui ont accepté de parrainer les premières étapes de ce
travail.
Jean-Pierre Gauchi, pour nos discussions de TGV et pour m'avoir proposé de prolonger une partie du travail statistique amorcé ici.
Sophie Bréand et Sandrine Charles-Bajard, pour leurs multiples conseils et leur
précieuse collaboration dans le développement de Superfit pour Mathematica. Sans oublier tous ceux qui avaient initié ce travail : Jean Lobry, Laurent Rosso, Françoise Guérillot,
Catherine Chapuis, Marie Laure Delignette-Muller et Emmanuel Zuber.
Marie Laure Delignette-Muller, pour avoir guidé mes réflexions biométriques durant
ces trois années et plus particulièrement pour sa participation à l'étude d'Escherichia coli
O157:H7.
Frédéric Laurent, qui a initié et mené le travail sur Staphylococus aureus, dont seule
une partie est présentée ici. Mes remerciements vont également à l'EA 1655 de la Faculté
de médecine Rockefeller, et plus particulièrement Hervé Lelièvre, François Vandenesch et
Jérôme Etienne, sans qui ce travail n'aurait pu voir le jour.
Martin Kalmokoff, for our effective cyber-collaboration concerning Listeria. Writing
an article during this summer 2000 would not have been possible without his stimulating
e-correspondence.
Catherine Pichat et Ghislaine Fardel, pour m'avoir offert leur rigueur expérimentale,
leur patience, leurs précieux conseils et surtout leur présence de tous les instants.
Stéphanie Bodin et Virginie Ferreira, pour leur travaux expérimentaux présentés ici
et pour leurs vivifiants interrogatoires.
Toutes les équipes qui m'ont autorisé l'accès à leur collection de souches, le trésor du
microbiologiste, et plus particulièrement Monique Chomarat (Hôpital Lyon Sud), Jean
Freney (Hôpital Edouard Herriot), Jean Louis Martel (AFSSA Lyon), Alain Milon (Ecole
Nationale Vétérinaire de Toulouse), Jocelyne Rocourt (Institut Pasteur), Jeff Farber (Health
Canada)…
Un travail scientifique ne saurait se réduire à une réalisation isolée. Que chacun d'entre vous soit
ici très sincèrement remercié d'avoir contribué à l'aboutissement de ce projet de recherche.
4
Je remercie…
Emmanuel Zuber, pour avoir accompagné mes premiers pas dans l'équipe, avec la
perfection qui le caractérise.
Véronique Guérin, pour m'avoir fait découvrir le biotope vétérinaire.
Catherine Noél, avec qui j'ai pu partager les affres de la thèse et à qui j'adresse mes
plus sincères félicitations pour son remarquable parcours.
Florent Baty, pour sa disponibilité et pour avoir su prendre ma suite dans le laboratoire.
Magali Soulié, Brigitte Lamy, Stéphanie Gimbert, Elisabeta Vergu et Jeff Ghiglione,
pour avoir animé tout le laboratoire de leur joie de vivre et pour tous ces instants partagés.
Marie Tschora, pour son aide si précieuse, au sein du laboratoire et surtout à distance, ainsi que pour sa présence de tous les instants au téléphone ou par mél.
Monique G'baï et Christiane Bilancetti, pour avoir su égayer nos matinées autour
d'un thé.
Monique Cottet, Christine Driguzzi, Misou Pieri, Sophie Assandri, Catherine Gaudin, Sylvie Desbourdelle et Aurore Petit, qui m'ont ouvert de nombreuses portes, d'un
secrétariat à l'autre.
Pour leur chaleureux soutien des dernières semaines, tout le Laboratoire d'Etudes et
de Recherches Pour l'Alimentation Collective de l'AFSSA, et plus particulièrement Hélène
Bergis et Sylvie Rudelle, qui ont subi ma dactylographie bruyante dans la dernière ligne
droite de cette rédaction ; Philippe Rosset, pour avoir traversé l'Europe, et Annie Beaufort,
au nom de notre collaboration sympathique et efficace.
Tous ceux que j'ai eu l'occasion de côtoyer au cours de ces trois années, dans des
sphères universitaires ou associatives, mais avant tout amicales. Avec une pensée particulière à la mémoire de Thomas Guérandel.
Eric, pour tout et bien plus encore.
Denise Ménéghin, François Thaler, Monique Bonnefoy et les enseignants des écoles
Jules Ferry et Pierre et Marie Curie, des collèges Anne Franck et Louis Armand, des lycées
Jacques Amyot et François Ier et enfin de l'INA-PG, pour m'avoir, chacun à leur manière,
orientée vers la voie doctorale.
Pour leur indéfectible soutien, toute ma famille, et plus particulièrement MarieLouise et René Leyrit, pour m'avoir transmis le goût des mathématiques, aux travers des
joies du calcul, et Rose-Marie et Pierre Cornu, pour m'avoir ainsi accompagnée du jeu de
dominos à cette soutenance.
Mes parents et ma sœur, sans qui rien n'aurait été possible et à qui je dédie cette
thèse.
Ce projet de trois ans est aussi le fruit de ces rencontres d'un temps ou de ces liens de toujours et
n'aurait pu aboutir sans votre soutien. Que chacun d'entre vous soit ici de tout cœur remercié
d'avoir participé de plus ou moins loin à cette aventure lyonnaise.
Je souhaite enfin tout particulièrement adresser mes plus chaleureux encouragements à tous ceux
qui s'engagent cette année dans la voie doctorale : Brigitte Lamy, Nathalie Gnanou, Florent Baty,
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Régis Pouillot, Bertrand Lombard…, sans oublier celles qui les ont devancés : Graziella Midelet,
Catherine Ragimbeau, Elisabeta Vergu, Els Dens, Karen Vereecken… et ceux qui devraient les rejoindre d'ici peu : Mélanie Le Torrec, Hélène Bergis, Grégory Devulder…
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Résumé
Cette étude de la dynamique des populations bactériennes en cultures mixtes s'inscrit essentiellement dans une démarche méthodologique, en visant à recenser, proposer et mettre en œuvre différents outils techniques (microbiologie) et biométriques (modélisation) pour le suivi des cultures de
deux populations bactériennes en batch. Elle s'organise autour de deux notions : interaction et
avantage sélectif. La notion d'interaction est caractérisée phénoménologiquement par l'effet d'une
population sur la croissance de l'autre (et éventuellement réciproquement). Une méthodologie de
comparaison entre cinétiques en culture pure et en culture mixte a été mise au point du point de vue
technique et statistique. Ainsi ont pu être caractérisées une interaction de type commensalisme entre
Escherichia coli K12 et E. coli O157:H7 ainsi que l'inhibition de Listeria monocytogenes par différents phénotypes de L. innocua. La notion d'avantage sélectif (correspondant à la notion écologique de fitness) permet de caractériser comment une population peut envahir un milieu en surpassant
l’autre. Une méthodologie de modélisation de l'évolution relative de deux populations a été développée puis appliquée d'une part à la démonstration du poids sélectif de la résistance à la gentamicine ce qui a contribué à expliquer une évolution épidémiologique récente et d'autre part à l'analyse
de l'impact de L. innocua sur le procédé d'enrichissement sélectif de L. monocytogenes.
Abstract
This thesis encompasses a methodological study of bacterial population dynamics in mixed cultures. The objectives were to examine the existing tools, as well as to develop and apply new methodologies for the monitoring and analysis of mixed batch cultures. The study of mixed populations is
based on two primary concepts: interaction and selective advantage. Various examples of interactions among mixed bacterial populations were observed, and could be evaluated by determining the
effect of one population on the other. A methodology to compare growth curves of pure and mixed
bacterial cultures was developed, and both technically and statistically validated. A commensalismlike interaction between Escherichia coli K12 and E. coli O157:H7 was characterised, as were
amensalism-like interactions between Listeria monocytogenes and inhibitory strains of Listeria innocua. The concept of selective advantage (linked to the ecological concept of fitness) describes
how one population can outgrow another. A methodology to monitor the relative evolution of two
populations was developed, then technically and statistically validated. Thus, a selective bias of
gentamicin resistance in meticillino-resistant Staphylococcus aureus could be demonstrated, as
could be the impact of L. innocua on a selective enrichment procedure for L. monocytogenes.
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TABLE DES MATIERES
10
11
Table des matieres ...................................................................................................... 10
Introduction ................................................................................................................ 16
Partie I Etat des lieux ................................................................................................. 20
I.1. Cultures pures et cultures mixtes..................................................................... 22
I.1.1. Aperçu historique et épistémologique .......................................................... 22
Définition de la microbiologie ......................................................................................................... 22
Quelques étapes clés dans l'histoire de la microbiologie ...................................................................... 23
Réflexions épistémologiques .......................................................................................................... 29
Bilan
.................................................................................................................................... 32
I.1.2. Suivi de la croissance bactérienne en cultures mixtes..................................... 33
Dénombrement de la population..................................................................................................... 33
Estimation de la densité bactérienne ............................................................................................... 35
Suivi biochimique du métabolisme .................................................................................................. 36
Bilan
.................................................................................................................................... 37
I.1.3. Procédés de cultures ................................................................................ 37
Culture en milieu solide ................................................................................................................ 37
Culture en chémostat ................................................................................................................... 40
Bilan
.................................................................................................................................... 44
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch ......................................... 46
I.2.1. Cinétiques de croissance en batch .............................................................. 46
Batch et champs d'application de la microbiologie.............................................................................. 46
Schéma de la croissance ............................................................................................................... 47
I.2.2. Modélisation de la croissance ..................................................................... 49
Biométrie et modèles ................................................................................................................... 49
Modèles de dynamique ................................................................................................................. 50
Modèles de prise en compte des contraintes environnementales initiales ............................................... 54
Modèles de prise en compte des états ............................................................................................. 55
I.3. Cultures mixtes en batch : concepts et méthodologies .................................... 56
I.3.1. Avantage sélectif ..................................................................................... 56
Définitions .................................................................................................................................. 56
Intérêt fondamental ..................................................................................................................... 57
Intérêt appliqué........................................................................................................................... 59
Méthodes d’analyse...................................................................................................................... 61
I.3.2. Interactions ............................................................................................ 62
Classification des interactions ........................................................................................................ 62
Approche expérimentale ............................................................................................................... 64
I.3.3. Quelques modèles ................................................................................... 64
Modèles de dynamique et avantage sélectif ...................................................................................... 64
Approche empirique des interactions ............................................................................................... 67
Modèles de dynamique conjointe .................................................................................................... 69
Approche mécaniste des interactions............................................................................................... 72
Partie II Développements méthodologiques .............................................................. 78
II.1. Régression non-linéaire et Superfit................................................................. 80
II.1.1. Approche théorique.................................................................................. 80
12
Modèle de régression non-linéaire................................................................................................... 80
Ajustement d'un modèle de régression non-linéaire ........................................................................... 81
Examen des hypothèses sur le modèle d'erreur................................................................................. 83
Régions et intervalles de confiance ................................................................................................. 85
Appréciation de la qualité de l'ajustement ........................................................................................ 87
II.1.2. Approche pratique ................................................................................... 89
Fonctionnement du programme...................................................................................................... 90
Exemple .................................................................................................................................... 90
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée ................... 95
II.2.1. Aptitudes de croissance en culture pure et avantage sélectif............................ 95
Planification expérimentale ............................................................................................................ 95
Comparaison de trois systèmes automatisés..................................................................................... 96
Bilan
.................................................................................................................................... 97
II.2.2. Evolution relative de deux populations......................................................... 98
Problématique............................................................................................................................. 98
Approche préliminaire par Monte-Carlo ............................................................................................ 99
Bilan
.................................................................................................................................... 99
II.2.3. Interactions et comparaison de courbes......................................................100
Planification expérimentale ...........................................................................................................100
Comparaison de courbes ..............................................................................................................101
Bilan
...................................................................................................................................102
II.2.4. Avantage sélectif et interaction : compétition finale ......................................103
Problématique............................................................................................................................103
Modèle de dynamique de croissance...............................................................................................104
Adéquation aux données expérimentales.........................................................................................104
Partie III Etudes de cas ............................................................................................ 106
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12...................................................................... 108
III.1.1.
Introduction .......................................................................................108
Choix d'un modèle biologique........................................................................................................108
Objectifs de l'étude .....................................................................................................................108
III.1.2.
Technique de dénombrement spécifique ..................................................109
Géloses Mac Conkey Sorbitol ........................................................................................................109
Cytométrie sur filtres et anticorps..................................................................................................109
III.1.3.
Mise en évidence de l'anomalie de croissance et de l'interaction...................111
Matériel et méthodes...................................................................................................................111
Croissance de E. coli K12 en culture pure ........................................................................................116
Croissance de E. coli K12 en culture mixte ......................................................................................117
Croissance de E. coli O157:H7 en culture pure .................................................................................119
Croissance de E. coli O157:H7 en culture mixte................................................................................120
Bilan
III.1.4.
...................................................................................................................................123
Effet de la méthionine et anomalie..........................................................124
Caractérisation sur deux souches...................................................................................................124
Généralisation à 51 souches .........................................................................................................126
III.1.5.
Conclusion..........................................................................................131
Bilan des résultats expérimentaux .................................................................................................131
Discussion sur le rôle de la méthionine ...........................................................................................131
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG ............................................................................... 133
III.2.1.
Introduction .......................................................................................133
Contexte médical........................................................................................................................133
Problématique............................................................................................................................133
Objectifs de l'étude .....................................................................................................................135
13
III.2.2.
Aptitudes de croissance en culture pure...................................................135
Dans un milieu de culture.............................................................................................................135
Extension à différents milieux de culture .........................................................................................138
III.2.3.
Avantage selectif en cultures mixtes .......................................................140
Evolution relative des deux populations en culture mixte ...................................................................141
Etude en point final .....................................................................................................................143
Compétition finale.......................................................................................................................144
III.2.4.
Conclusion..........................................................................................146
III.3. L. monocytogenes et L. innocua ................................................................. 148
III.3.1.
Introduction .......................................................................................148
Isoler L. monocytogenes requiert un enrichissement .........................................................................148
Du coenrichissement de L. innocua à la non détection de L. monocytogenes..........................................150
III.3.2.
Aptitudes de croissance en culture pure...................................................152
Matériel et méthodes...................................................................................................................152
Résultats...................................................................................................................................154
Discussion .................................................................................................................................155
III.3.3.
Interactions en cultures mixtes ..............................................................156
Technique de dénombrement spécifique .........................................................................................156
Matériel et méthodes...................................................................................................................158
Résultats...................................................................................................................................161
Discussion .................................................................................................................................166
III.3.4.
Evolution relative des deux populations ...................................................166
Matériel et méthodes...................................................................................................................167
Résultats et discussion.................................................................................................................167
III.3.5.
Conclusion..........................................................................................169
Partie IV Discussion générale ................................................................................... 172
IV.1.
Apports et perspectives sur le plan méthodologique ................................. 174
IV.1.1.Méthodologie expérimentale .....................................................................174
Aptitudes de croissance en cultures pures .......................................................................................174
Suivi de cultures mixtes ...............................................................................................................174
Réalisation de cultures pures et mixtes en parallèle ..........................................................................175
IV.1.2.Méthodologie de modélisation ...................................................................175
IV.1.3.De la culture en batch à l’écologie .............................................................176
IV.2.
Apports et perspectives sur le plan biologique .......................................... 178
IV.2.1.Physiologie de la croissance......................................................................178
IV.2.2.Variabilite dynamique..............................................................................178
IV.2.3.Détection par enrichissement sélectif .........................................................179
IV.3.
Conclusion................................................................................................... 180
Références bibliographiques..................................................................................... 182
Communications de l'auteur ..................................................................................... 195
Annexes
14
.............................................................................................................. 199
15
INTRODUCTION
16
17
L'étude de la croissance bactérienne, et plus particulièrement la modélisation des cinétiques en milieu
liquide non renouvelé (batch), concerne en général le développement d'une population bactérienne isolée
(culture pure), mais relativement peu de travaux ont été consacrés au développement conjoint de deux
populations bactériennes (culture mixte). Le but de mon projet était d'établir les bases théoriques et
méthodologiques nécessaires à l'étude des dynamiques de populations bactériennes en cultures mixtes.
Ce travail ne se limite donc pas à un champ d'application de la modélisation de la croissance, mais se
veut transversal. Ainsi, différents concepts issus de l'écologie microbienne ont été intégrés.
Ce document comporte quatre parties. La première s'attache à définir le contexte historique et scientifique sous-tendant cette étude, à cerner les concepts impliqués (avantage sélectif et interaction), et à
recenser à partir d'une large revue bibliographique les méthodologies utilisables.
Dans la deuxième partie sont proposées diverses voies vers une méthodologie standardisée pour le suivi
et l'analyse de la dynamique des populations bactériennes en cultures mixtes. Les concepts d'avantage
sélectif et d'interaction sont d'abord traités séparément puis conjointement.
Les concepts et méthodologies définis dans les deux premières parties ont été appliqués à divers champs
de la microbiologie : trois études de cas sont ainsi présentées dans la troisième partie. Il s'agit de cultures mixtes en batch de deux souches phylogénétiquement proches (même genre, voire même espèce) :
(i) Escherichia coli K12 et Escherichia coli O157:H7 ; (ii) Staphylococcus aureus résistants à la méticilline,
la kanamycine et la tobramycine (MRSA-KT) et Staphylococcus aureus résistants à la méticilline, la kanamycine, la tobramycine et la gentamicine (MRSA-KTG) ; (iii) Listeria monocytogenes et Listeria innocua.
Enfin, la quatrième partie permet de conclure sur les différents points abordés, tant d'un point de vue
biologique que d'un point de vue biométrique.
18
19
PARTIE I
ETAT DES LIEUX
"L'étude de la croissance d'une culture bactérienne ne constitue
pas un thème spécialisé ou une branche de la recherche ; c'est
la méthode de base de la microbiologie".
Jacques Monod
"La valeur de performance d'une idée tient à la modification de
comportement qu'elle apporte à l'individu ou au groupe qui
l'adopte."
Jacques Monod
20
21
I.1.
CULTURES PURES ET
CULTURES MIXTES
De nombreux auteurs travaillant sur les cultures mixtes bactériennes ont déploré l'omniprésence de la
culture pure en bactériologie. Ce chapitre s'attache à retracer historiquement comment la culture pure
s'est imposée, à amorcer une réflexion épistémologique sur ce paradigme, et à en examiner les conséquences techniques.
I.1.1.
APERÇU HISTORIQUE ET EPISTEMOLOGIQUE
Définition de la microbiologie
Par ses objets d'étude : microbes et micro-organismes
Le terme microbe fut créé en 1878 par le chirurgien Sédillot avec l'assentiment de Littré pour qualifier l'ensemble des organismes vivants invisibles à l'œil nu alors indifféremment appelés vibrions,
virus, bactéridies, ferments, bacilles ou bactéries (Boutibonnes, 1999). Le terme micro-organisme
lui est aujourd'hui préféré. Mais le terme microbiologie est toujours utilisé pour désigner l'étude
d'organismes trop petits pour être visibles à l'œil nu. Ce substantif fut introduit officiellement par
Louis Pasteur en 1881 pour remplacer le terme Bakteriologie utilisé par les germanophones et
considéré comme trop limitatif1 (Fantini, 1999).
Ainsi, selon la norme européenne 406-1990, la microbiologie est définie comme "la discipline
scientifique traitant des propriétés des micro-organismes, comprenant les bactéries, les champignons, les parasites et les virus et de leurs effets sur l'hôte et l'environnement”. L'ensemble des
micro-organismes recouvre donc un très large éventail d'entités, caractérisé par une grande diversité
taxonomique. Le seul critère d'unité serait la taille microscopique mais certains organismes étudiés
par les microbiologistes (en particulier parmi les algues et les moisissures) sont beaucoup plus
grands.
Par ses techniques d'étude
Le critère de taille ne suffit donc pas à définir la microbiologie. Cette difficulté a conduit Stanier et
al. (1986) à définir ce domaine en termes de techniques utilisées : un microbiologiste isole un
micro-organisme spécifique puis le cultive. Donc la microbiologie repose sur deux principes techniques fondamentaux : l'isolement et la culture des micro-organismes (Prescott et al., 1995).
Tout traité ou manuel de bactériologie consacre une part importante aux techniques permettant
d'obtenir une culture pure (isolement) et de la maintenir (en la préservant de toute contamination).
Les définitions de base reposent sur ces principes. Une souche bactérienne est un ensemble de bact1
Dans la mesure où mon étude ne concerne que les populations bactériennes, les termes bactériologie et microbiologie seront par
la suite utilisés indifféremment.
22
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
éries issues d'une cellule-mère ou d'un ensemble de cellules supposées génétiquement identiques.
La culture d'une souche isolée (culture pure) permet donc de développer une population supposée
génétiquement homogène (Flandrois & Chomarat, 1988).
Quelques étapes clés dans l'histoire de la microbiologie
Les premières observations
La découverte de l'existence des micro-organismes, ne pouvait se faire sans l'avènement de progrès
dans le domaine des sciences exactes. Une contribution importante a été apportée par Galilée, qui
en 1610 n'a pas seulement construit un télescope mais aussi un dispositif optique, l'occialino, pour
examiner des objets petits. C'est vraisemblablement cet appareil que l'Italien Francesco Stelluti utilisa pour les premières observations microscopiques d’abeilles. Le premier microscope composé
serait encore antérieur et aurait été réalisé en Hollande vers 1590.
Mais c'est un siècle plus tard que Antonie van Leeuvenoek (1632-1723) fut le premier à décrire les
"animalcules" (vraisemblablement des levures et les plus grosses bactéries). Toutefois, van Leeuvenoek était très réticent à la diffusion de sa technique. Or ses découvertes furent contestées par certains qui, employant des microscopes de moindre qualité, ne réussirent pas à faire les mêmes observations. Ceci pourrait expliquer le fait que la microbiologie ait à nouveau peu évolué au cours du
siècle suivant.
A la fin du XVIIIème siècle, l'Allemand Otto Friedrich Müller (1730-1784) confirma l'existence des
bactéries. En 1773, puis dans un ouvrage posthume paru cinq ans après sa mort, Müller décrivit de
nombreuses bactéries et les classa en genres et en espèces, suivant les règles de nomenclature binaire que Carl von Linné (1707-1778) venait d'éditer.
Fermentations
La culture des micro-organismes dans un objectif appliqué (production de vin, de vinaigre et de
produits laitiers) est bien antérieure à leur découverte. La Bible (IX, Versets 20-21) rapporte, avec
l'ivresse de Noé, la plus vieille fermentation connue de l'homme, avérée en Mésopotamie quelques
60 siècles avant J.C. (Boutibonnes, 1999). Une réelle méthodologie s'était développée sur une base
empirique. La biotechnologie traditionnelle concernait donc principalement le traitement des aliments.
Avec la naissance de la chimie à la fin du XVIIIème siècle, commencèrent les études scientifiques
et expérimentales sur la nature des fermentations. Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794) y
consacra une part importante de ses travaux. Bien qu'il ait considéré la fermentation alcoolique
comme un processus purement chimique, Lavoisier reconnut clairement que la levure a le pouvoir
de la déclencher, selon une théorie préfigurant celle de la catalyse. La nature réelle de la levure et
son rôle dans la fermentation ne furent découverts qu'en 1836 par un physicien et ingénieur français, le baron Charles Cagniard-Latour (1777-1859) puis indépendamment et presque simultanément par Théodor Schwann (1810-1882) et Friederich Kützing (1807-1893). Toutefois, de nombreux chimistes restaient convaincus que la fermentation était due à une sorte d'instabilité chimique.
23
I. Etat des lieux
En 1856, un industriel de Lille soumit à Louis Pasteur (1822-1895) un problème de rendements
dans son usine de production d'éthanol à partir du sucre de betterave. Pasteur découvrit que la fermentation échouait en raison de la présence d'un micro-organisme responsable de la fermentation
lactique (au lieu de la levure responsable de la fermentation alcoolique). En résolvant ce problème
pratique, Pasteur démontra que toutes les fermentations étaient dues à des levures ou des bactéries
spécifiques. Ainsi, la naissance de la microbiologie comme une science est habituellement fixée à
1857, avec la publication du premier article de Pasteur : Mémoire de la fermentation appelée lactique. Pasteur y décrivait le ferment lactique comme un organisme vivant, beaucoup plus petit encore
que la levure. Pendant 20 ans, de 1857 à 1877, l'attention de Pasteur se porta successivement sur de
nombreuses autres fermentations.
Controverse sur la génération spontanée
La théorie de la génération spontanée est très ancienne : Aristote pensait que certains des invertébrés simples pouvaient se développer à partir de matière non vivante ou en décomposition. Jusqu'à
la Renaissance, cette doctrine était acceptée sans discussion. Au XVIIème siècle, les expériences de
Redi sur la "capacité à produire spontanément des asticots" à partir de viande en décomposition
permirent de discréditer cette théorie en ce qui concerne les animaux.
La découverte des micro-organismes par van Leeuwenhoek relança la controverse. Quelques-uns
uns proposèrent que les micro-organismes apparaissaient par génération spontanée même si ce
n'était pas le cas d'organismes plus grands tandis que d'autres (dont van Leeuwenhoek lui-même)
maintenaient que des germes à l'origine des animalcules étaient présents dans l'air. Mais il était
beaucoup plus difficile d'appliquer les principes des expériences de Redi à des micro-organismes.
Les travaux de Pasteur sur les fermentations eurent pour conséquence de raviver la querelle de la
génération spontanée. Les méthodes que Pasteur employa pour réfuter cette théorie ne sont pas essentiellement différentes de celles qu'avaient utilisé ses prédécesseurs et notamment Spallanzani. Si
Pasteur parvint à emporter la conviction c'est parce que son "expérience cruciale" (1861) était simple, élégante et facile à reproduire, bref démonstrative.
Hygiène alimentaire et stérilisation
Bien avant la découverte des flores alimentaires de détérioration, l'homme a découvert qu'il pouvait
prolonger la conversation des aliments (viandes, poissons, fruits, légumes), en les séchant, en les
salant, en les fumant … Le sel fut longtemps une denrée essentielle pour ses propriétés de conservation. Aristote recommandait à Alexandre Le Grand d'imposer à ses troupes de faire bouillir l'eau
avant de la boire (Hugo, 1991).
Les expériences de Spallanzani avaient permis de montrer qu'on pouvait éviter la putréfaction et la
fermentation des produits même les plus périssables. Appert proposa au début du XIXème siècle
d'appliquer ces principes aux denrées alimentaires. Ainsi, il inventa l'appertisation (conditionnement
des aliments en récipients hermétiques chauffés après fermeture étanche) , principe encore appliqué
aujourd'hui pour les boîtes de conserves. Ce procédé fut largement utilisé, bien avant que les bases
scientifiques de la stérilisation ne soient établies.
Napoléon III fit appel à Pasteur pour résoudre le problème suivant : après quelques semaines en
mer, les tonneaux de vins embarqués à bord des navires se transformaient en vinaigre, ce qui
24
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
déclenchait régulièrement des mutineries. A l'aide de son microscope, Pasteur réalisa qu'il pouvait
distinguer les contaminants qui causaient la perte du vin. Il a alors supposé qu'en chauffant le vin à
50°C, il pourrait détruire les mauvais microbes sans gâcher le goût du vin, procédé par la suite universellement employé sous le nom de pasteurisation.
Hygiène médicale et asepsie
Les travaux de Pasteur sur les générations spontanées et surtout sur la stérilisation ont suscité une
application médicale dont les conséquences ont été considérables. A l'époque, les infections postopératoires paralysaient la chirurgie.
Dès les années 1850, Phillipe-Ignace Semmelweiss (1818-1865), médecin juif d'origine hongroise,
avait démontré l'importance de la transmission croisée et le rôle fondamental du lavage de mains.
Assistant à la clinique obstétricale de l'Hôpital Générale de Vienne, il avait remarqué que les accouchées qui faisaient l’objet de soins par les sages-femmes avaient moins d’infections que celles
qui l’étaient par des médecins, qui avaient également à réaliser des autopsies. Il préconisa le lavage
de mains avec une solution d'hypochlorite de calcium avant de pratiquer un accouchement, ce qui
permis de réduire drastiquement le taux de mortalité des accouchées. Semmelweiss entra en conflit
sur ce sujet avec le Professeur Klein, fut rejeté par ses pairs, révoqué de l'hôpital de Vienne. Incompris, il sombra dans la folie. Louis Ferdinand Céline lui consacra sa thèse de médecine.
Enfin, en 1867, Joseph Lister (1827-1912), alors professeur de chirurgie à Glasgow, établit les principes de l'antisepsie, à laquelle devait par la suite se substituer la conception moderne de l'asepsie
chirurgicale.
Controverse sur le pléiomorphisme
La première classification des bactéries qui ait une réelle valeur scientifique est celle de Cohn. Professeur de botanique à l'Université de Breslau, Cohn passa de longues années à démêler, dans la
masse confuse des faits publiés par les pionniers de la bactériologie, ce qui était exact et important,
et fit lui-même des observations d'une grande importance. L'objectif principal de son travail était
taxonomique : établir une classification systématique de toutes les bactéries, fondée sur la morphologie mais en tenant compte aussi de leur métabolisme. Son grand ouvrage de systématique, "Untersuchungen über Bakterien" parut en 1872.
La classification de Cohn repose sur le concept de monomorphisme, c'est-à-dire sur l'idée que le
groupe des bactéries comporte, comme les organismes dits supérieurs, des entités stables, douées de
caractères morphologiques et physiologiques distincts. Ce concept de monomorphisme - adopté
notamment par Koch et Cohn - s'opposait à la théorie du pléiomorphisme - dont les partisans étaient
notamment Nägelli, Büchner et Zopf. Pour ces derniers, les bactéries pouvaient, suivant les conditions, présenter des structures ou même des fonctions très variables, ce qui rendait illusoire toute
définition d'espèce et par conséquent toute taxonomie. Cependant, l'isolement d'un grand nombre de
cultures bactériennes pures et manifestement stables fit bientôt accepter la conception de Cohn par
l'ensemble des bactériologistes.
La taxonomie bactérienne a été complétée et modifiée à de nombreuses reprises. Les classifications
de Migula en 1894 et Lehmann & Neumann en 1896 sont comme celle de Cohn essentiellement
25
I. Etat des lieux
fondées sur des critères morphologiques. Par la suite, d'autres introduisirent de nouveaux critères,
d'ordre immunologique ou biochimique.
Causalité des maladies infectieuses
Au début du XIXème siècle, la microbiologie s'est essentiellement tournée vers un objectif appliqué : la lutte contre les maladies infectieuses. En effet ce fut une période d'augmentation de la
fréquence des maladies épidémiques, avec notamment l'irruption dramatique des pandémies de
choléra.
En 1865, Pasteur décida de s'occuper des maladies du ver à soie, à la demande pressante des producteurs. Mais ce n'est qu'en 1877, après beaucoup d'hésitations, qu'il s'engagea directement dans la
critique des théories médicales traditionnelles, en appliquant la théorie spécifique de la fermentation
aux maladies épidémiques.
Vers la fin des années 1870, Koch, médecin de campagne s'est intéressé au charbon, une maladie
commune aux fermiers et à leurs animaux dans le milieu rural. Utilisant un microscope, Koch a
observé la présence d’une bactérie dans le sang de victimes du charbon. Il a supposé qu'il s'agissait
de l'agent pathogène. En utilisant un placard chez lui comme laboratoire, et en développant progressivement des techniques de base, Koch a finalement réussi à isoler la bactérie du charbon. Il a alors
injecté sa préparation à des animaux sains et a reproduit les mêmes symptômes cliniques. En examinant le sang des animaux qu'il avait contaminés, il a été à même de ré-isoler la bactérie originale.
Il répéta ainsi le cycle d'isolation et d'infection jusqu'à être certain qu'il avait trouvé l'agent responsable du charbon. En 1876, il publia un mémoire qui lui valut d'emblée une place de premier rang
parmi les microbiologistes. Etant donné l'importance économique de cette maladie et ses techniques
facilement reproductibles, ses résultats ont été rapidement vérifiés. Koch fut alors reconnu par la
communauté scientifique et eut bientôt son propre institut (comme Pasteur).
Sur un plan médical, Koch démontrait de façon irréfutable que la bactéridie de Davaine (Bacillus
anthracis) est l'agent du charbon épidémique. Par la suite, Koch identifia également l'agent responsable du choléra et de la tuberculose. Il est important de signaler que Koch ne s'est pas contenté de
démontrer l'existence de l'agent mais a à chaque fois cherché à l'identifier, notamment en le nommant.
Koch a contribué très fortement au principe de causalité et de spécificité de l'agent causal en médecine. Ainsi, il démontra qu'“une seule forme de bactérie est capable de provoquer ce processus
morbide spécifique (le charbon), alors que l'inoculation d'autres bactéries ou bien ne produit pas
de maladies ou bien en provoque de différentes.” A côté de la spécificité du "parasite", celle de
l'hôte était clairement établie et illustrée par la résistance naturelle du chien et des oiseaux au charbon expérimental.
Sa procédure pour identifier l'agent responsable de n'importe quelle maladie fut énoncée sous forme
de règles, depuis connues sous le nom de postulats de Koch. Ses fameux postulats ne constituent
qu'un paragraphe de 8 lignes dans un article de 17 pages, "Ueber die Aetiologie der Tuberkulose"
(Koch, 1882): "Wenn es sich num aber nachweisen liess: erstens, dass der Parasit in jedem
einzelnem Fall der Betreffenden Krankheit anzutreffen ist, und zwar unter Verhaltnis, welcheden
pathologischen Veradnerungen und dem Klinischen Verlauf der Krankheit entsprechen: zweitens,
dass er bei keiner anderen Krankheit als zufalliger und nicht pathogener Schmarotzer vorkommet;
26
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
und drittens, dass er, vor dem Korper vollkommen isolirt undin Reinculturen hinreichend oft
umgezuchtet, im Stande ist, von Neuem di Krankheit zu erzugen; dann konnte er nicht mehr
zufalliges Accidens der Krankheit sein, sondern liess sich in diesem Fall kein anderes Verhaltnis
mehr zwischen Parasit un Krankheit denken, als dass der parasit di ursache der Krankheit ist".
Cela signifie que si les trois règles énoncées sont respectées, alors la présence du parasite chez un
organisme malade ne peut être une coïncidence et que la seule relation qui puisse être considérée est
que le parasite est la cause de la maladie. Les trois règles sont les suivantes.
§ Le parasite est présent dans chaque cas de la maladie en question et dans des conditions en relation avec la pathologie.
§ Le parasite n'est présent, comme parasite fortuit et non pathogène, dans aucun autre cas de maladie.
§ Le parasite peut être isolé de l'organisme malade et propagé en culture pure, et il est peut alors
induire la maladie à nouveau (chez un organisme sain).
Des versions antérieures de ces postulats étaient déjà présentes dans des articles de 1876 et 1878.
Koch n'a jamais particulièrement insisté sur cet aspect de ses travaux et reconnaissait que les travaux princeps sur la causalité unique avaient été antérieurs. Quoique Koch n'y ait pas accordé une
importance démesurée, ses trois postulats (et tout particulièrement le troisième) posaient les bases
des techniques fondamentales de la microbiologie, telles que décrites plus haut : isoler et cultiver en
culture pure.
En effet, l'omniprésence de ces techniques dans la bactériologie actuelle, le paradigme de la culture
pure, remonte probablement à ce que les postulats de Koch ont été compris par tous. La mentalité
des microbiologistes de cette période a été très largement influencée par Koch. La technique de
culture microbienne mise au point par Koch et ses disciples était simple et répétable. Ses concepts
théoriques sur la croissance, l'activité et la structure bactériennes étaient également simplifiés.
Comme l'écrit Panikov (1995), la microbiologie aurait bénéficié d'un certain "primitivisme" de
Koch. Pour Stephenson (1949), la médecine doit autant aux limitations de Koch qu'à ses apports. En
revanche, Panikov, en tant que représentant de l'école russe d'écologie microbienne, déplore que la
microbiologie ait pu au tournant du siècle perdre en "ouverture d'esprit" et en "attachement aux
sciences exactes".
Découverte de l'agar
Dans le domaine des techniques bactériologiques, on peut attribuer à Koch ou à ses collaborateurs :
les techniques de culture aseptique, les cultures pures, l'utilisation de boîtes de Petri, la boucle
d'inoculation, la coloration de Gram et d'autres techniques de coloration. J'ai détaillé ci-après ce qui
concerne en particulier les premières utilisations de milieu solide (agar ou gélatine).
Les premiers milieux de culture étaient liquides, ce qui rendait très difficile l'isolement de bactéries
en cultures pures. En pratique, un mélange de bactéries était dilué successivement jusqu'à obtention
d'une seule cellule en moyenne par tube. La bactérie individuelle ainsi isolée devait alors se reproduire en culture pure. Cette approche était pénible, elle donnait des résultats variables et rencontrait
des problèmes de contaminations.
En 1881, Koch décrivit l'utilisation de pommes de terre bouillies découpées avec un couteau stérilisé comme premier milieu de culture solide. Le mélange polymicrobien était ensemencé sur la sur27
I. Etat des lieux
face d'une tranche stérile de pomme de terre à l'aide de l'extrémité d'une aiguille, puis étalé afin que
les cellules soient séparées les unes des autres. Les tranches étaient incubées sous des cloches pour
empêcher la contamination par l'air et les cellules isolées se développaient alors en colonies pures.
Toutefois, la pomme de terre n'était pas un milieu de culture optimal pour toutes les bactéries.
Par la suite, Koch décida d'essayer de solidifier le milieu de culture peptoné à base d'extrait de
viande de son associé, Loeffler. En tant que photographe amateur, Koch savait préparer ses plaques
photographiques à base de gélatine et de sels d'argent. Sur la base de cette technique, il étala un
mélange du milieu de Loeffler et de gélatine sur une plaque de verre, attendit qu'il durcisse puis en
ensemença la surface. Par rapport à la pomme de terre, ce milieu plus nutritif était plus adapté à la
croissance bactérienne. Mais la gélatine posait deux problèmes : d'une part, elle fondait à 37°C ;
d'autre part, elle était digérée.
L'épouse d'un assistant de Koch, Hesse, entendit parler de ces difficultés et suggéra de recourir à
l'agar, utilisé en cuisine pour solidifier les gelées de fruits. En 1882, l'agar fut donc utilisé pour la
première fois comme agent solidifiant. Le milieu solidifié grâce à l'agar eut un succès instantané.
Cinq ans plus tard, un autre assistant de Koch, Petri, inventa la boîte de culture qui porte son nom et
plus personne n'utilisa les plaques de verre.
Les débuts de l'écologie microbienne
Les travaux de Winogradsky et Beijerinck se chevauchent chronologiquement et se complètent. En
1888, Beijerinck a isolé en culture pure les bactéries fixatrices de l'azote et symbiotes des légumineuses. En 1890-91, Winogradsky a isolé les bactéries nitrifiantes et démontré que celles-ci se subdivisent en deux groupes, l'un oxydant l'ammoniaque en nitrite, l'autre oxydant le nitrite en nitrate.
Peu après, en 1895, Winogradsky a découvert les bactéries anaérobies fixatrices de l'azote, vivant à
l'état libre dans le sol (Clostridium pasteurianum). La même année, Beijerinck a prouvé que la
réduction des sulfates en hydrogène sulfuré est un processus bactérien et isolé l'organisme responsable (Desulfibrio desulfuricans). L'approche de Winogradsky et Beijerinck est couramment opposée à celle de Koch. Pourtant, cette première présentation de leur travail peut conduire à penser
que les principes diffèrent peu puisqu'ils ont isolé des agents responsables de phénomènes jusqu'alors non expliqués. Une première différence réside dans la méthode d'isolement. En effet, ils ne
procédaient pas par isolement sur géloses mais grâce à la méthode des cultures d'enrichissement,
qui consiste à ensemencer un échantillon de sol ou de tout autre milieu naturel dans un milieu où la
substance dont on veut étudier le métabolisme est la seule source possible d'énergie, de carbone ou
d'azote. Dans ces conditions hautement sélectives, les organismes capables d'utiliser la substance
considérée se trouvent favorisés, de sorte qu'après quelques repiquages, ils finissent par être aisément isolés en culture pure, même s'ils n'étaient présents dans l'inoculum initial qu'en nombre très
faible par rapport à d'autres. L'application de cette méthode a révélé la diversité des bactéries et
montré qu'il n'existe pratiquement aucune substance organique qui ne puisse être dégradée par elles.
De plus, ils ont soulevé le problème de la différence entre culture en conditions de laboratoire (in
vitro) et croissance dans les habitats naturels (in situ). Ce fut l'objet d'une controverse entre Kluyver
et Winogradsky d'une part versus Ierusamlisky et Hungate d'autre part (Panikov, 1995). Bien que de
nombreuses observations aient pu être réalisées à partir d'études en culture pure au laboratoire, celles-ci n'en demeurent pas moins artificielles du fait que dans le milieu naturel, ces bactéries vivent
en communautés, entre elles ou avec des organismes supérieurs. Ces microorganismes peuvent
28
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
alors interagir de multiples façons avec leur environnement, interactions pouvant aller de réactions
purement antagonistes à des phénomènes d'interdépendance mutuelle formant ce qui est communément appelé des associations ou consortiums.
L'importance de Pasteur et à moindre échelle de Koch dans l'essor de la microbiologie ne peut être
occultée. Toutefois, aux yeux de Panikov (1995), elle ne devrait pas masquer les découvertes et
surtout les apports méthodologiques de Winogradsky et Beijerinck. Ils ont introduit les techniques
d'enrichissement et Winogradsky a également introduit la pratique de la culture continue.
Cet aperçu de l'histoire de la microbiologie n'a bien sûr aucune ambition d'exhaustivité et s'arrête au
tournant du siècle. Le but en était d'introduire les éléments historiques nécessaires au débat sur le
paradigme de la culture pure.
Réflexions épistémologiques
L'approche épistémologique du paradigme de la culture pure comporte deux volets : d'une part les
concepts de pureté et d'isolement sont discutés et d'autre part les travaux de Koch sont resitués dans
un contexte épistémologique.
Vocabulaire
Le mot français pur est apparu vers 980 et serait issu du latin purus, "sans tache, sans souillure" et
par suite "net, sans mélange" (Rey, 1992). Selon l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, pur se dit
de ce qui n'est point altéré par le mélange d'une matière étrangère et hétérogène. Le mot pureté,
issu de l'ancien français purté lui-même issu du latin puritas, a été introduit avec le sens abstrait de
"sans souillure morale". Le sens concret d'"état d'une substance sans mélange" n'est attesté que depuis 1530 alors que pur a cette valeur depuis l'ancien français. Le verbe purifier a été emprunté vers
1160 du latin purificae de purus (pur) et facere (faire).
Le mot isolé est beaucoup plus récent. Il a été emprunté vers 1575 à l'italien isolato "construit en
îlot, séparé", lui-même issu du latin insula, "île". D'abord employé en architecture, l'adjectif s'est
ensuite appliqué à une personne séparée des autres hommes à la fin du XVIIème. Puis au XVIIIeme
il prend le sens général de "séparé de choses de même nature". Le verbe isoler a été dérivé de l'adjectif isolé vers la fin du XVIIème.
Religion
Le champ lexical de la pureté a toujours eu une forte implication religieuse. Le mot latin purus était
essentiellement utilisé dans la langue religieuse, comme le mot grec catharsis auquel il correspond.
Il a d'abord été repris avec le sens abstrait de "complet et sans mélange" en parlant de la foi (Rey,
1992).
Des pratiques de purifications rituelles existent dans de nombreuses religions de tous les groupes
humains connus. Citons par exemple la momification par embaumement chez les Egyptiens. D'après l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, le premier sens de purification est une cérémonie juive
visant à purifier les femmes ayant accouché et donc ainsi contracté une impureté. Toujours, selon
l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, les mots pur, pureté, impur et impureté ne regardent que
l'extérieur dans l'Ancien Testament et concernent des règles d'hygiène sanitaire. En revanche, les
29
I. Etat des lieux
chrétiens associeraient la pureté à l'innocence. Ainsi, dans la Bible, les mots purification ou purifie
désignent l'effort que doit faire l'homme pour se rapprocher de Dieu (le baptême, les ablutions...).
Dans le Coran, le pouvoir de purification est un attribut divin : "C'est Dieu qui purifie qui Il veut".
Alchimie
La notion de purification (plus particulièrement de l'or) occupe une place importante en alchimie.
Le lien entre or pur en alchimie et culture pure en bactériologie peut certes sembler lointain. Toutefois, les textes des alchimistes eux-mêmes pouvaient conduire à cette analogie en comparant des
processus alchimiques à des fermentations (Joly, 1992). Dans le Char triomphal de l'Antimoine,
Basile Valentin compare les processus essentiels de l'alchimie à la fabrication de la bière à partir de
l'orge. A partir de cet exemple de la bière Van Helmont a développé une théorie de ferment universel en considérant l'ensemble des opérations alchimiques comme une fermentation. Plus précisément, le terme de fermentation est en général réservé à une étape finale dans laquelle l'or serait le
ferment (Joly, 1992).
D'autre part, les travaux sur la teinture occupent également une place importante. J'y reviendrai dans
ce qui suit (cf. Théories de la contagion).
Chimie
L'utilisation du verbe isoler en chimie (isoler un corps simple) remonte au début du XIXème siècle.
Mais l'utilisation du champ lexical de la pureté est plus ancienne.
Dans la chimie prélavoisienne, il était admis que d'après le mode de préparation, des substances
élémentaires pouvaient présenter des différences de qualité. Le carbonate de potassium donnait,
croyait-on, trois espèces très nettement distinguées selon qu'on le tirait des cendres, du tartre, du
salpêtre. La philosophie chimique reposait sur la mobilité des qualités d'un corps à un autre. Le
concept de substance chimique n'avait donc pas la solidité qui lui est attribuée aujourd'hui. Un tel
pluralisme chimique n'était pas une simple considération philosophique puisqu'il s'opposait à la
réduction de la diversité. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les chimistes en arrivèrent à douter
qu'il soit légitime de parler de séparation des éléments constituant un corps composé. Les substances n'avaient de caractères chimiques qu'à l'égard les unes des autres et elles étaient entièrement
relatives les unes des autres. De plus, un corps engagé dans une combinaison ne pouvait en être
extrait qu'en le combinant avec un autre corps. Ainsi, à la fin du XVIIème siècle, Beccher écrivait
que "les principes ne peuvent presque jamais être séparés les uns des autres séparés les uns des
autres" et qu'il était impossible de "montrer les corps primitifs dans leurs simplicité et leur homogénéité". Au XVIIIème siècle, Henckel écrivait également : "L'on ne parvient jamais à décomposer un mixte sans produire de nouvelle mixion ; ce serait en vain qu'on tenterait d'avoir chacun
des ces principes séparément et dans leur état de simplicité". A la fin du XVIIIème siècle, Macquer
écrivait : "Plus les substances sont simples, plus leurs affinités sont sensibles et considérables : d'où
il suit que moins les corps sont composés plus il est difficile d'en faire l'analyse". En effet, puisque
toute opération chimique devait s'appuyer sur les affinités, les difficultés s'accentuaient au fur et à
mesure qu'on s'approchait des éléments (Bachelard, 1932).
30
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
Le parallèle entre obstacles épistémologiques rencontrés en chimie et en microbiologie est d'autant
plus intéressant que Pasteur commença ses premiers travaux sur l'asymétrie des molécules et la
séparation des mélanges racémiques.
Théories de la contagion
Les travaux de Pasteur et de Koch sur la causalité des maladies infectieuses ont été traités dans le
rappel historique ci-dessus. Le débat sur la nature et l'origine de la contagion puis sur la notion de
causalité est repris ici sous un angle plus épistémologique.
L'idée de contagium, très ancienne, est liée aux métaphores et aux analogies. La contagion est comparée, voire assimilée, à la teinture d'un tissu ou au pourrissement des fruits etc. La comparaison à
la teinture évoque directement l'alchimie (cf. ci-dessus) : une petite quantité de matière induit un
changement qualitatif dans tout le matériau exposé. C'est cependant la putréfaction qui fournit pendant des siècles le modèle dominant pour expliquer la contagion et l'infection : un fruit en décomposition, s'il entre en contact avec d'autres fruits, les infecte et en produit le pourrissement.
La théorie du contagium vivum fut proposée à plusieurs reprises, avant le XIXème siècle. Elle repose sur trois point théoriques (Fantini, 1999).
§ Il existe un contagium, agent susceptible de passer d'un individu malade à un individu sain, en
provoquant la maladie chez ce dernier.
§ Le contagium est vivum : organisme vivant (autonome et capable de se reproduire) ou semence
(capable de donner naissance à un organisme parasitaire à l'intérieur de l'individu hôte).
§ Le contagium est la cause spécifique et nécessaire d'une maladie infectieuse particulière.
Dès 1519, von Hutten décrivait la propagation des maladies contagieuses comme le fait de germes
disséminés, de "graines, ou poissons malins ou de petits vers ailés" (Boutibonnes, 1999).
La théorie du contagium vivum s'opposait à la théorie miasmatique, qui admettait que les substances
en décomposition, même en petites quantités, sont capables de provoquer des modifications pathologiques. Vers le milieu du XIXème siècle, ces explications chimiques de la contagion dominaient,
elles s'accordaient parfaitement avec les politiques sanitaires de l'époque. En effet le mouvement
hygiéniste se fondait sur une théorie essentiellement miasmatique, dans la mesure où elle attribut la
causalité des épidémies aux poisons présents dans le milieu. Du point de vue de l'efficacité pratique,
les partisans de la théorie du contagium vivum avant Pasteur et Koch ne pouvaient proposer d'action
sanitaire précise, tandis que les défenseurs de la théorie miasmatique (chimique) eurent des résultats
positifs en proposant de réduire les miasmes (purification de l'eau, évacuation des ordures urbaines
etc.). Ce succès assura une certaine pérennité à la théories miasmatiques au cours du XIXème
siècle.
Cette opposition entre explication par des processus chimiques et explication par l'intervention de
microorganismes existait également concernant les fermentations. Or fermentations et maladies
avaient souvent été comparées. L'explication pastorienne des fermentations eut donc une place importante dans les fondements de la théorie des maladies infectieuses. D'autre part, le trait spécifique
de toutes les théories sur la nature du contagium au début du XIXème siècle était leur lien avec les
théories sur la génération. Ainsi, un même terme, germe, est utilisé pour désigner la semence qui
soit donne une nouvelle vie, soit transmet l'infection.
31
I. Etat des lieux
Ces proximités permettent d'expliquer la facilité avec laquelle Pasteur transféra à l'étude des maladies infectieuses ses théories et techniques mises au point sur les générations spontanées d'une part
et les fermentations d'autre part (Fantini, 1999). Latour a en effet établi que la carrière de Pasteur
avait été caractérisée par une "loi du déplacement horizontal" : il a progressivement déplacé l'objet
de ses recherches (de la stéréochimie des molécules organiques jusqu'à la production de vaccins, en
passant par les différents travaux de microbiologie évoqués en divers points) en appliquant les techniques et résultats mis au point dans les phases précédentes.
Notion de causalité
Au début du XIXème siècle, une des difficultés épistémologiques majeures était liée au concept
même de maladie infectieuse (Fantini, 1999). Les systèmes médicaux dominants insistaient sur la
définition de la maladie comme réaction du corps à des stimuli. Deux ordres de causes étaient distingués : les causes internes, naissant dans l'organisme, et les causes externes, provenant de l'extérieur. Dans la médecine classique, le rapport entre cause et effet dépendait des dispositions de l'organisme. Il n'existait pas de lien constant entre la cause et l'effet. De nombreuses causes différentes
étaient chacune suffisante pour - indépendamment des autres - provoquer une même maladie. La
principale innovation épistémologique de la seconde moitié du XIXème siècle fut l'abandon de cette
causalité multiple, au profit d'une explication fondée sur une causalité unique, nécessaire et spécifique.
Bien que le principe de causalité dans le domaine de la bactériologie médicale soit généralement
attribué à Koch, il semble que ce fut Jacob Henle (1809-1885), un anatomo-pathologiste allemand,
qui l'énonça le premier, dès 1840. Son travail sur la notion de causalité fut exclusivement théorique
et fut exposé dans les 82 premières pages de son ouvrage "Pathologische Untersuchungen" sous le
titre "Von den Miasmen und Contagien und von den miasmatisch-contagiosen Krankheiten". Ce
sont des concepts précurseurs des postulats de Koch : nécessité de trouver l'agent infectieux microscopique chez tous les malades examinés, de l'isoler et d'en tester le pouvoir infectieux. De nombreux historiens ont considéré que les travaux de Henle préfiguraient les postulats de Koch, allant
jusqu'à les renommer postulats de Henle-Koch (Evans, 1993). Koch fut bien l'étudiant de Henle à
Göttingen, toutefois Koch ne cite Henle dans aucun des deux articles fondamentaux de 1882 et
1890. En revanche, Koch s'y réfère aux travaux d'un autre allemand : Edwin Klebs (1834-1913).
Mais Pasteur, Henle et Klebs se sont tous les trois heurtés au même obstacle épistémologique de la
démonstration de l'effet causal. Seul Koch apporta les bases méthodologiques permettant de
démontrer expérimentalement les principes de la causalité unique et spécifique, appliqués à la microbiologie.
Bilan
D'un point de vue historique, la notion de culture pure en bactériologie est née de la volonté d'identification d'une causalité unique dans le domaine des maladies infectieuses. Pour atteindre ce but, il
fallait éliminer tout le reste, considéré comme artefactuel. Les principales techniques microbiologiques utilisées aujourd'hui ont été développées à cette époque, dans ce contexte. Elles ont été
conçues dans le but d'obtenir une souche pure (l'isoler) et de la maintenir (la préserver de toute
32
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
contamination), et le développement de la microbiologie s'est construit sur ces bases méthodologiques. C'est vraisemblablement ainsi que le paradigme de la culture pure est apparu en bactériologie.
Il serait ambitieux de vouloir approfondir ici cette notion de paradigme d'un point de vue épistémologique, voire philosophique. Toutefois, les différentes approches de la pureté présentées cidessus (approche lexicale, religieuse, alchimique et chimique) peuvent fournir quelques pistes.
En particulier, les notions d'individu et de population (voire de race) en bactériologie pourraient être
reconsidérées à la lumière de ces considérations épistémologiques et de résultats récents sur le
comportement bactérien.
I.1.2.
SUIVI DE LA CROISSANCE BACTERIENNE EN
CULTURES MIXTES
De nombreux problèmes techniques ont été évoqués dans le chapitre précédent. En effet, les méthodes courantes de suivi de culture bactérienne ne sont pas adaptées au suivi de deux (ou plusieurs)
populations parallèlement. Toutefois, les bactériologistes ont développé des techniques permettant
de pallier cette difficulté. Les techniques présentées ici se rapportent au suivi d'une culture en milieu liquide.
Dénombrement des populations
L'estimation régulière du nombre de bactéries rapporté au volume de culture, c’est-à-dire de la densité de population bactérienne (exprimée en nombre de cellules par mL), permet de suivre le développement des populations (cf. Meynell & Meynell, 1970).
Dénombrements sur boîtes de Petri
Parmi les techniques directes, le dénombrement sur boîtes de Petri constitue sans aucun doute la
méthode la plus classique. Cette technique permet la mesure de densités de population comprises
entre 10 et 108-109 cellules/mL ou cellules/g de produit. Le principe repose sur l’hypothèse qu'une
cellule viable déposée sur le gel nutritif de la boîte se divise jusqu'à l'obtention d’un amas de cellules issues de cette seule cellule-mère : une colonie.
En conséquence, le dénombrement des colonies revient au dénombrement des cellules ou groupes
de cellules déposés et viables (unités formant colonie ou ufc) à condition que la dilution de la solution ne conduise à aucun chevauchement des colonies (confluence). La méthode est très simple
mais peut être coûteuse en temps et en matériel et peut conduire à l'obtention de cinétiques constituées d'un nombre limité de points expérimentaux.
Deux espèces différentes peuvent souvent être distinguées par la morphologie ou la couleur de leurs
colonies. Dans le cas de souches proches, formant des colonies identiques sur les milieux usuels, il
peut exister des milieux différentiels permettant une distinction sur la base d'une différence phénotypique. C'est la méthode la plus utilisée pour le suivi de cultures mixtes. Deux exemples sont
traités dans les études de cas de la troisième partie. Sur le milieu de Mac Conkey Sorbitol, les colo33
I. Etat des lieux
nies de E. coli fermentant le sorbitol sont colorées en rouge (indicateur coloré de pH) alors que celles qui n'utilisent pas ce sucre ne sont pas colorées. Le milieu BCM (bioSynth, Suisse) permet de
distinguer les L. monocytogenes des L. non monocytogenes sur la base d'un substrat chromogénique.
Le principal inconvénient est qu'il n'existe pas toujours un milieu différentiel permettant de distinguer deux espèces proches et que ces milieux sont généralement coûteux.
Il existe aussi des milieux sélectifs permettant de ne cultiver que certaines souches. La sélection
repose sur une différence phénotypique de type sensibilité/résistance à un antibiotique ou auxotrophie/prototrophie pour un nutriment (capacité ou non à croître en absence d'un nutriment dans le
milieu nutritif). Les milieux sélectifs sont très utiles pour le suivi de croissance en cultures mixtes.
Un exemple est traité dans la deuxième étude de cas : le dénombrement spécifique des Staphylococcus aureus résistants à la gentamicine a été réalisé sur un milieu gélosé additionné de gentamicine.
Toutefois, ces milieux sélectifs risquent d'inhiber la croissance de la souche dénombrée elle-même.
Le nombre d'unités capables de former une colonie visible sur ces milieux risque alors d'être inférieur au nombre de cellules viables présentes.
Il n'existe pas toujours un milieu gélosé permettant de sélectionner ou de distinguer les souches
utilisées. Il faut parfois mettre en œuvre des tests biochimiques complémentaires sur les colonies à
identifier. Dans ce cas, il est inenvisageable de tester toutes les colonies de toutes les géloses. Pour
dénombrer des cultures mixtes de Streptococcus cremoris, Streptococcus lactis, Streptococcus diacetilactis et Leuconostoc citrovorum, Pettersson (1975) a associé des comptages de la population
totale par des méthodes non spécifiques (dénombrements sur géloses, comptages au microscope ou
estimation de la biomasse par la turbidité, cf. ci-dessous) et une estimation de la répartition entre les
populations d'après l'identifications de quelques colonies.
Comptages au microscope
Les cellules présentes dans un échantillon liquide peuvent également être dénombrées en microscopie en utilisant du matériel adapté. Un quadrillage gravé à la surface d'une lame de verre (cellule de
Neubauer) permet de compter les cellules dans un volume connu d'échantillon. Deux espèces différentes peuvent parfois être distinguées par la taille ou la morphologie des cellules. Par exemple,
Noisommit-Rizzi et al. (1996) ont mis au point une technique de ce type pour le suivi d'une culture
mixte de Hydrogenophaga palleronii et Agrobacterium radiobacter en modifiant la cellule de Neubauer.
Les techniques d'épifluorescence fondées sur l'utilisation de fluorochromes permettent un comptage
direct plus spécifique en microscopie. Après coloration avec le 3,6-bis chlorure d'acridine (acridine
orange) et le 4',6-diamidino-2-phenylindole (DAPI), l'identification des bactéries est possible sur la
base de leur couleur, de leur forme et de leur taille (cf. Kepner & Pratt, 1994).
Par ailleurs, les cellules peuvent être immobilisées sur une membrane après filtration de l'échantillon ; c'est le principe de la cytométrie sur filtre (cf. Métézeau et al., 1994). Quelques essais avec une
reconnaissance par anticorps sont présentés dans la première étude de cas.
Comptages en flux
Le comptage peut être automatisé par la détection des cellules individuelles entraînées par un flux
liquide.
34
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
Le compteur de Coulter (Coulter Counter), système de comptage automatisé de particules au cours
de l'aspiration d'un échantillon liquide, existe depuis 1956. La détection des cellules repose sur les
changements brutaux de conductivité lors de leur passage dans un orifice. Les micro-organismes
peuvent être distingués à condition que leur taille diffère suffisamment. Yoon et al. (1977) ont utilisé le compteur de Coulter pour suivre une culture mixte de la bactérie Bacillus cereus (1,20 µm) et
de la levure Candida tropicalis (3,50 µm). Lee et al. (1976) l'ont utilisé pour suivre une culture
mixte de deux bactéries : Lactobacillus plantarum et Propionibacterium freudenreichii subsp.
shermanii.
La cytométrie de flux est un système similaire fondé sur l'émission ou la diffusion de photons par
les cellules lors de leur passage devant un faisceau laser. La différenciation des bactéries peut reposer sur des fluorochromes (comme en épifluorescence) ou sur les paramètres morphologiques influant sur la diffusion de la lumière (Métézeau et al., 1994). Héchard et al. (1992) ont utilisé la différence morphologique entre les cellules de Leuconostoc mesenteroides (sphères) et de L. monocytogenes (bâtonnets) pour suivre séparément la dynamique de chaque population en culture mixte.
Apports de la biologie moléculaire
Le développement récent de la biologie moléculaire apporte des outils pour améliorer la spécificité
de toutes ces méthodes de dénombrement.
Amann et al. (1990) ont couplé la détection par sondes oligonucléotidiques spécifiques de l'ARNr
16S marquées avec un fluorochrome ou un composé radioactif avec la cytométrie de flux. Heidelberg et al. (1993) ont appliqué la même méthode pour une observation microscopique.
Wang et al. (1999) ont développé une technique originale de quantification par analyse de séquence
muliplex : il faut préciser que les deux souches présentes dans la culture mixte ne différaient que
dans une mutation ponctuelle de l'ARN 23S.
Estimation des densités de biomasse
Au lieu de dénombrer les bactéries, il est possible d'estimer la biomasse (masse bactérienne) par
unité de volume, c'est-à-dire la densité bactérienne (cf. Meynell & Meynell, 1970). La pesée de la
masse sèche est peu sensible, peu reproductible, et, par suite, peu utilisée. Mais il existe des méthodes rapides d'estimation de la densité bactérienne.
La turbidimétrie permet de suivre l'évolution de la densité optique, reliée à la densité bactérienne
par la loi de Beer-Lambert. Il existe des systèmes de mesure automatisés autorisant des acquisitions
très fréquentes au cours d'une culture en microcuves. Ces dispositifs permettent de coupler croissance et mesure en temps réel de la densité bactérienne. Pour toutes les autres méthodes de suivi de
croissance, la mesure nécessite en revanche le prélèvement d'un échantillon de culture et son analyse extemporanée.
L'avantage majeur de cette méthode est sa simplicité et sa rapidité. Mais le fait que le résultat
corresponde à une densité bactérienne totale en limite très fortement les potentialités pour le suivi
de croissance en cultures mixtes.
35
I. Etat des lieux
Zanchi et al. (1994), qui ont suivi par turbidimétrie des cultures mixtes de la microflore du rumen,
ont dû se limiter à l'analyse de cinétiques de croissance de la flore totale.
Hillman & Fox (1994) ont cultivé Escherichia coli en présence de lactobacilles dans des conditions
telles que la croissance des lactobacilles soit quasiment nulle et donc négligeable devant celle de E.
coli. La croissance de E. coli est alors évaluée par une simple mesure de densité optique. Cet artifice leur permet de simplifier le protocole expérimental ; toutefois il implique deux hypothèses
biologiques très fortes. D'une part, puisque la population de lactobacilles reste à un niveau quasiconstant mais que la population de E. coli se développe, le rapport entre souche inhibitrice et souche inhibée diminue tout au long de la culture (les données numériques fournies ne permettent pas
de quantifier ce rapport). D'autre part, les lactobacilles sont dans des conditions physiologiques
particulières si leur multiplication est nulle (latence ?). Les auteurs ne semblent pas avoir pris en
compte ces biais expérimentaux dans leur analyse des résultats.
Enfin, certaines équipes utilisent la turbidimétrie pour quantifier des interactions bactériennes en
culture pure. Ainsi, Johansson et al. (1994) ont cultivé chacune des souches étudiées en présence
d'une suspension bactérienne d'une autre souche tuée par un rayonnement UV. Parente et al. (1995)
ont cultivé chacune de leurs souches indicatrices (Lactococcus lactis, Listeria innocua ou Lactobacillus sake) en présence d'une bactériocine (lactococcine, entérocine ou leucocine extraites de surnageants de culture ou nisine commerciale). Ces méthodes ne sont applicables que dans le cas
d'études d'interactions dues à un composé inhibiteur (ou éventuellement stimulant) produit par la
souche active et pouvant être isolé biochimiquement ou conservé dans une culture tuée.
Suivi biochimique du métabolisme
Il est également possible de suivre non pas la croissance des bactéries mais leur métabolisme. Cela
présente un intérêt en cultures mixtes si les deux micro-organismes en présence produisent des
métabolites différentiables biochimiquement. Béal & Corrieu (1991) ont ainsi utilisé un dosage enzymatique pour le suivi d'une culture mixte de Streptococcus salivarius subsp. thermophilus, qui
produit de l'acide lactique L, et de Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus, qui produit de
l'acide lactique D.
De plus, de nombreux auteurs ont proposé d'utiliser des propriétés (naturelles ou induites) de fluorescence ou luminescence de l'une des populations en présence.
Kraft & Ayres (1966) ont quantifié spécifiquement la densité de biomasse de Pseudomonas (en
culture mixte avec Escherichia coli, Streptococcus faecalis ou Staphylococcus aureus) en bouillon
asparagine par une mesure de fluorescence. En effet, les Pseudomonas produisent un pigment complexe vert fluorescent : la pyoverdine.
Duffy et al. (1995) ont utilisé une quantification de la bioluminescence par un luminomètre. Ainsi,
ils ont pu suivre l'évolution d'une souche bioluminescente (transformée avec un plasmide exprimant
luxAB) de Salmonella typhimurium au milieu d'un mélange de souches non luminescentes d' Escherichia. coli, de Citrobacter freundii et de Pseudomonas flurorescens.
Skillman et al. (1998) ont transformé deux souches (Enterococcus agglomerans et E. coli ATCC
11229) par un plasmide codant pour une protéine fluorescente (GFP, pour "green fluorescent protein") d'Aequorea victoria. Après excitation dans l'ultraviolet, ces souches apparaissaient alors ver36
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
tes. Dans la validation de cet outil original de marqueur spécifique, Skillman et al. (1998) soulignent un problème important : le risque de perte du plasmide. En effet, la méthode usuelle qui
consiste à inclure un gène d'antibio-résistance dans le plasmide puis à maintenir une pression de
sélection permanente par l'antibiotique était inapplicable, puisque cet antibiotique aurait pu interférer avec la croissance de l'autre population. Skillman et al. (1998) ont quantifié la perte de plasmide et l'ont réduite en limitant la durée des expériences.
Bilan
Les techniques fondamentales en microbiologie ont été conçues initialement dans le but d'obtenir,
maintenir et suivre des cultures pures. Après avoir étudié ce paradigme d'un point de vue épistémologique, des conséquences techniques ont été mises en évidence. Ainsi, ce qui précède a permis de montrer que, puisque les techniques de suivi de culture bactérienne en milieu liquide avaient
initialement été conçues pour des suivis de cultures pures, elles ont dû être adaptées à chaque cas en
culture mixte (parfois au prix de quelques imprécisions).
I.1.3.
PROCEDES DE CULTURES
Après cet exposé sur l'aspect expérimental du suivi de croissance, ce chapitre est consacré aux travaux existants sur les cultures mixtes dans deux modèles expérimentaux particuliers : les milieux
solides (essentiellement utilisés pour mettre en évidence des interactions avec production d'un inhibiteur de croissance) et le chémostat (essentiellement utilisé pour mettre en évidence des interactions trophiques, reposant sur le concept de substrat limitant). Il apparaît que le modèle expérimental du batch2 ne peut se rattacher ni à celui de la culture en milieu gélosé ni à celui de la culture en
chémostat.
Culture en milieu solide
Aspect expérimental
Le développement des bactéries sur un milieu nutritif gélosé coulé en boîtes de Petri est non seulement un outil de dénombrement pour le suivi de cultures en milieu liquide mais également un
procédé de culture en tant que tel.
Cette méthode est très utilisée comme outil de tri rapide (screening) des interactions entre bactéries.
Différentes méthodes de mise en culture sur la gélose permettent de tester l'effet de souches
présumées inhibitrices ou stimulantes (souches actives) sur des souches présumées sensibles (souches indicatrices).
2
Comme défini dans l'introduction, le batch est le procédé de culture en milieu liquide le plus simple à mettre en œuvre,
puisque c'est un système clos (pas d'apport de substrat ni de soutirage significatif de milieu de culture).
37
I. Etat des lieux
Le protocole le plus classique est de répartir une suspension de la souche indicatrice sur la surface
et de déposer une suspension de la souche active dans un puits central. Sur les boîtes témoins, la
suspension de la souche active peut être remplacée par le milieu stérile ou une suspension d'une
souche supposée inactive (Chapuis & Flandrois, 1994). Allaker et al. (1989) ont distingué un test
"direct" et un test "différé". Dans le test direct, comme dans le protocole précédent, l'ensemencement de la souche inhibitrice dans un cercle central et celui de la souche indicatrice sur toute la surface sont simultanés. Dans le test différé, une première culture de l'inhibiteur est tuée (par exposition au chloroforme) puis la boîte est ensemencée avec l'indicateur. Ce n'est donc plus une culture
mixte au sens strict. Le but est d'examiner si l'interaction est due ou non à la diffusion d'un composé
extracellulaire. C'est également le cas d'études de l'effet d'un surnageant (ou d'un filtrat) de culture
d'une souche active sur la culture d'une souche indicatrice.
Thomas & Wimpenny (1993 ; 1996) ont également utilisé la croissance de colonies à la surface de
milieux gélosés dans le but d'étudier d'autres types d'interactions. Ce procédé de culture leur permettait de mettre en évidence des effets de proximité entre colonies (propinquity), de faire varier les
conditions physico-chimiques sur une gélose (en créant des gradients de pH ou de concentration en
sel) et enfin de constituer un modèle biologique à la croissance de la flore de détérioration et/ou de
la flore pathogène à la surface d'un aliment.
Ces flores alimentaires sont en effet généralement confinées à la surface des aliments. Toutefois,
dans certains cas comme celui de la viande hachée ou d'un aliment initialement liquide qui coagule
(fromage…), la contamination peut avoir lieu au cœur de l'aliment la croissance se faire dans la
matrice solide, sous forme de micro-colonies submergées. Chaque micro-colonie interagit avec ses
voisines en produisant des métabolites et en entrant en compétition pour les nutriments. Thomas &
Wimpenny (1996) et Wimpenny et al. (1995) ont utilisé la croissance en profondeur dans un milieu
solide (matrice d'agar ou de gélatine) comme modèle expérimental pour l'étude des interactions
entre la flore pathogène (Salmonella enteritidis et Listeria monocytogenes) et la flore de détérioration (Pseudomonas fluorescens) à l'intérieur d'un aliment. De plus certaines études in vivo peuvent
être rapprochées de ce contexte, notamment les études en matrice alimentaire.
Enfin, il existe des systèmes de culture permettant de simuler in vitro les biofilms, groupements
complexes de micro-organismes reliés par une matrice organique et adhérant à un support (lit d'une
rivière, intérieur d'une canalisation d'eau, cellules intestinales, émail dentaire, cathéters, etc.). Jones
& Bradshaw (1997) ont créé un fermenteur pour simuler la formation de biofilms à l'intérieur des
canalisations d'eau. Kinniment et al. (1996) ont utilisé un fermenteur similaire pour quantifier l'effet
d'un antibiotique sur la plaque dentaire. Ces modèles expérimentaux particuliers sont à la limite
entre milieu solide et chémostat et ne sont pas détaillés ici.
Aspect biométrique
La modélisation de la croissance des colonies à la surface de milieux solides ou de micro-colonies
en profondeur a été peu approfondie. Wimpenny et al. (1995) ont suivi la croissance de microcolonies submergées en agar de Salmonella typhimurium et Pseudomonas aeruginosa. Pendant les
12 premières heures, le nombre de cellules vivantes par colonies augmentait exponentiellement (et
le diamètre des colonies ne pouvait être mesuré). Pendant les 36 heures suivantes, le nombre de
cellules vivantes par colonies restait constant et le diamètre des colonies augmentait linéairement.
Pendant cette période, Wimpenny et al. (1995) ont supposé que la constance du nombre de cellules
38
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
résulte d'un équilibre entre mortalité au centre de la colonie et croissance exponentielle en périphérie. Après 48h, le diamètre cessait de croître. Cet arrêt de croissance en périphérie pourrait être dû
à une inhibition par les produits formés. Des hypothèses similaires ont été formulées pour la croissance de colonies sur des surface.
L'effet de l'interaction d'une souche bactérienne sur la croissance d'une autre est le plus souvent
indiqué dans les publications d'un point de vue qualitatif (sous forme d'un signe + ou -).
S'il y a une quantification de cet effet, elle peut utiliser le diamètre de la zone d'inhibition autour de
la culture de l'inhibiteur (Allaker et al., 1989 ; Fang et al., 1996). Ce paramètre permet alors de
comparer l'effet de différentes souches inhibitrices.
Parente et al. (1995), dans le cadre de leur étude de l'effet de la diffusion d'une bactériocine (entérocine, lactococcine, leucocine ou nisine) sur une souche témoin, ont proposé d'exprimer le rayon R
de la zone d'inhibition en fonction de la quantité C de bactériocine déposée selon l'équation :
R = a + b log (C)
[1]
Avec R : critère d'inhibition ; a, b : paramètres de régression estimés pour chaque couple souche-bactériocine ; C : dose de bactériocine (unité arbitraire).
Chapuis & Flandrois (1994) ont appliqué ce concept de diffusion d'un antimicrobien à une culture
mixte sur milieu gélosé. Ils ont étudié l'effet inhibiteur de Pseudomonas aeruginosa sur la croissance des colonies de différentes souches de Micrococcus spp en fonction de la distance entre souche inhibée et souche inhibitrice.
L'effet inhibiteur de Pseudomonas est dû à un agent antimicrobien de nature enzymatique. La diffusion spontanée de cette substance est supposée créer un gradient de concentration autour de la
"source" (souche productrice) :
C = C0 e −md
[2]
2
Avec C0 : concentration en antimicrobien au niveau de la souche productrice ; C : concentration en antimicrobien à la
distance d de la source ; m : paramètre de régression (cm-2) ; d : distance depuis la souche productrice de l'antimicrobien
(cm).
La biomasse de chaque colonie est supposée proportionnelle à sa surface A. Une relation linéaire
entre la concentration en enzyme C et la biomasse, donc la surface A, est proposée. Il est admis que
la croissance est totalement inhibée (surface A nulle) au contact de la souche inhibitrice (concentration maximale C0).
A = A max (1 −
C
)
C0
[3]
Avec A : surface des colonies (cm2) ; Amax : surface maximale des colonies (cm2).
La surface A peut donc être exprimée comme une fonction du carré de la distance à la source (d2) en
combinant les équations [2] et [3] :
A = A max (1 −
2
C
) = A max (1 − e − md )
C0
[4]
39
I. Etat des lieux
Culture en chémostat
Aspect expérimental
La culture continue est caractérisée par l'égalité des débits d'alimentation en milieu stérile et d'élimination du milieu de culture (et des cellules qu’il contient). La culture est rendue homogène par
agitation (Figure 1).
Entrée d'air
stérile
Entrée d'air stérile
Pompe à débit variable
Sortie d'air
Elimination du
milieu de culture
Milieu
stérile
Récipient de culture
Figure 1. Représentation schématique d'un chémostat.
Le chémostat permet d'effectuer des cultures dans un système ouvert et à l'équilibre. Il est utilisé
comme modèle expérimental en écologie (Gottschal, 1990). Freter et al. (1983) ont utilisé un
chémostat modifié pour étudier la flore anaérobie de l'intestin large de la souris. De plus, c'est un
procédé biotechnologique (Bazin, 1981) utilisé par exemple pour le traitement des eaux usées (Van
Niel et al., 1993).
Aspect biométrique
Dans un chémostat, le milieu de culture est continuellement renouvelé : le flux de milieu stérile
entrant (F in) est égal au flux de milieu de culture sortant (Fout=Fin=F). Le taux de dilution, noté D,
est le rapport entre le flux F, exprimé en unité de volume par unité de temps, et le volume de milieu
de culture.
La variation de densité de biomasse est égale à la différence entre la croissance et le soutirage :
1 dN
= ì(t) − D
N dt
[5]
Avec N : densité de population 3 à l'instant t (ufc/ml) ; D : le taux de dilution par unité de temps (h-1) ; µ(t) : taux de croissance instantané (h-1).
3
Ces modèles sont en général définis avec x, densité de biomasse (g/L). Dans un souci d'homogénéité avec l'ensemble du
document, j'ai choisi de les exprimer avec N, densité de population (ufc/ml), ce qui modifie légèrement l'interprétation du
rendement.
40
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
Le taux de croissance instantané µ(t) peut être exprimé en fonction de la concentration S en substrat
limitant d'après le modèle de Monod (1941) :
ì (t) = ì
Avec
µ max
max
S
KS + S
: taux de croissance maximum (h-1) et
KS
[6]
: constante (g.l-1).
La variation de S est égale à la différence entre l'apport par le flux entrant et la consommation avec
un rendement YN/S et le soutirage dans le flux sortant :
dS
1
= D (S0 − S)−
ì(t) N
dt
YN / S
[7]
Avec S : concentration de substrat dans le milieu de culture à l'instant t (g.l-1) ; S 0 : concentration de substrat dans le milieu stérile d'alimentation (g.l-1) et YN/S : rendement.
En remplaçant le taux de croissance instantané par son expression [6], en fonction de la concentration en substrat S, les équations [5] et [7] s’écrivent :
1 dN
=ì
N dt
max
S
−D
KS + S
1
dS
= D (S 0 − S)−
ì
dt
YN / S
[8]
max
S
N
KS + S
[9]
L'état d'équilibre est défini par des valeurs constantes de N et S . Les conditions à l'équilibre sont
calculées en résolvant le système d'équations :
dN
=0
dt
dS
=0
dt
D? 0
[10]
Les couples de solution (N, S ) sont des points fixes. Le point fixe (0, S0) (existant quelles que
soient les conditions) est appelé lessivage du micro-organisme. Les autres points fixes sont notés
~ ~
( N , S ). L'étude du système permet de conclure à la stabilité des points fixes.
La résolution (algébrique ou numérique) du système d'équations formé par les équations [8] et [9]
fournit les expressions de N et de S en fonction du temps, ce qui permet de tracer les chroniques.
Les cultures mixtes en chémostat ont fait l'objet de nombreux travaux de modélisation mathématique, principalement en ce qui concerne les interactions impliquant un substrat limitant. En particulier, la compétition pour un (ou plusieurs) substrat(s) limitant(s) a été très étudiée.
41
I. Etat des lieux
Dans le cas de la compétition simple (compétition entre deux populations pour un substrat limitant
unique) et exclusive (aucune autre interaction entre ces deux populations), les équations [8] et [9]
sont écrites pour chacune des deux espèces :
1 dN A
=ì
N A dt
1 dN B
=ì
N B dt
S
max A
KSA + S
S
max B
K SB + S
−D
[11]
−D
ì
N
ì
N
dS
S
S
= D (S 0 − S) − max A A
− max B B
dt
YN A / S K SA + S
YN B / S K SB + S
[12]
Avec N A : densité bactérienne de A (g.l-1) ; N B : densité bactérienne de B (g.l-1) ; K SA : constante KS de A (g.l-1) ; K SB : constante KS de B (g.l-1) ; µmax A : taux de croissance maximum de A et µmax B : taux de croissance maximum de B (h-1).
Ces équations ont été initialement proposées par Powell (1958) pour l'étude de la contamination
d'une culture continue par un mutant.
Le modèle peut être simplifié en introduisant le paramètre J (de la dimension d'une concentration)
spécifique de chaque souche :
J i = K Si
D
ì max i − D
i = A ou B
[13]
L'analyse mathématique du comportement asymptotique du système permet de démontrer qu'il
existe deux équilibres possibles : le lessivage de tous les compétiteurs et le lessivage d'un des deux
compétiteurs. Si la concentration en substrat limitant dans le milieu d'alimentation S0 est inférieure
aux deux valeurs de J, les deux populations sont lessivées. Sinon, la souche sélectionnée est celle
pour laquelle la valeur de J est la plus faible.
La coexistence de deux souches à l'équilibre est donc possible si les deux souches ont des valeurs
de J égales et supérieures à S0, c'est-à-dire si :
KS A
D
D
= KS B
µmax A − D
µ max B − D
[14]
Pour des valeurs fixées des paramètres µmax et KS, la condition [14] est une équation à une inconnue, le taux de dilution D.
42
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
§
Si µ max
§
les mêmes paramètres du modèle de Monod (cas d'une mutation ne portant pas sur les caractéristiques de croissance), l’équation [14] admet alors une infinité de solutions pour D.
Si µ max A > µ max B et K S A < K S B ou l'inverse, l’équation [14] n'admet aucune solution.
§
Si µ max
A
= µ max B et K S A = KS B , c'est-à-dire si les deux micro-organismes ont exactement
> µ max B et K S A > K S B ou l'inverse, les deux courbes du modèle de Monod se cou˜ qui vérifie l’équation [14]. En pratique, il
pent en un point unique. Il existe une valeur unique D
˜ , la population
est très difficile de maintenir le taux de dilution à une valeur constante. Si D < D
˜ <D<D ≅µ
A est lessivée. Si D
C
max A , la population B est lessivée. Si D > D C , les populaA
tions A et B sont lessivées.
taux de
croissance
taux de
croissance
(a)
A
(b)
A
~ ~
µ=D
B
B
S
~
S
S
Figure 2. Représentation des taux de croissance de deux populations en fonction de la concentration en substrat (modèle de Monod).
(a) µ maxA > µ maxB et K S A < KS B , (b) µ maxA > µ maxB et K S A > KS B (d'après Harder et al., 1977).
L'expérience de Meers (1971) a confirmé qu'il est possible de sélectionner chacun des deux compétiteurs en fonction du taux de dilution. Au cours d'une culture de Bacillus subtilis et Candida utilis
avec le magnésium comme facteur limitant, la modification du taux de dilution a permis d'inverser
la domination d'une espèce sur l'autre. Pour un taux de dilution D inférieur à 0,08h-1, Bacillus subtilis était lessivé alors que pour un taux de dilution supérieur, c'est Candida utilis qui était lessivé.
Hansen & Hubbell (1980) ont pu faire coexister en culture continue deux souches de Escherichia
coli ayant des paramètres de Monod différents. Le taux de dilution avait été choisi tel que les deux
souches aient une même valeur de J. Ils ont intégré numériquement le système d'équations différentielles et ont comparé les cinétiques théoriques d'évolution des populations aux cinétiques réelles.
Le modèle semble pertinent. Toutefois, le lessivage expérimental est plus rapide que le lessivage
théorique (ce qui pourrait s'expliquer par une concentration seuil de substrat en dessous de laquelle
la souche éliminée a un taux de mortalité accru). Par ailleurs, les oscillations à l'état de pseudoéquilibre témoignent, d'après les auteurs, de l'impossibilité de maintenir un débit parfaitement
constant.
43
I. Etat des lieux
Le modèle de la compétition pure et simple constitue la base de tous les travaux sur les cultures
mixtes en chémostat. Yoon et al. (1977) ont proposé une extension du modèle de Monod à la croissance d'un organisme sur un mélange de deux substrats limitants :
µ=
µ max 1S1
K1 + S1 + a 2 S2
+
µ max 2 S2
K2 + S2 + a 1S1
[15]
Avec S 1 et S2 : concentrations en substrats 1 et 2 dans le système (g.l-1) ; µ max1 et µ m a x 2 : taux de croissance respectivement en présence des substrats 1 et 2 (h-1) ; a1 , a2: coefficients sans dimension.
Ce modèle est utilisé pour 2 espèces A et B, en compétition pour les substrats 1 et 2 :
ì
ì
A
B
=
=
ì
S
max A1 1
K 1A + S1 + a 2 A S2
ì
S
max B1 1
K 1B + S1 + a 2 BS2
+
+
ì
max A 2
S2
K 2A + S2 + a 1A S1
ì
max B 2
S2
[16]
K 2B + S2 + a 1B S1
La coexistence de Bacillus cereus et Candida tropicalis obtenue expérimentalement pour des débits
compris entre 0,1 et 0,23 h-1 est cohérente avec ces résultats.
N’ont été présentés ici que les résultats les plus simples. De nombreux autres travaux ont permis
d’étudier des interactions plus complexes en chémostat, reposant toujours sur le concept de substrat
limitant.
Bilan
Comparaison milieux solides/milieux liquides
Les travaux en milieux solides/gélosés concernent des croissances bactériennes en habitats structurés, qui permettent de partitionner les ressources. En effet, ni les substrats ni les bactéries ne circulent librement à la surface ou au cœur d’une matrice solide. Les ressources disponibles pour une
colonie se situent donc dans un rayon restreint et une compétition éventuelle pour un substrat limitant entre deux colonies est géographiquement limitée. En revanche, les substances inhibitrices
peuvent diffuser et l’effet inhibiteur d’une substance diffusant au travers de la matrice peut donc
s’inscrire dans un rayon plus large. Les milieux solides sont donc essentiellement utilisés pour mettre en évidence des interactions avec production d'un inhibiteur de croissance. Toutefois, cela
n’exclut pas la prise en compte de la compétition pour les ressources trophiques. Si une bactérie
productrice de bactériocine peut inhiber dans un certain rayon toutes les bactéries sensibles autour
d'elles, elle augmente les ressources disponibles. En milieu liquide agité, en revanche, substrats,
bactéries et substances inhibitrices sont en suspension. Les notions de colonie ou d’éloignement
géographique dans un certain rayon n’ont donc plus de signification.
Comparaison milieux renouvelés/milieux clos
La culture en chémostat et le batch sont deux procédés de culture en milieu liquide mais le
chémostat permet une culture continue en système ouvert tandis que le batch est une culture discontinue en système clos. Tous les modèles mathématiques développés pour le modèle expérimen44
I.1. Cultures pures et cultures mixtes
tal du chémostat (en cultures pures et en cultures mixtes) pourraient s'appliquer à la culture en
batch, avec un taux de dilution nul (D=0). Toutefois, cette solution est rarement adoptée. L'omniprésence du concept de substrat limitant dans tous ces modèles s'explique par la stabilité des
conditions limitantes en substrat en chémostat. Or, en batch, l'importance de ce phénomène est bien
moindre. Comme cela est détaillé au chapitre suivant, la limitation par le substrat apparaît très tardivement (voire pas du tout) dans un cycle de croissance bactérienne en batch. En revanche, tout ce
qui concerne les premières phases d'un cycle de croissance (latence, accélération…) est souvent
négligé en chémostat alors que c'est primordial en batch.
Nécessité d'une approche spécifique au batch
Les différences d’approche en fonction du modèle expérimental sont donc importantes. En milieu
solide, la limitation de la croissance par les ressources s’exprime au niveau de chaque colonie, mais
pas (ou de façon très peu prise en compte) entre les colonies. C’est un modèle expérimental très
utilisé pour étudier des interactions n’impliquant pas de limitation par le substrat. En revanche, le
chémostat est très adapté au maintien d’une culture dans des conditions limitantes en substrat et par
suite à l’étude d’interactions impliquant un substrat limitant. Le modèle expérimental du batch,
présenté de manière plus approfondie au chapitre I.2., est intermédiaire et nécessitait une approche
spécifique.
45
I.2.
DYNAMIQUE DES POPULATIONS
BACTERIENNES EN BATCH
Avant de s’intéresser aux concepts et méthodologies des cultures mixtes en batch, il s’est avéré nécessaire de rappeler quelques données de base sur la dynamique des populations bactériennes. En effet,
l'étude des cultures mixtes en batch n’aurait pas été possible sans une bonne connaissance a priori des
cinétiques de croissance en culture pures.
I.2.1.
CINETIQUES DE CROISSANCE EN BATCH
L'étude des cinétiques (du grec χινε τιχοσ, entraînant le mouvement) est une branche de la science
consacrée aux évolutions au cours du temps et aux mécanismes de procédés physiques, chimiques
ou biologiques. En microbiologie, Panikov (1995) déplore qu'elle se limite parfois à un enregistrement "passif" de la croissance alors qu'au contraire elle devrait selon lui percevoir les différents
phénomènes physiologiques (la croissance bien sûr, mais aussi la survie, les adaptations, les mutations, les cycles cellulaires, les interactions avec l'environnement et d'autres organismes) et les
mécanismes sous-jacents au travers de mesures expérimentales et de modélisation mathématique.
Batch et champs d'application de la microbiologie
Les micro-organismes sont très diversifiés et présents dans tous les biotopes où on les a cherchés.
Ainsi, la microbiologie est une discipline très large, regroupant de nombreuses spécialités, et qui
entretient des relations étroites avec d'autres disciplines biologiques fondamentales comme l'écologie, la biochimie, la génétique, la biologie moléculaire etc., ou plus appliquées comme la médecine,
l'agriculture, les sciences alimentaires, etc.
Les procédés de culture bactérienne occupent une place centrale dans toutes ces disciplines. L'importance de la modélisation de la croissance bactérienne en batch et, plus généralement, de la place
de la biométrie en bactériologie est ici présentée pour les différents champs d'application de la microbiologie.
Microbiologie alimentaire
De nombreux procédés de production d’aliments impliquent l’introduction de micro-organismes
utiles (flore technologique). C’est le cas de tous les aliments traditionnels dont la fabrication repose sur une fermentation lactique (yaourt), alcoolique (boissons alcoolisées)… De plus, certains
micro-organismes peuvent altérer le produit (flore de détérioration). Enfin, un aliment peut être
contaminé par des micro-organismes dangereux pour la santé du consommateur (flore pathogène).
En bactériologie alimentaire, le batch est le modèle de choix pour étudier la croissance d’une de ces
flores dans un aliment, ce qui correspond au fait que des conditions limitantes en substrat ne sont
que très tardivement atteintes dans un aliment.
46
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch
Au début des années 1980, l'utilisation des outils biométriques en microbiologie alimentaire (plus
particulièrement en hygiène et sécurité alimentaire) a connu un nouvel essor. Il s'agissait de construire un modèle de description de l'évolution d'une population bactérienne, pour ensuite réaliser des
prédictions de ce développement dans de nouvelles conditions environnementales (Mc Meekin et
al., 1993). En 1983, Roberts & Jarvis ont qualifié cette démarche de microbiologie prédictive ou
prévisionnelle (predictive microbiology). Le principe à la base de la microbiologie prévisionnelle
est la prédiction de l’évolution d'une population bactérienne dans des conditions environnementales
données à partir d'observations passées (Ross & Mc Meekin, 1994 ; Rosso, 1995). Il est alors envisageable de prédire l'évolution d'une flore pathogène dans un aliment.
Microbiologie industrielle
La microbiologie alimentaire a été ci-dessus réduite au contrôle de l'hygiène et de la sécurité alimentaire. C'est oublier tout ce qui concerne les biotechnologies alimentaires, qu'on peut rattacher à
l'ensemble plus large de la microbiologie industrielle. Le batch est le procédé de culture le plus
simple. Quoique d'autres procédés industriels aient été développés (comme le fed-batch, très adapté
aux cultures à hautes densités), il reste le procédé le plus courant, surtout dans des systèmes artisanaux.
Ecologie microbienne
Les écologues étudient les écosystèmes de l'environnement (mer, sol, etc.). Des modèles expérimentaux leur permettent de simuler ces écosystèmes à l'échelle du laboratoire afin de mieux les
comprendre. Le batch permet ainsi de reconstituer la colonisation par une population bactérienne
d’un milieu riche en substrat et initialement axénique, tandis que le chémostat est plutôt utilisé pour
simuler la survie d’une population bactérienne dans des conditions limitantes en substrat.
Microbiologie médicale
L'étude des écosystèmes naturels des mammifères (flores nasale, cutanée, buccale, intestinale, vaginale etc.) se rattache en théorie à l'écologie mais concerne plus les champs de la médecine humaine
et vétérinaire. Le procédé de culture en batch peut être ponctuellement utilisé mais il est beaucoup
moins adapté que le chémostat à reconstituer des phénomènes physiologiques.
En revanche, en bactériologie diagnostique, la grande majorité des tests en milieux liquides peuvent
être assimilés à des cultures en batch.
Schéma de la croissance
La culture en batch permet de suivre tout le cycle d’une population bactérienne. Ce cycle est
généralement représenté sous forme d’une courbe de croissance correspondant au suivi de la population (densité de population N) ou au suivi de la biomasse (densité de biomasse x), éventuellement
après transformation logarithmique, en fonction du temps.
Une des premières observations biométriques de la croissance bactérienne est due au bactériologiste
anglais Ward qui fut le premier, en 1895, à représenter des données expérimentales de croissance
47
I. Etat des lieux
sous forme graphique (cf. Penfold, 1914). Il introduisit le concept de temps de génération (temps
mis par la population pour doubler) et identifia deux groupes de facteurs influant sur le temps de
génération : facteurs internes (âge du filament, viabilité, pouvoir de germination des spores) et facteurs externes (température, luminosité, quantité de nutriments). La même année, en Allemagne,
Müller (1895) établit l'existence de la phase de latence dans le développement des cultures bactériennes et distingua la phase de croissance exponentielle et la décélération.
Buchanan (1919) a décomposé la cinétique de croissance d'une population en sept phases selon un
schéma aujourd'hui classique. La Figure 3 reproduit le dessin historique de Buchanan, où chaque
point représente l'intersection entre une courbe et un segment, c'est-à-dire la transition entre deux
phases. Bien que datant de 1919, cette représentation est très proche des schémas actuels de courbes
de croissance en batch.
logarithme du nombre de bactéries
10
d
e
f
c
5
g
b
0
0
a
10
20
Unités de temps
30
Figure 3. Phases de la croissance bactérienne en milieu liquide non renouvelé. D'après Buchanan (1919).
Sont reproduites ci-dessous les descriptions des sept phases par Buchanan, dans une traduction littérale. Même si le vocabulaire peut sembler inadapté, cette décomposition est encore d'actualité.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Phase stationnaire initiale. Durant cette phase, le nombre de bactéries reste constant et le tracé est une ligne droite
parallèle à l'axe des x indiqué par 0-a.
Phase d'accélération positive de la croissance. Durant cette phase, le taux moyen de croissance par organisme
augmente avec le temps, ce qui correspond à la courbe a-b. Cette augmentation du taux de croissance par organisme ne continue pas indéfiniment mais seulement jusqu'à un certain point déterminé par le temps de génération
minimal moyen dans les conditions de l'expérience.
Phase de croissance logarithmique4 [sic]. Durant cette phase, le taux de croissance par organisme reste constant,
en d'autres termes, le temps de génération moyen est maintenu à son minimum tout au long de cette période. Cela
correspond à la ligne droite b-c.
Phase d'accélération négative de la croissance. Durant cette phase, le taux de croissance par organisme décroît,
c'est-à-dire que le temps de génération moyen augmente. Le nombre de bactéries continue à augmenter mais moins
rapidement que durant la phase de croissance logarithmique. C'est la courbe c-d.
Phase stationnaire maximale. Durant cette période, il n'y a aucune augmentation du nombre de bactéries. Le tracé
est la ligne droite d-e, parallèle à l'axe des x. Le taux de croissance par organisme est nul et le temps de génération
moyen infini.
Phase de mort accélérée. Durant cette période, le nombre de bactéries décroît, d'abord lentement puis de plus en
plus vite, jusqu'à l'établissement d'une phase de mortalité logarithmique. Le taux de mortalité par organisme augmente jusqu'à un certain maximum. Cela donne la courbe e-f.
Phase de mortalité logarithmique5 [sic]. Durant cette phase, le taux de mortalité par organisme reste constant,
cela correspond à la ligne droite f-g.
D'après Buchanan (1919).
4
5
L'expression actuelle est phase de croissance exponentielle ou quasi-exponentielle.
L'expression actuelle est phase de décroissance exponentielle ou quasi-exponentielle.
48
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch
Cette représentation est très schématique et de telles courbes de croissance sont rarement obtenues
en pratique. L’interprétation d’une courbe de croissance nécessite en fait une étude plus approfondie de chacune de ces phases, ce qui a fait l’objet de nombreux travaux tout au long du XXème
siècle.
I.2.2.
MODELISATION DE LA CROISSANCE
Biométrie et modèles
Définition du modèle
La démarche biométrique est placée, selon Tomassone et al. (1993), sur un "triplet" méthodologique, défini par :
§ un objectif scientifique susceptible d'être atteint,
§ un modèle choisi pour l'atteindre,
§ un corpus de données expérimentales.
Ainsi, le modèle mathématique est au centre de l'utilisation des outils de la biométrie. Il s'agit de
représenter une réalité de nature aléatoire et, au moyen de l'observation et du modèle, de déduire
des lois -ou certains éléments des lois- qui gouvernent cette réalité (Huet et al., 1992).
La notion de modèle permet de mettre en évidence la distinction entre objet biologique étudié et
objet mathématique symbolique (Pavé, 1994). Un modèle est une représentation simplifiée de la
réalité, décrivant un phénomène, en facilitant la prédiction ou l’estimation et permettant parfois
l'analyse des mécanismes à l'origine. Toute la réalité ne pouvant être modélisée, un choix doit être
fait sur la partie de la réalité à modéliser. L'espace du modèle est alors défini (Witzjes, 1996). Ceci
implique que les informations qui pourront être extraites de la modélisation ne seront valables que
pour l’espace choisi (Tomassone et al., 1993).
Modèles empiriques et modèles mécanistes
Deux types de modèle sont classiquement distingués : les modèles empiriques et les modèles mécanistes (Brown & Rothery, 1993).
Les modèles empiriques sont construits pour décrire le mieux possible un nuage de points (Pavé,
1994 ; Brown & Rothery, 1993). L’utilisation de ces modèles est essentiellement pratique : il s’agit
par exemple de prédire le temps au bout duquel la densité bactérienne aura dépassé un seuil donné.
L’information sur les processus expliquant les phénomènes observés est inexistante. Ces modèles
sont de type “boîte noire” (Witzjes, 1996 ; Pavé, 1994). Ils correspondent en général à une démarche phénoménologique, fondée uniquement sur l'observation des effets et non sur la compréhension
des mécanismes. En revanche, les modèles mécanistes sont construits à partir d’hypothèses expliquant les processus donnant lieu aux phénomènes observés.
Le choix entre ces deux types de modèle est guidé par l’objectif donné à la modélisation (Pavé,
1994). Les modèles mécanistes sont souvent plus compliqués et plus difficiles à manier que les
49
I. Etat des lieux
modèles empiriques (Heitzer et al., 1991). La grande majorité des modèles développés ici sont empiriques.
Modèles de dynamique
Les modèles de dynamique décrivent l'évolution de la densité bactérienne en fonction du temps. En
microbiologie prévisionnelle, l'expression "modèle primaire" est souvent utilisée.
Ces modèles peuvent être utilisés pour des données issues d'un dénombrement (et donc exprimées
en termes de population) ou de mesures turbidimétriques (et donc exprimées en termes de densité
de biomasse). Par souci d'homogénéité, tous les modèles seront exprimés pour l'ensemble du document en se plaçant dans le cas d'un suivi de la densité de population (exprimée en ufc/mL) notée N.
Toutefois, il est évident que ces modèles existent également en se plaçant dans le cas d'un suivi de
la densité de biomasse (exprimée en g/L) notée x.
Les modèles de dynamique usuels sont de la forme :
N ( t )= f(θ, t )+ ε t
[17]
Avec N(t) : densité de population bactérienne (ufc/mL) ; t : temps (h) ; θ : vecteur des paramètres de croissance et εt : erreur associée
à l'observation N(t).
Cette présentation se limite aux modèles de dynamique de croissance (c'est-à-dire en excluant les
modèles de dynamique de décroissance prenant en compte les phases 6 et 7 de Buchanan).
Modèles de Buchanan (1919)
Outre sa décomposition de la courbe de croissance en 7 phases, Buchanan (1919) a proposé une
approche modélisatrice, qui me semble annoncer tous les modèles développés par la suite au cours
du XXème siècle.
Buchanan (1919) définit une équation générale :
b = Be
µkt
[18]
Avec b : nombre de bactéries ; B : nombre initial de bactéries ; µ : coefficient variable d'une phase à l'autre ; k : constante ; t : temps.
Pour chaque phase, Buchanan propose une équation son paramètre µ (à ne pas confondre avec le
taux de croissance, généralement symobolisé par la même lettre grecque).
50
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch
Phase de croissance
Equation
Phase stationnaire initiale.
µ=0
Phase d'accélération positive de la croissance.
µ = tn-1
Phase de croissance logarithmique.
µ=1
Phase d'accélération négative de la croissance.
µ = t-n-1
Phase stationnaire maximale.
µ=0
Par rapport aux notations usuelles, on reconnaît la densité de population b, habituellement notée
N(t) ; la densité initiale B, habituellement notée N0 et un taux de croissance instantané ( µk ) qui
varie entre 0 et le taux de croissance maximum k, habituellement noté µ max .
Modèles exponentiels (avec ou sans latence)
Le modèle de dynamique de croissance le plus simple est le modèle exponentiel [19] classiquement
utilisé par les microbiologistes pour mesurer le taux de croissance d'une culture microbienne. C'est
une approximation couramment acceptée pour la phase 3. Toutefois le choix des points expérimentaux à prendre en considération (c'est-à-dire l'élimination des points des phases 1, 2, 4 et 5) est souvent subjectif.
N(t)= N 0 e
µ max t
+ εt
[19]
Avec N0 : population bactérienne initiale (ufc/mL) et µmax : taux de croissance maximal(h-1).
Il est possible d'ajouter une latence à ce modèle exponentiel pour décrire les phases 1 et 3 (sans
transition, c'est-à-dire sans phase 2).
N(t)= N 0 + ε t si t < lag
N(t)= N 0 eµ max (t −lag) + ε t si t ? lag
[20]
Il est courant d'utiliser la transformation logarithmique de ces modèles. Cela répond à une demande
de simplification (le modèle linéaire étant mieux maîtrisé dans la communauté scientifique) mais
dans le cas des dénombrements sur boîtes de Petri, la justification statistique est pertinente. En effet,
plus la suspension bactérienne est diluée avant étalement, plus l'erreur associée au dénombrement
est élevée. Au cours d'une croissance, cette erreur augmente donc et la transformation logarithmique permet de réduire l'hétéroscédasticité des observations.
Le modèle [19] devient alors :
ln (N(t)) = ln(N 0 ) + µmax t + ε t
[21]
Le modèle [20] devient alors :
ln (N(t)) = ln(N 0 ) + ε t si t < lag
ln (N(t)) = ln(N 0 ) + µmax (t − lag) + ε t si t ? lag
[22]
51
I. Etat des lieux
Modèles sigmoïdes
Au début des années 1990, de nombreuses équipes en microbiologie prévisionnelle ont utilisé des
modèles décrivant par une sigmoïde (fonction de Gompertz ou fonction logistique) la courbe de
croissance en coordonnées semi-logarithmiques. Ces fonctions sont dites modifiées car la variable
expliquée est le logarithme népérien de la variable d'intérêt. Ces équations ont ensuite été reparamétrées par Zwietering et al. (1990).
ln (N(t)) = E + Dexp {− exp[−b (t − M)]}+ ε t
[23]
Equation de Gompertz modifiée non reparamétrée
ln
N(t)
µ maxe1
(lag − t )+ 1 ? + ε t
=
Aexp
−
exp
√
N0 ↵
A
?
[24 ]
Equation de Gompertz modifiée reparamétrée
ln (N(t)) = E +
D
+ε
1 + exp[−b (t − M)] t
[25]
Equation logistique modifiée non reparamétrée
ln
N(t)
√=
N0 ↵
A
4µmax
(lag − t )+ 2 ?
1 + exp
?
A
+ εt
[26]
Equation logistique modifiée reparamétrée
Du fait même de la forme de ces modèles, aucune phase exponentielle à proprement parler n'est
décrite. Ainsi, le taux de croissance instantané (c'est-à-dire la dérivée du logarithme népérien) n'atteint son maximum qu'au point d'inflexion. Le taux de croissance et le temps de latence estimés par
ajustement de ce type de modèle sont par conséquent systématiquement surestimés.
De même qu'il n'y a pas de phase exponentielle sensu stricto, ces modèles ne permettent pas de
séparer d'une part l'accélération et d'autre part la décélération. Or il n'y a aucune raison biologique
que ces deux phénomènes soient dépendants.
Enfin, ce sont des modèles statiques décrivant explicitement la croissance bactérienne en conditions
constantes. Ils sont donc inutilisables en conditions dynamiques (avec un profil de changement des
conditions environnementales au cours du temps).
Modèles de Baranyi et de Rosso
Pour ces différentes raisons, une autre famille de modèles de croissance a été construite. Il s'agit de
modèles dynamiques, fondés sur une équation différentielle (ou un système d'équations différentielles), de la forme :
52
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch
1 dN
= µ(t) 6
N dt
[27]
Avec µ(t) : taux de croissance instantané (h-1)
Ainsi, le modèle le plus simple (modèle exponentiel) peut s'écrire :
1 dN
= ì (t) = ì
N dt
max
[28]
L'expression "taux de croissance maximal" renvoie au fait que le taux de croissance instantané
n'atteint son maximum (µmax) que lorsque les effets de l'accélération deviennent négligeables mais
que les effets de la décélération le sont encore. Le modèle [28] peut être modifié de façon à décrire
de façon continue les phases de croissance (phases 1 à 5 de Buchanan). Ainsi, le taux de croissance
peut être multiplié par une fonction d'adaptation pour prendre en compte la latence et l'accélération
(phases 1 et 2) et/ou par une fonction de freinage pour prendre en compte la décélération et la phase
stationnaire (phases 4 et 5). Le taux de croissance instantané s'écrit donc ainsi :
ì (t) = ì
max
á ( t ) f ( N)
[29]
Avec α(t) : fonction d'adaptation et f(N(t)) : fonction de freinage.
Baranyi & Roberts (1994) ont proposé une fonction d'accélération qui est aujourd'hui largement
reprise .
α(t) =
q(t)
1 + q(t)
[30]
La variable q(t) représente l'état physiologique des cellules, supposé suivre une croissance exponentielle.
1 dq
=ν
q dt
[31]
En conditions constantes, [30] devient :
q0 e νt
α(t) =
1 + q0 e νt
[32]
Baranyi & Roberts (1994) ont proposé de fixer le paramètre ν égal à µmax. Par la suite, cette fonction α(t) sera utilisée sous le nom d'accélération de Baranyi.
Rosso (1995) a proposé une autre formulation de cette accélération :
á (t) =
1 − e −ña t
1 + e −ñ a ( t −lag )
[33]
Avec ρa (h-1) un réel positif qui peut être considéré comme le taux d’adaptation, c’est-à-dire la transition entre les aptitudes métaboliques initiale et finale.
6
En notant N l'espérance de N(t). Le terme d'erreur n'apparaît donc pas explicitement.
53
I. Etat des lieux
La fonction de décélération largement utilisée est le freinage logistique :
f(N(t)) = 1 −
N(t)
N max
[34]
Il serait également envisageable d'utiliser l'équation de Monod :
f(S) =
S
KS + S
[35]
Toutefois, cela nécessiterait un suivi biochimique de la concentration en substrat. De plus, le
concept de "substrat limitant" ne s'applique à l'entrée en phase stationnaire que dans un nombre limité de cas.
En utilisant la fonction d'accélération de Baranyi et la fonction de freinage logistique dans l'équation différentielle [29], un modèle de dynamique de croissance peut être intégré formellement. Par
la suite, ce modèle de croissance intégré sera utilisé sous le nom de modèle de Baranyi.
Notions de paramètres
L'ajustement d'un modèle de dynamique de croissance à une cinétique consiste donc en l'estimation
de 4 paramètres : temps de latence (lag), taux de croissance maximal (µmax), densité bactérienne de
l'inoculum (N0) et densité bactérienne finale ou capacité maximale (Nmax). Par convention, ils sont
nommés "paramètres de cinétiques". Parmi ces quatre paramètres, seuls deux sont inhérents à la
souche étudiée : le temps de latence (lag) et le taux de croissance maximal (µmax). En effet, la densité bactérienne initiale (N0) est contrôlée par l'expérimentateur et la densité finale dépend de la
densité initiale, puisque seul le rendement de croissance est inhérent à la souche. Par convention, je
nomme "paramètres de croissance" le temps de latence (lag) et le taux de croissance maximal
(µmax).
Modèles de prise en compte des contraintes environnementales initiales
Les modèles de prise en compte des contraintes environnementales décrivent l'influence des facteurs environnementaux sur les paramètres de croissance : temps de latence (lag), taux de croissance
maximal (µmax ou, plus simplement, µ). En microbiologie prévisionnelle, on utilise souvent l'expression "modèle secondaire".
On peut distinguer les modèles polynomiaux multifactoriels dans lesquels les paramètres n'ont aucune signification biologique ou graphique, les modèles descriptifs utilisant des paramètres ayant un
sens biologique ou graphique mais pas de base mécaniste et les modèles mécanistes fondés sur une
hypothèse biologique.
54
I.2. Dynamique des populations bactériennes en batch
Modèles de prise en compte des états
Les modèles de prise en compte des états décrivent l'influence de l'histoire de l'inoculum sur les
paramètres de croissance : temps de latence (lag), taux de croissance maximal (µmax).
Leur développement est récent (Bréand et al. 1997 ; 1999 ; Augustin et al., 2000).
55
I.3.
CULTURES MIXTES EN BATCH :
CONCEPTS ET METHODOLOGIES
Dès que deux populations bactériennes, A et B, sont mises en présence dans le même milieu
nutritif, deux questions se posent : "Le développement de la population A (resp. B) dépasse-til numériquement celui de la population B (resp. A)?" et "Y a-t-il un effet de la population A
(resp. B) sur le développement de la population B (resp. A)?". La première question correspond à la notion de surpassement et est liée aux concepts écologiques de fitness et d'avantage
sélectif. La deuxième question correspond à la notion d'interaction (Fredrickson, 1977).
I.3.1.
AVANTAGE SELECTIF
En chémostat, la population présentant pour une concentration donnée en substrat le moins bon
compromis entre taux de croissance maximal élevé et constante KS faible, c'est-à-dire la moins
bonne fitness pour cette concentration en substrat, est lessivée du fait de la compétition pour le
substrat limitant (cf. p. 38). En batch, les différences d'aptitudes de croissance influent également
sur l'issue d'une culture mixte. Il ne peut y avoir lessivage, mais une des deux populations peut devenir extrêmement minoritaire.
Définitions
Principes
Théoriquement, la fitness est l’adaptabilité d’un organisme donné à l'environnement. Puisqu’un
organisme peut se trouver dans un nombre illimité d’environnements différents, une étude empirique exhaustive est impossible. En pratique, les auteurs se limitent en général à un seul jeu de conditions donné7. Par ailleurs, la qualité de l’adaptation d’un organisme à un environnement n’est pas
une donnée directement quantifiable. Elle devrait théoriquement inclure un certain nombre de paramètres. Or, il est difficilement envisageable d'être exhaustif. En général, cette notion est ramenée
à celle de "succès de la reproduction", quantifiée par le taux de croissance exponentiel8 (Vinopal,
1979).
Dans le cas d'une comparaison entre souche sauvage et mutant associé, la notion de fitness relative
correspond à des comparaisons entre les deux populations.
En cultures mixtes, pour un temps de culture suffisamment long, la population ayant un taux de
croissance (même très faiblement) supérieur peut dépasser en nombre la population la plus lente.
Cela constitue un avantage dans la compétition. En absence d'interaction, l’issue d’une culture
mixte est donc la sélection de la bactérie la plus rapide, qui a un avantage sélectif.
7
Cette approche réductrice affecte la qualité de la prise en compte des effets de l’environnement.
Cette approche réductrice ne prend en compte que les phénomènes liés directement à la croissance et néglige donc ceux
liés à la survie et/ou à la mortalité.
8
56
J’ai donc choisi de définir deux notions distinctes. D’une part, la notion d’avantage sélectif repose
sur l’approche comparative entre aptitudes de croissance de différentes populations en culture pure.
Une telle approche peut permettre d’anticiper sur le succès relatif d’une population, sous
l’hypothèse d’absence d’interaction. D’autre part, la notion de surpassement repose sur le suivi de
l’évolution relative de deux populations en culture mixte. La principale explication du succès relatif
d’une population est souvent son avantage sélectif, mais ce n’est ni une condition nécessaire ni une
condition suffisante.
Notion de fardeau génétique
Suite aux progrès de la biologie moléculaire, de nombreuses études (et tout particulièrement les
travaux de l'équipe de Lenski en Californie) ont visé à déterminer l'effet d'une transformation. Ainsi, la théorie du "fardeau génétique" implique que toute introduction d'ADN réduit la fitness des
organismes recombinés en raison du coût physiologique pour le portage de cet ADN exogène (en
particulier pour la réplication à chaque division cellulaire) et la synthèse des produits (ARN puis
protéines). L'étude de Bouma & Lenski (1988) a prouvé que l'introduction d'un plasmide nonconjugatif de 4 kilobases chez E. coli a un effet négatif sur les potentialités de croissance de la souche mais qu'en 500 générations la souche transformée peut évoluer vers une meilleure fitness.
Vocabulaire
Face à une littérature essentiellement anglo-saxonne, différents problèmes de vocabulaire se sont
posés. Le Tableau 1 récapitule mes choix lexicaux.
Tableau 1. Choix de vocabulaire dans le domaine de l'avantage sélectif.
Expression
anglaise
Traductions
françaises
proposées
(traduction
retenue)
outgrow/overgrow
surpasser, dépasser en nombre, envahir, dominer, prendre le dessus
outgrowth/overgrowth
surpassement, surcroissance, dépassement, envahissement
plasmid carriage
portage de plasmide
fitness
fitness, valeur sélective
starvation
jeûne, famine
excess bagage
fardeau génétique
Intérêt fondamental
Physiologie et fitness
La notion de fitness peut être couplée à une caractérisation moléculaire et à une interprétation physiologique. Ainsi, Andersen et al. (1998) ont étudié les potentialités de croissance à la surface des
feuilles ("fitness épiphytique") de différents mutants de Pseudomonas syringae. Ils ont démontré
que le locus metXW est nécessaire d'une part à la prototrophie pour la méthionine mais aussi à la
fitness épiphytique.
57
Ce type d'études peut également permettre de rechercher la "signification" biologique de certaines
voies métaboliques. Ainsi, Chavez et al. (1999) ont montré dans quelles conditions la présence
d'une glutamate-déshydrogénase apporte un avantage sélectif à une cyanobactérie (Synechocystis).
GASP : Avantage de croissance en phase stationnaire
La capacité à détecter les carences nutritionnelles, à générer des signaux et à répondre par des changements de l'expression des gènes résulte en une différenciation cellulaire et le développement de
résistances accrues au stress. Dans un milieu riche, une culture de E. coli sature à environ 1010 cellules/mL. Après un journée d'incubation, quasiment 100% de ces cellules ont induit une réponse de
carence nutritionnelle et seraient capables de recommencer à se diviser si de nouveaux nutriments
étaient fournis. Mais si l'incubation se prolonge sur plusieurs jours, la carence nutritionnelle prolongée (jeûne) entraîne la mort de la plupart des cellules. La minorité qui survit pourrait posséder
cet avantage particulier.
Zambrano et al. (1993) ont réalisé une culture mixte en additionnant dans une culture de 1 journée
des cellules d'une culture de 10 jours. Ces cellules issues de la culture de 10 jours ont survécu plus
longtemps, en profitant au mieux des nutriments issues de la dégradation des cellules mortes. Ils ont
nommé ce phénotype l'avantage de croissance en phase stationnaire : GASP (growth advantage in
stationary phase).
L'analyse des cellules présentant le phénotype GASP a révélé qu'il s'agissait de mutations, et non
pas d'une évolution physiologique réversible. Une partie de ces mutations concerne le gène rpoS,
dont le produit est le facteur σS. Une activité décrue (mais pas annulée) du facteur σS confèrerait
aux cellules le phénotype GASP. La découverte du phénotype GASP a des implications importantes
dans l'étude des micro-organismes en carence nutritionnelle. Plusieurs études suggèrent que les
mutations conférant un avantage sélectif ont lieu plus souvent chez des cellules ne se divisant pas.
Allélopathie
Quelques modèles théoriques ont été développés pour décrire la dynamique de populations de bactéries produisant des bactériocines (Chao & Levin, 1981, Levin, 1988, Frank, 1994). Ces modèles
impliquent l'hypothèse d'un coût (c'est-à-dire d'une moindre fitness) associée à la production de
bactériocine. Ainsi, ils supposent qu'une bactérie productrice de bactériocine a un taux de croissance moindre que celui d'une bactérie identique en tous points sauf en ce qui concerne la production de cette bactériocine. Dans le cas des colicines, cette hypothèse correspond à une réalité biologique : dans une population de bactéries ayant la capacité de produire la bactériocine, une synthèse
létale (c'est-à-dire la mort de certains individus, en faible proportion) affecte seulement les bactéries
produisant effectivement la bactériocine. Cela affecte évidemment la fitness de la sous-population
productrice par rapport à l'autre sous-population, mais en raison de la très faible proportion de cellules touchées, le coût relatif de cette "synthèse létale" est faible en regard du gain lié à la mort cellulaire des cellules-cibles. Ce coût s'ajoute au fardeau génétique (coût physiologique du plasmide,
de la réplication de l'ADN, et de la synthèse des produits).
Bien que la plupart des bactériocines décrites à ce jour soient codées sur des plasmides, des opérons
codant pour des bactériocines (la sakacine P de Lactobacillus sake, la carnobactériocine de Carnobacterium piscicola, et la nisine de Lactococcus lactis) ont été trouvés sur des chromosomes ou sur
58
des transposons. Dans ce cas-là, le coût hypothétique lié au fardeau génétique est amoindri, puisqu'il n'y a plus de plasmide à "porter".
Coût de l'antibio-résistance
En présence de l’antibiotique, posséder le caractère de résistance est évidemment bénéfique à la
bactérie. Mais qu’en est-il en absence d’antibiotique ? Il peut a priori être attendu que cet avantage
ne s’exprime pas (quel intérêt y aurait-il à résister à un antibiotique absent ?) et qu'il puisse au
contraire y avoir un désavantage à la résistance.
Les mutations qui confèrent une résistance peuvent interférer avec des procédés physiologiques
cellulaires, ce qui engendre des effets négatifs. Dans le cas de caractères de résistance portés sur des
plasmides, les bactéries doivent synthétiser plus d’acides nucléiques et de protéines : cette synthèse
peut constituer un fardeau énergétique et les produits synthétisés peuvent aussi interférer avec la
physiologie cellulaire. Ainsi, en absence d’antibiotique, les souches résistantes auraient des taux de
croissance inférieurs à ceux de leurs homologues sensibles.
De nombreuses études ont effectivement montré que les souches mutantes résistantes sont moins
adaptés à des milieux sans antibiotiques que leurs souches-mères sensibles.
Une étude a en revanche mis en évidence un avantage sélectif immédiat de la résistance, même en
absence d’antibiotiques. Blot et al. (1991) ont montré que le gène de résistance à la bléomycine a un
effet positif sur la survie de E. coli en fin de phase stationnaire (jeûne). Il est supposé que le produit
de ce gène jouerait un rôle dans la réparation de l’ADN, qui est endommagé d’une part par la bléomycine et d’autre part par de longues périodes de jeûne.
D’autre part, ces études sont pour la plupart faites avec des souches naïves, qui n’ont pas évolué
avec le gène de résistance. Ces études ne prennent donc pas en compte l’adaptation à long terme de
l’hôte aux effets délétères de l’ADN étranger.
Intérêt appliqué
Contrôle des résistances aux antibiotiques
Les études fondamentales évoquées ci-dessus concernant le coût de l'antibio-résistance ont un intérêt appliqué évident. Les politiques visant à réguler le problème des pathogènes résistants par la
réduction de l’utilisation des antibiotiques reposent implicitement sur l’hypothèse que la résistance
diminuerait la fitness en absence d’antibiotiques (Schrag et al., 1997). Ainsi, quand l'OMS a proposé en 1995 de réduire, voire supprimer, l'utilisation de certains antibiotiques, ils s'attendaient à ce
que, en l'absence de ces antibiotiques, les bactéries sensibles se reproduisent mieux que les autres et
les dépassent en nombre et à ce que la résistance bactérienne disparaisse.
Or, d'après les études sur le coût de l'antibio-résistance évoquées plus haut, il n'est pas du tout automatique que la réduction voire la suppression de l'utilisation de certains antibiotiques entraîne la
diminution des résistances. On a ainsi retrouvé chez des enfants d'une crèche d'Atlanta (Etats Unis)
des souches de Escherichia coli résistantes à la streptomycine, un antibiotique qui n'est plus prescrit
depuis près de trente ans (Morell, 1997).
59
Dissémination des organismes génétiquement modifiés
Les études fondamentales sur le coût des transformations génétiques (et en particulier les notion de
coût du portage et de fardeau génétique) ont un intérêt stratégique important : en effet, il est parfois
avancé que la propagation d'organismes génétiquement modifiés (OGM) dans un écosystème naturel ne serait pas problématique puisque les OGM auraient une moindre fitness que leurs homologues naturels (De Leij et al., 1998). Or minimiser cette notion de fardeau ou montrer qu'il peut diminuer avec une évolution naturelle vient démentir cette théorie.
Enrichissement sélectif
Au-delà de ces études sur la fitness, le concept d’avantage sélectif en culture mixte recouvre un
champ beaucoup plus large d’études expérimentales. En effet, dès qu’un mélange de souches bactériennes est mis en culture, l’évolution relative d’une population par rapport aux autres peut être
étudiée.
En diagnostic médical ou contrôle qualité alimentaire, il ne suffit pas de quantifier une flore totale,
on cherche en général la présence de pathogènes précis. Or ils peuvent être masqués par une flore
normale abondante.
Pelmont (1993) compare l'isolement d'une souche à la recherche d'une aiguille dans une botte de
foin et l'enrichissement à la méthode qui consisterait à faire brûler le foin jusqu'à ce qu'il ne reste
plus que l'aiguille. Le principe est peut-être plutôt de faire courir un marathon à une foule et d'attendre que le plus rapide et/ou le plus endurant se détache du peloton. En effet, il s'agit de faire une
culture (ou des cultures successives) dans un milieu sélectif, plus favorable à la bactérie d'intérêt
qu'aux autres bactéries présentes dans le milieu initial. Ce principe vient de l'écologie microbienne
et a été développé par Beijerink et Winogradsky.
L'optimisation d'un procédé d'enrichissement passe donc par la recherche d'un milieu contraignant
(contenant des antibiotiques ou des antiseptiques par exemple) dans lequel la bactérie d'intérêt a une
meilleure fitness que d'autres bactéries présentes dans le milieu initial et de vérifier qu'il y a bien
surpassement par la bactérie d'intérêt et pas par une autre.
Biotechnologies
Pour tout procédé biotechnologique, il est important de maîtriser le produit final. Dans le cas de
procédés reposant sur une culture mixte, le rapport entre les populations dans le produit final est
souvent un paramètre stratégique, mais difficile à maîtriser. C'est en particulier important dans le
production de starters pour le yaourt (Berkman et al., 1990 ; Béal & Corrieu, 1991 ; Badran & Reichart, 1995).
Cinétiques de cocktails de souches
En microbiologie prévisionnelle, certaines équipes ont l'habitude de réaliser leurs cinétiques expérimentales non pas sur une souche pure mais sur un cocktail de souches d'une même espèce. Leur
argument est d'être ainsi plus représentatif de l'ensemble de l'espèce. Or, comme le montre Mc
Meekin et al. (1993), le taux de croissance apparent de la cinétique totale n'est pas une moyenne des
60
taux de croissance de chaque souche, mais tend vers le taux de croissance de la souche la plus rapide.
Méthodes d’analyse
Problématique
Deux approches méthodologiques sont possibles pour étudier cette question en batch : l’une fondée
sur la notion d’avantage sélectif (comparaison d’aptitudes de croissance en cultures pures), l’autre
fondée sur la notion de surpassement (évolution relative de deux populations en culture mixte). La
seconde a été souvent privilégiée, sur l’argument qu’étant donnée la faible précision sur les estimations des taux de croissance, il est difficile d’extrapoler à partir de cultures pures, en cas de faibles
différences entre les deux populations.
Approche de Vinopal (1979)
Vinopal (1979) a posé les bases de l'“analyse de cultures mixtes non-restreintes pour déterminer la
fitness de mutants microbiens”9. Selon lui, les taux de croissance ne pouvaient être déterminés
qu'avec une précision de ± 5% et il a donc considéré comme plus exploitable de suivre le ratio entre
les deux populations au cours du temps en cultures mixtes, à condition que l'on puisse distinguer les
deux souches. Le problème de la distinction entre les deux populations (cf. p. 33) se pose en effet de
manière d'autant plus accrue que les bactéries sont physiologiquement/morphologiquement proches.
Dans le cas de résistances aux antibiotiques, des milieux sélectifs de dénombrement peuvent être
utilisés.
Vinopal a souligné que le choix du procédé et des conditions de culture doit être fait en fonction des
hypothèses à tester. Il a présenté deux solutions : d'une part le chémostat et d'autre part l'enchaînement de cycles de batch. Le chémostat a été le premier modèle expérimental utilisé pour ce type
d'étude, dans les années 1950. Comme cela a été décrit, la croissance en chémostat est limitée par la
disponibilité en substrat, déterminée par le taux de dilution, et l'expérimentateur a le choix du substrat limitant. Les cultures en chémostat sont donc, selon Vinopal, bien adaptées à tester l'avantage
sélectif de mutations sur le catabolisme d'un nutriment donné ou sur la régulation des voies métaboliques en conditions de forte limitation en substrat carboné ou en substrat énergétique. Mais le
chémostat n'est pas un bon outil pour évaluer l'avantage sélectif d'autres mutations. Le batch permet
de reconstituer un cycle de vie entier (disparition du substrat, augmentation de la biomasse et de la
concentration en produits du métabolisme) mais sa durée est limitée. L’enchaînement de plusieurs
cycles de batch permet de reproduire des alternances d'abondance de substrat et de jeûne sur une
longue durée.
Quantification de l'équilibre entre populations par un rapport
En cultures mixtes, l'équilibre entre les deux populations peut être quantifié par un rapport. La notation la plus fréquemment adoptée est a:b, ce qui signifie que la densité de la
population A est égale à la densité de la population B multipliée par a/b. Il s'agit donc du
9
Analysis of unrestricted mixed cultures in determining the fitness of microbial mutants.
61
rapport entre les deux densités de populations, c'est-à-dire d'un ratio. Dès 1966, Kraft &
Ayres utilisaient cette notation pour suivre la croissance relative de Pseudomonas : "(...) S.
aureus initially outnumbered the fluorescent spoilage organisms by 100:1" ; "The initial concentration of S. aureus was nine times that of P. fluorescens" ; "Ratios of S. aureus to a mixed culture of
P. fluoresescens and P. aeruginosa were 1:1, 4:1, 9:1, 10:0.1, and 5:0" (Kraft & Ayres, 1966).
Une autre solution serait d'utiliser le rapport entre une densité de population particulière et la densité de population totale, c'est-à-dire une proportion. Sur des critères statistiques (cf. p. 95), c'est la
solution que j'ai privilégiée mais je ne l'ai pas rencontrée dans la littérature.
I.3.2.
INTERACTIONS
Il a été montré dans le premier chapitre que le terme "interaction" recouvre des phénomènes biologiques très différents en fonction du contexte. Le modèle expérimental du milieu gélosé est plutôt
dédié à l'étude d'interactions reposant sur la production de substances inhibitrices de la croissance
tandis que le modèle expérimental du chémostat est dédié à l'étude d'interactions reposant sur le
concept de substrat limitant. Dans le cas du batch, la distinction entre les différents types d'interaction est plus ténue.
Classification des interactions
Les interactions constituent un ensemble complexe de phénomènes biologiques hétérogènes dont la
classification s'est avérée nécessaire. Les effets des interactions bactériennes ont pu être observés
bien avant que leurs mécanismes ne soient expliqués. Ceci explique qu'historiquement les interactions ont été caractérisées par leurs effets apparents (approche phénoménologique) avant qu'elles ne
le soient en fonction du mécanisme biologique impliqué (approche mécaniste).
Classification phénoménologique
Dans la classification d’Odum (1953), les interactions sont répertoriées en fonction de leur effet
bénéfique (stimulation de croissance) ou défavorable (inhibition de croissance, voire mort cellulaire) sur chacune des populations impliquées. Les définitions ne sont donc pas fondées sur les
mécanismes biologiques mis en jeu mais uniquement sur les effets observables.
Tableau 2. Classification des interactions en fonction de la matrice des effets. D'après Odum (1953).
Effet de A sur B
Effet de B sur A bénéfique
bénéfique
neutre
défavorable
mutualisme ou
commensalisme
prédation ou
protocoopération a
parasitisme b
Effet de B sur A neutre
commensalisme
neutralisme
amensalisme
Effet de B sur A défavorable
prédation ou parasitisme
amensalisme
compétition
(a) Le mutualisme diffère de la protocoopération par son caractère obligatoire.
(b) La prédation diffère du parasitisme par son caractère destructeur
62
Classification mécaniste
Fredrickson (1977) a proposé une classification en fonction du mécanisme biologique impliqué. Il a
distingué interactions directes et interactions indirectes (cf. Figure 4).
Interactions directes
A
B
Milieu extérieur
facteurs physico-chimiques
adhérence à un support
substrat limitant
toxine
Interactions indirectes
Figure 4. Représentation schématique de la classification de Fredrickson (1977)
Les interactions directes impliquent obligatoirement un contact physique entre les individus. Fredrickson (1977) limite les interactions directes au parasitisme et la prédation, qui sont surtout étudiées en écologie animale. Le seul cas bien décrit en bactériologie est le parasitisme de toutes les
espèces du genre Bdellovibrio sur les bactéries à Gram négatif (Ruby, 1992).
Pour une interaction indirecte, l'effet de A sur B se décompose en une modification du milieu extérieur par A et l'effet de cette modification sur B. Le milieu extérieur peut être impliqué selon des
mécanismes très divers : modification d'un paramètre physico-chimique, compétition pour l'adhérence à un support - concept d’adhérence compétitive (Bibel et al., 1983) - ou production/élimination d'une substance.
Parmi les interactions indirectes, une grande majorité implique une substance présente dans le milieu extérieur. Une classification en fonction de la substance impliquée est ici proposée. Si cette
substance est un substrat du métabolisme de l'une au moins des populations, alors il s'agit d'interaction trophique. Si cette substance n'est métabolisable par aucune des populations en présence mais
est produite par une population et a un effet positif ou négatif sur la croissance de l'autre, alors il
s'agit d'une interaction de type interférence.
L'expression "interférence bactérienne" a été utilisée dans plusieurs contextes, et a pu prendre des
significations différentes (parfois synonyme d'interaction au sens large, parfois synonyme d'adhérence compétitive…). La définition proposée me semble toutefois correspondre à l'usage le plus
répandu.
Certains termes utilisés pour décrire le mécanisme (comme compétition) existent déjà dans la classification d'Odum. Il en résulte une grande confusion, soulignée par Bazin (1981). La classification
mécaniste est moins formelle et moins utilisée que celle d'Odum, probablement parce que la description des effets des interactions a été antérieure à leur compréhension.
La classification d'Odum, issue de l'écologie animale, est très utilisée en écologie microbienne. Les
termes de compétition et de commensalisme sont en général compris au sens "trophique" (impli63
quant un substrat limitant). En revanche, le terme amensalisme désignant une inhibition dans la
classification d'Odum n'est jamais utilisée dans le milieu médical. Le terme "interférence" lui est
préféré.
Approche expérimentale
Les interactions de type interférence peuvent être étudiées en cultivant en batch la souche indicatrice avec non pas la souche inhibitrice mais un filtrat ou un surnageant de culture inhibitrice, voire
la substance inhibitrice lorsqu'elle a été purifiée. Quoique ces protocoles visent clairement à étudier
les interactions de type interférence, elles ne seront pas envisagées de façon approfondie dans cette
étude puisqu'il ne s'agit pas de cultures mixtes mais bien de cultures pures exclusivement.
Dans une approche phénoménologique, une interaction est caractérisée par l'effet d'une population
sur la croissance de l'autre. Il me semblait donc évident que toute étude d'une interaction devrait
s'appuyer sur une comparaison de cinétiques en culture pure et en culture mixte. Toutefois, cette
approche est rarement formalisée dans les travaux expérimentaux.
Schillinger et al. (1998) ont étudié l'effet sur Listeria monocytogenes d'une souche de Lactobacillus
sake productrice de sakacine (bactériocine active contre L. monocytogenes). L'intérêt de leur étude
est qu'ils comparent la croissance de L. monocytogenes en présence de la souche inhibitrice (culture
mixte) non seulement à la croissance en absence de L. sake (culture pure) mais aussi à la croissance
en présence d'un mutant non inhibiteur de la souche de L. sake. Cela permet de distinguer l'interférence strictement due à la bactériocine des interactions trophiques (compétition pour les substrats…). Le manque de points expérimentaux pour les courbes de croissance et l'absence de formalisation rigoureuse (par exemple par l'ajustement de modèles de dynamique) n'ont pas permis une
meilleure interprétation selon une approche comparative.
I.3.3.
QUELQUES MODELES
L'approche biométrique des cultures mixtes en batch, en particulier avec prise en compte des interactions, est relativement récente. Les équipes de Baranyi (Pin & Baranyi, 1998), Van Impe (Dens
et al., 1999), ou Zwietering (Malakar et al., 1999), travaillant dans le domaine de la microbiologie
prévisionnelle, ont commencé à publier sur ce sujet au cours des trois dernières années.
Modèles de dynamique et avantage sélectif
Paramètre de fitness
Bennett et al. (1990) ont utilisé un paramètre de fitness W, ratio entre les nombres de générations de
ses deux clones.
64
N Af
√
N Ai √
↵
W=
N
ln Bf √
N Bi √
↵
ln
[36]
Avec NAi et NBi : les densités initiales des populations A et B, avec NAf et NBf : les densités finales des populations A et B.
Une valeur égale 1 indique que les deux clones ont la même fitness, une valeur supérieure à 1 indique que la souche A est un meilleur compétiteur (ce qu’en général on traduit par un taux de croissance supérieur mais pourrait aussi être l’expression d’une différence dans les phases de latence ou
stationnaire). Une valeur nulle indique que la souche B ne peut croître dans le milieu étudié.
En supposant que les phases de latence sont négligeables et que les phases stationnaires ne sont
jamais atteintes (ce qui est plausible si les repiquages sont fréquents) :
N A ( t )
√
ì t
N A (0) √
↵ = ln(e A ) = ì
W=
ln(e ì B t ) ì
N B ( t )
√
ln
N B (0) √
↵
ln
A
[37]
B
Ce paramètre fitness relative est donc indépendant du temps, c’est-à-dire du nombre de générations.
Toutefois, il est évident que plus le nombre de générations est élevé, meilleure est la précision obtenue.
Equations de Vinopal (1979)
Vinopal (1979) a construit un modèle théorique fondé sur le modèle exponentiel de croissance :
dN
=ì N
dt
⌠
N( t ) = N 0 e ì t + å t
[38]
Il a défini le temps de génération moyen g comme le temps mis par la population pour doubler.
N(g) = 2 N 0 ,
d' où
e ìg = 2,
d' où
g=
ln2
ì
[39]
De plus, il a fait l'hypothèse que la croissance de chaque souche n'est pas affectée par l'autre souche
(hypothèse de neutralisme) et que les mutations en cours de culture sont négligeables. Pour que ces
hypothèses soient acceptables, il a recommandé d'une part l'utilisation de cultures très diluées (c'està-dire que les repiquages aient lieu avant qu'il n'y aît compétition pour les ressources) et d'autre part
une première étape d'adaptation de la souche sauvage étudiée aux conditions de culture avant de
produire le mutant quasi-isogénique.
En affectant l'indice m aux paramètres de la souche mutante, et l'indice w aux paramètres de la souche sauvage, il a obtenu :
N(t)= N m (t) + Nw (t) = N0m e
µm t
+ N0 w e
µwt
[40]
65
Ce modèle peut s'appliquer tout couple de deux souches : mutante et sauvage, résistante et sensible,
ou plus généralement souche A et souche B. Par souci d'homogénéité avec le reste du document,
l'indice m (pour souche mutante) est ici remplacé par l'indice A (pour souche A) et l'indice w (pour
souche sauvage) par l'indice B (pour souche B) .
N(t)= N A (t) + NB ( t )= N0 Ae
µ At
+ N 0B e
µB t
[41]
Vinopal a ensuite défini le ratio R(t) comme la proportion entre nombre de cellules mutantes et
nombre de cellules sauvages.
µ t
N A (t) N0 A e A
=
= R 0 e(µ A − µB )t
R(t)=
N B (t) N0 eµ Bt
[42]
B
Avec R0 le ratio initial.
Après transformation logarithmique, il a obtenu :
ln (R ( t ) ) = ln(R 0 )+ (ì
A
− ì B )t
[43]
Ainsi, en traçant l'évolution du ratio en fonction du temps, il est possible de déterminer la différence
entre les taux de croissance. Vinopal recommandait de s'assurer de la linéarité du graphe, c'est-àdire qu'il n'y a pas d'inflexion, ce qui permet d'apprécier visuellement si les deux hypothèses (d'une
part neutralisme, d'autre part mutations négligeables) sont acceptables.
S'il est possible de suivre le nombre de doublements de la population totale (n), les taux de croissance peuvent alors être déterminés directement.
L'équation [43] peut être reformulée comme suit :
N( t ) = N B (0)e ì B t [1 + R ( t )] ou N( t ) = N A (0)e ì A t 1 +
1
R (t)
[44]
Or après n doublements de la population totale :
N( t ) = 2 n N(0) = 2 n [N A (0) + N B (0)]
[45]
D'après les équations [44] et [45],
ekw t =
2 n (N A (0) + N B (0) ) 2 n [R (0) + 1]
=
N B (0)[R ( t ) + 1]
[R ( t ) + 1]
[46]
Après transformation logarithmique, il a obtenu :
ln
66
2n
= ì B t − ln[R (0) + 1]
R (t) + 1
[47]
Prise en compte de la latence
Les équations de Vinopal ne prennent en compte qu’une différence sur les taux de croissance, mais
pas sur les temps de latence.
Or, comme Jameson l’écrivait dès 1962, il existe en fait quatre cas possibles :
1.
3.
lag A < lagB
µA > µ B
lag A > lag B
µ A > µB
2.
4.
lag A < lagB
µA < µ B
lag A > lag B
µA < µ B
Jameson (1962) étudiait les protocoles d’enrichissement de Salmonella. Soit A l’indice désignant la
population des salmonelles et B l’indice désignant la population de son meilleur compétiteur. Dans
le cas 1, Salmonella a un double avantage sélectif (temps de latence et temps de génération plus
courts), une culture dans le milieu étudié permettra à coup sûr d’en augmenter la proportion relative. Dans le cas 4, au contraire, Salmonella a un double désavantage sélectif (temps de latence et
temps de génération plus longs), une culture dans le milieu étudié permettra à coup sûr d’en diminuer la proportion relative. Les cas 2 et 3 sont intermédiaires. Puisque le but était de sélectionner les
Salmonella, Jameson a proposé d’exploiter chaque avantage au maximum. Ainsi, dans le cas 2 ,
pour lequel un temps de latence court est un avantage, il a proposé de faire plusieurs transferts en
inoculant un milieu neuf par une culture en phase stationnaire. Afin que le protocole ne dure pas
trop longtemps et que le désavantage d’un temps de génération plus long s’exprime le moins possible, Jameson a alors suggéré d’utiliser des inoculums forts pour réduire la durée de la phase exponentielle. Dans le cas 3, au contraire, Jameson a proposé une seule très longue culture (avec un inoculum très faible), afin de laisser s’exprimer l’avantage du temps de génération court et de minimiser les conséquences du désavantage d’un temps de latence court.
Bien que ces remarques semblent évidentes, l’avantage ou le désavantage lié au temps de latence
est souvent négligé.
Approche empirique des interactions
La plupart des auteurs qui étudient les interactions bactériennes in vitro ne proposent pas explicitement de modèle mathématique. En revanche, ils cherchent à quantifier l'effet de la présence d'une
souche sur les valeurs des paramètres de croissance d'une autre souche, ce qui signifie qu'ils admettent implicitement que les croissances suivent un modèle de dynamique de croissance classique
(ou modèle primaire). La mise en équation de cet effet en fonction de différents facteurs peut donc
être assimilée à l'élaboration d'un modèle de prise en compte des contraintes environnementales (ou
modèle secondaire).
Critères d'inhibition
Il est courant de rapporter les paramètres estimés en cultures mixtes aux paramètres estimés en
cultures pures. Ainsi, l'inhibition ou la stimulation peut être quantifiée par le rapport entre le Nmax
de la souche indicatrice en présence de la souche active et le Nmax en absence de la souche active .
Ce rapport a été utilisé comme critère de comparaison entre différents couples souche active/souche
67
indicatrice (Fang et al., 1996). Boris et al. (1969) ont utilisé ce même critère pour étudier l’effet du
rapport initial entre les souches. Hilmann & Fox (1994) ont étudié l'effet de la présence de Lactobacillus spp. sur le µ max de différentes souches indicatrices de Escherichia coli. Johansson et al. (1994)
ont utilisé deux critères d'inhibition : rapports entre µmax et Nmax en culture au contact de la souche
inhibitrice tuée (à différentes concentrations) et µmax et Nmax en culture témoin.
Modèles polynomiaux
Les travaux de Béal & Corrieu (1991) s'inscrivent dans une démarche d'optimisation d'un procédé
de culture mixte des bactéries du yaourt. Ils ont quantifié les effets des variables de contrôle (pH,
température, pourcentage de Streptococcus salivarius subsp. thermophilus dans l'inoculum mixte)
sur les paramètres de croissance (densités bactériennes finales et taux de croissance maximaux) et
les paramètres d'acidification (quantités d'acide lactique produit, vitesse spécifique de production
d'acide lactique) de chaque souche séparément et de la population totale. Un plan d'expériences
centré composite invariant par rotation a permis de développer des modèles polynomiaux du second
ordre.
Z = a0 + a1 pH + a2 θ + a3 K + a11 pH2 + a22
a33 K2 +a12 pH θ + a13 pH K + a23 θ K
θ
2
+
[48]
Avec Z : paramètre de croissance ou d'acidification ; K : pourcentage de S. thermophilus dans l'inoculum et θ : température (°C).
Leroi & Courcoux (1996), dans le cadre de leurs études sur la stimulation de la production d'acide
lactique de la bactérie Lactobacillus hilgardii par la levure Saccharomyces florentinus au cours de
la fermentation des grains de kéfir, ont utilisé un critère de stimulation fondé sur le métabolisme : le
pourcentage d'augmentation de la production d'acide lactique par Lactobacillus hilgardii en
présence de la levure par rapport à une culture témoin sans levure. Les auteurs ont dans un premier
temps construit un plan expérimental centré composite invariant par rotation pour estimer l'effet de
différents facteurs biologiques (composition du milieu, composition de l'inoculum, etc.) et physicochimiques (température, pH, etc) sur cette stimulation et en ont ensuite retenu trois : pH, température et ratio initial levure/bactérie. Ils ont construit un modèle polynomial du second ordre.
Ces modèles polynomiaux (Béal & Corrieu, 1991 ; Leroi & Courcoux, 1996) ont un intérêt technologique évident. En effet, ils permettent d’optimiser un procédé en choisissant les conditions expérimentales à partir d’une surface de réponse. Toutefois, ils présentent un intérêt fondamental pauvre puisque les paramètres n’ont aucune signification biologique ni même graphique. De plus, ils ne
permettent aucune extrapolation.
Approche de Pin & Baranyi (1998)
Pin & Baranyi (1998) ont proposé une approche beaucoup plus complexe. Toutefois, elle peut être
rapprochée de ce qui précède dans la mesure où elle utilise uniquement des modèles de dynamique
classiques et que les auteurs la définissent eux-mêmes comme purement empirique. Par ailleurs, ils
ont traité conjointement les notions d'interaction et d'avantage sélectif.
Dans un premier temps, quatre groupes d'organismes ont été cultivés séparément : groupe P (8 souches dont 3 Pseudomonas) ; groupe E (6 souches dont 2 Enterobacter agglomerants) ; groupes L
(11 souches, toutes lactiques) et groupe B (9 souches : 6 Kurthia et 3 Brocothrix). Quoique les ino68
culums soient des cocktails de souches, ces cultures ont été traitées comme des cultures pures. Le
modèle de croissance de Baranyi (cf. p. 50) a été ajusté à chacune des quatre cinétiques en "culture
pure" (modèles de type A). Dans un deuxième temps, les 32 souches ont été cultivés simultanément.
Des dénombrements sélectifs ont permis de quantifier très approximativement les cinétiques de
chacun des quatre groupes et un modèle de croissance a été ajusté à chacune des quatre cinétiques
en "culture mixte" (modèles de type B). De plus, un dénombrement non sélectif a permis de quantifier la cinétique de la population totale et un modèle "total" a été ajusté à cette cinétique.
Le fait d'ajuster un modèle de dynamique (théoriquement conçu pour le développement d'une population unique) à des cinétiques de groupes de souches a été justifié par le fait que la cinétique de
la population totale soit indissociable de celle de la population dominante.
Pin & Baranyi (1998) ont ensuite utilisé des tests de Fisher et comparé entre eux les modèles. Comparer, d'un groupe à l'autre, les taux de croissance des modèles de type A revenait à mettre en évidence des différences d'aptitudes de croissance en culture pure et par suite à caractériser un avantage sélectif. Comparer, pour chaque groupe, le modèle de type A au modèle de type B revenait à
mettre en évidence des différences éventuelles entre cinétique en culture pure et cinétique en culture
mixte et donc à caractériser une interaction. Enfin, comparer chacun des modèles de type B au
modèle total revenait à identifier le groupe dominant en culture mixte et donc à caractériser un surpassement.
L'approche de Pin & Baranyi (1998) est la plus proche de celle que j'ai proposée dans la deuxième
partie, malgré de nombreuses différences de formalisation.
Modèles de dynamique conjointe
Pour prendre en compte les interactions en cultures mixtes, les exemples cités ci-dessus utilisaient
les modèles de dynamique existants. Une autre solution est d'exprimer le taux de croissance instantané de chaque population non seulement en fonction du temps t et de sa densité bactérienne mais
aussi en fonction de la densité bactérienne de l'autre population. Il s'agit donc d'une modification au
niveau du modèle de dynamique.
De façon générale, ces équations peuvent s'écrire :
dN A
= f (N A , N B )
dt
dN B
= g( N A , N B )
dt
[49]
Ces modèles ne sont ni tout à fait empiriques, ni tout à fait mécanistes, puisque l'effet de la
deuxième population est pris en compte mais pas explicité. Comme Megee et al. (1972) l'ont proposé, ils peuvent être considérés comme des modèles phénoménologiques, reposant uniquement sur
une description de l’effet sans prise en compte du mécanisme biologique impliqué.
69
Modèle de Lotka Volterra
Volterra (1931) a étudié la "coexistence de deux espèces se disputant la même nourriture". Il suppose que la quantité de nourriture disponible est une fonction du nombre d'individus de chaque espèce (NA et NB) et que la vitesse de développement en dépend.
[
]
dN A
= å A − ã A F( N A , N B ) N A
dt
dN B
= å B − ã B F( N A , N B ) N B
dt
[
]
[50]
Avec N A (resp. N B) : nombre d'individus de l'espèce A (resp. B) ; F(NA,NB) : nourriture disponible ; εA (resp. εB) : coefficients d'accroissement de l'espèce A (resp. B) et γ A (resp. γB) : constante positive correspondant au besoin de nourriture de A (resp. B).
Indépendamment, Lotka a proposé un système d'équations très proches. Actuellement, les deux
modèles sont rassemblés sous l'expression "équations de Lotka-Volterra".
Le modèle de Lotka-Volterra est aujourd'hui repris sous diverses formes. La formulation de Brown
& Rothery (1993) permet la comparaison de ce système d'équations avec un modèle primaire à
équation de freinage logistique (cf. équation [52]).
 N + â AB N B
1 dN A
√
=ì A 1 − A
√
N A dt
N max A
↵
 N + â BA N A
1 dN B
√
=ì B 1 − B
√
N B dt
N max B
↵
[51]
Avec NA (resp. NB): population de la souche A (resp. B) (ufc/mL) ; Nmax A (resp. NmaxB): population maximale de A (resp. B) (g.l1) ; µ A (resp. µmax B) : taux de croissance maximal de A (resp. B) (h-1) et βAB et βBA : coefficients d'interaction.
 N
1 dN
√
=ì 1 −
N dt
N max √
↵
[52]
Dans les équations de Lotka-Volterra, la croissance de chaque souche est freinée par son propre
développement selon la fonction de freinage classique et par un effet de l'autre population.
Applications du modèle de Lotka Volterra à la bactériologie
En 1934, Gause a utilisé ces équations pour modéliser la compétition entre deux levures : Saccharomyces cerevisiae (A) et Schizosaccharomyces kephir (B). Les valeurs de µmax et Nmax ont été
estimés par ajustement à des données issues de cultures pures. Puis les valeurs de βAB et βBA ont été
estimés à partir de cultures mixtes.
Depuis les travaux de Gause, les équations de Lotka-Volterra ont été très peu appliquées à la modélisation des interactions bactériennes (cf. Megee et al., 1972).
70
Modèle de Dens, Vereecken et Van Impe (1999)
Vereecken et al. (1998) ont fait un inventaire de différents modèles de type Lotka-Volterra issus de
divers champs de la biologie (écologie, virologie…) et en ont analysé huit. Ils ont déploré qu'aucun
de ces modèles ne puisse être réduit à un modèle de dynamique de croissance classique dans le cas
particulier d'une culture pure et ont souligné que les modèles issus de l'écologie ne peuvent être
directement applicables à la microbiologie prévisionnelle.
Dens et al. (1999) ont par la suite proposé un nouveau modèle en combinant le modèle de Lotka
Volterra et le modèle de dynamique de croissance de Baranyi. Il peut s'écrire sous la forme de quatre équations différentielles :
qA
dN A
NA
= µmax
( Nmax − N A − α AB NB )
A
A
dt
1+ q A N max
A
qB
NB
dN B
= µmax
(N max − N B − α BA NA )
B
B
1+ q B N maxB
dt
[53]
dq A
= µ max qA
A
dt
dq B
= µmax B qB
dt
En conditions constantes, les deux dernières équations peuvent s'écrire :
q A ( t ) = q 0A e
µ max A t
q B (t) = q 0Be µmax Bt
[54]
Le système [53] s'écrit alors comme un système de deux équations :
dN A
=ì
dt
max A
q A (t) N A
( N max A − N A − á AB N B )
1 + q A ( t ) x max A
dN B
=ì
dt
q B (t)
xB
( N max B − N B − á BA N A )
max B
1 + q B ( t ) N max B
[55]
Sous certaines conditions, un équilibre stable avec coexistence des deux populations (nœud stable)
est possible. Dans ce cas, les concentrations finales des deux populations sont :
N *A =
N *B =
N max A − á AB N max B
1 − á AB á BA
N max 2 − á BA N max A
[56]
1 − á AB á BA
Les concentrations finales des deux populations ne dépendent donc pas des concentrations initiales.
Cela me semble peu réaliste.
Enfin, Dens et al. (1999) ont envisagé de nombreuses extensions à ce modèle de base, en particulier
un effet de l'interaction sur le temps de latence et une prise en compte de l'hétérogénéité spatiale.
71
Approche mécaniste des interactions
Enfin, il est envisageable de modéliser la croissance d'une population A non pas en fonction de la
densité de la population B (modèle de dynamique conjointe à deux variables d'état) mais en fonction de la concentration d'une substance particulière (modèle de dynamique conjointe à trois variables d'état).
Cette substance peut être un substrat ou un métabolite produit /utilisé par A et/ou B. Cela engendre
dans ce cas tous les modèles d'interactions trophiques, du type de ceux développés en chémostat
(mais avec D=0). De plus, cette approche est adaptée aux interactions de type interférence, avec
prise en compte d'une substance produite par B et ayant un effet caractérisé sur A.
Modèle de Lejeune et al. (1998)
Sur ce point, il m'a semblé utile de présenter des travaux sur la modélisation de cinétiques de production de bactériocines. Même si ces travaux ont été effectuées en cultures pures, l'intérêt de leur
application ultérieure à la modélisation de cultures mixtes est évident.
Le modèle de Lejeune et al. (1998) repose sur des hypothèses métaboliques (modèle mécaniste) et
les paramètres ont été ajustés à partir de données expérimentales.
La croissance de Lactobacillus amylovorus est modélisée par une croissance exponentielle, avec
freinage logistique, sans latence.
 N
dN
√
= ì N 1−
dt
N max √
↵
[57]
La consommation de glucose par Lactobacillus amylovorus est décrite par le modèle avec maintenance de Pirt.
dS
1 dN
=−
− mS N
dt
YN / S dt
-1
[58]
-1
-1 -1
Avec S la concentration de lactose (g.l ), YN/S le rendement (g.g ), et mS le coefficient de maintenance (g.g .h ).
La production d'acide lactique est décrite par :
1 dS
dP
=−
YS / P dt
dt
[59]
La production de bactériocine est décrite par une double équation. Tant qu'une certaine biomasse
critique n'est pas atteinte, la bactériocine est produite comme un métabolite primaire. Ensuite, la
production est stoppée, et l'activité décroît selon une cinétique du 1er ordre.
dC
dX
= kb
si X < X'
dt
dt
dC
= −k ' B si X > X' ou si S = 0
dt
72
[60]
Avec C le titre en bactériocine (AU.L-1), kB le taux de production (AU.g-1), k' le taux de dégradation (h-1) et X' la biomasse critique
(g.L-1).
A l'exception de Y S/L , dont la valeur a été fixée à 1 (d'après les proportions stœchiométriques puisque deux moles d'acide lactique sont formés à partir d'une mole de glucose), les valeurs numériques
des coefficients ont été ajustés d'après des cinétiques expérimentales.
Modèle de Frank (1994)
Toujours dans le cas des interactions non trophiques avec bactériocine, Frank (1994) a proposé un
modèle théorique. Les dynamiques de la population productrice et de la population sensible sont
modélisé par un système à trois variables : P, la densité cellulaires de la souche productrice, S, la
densité cellulaire de la souche sensible et C, la concentration de la bactériocine, qui est considérée
comme une molécule diffusible.
dP
(1 − á )P + S
= ì max P (1 − á ) −
dt
K
(1 − á )P + S
dS
− ä AS
= ì max S 1 −
K
dt
dC
= â P − ñC
dt
[61]
avec µmax le taux de croissance maximal des deux souches (noté γ dans l'article original) ; α : le coût de la production de bactériocine ; K : la capacité maximale du milieu ; β : la vitesse individuelle de production de bactériocine ; ρ : le taux de disparition de la
bactériocine ; δ : le taux d'efficacité létale de la bactériocine.
Par reparamétrisation, il a obtenu à partir un système sans dimension :
)
) )
)
dP
(1 − á )P + S
= ì max P (1 − á ) −
dt
K
)
) )
)
))
(1 − á )P + S
dS
= ì max S 1 −
− ä AS
K
dt
)
)
)
dC
= â P − ñC
dt
Avec
) P ) S ) ì max
P= ;S= ;C=
K
K
âK
A
; ô = ì max t ; g =
â äK
ì max
2
;b=
[62]
ñ
ì max
.
Frank a ensuite étudié l'évolution d'un tel système en utilisant la théorie des systèmes dynamiques.
L'issue dépend des trois valeurs initiales, P(0), S(0) et C(0) et de trois paramètres : α : le coût de la
δ
β
K.
production de bactériocine ; b=ρ/µmax ; g=
µ max µ max
Globalement, le système aurait tendance à évoluer vers une culture pure de productrices de bactériocines (élimination des sensibles) si les cellules P sont initialement abondantes (et les S rares) et
inversement vers une culture pure de sensibles (élimination des productrices de bactériocine) si les
73
cellules S sont initialement abondantes (et les P rares). Mais, si bα < g, il y a aussi un équilibre
mixte (point selle) où :
)
bá
P* =
g
)*
)
S = (1 − á )
1 − P* √
↵
)*
)
P
C* =
b
Frank a aussi proposé un modèle sans molécule diffusible, dans lequel la mort cellulaire d'une cellule sensible fait suite à un contact physique direct avec une cellule toxique.
Le système [61] devient :
dP
= µ max P (1− α) −
(1− α)P + S
K
dt
dS
(1 − α)P + S
−δP S
= µ max S 1−
dt
K
[63]
Le système [62] devient :
dP
= P [(1 − α) − (1 − α)P − S]
dτ
dS
= S [1 − (1− α)P − S ]− g PS
dτ
[64]
Ce modèle présente peu d'intérêt dans le cadre d'une étude des cultures mixtes bactériennes puisque
les interactions directes bactérie-bactérie sont rares. Frank a également proposé un modèle en milieu structuré hétérogène (avec prise en compte de l'espace), qui présente peu d'intérêt dans le cadre
d'une étude des cultures en batch.
Modèle de Breidt & Fleming (1998)
Breidt & Fleming (1998) ont proposé un modèle théorique fondé sur cinq équations différentielles
autonomes et ont déterminé les valeurs des paramètres par ajustement sur des cinétiques expérimentales de Lactococcus lactis et Listeria monocytogenes. Au contraire des modèles présentés cidessus, celui-ci repose sur une interaction indirecte sans bactériocine : une modification physicochimique de l’environnement. En effet Lactococcus lactis inhibe la croissance de Listeria monocytogenes en produisant de l’acide lactique et en abaissant le pH. Les variables d'état étaient au nombre de cinq : densités cellulaires des deux populations (NA : L. lactis et NB : L. monocytogenes),
concentration en acide lactique (C), concentration en ion hydrogène, ce qui correspondait au pH (P),
et concentration en acide lactique (M), pris en compte car sa fermentation par L. lactis augmenterait
le pH.
74
(
)
(
)
dN A
= N A ì A C, P, ì max A
dt
dN B
= N B ì B C, P, ì max B
dt
 C
 C
dC
+ äN B 1 − √
= ãN A 1 − √
√
dt
p1 ↵
p2 √
↵
[65]
 P
dP
dM
√
−ê
= ñC 1 −
√
dt
p11 ↵
dt
dM
= −è N A M
dt

Min 1 −

C
P
√
√
, 1−
√
H 1 (C, p 3 , p 4 ) ↵
H 2 ( P, p 5 , p 6 ) √
↵

ì B (C, P, ì max B ) = ì max B Min 1 −

C
P
√
√
, 1−
√
H 3 (C, p 7 , p 8 ) ↵
H 4 (P, p 9 , p10 ) √
↵
ì A (C, P, ì
Où
max A
)=ì
max A
[66]
Avec p3 : concentration minimale d’acide inhibitrice pour la croissance de A ; p4 : concentration minimale d’acide inhibitrice pour le
métabolisme de A ; p5 : concentration minimale en ions hydrogène libres pour la croissance de A ; p6. (concentration minimale en
ions hydrogène libres pour le métabolisme de A ; p7 : concentration minimale d’acide inhibitrice pour la croissance de B ; p8. :
concentration minimale d’acide inhibitrice pour le métabolisme de B ; p9 : concentration minimale en ions hydrogène libres pour la
croissance de B et p10. concentration minimale en ions hydrogène libres pour le métabolisme de B.
Breidt & Fleming (1998) ont associé des déterminations des paramètres à partir de cultures pures et
à partir de cultures mixtes.
Modèle de Malakar et al. (1999)
Dans les travaux de Martens et al. (1999) et Malakar et al. (1999), cinq variables d'état sont également présentes : les densités cellulaires des deux populations (A : Lactobacillus curvatus et B : Enterobacter cloacae), le pH, la concentration en substrat limitant (glucose) et la concentration en
inhibiteur (acide lactique). Leur approche est assez similaire à celle de Breidt & Fleming (1998)
mais ils ont pris en compte la compétition pour le substrat limitant et ont clairement séparé d'une
part l'estimation des paramètres à partir de cultures pures (Martens et al., 1999) et d'autre part l'utilisation du modèle en prédiction (Malakar et al., 1999).
75
En reprenant mes notations usuelles, leur modèle peut être formalisé ainsi :
0 si t ≤ lag A
dN A

=
N A ì opt A
dt
S
4(pH − pH min A )(pH max A − pH)
K SA + S
(pH max A − pH min A )
2
− a P √ si t > lag A
√
↵
0 si t ≤ lag B
dN B
4(pH − pH min B )(pH max B − pH)
S
=
N B ì opt B
si t > lag B
dt
K SB + S
(pH max − pH min ) 2
B
dP
=
dt
pH =

ì opt A
S
4(pH − pH min A )(pH max A − pH)
K SA + S
(pH max A − pH min A )
2
− a P√
√
↵
Y AS
√
√
+ m P √N A
√
√
√
↵
pH 0 + b P
1+ c P

ì opt A
dS
=−
dt

ì opt B
−
B
S
4(pH − pH min A )(pH max A − pH)
K SA + S
(pH max A − pH min A )
Y AS
S
4(pH − pH min B )(pH max B − pH)
K SB + S
(pH max B − pH min B ) 2
Y BS
2
√
− a P√
√
√
↵+ m √N
A√ A
√
√
↵
[67]
√
√
+ m B √N B
√
√
↵
Avec a, b et c : paramètres de régression.
L'adéquation entre cinétiques prédites d'après les cultures pures et cinétiques expérimentales obtenues en cultures mixtes est satisfaisante. Cette approche présente donc des potentialités intéressantes pour une utilisation en prédiction, ce que ne permettrait aucun des modèles empiriques envisagés. D'après les auteurs, l'approche mécaniste déployée ici conduirait à un modèle plus simple
qu'une approche empirique. Il me semble néanmoins que la démarche mise en œuvre a été de
grande ampleur et qu'il serait difficilement envisageable de mettre en pratique une approche aussi
lourde pour chaque couple de souches particulier.
Le développement de méthodes pour le suivi et la modélisation des cultures mixtes est donc actuellement
en cours dans de nombreuses équipes travaillant la dynamique des populations bactériennes. L'approche
méthodologique que je propose est présentée dans la deuxième partie.
76
77
PARTIE II
DEVELOPPEMENTS
METHODOLOGIQUES
"Die Methode ist alles."
Proverbe allemand
78
79
II.1.
REGRESSION NON-LINEAIRE
ET SUPERFIT
Comme cela a été présenté dans le chapitre I.2., une part importante du travail dans le domaine de la
modélisation de la croissance bactérienne en batch consiste en des ajustements de divers modèles (souvent non-linéaires) à des jeux de données. Pour cette raison, l’équipe "Dynamique des populations bactériennes" a travaillé depuis plusieurs années sur un programme de régression non-linéaire, ce qui a
donné naissance au programme Superfit, en Fortran 90. L’évolution du parc informatique a conduit à une
réécriture de ce programme en Mathematica. Une nouvelle édition de Superfit a donc été réalisée dans le
cadre de cette thèse. Cette partie a donné lieu à une communication orale aux journées de la Société
Française de Biologie Théorique et à la création d'un site Internet présentant le programme Superfit pour
Mathematica.
II.1.1.
APPROCHE THEORIQUE
Modèle de régression non-linéaire
La régression
La notion de modèle a été présentée dans la première partie. En statistique, le mot régression désigne un type de modèles bien précis. L'analyse des résultats d'une expérience relève de l'emploi d'un
modèle de régression lorsque chaque observation de la variable de réponse (ou variable expliquée)
peut être représentée comme la somme d'un terme systématique dépendant de la valeur prise par
une variable de contrôle (ou variable explicative ou régresseur) ou plusieurs et de la réalisation
d'une variable aléatoire (erreur).
y i = f(θ0 ,x i ) + ε i pour i=1,…,n
[68]
Avec y i : la i-ème réponse observée ; θ0 : le vecteur, de dimension p, des "vrais" paramètres du modèle, xi : le i-ème vecteur de dimension q des variables de contrôle testées, f(θ0,xi) : la i-ème réponse sous le modèle "vrai" et εi l'erreur associée.
En notation vectorielle, on peut écrire pour n observations :
y = η(θ0 ) + ε
[69]
avec y : le vecteur, de dimension n, des réponses, η(θ0) : le vecteur de composantes f(θ0,xi), i=1,…,n et ε : le vecteur centré, de dimension n, des erreurs.
L'objet de la régression est donc de modéliser et d'étudier sous tous les aspects la relation entre cette
variable de réponse et la (ou les) variable(s) explicative(s) (Antoniadis et al., 1992).
80
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
La non-linéarité
Il s'agit ici de non-linéarité "intrinsèque", c’est-à-dire de la non-linéarité liée aux paramètres du
modèle : l'une au moins des p dérivées partielles du modèle par rapport aux paramètres dépend d'un
sous-ensemble des p paramètres.
Et Superfit ?
Le programme Superfit est écrit en langage Mathematica 4.0 (Wolfram Research). Ce programme
est issu d’un travail réalisé depuis plusieurs années au sein de l’équipe de "Dynamique des Populations Bactériennes", du Laboratoire de Biométrie - Biologie Évolutive (UMR CNRS 5558) de
l’Université Claude Bernard Lyon1. Il n’aurait pu voir le jour sans le travail préalable de Jean Lobry, Laurent Rosso, Françoise Guérillot, Catherine Chapuis, Marie Laure Delignette-Muller et Emmanuel Zuber et la collaboration de Sandrine Charles-Bajard et Sophie Bréand.
Superfit est un programme d'ajustement d'un modèle à un jeu de données expérimentales. Il a été
particulièrement adapté aux problèmes particuliers posés par la régression non-linéaire mais peut
également être utilisé pour l'ajustement d'un modèle de régression linéaire.
Ajustement d'un modèle de régression non-linéaire
Hypothèses
L'analyse d'un modèle de régression linéaire dépend des hypothèses suivantes (Antoniadis et al.,
1992) :
§ Le vecteur θ0 des "vrais" paramètres inconnus appartient à un ensemble Θ de Rp, d'intérieur
non vide. Pour toute valeur fixée des régresseurs, la fonction η(θ0) est injective et deux fois
continûment dérivable en tout point intérieur à Θ.
§ Les composantes εi, i=1,…,n, sont des variables aléatoires non corrélées, de moyenne nulle et
2
de variance σ .
Cette dernière hypothèse modélisant l'erreur permet de rendre compte de la nature aléatoire des
phénomènes étudiés. La formulation énoncée ici est la moins forte. L'étude des propriétés asymptotiques impose de remplacer l'hypothèse de non-corrélation des erreurs par l'hypothèse d'indépendance des variables aléatoires εi et à supposer qu'elles soient identiquement distribuées. De plus, il
peut être nécessaire d'ajouter l'hypothèse que le vecteur aléatoire ε est normalement distribué. Sous
2
toutes ces hypothèses, le modèle d'erreur est dit homoscédastique gaussien : ε i iid N(0, σ ).
Méthode d’ajustement
L'estimation est le choix d'une estimation de θ0 (notée θˆ ) dans l'ensemble Θ compte tenu des observations, c'est-à-dire des résultats de l'expérience. Choisir un estimateur revient à minimiser la
distance entre le modèle et les observations (Antoniadis et al., 1992 ; Huet et al., 1992).
Cette notion de distance pose immédiatement un problème de choix de la métrique. Le critère le
plus courant est géométrique et a été proposé par Laplace, dans le cas linéaire. Il s’agit du critère
81
II. Développements méthodologiques
des moindres carrés (Pavé, 1994). Il consiste à choisir un vecteur θ telle que la norme euclidienne
entre le vecteur des réponses prédites et le vecteur des réponses observées soit minimale. Un estimateur des moindres carrés est donc un vecteur aléatoire θˆ dont la réalisation minimise la fonction
2
de perte définie par y − η(θ) . L'espace Θ peut souvent être supposé compact, donc borné, et dans
ce cas il existe au moins une valeur de θ pour laquelle ce minimum est atteint (Antoniadis et al.,
1992). Ce critère est équivalent à la somme des carrés des écarts résiduels :
SCE rés =
n
(
i =1
2
)
y i − f (θˆ , xi )
=
n
2
(y i − yˆ i )
[70]
i =1
Pour le modèle additif, sil les erreurs sont (i) indépendantes, (ii) normales, (iii) de même variance
(homoscédasticité), alors le critère des moindres carrés est équivalent au critère du maximum de
vraisemblance (Pavé, 1994).
Il existe de nombreux algorithmes de résolution numérique itérative : méthodes du gradient, de
Newton, de "Quasi-Newton", de Levenberg-Marquardt… Je ne peux que les citer ici, le lecteur
pourra se reporter à la littérature spécialisée pour une explication détaillée de ces algorithmes (cf.
Antoniadis et al., 1992 ; Pavé, 1994).
Valeurs initiales
Du fait de la nature itérative de ces algorithmes, une initialisation est nécessaire. En effet, les algorithmes approchent θˆ à partir d'un premier vecteur θ, choisi par l'utilisateur dans l'ensemble Θ. Si la
2
fonction de perte y − η(θ) n'est pas strictement convexe, le minimum obtenu à partir d'une initialisation unique risque d'être local et différents choix d' initialisation pourraient alors conduire à des
minimums différents, un seul étant le minimum global sur Θ.
Le bon comportement d’un algorithme de minimalisation dépend donc fortement de la qualité des
estimations initiales (Pavé, 1994).
Et Superfit ?
Dans le programme Superfit, le modèle d'erreur est supposé additif, homoscédastique et gaussien,
c’est-à-dire que les erreurs sont distribuées selon une loi normale de moyenne nulle et de variance
constante. L'ajustement d'un modèle avec p paramètres à un jeu de données de taille n est réalisé
selon le critère des moindres carrés par l'appel de la fonction Mathematica "NonlinearRegress".
Cette fonction Mathematica utilise l'algorithme de Levenberg-Marquardt (sauf si le modèle est linéaire) pour minimiser la somme des carrés des écarts résiduelle.
L'utilisateur a le choix entre fournir un jeu unique de valeurs initiales des paramètres (auquel cas il
y aura une seule initialisation et un seul ajustement) ou fournir les bornes d'un hypercube (qui peut
être assimilé à l'ensemble Θ) dans lequel k tirages sont effectués10. A partir de ces k initialisations,
k ajustements sont réalisés et seul l'ajustement ayant conduit à la SCErés minimale est retenu par la
suite.
10
Cette procédure a été décrite initialement dans l'équipe sous le nom d'hypervalidation.
82
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
De plus, cette procédure d'hypervalidation permet d'évaluer si la convergence de l'algorithme de
minimisation de la SCE vers l'optimum global est plus ou moins sensible à l'initialisation, et ce pour
chacun des p paramètres. Ainsi, le programme propose pour chaque paramètre la représentation des
valeurs obtenues pour la SCErés (en ordonnées) en fonction des valeurs initiales échantillonnées
dans l'hypervolume. Une faible sensibilité de la minimisation de la SCErés aux valeurs initiales des
paramètres est indiquée par une grande étendue de l'ensemble des valeurs initiales qui permettent de
converger vers la même SCErés optimale (SCErés*). Dans ce cas, une connaissance a priori relativement vague des paramètres sera suffisante. Dans le cas inverse, une meilleure connaissance a
priori des paramètres sera nécessaire pour assurer la convergence vers l'optimum global ou il faudra
procéder systématiquement à une hypervalidation.
Examen des hypothèses sur le modèle d'erreur
Lorsque les paramètres ont été estimés et que l’hypervalidation est terminée, il est nécessaire de
s'assurer que les hypothèses sous-jacentes à l’ajustement d’un modèle non linéaire selon un modèle
d'erreur additif, homoscédastique et gaussien, sont respectées. Cette analyse se fonde sur l’examen
des résidus.
Les résidus
Les résidus ( εˆ i ) sont les écarts entre valeurs observées et valeurs prédites par le modèle, ils sont
égaux à la somme de l'erreur εi et du défaut de modélisation ( f(θ0 , xi ) − f(θˆ ,x i ) ).
[
εˆ i = yi − yˆ i = y i − f (θˆ , xi ) = f(θ 0 , xi ) + ε i − f(θˆ , xi ) = ε i + f (θ0 , xi ) − f(θˆ ,x i )
]
[71]
D'après
[71], les résidus ( εˆ i ) ne sont ni indépendants (ils s'expriment tous en fonction de θˆ )
ni équidistribués (Huet et al., 1992) mais ils reflètent tout de même la distribution des erreurs εi.
L'analyse des résidus est fondée sur les résidus réduits :
εˆ i réduit
y − f(θˆ ,x i )
y − yˆ i
= i
= i
σˆ i
SCE res
n−2
[72]
Sous les hypothèses usuelles, les résidus réduits doivent ressembler à une suite de variables aléatoires indépendantes, de même loi centrée et de variance 1.
Homoscédasticité des erreurs
Il est nécessaire de tester si le modèle de variance est correct. Ceci est en général réalisée par un
examen des résidus réduits en fonction de la réponse prédite. Si l'amplitude des résidus varie d'une
extrémité à l'autre du graphe, il peut être nécessaire d'envisager un modèle de variance des observations proportionnel à une fonction de leur espérance (Huet et al., 1992).
Le cas des dénombrements bactériens pose en général un problème d'hétéroscédasticité. En effet, au
cours d'une croissance, la densité de biomasse augmente fortement (elle peut être multipliée par
10.000), il y a donc plus d'étapes de dilutions nécessaires et donc l'erreur sur dénombrement aug83
II. Développements méthodologiques
mente au cours du temps. Ce problème est en général résolu par une transformation logarithmique
des données. D'autres solutions ont été proposées, notamment l’introduction d’un modèle d’erreur
explicite dans les différents modèles de croissance, ou la régression non linéaire pondérée (Vergu,
1999).
Indépendance des erreurs
Il est également possible d'utiliser les résidus réduits pour valider l'hypothèse d'indépendance. La
question principale est : y a-t-il corrélation entre le résidu associé à la i-ème observation et le résidu
associé à la (i+1)-ème observation ? Cette approche est particulièrement adaptée au cas d'une seule
variable de contrôle (le temps pour des séries temporelles), cela sous-entend évidemment que les
observations sont triées par ordre croissant (ou décroissant) des valeurs xi. Dans le cas de plusieurs
variables de contrôle, comment ordonner les observations ? Tester plusieurs fois l'indépendance des
résidus pourrait être envisagé, une fois par tri sur chaque variable de contrôle. On pourrait aussi
envisager de tester une fois l'indépendance des résidus en triant sur la réponse prédite. mais ces solutions ne sont pas satisfaisantes.
Une première méthode est de représenter le résidu réduit associé à la i-ème observation en fonction
du résidu réduit associé à la (i+1)-ème observation. Dans un repère orthonormé, le nuage de points
devrait être réparti de façon à peu près uniforme sur un cercle. Au cas où le graphique ferait apparaître un nuage de points présentant une forme particulière, l'hypothèse d'indépendance pourrait être
mise en doute (Huet et al., 1992). Cette représentation graphique permet de mettre en évidence une
auto-corrélation d'ordre 1. Une représentation du i-ème résidu en fonction du (i+2)-ème peut aussi
être envisagée pour tester une auto-corrélation d'ordre 2 et ainsi de suite (Zuber, 1997).
Une deuxième méthode est de représenter les résidus réduits en fonction de la variable de contrôle
(s’il n’y en a qu’une), ou de chacune des variables de contrôle ou de la réponse prédite (cas de plusieurs variables de contrôle). Une répartition équilibrée de part et d'autre de 0 en chaque zone du
graphique peut être appréciée visuellement. Il est également possible de tester l'autocorrélation des
résidus par un test des séquences (ou test des runs).
Normalité des erreurs
L'hypothèse de normalité peut être testée en utilisant la proximité entre les résidus réduits et une
suite de variables aléatoires gaussiennes (indépendantes, centrées, réduites). Un tel diagnostic est
facilité par l'emploi d'un diagramme quantile-quantile (graphique de type qqplot) : représentation
des quantiles de la distribution empirique des résidus en fonction des quantiles exacts de la loi normale centrée réduite. Si le nuage de points ainsi obtenu est réparti selon une droite, l'hypothèse de
normalité des résidus ne peut pas être rejetée.
Et Superfit ?
Le programme Superfit propose la représentation graphique des résidus réduits (divisés par la racine
carrée de SCE rés*) en fonction de la variable de contrôle (ou de chacune des variables de contrôle)
et de la réponse prédite par le modèle ajusté. Ensuite, il est possible de faire le test des séquences
pour tester une autocorrélation d’ordre 1 entre les résidus. L'hypothèse de normalité des résidus
peut être appréciée par l’examen du diagramme quantile-quantile.
84
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
Régions et intervalles de confiance
Définitions
Une région de confiance au seuil 1-α est l'ensemble des vecteurs de p paramètres qui ne sont pas
rejetés comme valeurs possibles de θ au seuil donné. C'est donc un sous-ensemble de Θ.
Dans le cas de la régression non-linéaire, les lois ne sont connues qu'asymptotiquement et le seuil
de confiance 1-α de ces régions n'est pas exact. C'est pourquoi ce sont des régions de confiance de
niveau "approché" 1-α.
Les intervalles de confiance sont plus souvent utilisés que les régions de confiance mais contiennent
moins d'informations. L'intervalle de confiance du j-ème paramètre est l'ensemble des valeurs qui
ne sont pas rejetées comme valeurs possibles de ce j-ème paramètre au seuil donné. Il existe deux
type d'intervalles de confiance selon que l'intervalle de confiance du j-ème paramètre est calculé en
tenant compte ou non des corrélations avec les (p-1) autres paramètres.
Méthode asymptotique
La méthode la plus couramment employée dans les logiciels usuels est une linéarisation, fondée sur
l'approximation de la fonction η(θ) par son développement de Taylor à l'ordre 1 au voisinage de θˆ .
Cette méthode produit des régions de confiance ellipsoïdales, faciles à calculer. Toutefois, l'approximation linéaire est difficile à justifier et la probabilité de recouvrement du vrai paramètre peut
être très différente du niveau (1-α) annoncé (Antoniadis et al., 1992). De plus, ces intervalles de
confiance ne tiennent pas compte des corrélations entre paramètres. A partir de ces régions de
confiance asymptotiques, les logiciels usuels proposent en général ces intervalles de confiance.
Rééchantillonnage
Pour connaître la distribution des estimateurs des paramètres d'un modèle non-linéaire sans qu'aucune hypothèse quant à la loi du paramètre étudié ne soit émise, on peut utiliser les techniques de
rééchantillonnage : Bootstrap et Jackknife (ou eustachage).
A partir de l'échantillon des n observations, il est possible de générer un nombre en principe illimité
de pseudo-échantillons ressemblant beaucoup à l'échantillon observé. Un pseudo-échantillon bootstrap est créé par un tirage au sort avec remise avec une probabilité 1/n (donc de façon uniforme)
parmi les n observations. La taille du pseudo-échantillon peut être quelconque (elle est en général
choisie égale à n) de même que le nombre de pseudo-échantillons (en général choisi entre 100 et
10000, soit bien moins que nn, le nombre d'échantillons différents possibles). Un pseudoéchantillon Jackknife est créé en supprimant une des n observations. La taille de chaque pseudoéchantillon (jeu de données tronqué d'une observation) est donc égale à (n-1) et le nombre de
pseudo-échantillons égal à n. Sur chaque pseudo-échantillon, une nouvelle estimation de θ est calculée.
Ces méthodes permettent d'obtenir un nouvel estimateur de θ, une variance de l'estimateur, une
région de confiance simultanée et des intervalles de confiance pour chaque paramètre (sans tenir
compte des corrélations avec les p-1 autres paramètres). Je ne détaillerai que la procédure Jackknife
85
II. Développements méthodologiques
(cf. Tableau 3). Le lecteur intéressé par les résultats de la procédure Bootstrap se reportera à la littérature appropriée (Gong, 1986 ; Hall, 1988).
Tableau 3. Principaux résultats de la théorie du Jackknife. Avec θˆ J : estimation Jackknife de θ ; θˆ − i : estimation de θ sur le i-ème
2
"pseudo-échantillon" (jeu de données tronqué de la i-ème observation) et Sˆ J : matrice des variances/covariances sur les k paramètres.
Estimateur
1
θˆ J =
n
Variance
2
Sˆ J =
Région de confiance simultanée
Intervalle de confiance
n
i= 1
(nθˆ − (n − 1)θˆ )
((
−i
) )((n θˆ −(n − 1)θˆ )− θˆ )
n
1
n ˆθ −(n − 1) θˆ − i − ˆθ J
n(n − 1) i = 1
t −1
(θ − θˆ J ) Sˆ J (θ − θˆ J ) ≤
p
n−p
θˆ J,k ± t(n − 1,α/2) (Sˆ J,kk )
t
−i
J
F ( p , n− p ; 1− α)
k = 1,...,p
Inégalité de Beale
Beale (1960) a défini une région de confiance pour la valeur des paramètres avec un risque de première espèce α défini par l'ensemble des valeurs des paramètres telles que la somme des carrés des
résidus n'excède pas un seuil donné.
()
SCE res (θ) − SCE res θˆ ≤

soit SCEres (θ) ≤ 1+
()
p
Fpα, n− p SCEres θˆ
n−p
()
p
α
ˆ
Fp,n
−p √ SCEres θ
n−p
↵
[73]
Et Superfit ?
Un des points forts du programme Superfit est de proposer, en plus de la méthode classique par
approximation linéaire, deux méthodes alternatives pour estimer la région de confiance des paramètres.
La première, désignée sous le nom de « Méthode de vraisemblance » et utilisant l'inégalité de Beale
[73] a été mise au point au laboratoire (Lobry et al., 1991). Elle est fondée sur une technique de
tirages aléatoires dans un hypercube de paramètres, centré sur les estimations. L'avantage de la
méthode de vraisemblance est que le niveau réel de confiance est plus proche du (1-α) théorique
que dans le cas de l'utilisation de la méthode de linéarisation (Antoniadis et al., 1992). L'approximation de la région de confiance par la méthode de vraisemblance suppose la normalité des erreurs,
il est donc nécessaire de réaliser le diagnostic des résidus au préalable. Le programme propose des
représentations en deux dimensions (régions de confiance dans le plan des paramètres pris deux à
deux) et des intervalles de confiance à 95% par excès tenant compte des corrélations entre paramètres (minima et maxima pour chaque paramètre).
Cette méthode ne s'applique qu'à des échantillons de grande taille. Lorsque cette condition n'est pas
remplie, le Jackknife, technique d'estimation de la précision des estimations des paramètres par rééchantillonnage, peut être utilisé. Cette procédure Jackknife permet en fait une estimation plus robuste des paramètres, l'approximation de la région de confiance à 95% sur ces estimations, ainsi que
le calcul des intervalles de confiance pour les p paramètres.
86
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
Appréciation de la qualité de l'ajustement
Critères visuels
La première chose à faire est évidemment de juger visuellement la qualité d'ajustement du modèle
aux données. L'examen simultané des observations et de la courbe ajustée peut révéler un mauvais
choix de la fonction de régression ou une erreur dans les contraintes imposées aux paramètres. Il est
surtout utile pour juger de la validité du modèle mais peut aussi permettre de critiquer le choix du
plan d'expérience.
L'examen des résidus réduits (soit en fonction de la ou des variables de contrôle soit en fonction de
la réponse prédite) peut lui aussi permettre de valider le choix de la fonction de régression.
Critère des moindres carrés
La qualité d’ajustement peut être quantifiée par le coefficient de détermination ajusté qui tient
compte du nombre de paramètres du modèle et du nombre de points du jeu de données.
R 2 = 1−
SCE rés
n−1
↔
SCEtot n − p
avec SCE tot =
n
(y i − y)
[74]
2
i=1
C'est un critère quantitatif qui permet de comparer entre eux différents modèles. A nombre de paramètres égal, et sous réserve du non-rejet des hypothèses sur le modèle d'erreur, le modèle dont le
coefficient de détermination est le plus élevé assure le meilleur ajustement.
Corrélation des estimateurs des paramètres
Une forte corrélation des paramètres peut être due soit aux données expérimentales elles-mêmes,
soit à la formulation mathématique même du modèle. Il conviendra de tester le même modèle sur un
autre jeu de données pour trancher entre ces deux hypothèses. Par ailleurs une faible précision d'estimation des paramètres est à attendre dans le cas d'une forte corrélation.
Les logiciels usuels proposent en général par linéarisation les tables de variances/covariances des
paramètres et les coefficients de corrélation asymptotiques entre les paramètres pris deux à deux.
De plus, l'examen des régions de confiance permet également d'apprécier visuellement les corrélations entre paramètres.
Courbure
Etant donné un modèle de régression non-linéaire Y=f(θ,xi)+εi et un plan d'expérience constitué des
points x1,…,xn distincts. La surface de réponse associée au modèle et au plan d'expérience est le
lieu des points de Rn dont les coordonnées sont données par {f(θ,x i )}i =1,..,
k
lorsque θ varie dans
l'ensemble Θ.
87
II. Développements méthodologiques
Cette surface de réponse est donc une surface contenue dans Rn et qui, sous certaines conditions,
peut être approchée localement par un espace euclidien (Huet et al., 1992). Soit maintenant une
portion de droite de R p contenue dans l'ensemble Θ et passant par le point θ. Son équation peut être
écrite sous la forme α(t) = θ + t v où t est un réel et v un vecteur unitaire de Rp. Lorsque t varie, de
manière à ce que α(t) demeure à l'intérieur de Θ, l'image de α(t) par F décrit une courbe sur la surface de réponse. En assimilant cette courbe à la trajectoire d'un mobile sur la surface de réponse, il
est possible d'en calculer la vitesse et l'accélération. Comme c'est l'usage en cinématique, l'accélération peut être décomposée en trois directions : une composante normale à la surface de réponse
et deux composantes dans le plan tangeant en θ à la surface de réponse. La composante normale ne
dépend que de la géométrie de la surface de réponse, pas de la paramétrisation. On lui associe la
courbure normale à la courbe F(α(t) ) , qui est l'inverse du rayon de courbure à cette courbe en θ.
C'est la courbure intrinsèque au modèle. En revanche, les deux composantes tangentielles de l'accélération dépendent de la paramétrisation. On leur associe la courbure paramétrique.
Les méthodes asymptotiques, largement utilisées en régression non-linéaire, reposent essentiellement sur l'approximation linéaire de la surface de réponse au voisinage de θ0. Il est donc essentiel
de pouvoir caractériser le degré de non-linéarité de la surface de réponse et, pour cela, d'utiliser la
notion de courbure d'une surface en un point. En cas de forte courbure, cela devrait conduire à une
reparamétrisation du modèle et éventuellement à la suppression de paramètres.
Il existe des algorithmes de calcul des courbures. De plus, l'examen des régions de confiance permet également d'apprécier visuellement la non-linéarité du modèle.
Observations "aberrantes"
Les observations aberrantes sont celles qui sont associées à des résidus particulièrement élevés. Le
terme "aberrant" utilisé par les statisticiens français sous-entendrait que les observations associées
n'ont aucune pertinence réelle. Or un résidu peut être très élevé soit parce que l'observation est effectivement fausse (erreur de manipulation, erreur de mesure…) soit parce que le modèle n'est pas
adapté à décrire l'ensemble du jeu de données. Le terme outlier (littéralement "qui se tient en dehors") des anglo-saxons est beaucoup moins gênant de ce point de vue. Je propose de remplacer
l'expression "observation aberrante" par "observation extravagante", qui m'apparaît mieux recouvrir
le sens exact.
Les représentations graphiques des résidus permettent par définition de déceler les observations
extravagantes.
Observations influentes
Lorsque le modèle candidat n'a pas été rejeté à l'issue des étapes précédentes pour décrire les données expérimentales, il peut être utile d'étudier l'influence des observations sur l'estimation des paramètres du modèle. Une observation influente est telle que la droite ajustée changera beaucoup si
ce point est supprimé ou déplacé. Comme Antoniadis et al. (1992) le souligne, une observation extravagante n'est pas systématiquement influente et une observation influente n'est pas toujours extravagante (cf. Figure 5).
88
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
y : variable de réponse
A
I
0
x : variable de contrôle
Figure 5. Représentation schématique d'une observation extravagante non influente (point A) et d'une observation influente non
extravagante (point I). D'après Antoniadis et al. (1992).
Il en résulte qu'une analyse des résidus ne suffit pas à la détection des données influentes.
La méthode du DFBETA repose sur la procédure de rééchantillonnage par Jackknife : elle
ˆ ar(θˆ ) = σ
ˆ (θˆ ) où θˆ est le vecteur des paconsiste à comparer l'écart entre θˆ et θˆ −i à V
ramètres estimés par ajustement du modèle au jeu de données complet et θˆ −i le vecteur
des paramètres estimés par ajustement du modèle au jeu de données privé de l'observation i. La quantité DFBETA est donc θˆ − θˆ −i σˆ ( θˆ ) . Comme elle est construite par analogie
avec la régression linéaire, elle suppose une faible courbure du modèle et sa loi n'est pas
connue. La comparaison du DFBETA au seuil 2 n n'est donc que descriptive.
Et Superfit ?
Le programme Superfit propose un grand nombre de représentations graphiques utiles pour cette
appréciation de la qualité : la superposition des observations et de la courbe ajustée, les graphes des
résidus réduits en fonction de la (des) variable(s) de contrôle, le graphe des résidus réduits en fonction de la réponse prédite, le graphique des réponses prédites en fonction des réponses observées et
la région de confiance de Beale. En effet, l'examen de la région de confiance de Beale dans les C 2p
plans des paramètres pris deux à deux permet de détecter :
§ une forte corrélation entre deux paramètres si la projection est allongée le long d'une des diagonales,
§ une forte non linéarité (ou courbure) du modèle pour un sous-ensemble de deux paramètres si
dans la forme de la région dans le plan de ces deux paramètres est très éloignée d’une l'ellipse.
De plus, le programme Superfit propose la méthode du DFBETA pour détecter quelle(s) est(sont)
l’(les) observation(s) la plus influente(s) et sur l’estimation de quel(s) paramètre(s).
II.1.2.
APPROCHE PRATIQUE
Afin d'illustrer cette présentation théorique du programme Superfit et des notions statistiques soustendues, deux exemples d'application à la dynamique des populations bactériennes en batch sont
exposés.
89
II. Développements méthodologiques
Fonctionnement du programme
Superfit a été conçu comme un programme convivial dont l'utilisation repose sur un dialogue question-réponse avec l'utilisateur. Ainsi, une pratique minimale du logiciel Mathematica est requise.
Toutefois, le contenu du programme reste accessible et modifiable par l' utilisateur.
La fenêtre principale contient le programme (en grisé) et les résultats apparaissent en noir. Des
fenêtres annexes permettent le dialogue question-réponse.
Sept étapes sont définies : 1. Préliminaires (ce qui correspond au chargement de bibliothèques Mathematica) ; 2. Définitions de la fonction et du jeu de données… ; 3. Ajustement ; 4. Evaluation de
l'ajustement ; 5. et 6. Régions de confiance puis 7. Stabilité (DFBETA) et ré-échantillonnage (Jackknife).
Exemple
Rosso (1995) a introduit un modèle permettant de décrire à l'aide de paramètres ayant tous un sens
biologique l'effet de la température sur le taux de croissance maximal. C'est un modèle de prise en
compte des contraintes environnementales ou modèle secondaire. Le Modèle des Températures
Cardinales avec point d’Inflexion (CTMI) est le suivant :
Si T < Tmin , µmax = 0
Si Tmin ≤ T ≤ Tmax ,
µ max =
[
µ opt (T − Tmax ) (T− Tmin )2
(Topt − Tmin ) ( Topt − Tmin )(T − Topt ) − (Topt − Tmax )(Topt + Tmin − 2T)
Si T > Tmax , µ max = 0
]
L’analyse complète des qualités descriptives du modèle est illustrée par l’ajustement sur le jeu de
données de Escherichia coli (Barber, 1908) qui compte un nombre exceptionnel de points (217
points). Un exposé plus détaillé figure sur le site Internet et est repris en Annexe 1.
Les figues suivantes reprennent quelques copies d'écran afin d'illustrer le fonctionnement du programme.
Enfin, le lecteur pourra aussi se reporter à la deuxième étude de cas, dans laquelle une utilisation
quasi-extensive des possibilités de Superfit est présentée (cf. p. 138).
90
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
Figure 6. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 1.
Figure 7. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 2.
91
II. Développements méthodologiques
Figure 8. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 3.
Figure 9. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 4.
92
II.1. Régression non-linéaire et Superfit
Figure 10. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 5.
Figure 11. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 6.
93
II. Développements méthodologiques
Figure 12. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 7.
Figure 13. Démonstration du logiciel Superfit sur l'exemple CTMI. Ecran 8.
94
II.2.
CULTURES MIXTES EN BATCH : VERS
UNE METHODOLOGIE STANDARDISEE
La première partie avait permis de mettre en évidence la diversité des méthodes utilisées pour modéliser
les cultures mixtes. Ce chapitre s'appuie sur les outils de régression non-linéaire présentés au chapitre
précédent et s'attache à proposer une méthodologie simple, robuste et unifiée permettant de prendre en
compte les interactions (qu'elles soient trophiques ou non) et le concept d'avantage sélectif.
II.2.1.
APTITUDES DE CROISSANCE EN CULTURE PURE ET
AVANTAGE SELECTIF
De très faibles différences de taux de croissance peuvent induire des conséquences importantes sur
l'issue d'une culture mixte : une souche ayant une croissance très légèrement plus rapide que l'autre
peut la surpasser très largement si la phase de croissance se prolonge assez longtemps. Quoique le
suivi relatif des deux populations en cultures mixtes soit la solution la plus adaptée à l'étude de ce
phénomène, l'investigation des aptitudes de croissance des deux souches en cultures pures est également utile, sous l'hypothèse de neutralisme (aucune interaction entre les deux souches). Par les
techniques classiques de suivi de la croissance, il est impossible d'obtenir une précision suffisante
sur l'estimation des paramètres de croissance. Toutefois, les systèmes de suivi automatisé par turbidimétrie permettent de suivre une croissance avec une durée totale, des intervalles de mesure et une
précision sur la mesure plus satisfaisantes. Trois systèmes ont été utilisés pour les études de cas de
la troisième partie.
Planification expérimentale
Présentation de la problématique
Le principe est de comparer si certaines souches ont un avantage sélectif sur d'autres. Des "populations11 de souches" sont définies a priori. Ainsi, la deuxième étude de cas a porté sur quatre "populations de souches" (en fonction de leur sensibilité à différents antibiotiques). Le concept de "population de souches" était donc confondu avec celui de profil d'antibio-résistance. Dans la troisième
étude de cas, le concept de "population de souches" était confondu avec celui d'espèce, puisque les
deux populations étaient Listeria monocytogenes et Listeria innocua. Pour chaque "population de
souches", un échantillon de souches doit être recueilli (en s'assurant dans la mesure du possible de
sa représentativité par rapport à la "population").
L'ensemble de toutes les cultures réalisées dans une étude particulière peut être considéré comme
l'expérience totale et donc chaque culture comme une unité expérimentale. La "population" à laquelle la souche appartient est considérée comme un facteur contrôlé et il peut y avoir un deuxième
facteur contrôlé (par exemple le milieu de culture). Pour limiter le nombre de cultures, il n'a pas été
11
Le terme "population" doit ici être compris au sens statistique. Une population de souches est un ensemble de souches
différentes présentant des traits communs.
95
II. Développements méthodologiques
jugé utile de considérer la souche comme un facteur contrôlé, la variabilité intra-"population" intersouches est donc confondue avec la variabilité due aux effets non contrôlés. Dans la mesure du possible, il est préférable de réaliser toutes les expériences en un seul bloc. Dans le cas contraire, le
facteur bloc doit être pris en compte.
Traitement des résultats
Le traitement des résultats est de type "analyse de variance" ou "analyse de covariance". Les paramètres de croissance des souches (temps de génération ou taux de croissance et éventuellement
temps de latence) doivent être comparés, le but étant de tester s'il y a un effet significatif du facteur
"population".
Comparaison de trois systèmes automatisés
Caractéristiques techniques
Les caractéristiques techniques des trois systèmes utilisés sont récapitulées dans le Tableau 4.
Tableau 4. Caractéristiques de trois systèmes automatisés de suivi de croissance par turbidimétrie.
URIMAT ATB 1350
MS2
UVIKON
Fournisseur
bioMérieux
Abott
Kontron
Cuves de
culture
2 carrousels de 40 ampoules stériles en verre.
16 cassettes en matière
plastique de 11 cuves
chacune
10 cuves en quartz
Contenance
des cuves
3 à 4mL
1 à 3 mL
1,5 à 3 mL
Cultures réalisables en
parallèle
80
176
9
Agitation
Mouvement circulaire (va
et vient) de chaque carrousel
Mouvement longitudinal
(va et vient) de chaque
cassette
Rotation d'un barreau aimanté dans les cuves
Température
Régulation entre 30 et
45°C
Fixe (35°C)
Régulation entre O et 50°C
Longueur
d'onde
Fixe (950 nm)
Fixe (670 nm)
Au choix
Précision
Codage sur 3 chiffres
Codage sur 4 chiffres
Densité optique à 5 chiffres après la virgule
Délai entre
deux lectures
1/60 de la durée d'incubation totale (10 minutes
pour 10 heures par exemple)
5 minutes
Au choix
(à partir de 1 minute)
Acquisition des données
Dans l'URIMAT, toutes les ampoules passent entre une diode émettrice infra-rouge (SFH 400) et
une photodiode réceptrice qui reçoit une certaine intensité lumineuse, ce qui engendre un courant
96
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée
électrique, converti en valeurs propres au système. A l'issue d'une culture, toutes les données (exprimées en unités de courant électrique) doivent être transférées sur un autre micro-ordinateur
avant d'être transformées en absorbance. Cette transformation est effectuée par un programme
conçu au sein de l'équipe (en Hypercard) qui utilise comme témoin la moyenne des n premières
mesures (ampoules ensemencées), le paramètre n étant choisi par l'opérateur. Il est donc impossible
d'étudier les premières phases du cycle de croissance.
Le MS2 permet l'acquisition des transmittances de chaque cuve à chaque lecture. A l'issue d'une
culture, toutes les données doivent être transférées sur un autre micro-ordinateur avant d'être transformées en absorbance (Corman et al., 1986). La transformation de transmittance en absorbance est
effectuée par un programme, également conçu au sein de l'équipe (en Fortran 90), qui utilise
comme témoin la n-ième mesure (cuves ensemencées), le paramètre n étant choisi par l'opérateur. Il
est également impossible d'étudier les premières phases du cycle de croissance.
En revanche, l'UVIKON permet la visualisation des absorbances et des cinétiques en temps réel. De
plus, l'absorbance retenue est une différence entre l'absorbance réellement mesurée sur la cuve et
l'absorbance mesurée sur une cuve témoin contenant le même milieu mais non ensemencé. A l'issue
d'une culture, toutes les données peuvent être sauvegardées sous forme d'un fichier ASCII et retravaillées dans n'importe quel logiciel. Il a été proposé de retrancher l'absorbance initiale avant ensemencement, qui devrait théoriquement être égale à 0 puisqu'il s'agit de la différence entre les absorbances de deux milieux stériles, mais qui en pratique varie entre –0,1 et +0,1. Grâce à ce double
témoin, il est possible d'obtenir une bonne précision sur la valeur initiale (à condition de se placer
au-dessus du seuil de détection) et donc d'étudier les premières phases du cycle de croissance.
Atouts et limites
Le choix entre les trois systèmes dépend :
§ du nombre total de cultures à réaliser, sachant que l'URIMAT et le MS2 permettent de traiter
plus de cinétiques en parallèle que l'UVIKON ;
§ de la température de culture, sachant que celle du MS2 est fixe et seul l'UVIKON est équipé
d'un cryostat qui permet de travailler en dessous de la température ambiante ;
§ de la précision attendue, sachant que l'intervalle entre deux mesures est primordial ;
§ de l'intérêt porté à la latence, sachant que seul l'UVIKON permet de mesurer une biomasse initiale "vraie".
Bilan
J'ai donc proposé de mener un certain nombre de cultures pures en parallèle, avec un suivi automatisé de la turbidimétrie, afin d'évaluer les aptitudes de croissance des différentes souches testées et
de pouvoir en tirer quelques enseignements préliminaires quant à un avantage sélectif éventuel.
97
II. Développements méthodologiques
II.2.2.
EVOLUTION RELATIVE DE DEUX POPULATIONS
De simples cultures pures permettent donc d'avoir une première approche de la notion d'avantage
sélectif. Toutefois, seul le suivi de cultures mixtes permet de répondre à la question "La population12 A surpasse-t-elle la population B ?". Il est assez intuitif d'étudier l'évolution d'un rapport :
d'une population sur l'autre (ratio) ou d'une population sur la population totale (proportion). Plusieurs alternatives se présentaient pour le choix de la meilleure variable et du meilleur estimateur.
Problématique
Milieu différentiel
Sur un milieu différentiel, il est possible de dénombrer le nombre de colonies de chaque population
sur une seule et unique boîte. Notons A la population majoritaire et B la population minoritaire. En
général, deux géloses sont ensemencées pour une même dilution. Les questions qui se posent alors
sont les suivantes.
§ Est-il préférable de travailler sur la proportion de la population majoritaire par rapport à la population totale ( π A = N N+AN ), sur la proportion de la population minoritaire par rapport à la poA
pulation totale
B
( π B = N N+BN
A
B
), sur le ratio de la population majoritaire par rapport à la minori-
A
taire ( ρA = N
) ou sur le ratio inverse ( ρB
N
B
§
§
§
§
=
NB
NA
)?
Quel que soit le rapport choisi, est-il préférable de le calculer pour chaque gélose puis de faire la
moyenne des rapports ou de calculer le rapport des moyennes ?
Le nombre de deux géloses par dilution est-il suffisant ?
Quel est l'impact de l'erreur expérimentale de dilution sur le rapport et sur sa précision d'estimation ?
Quel est l'impact des concentrations NA et NB sur le rapport et sur sa précision ? Peut-on toujours (quelles que soient ces concentrations) calculer un rapport ? Avec quelle précision ?
Milieu sélectif
Une autre possibilité pour dénombrer deux populations en culture mixte est de dénombrer une population spécifique (notée A) sur un milieu sélectif et la population totale sur un milieu non sélectif.
Il est alors possible d'estimer la densité de la population B par une soustraction.
Les questions qui se posent alors sont similaires à celles posées ci-dessus. De plus, par rapport au
cas précédent, il faut prendre en compte que A (la population dénombrée spécifiquement) peut être
soit la population majoritaire, soit la population minoritaire.
Par ailleurs, les milieux sélectifs sont optimisés pour favoriser le plus possible la population sélectionnée par rapport aux autres mais ils ne permettent pas toujours une croissance optimale. Il faut
donc prendre en compte que l'efficacité d'étalement (pourcentage de cellules déposées formant une
colonie) peut être inférieure à 100%.
12
Le terme "population" doit ici être compris au sens usuel. Une population bactérienne est un ensemble de cellules identiques issues d'une souche unique.
98
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée
Enfin, à la différence du cas précédent, il est possible de travailler simultanément à deux dilutions
différentes. Si N A << NB , il est possible d'ensemencer la gélose de milieu sélectif avec une suspension moins diluée que celle utilisée pour dénombrer la population totale. Nous avons donc défini
deux modes de dilution possibles : soit toutes les géloses sont ensemencées par la dilution à 10-6,
soit les géloses sélectives sont ensemencées par la dilution à 10-5 et les géloses sélectives sont ensemencées par la dilution à 10-6.
Approche préliminaire par Monte-Carlo
Modèle probabiliste
Considérant que la meilleure variable serait celle qui pourrait être estimée au mieux, une approche
par simulation numérique de type Monte Carlo a été utilisée pour examiner l'impact des erreurs de
pipetage (erreur de manipulation) et des erreurs d’échantillonnage (erreur purement statistique) sur
l'estimation de ces variables.
Un modèle probabiliste a été élaboré permettant de décrire de manière réaliste toutes les étapes de
la solution-mère au dénombrement sur boîte. Ce modèle, prenant en compte erreurs de pipetage et
erreurs d'échantillonnage, est présenté en Annexe 2.
Critères
Les critères retenus pour le choix de la meilleure variable étaient :
§ que l'estimateur soit non biaisé ;
§ que l'estimateur soit précis ;
§ que la distribution soit normale. Ce critère n'est en aucun cas impératif. Toutefois il peut être
préférable en régression non linéaire de travailler sur des variables normales.
Résultats
Les résultats de cette étude préliminaire sont présentés en Annexe 2.
Au vu de l'ensemble des résultats, retenons que la variable la plus pertinente apparaît être, quelle
que soit la nature du milieu, la proportion de la population majoritaire. Un bon compromis entre
précision et faisabilité expérimentale serait de choisir comme estimateur le rapport des moyennes
sur deux géloses. En effet, le surcroît de précision apportée par 3 géloses supplémentaires ne se
justifie pas vraiment au vu de la lourdeur (et du coût) que cela impliquerait techniquement.
Bilan
L'approche présentée ici était tout à fait préliminaire et une investigation plus rigoureuse de cette
question est envisagée.
Pour la suite du travail, je retiendrai, sur la base de ces premières observations, que la variable de
choix pour le suivi relatif de deux populations bactériennes en cultures mixtes est la proportion de
la population majoritaire.
99
II. Développements méthodologiques
II.2.3.
INTERACTIONS ET COMPARAISON DE COURBES
Après ces deux approches de l'avantage sélectif, ce qui suit est consacré aux interactions. Sur le
principe qu'une interaction en culture mixte se caractérise par l'effet d'une population sur la croissance de l'autre (et éventuellement réciproquement), la méthodologie d'étude des interactions
présentée ici est axée sur la comparaison entre la cinétique d'une souche en culture pure et la cinétique de cette même souche dans des conditions similaires mais en culture mixte.
D'un point de vue technique, cela impose une planification expérimentale rigoureuse dans laquelle
les cultures pures constituent de véritables témoins. Du point de vue statistique, la méthodologie
d'étude des interactions présentée ici s'appuie sur une méthode de comparaison de courbes pour
tester différentes hypothèses sur les cinétiques.
Planification expérimentale
Présentation de la problématique
L'ensemble de toutes les cultures réalisées dans une étude particulière peut être considéré comme
l'expérience totale et donc chaque culture comme une unité expérimentale. Il existe au moins un et
souvent deux facteur(s) contrôlé(s) (voire plus) :
§ Le "type de culture" à 3 niveaux : culture pure A, culture pure B et culture mixte A+B.
§ La "nature des inoculums A et/ou B". Dans l'exemple traité au chapitre IV.1., il s'agissait de
l'état physiologique de chacun des inoculums ; ce facteur avait 4 niveaux : A en phase exponentielle - B en phase exponentielle ; A en phase exponentielle - B en phase stationnaire ; B en
phase exponentielle - A en phase stationnaire ; A en phase stationnaire - B en phase stationnaire. Dans l'exemple traité au chapitre IV.3., il s'agissait de la souche de Listeria innocua et ce
facteur avait trois niveaux : trois souches différentes de Listeria innocua.
D'autres études pourraient également être envisagées sans ce deuxième facteur contrôlé ou avec un
autre type de facteur(s) contrôlé(s).
Les effets non contrôlés sont divers : matériel, expérimentateur, milieu de culture, conditions extérieures (température etc.). Il est supposé qu'ils sont homogènes pour une même journée. Les cultures menées simultanément dans une même journée constituent donc un "bloc" et le facteur "bloc"
regroupe alors tous les effets non contrôlés.
J'ai choisi d'attribuer un bloc à chacun des quatre niveaux du facteur "nature des inoculums A et/ou
B". Dans l'exemple traité au chapitre IV.1., deux répétitions ont été réalisées, il y a donc eu huit
blocs. Dans l'exemple traité au chapitre IV.3., il n'y a pas eu de répétitions, trois blocs ont donc été
réalisés.
Ainsi, chaque bloc est constitué de deux cultures pures et d'une culture mixte, menées en parallèle.
Au sein d'un bloc, une grande attention doit être accordée à ce que l'inoculum A (resp. B) de la
culture mixte soit strictement équivalent (tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif) à l'inoculum de la culture pure A (resp. B). En revanche la variabilité biologique et la difficulté expérimentale de quantifier en temps réel une concentration bactérienne impliquent qu'il est très difficile
100
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée
d'avoir des inoculums homogènes (tant du point de vue qualitatif que quantitatif) d'un jour à l'autre
(et par suite d'un bloc à l'autre).
La caractéristique principale de cette solution est la confusion de l'effet "bloc" (matériel, milieu,
expérimentateur, conditions extérieures etc.), et du facteur contrôlé "nature des inoculums A et/ou
B". Cette solution est très adaptée à l'objectif de comparaison pur/mixte. En revanche, cette confusion des effets est plus embarrassante dans l'objectif du facteur "nature des inoculums A et/ou B".
Traitement des résultats
Au sein de chaque bloc, différentes hypothèses doivent être testées :
§ ì Amixte = ì Apur
§
lag A mixte = lag A pur
§
N max A mixte = N max A pur
§
ì
§
lag Bmixte = lag Bpur
§
N max B mixte = N max B pur
Bmixte
=ì
Bpur
Cela revient à tester si la co-croissance de la souche B (resp. A) influe sur chacun des paramètres de
croissance de la souche A (resp. B). Si aucune de ces hypothèses ne peut être rejetée, il est possible
de conclure à une situation de neutralisme (c'est-à-dire qu'aucune des populations ne serait influencée par la croissance de l'autre), ou du moins à l'absence d'interaction significative.
Comparaison de courbes
Comme le propose Huet et al. (1992), le problème de la comparaison de courbes n'est qu'un cas
particulier du problème de choix entre modèles.
Soient les observations :
Yi = f(θ, xi ) + ε i, i = 1,...,n
Z j = f(γ, xj ) + ηj, j = 1,...,n
Les vecteurs de paramètres θ et γ appartiennent l'un et d'autre à Θ. Les ε sont indépendants, centrés,
de variance σ2 ; de même pour les η. Les η sont supposés indépendants entre eux. L'équation de
régression est la même pour les deux courbes et le but est de tester l'égalité du k-ème paramètre
pour ces deux courbes, c'est-à-dire : θ k = γ k .
Tester cette hypothèse revient à tester l'appartenance du couple (θ=γ) à une partie de Θ ↔Θ , d'équation θ k − γ k = 0 .
Ma méthodologie de comparaison de courbes repose sur le principe des modèles emboîtés. Pour
chaque jeu de deux cinétiques (l'une en culture pure, l'autre en culture mixte), il faut commencer par
ajuster un modèle de dynamique de croissance, avec estimation d'un quadruplet de paramètres (N0,
lag, µ, Nmax) pour chaque cinétique. L'unification de ces deux modèles séparés à 4 paramètres est
le modèle complet, à 8 paramètres. Puis un premier modèle commun aux deux courbes est ajusté
avec la contrainte d'égalité des N0 (qui est justifiée expérimentalement par le protocole détaillé ci101
II. Développements méthodologiques
dessus). Ce modèle à 7 paramètres est emboîté dans le premier. Il est alors possible de tester l'hypothèse d'égalité des N 0 en comparant le modèle à 7 paramètres au modèle à 8 paramètres. Puis, un
deuxième modèle commun aux deux courbes est ajusté avec non seulement la contrainte d'égalité
des N0 mais aussi la contrainte d'égalité des paramètres de croissance (lag et µ).
Il existe de multiples variantes de cette approche. Dans la première étude de cas présentée, le modèle de dynamique de croissance initial n'a que 3 paramètres : N0, lag et µ, puisque la phase stationnaire n'est pas prise en compte. En revanche, des alternatives aux modèles de dynamique de croissances usuels ont été nécessaires.
Le choix entre modèle partiel et modèle complet repose sur un test statistique (Bates & Watts,
1988) permettant d'apprécier la nécessité de complexifier le modèle pour obtenir un meilleur ajustement. Le test repose sur la comparaison à une variable de Fischer d'une fonction des sommes des
carrés des écarts aux deux modèles et des nombres de paramètres. Tous les tests ont été effectués au
niveau α = 5%.
Soient :
§ pc : nombre de paramètres du modèle complet
§ pp : nombre de paramètres du modèle partiel
§ SCEc : somme des carrés des écarts au modèle complet
§ SCEp : somme des carrés des écarts au modèle partiel
Si
n − pc
SCE c − SCE p
pc − pp
SCE c
< Fpc −pp ,n−pc ;α= 0.05 ,
alors le modèle partiel est plus approprié (Bates & Watts,
1988).
Bilan
J'ai donc proposé de mener chaque culture mixte en parallèle de deux cultures témoins, ces trois
cultures constituant un bloc expérimental. Au sein d'un bloc, l'inoculum A (resp. B) de la culture
mixte doit être strictement équivalent (tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif) à l'inoculum
de la culture pure A (resp. B).
Culture pure A
Cinétique de A
en culture pure
Comparaison
Inoculum A
Culture mixte
A+B
Inoculum B
Culture pure B
Cinétique de A
en culture mixte
Cinétique de B
en culture mixte
Cinétique de B
en culture pure
Comparaison
Figure 14. Représentation schématique d'un bloc expérimental.
L'interprétation des résultats s'appuie largement sur une comparaison entre cinétiques de A en cultures pure et mixte et une comparaison entre cinétiques de B en cultures pure et mixte.
102
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée
II.2.4.
AVANTAGE SELECTIF ET INTERACTION :
COMPETITION FINALE
Les concepts d'avantage sélectif et d'interaction ont jusqu'ici été traités séparément. Cette simplification était nécessaire dans un premier temps. Toutefois, ils se confondent plus ou moins, en particulier dans le cas de deux populations entre lesquelles la seule interaction est une compétition pour
une ressource limitante (compétition pure et simple).
Problématique
Si les deux populations atteignent la phase de ralentissement puis la phase stationnaire simultanément, il est vraisemblable qu'elles soient toutes deux limitées par une même ressource (quelle
qu'elle soit : un ou plusieurs substrat(s), un ou plusieurs nutriment(s) ou même l'espace), pour laquelle elles seraient en compétition. L'hypothèse est donc qu'il y aurait croissance indépendante de
chaque souche (neutralisme) tant que la ressource n'est pas limitante puis limitation de la population
totale par la ressource limitante.
Il y a donc théoriquement égalité des taux de croissance et des temps de latence entre cinétiques en
cultures mixte et pure. En revanche, les Nmax en culture mixte sont théoriquement différents de
ceux en culture pure.
Les hypothèses suivantes ne peuvent être rejetées :
§ ì Amixte = ì Apur
§
lag A mixte = lag A pur
§
ì
§
lag Bmixte = lag Bpur
Bmixte
=ì
Bpur
En revanche, il est possible qu'il y ait des différences significatives sur :
§ N max A mixte = N max A pur
§
N max B mixte = N max B pur
Il est également possible que l'hypothèse N max A mixte = N max A pur ne puisse être significativement
rejetée, ce qui conduirait à tort à exclure l'hypothèse d'une interaction de type compétition. En effet,
en supposant que la population A se développe plus rapidement que la population B (avantage
sélectif), la population B en culture mixte peut alors devenir négligeable par rapport à la population
A. Il est donc possible qu'en fin de culture mixte (au moment où commence la limitation par les
ressources), la différence entre population A et population totale A+B soit négligeable. Dans ce cas,
la courbe de croissance de A en culture mixte peut apparaître similaire à la courbe de croissance de
A en culture pure. La différence sur Nmax peut alors être non significative, surtout si la précision
d'estimation est médiocre.
103
II. Développements méthodologiques
Modèle de dynamique de croissance
Pour modéliser cette croissance conjointe, un modèle a été proposé sur les hypothèses suivantes :
§ accélération de Baranyi pour chaque souche,
§ croissance exponentielle pour chaque souche,
§ freinage logistique sur la population totale.
Ce modèle s'écrit comme un système de deux équations différentielles.
dN A ( t )
q0 A eµ t  N A ( t ) + N B ( t )
√
1−
=ì A
√
t
µ
N A (t)
dt
N max
↵
1 + q0 A e
1
A
A
µBt
 N A (t) + N B (t)
dN B ( t )
q0 B e
√
1−
=ì G
√
t
µ
N B ( t ) dt
N max
↵
1 + q0 B e
1
[75]
B
Avec NA(t) : densité de la population A (en ufc/mL) et N0A(t) : densité initiale de la population A (en ufc/mL) et
1
q0 A =
. De même pour la population B.
ì A lag A
e
−1
Il s'agit en fait d'une simplification du modèle de Dens et al. (1999), présentée dans la première
partie, avec á AB = á BA = 1. Ce modèle a été utilisé dans la deuxième étude de cas. Une autre variante est possible avec une accélération brutale au lieu de l'accélération de Baranyi. Cette variante a
été utilisée dans la troisième étude de cas.
Adéquation aux données expérimentales
Il n'existe pas de résolution formelle de ce système. Toutefois, il est possible d'en chercher une
résolution numérique pour des valeurs particulières des paramètres des cinétiques. Les résolutions
numériques du système d'équations différentielles peuvent être effectuées à l'aide de la procédure
NDSolve du logiciel Mathematica.
Les valeurs des paramètres de croissance µ et lag peuvent être fixées aux valeurs estimées sur des
cinétiques en culture mixte, voire sur des cinétiques en culture pure, en faisant l'hypothèse de neutralisme en absence de limitation par les ressources. La valeur de Nmax peut être fixée à la somme
des valeurs de Nmax estimées sur des cinétiques en culture mixte ou au maximum des valeurs de
Nmax estimées sur des cinétiques en culture pure.
104
II.2. Cultures mixtes en batch : vers une méthodologie standardisée
En divisant la chronique N A ( t ) par N A ( t ) + N B ( t ) , un modèle d'évolution de la proportion de la
population A peut être obtenu.
Différents outils ont donc été proposés dans cette deuxième partie et sont mis en application au travers
de trois études de cas, présentées dans la troisième partie.
105
PARTIE III
ETUDES DE CAS
"Comme il est extraordinaire que partout dans le monde les microbiologistes participent maintenant à des activités aussi différentes
que l'étude de la structure d'un gène, le contrôle d'une maladie, les
processus industriels (…). La microbiologie est une des professions
les plus gratifiantes parce qu'elle donne à ses praticiens la possibilité d'être en contact avec toutes les sciences naturelles et ainsi de
contribuer de multiples façons au bien-être de l'humanité."
René Dubos
107
III.1.
E. COLI O157:H7 ET E. COLI K12
La première étude présentée ici a été initiée au cours du travail de DEA puis prolongée dans la première
année de la thèse. Elle se fonde essentiellement sur la notion d'interaction. Elle a donné lieu à une communication écrite et à une communication affichée.
III.1.1. INTRODUCTION
Choix d'un modèle biologique
Pour un premier modèle biologique comme étude de cas dans l'étude des interactions en batch, le
choix s'est porté sur le couple Escherichia coli K12 / Escherichia coli O157:H7 en fonction de différents critères.
§ Critères biologiques : E. coli K12 est une bactérie couramment étudiée en microbiologie ;
E. coli O157:H7 est une bactérie entéro-hémorragique présentant un risque en microbiologie
alimentaire.
§ Critères écologiques : cette étude peut apporter une connaissance complémentaire en vue d'expliquer l'émergence relativement récente de E. coli O157:H7 dans divers écosystèmes.
§ Critères stratégiques : la compétition entre une bactérie pas ou peu dangereuse et une bactérie
pathogène (dans un aliment, un tube digestif etc.) peut expliquer la colonisation par l'une et/ou
l'autre des souches de ces écosystèmes.
§ Critères fondamentaux : les interactions intra-spécifiques semblaient plus enrichissantes à
étudier d'une part parce qu'elles sont vraisemblablement moins évidentes et qu'elles ont été
moins étudiées, d'autre part parce qu'elles permettent d'approcher des interactions intrapopulation (impossibles à étudier actuellement).
§ Critères techniques : bien que proches, E. coli K12 et E. coli O157:H7 présentent des différences métaboliques permettant de les différencier.
Objectifs de l'étude
La modélisation de la croissance en batch a largement été utilisée dans des objectifs appliqués (notamment pour la microbiologie prévisionnelle dans le domaine de la sécurité alimentaire). Elle m'est
également apparue comme un outil prometteur mais encore ignoré d'étude de la croissance d'un
point de vue physiologique. Dans cette étude, les cinétiques de E. coli O157:H7 ont été réalisées en
milieu minimum synthétique. Ce choix d'un milieu minimum dont tous les composants sont chimiquement définis illustre bien ma volonté d'avoir ici une approche physiologique plutôt qu'appliquée.
La méthodologie de comparaison de courbes présentée dans la deuxième partie a permis dans une
première phase de travail de caractériser l'interaction entre E. coli O157:H7 et E. coli K12 en
culture mixte. De plus, cette première phase a mis en évidence une anomalie de croissance d' E. coli
O157:H7. La deuxième phase de l'étude a visé à caractériser cette anomalie et à chercher une interprétation biologique à ces phénomènes.
108
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
III.1.2. TECHNIQUE DE DENOMBREMENT SPECIFIQUE
Géloses Mac Conkey Sorbitol
Sur gélose Mac Conkey Sorbitol, E. coli K12 (fermentant le sorbitol) forme des colonies rouges
alors qu'E. coli O157:H7 (ne fermentant pas le sorbitol) forme des colonies blanches, la fermentation du sorbitol étant mise en évidence par un indicateur coloré de pH. Ce milieu permet donc de
différencier ces deux souches.
Toutefois, le milieu Mac Conkey Sorbitol étant potentiellement inhibiteur, il était nécessaire de
vérifier que les dénombrements n'en aient pas été significativement affectés. La gélose Columbia
(milieu non inhibiteur permettant la croissance de bactéries exigeantes) a été choisie comme milieutémoin. Au cours des cultures pures, les résultats des doubles dénombrements (à partir d'une suspension bactérienne unique) ont été comparés.
Le test de Student sur données appariées permet de comparer deux méthodes ; la condition d'application du test est la normalité de la population des différences (Dagnélie, 1975). Or la distribution
des différences entre les nombres de colonies sur chaque boîte ne suit pas une distribution normale.
Après transformation logarithmique des données, l'hypothèse de normalité de la distribution des
différences n'est plus rejetée par le test du chi-2. Sur les logarithmes des nombres de colonies par
boîtes, le test de Student ne permet pas de détecter de différence significative au seuil 5% entre les
deux méthodes. Il est donc apparu acceptable d'utiliser la gélose Mac Conkey Sorbitol pour le
dénombrement différentiel des deux souches.
Cytométrie sur filtres et anticorps
Une technique de cytométrie sur filtre a été mise au point pour permettre le suivi des cinétiques
bactériennes en culture pure ou mixte. Le dénombrement global était effectué grâce à l’acridine
orange (intercalant de l’ADN), toutes les bactéries fixant ce colorant. Le dénombrement spécifique
de E. coli O157:H7 reposait sur une technique immunologique, l'antigène flagellaire H7 étant reconnu par un anticorps anti-H7, lui-même révélé par un second anticorps marqué à la fluorescéine
(fluorescence verte). En culture mixte, le dénombrement de E. coli K12 était obtenu par la différence entre le dénombrement global (acridine orange) et le dénombrement spécifique de E. coli
O157:H7 (anticorps anti-H7).
Marquage des bactéries avec l’anticorps anti-H7
A chaque prélèvement, 1mL de milieu de culture était mélangé à 1mL de solution filtrée de formol
à 1%. Après 10 minutes de contact assurant la perte de viabilité des bactéries présentes, la suspension était filtrée sur une membrane de polycarbonate 0,22 µm (Poretics, Paris, France) grâce au
système Cobra 1012 (bioMérieux). Ce dispositif permet la filtration concomitante de douze échantillons sur une même membrane grâce à douze puits contigus. Chaque dépôt était ensuite rincé par
filtration avec 1mL de tampon PBS-THS (Tween 0,1%, sérum de cheval 0,5%), puis mis en contact
pendant 5 minutes à 37°C avec 1mL d’une solution filtrée de PBS-THS contenant 0,07mg/mL
d’IgG de mouton anti-H7 (bioMérieux). Chaque dépôt était de nouveau rincé par filtration avec
109
III. Etudes de cas
1mL de tampon PBS-THS puis mis en contact pendant 5 minutes à 37°C avec une solution filtrée
de PBS-THS contenant 0,035 mg/mL d’anticorps anti-IgG de mouton marqués à la fluorescéine
(FITC) (Calbiochem, France) et 0,1% de Bleu de Evans (assurant la contre-coloration). Enfin chaque dépôt était rincé avec 1,5mL de tampon PBS-THS et séché à température ambiante. Pour
l’observation en épifluorescence, chaque dépôt était recouvert au préalable de 20µl d'Antifade Prolong (Molecular Probes, Leiden, Netherlands).
Marquage des bactéries avec l'acridine orange
Après 10 minutes de contact avec le formol, la suspension bactérienne était mélangée à 1mL d’une
solution filtrée d’acridine orange (Sigma, France) à 5 g/l en tampon citrate pH=4. Le mélange est
incubé 10 min à 37°C. La suspension était alors filtrée (avec le même système que ci-dessus). Un
rinçage par filtration était réalisé avec 1,5mL de tampon citrate pH=3 puis la membrane séchée à
température ambiante.
Analyse d'image
La source d’excitation pour les fluorochromes était une lampe à Mercure-Xenon de type Highintensity light source Hg100W, Xe100W (Nikon, Tokyo, Japon). Le microscope optique utilisé est
de type Nikon K220 (Nikon, Tokyo, Japon) Le traitement de l’ensemble des données optiques obtenues était réalisé avec une caméra à accumulation Coolview-512 System (Photonic Science Ltd,
U.K.) couplée à un analyseur d’image Asterias (Biocom, France).
Bilan
L'analyse d'image permet de dénombrer les bactéries présentes dans un champ de microscopie optique. Une expérience de répétabilité a été effectuée. A partir d'une suspension bactérienne unique, la
filtration a été réalisée sur 11 puits ; pour chaque puits 5 champs ont été analysés. Sur les 55
champs, la moyenne était de 118,4 bactéries par champ et l'écart-type de 21,2, soit un coefficient de
variation de 18 %. Les coefficients de variation intra-puits variaient de 9% à 20%. Cette incertitude
semble être de l'ordre de grandeur de l'erreur d'échantillonnage (loi de Poisson). Ces résultats sont
satisfaisants au regard des erreurs de la méthode de dénombrement par boîtes de Petri (cf. Annexe
2).
La mesure de la surface du champ de visualisation à l'objectif 40 de la caméra a été déterminée à
l'aide d'un micromètre porte-objet et a permis de calculer le nombre de champs par tâche de dépôt
(1550). A partir des dénombrements effectués dans 3 champs tirés aléatoirement dans la tâche de
dépôt, il est possible d’estimer le nombre de bactéries présentes sur l’ensemble de la surface de
dépôt et par extension de connaître le nombre de bactéries par mL de la culture initiale.
Les cinétiques de croissance ainsi obtenues d'après la cytométrie sur filtre (en multipliant la
moyenne de 3 dénombrements par champ par le facteur 1550 et le facteur de dilution) ont été comparées aux cinétiques de croissance obtenues d'après les dénombrements sur géloses. Les cinétiques
obtenues d'après cytométrie sur filtre apparaissent parallèles aux cinétiques obtenues par dénombrement sur boîtes de Petri. Il semble y avoir un rapport d'environ 3 entre les deux méthodes de
dénombrement. Cela pourrait s'expliquer par la différence entre unités formant colonies (bactérie
isolée ou chaînettes de bactéries) et bactéries. De plus, il semble qu'il y ait une forte variabilité du
110
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
dénombrement sur boîte de Petri à fortes concentrations (associées à de fortes dilutions). Or ce
problème ne se pose pas avec la méthode de cytométrie sur filtre (qui implique moins de dilutions).
Pour la série d'expériences présentée ici, le dénombrement par cytométrie a été mis au point progressivement et n'a pas été effectué pour toutes les cultures et - au sein de chaque culture - pas pour
tous les prélèvements. C'est pourquoi elles n'ont pas été exploitées statistiquement pour l'ajustement
des modèles de croissance. Les cinétiques utilisées ici ont été obtenues uniquement à partir de la
méthode par dénombrement sur géloses.
III.1.3. MISE EN EVIDENCE DE L'ANOMALIE DE
CROISSANCE ET DE L'INTERACTION
Matériel et méthodes
Souches
Les deux souches choisies étaient :
§ Escherichia coli K12, NC4100, lactose- , résistant à la streptomycine (provenant du laboratoire
de microbiologie de l'INSA Lyon, France).
§ Escherichia coli O157:H7, ATCC35150, isolée de fèces d'un patient atteint de colite hémorragique, présentant une activité cytotoxique (provenant du laboratoire de recherche de l'unité Industrie-Ecologie, bioMérieux).
Elles sont désignées par la suite respectivement E. coli K12 et E. coli O157:H7.
Précultures
Les souches étaient conservées en cryotubes immergés dans l'azote liquide, à -196°C. La première
préculture avait lieu dans un milieu complexe, permettant aux bactéries une récupération rapide
après la conservation au froid. Avant chaque journée de cultures, chaque souche était cultivée à
35°C sur gélose Columbia enrichie au sang de mouton (bioMérieux).
La deuxième préculture avait lieu à 37°C, dans le milieu liquide synthétique défini par Neidhardt et
al. (1974) additionné de glucose à 0,1g/L (cf. Tableau 5). Le milieu de culture stérile était ensemencé avec une suspension bactérienne diluée de chaque souche ; la concentration de l'inoculum
étant choisie en fonction de l'état physiologique attendu (faible inoculum pour la phase exponentielle, plus fort pour la phase stationnaire). Cette deuxième préculture avait lieu pendant environ
12h dans des cassettes de 11 puits, contenant chacun 1mL de milieu. La croissance était suivie au
MS2, automate d'enregistrement de la transmittance (cf. p. 96).
L'arrêt des précultures était décidé en fonction de l'observation des courbes d'absorbance observées :
§ pour la phase stationnaire, 4 à 6 heures après l'arrêt de croissance,
§ pour la phase exponentielle, dès la détection de l'augmentation de l'absorbance (c'est-à-dire à
partir une augmentation totale de l'absorbance de 0,01).
111
III. Etudes de cas
Tableau 5. Composition du milieu de Neidhardt et al. (1974).
Composants
g/L
Composants
mg/L
MOPS
8,372
CaCl2, 2H20
7,351
NaCl
2,922
FeSO4, 7H2O
2,78
Tricine
0,71668
H3BO3
0,0247
NH4Cl
0,5082
MnCl2, 4 H2O
0,0158
K2HPO4, 3H2O
0,23
CoCl2, 6H2O
0,0071
C6H12O6, H20
0,11
(NH4)6MO7O24,
4H2O
0,0037
MgCl2, 6H20
0,107348
ZnSO4, 7 H2O
0,0029
K2SO4
0,0481
CuSO4
0,0016
thiamine
0,01
Cultures
Le principe du protocole expérimental a été schématisé (cf. Figure 15).
Conservation
bouillon
coeur/cervelle +
glycérol
-196°C
1ères précultures
2èmes précultures
12 à 24 h
6 à 12 h
Cultures
6 à 12 h
gélose Columbia
milieu de Neidhart 0,1g/l glucose
milieu de Neidhart 0,1g/l glucose
35°C
37°C
37°C
37°C
Absorbance
Culture pure
K12
stationnaire
exponentiel
x
l
m
37°C
Culture mixte
K12 +
O157:H7
x
l
m
K12
Absorbance
l
ym
37°C
exponentiel
y
l
m
O157:H7
Culture
pure
O157:H7
Figure 15. Représentation schématique du protocole expérimental. Conservation : une culture mère en bouillon coeur/cervelle glycérolé de chacune
des souches était conservée dans un cryotube plongé dans l'azote liquide. Premières précultures : des colonies isolées étaient obtenues à partir de
chacune des souches par culture sur gélose Columbia à 35°C. Deuxièmes précultures : à partir de colonies isolées, chaque souche était mise en
culture dans des cassettes, constituées de 11 puits contenant chacun 1mL de milieu. Le suivi de la croissance était effectué par enregistrement automatique de l'absorbance, avec l'automate MS2. L'arrêt de croissance était décidé en fonction de l'état physiologique recherché : phase exponentielle ou
phase stationnaire. Cultures : la culture de E.coli K12 était ensemencée avec x mL de la préculture de E.coli K12 ; la culture de E.coli O157:H7 était
ensemencée avec ymL de la préculture de E.coli O157:H7 et la culture mixte avec x mL de la préculture de E.coli K12 et y mL de la préculture de
E.coli O157:H7. Le volume des inoculums variait de 1 à 10mL ; x et y étaient choisis de manière à obtenir des N0 de l'ordre de 1.105 ufc/mL. Les
cultures étaient réalisées en flacons de 250mL, de type Erlenmeyer, équipés d'un doigt de gant (permettant de vérifier la température interne) et
d'aiguilles (permettant l'injection de l'inoculum et les prélèvements), contenant 200mL de milieu et placés dans des bain-marie munis d'une résistance
112
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
électrique et d'un thermostat (assurant la régulation thermique) et d'un agitateur magnétique (assurant la rotation du barreau magnétique placé à
l'intérieur du flacon et donc l'agitation du milieu).
Les trois cultures étaient menées "en parallèle", dans trois bains-marie voisins. Les inoculums
étaient constitués à partir des deuxièmes précultures de manière à ce que l'inoculum de la culture
mixte soit la somme des inoculums des deux cultures pures. Chaque cinétique de croissance était
réalisée dans des conditions proches de celles de la préculture, en milieu synthétique de Neidhardt
(0,1g/L de glucose) dans un flacon immergé dans un bain-marie, dont la température était régulée à
37°C ± 0,1°C.
Suivi par dénombrement
Sur chaque culture, un prélèvement toutes les 20 à 40 minutes était effectué. A chaque date de
prélèvement, 1mL de culture environ était prélevé dans une seringue à l'aide des aiguilles spinales
plongeant dans le milieu de culture. En fonction de l'avancement de la cinétique, trois dilutions
étaient choisies a priori et deux boîtes de milieu gélosé étaient ensemencées pour chaque dilution
(soit un total de 6 boîtes à chaque prélèvement). L'ensemencement consistait à répartir 100 µL de la
dilution à la surface de la gélose au moyen de billes en verre stériles. La composition du tampon
(Meynell & Meynell, 1970) figure dans le Tableau 6. Les étalements étaient réalisés sur milieux
gélosés Columbia (bioMérieux, Marcy l'Etoile, France) et Mac Conkey Sorbitol n°3 (Oxoid, Basingstoke, Grande Bretagne).
Tableau 6. Composition du tampon T2 (Meynell & Meynell, 1970). Le milieu est stérilisé par filtration (0,22µ). Le pH est égal à 7.
Composants
g/L
K2SO4
5
KH2PO4
1,5
Na2HPO4, 2H2O
3,76
MgSO4, 7H2O
0,24
CaCl2, 2H2O
0,14
gélatine
0,01
Après 24h de culture à 35°C, les colonies formées à la surface des boîtes étaient dénombrées. Seule
la dilution pour laquelle les dénombrements étaient compris entre 30 et 300 colonies était retenue a
posteriori. Cette plage permet d'atteindre un compromis satisfaisant entre erreurs d'échantillonnages
pour des faibles nombres et erreurs de comptage pour de forts nombres (en raison de la confluence
des colonies). Le résultat était converti en ufc/mL.
Définition des jeux de données
Chaque culture a donné lieu à un jeu de données (t : date de prélèvement, x : concentration bactérienne estimée à partir de la méthode de dénombrement sur gélose). Il est clairement apparu que la
précision sur les fortes concentrations atteintes (imposant de fortes dilutions) était médiocre. C'est
pourquoi il a été décidé d'éliminer les points de forte densité bactérienne.
Les jeux de données ainsi construits sont nommés par un code à 3 lettres et un chiffre. La première
lettre code pour la souche (A : E. coli K12 et B : E. coli O157:H7) ; la deuxième pour l'état physiologique (e : exponentiel et s : stationnaire) ; la troisième pour le type de culture (p : pur et m :
113
III. Etudes de cas
mixte). Aux 8 blocs complets réalisés correspondent 8 quadruplets de jeux de données. De plus,
pour 4 autres blocs, un problème artefactuel sur l'un des inoculums a conduit à éliminer les jeux de
données de la culture mixte et d'une des cultures pures mais la deuxième culture pure pouvait être
exploitable ; ainsi 4 jeux de données supplémentaires ont été obtenus, ce qui est récapitulé cidessous (cf. Tableau 7).
Tableau 7 : Planification expérimentale et définition des jeux de données.
Etat
Cultures pures
Cultures mixtes
E. coli
K12
E. coli
O157:H7
E. coli
K12
E. coli
O157:H7
E. coli K12
E. coli
O157:H7
8
exponentiel
exponentiel
Aep2
Bep3
Aem2
Bem3
blocs
exponentiel
exponentiel
Aep3
Bep4
Aem3
Bem4
complets
exponentiel
stationnaire
Aep1
Bsp2
Aem1
Bsm2
exponentiel
stationnaire
Aep4
Bsp4
Aem4
Bsm4
(soit 8x4
stationnaire
exponentiel
Asp1
Bep1
Asm1
Bem1
=32
stationnaire
exponentiel
Asp3
Bep2
Asm3
Bem2
jeux de
stationnaire
stationnaire
Asp2
Bsp1
Asm2
Bsm1
données)
stationnaire
stationnaire
Asp4
Bsp3
Asm4
Bsm3
4 jeux
-
exponentiel
-
Bep5
-
-
de données
-
stationnaire
-
Bsp5
-
-
supplé-
stationnaire
-
Asp5
-
-
-
mentaires
stationnaire
-
Asp6
-
-
-
Choix des modèles
Il était nécessaire dans un premier temps de choisir les modèles primaires les plus pertinents pour
décrire les cinétiques de croissance. Les modèles ont été construits sur le logarithme décimal de la
concentration bactérienne, cette transformation étant classiquement utilisée pour stabiliser la variance.
Deux modèles candidats étaient proposés a priori :
§ croissance exponentielle sans latence :
log( N) = log(N 0 )+
§
ì
t
ln(10)
[76]
latence puis croissance exponentielle :
log(N 0 ) si t ≤ lag
log( N) =
log(N 0 ) +
ì
( t − lag) si t > lag
ln(10)
[77]
L'arrêt de croissance (passage en phase stationnaire) n'était pas pris en compte puisque les derniers
points ont été exclus. Le logarithme décimal de la concentration bactérienne initiale log(N0) était
estimé et donc considéré comme un paramètre. Il s'agit donc respectivement d'un modèle nonlinéaire à 3 paramètres - lag, µ et log(N 0) - et d'un modèle linéaire à 2 paramètres - log(N0) et µ. Le
114
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
second est emboîté dans le premier, c'est-à-dire qu'il constitue un cas particulier, avec la contrainte
lag=0. Le choix entre modèle partiel et modèle complet repose sur le test statistique (Bates & Watts,
1988) présenté dans la deuxième partie (cf. p. 100).
D'autre part, il est biologiquement attendu qu'une souche dans un état physiologique donné ait toujours les mêmes paramètres de croissance (µ et lag) d'une culture pure à l'autre. L'examen de cette
hypothèse a été effectuée en testant l'effet bloc sur les paramètres de croissance dans un modèle
commun à l’ensemble des cinétiques en cultures pures réalisées dans les mêmes conditions (soit 4,
5 ou 6 jeux de données). De plus, regrouper ainsi un ensemble de plusieurs jeux de données a apporté un gain de puissance et a donc permis de construire dans certains cas des modèles plus pertinents. Il aurait été aberrant dans cette étude de tester l'hypothèse d'égalité des log(N0) puisque rien
dans les méthodes expérimentales employées n'a visé à atteindre des concentrations initiales égales
d'un bloc à l'autre.
Comparaison culture mixte/culture pure
Il a été testé si, à partir d'une préculture unique, une souche a eu au sein d'un bloc les mêmes paramètres de croissance (µ et lag) en absence ou présence de l'autre souche (culture pure/mixte).
L'examen de cette hypothèse a été effectué en testant l'effet mixité sur les paramètres de croissance
dans un modèle commun à un couple de jeux de données (culture pure et culture mixte d'une même
souche dans un même bloc). Dans cette étude, la contrainte d'égalité des log(N0) était imposée puisque le protocole employé visait à s'assurer de cette égalité.
Bilan
La démarche globale est schématisée ci-dessous :
Choix d'un modèle en culture pure
Ajustement à chaque cinétique des modèles envisagés - Test des modèles emboîtés => choix d'un des modèles
Appréciation visuelle de l'ajustement au modèle choisi (étude du graphe des résidus)
Si ajustement satisfaisant : ok
Si ajustement non satisfaisant
Regroupement de tous les jeux de données : construction d'un modèle commun à toutes les cinétiques
Test de l'effet bloc sur les paramètres de croissance (modèles emboîtés)
Eventuellement : choix d'un modèle plus approprié (jeu de données plus riche)
Choix d'un modèle en culture mixte
Ajustement à chaque cinétique des modèles envisagés - Test des modèles emboîtés => choix d'un des modèles
Comparaison culture pure / culture mixte
Ajustement à chaque couple de cinétiques d'un modèle commun aux deux courbes
(avec les morphologies de croissance suggérées par les étapes préliminaires)
Test des modèles emboîtés => vérification des hypothèses d'égalité des paramètres
Figure 16 : représentation schématique de la démarche adoptée pour la modélisation des courbes
115
III. Etudes de cas
Croissance de E. coli K12 en culture pure
Inoculum en phase exponentielle
Quatre cultures ont permis le suivi de croissance de E. coli K12 à partir d'un inoculum pur en phase
exponentielle. Pour 3 jeux de données sur 4 (Aep1, Aep3 et Aep4), les ajustements aux modèles
avec et sans temps de latence sont équivalents, la valeur estimée de lag étant inférieure à la première valeur de t (même µ, même SCErés13). Pour le dernier jeu de données Aep2, le test des modèles emboîtés indique que l'hypothèse lag=0 n'est pas rejetée au niveau 5% (p = 0,3). Il en résulte
que le modèle de croissance exponentielle sans phase de latence est retenu (cf. Tableau 8).
Tableau 8. Résultats de l'ajustement du modèle sans latence aux données de croissance de E. coli K12 à partir d'un inoculum pur en phase exponentielle. n : nombre de points. ICC 95% : intervalles de confiance à 95% d'après linéarisation
n
log(N0)
ICC 95%
µ (h-1)
ICC 95%
Aep1
14
5,023
[4,865 ; 5,180]
0,828
[0,732 ; 0,923]
Aep2
10
4,648
[4,592 ; 4,700]
0,506
[0,459 ; 0,551]
Aep3
13
4,580
[4,381 ; 4,777]
0,716
[0,579 ; 0,853]
Aep4
9
5,441
[5,350 ; 5,532]
0,533
[0,448 ; 0,617]
L'observation des cinétiques et des graphes de résidus révèle que ce modèle de croissance exponentielle sans latence semble adapté aux jeux de données.
log(N)
8
7
6
5
0
2
4
6
8
Temps (h)
Figure 17. Exemple d'ajustement du modèle sans latence (jeu de données Aep1). Droite théorique et valeurs expérimentales
Un modèle commun aux 4 cinétiques à 5 paramètres (un log(N0) par cinétique ;
µ max
en commun) a
été ajusté à ces 4 courbes. D'après le test des modèles emboîtés, le modèle commun à 8 paramètres
(1 couple log(N 0) / µ par cinétique) est plus adapté : l'hypothèse d'égalité des µ d'une culture à l'autre est rejetée au niveau 5% (p=0,0001). Il semble exister des différences artefactuelles entre les
blocs.
Inoculum en phase stationnaire
Six cultures ont permis le suivi de croissance de la souche K12 à partir d'un inoculum pur en phase
stationnaire. Un modèle de croissance avec phase de latence a été ajusté à chacun des 6 jeux de
données numérotés Asp1 à Asp6. D'après le test de modèles emboîtés, l'hypothèse lag=0 n'est rejetée au niveau 5 % que pour 2 jeux de données (Asp3 et Asp6). Il semble au vu des données que le
temps de latence n'est pas nul mais que le surcroît de complexité du modèle avec latence n'est pas
13
La somme des carrés des écarts résiduels (SCErés) est un critère quantifiant l'adéquation du modèle aux données (cf. p.
78).7
116
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
justifié vis-à-vis de la qualité des données. Dans ces conditions, rassembler les jeux de données
conduit à enrichir l'information.
Le modèle complet avec un triplet de paramètres (log(N0), lag, µ) pour chacune des 6 courbes (soit
18 paramètres pour 91 points) a été comparé à un modèle emboîté dont la contrainte est l'égalité des
µ et des lag entre toutes les courbes (soit un modèle à 8 paramètres, pour 91 points). D'après le test
des modèles emboîtés, l'hypothèse d'égalité des paramètres de croissance lag et µ n'est pas rejetée
au niveau 5%. Les six cultures peuvent donc être considérées du point de vue statistique comme des
répétitions pour l'estimation des paramètres de croissance lag et µ. Sur ce jeu de données plus riche,
le test des modèles emboîtés permet de rejeter l'hypothèse de nullité de lag au niveau 5% (p=0,002).
C'est ce modèle unifié avec latence qui est donc choisi.
Tableau 9. Résultats de l'ajustement du modèle de croissance exponentielle avec latence aux données de E. coli K12 à partir d'un
inoculum pur en phase stationnaire. Modèle général (égalité des µ et lag).
Paramètre
Estimation
ICC 95%
Paramètre
Estimation
ICC 95%
µ (h-1)
0,783
[0,721 - 0,845]
log(N0)3
5,560
[5,409 - 5,709]
lag (h)
1,091
[0,681 - 1,502]
log(N0)4
6,132
[5,978 - 6,286]
log(N0)1
5,679
[5,529 - 5,829]
log(N0)5
5,292
[5,162 - 5,422]
log(N0)2
5,686
[5,539 - 5,832]
log(N0)6
5,738
[5,592 - 5,885]
log(N)
log(N)
8
8
8
7
7
7
6
6
6
5
5
5
0
2
4
6
8
0
log(N)
2
4
6
8
8
8
8
7
7
7
6
6
6
5
5
5
0
2
4
6
8
Temps (h)
0
2
4
6
8
Temps (h)
0
2
4
6
8
0
2
4
6
8
Temps (h)
Figure 18. Ajustement du modèle général de croissance aux cinétiques de E. coli K12 Asp1 à Asp6.
Croissance de E. coli K12 en culture mixte
Inoculum en phase exponentielle
Pour les 4 jeux de données en culture mixte les ajustements aux modèles avec et sans temps de latence sont équivalents, la valeur estimée de lag étant inférieure à la première valeur de t (même µ,
même SCE). Le modèle de croissance exponentielle sans phase de latence est donc retenu pour
décrire ces 4 cinétiques.
Tableau 10. Résultats de l'ajustement du modèle sans latence aux données de croissance de E. coli K12 à partir d'un inoculum mixte
en phase exponentielle.
117
III. Etudes de cas
n
log(N0)
ICC 95%
µ (h-1)
ICC 95%
Aem1
14
5,22
[5,07 ; 5,37]
0,80
[0,70 ; 0,90]
Aem2
9
4,57
[4,48 ; 4,66]
0,48
[0,41 ; 0,56]
Aem3
13
4,79
[4,62 ; 4,97]
0,63
[0,54 ; 0,72]
Aem4
15
5,35
[5,16 ; 5,55]
0,62
[0,51 ; 0,73]
Inoculum en phase stationnaire
En comparant les modèles avec et sans latence, l'hypothèse lag=0 est rejetée au niveau 5 % pour 3
jeux de données sur 4. Il semble justifié de choisir le modèle avec latence.
Tableau 11. Résultats de l'ajustement du modèle avec latence aux données de croissance de K12 à partir d'un inoculum
mixte en phase stationnaire. n : nombre de points. ICC 95% : intervalles de confiance à 95% d'après linéarisation.
n
lag (h)
ICC 95%
log (N0)
ICC 95%
µ (h-1)
ICC 95%
Asm1
15
1,4
[0,7 ; 2,1]
5,68
[5,52 ; 5,83]
0,82
[0,71 ; 0,94]
Asm2
11
1,6
[0,8 ; 2,4]
5,63
[5,39 ; 5,87]
1,05
[0,81 ; 1,29]
Asm3
14
1,4
[0,5 ; 2,2]
5,46
[5,20 ; 5,71]
0,98
[0,82 ; 1,14]
Asm4
11
1,0
[-0,0 ; 2,0]
6,18
[5,99 ; 6,36]
0,65
[0,47 ; 0,83]
Comparaison cultures pures/cultures mixtes
Par une simple observation des couples de cinétiques (culture pure/culture mixte), les deux cinétiques de chacun des bloc sont apparues superposables (cf. Figure 19 et Figure 20).
log(N)
log(N)
(a)
(b)
7
7
6
6
5
5
0
2
4
6
0
(c)
2
4
(d)
7
7
6
6
5
5
0
2
4
6
Temps (h)
0
2
4
6
Temps (h)
Figure 19. Comparaison des cinétiques pures ( )/mixtes ( ) de E. coli K12. à partir d'un inoculum en phase exponentielle. (a) :
Aep1/Aem1. (b) : Aep2/Aem2. (b) : Aep3/Aem3. (d) : Aep4/Aem4.
log(N)
8
log(N)
8
(a)
7
7
6
6
5
5
4
4
0
8
2
4
6
0
8
(c)
7
7
6
6
5
5
4
0
2
4
6
8
Temps (h)
118
(b)
4
2
4
6
(d)
0
2
4
Temps (h)
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
Figure 20. Comparaison des cinétiques pures ( )/mixtes ( ) de E. coli K12 à partir d'un inoculum en phase stationnaire. (a) :
Asp1/Asm1. (b) : Asp2/Asm2. (b) : Asp3/Asm3. (d) : Asp4/Asm4.
Avec un inoculum en phase exponentielle, la comparaison de chacune de ces 4 cinétiques de E. coli
K12 en culture mixte avec le "témoin" en culture pure a été effectuée en testant l'égalité des µ par le
test de modèles emboîtés. Deux modèles étaient proposés : un modèle à 3 paramètres (log(N0)
commun, µp en culture pure, µm en culture mixte) et un modèle à 2 paramètres (log(N0) commun, µ
commun). Pour 3 expériences sur 4, le modèle à deux paramètres est apparu plus approprié. Pour
Aep2/Aem2, le problème semble dû à une différence entre les deux inoculums. En effet, un modèle
à 3 paramètres (log(N0)p, log(N0) m, µ commun) est plus approprié qu'un modèle à 4 paramètres
(log(N0)p, log(N0)m, µp, µm).
Avec un inoculum en phase stationnaire, la comparaison de chacune des 4 cinétiques de E. coli K12
en culture mixte avec son "témoin" en culture pure a été effectuée par le test de modèles emboîtés
en comparant un modèle à 5 paramètres (log(N0) commun, µp et lag p en culture pure, µm et lagm en
culture mixte) et un modèle à 3 paramètres (log(N0), lag et µ en commun). Sous la contrainte d'égalité des log(N 0), l'hypothèse d'égalité des paramètres de croissance (µ et lag) au sein d'un bloc n'est
jamais rejetée au niveau 5% par le test de modèles emboîtés.
Croissance de E. coli O157:H7 en culture pure
Inoculum en phase exponentielle
Cinq cultures ont permis le suivi de croissance en culture pure de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum en phase exponentielle. Dans un premier temps, le modèle avec latence et le modèle sans
latence ont été ajustés à chacun des cinq jeux de données. Dans tous les cas, la valeur estimée pour
le paramètre lag est inférieure à la première valeur de la variable t, pour laquelle il y a eu mesure.
Les valeurs des SCE avec ou sans la contrainte lag=0 sont égales (ajustement équivalents). On peut
donc admettre que le temps de latence soit nul.
Mais pour 4 cinétiques sur 5 (toutes à l'exception de Bep3), l'observation des courbes et des graphiques de résidus révèle que le modèle exponentiel ne semble pas être tout à fait adapté aux jeux de
données. Une structure "en cloche" apparaît nettement dans les résidus : ils sont négatifs en début
de croissance, puis positifs, puis à nouveau négatifs. Effectivement, les données ne correspondaient
pas à une croissance exponentielle classique (cf. Figure 21).
log(N)
log(N)
(a)
6
6
5
5
0
2
4
6
8
Temps (h)
(b)
0
2
4
6
8
10
Temps (h)
Figure 21. Cinétiques de croissance de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum en phase exponentielle. (a) Bep1. (b) Bep5.
Quoique cela soit parfois difficile à constater par une simple observation des données, les cinétiques
présentaient plutôt une morphologie biphasique voire triphasique avec une première croissance rapide en début de culture puis une croissance plus lente (ou un arrêt de croissance) et éventuellement
119
III. Etudes de cas
une troisième phase de recroissance rapide (cf. Figure 21). En raison du manque de points expérimentaux, des modèles de dynamique de croissance n'ont pu être ajustés mais des modèles adaptés
seront présentés plus loin, sur des couples cinétiques en culture pure/cinétiques en culture mixte.
Inoculum en phase stationnaire
Cinq cultures ont permis le suivi de croissance de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum pur en
phase stationnaire. Un modèle de croissance avec phase de latence a été ajusté à chacun des 5 jeux
de données numérotés Bsp1 à Bsp5. D'après le test de modèles emboîtés, l'hypothèse lag=0 est rejetée au niveau 5 % pour un seul jeu de données (Bsp5). Toutefois l'observation des courbes et des
graphiques de résidus révèle qu'il y a bien une latence mais qu'ensuite le modèle exponentiel ne
semble pas être adapté aux jeux de données. L'observation des jeux de données Bsp4 et Bsp 5 (cf.
Figure 22) montre qu'il y aurait après la latence une phase de croissance rapide suivie d'une phase
de croissance lente puis d'une nouvelle phase de croissance rapide.
log(N)
log(N)
8
8
7
7
6
6
5
5
0
2
4
6
8
Temps (h)
0
2
4
6
8
Temps (h)
Figure 22. Exemples de cinétiques de croissance de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum en phase stationnaire. (a)Jeu de données
Bsp4. (b) Jeu de données Bsp5.
Les modèles suggérés par ces observations contiendraient un trop grand nombre de paramètres par
rapport au nombre de points expérimentaux. Mais des modèles adaptés seront présentés plus loin.
Croissance de E. coli O157:H7 en culture mixte
Inoculum en phase exponentielle
Les modèles de croissance exponentielle avec et sans latence ont été ajustés aux jeux de données de
E. coli O157:H7 en culture mixte. L'hypothèse de nullité du temps de latence n'a pas été rejetée.
Tableau 12. Résultats de l'ajustement du modèle exponentiel sans latence aux données de croissance de O157:H7 à partir d'un inoculum pur en phase exponentielle.
n
SCE
log(N0)
ICC 95%
µ (h -1)
ICC 95%
Bem1
12
0,280
4,68489
[4,463 ; 4,901]
0,60327
[0,486 ; 0,720]
Bem2
13
1,363
4,090
[3,651 ; 4,529]
0,840
[0,565 ; 1,114]
Bem3
9
0,072
5,323
[5,167 ; 5,478]
0,465
[0,334 ; 0,595]
Bem4
14
0,131
4,91854
[4,794 ; 5,043]
0,437
[0,370 ; 0,504]
L'ajustement du modèle à deux paramètres (log(N0), µ) est apparu satisfaisant.
120
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
Inoculum en phase stationnaire
Le modèle de croissance exponentielle précédée d'une latence a été ajustée aux 4 cinétiques de
E. coli O157:H7 en culture mixte. Les ajustements sont visuellement satisfaisants.
Tableau 13. Résultats de l'ajustement du modèle avec latence aux cinétiques en culture mixte de E. coli O157:H7.
Comparaison cultures pures /cultures mixtes
n
log(N0)
ICC 95%
lag (h)
ICC 95%
µ (h -1)
ICC 95%
Bsm1
14
5,513
[5,384 ; 5,642]
1,909
[1,556 ; 2,260]
1,570
[1,386 ; 1,753]
Bsm2
14
5,341
[5,171 ; 5,510]
0,585
[-0,179 ; 1,35]
0,654
[0,563 ; 0,745]
Bsm3
11
6,226
[5,982 ; 6,470]
1,183
[0,319 ; 2,047]
0,865
[0,665 ; 1,064]
Bsm4
12
5,477
[5,361 ; 5,593]
1,383
[0,630 ; 2,136]
0,643
[0,484 ; 0,803]
Comparaison cultures pures/cultures mixtes
Puisqu'il avait été difficile de caractériser les cinétiques de E. coli O157:H7 en cultures pures en
raison du faible nombre de points expérimentaux, le fait de regrouper deux cinétiques (une en
culture pure, une en culture mixte) devrait permettre d'enrichir l'information disponible, au moins
concernant log(N0).
Il semble que dans une première phase, les cinétiques de E. coli O157:H7 en culture pure et en
culture mixte soient superposables et qu'elles se séparent dans une deuxième phase, la croissance
continuant au même taux que dans la première phase en culture mixte. Différentes manières de
décrire la fin de la cinétique en culture pure ont été testées. La solution retenue est une phase d'arrêt
de croissance puis une nouvelle phase de croissance exponentielle.
Pour un inoculum en phase exponentielle, le modèle s'écrit donc :
§ en culture mixte :
log(N( t ) ) = log(N 0 )+
§
ì
t
ln(10)
[78]
en culture pure :
log(N( t ) ) = log(N 0 )+
ì t
si t ≤ ral
ln(10)
ì ral
si ral ≤ t ≤ acc
log(N( t ) ) = log(N 0 )+
ln(10)
ì ral
ì
log(N( t ) ) = log(N 0 )+
+
( t − acc) si t ? acc
ln(10) ln(10)
[79]
Avec N 0p=N0m=N0, la population initiale pour les deux cinétiques ; µp=µm=µ le taux de croissance en culture mixte et pendant la
première phase de la culture pure ; ral : le passage en arrêt temporaire de croissance ; acc : le passage en deuxième phase de croissance.
Les hypothèses lag p=lagm=0 ; N0p=N0m et µp=µm ont été acceptées au risque 5%. Ce modèle correspond bien aux deux cinétiques de E. coli O157:H7 inoculum en phase exponentielle avec E. coli
K12 inoculum en phase stationnaire (cf. Figure 23), mais pas aux expériences dans lesquelles les
deux inoculums étaient en phase exponentielle. Pour les deux autres couples culture pure/culture
121
III. Etudes de cas
mixte, il est difficile de décider si le phénomène était réellement différent ou si le nombre de points
expérimentaux était trop faible pour une bonne exploitation.
Pour un inoculum en phase stationnaire, le modèle s'écrit :
§ en culture mixte :
log(N ) = log(N 0 ) si t ≤ lag
log(N ) = log(N 0 )+
§
en culture pure :
[80]
ì
( t − lag)
ln(10)
log(N ) = log(N 0 ) si t ≤ lag
log(N ) = log(N 0 )+
ì
( t − lag) si lag ≤ t ≤ ral
ln(10)
log(N ) = log(N 0 )+
ì
(ral − lag) si ral ≤ t ≤ acc
ln(10)
log(N ) = log(N 0 )+
ì2
ì
(ral − lag) +
( t − acc) si t ? acc
ln(10)
ln(10)
[81]
Avec lag p=lagm =lag, le temps de latence pour les deux cinétiques ; N0p=N0m=N0, la population initiale pour les deux cinétiques ;
µp=µm=µ le taux de croissance en culture mixte et pendant la première phase de la culture pure ; µ2 le taux de croissance à la fin de la
culture pure ; ral : le passage en arrêt temporaire de croissance ; acc : le passage en deuxième phase de croissance.
log(N)
8
log(N)
8
(a)
7
7
6
6
5
5
4
0
2
4
6
4
8
(b)
0
2
4
6
Temps (h)
8
log(N)
log(N)
log(N)
8
8
8
(c)
(d)
7
7
7
6
6
6
5
5
5
4
0
2
4
6
8
10
Temps (h)
4
0
2
10
Temps (h)
4
6
8
10
Temps (h)
4
(e)
0
2
4
6
8
10
Temps (h)
Figure 23. Cinétiques en cultures pures ( )/mixtes ( ) de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum en phase exponentielle (a et b) ou
stationnaire (c, d, e). Les courbes correspondent aux modèles [80] (a et b) ou [81] (c,d,e).
Les hypothèses lagp=lagm ; N0p=N0m et µp=µm ont été acceptées au risque 5%. Ce modèle correspond bien à trois couples culture pure/culture mixte de E. coli O157:H7. Pour le quatrième bloc, le
nombre de points expérimentaux ne permettait pas une bonne exploitation.
Enfin, dans certains cas, l'hypothèse µp=µm=µ2m pourrait également être acceptée, c'est-à-dire que la
deuxième phase de croissance exponentielle a le même taux de croissance que la première.
122
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
Bilan
Effet de l'état physiologique initial
Pour E. coli K12, il est apparu que l'état physiologique initial de la bactérie a un effet sur les paramètres de croissance. A partir d'un inoculum en phase stationnaire, le temps de latence est de l'ordre d'une heure alors qu'il est négligeable à partir d'un inoculum en phase exponentielle. De plus, il
semble que le taux de croissance à partir d'un inoculum en phase exponentielle (moyenne des estimations en culture pure : 0,646h-1) soit inférieur au taux de croissance à partir d'un inoculum en
phase stationnaire (estimé à 0,785 h-1). Cette hypothèse est confirmée par le fait que le test des
modèles emboîtés rejette le modèle général, regroupant les 10 jeux de données de cultures pures de
K12, imposant le même taux de croissance à toutes les cinétiques (avec des lag différents selon
l'état initial, et des log(N0) différents pour chaque cinétique). Toutefois, ce résultat doit être interprété avec précaution du fait de la variabilité artefactuelle des cinétiques de K12 à partir d'un inoculum pur en phase exponentielle. En effet, une plus grande hétérogénéité des taux de croissance est
apparue à partir d'inoculums en phase exponentielle. L'effet bloc était significatif dans le cas d'inoculums en phase exponentielle (hypothèse d'égalité des µ rejetée au niveau 5%) mais pas dans le cas
d'inoculums en phase stationnaire. Cela pourrait être dû à une hétérogénéité des inoculums, ce qui
rejoint une observation déjà relevée au laboratoire : il est plus difficile d'obtenir des croissances
répétables à partir d'inoculums en phase exponentielle qu'à partir d'inoculums en phase stationnaire.
Des conclusions similaires pourraient êtres tirées des cinétiques de E. coli O157:H7 même si les
modèles de dynamique de croissance simples (modèle exponentiel avec ou sans latence) n'ont pu
être ajustés.
Mise en évidence de l'anomalie de croissance de E. coli O157:H7
Des particularités de la croissance de E. coli O157:H7 en milieu liquide synthétique ont été mises
en évidence. Cette souche ne semble pas suivre le modèle classique (représenté ici par E. coli K12)
de croissance exponentielle. En cultures pures, des modèles à deux ou trois phases de croissance
distinctes seraient plus appropriés.
Le même phénomène a été observé pour les cinétiques obtenues par cytométrie sur filtre (résultats
non présentés).
Mise en évidence de l'interaction entre E. coli K12 et E. coli O157:H7
Aucun couple culture pure/culture mixte de E. coli K12 n'a permis de mettre en évidence une différence significative (si ce n'est dans un cas une différence artefactuelle de N0) entre les deux cinétiques. Que ce soit à partir d'un inoculum en phase exponentielle ou en phase stationnaire, il semble
que les paramètres de croissance de E. coli K12 en culture mixte ne soient pas significativement
différents des paramètres de croissance en culture pure. Il n'y aurait donc pas d'effet significatif de
la présence et de la croissance parallèle de E. coli O157:H7 sur les paramètres de croissance lag et µ
de E. coli K12.
En revanche, la combinaison E. coli O157:H7 en phase exponentielle/E. coli O157:H7 en phase
stationnaire est la seule (sur 4) pour laquelle l'hypothèse que les cinétiques pures et cinétiques mix123
III. Etudes de cas
tes soient superposables est acceptable. Dans tous les autres cas, la croissance en culture mixte est
plus rapide qu'en culture pure.
J'ai donc mis en évidence une interaction entre E. coli K12 et E. coli O157:H7, caractérisée par un
effet neutre de E. coli O157:H7 sur la croissance de E. coli K12 et un effet positif de E. coli K12 sur
la croissance de E. coli O157:H7. Dans la classification d'Odum (1953), une telle interaction est un
commensalisme.
III.1.4. EFFET DE LA METHIONINE ET ANOMALIE
La première phase de l'étude a permis de mettre en évidence en milieu minimum synthétique une
anomalie de croissance de E. coli O157:H7 et un commensalisme, avec effet positif de E. coli K12
sur la croissance de E. coli O157:H7. L'anomalie de croissance de E. coli O157:H7 en milieu minimum synthétique pourrait être due à une carence en un nutriment non indispensable, nutriment qui
lui serait fourni par E. coli K12 en culture mixte. La deuxième phase de l'étude a visé à identifier
cette substance et à généraliser les observations à un plus grand nombre de souches.
Caractérisation sur deux souches
Dans un premier temps, les deux souches utilisées préalablement ont été étudiées.
Supplémentation du milieu en acides aminés
En milieu complet (de type bouillon cœur cervelle) et un milieu minimum supplémenté en acides
aminés, aucune anomalie de croissance n'a été détectée (résultats non présentés). Différents mélanges d'acides aminés (regroupés par voies de biosynthèse) ont alors été testés (cf. Figure 24). Le milieu était le milieu de référence des expériences précédentes (milieu de Neidhart supplémenté avec
0,1g/L de glucose) supplémenté avec 1 ou plusieurs acides aminés. Le suivi se faisait par turbidimétrie, en utilisant le MS2 (cf. p. 96).
L'anomalie de croissance en milieu minimum apparaît très nettement sur ce graphe. En présence de
tous les acides aminés de la voie de biosynthèse de la méthionine (Asp+Asn+Mét+Thr+Iso+Lys), la
croissance est très proche d'une cinétique exponentielle, alors que les autres mélanges d'acides
aminés testés n'apportait aucune modification par rapport au milieu minimum. Au sein des acides
aminés de la voie de biosynthèse de la méthionine, la méthionine, à elle seule, peut très nettement
corriger l'anomalie.
124
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
Absorbance
0,1
Asp+Asn+Mét+
Thr+Iso+Lys
Mét
0,01
Milieu minimum
ou autres acides
aminés
0,001
0
200
400
600
800
1000
1200
Temps (minutes)
Figure 24. Représentations sur une échelle semi-logarithmique de cinétiques de croissance de E. coli O157:H7 en milieu
minimum supplémenté en différents mélanges d'acides aminés.
Comparaison méthionine / culture mixte
En utilisant les techniques de cultures en flacons de type Erlenmeyer et de dénombrements sur
boîtes, cet effet positif de la méthionine sur la croissance de E. coli O157:H7 (inoculum en phase
stationnaire) a été confirmé. Il apparaît que la supplémentation en méthionine (100 mg/L) agit similairement à la co-croissance de E. coli K12. En effet le modèle de croissance qui s'ajuste le mieux
aux données est similaire à celui utilisé pour modéliser simultanément cinétiques en cultures pure et
mixte :
§ en présence de méthionine : croissance exponentielle au taux de croissance µm après une latence
lagm ;
§ en absence de méthionine : latence lagp puis croissance exponentielle au taux de croissance µp,
puis arrêt de croissance, puis deuxième croissance exponentielle au taux de croissance µp2.
Les hypothèses lagp=lagm ; N0p=N0m et µp=µm=µp2 ont été acceptées au risque 5%.
Le modèle est alors le suivant :
§ avec méthionine :
log(N ) = log(N0 ) si
log(N ) = log(N0 )+
§
t ≤ lag
ì
( t − lag)
ln(10)
[82]
sans méthionine :
log(N ) = log(N0 ) si t ≤ lag
log(N ) = log(N0 )+
ì
( t − lag) si lag ≤ t ≤ ral
ln(10)
log(N ) = log(N0 )+
ì
(ral − lag) si ral ≤ t ≤ acc
ln(10)
log(N ) = log(N0 )+
ì
ì
(ral − lag) +
( t − acc) si t ? acc
ln(10)
ln(10)
[83]
L'adéquation du modèle aux données a été jugée satisfaisante (cf. Figure 25).
125
III. Etudes de cas
log(N)
9
8
7
6
5
0
2
4
6
8
10
Temps (h)
Figure 25. Cinétiques en milieu minimum sans méthionine ( ) ou avec ( ) de E. coli O157:H7 à partir d'un inoculum en stationnaire.
Cette deuxième phase du travail a donc permis de mettre en évidence que l'anomalie de croissance
de E. coli O157:H7 en milieu minimum synthétique est levée par la méthionine. L'anomalie pourrait
donc résulter d'une carence en méthionine. De plus, il est apparu que l'effet de la supplémentation
en méthionine est similaire à celui de E. coli K12, ce qui peut laisser penser qu'E. coli K12 pourrait
fournir de la méthionine (ou une substance proche) à E. coli O157:H7 et que ce serait le mécanisme
du commensalisme entre les deux souches.
Généralisation à 51 souches
La suite du travail a consisté à tester un grand nombre de souches pour étudier si le double phénotype "anomalie de croissance" et "effet positif de la méthionine" serait une caractéristique du sérotype O157:H7 au sein de l'espèce E. coli.
Souches
Au total, 51 souches ont été testées : 36 souches non O157:H7, numérotées de 1 à 36 et 15 souches
O157:H7, numérotées de 37 à 51.
Les souches 1 à 5 sont dites "de référence" :
§ souches 1 à 4 : références de catalogue (1 : K12 NC4100 ; 2 : CIP54117 ; 3 : ATCC15223 ; 4 :
ATCC25922)
§ souche 5 : la référence O55:H7 de P. Feng (FDA, USA).
Les souches 6 à 18 sont des isolats non vérocytotoxiques de fèces (donc choisis sur des critères
"écologiques") :
§ souches 6 à 9 : isolats de fèces de veau (CNEVA, Lyon) ;
§ souches 10 à 18 : isolats de fèces humains (Hôpital Lyon Sud) ;
126
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
Les souches 19 à 36 sont des isolats vérocytotoxiques (donc choisis sur des critères "biochimiques") :
§ souches 19 à 29 : isolats non O157 non H7 de fèces de veau (Ecole Vétérinaire de Toulouse)
exprimant tous la toxine SLT1 et le facteur d'attachement eae ;
§ souche 30 : isolat O157 non H7 de fèces de veau (Ecole Vétérinaire de Toulouse) ;
§ souches 31 à 33 : isolats O103:H2 de fèces humains (Hôpital Robert Debré, Paris) ;
§ souche 34 et 35 : isolats O157 non H7 de fèces humain pour la 34 et de lait de vache pour la 35
(Institut d'Hygiène, Innsbruck, Autriche) ;
§ souche 36 : isolat de fèces humain exprimant la toxine SLT1 et le facteur d'attachement eae
(Hôpital Lyon Sud) ;
Les souches 37 à 41 sont des références O157:H7 de catalogue (37 : ATCC 35150 ; 38 : ATCC
43888 ; 39 : ATCC 43895 ; 40 : ATCC 43890 ; 41 : ATCC 43894).
Les souches 42 à 51 sont divers isolats O157:H7 :
§ souches 42 à 47 : isolats alimentaires (43 ; 45 ; 46) et cliniques (42 ; 44 ; 47) (bioMérieux, Saint
Louis, USA) ;
§ souche 48 et 49 : isolats de fèces humains (Hôpital Edouard Herriot, Lyon) ;
§ souches 50 et 51 : isolats de fèces humain (50) et de viande de bœuf émincé (51) (Institut d'Hygiène, Innsbruck, Autriche).
La présence de l'antigène O157 a été vérifiée par le système Vidas (bioMérieux) et la présence de
l'antigène H7 par un système d'immunofluorescence sur filtre. Les souches étaient conservées en
cryotubes immergés dans l'azote liquide, à -196°C. Avant chaque expérience, deux cultures à 35°C
sur gélose Columbia enrichie au sang de mouton (bioMérieux, Marcy l'Etoile France) étaient effectuées. Les gènes de la toxine SLT1 et du facteur d'attachement eae ont été recherchés par PCR.
Cinétiques en milieu minimum et anomalie de croissance
A partir de la deuxième préculture, des suspensions bactériennes en tampon T2 ont été standardisées à 1 MacFarland standard puis diluées au centième.
Le système MS2 (cf. p. 96) a été utilisé pour un suivi par turbidimétrie. Pour les représentations
graphiques, les cinétiques ont été lissées à l'aide de la procédure "ExponentialSmoothing" de Mathematica (Wolfram Research, Inc.).
Certaines cinétiques sont parfaitement exponentielles (Figure 26 a et b), d'autres tout à fait anormales (Figure 26 c et d). Pour les souches O157:H7 et quelques autres, une anomalie de croissance
similaire à celle décrite précédemment est très clairement observable, et notamment une accélération finale de la croissance. En raison de la limite de résolution de la turbidimétrie, le début de
croissance ne peut être clairement examiné.
127
III. Etudes de cas
Absorbance
1
Absorbance
1
(b)
0,1
(a)
0,1
0,01
0,01
0,001
0,001
6
4
8
0,1
4
(c)
8
(d)
0,01
0,001
6
0,1
0,01
3
5
7
0,001
4
6
8
10
Temps (h)
Figure 26. Cinétiques de croissance en milieu minimum de deux E. coli non O157:H7 (a : souche 13 et b : souche : 17) et de deux
E. coli O157:H7 (c : souche 40 et d : souche 42).
Taux de croissance instantané et test sur l'anomalie de croissance
Afin de mieux visualiser l'anomalie de croissance, le taux de croissance instantané a été approximé
par un "taux spécifique d'absorbance" :
1 y n+1 − yn −1
yn t n+1 − tn −1
µ(t n ) =
[84] .
Avec µ(tn) le "taux spécifique d'absorbance" (h-1) au temps tn et yn l'absorbance mesurée au temps tn.
Pour les cinétiques parfaitement exponentielles (cf. Figure 27 a et b), le µ instantané était constant
toute la phase de croissance et chutait plus ou moins brutalement à l'entrée en phase stationnaire.
En revanche, pour les cinétiques anormales (cf. Figure 27 c et d), le µ instantané augmentait en fin
de phase de croissance avant de chuter brutalement.
µ (h -1 )
µ (h -1 )
2
(a)
2
1
1
0
4
2
6
8
0
(b)
4
2
µ (h )
2
(c)
µ (h -1 )
2
(d)
1
1
-1
0
3
5
7
0
Temps (h)
4
6
6
8
8
10
10 12
Figure 27. Evolution du taux de croissance instantané en milieu minimum de deux souches E. coli non O157:H7 (a : souche 13 et b :
souche : 17) et de deux souches E. coli O157:H7 (c : souche 40 et d : souche 42).
Toutefois, certaines souches présentaient des cinétiques intermédiaires : ni parfaitement exponentielles ni tout à fait anormales.
Afin de caractériser toutes les souches, un test a été conçu pour tester s'il y a une augmentation significative du µ instantané en fin de phase de croissance. Il s'agit d'un test de Student unilatéral sur
la pente d'une régression linéaire de µ en fonction du temps. L'évolution du µ instantané n'était étu128
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
diée qu'entre un seuil technique (absorbance=0,005) en deçà duquel les cinétiques sont trop bruitées
et la décélération (détectée par la décroissance de µ instantané). Ce test permettait de voir si la pente
était significativement positive, c'est-à-dire s'il y avait une augmentation significative du µ instantané.
Pour 70% des souches non O157:H7 testées (25 sur 36), les cinétiques suivaient le modèle exponentiel classique puisque le test de Student n'a pas décelé d'augmentation significative du
µ instantané en fin de croissance (cf. Tableau 14). En revanche, pour 94% des souches O157:H7
testées (14 sur 15), ce test a indiqué qu'il y avait une augmentation significative du µ instantané en
fin de croissance (cf. Tableau 14).
L'anomalie de croissance en milieu minimum mise en évidence pour une souche O157:H7 au paragraphe III.1.3 n'est donc pas spécifique aux E. coli O157:H7 mais semble tout de même toucher
plus particulièrement ce sérotype.
Effet de la supplémentation du milieu minimum en méthionine
De plus, il a été montré plus haut que l'anomalie de cette souche O157:H7 pouvait être corrigée en
présence de méthionine. Il a alors semblé utile de caractériser si l'anomalie de croissance des 30%
de souches E. coli non O157:H7 et des 94% de souches E. coli O157:H7 serait également corrigée
par cet acide aminé.
Pour chaque souche présentant une croissance anormale, deux cinétiques ont été réalisées en parallèle à partir d'inoculums identiques : l'une en milieu minimum et l'autre en présence de méthionine
(100mg/L).
Dans le cas des souches O157:H7, l'effet de la méthionine est clairement apparu.
Absorbance
0,1
Absorbance
0,1
(a)
(b)
0,01
0,001
0,01
3
5
7
0,001
Temps (h)
4
6
8
10
12
Figure 28. Cinétiques de croissance en milieu minimum (traits pleins) et en milieu additionné de méthionine (traits pointillés) de
deux E. coli O157:H7 (a : souche 40 et b : souche 42).
Afin de quantifier l'effet de la méthionine, le temps écoulé entre les deux entrées en phase stationnaire (détectées par la nullité du µ instantané) a été exprimé comme un pourcentage de la durée de
la phase de croissance (entre l'inoculation et l'entrée en phase stationnaire) en milieu minimum, noté
∆t .
Le double phénotype "anomalie de croissance" (test de Student significatif avec un risque de première espèce à 5%) et "effet positif de la méthionine" ( ∆t >5%) a été détecté pour 94% (14/15) des
souches O157:H7 ; 22% (4/18) des souches vérocytotoxiques non O157:H7 ; 8% (1/13) des isolats
de fèces non vérocytotoxiques et aucune (0/5) des souches de référence.
129
III. Etudes de cas
Bilan des caractéristiques des 51 souches
Le Tableau 14 récapitule les résultats sur les 51 souches : d'une part la "p-value" (probabilité critique) du test unilatéral de Student (les cases grisées correspondant aux p<5% et donc aux anomalies
de croissance significatives) et d'autre part l'effet de la méthionine quantifié par ∆t (les cases grisées
correspondant aux ∆t>5%).
Tableau 14. Résultats sur les 51 souches utilisées dans l'étude.
N°
E. coli non O157:H7
p-value
t
N°
E. coli O157:H7
p-value
t
1
0,25
37
1.10-8
13%
2
0,48
38
3.10-8
86%
8.10-2
14%
3
Souches de référence
4
1.10-8
2.10
5
6.10
-5
-15
-27%
-31%
4%
39
Souches de référence
40
4.10
41
-12
10%
3.10
-3
16%
-8
13%
6
0,19
42
4.10
7
0,25
43
2.10-10
18%
8
0,53
44
1.10
9
0,48
45
8.10-3
22%
46
-8
17%
5.10-2
19%
10
1,00
11
1.10-13
12
Isolats provenant de
fèces
3%
47
3.10
Isolats cliniques ou
alimentaires
18%
0,06
48
1,00
49
2.10-4
17%
14
1,00
50
3.10-16
10%
15
0,36
51
0,72
16
1.10-15
8%
17
-37
0%
13
2.10
18
0,97
19
0,40
20
2.10-6
21
0,20
22
0,63
23
0,18
24
0,16
25
1.10-4
26
0,82
27 Isolats vérocytotoxiques
6.10-8
28
0,99
29
1.10-7
30
0,99
31
1,00
32
0,43
33
0,44
34
0,34
35
1.10-4
36
0,34
130
5%
8%
9%
6%
10%
3.10
-2
-3
7%
III.1. E. coli O157:H7 et E. coli K12
III.1.5. CONCLUSION
Bilan des résultats expérimentaux
En culture pure en milieu minimum synthétique, j'ai pu mettre en évidence une anomalie de croissance d'une souche de E. coli O157:H7. En effet, cette souche ne suivait pas le modèle attendu (et
observé sur une souche E. coli K12) de croissance exponentielle en milieu minimum synthétique.
Elle semblait suivre une première phase de croissance exponentielle à un taux de croissance relativement rapide (ou du moins attendu en milieu minimum) puis adopter cette même croissance exponentielle relativement rapide en fin de croissance mais traverser une phase intermédiaire de ralentissement. De plus, la coculture avec E. coli K12 d'une part et la supplémentation en méthionine en
méthionine d'autre part permettaient toutes deux de normaliser la croissance.
Les premiers résultats ayant été obtenus sur une souche particulière de E. coli O157:H7, l'investigation a ensuite été élargie à un panel de 51 souches, dont 13 du sérotype O157:H7. Le double
phénotype ("anomalie de croissance" et "correction par la méthionine") a été détectée principalement les souches O157:H7. La souche O55:H7 (n°5) liée au sérotype O157:H7 d'après Feng et al.
(1998) avait un comportement proche. Ainsi, on pourrait supposer que ce double phénotype caractérise la branche phylogénétique O55:H7-O157:H7. Toutefois, ce même double phénotype a été
retrouvé pour d'autres souches de E. coli et, plus particulièrement, des souches vérocytotoxiques,
mais les souches O157 non H7 ne semblaient pas particulièrement touchées. Il s'est donc avéré impossible de trouver une corrélation entre ce double phénotype et un trait physiologique, taxonomique, biochimique ou écologique.
Discussion sur le rôle de la méthionine
A ma connaissance, une telle morphologie de cinétiques n'avait jamais été décrite et ne peut pas a
priori être expliquée par un simple phénomène. En effet une auxotrophie pour un nutriment se traduit par une absence totale de croissance en milieu minium, des changements de substrat se traduisent par des croissances de moins en moins rapides au cours de la culture. De plus, je peux supposer
que la coculture avec E. coli K12 d'une part et la supplémentation en méthionine avaient un effet
similaire : rétablir ce qui se passe en début et fin de croissance en culture pure en milieu minimum.
Ainsi, E. coli K12 pourrait fournir la méthionine à E. coli O157:H7 via le milieu. La phase intermédiaire lente pourrait être expliquée par une carence en méthionine.
Mais cela ne semble pas être un commensalisme trophique classique. L'interprétation biologique
requiert vraisemblablement une investigation beaucoup plus fine de mécanismes physiologiques
complexes, mettant en jeu la méthionine.
La méthionine est un acide aminé soufré dont la synthèse peut impliquer une grande variété de réactions et de voies métaboliques, avec au moins une vingtaine de produits intermédiaires.
131
III. Etudes de cas
Cycle de Krebs
Acide aspartique
Aspartate
β-semi-aldéhyde
Sérine
Homocystéine
Méthionine
Asparagine
Lysine
Cystéine
Homosérine
Thréonine
Isoleucine
Figure 29. Présentation simplifiée de la biosynthèse de la méthionine. D'après Weill (1990).
Outre son rôle comme aminoacide constitutif des protéines, la méthionine est présente dans l'initiation de la biosynthèse protéique et est surtout un fournisseur de groupements méthyle. C'est en fait
la S-adénosyl-méthionine (méthionine activée par l'ATP) qui participe aux processus de transméthylation. Ce mécanisme intervient par exemple dans les biosynthèses de la choline, de la créatine et de l'adrénaline ou dans la méthylation des bases rares des ARN de transfert (Weill, 1990). De
plus, la méthionine a un rôle catalytique important au niveau du site actif de nombreuses enzymes
(Griffith, 1987). Enfin, nos résultats peuvent être rapprochés de ceux d' Andersen et al. (1998). Ils
ont en effet montré que les mutants de Pseudomonas syringae dépourvus des gènes met X et met
W, responsables de la prototrophie pour la méthionine avaient une moins bonne fitness épiphytique.
Ils suggéraient alors un rôle de la synthèse de méthionine dans la tolérance bactérienne au stress.
De plus, la proximité métabolique entre homosérine lactone (HSL) et méthionine est à relever. Il y a
une proximité structurelle avec des signaux extra-cellulaires impliqués dans la détection par chaque
cellule de la densité microbienne dans l'environnement : ce sont des molécules de "quorum sensing". En raison de leur effet sur leurs propre synthèse, ces HSL acylés sont souvent considérés
comme auto-inducteurs (Zambrano & Kolter, 1996). Les phénomènes décrits ici pourraient ainsi
être rapprochés de ceux impliqués dans le quorum sensing.
Néanmoins, aucune de ces hypothèses biologiques n'a été approfondie. Le but de ce travail était
essentiellement de démontrer l'existence de ce phénomène inattendu. Une interprétation biologique
complète aurait requis des outils complémentaires.
Enfin, l'intérêt de la modélisation de la croissance dans la démarche physiologique d'étude de la
croissance est discuté dans la quatrième partie.
132
III.2.
MRSA-KT ET MRSA-KTG
La deuxième étude présentée ici a été réalisée en collaboration avec Frédéric Laurent (Faculté de Médecine Lyon Sud) et Hervé Lelièvre (Centre National de Référence des Toxémies à Staphylocoques, Faculté
de Médecine Rockefeller, Lyon) et a donné lieu à une publication soumise à Journal of Antimicrobial Chemotherapy et à deux communications. Elle se fonde essentiellement sur la notion d'avantage sélectif.
III.2.1.
INTRODUCTION
Contexte médical
Les Staphylococcus aureus font partie de la flore normale de nombreux individus porteurs asymptomatiques. Toutefois, les infections à Staphylococcus aureus sont très fréquentes et se manifestent
sous des aspects cliniques variés (manifestations cutanées, suppurations, septicémies etc.). Il existe
de nombreux antibiotiques actifs contre ces pathogènes. Les principaux antistaphylococciques utilisés sont les bêta-lactamines et les aminosides. Mais les staphylocoques ont montré très tôt une
facilité d'adaptation aux antibiotiques et ont développé de nombreux mécanismes de résistances.
La résistance à l'ensemble des bêta-lactamines (appelée méticillino-résistance) est due à la synthèse
d'une PLP (protéine de liaison à la pénicilline) d'affinité faible pour les bêta-lactamines. Les Staphylococcus aureus méticillino-résistants (MRSA) sont apparus au Royaume-Uni au début des années 1960 et sont devenus endémiques dans de nombreux pays depuis le milieu des années 1970.
Les résistances aux aminosides sont dues à la production par les staphylocoques d'enzymes inactivatrices. Parmi les MRSA, deux phénotypes principaux de résistances ont été décrits (AubryDamon et al., 1997 ; Lelièvre et al., 1999) :
§ phénotype KT (résistance à la kanamycine, tobramycine, sensibilité à la gentamicine) induit par
la présence d’une enzyme de type aminoglycoside nucleotidyltransférase ANT(4'),
§ phénotype KTG (résistance à la kanamycine, tobramycine et gentamicine) induit par la présence
d’une enzyme bifonctionnelle aminoglycoside phosphotransférase ; aminoglycoside acétyltransférase AAC(6’)-APH(2’’).
Problématique
Les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (MRSA) posent un problème épidémiologique
majeur, notamment dans des contextes hospitaliers (infections nosocomiales). Jusqu'en 1990, la très
grande majorité des souches épidémiques en Europe occidentale était caractérisée par une résistance
homogène à la méticilline et une résistance à de nombreux antibiotiques et en particulier à tous les
aminosides (phénotype MRSA-KTG). En 1992, de nouvelles souches de MRSA caractérisées par
une résistance hétérogène à la méticilline et une sensibilité à la gentamicine (phénotype MRSA-KT)
sont apparues en France (Aubry-Damon et al., 1997 ; Lemaitre et al., 1998). Au cours de la décennie, l'incidence de ce nouveau phénotype MRSA-KT a augmenté partout en France, jusqu'à sup133
III. Etudes de cas
planter le phénotype MRSA-KTG, tandis que la prévalence totale des MRSA restait stable (Lelièvre
et al., 1999, cf. Figure 30). Une telle évolution a été décrite dans d'autres pays européens (Murchan
et al., 1998).
Figure 30. D'après Lelièvre et al., 1999. u : pourcentage de MRSA parmi l'ensemble des souches de S. aureus isolées chaque année.
n : pourcentage de MRSA-KT parmi les MRSA isolées chaque année. o : pourcentage de MRSA-KTG parmi les MRSA isolées
chaque année. Hôpital A : Paris, 548 souches de S. aureus isolées par an en moyenne. B : Paris, 1839/an. C : Paris, 1321/an. D :
Lille : 952/an. E : Lyon, 1188/an. F : Bordeaux, 2425/an. G : Fort-de-France, 612.
Ce phénomène va à l'encontre des tendances classiquement observées pour les souches responsables
d'infections nosocomiales. En effet la pression de sélection par les antibiotiques entraîne une sélection des souches résistantes). En revanche, la diminution de la résistance à un antibiotique ne peut
s'expliquer que par la conjonction d'une levée de la pression de sélection (diminution de l’utilisation
de cet antibiotique) et de l’existence d'un avantage sélectif conféré par la sensibilité à cet antibiotique, c’est-à-dire d’un désavantage sélectif dû à la résistance (Schrag et al., 1997 ; Lenski, 1997).
Dans cette perspective, Aubry-Damon et al. (1997) ont bien mis en évidence une diminution marquée de la consommation de gentamicine à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil, 91) entre 1983 et 1987.
Toutefois, cette observation peut difficilement être généralisée à l'ensemble des hôpitaux français.
De plus, la réapparition d'une résistance hétérogène à la méticilline ne peut être directement expliquée par la seule modification de la consommation en aminoglycosides.
Quoi qu'il en soit, la levée de la pression de sélection défavorisant les MRSA-KT par rapport aux
MRSA-KTG ne peut à elle seule expliquer la ré-émergence des MRSA-KT. Cette explication ne
peut être avancée que s'il existe également un avantage pour les souches sensibles à la gentamicine,
c'est-à-dire une pression de sélection défavorable aux MRSA-KTG au bénéfice des MRSA-KT.
Aucune étude n'a considéré à ce jour la question de la ré-émergence des MRSA sous cet angle. Or il
était impossible d’affirmer a priori que la résistance à la gentamicine constitue un fardeau génétique (cf. p. 52), puisque cette résistance est portée par un transposon (et non un plasmide), ni qu’elle
134
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
induise un coût métabolique supplémentaire, puisque le nombre de molécules impliquées dans le
phénotype KT est le même que le nombre de molécules impliquées dans le phénotype KTG.
Objectifs de l'étude
L'objectif de cette étude a donc été d'étudier les caractéristiques de croissance (prises comme représentatives de la fitness) des clones de MRSA français et de comparer les anciens MRSA-KTG aux
nouveaux MRSA-KT, avec comme témoins les S. aureus sensibles à la méticilline (MSSA). Il a été
demandé à 24 laboratoires hospitaliers français répartis sur toute la métropole d'envoyer chacun une
ou deux souches MRSA-KT et une ou deux souches MRSA-KTG isolées chez des patients entre
1996 et 1998.
Cette étude était associée à des aspects plus physiologiques et génétiques qui ne seront pas détaillés
ici, puisqu'ils ne s'inscrivent pas dans ce projet de thèse. En particulier, l'équipe de Jérôme Etienne
(Centre National de Référence des Toxémies à Staphylocoques), a pu mettre en évidence que le
phénotype MRSA-KT se décomposait en deux pulsotypes principaux notés MRSA-KT-A et
MRSA-KT-B. Seules les méthodes et les résultats relatifs à la modélisation de la croissance et à la
question de l'avantage sélectif sont explicités ici. Le lecteur pourra, pour plus de détails sur l'ensemble de cette étude, se reporter à la publication.
III.2.2.
APTITUDES DE CROISSANCE EN CULTURE
PURE
Dans un milieu de culture
Souches bactériennes
Au total, 67 souches MRSA ont été intégrées dans l'étude. L'enquête auprès des laboratoires hospitaliers français a permis de rassembler 20 souches MRSA-KT-A (numérotées MRSA-KT-A-1 à
MRSA-KT-A-20), 13 MRSA-KT-B (numérotées MRSA-KT-B-1 à MRSA-KT-B-13) et 22 souches
MRSA-KTG (numérotées MRSA-KTG-1 à MRSA-KTG-22). De plus, 12 souches de S. aureus
sensibles à la méticilline (numérotées MSSA-1 à MSSA-12) isolées dans les hôpitaux Lyon-Sud et
Louis Pradel (Lyon) ont été intégrées dans le protocole comme souches témoin. Les souches étaient
conservées à -196°C dans un mélange milieu cœur cervelle + 10% glycérol.
L'identification de genre et d'espèce (S. aureus) a été confirmée pour toutes les souches par l'aptitude à coaguler le plasma de lapin citraté et à produire un facteur d'attachement du fibrinogène
(Flandrois & Carret, 1981).
Cinétiques de croissance
Pour chaque souche, deux précultures successives ont été effectuées sur gélose Columbia à 5% de
sang de mouton (bioMérieux, Marcy l'Etoile ; France) à 35°C pendant 24 heures. A partir des se135
III. Etudes de cas
condes précultures, une suspension bactérienne de chaque souche a été réalisée en tampon T2
(Meynell & Meynell, 1970), dont la composition figure dans le Tableau 6 page 113. Les suspensions ont été ajustées à 1 MacFarland à l'aide du néphélémètre (ATB 1550, bioMérieux, Marcy
l'Etoile), ce qui correspondait à environ 3.108 bactéries/mL. Puis 50µL de cette suspension ont été
dilués dans 5mL de bouillon cœur cervelle (bioMérieux) pour atteindre une concentration initiale
théorique de 3.10 5 bactéries/mL. La croissance était suivie au MS2 (cf. p. 96). Chaque souche a été
cultivée en double (deux cinétiques dans deux puits différents).
Estimation des taux de croissance
La transmission était mesurée toutes les 5 minutes et l'évolution de l'absorbance est calculée à partir
de ces données selon un algorithme développé dans l'équipe du Pr. Flandrois (Corman et al., 1986).
Pour chaque souche, un suivi du taux de croissance instantané au cours du temps a été réalisé. Le
taux de croissance instantané à chaque instant i a été estimé par régression selon le modèle
[85]
sur 12 absorbances mesurées (soit 1 heure).
∀ j  [ i , i+ 11]: Abs j = Absi e
µi 5 ( j− i)
[85]
Avec Abs i l'absorbance au i-ème instant ; µi le taux de croissance instantané au i-ème instant et 5 (j-i) le temps écoulé en
minutes entre le i-ème instant et le j-ème instant.
L'évolution du taux de croissance au cours du temps a permis de déterminer pour chaque cinétique
un taux de croissance maximal qui a ensuite été converti en temps de génération. Le temps de
génération retenu pour chaque souche est une moyenne des deux temps de génération estimés à
partir des deux cinétiques.
Le Tableau 15 récapitule les temps de génération moyens obtenus pour chacune des 67 souches et
la Figure 31 les présente sous forme d'histogrammes. Les MRSA-KT-A et les MSSA ont présenté
les croissances les plus rapides, tandis que les MRSA-KT-B et les MRSA-KTG ont présenté les
croissances les plus lentes.
136
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
Tableau 15 : Temps de génération des 67 souches (minutes). Chaque valeur est la moyenne des deux temps de génération estimés (un
par cinétique). Pour chaque groupe, sont indiqués la moyenne, la médiane, les valeurs extrêmes et l'écart-type estimé.
N°
MRSA-KT-A
MRSA-KT-B
MRSA-KTG
MSSA
1
23,1
29,1
27,7
22,4
2
20,9
28,1
29,6
22,8
3
24,0
30,0
30,8
22,4
4
21,9
31,2
28,6
22,0
5
22,2
28,7
30,8
23,1
6
22,5
37,6
33,1
22,3
7
22,1
32,8
32,8
23,8
8
24,8
33,1
30,6
23,9
9
22,1
29,2
28,7
23,9
10
23,5
23,5
30,0
22,6
11
24,2
32,5
30,6
23,0
12
22,9
55,0
28,9
22,6
13
26,9
30,9
28,5
14
22,9
29,6
15
29,0
27,2
16
24,8
29,0
17
24,7
41,2
18
25,3
34,3
19
23,4
28,7
20
22,1
22,3
21
32,8
22
32,4
Moyenne
23,6
32,5
30,4
22,9
Médiane
23,2
30,9
29,8
22,7
Minimum
20,9
23,5
22,3
22,1
Maximum
29,0
55,0
41,2
23,9
Ecart-type
1,9
7,5
3,5
0,6
137
III. Etudes de cas
12
MSSA
Effectif par classe
10
MRSA-KT-A
8
MRSA-KT-B
6
MRSA-KTG
4
2
0
20-22
22-24
24-26
26-28
28-30
30-32
32-34
Classes : temps de génération (min)
>34
Figure 31. Temps de génération des 67 souches (minutes). Chaque classe correspond a un pas de 2 minutes.
Analyse statistique de type ANOVA 1
Une analyse de la variance à un facteur à 4 modalités : MSSA, MRSA-KTG, MRSA-KT-A,
MRSA-KT-B) a permis de tester l'effet "type". Cette analyse a été réalisée à l'aide de la procédure
®
ANOVA du logiciel Statistical Analysis System (SAS Institute Inc., Cary, North Carolina).
Une analyse de la variance à 1 facteur (cf. Tableau 16) a confirmé que le facteur "type" (c'est-à-dire
MRSA-KT-A, MRSA-KT-B, MRSA-KTG ou MSSA) avait un effet significatif (p<0,0001).
Source de variation
SCE
ddl
CME
Fobs
p-value
Factorielle
1054.62351
3
351.54
22
< 0.0001
Résiduelle
1006.51856
63
15.98
Tableau 16. Table d'analyse de la variance à 1 facteur (groupe) des résultats présentés dans le Tableau 15.
D'après une procédure de Bonferonni, il existe des différences significatives (p<0,0001) de temps
de génération entre d'une part les MRSA-KT-A et les MSSA et d'autre part les MRSA-KT-B et les
MRSA-KTG.
Extension à différents milieux de culture
Les résultats obtenus sur 67 souches en bouillon cœur-cervelle ont donc permis de mettre en évidence une différence significative entre d’une part souches sensibles à la méticilline et souches
sensibles à la gentamicine et de pulsotype A et d’autre part souches résistantes à la gentamicine et
souches sensibles à la gentamicine et de pulsotype B. Afin de généraliser ces observations, une expérience complémentaire sur un nombre limité de souches mais dans quatre milieux différents a été
réalisée.
138
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
Souches bactériennes
Au total, 11 souches ont été intégrées dans l'étude :
§ 3 souches sensibles à la gentamicine et de pulsotype A : MRSA-KT-A-4, MRSA-KT-A-5, et
MRSA-KT-A-9.
§ 3 souches sensibles à la gentamicine et de pulsotype B : MRSA-KT-B-1, MRSA-KT-B-3, et
MRSA-KT-B-4.
§ 3 souches résistantes à la gentamicine : MRSA-KTG-5, MRSA-KTG-14, et MRSA-KTG-22.
§ 2 souches sensibles à la méticilline : MSSA-3, MSSA-2.
Ces souches ont été choisies aléatoirement parmi les groupes de souches du protocole présenté ciavant.
Cinétiques de croissance
Le protocole était identique au précédent mais chaque souche a été cultivée en double dans chacun
des quatre bouillons suivants :
§ BCC : bouillon cœur cervelle
§ BMH : bouillon de Müller-Hinton
§ LB : bouillon de Luria-Bertani
§ BTS : bouillon trypticase soja
Estimation des taux de croissance
Le taux de croissance maximal a été déterminé par un ajustement du modèle exponentiel pour les
absorbances compris entre 0,015 et 0,15.
Le temps de génération retenu pour chaque souche dans chaque milieu est une moyenne des deux
temps de génération estimés.
Le Tableau 17 récapitule les temps de génération obtenus pour chacune des 11 souches, dans les
quatre milieux. Il est apparu que, quel que soit le milieu, les MRSA-KT-A et les MSSA ont des
croissances rapides, tandis que les MRSA-KT-B sont plus lents et les MRSA-KTG encore plus
lents.
139
III. Etudes de cas
Tableau 17. Temps de génération des 11 souches (minutes) dans les 4 milieux. BCC : bouillon cœur cervelle. BMH : bouillon de
Müller-Hinton. LB : bouillon de Luria-Bertani. BTS : bouillon trypticase soja. ∞ : Il manque trois valeurs (pas de croissance significative en LB). / : L'une des cinétiques de MRSA-KTG-5 en BCC n'a pu être interprétée.
Milieu de culture
Souche
BCC
BMH
LB
BTS
MRSA-KT-A-4
21,4-20,9
32,7-33,2
21,8-22,2
23,2-22,5
MRSA-KT-A-5
21,3-21,6
34,4-31,9
23,6-∞
24,2-24
MRSA-KT-A-9
20,9-21,3
33,5-41,3
23,8-24,0
23,3-24,1
MRSA-KT-B-1
27,1-27,5
33,5-33,7
30,5-30,7
35,0-33,2
MRSA-KT-B-3
26,2-24,3
35,8-35,1
28,6-29,3
30,8-31,2
MRSA-KT-B-4
24,2-24,2
34,1-35,2
∞-∞
25,7-27,2
MRSA-KTG-5
28,5-/
59,9-59,1
29,7-29,4
31,1-31,2
MRSA-KTG-14
27,7-28,1
40,7-41,1
29,7-29,9
29,6-29,4
MRSA-KTG-22
29,1-30,7
55,2-55,6
31,3-23,0
32,3-30,7
MSSA-2
21,4-21,8
37,8-38,6
24,0-23,8
23,3-24,1
MSSA-3
19,8-20,4
31,9-33,1
21,3-22,4
22,4-20,0
Analyse statistique de type ANOVA 2
Une analyse de la variance à deux facteurs a été réalisée à l'aide de la procédure GLM du logiciel
Statistical Analysis System (SAS Institute Inc., Cary, North Carolina). Les deux facteurs étaient le
"milieu de culture" à 4 modalités (BCC, BMH, BTS, LB) et le "type" à 4 modalités : MSSA,
MRSA-KTG, MRSA-KT-A, MRSA-KT-B). Le choix de la procédure GLM et non de la procédure
ANOVA s'explique par la présence de données manquantes et donc la nécessité d'estimer les
moyennes.
L'effet du facteur "type" s'est révélé significatif (p<0.0001). Les temps de génération moyens estimés étaient : 25,4 min pour les MSSA, 25,4 min pour les MRSA-KT-A, 30,1 min pour les MRSAKT-B et 35,3 min pour les MRSA-KTG.
III.2.3.
AVANTAGE SELECTIF EN CULTURES MIXTES
Il avait été pressenti que les souches sensibles à la gentamicine pourraient avoir une croissance plus
rapide que les souches résistantes. Dans le cas du pulsotype A (représentant environ la moitié des
souches MRSA-KT), ce résultat a été confirmé. Le cas du pulsotype B est moins clair. Restait à
démontrer que cet avantage sélectif des MRSA-KT-A sur les MRSA-KTG puisse se traduire par un
surpassement effectif en culture mixte.
Deux expériences sont décrites ici : d’une part le suivi de l’évolution relative tout au long d’une
culture mixte d’un couple MRSA-KT-A/MRSA-KTG, d’autre part une étude en point final sur 8
couples MRSA-KT-A/MRSA-KTG. Une approche par simulation est ensuite présentée pour interpréter ces différents résultats expérimentaux.
140
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
Evolution relative des deux populations en culture mixte
Souches bactériennes
L'étude a porté sur deux souches de Staphylococcus aureus choisies aléatoirement parmi les groupes de souches MRSA-KT-A et MRSA-KTG du protocole présenté ci-avant.
§ souche MRSA-KT-A-9, résistante à la kanamycine et tobramycine, pulsotype A,
§ souche MRSA-KTG-22 résistante à la kanamycine, tobramycine et gentamicine.
Cultures
Trois cultures mixtes dans des conditions identiques ont été menées en parallèle, dans trois bainsmarie voisins. Trois flacons de type Erlenmeyer contenant 200mL de bouillon cœur cervelle (BCC,
bioMérieux) et un barreau magnétique permettant l'agitation, ont été placés chacun dans un bainmarie thermostaté à 37°C ± 0,1°C. Après stabilisation de la température intérieure, les trois flacons
ont été inoculés de façon strictement identique.
Au préalable, deux précultures successives de chaque souche avaient été effectuées sur gélose Columbia à 5% de sang de mouton (bioMérieux, Marcy l'Etoile ; France) à 35°C pendant 24 heures. A
partir des secondes précultures, une suspension bactérienne de chaque souche dans du BCC a été
ajustée à 1 MacFarland à l'aide du néphélémètre (ATB 1550, bioMérieux, Marcy l'Etoile), ce qui
correspondait à environ 3.10 8 cellules/mL théoriquement. Puis chaque flacon a été inoculé par 2mL
de la dilution au 1/100 de la suspension de MRSA-KT-A et 2mL de la dilution au 1/100 de la suspension de MRSA-KTG.
Toutes les 45 minutes, 1mL de bouillon environ a été prélevé avec une seringue à l'aide d'une aiguille spinale plongeant dans le bouillon de culture, et ce pour chacune des trois cultures. Le
dénombrement des cellules viables a été réalisé en ensemençant 100µL d'une dilution appropriée
dans le tampon T2 sur deux géloses Columbia (pour le dénombrement total) et sur deux géloses
Columbia additionnées de gentamicine à 32 mg/L (pour le dénombrement spécifique).
Modèles de croissance
Le modèle de croissance de Baranyi a été ajusté à chaque triplet de cinétiques.
D'après la superposition des cinétiques expérimentales et des cinétiques (Figure 32 a) ajustées et les
graphes des résidus (Figure 32 b et c), les ajustements sont visuellement satisfaisants.
Le Tableau 18 et le Tableau 19 présentent les estimations des paramètres des cinétiques accompagnés de leurs intervalles de confiance pour chacune des deux souches.
141
III. Etudes de cas
log (x)
(a)
8
7
6
5
4
0
2
Résidus standardisés
4
6 Temps (h)
Résidus standardisés
(b)
(c)
2
2
1
1
0
0
-1
-1
-2
-2
2
4
6
Temps (h)
2
4
6
Figure 32 : Ajustement du modèle de Baranyi. (a) Cinétiques de croissance des deux souches, clair : MRSA-KTG, foncé : MRSAKT-A. (b) Graphe des résidus pour la souche MRSA-KTG. (c) Graphe des résidus pour la souche MRSA-KT-A.
Tableau 18. Intervalles de confiance sur l'estimation des paramètres des cinétiques de la souche MRSA-KTG.
Intervalles de confiances
Paramètre
Estimation
Par linéarisation
Par Jackknife
D'après région de Beale
log(N0)
3,96
[3,88 ; 4,02]
[3,89 ; 4,01]
[3,85 ; 4,06]
lag
1,08
[0,90 ; 1,27]
[0,92 ; 1,26]
[0,80 ; 1,32]
µ
1,5814
[1,52 ; 1,64]
[1,52 ; 1,65]
[1,49 ; 1,68]
log(Nm)
7,75
[7,57 ; 7,89]
[7,63 ; 7,85]
[7,54 ; 8,12]
Tableau 19. Intervalles de confiance sur l'estimation des paramètres des cinétiques de la souche MRSA-KT-A.
Intervalles de confiances
Paramètre
Estimation
Par linéarisation
Par Jackknife
D'après région de Beale
log(N0)
4,26
[4,15 ; 4,34]
[4,19 ; 4,32]
[4,11 ; 4,38]
lag
0,96
[0,78 ; 1,14]
[0,80 ; 1,12]
[0,71 ; 1,24]
µ
2,0415
[1,96 ; 2,12]
[1,96 ; 2,13]
[1,93 ; 2,18]
log(Nm)
9,07
[8,80 ; 9,20]
[8,90 ; 9,18]
[8,83 ; 9,33]
Ces résultats ont confirmé que la souche MRSA-KTG est plus lente que la souche MRSA-KT-A :
temps de latence plus long (toutefois, les intervalles de confiance se recouvrent, cette différence
n'est donc pas significative) et surtout taux de croissance plus faible (sans recouvrement des intervalles de confiance).
14
15
Soit un temps de génération de 26,18 minutes.
Soit un temps de génération de 20,35 minutes.
142
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
Etude en point final
La deuxième étude a mis en jeu un plus grand nombre de cultures mais seuls les dénombrements
initiaux et finaux ont été effectués.
Souches bactériennes
L'étude a porté sur 6 souches de Staphylococcus aureus, choisies aléatoirement parmi les groupes
de souches MRSA-KT-A et MRSA-KTG du protocole présenté ci-avant.
§ 3 souches sensibles à la gentamicine et de pulsotype A : MRSA-KT-A-4, MRSA-KT-A-5, et
MRSA-KT-A-9.
§ 3 souches résistantes à la gentamicine : MRSA-KTG-5, MRSA-KTG-14, et MRSA-KTG-22.
Cultures
Neuf cultures mixtes ont été réalisées, toutes les combinaisons d'une souche MRSA-KT avec une
souche MRSA-KTG ayant été testées.
Pour chaque souche, deux précultures successives avaient été effectuées sur gélose Columbia à 5%
de sang de mouton (bioMérieux) à 35°C pendant 24 heures. A partir des secondes précultures, une
suspension bactérienne de chaque souche a été réalisée dans du tampon T2. Les suspensions ont
ensuite été ajustées à 1 MacFarland à l'aide du néphélémètre, ce qui correspondait à environ 3.108
ufc/mL. Puis neuf cuves en quartz contenant 3mL de BCC ont été inoculées avec 30µL de suspension de MRSA-KTG et 30µL de suspension de MRSA-KT-A (une combinaison de souche différente par cuve). Les cuves ont été placées dans un système automatisé de suivi de l'absorbance en
temps réel (UVIKON, cf. p. 96).
Dénombrement
Pour chaque culture, un prélèvement a été réalisé en début de culture (juste après l'inoculation) et en
fin de culture (à l'entrée en phase stationnaire, appréciée grâce au suivi de l'absorbance en temps
réel). Le dénombrement des cellules viables a été réalisé en ensemençant 100µL d'une dilution appropriée dans le tampon T2 sur cinq géloses Columbia (dénombrement total) et sur cinq géloses
Columbia additionnées de gentamicine à 32 mg/L (dénombrement spécifique).
Résultats
Les dénombrements initiaux et finaux ont permis de quantifier la proportion de cellules MRSA-KTA en début de culture et à l'entrée en phase stationnaire. Cette proportion a dans chaque cas fortement augmenté, pour dépasser 90% à l'entrée en phase stationnaire. Cette étude a permis de confirmer que, quel que soit le couple de souches, la souche MRSA-KT-A surpassait systématiquement la
souche MRSA-KTG.
143
III. Etudes de cas
Tableau 20. Résultats de l'étude en point final. Les populations totales initiale et finale (exprimé en ufc/mL) correspondent aux
moyennes de cinq dénombrements sur géloses Columbia (sans antibiotiques). Chaque ratio πA mesuré correspond au rapport entre le
nombre de cellules MRSA-KT-A (différence entre une moyenne de cinq dénombrements sur géloses Columbia et une moyenne de
cinq dénombrements sur géloses Columbia+32mg/l de gentamicine) et la population totale. Suite à un artefact, la cinétique MRSAKT-A-5 + MRSA-KTG-14 n'a pu être interprétée.
Population
totale initiale
πA initial
mesuré
Population
totale finale
πA final mesuré
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-14
3,81.104
76%
1,03.109
91%
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-5
2,70.104
56%
1,24.109
96%
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-22
3,05.104
60%
9,20.108
97%
MRSA-KT-A-5 + MRSA-KTG-5
3,15.104
57%
7,90.108
92%
MRSA-KT-A-5 + MRSA-KTG-22
3,01.104
58%
8,80.108
91%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-14
2,81.104
72%
1,28.109
92%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-5
3,02.104
54%
1,23.109
97%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-22
2,96.104
59%
1,17.109
97%
Compétition finale
Ces expériences ont d'une part permis de confirmer une différence de fitness entre les différents
types de S. aureus étudiés (MSSA, MRSA-KT-A, MRSA-KT-B et MRSA-KTG), avec un avantage
sélectif présumé d'au moins une partie des MRSA-KT sur les MRSA-KTG. En effet, les MRSAKT-A ont des temps de générations moyens 20% à 30% inférieurs à ceux des MRSA-KTG et cette
différence a été significative sur un panel de 67 souches dans un milieu et sur un panel de 11 souches dans 4 milieux. D'autre part, il est apparu en culture mixte MRSA-KT-A versus MRSA-KTG
que la quantité relative de MRSA-KT-A augmente très fortement jusqu'à un envahissement du milieu. En effet, la proportion finale de MRSA-KT-A était systématiquement très supérieure à la proportion initiale.
Il reste à démontrer que cet envahissement par MRSA-KT-A peut effectivement être le résultat de
l'avantage sélectif et de l'avantage sélectif seulement (sans autre interaction qu'une simple compétition pour les ressources). La question était donc : la différence de fitness suffit-elle à expliquer une
telle évolution de la proportion ?
Conception d'un modèle dynamique théorique
D'après la Figure 32 (a), il apparaît que les deux souches atteignent la phase de ralentissement puis
la phase stationnaire simultanément. Il est donc vraisemblable qu'elles soient toutes deux limitées
par une même ressource (quelle qu'elle soit : un ou plusieurs substrat(s), un ou plusieurs nutriment(s) ou même l'espace), pour laquelle elles seraient en compétition. L'hypothèse est donc qu'il y
aurait croissance indépendante de chaque souche tant que la ressource n'est pas limitante puis limitation de la population totale par la ressource limitante.
Pour modéliser cette croissance conjointe, un modèle a été proposé sur les hypothèses suivantes :
144
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
§
§
§
accélération de Baranyi pour chaque souche,
croissance exponentielle pour chaque souche,
freinage logistique sur la population totale.
Ce modèle s'écrit comme un système de deux équations différentielles.
dN G ( t )
=ì
N G ( t ) dt
1
q0 G e ì G t  N G ( t ) + N A ( t )
1
√
1−
; N G (0) = N0 G ; q 0 G = ì lag
G
√
ì Gt
N max
1 + q0 G e
e G G −1
↵
N (t) + N A (t)
q0 A e ì A t 
1
√
1− N G
; N A (0) = N0 A ; q 0 A = ì lag
A
√
ì At
x max
1 + q0 A e
e A A −1
↵
avec N G ( t ) : nombre de cellules MRSA − KTG par millilitre au temps t (paramètres indicés G )
dN A ( t )
=ì
N A ( t ) dt
1
et N A ( t ) : nombre de cellules MRSA − KT − A par millilitre au temps t (paramètres indicés A)
Ce modèle avait été présenté dans la deuxième partie (cf. Equation [75], p. 100).
Adéquation aux données avec des paramètres estimés
Il n'existe pas de résolution formelle de ce système. Toutefois, il est possible d'en chercher une
résolution numérique pour des valeurs particulières des paramètres des cinétiques. Les résolutions
numériques du système d'équations différentielles ont été effectuées à l'aide de la procédure
NDSolve du logiciel Mathematica.
Avec les valeurs estimés ci-dessus par l'ajustement d'un modèle de Baranyi à chaque cinétique (en
prenant N max = N max G + N max A ), un modèle théorique est obtenu et ses chroniques décrivent parfaitement les cinétiques expérimentales (cf. Figure 33 a).
Cette bonne adéquation entre le modèle et les données permet de confirmer que la modélisation de
la décélération par un freinage logistique sur la population totale est correcte et donc que l'hypothèse d'une compétition pour une ressource est plausible.
En divisant la chronique N A ( t ) par N A ( t ) + N G ( t ) , on obtient un modèle d'évolution de la proportion de cellules MRSA-KT-A qui décrit parfaitement les données expérimentales (cf. Figure 33 b).
Adéquation aux données avec des paramètres fixés
Pour tester ce modèle théorique en vue d'une utilisation en prédiction, je me place dans le cas d'une
absence de suivi des cinétiques par dénombrement. Les densités initiales N0 G et N0 A ont été estimées
à la moyenne des dénombrements initiaux de chaque population, la densité de population maximale
Nmax a été estimée à la moyenne des dénombrements totaux finaux. Les taux de croissance
µ G et µA ont été déduits des temps de génération estimés ci-dessus. Les temps de latence ont été
fixés à 1 h (hypothèse réaliste d'après les ajustements ci-dessus). Le modèle théorique ainsi obtenu
décrit correctement les cinétiques expérimentales de N G(t) , N A (t) et πA (cf. Figure 33 c et d).
145
III. Etudes de cas
log (N)
9
Proportion de MRSA-KT-A
1
(a)
8
7
0,8
6
0,7
5
0,6
4
0,5
0
9
8
2
4
0
6
1
(c)
2
4
2
4
6
(d)
0,9
7
0,8
6
0,7
5
0,6
4
(b)
0,9
0
2
4
0,5 0
6
Temps(h)
6
Temps(h)
Figure 33. Adéquation aux données du modèle dynamique. (a) et (b). Résolution numérique du systèmes d'équations avec les paramètres estimés. N0G=9300 ufc/mL. lagG=1,11 h. µG=1,589 h-1. N0A=18000 ufc/mL. lagG=0,96 h. µG=2,044 h-1.
Nmax=1,17.109+6.107=1,23.109 ufc/mL. (c) et (d). Résolution numérique du systèmes d'équations avec les paramètres fixés.
N0G=10000 ufc/mL. lagG=1 h. µG=1,391 h -1. N 0A=20000 ufc/mL. lagG=1 h. µG=1,971 h -1. Nmax=9,6.10 8 ufc/mL. (a) et (c). Cinétiques expérimentales et chroniques théoriques de MRSA-KTG (clair) et de MRSA-KTA (foncé). (b) et (d) Cinétiques expérimentales
et chroniques théoriques de la proportion de MRSA-KTA.
Validation du modèle sur l'étude en point final
Connaissant les densités initiales de chaque population, la densité totale finale, les taux de croissance d'après la partie IV.2.2. et en fixant les temps de latence à 1 h, le modèle a été intégré numériquement, ce qui a permis de prédire une proportion finale de MRSA-KT-A (πA) pour chaque
culture mixte. Les proportions prédites ont été très proches des proportions mesurées, et même
légèrement supérieures. Cela confirme donc que, dans l'hypothèse de neutralisme, les différences de
fitness suffisent à expliquer de telles évolutions entre ratio initial et ratio final.
Tableau 21. Résultats de l'étude en point final.
πA final mesuré
πA final prédit
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-14
91%
95%
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-5
96%
97%
MRSA-KT-A-4 + MRSA-KTG-22
97%
98%
MRSA-KT-A-5 + MRSA-KTG-5
92%
97%
MRSA-KT-A-5 + MRSA-KTG-22
91%
98%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-14
92%
95%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-5
97%
97%
MRSA-KT-A-9 + MRSA-KTG-22
97%
98%
III.2.4.
CONCLUSION
A partir de l’échantillonnage de souches obtenu, une étroite relation entre profils d’antibiorésistance, profils en champs pulsés (pulsotypes) et aptitudes de croissance en milieux de cultures a
été démontrée au sein des souches cliniques françaises de S. aureus résistantes à la méticilline
(MRSA). Les outils mis en œuvre ont été suffisamment discriminants pour mettre en évidence une
146
III.2. MRSA-KT et MRSA-KTG
certaine variabilité intra-spécifique et il a été possible d’établir des corrélations entre caractéristiques phénotypiques (antibio-résistance), génotypiques (pulsotypes) et dynamiques (aptitudes de
croissance). Il s’agissait de la première description d’un lien entre épidémiologie moléculaire et
propriétés physiologiques pour de telles souches.
De plus, ces résultats ont permis d’introduire, vraisemblablement pour la première fois, la notion
d’avantage sélectif dans le contexte de la microbiologie médicale. Les méthodes proposées dans la
deuxième partie et mises en œuvre ici ont permis d’étudier la dynamique de différentes souspopulations de MRSA. Les expériences réalisées ne peuvent être considérées comme des modèles
expérimentaux réalistes de la dynamique des MRSA in vivo. En effet, le protocole en batch dans
des milieux de culture était très éloigné des conditions écologiques usuelles de S. aureus (notamment sur la peau) et ne pouvait permettre la prise en compte de la structuration de l’habitat, de la
limitation par les ressources, de l’environnement physico-chimique, de la présence d’une flore microbienne non S. aureus, des interactions avec l’organisme-hôte etc. Toutefois, la différence de taux
de croissance entre MRSA-KT-A et MRSA-KT-G, de l’ordre de 20%, ne devrait pas être exclue de
la recherche d’une explication rationnelle à l’augmentation épidémiologique de la sensibilité des
souches de MRSA à la gentamicine. Cet avantage sélectif des MRSA-KT (et plus particulièrement
des MRSA-KTA) sur les MRSA-KTG m’apparaît comme un élément à prendre en compte pour
comprendre le remplacement des souches de MRSA-KT-G – qui représentaient plus de 90% des
souches cliniques de MRSA jusqu’en 1992 – par des souches MRSA-KT – représentant moins de
2% des souches cliniques de MRSA en 1992 et plus de 80% en 2000.
147
III.3.
L. MONOCYTOGENES ET L. INNOCUA
La troisième étude présentée ici a permis de traiter conjointement les concepts d'avantage sélectif et
d'interaction. Cette partie du travail est issue d'une collaboration avec l'équipe de Kalmokoff et Farber
(Health Protection Branch, Ottawa, Canada). Elle a donné lieu à une communication orale à la 3ème
Conférence Internationale en Microbiologie Prévisionnelle ("3rd Int. Conference on Predictive Modelling in
Foods") de Leuven (Belgique, 12-15 septembre 2000) et à un article accepté par International Journal of
Food Microbiology.
III.3.1. INTRODUCTION
Isoler L. monocytogenes requiert un enrichissement
Les méthodes de recherche de L. monocytogenes dans les aliments sont très critiquées, considérées
par certains comme trop lentes ou ne donnant pas de résultats reproductibles et par d'autres comme
trop sensibles et mettant en évidence des contaminations qui n'auraient pas été décelées voilà quelques années. Un panorama des méthodes validées AFNOR est présenté ici.
Norme ISO
En 1986, la recherche de L. monocytogenes nécessitait 2 à 3 semaines, elle peut se faire aujourd'hui
à l'aide d'une méthode normalisée et reconnue norme française, norme européenne (EN) et norme
internationale (ISO) en 4 à 7 jours.
La norme NF EN ISO 11290-1 est en vigueur depuis février 1997. L'enrichissement primaire est
une incubation à 30°C pendant 24h ± 2h de 25g de produit dans 225mL de milieu d'enrichissement
primaire (bouillon demi Fraser). Au terme de cette culture, 0,1mL sont transférés dans 10mL de
bouillon Fraser. Le milieu inoculé est incubé pendant 48h ± 2h soit à 35°C soit à 37°C : c'est l'enrichissement secondaire. Des isolements sur géloses PALCAM et OXFORD sont réalisés à l'issue de
chacun des enrichissements et incubés 24 à 48h. Il est important de préciser que les géloses
PALCAM et OXFORD permettent une identification de genre mais pas d'espèce. Pour la confirmation, la norme préconise de prélever à partir de chaque boîte cinq colonies, présumées être des Listeria spp. A partir de chacune de ces colonies, des isolements sont réalisés sur géloses tryptone de
soja-extrait de levure et incubés 24h. Dans le pire des cas, on atteint donc J+6 (24h+48h+48h+24h),
dans le meilleur des cas J+3 (24h+24h+24h). Si l'identification de genre est confirmée par les caractéristiques morphologiques de la colonie, la réaction de la catalase, la coloration de Gram et
l'examen de la mobilité, commence alors une batterie de tests pour l'identification d'espèce : hémolyse du sang de mouton (24h), utilisation des glucides (1 à 5 jours), test de CAMP (24h). Les L.
monocytogenes se distinguent des autres espèces selon les caractéristiques présentées dans le tableau ci-dessous.
148
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Tableau 22. Récapitulatif des tests pour l'identification d'espèce au sein du genre Listeria. D'après la norme NF EN ISO 11290-1.
Espèce
Hémolyse
Production d'acide
Test de CAMP
rhamnose
xylose
S. aureus
R. equi
L. monocytogenes
+
+
-
+
-
L. innocua
-
V
-
-
-
L. ivanovii
+
-
+
-
+
L. seeligeri
(+)
-
+
(+)
-
L. welshimeri
-
V
+
-
-
L. grayi subsp. grayi
-
-
-
-
-
L. grayi subsp. murrayi
-
V
-
-
-
V : réaction variable ; (+) : réaction faible ; + : réaction positive à plus de 90% ; - : réaction négative.
Méthodes alternatives
D'autres méthodes commerciales rapides ont été développées ces dernières années : milieux d'isolements sélectifs, méthodes immuno-enzymatiques, utilisation de sondes moléculaires…
Le milieu RAPID'L MONO a été validé AFNOR pour une utilisation à l'issue des étapes d'enrichissement primaire (en bouillon demi Fraser, 24h) et d'enrichissement secondaire (en bouillon Fraser,
48h).
Le dispositif VIDAS (bioMérieux) est un automate d'immuno-analyse. La reconnaissance est
fondée sur un anticorps spécifique du genre Listeria (VIDAS LIS) ou de l'espèce L. monocytogenes
(VIDAS LMO) et la détection sur une réaction fluorescente. Ce test a été validé AFNOR pour une
utilisation à l'issue d'un protocole variable selon le kit : 24h en bouillon demi Fraser puis isolement
sur géloses Palcam ou Oxford et incubation 24h (VIDAS LMO, fromages au lait cru), 24h en
bouillon demi Fraser puis 24h en bouillon Fraser (VIDAS LMO, autres produits laitiers), 2x24h en
bouillon Fraser (VIDAS LIS pour tous produits alimentaires et VIDAS LMO, produits autres que
laitiers).
La méthode TRANSIA (Diffchamb) est assez proche mais ne permet que la détection de Listeria
spp. Il faut donc une identification de l'espèce après tout résultat positif.
PROBELIA Listeria monocytogenes (Sanofi Diagnostic Pasteur) est un test qualitatif permettant
l'amplification et la détection spécifique d'ADN de L. monocytogenes dans les produits d'alimentation humaine par les techniques de polymérisation en chaîne (PCR) et d'hybridation sandwich sur
microplaque. Pour des produits alimentaires non carnés, le test est réalisé sur 1mL de milieu d'enrichissement primaire (en bouillon demi Fraser, 24h) et prend quelques heures. Pour des produits
carnés, un enrichissement secondaire en bouillon Fraser de 24h est effectué à la suite de l'enrichissement primaire, puis le test est réalisé.
Le test ACCUPROBE (bioMérieux) permet une confirmation bactérienne directe à partir d'une
culture sur boîte avec une sonde ADN spécifique et une détection par chimiluminescence. Ce test a
été validé AFNOR pour une utilisation à l'issue d'une étape d'enrichissement primaire (en bouillon
demi Fraser, 24h et 48h). Le nombre de colonies à tester n'est pas explicite dans le protocole opératoire.
149
III. Etudes de cas
Le test GENETRACK (Diffchamb, Lyon) est aussi un test d'hybridation moléculaire couplé à une
détection colorimétrique. Ce test a été validé AFNOR pour une utilisation à l'issue d'une étape d'enrichissement (en bouillon demi Fraser, 24h). Au terme d'une incubation sur Oxford de 24h, le test
est effectué sur un écouvillonnage de la surface entière de la boîte.
Enfin, on trouve dans la littérature d'autres procédures normalisées (par exemple par la FDA) et qui
reposent en général sur l'utilisation de milieux d'enrichissement plus anciens, comme le UVM (University of Vermont Medium), le LEB (Listeria Enrichment Broth), le LRB (Listeria Repair
Broth)… Par exemple, l'équipe de Donnelly (Ryser et al., 1996 ; Pritchard & Donnelly, 1999) a
testé deux milieux d'enrichissement primaires (UVM ou LRB, 30°C, 24h) et a démontré qu'aucun
n'était significativement meilleur que l'autre. En revanche, de nombreuses souches de Listeria pouvaient être détectées par l'un sans l'être par l'autre et ils conseillent donc un enrichissement double
(c'est-à-dire une inoculation du milieu d'enrichissement secondaire avec le résultat de la culture en
LRB et le résultat de la culture en UVM).
Bilan
Aussi diverses soient-elles, toutes ces méthodes mettent en jeu au minimum une étape d'enrichissement (souvent deux) en milieux d'enrichissement sélectifs (bouillons demi Fraser et/ou Fraser). En
effet, la concentration en L. monocytogenes doit être inférieure à 100 ufc par gramme de produit à la
consommation. Listeria ayant une croissance non négligeable à 4°C , le contrôle en sortie de production est encore plus strict ("zero tolerance") pour les produits dans lesquels il peut y avoir un
développement bactérien Listeria entre la sortie de production et la consommation (European
Commission, 1999). Comme il est pour l'instant impossible de détecter des seuils aussi faibles de
Listeria au sein de la flore non pathogène, les techniques de détection de L. monocytogenes reposent
sur des procédures d'enrichissement en bouillons sélectifs. D'autre part, il faut prendre en compte
que les Listeria ont pu subir une altération ou un stress et les milieux ne doivent pas être trop inhibiteurs. Ces milieux ont été optimisés pour être spécifiques de Listeria spp. En revanche il a été
rapporté qu'ils pourraient être plus favorables à L. innocua qu'à L. monocytogenes (cf. ci-dessous).
Du coenrichissement de L. innocua à la non détection de L.
monocytogenes
L'enrichissement sélectionne aussi L. innocua
L. innocua est physiologiquement très proche de L. monocytogenes : ces deux espèces ont été isolées des mêmes produits alimentaires et seules des techniques sophistiquées (et donc coûteuses) ou
fastidieuses permettent de les différencier. En revanche, seule L. monocytogenes est pathogène
(Farber & Peterkin, 1991). Au milieu des années 1990, trois équipes ont mis en évidence que le
ratio final L. innocua / L. monocytogenes au terme d'un enrichissement en bouillon sélectif est
beaucoup plus élevé que le ratio initial (Curiale & Lewus, 1994 ; MacDonald & Sutherland, 1994 ;
Petran & Swanson, 1993). L. innocua pourrait donc masquer L. monocytogenes au cours du processus d'enrichissement.
Cet envahissement du bouillon d'enrichissement par L. innocua au détriment de L. monocytogenes
peut avoir des conséquences sérieuses. En effet, selon la norme ISO 11290-1(1996), des géloses de
150
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
type Palcam ou Oxford (sur lesquelles il est impossible de différencier les différentes espèces de
Listeria) sont ensemencées à partir du bouillon d'enrichissement puis seules cinq colonies sont
identifiées par une batterie de tests. Plus la proportion finale de cellules L. innocua dans le bouillon
d'enrichissement est élevée, plus la proportion de colonies L. innocua sur la gélose est élevée, plus
la probabilité que les cinq colonies choisies aléatoirement soient toutes des L. innocua est élevée et
donc plus est fort le risque de conclure à tort à l'absence de L. monocytogenes dans le produit initial.
En effet, il n'est même pas obligatoire de reporter la détection de L. innocua.
Selon les travaux de Petran & Swanson (1993), Curiale & Lewus (1994) et MacDonald & Sutherland (1994), ce surpassement de L. monocytogenes par L. innocua s'expliquerait par une croissance
plus rapide de L. innocua en bouillons sélectifs (de type Fraser). C'est donc une approche de type
"avantage sélectif". D'après Beumer et al. (1996a), la différence entre les paramètres de croissance
des deux espèces serait due à l'acriflavine, agent sélectif contenu dans les milieux d'enrichissement,
à laquelle L. monocytogenes serait plus sensible que L. innocua. D'autres auteurs suggèrent que
l'avantage en faveur de L. innocua au cours de la procédure d'enrichissement soit dû à une inhibition de L. monocytogenes par L. innocua (Yokoyama et al., 1998), ce qui correspond à une approche de type "interaction". En effet, un effet inhibiteur de L. innocua a été bien démontré contre
L. monocytogenes (Yokoyama et al., 1998 ; Kalmokoff et al., 1999), le mécanisme en serait une
production de bactériocine, ou de particules phagiques.
Objectifs de l'étude
A la suite de ces trois articles datant du milieu des années 1990 (Petran & Swanson, 1993 ; Curiale
& Lewus, 1994 ; MacDonald & Sutherland, 1994), j'ai choisi d'approfondir ces observations, en
appliquant les méthodes de suivi et de modélisation développées dans le cadre de cette thèse et en
tirant profit d'innovations techniques intervenues depuis 1994.
Les milieux utilisés dans les trois publications fondamentales étaient en général l'UVM (University
of Vermont Medium), le LEB (Listeria Enrichment Broth) et le LRB (Listeria Repairment Broth).
Beumer et al. (1996a) ont observé que les fortes concentrations d'acriflavine (rencontrés dans les
milieux UVM, LEB, LRB et Fraser) affectaient plus le temps de latence et le temps de génération
de L. monocytogenes que de L. innocua. L'avantage sélectif de L. innocua s'exprimerait donc surtout à fortes concentrations en acriflavine. Suite à ces observations, le pré-enrichissement en bouillon demi Fraser (qui contient deux fois moins d'agents sélectifs) a été introduit dans la norme. Le
protocole de cette étude a été choisi de manière à se rapprocher le plus possible de la norme ISO :
enrichissement primaire en bouillon demi Fraser puis enrichissement en bouillon Fraser.
Par ailleurs, depuis quelques années une grande attention a été accordée à la variabilité des paramètres de croissance parmi les souches de L. monocytogenes (Barbosa et al., 1994 ; Bégot et al.,
1997). Or les trois publications fondamentales avaient travaillé sur des nombres relativement limités
de souches. C'est pourquoi j'ai choisi de réaliser une expérience préliminaire sur un nombre total de
13 souches, afin de pouvoir évaluer la variabilité intra-spécifique.
De plus, les travaux initiaux se limitaient à de simples calculs de taux de croissance en cultures pures. Or il m'est apparu que la modélisation des cinétiques par de véritables modèles de croissance et
donc la prise en compte du temps de latence et du rendement pourraient avoir un intérêt pour l'exploitation des résultats.
151
III. Etudes de cas
Enfin, parmi ces trois publications portant sur le problème de l'avantage sélectif des L. innocua sur
les L. monocytogenes en milieux sélectifs, aucune ne présente de suivi des deux populations au
cours de co-enrichissements. Ces travaux se limitent en effet à des comparaisons à partir de cultures
pures ou à des points finaux de cultures mixtes. La raison en est tout simplement technique (difficulté à dénombrer séparément les L. innocua des L. monocytogenes). Grâce aux progrès récents de
l'industrie du diagnostic, il a été possible d'utiliser un milieu différentiel et donc de suivre l'évolution relative des deux populations au cours du processus d'enrichissement. Cette avancée technique
était essentielle pour valider les hypothèses issues d'observations en cultures pures et plus particulièrement pour valider l'hypothèse d'absence d'interaction. C'est pourquoi je me suis associée à
l'équipe canadienne de Kalmokoff afin d'utiliser des souches déjà caractérisées en milieu solide
pour leurs propriétés inhibitrices.
III.3.2. APTITUDES DE CROISSANCE EN CULTURE PURE
Le but était de comparer le comportement de 13 souches de Listeria (toutes originaires de la collection de Farber et caractérisées par Kalmokoff pour leurs propriétés inhibitrices) au cours de différents procédés d'enrichissement.
Matériel et méthodes
Souches
Les souches ont été reçues de la collection de Kalmokoff (cf. Tableau 23) en géloses longue conservation et ont été conservées dans du bouillon cœur cervelle glycérolé à 10% dans l'azote liquide (196°C). Avant chaque expérience, deux cultures de 24h à 35°C sur gélose Columbia additionnée de
sang de mouton étaient réalisées.
152
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Tableau 23. Caractéristiques des 13 souches issues de la collection de Kalmokoff.
Souche
Sérotype
Source
Type d'inhibition
L. monocytogenes ATCC
19112
2(1/2c)
Clinique
Queue de phage
L. monocytogenes 412
1/2a
Clinique
Non détectée
L. monocytogenes 413
1/2a
Clinique
Queue de phage
L. monocytogenes ATCC
19116
4c
Alimentaire
Queue de phage
L. monocytogenes 399
1/2a
Clinique
Non détectée
L. monocytogenes Scott A
4b
Clinique
Phage réplicatif
L. innocua 246
Environnement
Non détectée
L. innocua 854
Alimentaire
Non détectée
L. innocua 239
Environnement
Queue de phage
L. innocua 214
Alimentaire
Queue de phage
L. innocua 227
Environnement
Queue de phage + zone diffuse
L. innocua 743
Alimentaire
Bactériocine
L. innocua 755
Alimentaire
Bactériocine
Milieux et conditions de culture
Trois protocoles d'enrichissement ont été comparés :
§
§
§
Protocole témoin : 24h en bouillon cœur cervelle (bioMérieux) à 30°C.
Protocole "BCM Listeria" : 24h en milieu de pré-enrichissement (Biosynth, Suisse) à 30°C, puis
24h en milieu d'enrichissement (Biosynth). Ce protocole est calqué sur le mode d'emploi du kit
BCM Listeria (Restaino et al., 1999).
Protocole ISO : 24h en bouillon demi Fraser à 30°C, puis 24h en bouillon Fraser à 35°C. Ce
protocole est calqué sur la norme ISO 11290 (Anonymous, 1996). Les bouillons demi Fraser et
Fraser ont été spécialement produits sans esculine.
Le milieu était réparti stérilement dans des ampoules (3 ml par ampoule). Pour la première journée
(à 30°C), des suspensions de chaque souche ont été réalisées en tampon T2 (standardisation 1 Mc
Farland) et les ampoules ont été inoculées par 30µl de suspension. Pour la deuxième journée (à
35°C), chaque ampoule était inoculée par 30µl de l'ampoule correspondante (même protocole,
même souche) de la veille.
Modèles de croissance
L'URIMAT (cf. p. 96) a permis le suivi automatisé des cinétiques par turbidimétrie. Les cinétiques
turbidimétriques ont été analysées par simple régression exponentielle entre deux bornes. Le taux
de croissance maximal (µ) a été déterminé par un ajustement du modèle [81] pour les absorbances
compris entre 0,1 et 1.
Abs(t)=Abs0 eµ t
[81]
Avec Abs(t) : absorbance au temps t et µ : taux de croissance (h-1).
153
III. Etudes de cas
Résultats
Le suivi turbidimétrique des cinétiques dans les différents milieux a permis d'apprécier les aptitudes
de croissance des 13 souches en cultures pures. Les estimations des taux de croissance sont présentés dans le Tableau 24.
Tableau 24. Temps de génération (minutes) et intervalles de confiance asymptotiques à 95% de 13 souches de Listeria en cultures
pures au cours de 3 protocoles d'enrichissement. Protocole témoin : 24h en bouillon cœur cervelle à 30°C. Protocole "BCM Listeria" : 24h en milieu de pré-enrichissement Biosynth à 30°C, puis 24h en milieu d'enrichissement Biosynth à 35°C. Protocole ISO :
24h en bouillon demi Fraser sans esculine à 30°C, puis 24h en bouillon Fraser sans esculine à 35°C. NR : non reporté.
Souche
Cœur cervelle
BCM Préenrichissement
BCM Enrichissement
Demi Fraser
Fraser
L. monocytogenes
ATCC 19112
L. monocytogenes
412
L. monocytogenes
413
L. monocytogenes
19116
L. monocytogenes
399
L. monocytogenes
Scott A
43,7
[42,7 ; 44,7]
40,7
[39,3 ; 42,1]
43,8
[42,8 ; 44,8]
39,7
[38.4 ; 41.0]
39,1
[38.1 ; 40.1]
42,0
[40,5 ; 43,5]
55,5
[55,0 ; 56,0]
50,3
[49,0 ; 51,6]
49,8
[48,0 ; 51,6]
49,8
[48,4 ; 51,2]
54,0
[51,1 ; 56,9]
61,4
[60,6 ; 62,2]
34,4
[27,6 ; 41,2]
32,2
[28,6 ; 35.8]
30,2
[27,7 ; 32,7]
30,6
[28,0 ; 33,2]
35,2
[31,5 ; 38,9]
NR
86,2
[81,5 ; 90.9]
73,4
[69,0 ; 77,8]
76,7
[72,4 ; 81,0]
81,0
[77,5 ; 84,5]
72,0
[68,6 ; 75,4]
101,6
[95,9 ; 107,3]
65,9
[60,8 ; 74,0]
60,9
[55,8 ; 66,0]
60,7
[54,4 ; 67,0]
75,7
[72,5 ; 78.9]
55,9
[52,4 ; 59,4]
98,9
[97,5 ; 100,3]
Moyenne
41,5
53,5
32,5
81,4
70,1
Médiane
41,4
52,2
32,2
78,9
63,4
L. innocua 246
41,9
[40,5 ; 43,3]
42,3
[40,4 ; 43,2]
41,0
[39,5 ; 42,5]
40,7
[39,5 ; 41,9]
43,8
[42,8 ; 44,8]
47,0
[45,9 ; 48,1]
49,4
[48,2 ; 50,6]
48,7
[39,9 ; 50,5]
52,8
[51,7 ; 53,9]
50,6
[48,6 ; 52,6]
48,9
[46,9 ; 50,9]
58,0
[55,8 ; 60,2]
68,7
[67,4 ; 70,0]
66,6
[65,1 ; 68,1]
31,4
[29,7 ; 33,1]
30,9
[29,0 ; 32,8]
28,8
[26,8 ; 30,8]
31,0
[26,9 ; 35,1]
38,5
[35,5 ; 41,5]
NR
48,0
[46,2 ; 49,8]
78,7
[74,4 ; 83,0]
74,8
[71,3 ; 78,2]
74,6
[69,7 ; 79,5]
71,1
[69,0 ; 73,2]
83,1
[79,1 ; 87,1]
84,4
[82,3 ; 86,5]
85,5
[83,5 ; 87,5]
61,0
[55,9 ; 66,1]
58,2
[53,7 ; 60,7]
55,4
[50,1 ; 60,7]
56,6
[53,2 ; 60,0]
58,6
[52,7 ; 64,5]
63,3
[60,1 ; 66,5]
65,0
[63,0 ; 67,0]
Moyenne
43,7
56,3
34,8
78,9
59,7
Médiane
42,3
52,8
31,2
78,7
58,6
L. innocua 854
L. innocua 239
L. innocua 214
L. innocua 227
L. innocua 743
L. innocua 755
Effet souche
Parmi ces 13 souches, il y avait trois outliers (souches "extravagantes"). Au sein de l'espèce L. monocytogenes, la souche Scott A a un comportement particulier : plus le milieu est sélectif, plus son
désavantage est marqué. Ainsi, elle est parmi les souches les plus lentes dans tous les milieux mais
dans les milieux de type Fraser (bouillon demi Fraser et a fortiori bouillon Fraser), elle est significativement plus lente que toutes les autres. Le comportement particulier de cette souche a déjà été
noté par Barbosa et al. (1994) et Bégot et al. (1997). Au sein de l'espèce L. innocua, les deux productrices de peptide cyclique (743 et 755) sont relativement lentes. Ceci peut s'expliquer par le coût
sélectif de la production de bactériocine (Dykes & Hastings, 1997).
154
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Effet espèce
Pour détecter des différences inter-espèces, une approche paramétrique telle que celle présentée
dans la deuxième partie (cf. p. 93) et déjà utilisée dans la deuxième étude de cas se serait heurtée au
relativement faible nombre de souches, et à la présence de données extravagantes. C'est pourquoi
une approche non paramétrique a été choisie.
Pour chaque bouillon, les temps de génération ont été ordonnés du plus faible (souche la plus rapide) au plus élevé (souche la plus lente) et les rangs des 6 souches de L. monocytogenes ont été
sommés. Plus cette somme de rangs est élevée, plus les souches de L. monocytogenes sont relativement lentes par rapport aux souches de L. innocua.
La somme de rangs la plus élevée a été trouvée dans le cas du bouillon Fraser. Dans ce cas, la différence entre L. monocytogenes et L. innocua serait significative avec un risque α de 10% (p=7,5%).
Dans tous les autres cas, aucune différence significative n'a été détectée. Sur la base de critère de la
somme des rangs, les bouillons ont été ordonnés en fonction de l'avantage sélectif pour L. innocua :
cœur cervelle (léger désavantage) – pré-enrichissement BCM (léger avantage) – enrichissement
BCM - demi Fraser - Fraser (fort avantage).
Il apparaît donc que les agents sélectifs contenus dans les bouillon demi Fraser et a fortiori Fraser
pourrait favoriser L. innocua par rapport à L. monocytogenes mais que la différence interspécifique
est peu significative au regard de la variabilité intra-spécifique.
Discussion
Duh & Schaffner (1993) ont été les premiers à indiquer que la croissance de L. innocua serait plus
rapide que celle de L. monocytogenes en bouillon cœur-cervelle (milieu riche usuel), pour des
températures inférieures à 40°C. Sur la base de ces résultats, Curiale & Lewus (1994) ont confirmé
que L. innocua serait plus rapide que L. monocytogenes dans trois milieux différents : bouillon
trypticase soja + 0,6% d'extrait de levure (milieu riche usuel), UVM (University of Vermont medium, milieu sélectif utilisé en enrichissement) et en bouillon Fraser. Mais ces deux études avaient
été menées avec une seule souche, sans prendre en compte la question de la variabilité intraspécifique, discutée dans la quatrième partie.
L'étude de MacDonald & Sutherland (1994), portant sur 6 souches de chaque espèce, a permis de
mettre en évidence des différences significatives entre les deux espèces en LEB (Listeria Enrichment Broth, milieu sélectif utilisé en enrichissement secondaire). Les différences en LEB étaient
telles que les souches de L. innocua les plus lentes avaient un temps de génération plus court que les
L. monocytogenes les plus rapides. En revanche, ils n'ont mis en évidence aucune différence significative entre les espèces dans deux autres milieux : ni en bouillon trypticase soja (milieu riche usuel)
ni en LRB (Listeria Resuscitation Broth, milieu utilisé en enrichissement primaire, moins sélectif
que le LEB). Ils ont alors suggéré que ces différences seraient dues à des différences de susceptibilité à des composés inhibiteurs des bouillons sélectifs.
Beumer et al. (1996a) ont en effet observé que l'augmentation de la concentration en acriflavine
affecte le temps de latence et le temps de génération de L. monocytogenes, tandis qu'aucun effet ne
serait constaté sur L. innocua. En revanche, il n'y aurait pas de différence de susceptibilité à l'acide
155
III. Etudes de cas
nalidixique. L'introduction dans la procédure d'enrichissement ISO du bouillon demi Fraser, qui
contient moitié moins d'acriflavine (12mg/L) que le bouillon Fraser (24mg/L) constituait a priori
une amélioration. J'ai confirmé que l'avantage sélectif pour L. innocua est moindre en bouillon demi
Fraser qu'en bouillon Fraser (d'après la comparaison de somme des rangs). En revanche, à température égale, la croissance des 13 souches est beaucoup plus lente en bouillon demi Fraser qu'en
milieu non sélectif (bouillon cœur-cervelle). Il en est de même pour le bouillon de préenrichissement BCM de Biosynth, censé autoriser la même croissance de L. monocytogenes qu'en
milieu non sélectif (Restaino et al., 1999).
Parmi les 13 souches testées, je n'ai pu détecter aucune différence significative avec α= 5% entre
les deux espèces dans les 5 milieux testés. Même en bouillon Fraser, celui pour lequel l'avantage
sélectif pour L. innocua est le plus marqué (p=7,5%), certaines souches de L. innocua sont plus
lentes que les souches de L. monocytogenes les plus rapides. Il y aura donc des couples L. innocua/
L. monocytogenes pour lesquels L. innocua a un avantage sélectif et inversement.
III.3.3. INTERACTIONS EN CULTURES MIXTES
Technique de dénombrement spécifique
Avant d'envisager des cultures mixtes L. innocua versus L. monocytogenes, il fallait mettre au point
un milieu gélosé optimal pour un dénombrement différentiel non inhibiteur.
Panorama des méthodes possibles
Les différences biochimiques entre L. monocytogenes et L. innocua sont rares. La principale est
l'hémolyse (L. monocytogenes : positif, L. innocua : négatif) mais elle est difficile à détecter. Sur
gélose Columbia additionnée de 5% de sang de mouton (bioMérieux), une zone claire apparaît sous
la colonie mais elle n'est clairement détectable que si on ôte délicatement la colonie. Il semble difficile de fonder une technique de dénombrement sur ce principe (même avec quelques aménagements, par exemple utilisation de sang de cheval, ou concentration moindre en sang…). Le test
CAMP (en présence de Staphylococcus aureus) ne semble pas non plus adapté à un dénombrement.
Il existe aussi une différence fondée sur la production d'acides par fermentation du rhamnose. Cette
voie a été peu explorée par les industriels car le pouvoir discriminant est loin d'être parfait. Toutes
les L. monocytogenes sont positives, et une partie (plus ou moins importante selon les auteurs) des
L. innocua seraient négatives. Lachica utilise le Purple Agar Base (Difco), additionnée de rhamnose
à 1g/L (Lachica, 1990). Petran a modifié cette composition de milieu en remplaçant l'agar par de
l'agar purifié (BBL), ce qui lui permettrait de diminuer l'opacité du milieu et donc d'améliorer la
perception de la coloration des colonies (Petran & Swanson, 1993).
Le Purple Agar Base (Difco) additionné de rhamnose (Merck) à 1g/L (rajouté extemporanément
après stérilisation) a été testé au laboratoire. Le point positif à souligner est que, par rapport à ce
qu'affirmait Petran & Swanson (1993), le milieu est parfaitement translucide et que la distinction
entre colonies jaunes (rhamnose positif) et colonies blanches (rhamnose négatif) est, si ce n'est fa156
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
cile, en tout cas possible sans hésitation. Mais, le milieu s'est avéré inhibiteur : non seulement les
colonies étaient petites (surtout les rhamnose négatif) mais surtout les dénombrements étaient significativement inférieurs à ceux sur Columbia. Cette inhibition est vraisemblablement due au bleu de
bromocrésol (indicateur coloré). De plus, cette technique impose de ne travailler qu'avec des L. innocua rhamnose négatif, ce qui réduit le champ d'investigation.
Enfin, Mc Laughlin et Clark proposent une différentiation fondée sur DL-alanine ß-naphtylylamide
(DLABN), que toutes les Listeria sauf monocytogenes pourraient hydrolyser (McLauchlin, 1997).
Une réaction positive est détectable en milieu liquide (apparition d'un précipité orange avec une
solution de fast violet). Cette particularité méritait d'être notée, mais il semble difficile de mettre au
point un milieu de dénombrement, si aucune mise au point n’a encore été effectuée.
Panorama des milieux commerciaux disponibles
Cette grande difficulté à distinguer directement sur une gélose L. monocytogenes et L. innocua pose
un réel problème pour la recherche de L. monocytogenes, soulevé dans l'introduction. C'est pourquoi différents industriels ont développé et mis sur le marché des géloses permettant l'identification
présomptive de L. monocytogenes directement sur la gélose. Ces milieux pouvaient aussi être utilisés dans le but de suivre séparément les deux populations en cultures mixtes L. monocytogenes
versus L. innocua. Trois milieux ont été comparés.
Le milieu ALOA (Agar Listeria selon Ottoviani et Agosti) est produit par AES laboratoire (Combourg). C'est un milieu prêt à l'emploi, de couleur jaune, relativement translucide (apparence à
peine plus opaque qu'une gélose Columbia). Les non-Listeria forment des colonies blanches (ou
sont inhibées), toutes les Listeria forment des colonies bleues, et seules les L. monocytogenes forment un halo autour de la colonie (Vlaemynck et al., 2000). La différenciation de l'espèce monocytogenes est fondée sur la reconnaissance de la phospholipase C (substrat naturel). Dans un objectif
de dénombrement, la reconnaissance sur la base d'un halo n'est pas très adaptée.
Le milieu RAPID'L MONO (Sanofi Diagnostic Pasteur) est un milieu prêt à l'emploi, de couleur
rouge, relativement opaque (apparence proche d'une gélose Columbia+5% de sang de mouton). Les
Listeria non monocytogenes forment des colonies blanches et seules les L. monocytogenes forment
des colonies noires. La différenciation de l'espèce monocytogenes est fondée sur la reconnaissance
de la phospholipase C (substrat artificiel) ; le principe actif est le même que dans le kit BCM
détaillé ci-dessous (Restaino et al., 1999). Dans un objectif de dénombrement, l'opacité de la gélose
constituait un frein.
Le kit "BCM Listeria monocytogenes"(Biosynth, Suisse) est constitué d'un milieu liquide de préenrichissement (ou enrichissement primaire), d'un milieu liquide d'enrichissement (ou enrichissement secondaire), d'un milieu gélosé d'identification (reconnaissance de L. monocytogenes et L.
ivanovii fondée sur la phospholipase C, substrat artificiel) et d'un milieu gélosé de confirmation
(reconnaissance entre L. monocytogenes et L. ivanovii fondée sur la fermentation du rhamnose). Le
milieu d'identification apparaît plus adéquat que les précédents car il est assez translucide, que la
reconnaissance n’est pas fondée sur un halo mais sur la couleur bleue (versus blanche) des colonies
et qu'il n'est pas vendu prêt à l'emploi (donc plus grande souplesse d'utilisation et gain sur les
coûts).
157
III. Etudes de cas
Validation du milieu choisi
Au vu de ce panorama des méthodes disponibles, le milieu d'identification BCM de Biosynth a été
retenu. Toutefois, il s'est avéré inhibiteur, c'est-à-dire que son efficacité d'étalement était inférieure
à 100% pour L. monocytogenes et L. innocua. Cette inhibition était sans doute due aux antibiotiques
ajoutés pour éliminer la flore annexe. Or l'objectif était ici de trouver un milieu permettant la croissance optimale des deux espèces et la distinction des colonies, un milieu sélectif n'était pas nécessaire.
Un milieu modifié a donc été proposé. Dans le protocole de reconstitution du milieu, la poudre
(contenant le milieu de base et les agents sélectifs) a été remplacée par une base non sélective (Columbia, bioMérieux). Après autoclavage, les suppléments contenant les principes actifs sont ajoutés
normalement.
Le milieu ainsi obtenu (BCMm pour BCM modifié) s'est avéré aussi adapté à la croissance de L.
monocytogenes et L. innocua qu'une gélose Columbia. Aucune différence significative d'efficacité
d'étalement (EOP) n'a été détectée. De plus, les souches de L. innocua testées sont apparues blanches et les souches de L. monocytogenes testées sont apparues bleu turquoise. La coloration est très
franche et il ne peut pas y avoir de doute entre une colonie bleue et une colonie blanche. Toutefois,
la coloration n'apparaît qu'après environ 18h. Les colonies sont très petites à 24h (ce qui peut occasionner des erreurs de dénombrement) mais tout à fait visibles à 48h (les colonies de L. monocytogenes étant un peu plus grosses que les colonies de L. innocua).
Matériel et méthodes
Souches.
Quatre expériences ont été menées. Les expériences A, B et C peuvent être considérées comme les
trois blocs d'une expérience, telle que décrite en II.2.3, les facteurs contrôlés étant : le "type de
culture" (culture pure A, culture pure B et culture mixte A+B) et la nature de l'inoculum L. innocua
(trois souches caractérisées par Kalmokoff).
§ Expérience A : L. monocytogenes 399, sans activité inhibitrice caractérisée, serotype 1/2a, versus L. innocua 743 (productrice d'une bactériocine active contre L. monocytogenes 399) ;
§ Expérience B : L. monocytogenes 399, versus L. innocua 239 (activité inhibitrice contre L. monocytogenes 399 de type queue de phage) ;
§ Expérience C : L. monocytogenes 399, versus L. innocua 227 (activité inhibitrice contre L. monocytogenes 399 de type "zone diffuse").
L'expérience D a été menée dans un objectif similaire sur deux souches issues d'une autre collection. Des souches caractérisées par Bégot (1996) pour leurs aptitudes de croissance ont été utilisées.
L. monocytogenes 52, sérotype 4b, était cultivée versus L. innocua 60, CLIP 20719.
Conditions de culture
Chaque flacon de type Erlenmeyer de 250 mL contenait 225 mL de bouillon demi Fraser (bioMérieux) pour l'enrichissement primaire ou 225 mL de bouillon Fraser (bioMérieux) pour l'enrichissement secondaire. Des aiguilles spinales (Beckton Dickinson) permettaient d'inoculer et de préle158
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
ver des échantillons stérilement. Les flacons étaient placés dans des bains thermostatés (la température était régulée à 30 ± 0.1°C pour l'enrichissement primaire et à 35 ± 0.1°C pour l'enrichissement secondaire), et une agitation magnétique assurait l'aération du milieu.
Les dénombrements étaient effectués sur géloses Columbia (bioMérieux) pour les cultures pures et
sur géloses BCMm pour les cultures mixtes.
La Figure 34 récapitule le protocole des expériences A, B et C.
bouillon
demi-Fraser
(J1)
bouillon
Fraser (J2)
35°C
30°C
m
suspension dans du T2
3. 10 8germes/ ml
1
Listeria
monocytogenes
culture de 24 h
l
1 ml
culture pure de
Listeria monocytogenes
1m
1m
l
culture pure de
Listeria monocytogenes
35°C
30°C
suspension dans du T2
3. 10 8 germes/ ml
1
Listeria innocua
culture de 24 h
1
m
l
m
l
l
culture mixte
culture mixte
35°C
30°C
1m
l
1 ml
culture pure de
Listeria innocua
culture pure de
Listeria innocua
Figure 34. Protocoles de cultures en bouillons demi Fraser (J1) puis Fraser (J2) des expériences A, B, C.
L'expérience D repose sur un protocole similaire (cf. Figure 35). Le principe est toujours de mener
en parallèle deux cultures pures et une culture mixte, afin de pouvoir caractériser rigoureusement la
croissance de chaque souche en cultures pure et mixte, les inoculums étaient constitués de manière
à ce que l'inoculum de la culture mixte soit la somme des inoculums des deux cultures pures.
159
III. Etudes de cas
bouillon
demi-Fraser
(J1)
bouillon
Fraser (J2)
35°C
30°C
m
suspension dans du T2
3. 10 8germes/ ml
2
Listeria
monocytogenes
culture de 24 h
l
2 ml
culture pure de
Listeria monocytogenes
2m
2m
l
culture pure de
Listeria monocytogenes
35°C
30°C
suspension dans du T2
3. 10 8 germes/ ml
2
Listeria innocua
culture de 24 h
2
m
l
m
l
l
culture mixte
culture mixte
35°C
30°C
2m
l
2 ml
culture pure de
Listeria innocua
culture pure de
Listeria innocua
Figure 35. Réalisation des cultures pures et mixtes en bouillons demi Fraser (J1) puis Fraser (J2). Expérience D.
Dénombrement
A chaque prélèvement, 1mL de culture environ était prélevé à l’aide d’une seringue par
l’intermédiaire d’une aiguille spinale. Le prélèvement était dilué en tampon T2. Un échantillon de
100µL de la dilution appropriée était déposé à la surface de deux milieux gélosés (Columbia pour
les cultures pures, BCMm pour la culture mixte) puis étalé en utilisant une dizaine de billes de verre
stériles. Après incubation de 48h à 35°C, les colonies étaient dénombrées à l'aide d'un compteur de
colonies.
160
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Résultats
Généralités
Pour chaque expérience A, B, C, D, 8 courbes de croissance ont été obtenues :
§
§
§
§
§
§
§
§
L. monocytogenes en culture pure en bouillon demi Fraser,
L. monocytogenes en culture mixte en bouillon demi Fraser,
L. monocytogenes en culture pure en bouillon Fraser,
L. monocytogenes en culture mixte en bouillon Fraser,
L. innocua en culture pure en bouillon demi Fraser,
L. innocua en culture mixte en bouillon demi Fraser,
L. innocua en culture pure en bouillon Fraser,
L. innocua en culture mixte en bouillon Fraser.
Pour chaque couple de cinétiques (une en culture pure et une en culture mixte), le modèle unifié
[96] à 8 paramètres (logarithmes des densités de population initiale et finale, temps de latence et
taux de croissance pour chaque cinétique) a été ajusté.
Log( N) = Log(N0)p
Culture pure
Log( N) = Log (N0 )p
Log( N) = Log(N0)m
Culture mixte
si t ≤ lag p
Log (Nmax )p
 
10
− Log 1 +
Log (N0 )p
10
√e
√
↵
− ì p ( t − lag p )
√ si t > lag
p
√
↵
si t ≤ lag m
 
10 Log (Nmax )m
√e
Log( N) = Log (N0 )m − Log 1 +
10 Log (N0 )m √
↵
− ì m ( t − lag m )
[86]
√ si t > lag m
√
↵
Puis les hypothèses suivantes ont été successivement testées : égalité de log(N0), égalité de µ, égalité de lag, égalité de log(Nmax). Les modèles présentés sur la figure 1 sont les modèles globaux
avec les contraintes d'égalité acceptées.
Expérience A.
En bouillon demi Fraser, la croissance de L. innocua 743 a été plus lente en culture mixte, mais a
atteint le même log(Nmax) qu'en culture pure . En bouillon Fraser, la croissance de L. innocua 743
a été identique entre la culture pure et la culture mixte.
La croissance de L. monocytogenes 399 a été très affectée par la co-croissance de L. innocua 743 en
bouillon demi Fraser comme en bouillon Fraser. Il s'est avéré peu satisfaisant d'ajuster le modèle
[96] aux cinétiques de L. monocytogenes 399 en cultures mixtes. C'est pourquoi un nouveau modèle
a été défini. Il s'agit d'un début de croissance classique avec transition brutale en décroissance exponentielle. L'hypothèse d'égalité du temps de latence et du taux de croissance de la première phase
exponentielle avec les paramètres équivalents en cultures pures a été acceptée. Le modèle est donc
le suivant :
161
III. Etudes de cas
Log( N) = Log (N0)p si t ≤ lag p
Log (Nmax )p
 
10
√e
culture pure Log( N) = Log (N0)p − Log 1 +
Log (N0 )p √
10
↵
(
Log( N) = Log (N0)p + Log e
ì p ( stop p − lag p )
Log( N) = Log (N0)p si t ≤ lag p
culture mixte
Log( N) = Log (N0)p
√ si t  [lag ; stop ]
p
p
√
↵
− ì ( t − stop p )
[87]
+ Log e S
si t ? stop p
)
− ì p ( t − lag p )
(
Log (Nmax )p
 
10
√e
− Log 1 +
Log (N0 )p √
10
↵
)
− ì p ( t − lag p )
√ si t > lag p
√
↵
L. innocua 743 a donc un effet inhibiteur sur L. monocytogenes 399, c'est une interaction de type
amensalisme.
Log N (ufc/mL)
Log N (ufc/mL)
9 (A1)
9 (A2)
8
8
7
7
L. innocua 743
Bouillon demi Fraser
6
0
6
12
18
24 0
9 (A3)
9 (A4)
8
8
7
6
12
18
24
7
L. monocytogenes 399
Bouillon demi Fraser
6
0
L. innocua 743
Bouillon Fraser
6
6
12
18
Temps (h)
L. monocytogenes 399
Bouillon Fraser
6
24 0
6
12
18
24
Temps (h)
Figure 36. Cinétiques de croissance en cultures pures ( ) et mixtes ( ) de L. innocua (1 et 2) et Listeria monocytogenes (3 et 4) en
bouillon demi Fraser (1 et 3) et bouillon Fraser (2 et 4). Expérience A : L. monocytogenes 399 versus L. innocua 743.
Expérience B.
Entre L. innocua 227 et L. monocytogenes 399, les deux souches sont affectées sur leur concentration finale. Dans la classification d'Odum cette interaction s'apparente à une compétition. Elle peut
s'expliquer par une compétition pour les ressources.
162
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Log N (ufc/mL)
Log N (ufc/mL)
9 (B1)
9 (B2)
8
8
7
7
L. innocua 227
Bouillon demi Fraser
6
0
6
12
18
L. innocua 227
Bouillon Fraser
6
24
0
6
9 (B3)
9 (B4)
8
8
7
7
L. monocytogenes 399
Bouillon demi Fraser
6
0
6
12
18
18
24
L. monocytogenes 399
Bouillon Fraser
6
24
12
0
6
12
Temps (h)
18
24
Temps (h)
Figure 37. Cinétiques de croissance en cultures pures ( ) et mixtes ( ) de L. innocua (1 et 2) et Listeria monocytogenes (3 et 4) en
bouillon demi Fraser (1 et 3) et bouillon Fraser (2 et 4). Expérience B : L. monocytogenes 399 versus L. innocua 227.
Expérience C.
L. innocua 239 et L. monocytogenes 399 ont toutes les deux été affectées sur leur densité de population finale en bouillon demi Fraser. Par ailleurs, L. monocytogenes 399 a eu un effet négatif sur le
début de croissance de L. innocua 239. En effet, le temps de latence était significativement plus
long en culture mixte qu'en culture pure. Cela semble être une interaction de type compétition. En
revanche, il n'y a eu aucune interaction en bouillon Fraser.
Log N (ufc/mL)
9
Log N (ufc/mL)
(C1)
(C2)
8
7
L. innocua 239
Bouillon demi Fraser
6
0
6
12
18
(C3)
L. innocua 239
Bouillon Fraser
24
(C4)
L. monocytogenes 399
Bouillon demi Fraser
Temps (h)
L. monocytogenes 399
Bouillon Fraser
Temps (h)
Figure 38. Cinétiques de croissance en cultures pures ( ) et mixtes ( ) de L. innocua (1 et 2) et Listeria monocytogenes (3 et 4) en
bouillon demi Fraser (1 et 3) et bouillon Fraser (2 et 4). Expérience C : L. monocytogenes 399 versus L. innocua 239.
163
III. Etudes de cas
Expérience D.
Entre L. innocua 60 et L. monocytogenes 52, l'interaction est de type amensalisme pur en bouillon
demi Fraser et amensalisme + compétition en bouillon Fraser. Elle ne peut s'expliquer par une simple compétition pour les ressources, un mécanisme inhibiteur est aussi mis en évidence.
Log N (ufc/mL)
Log N (ufc/mL)
(D1)
(D2)
(D3)
(D4)
Temps (h)
Temps (h)
Figure 39. Cinétiques de croissance en cultures pures ( ) et mixtes ( ) de L. innocua 52 (1 et 2) et L. monocytogenes 60 (3 et 4) en
bouillon demi Fraser (1 et 3) et bouillon Fraser (2 et 4).
Les paramètres de croissance sont présentés dans le tableau 2. Dans les cas de modèles globaux à
contraintes, la p-value du test de Fisher est présentée pour chaque égalité acceptée au risque 5%.
164
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Tableau 25. Paramètres des cinétiques de croissance en cultures pures (indice p) et mixtes (indice m) de L. innocua (1 et 2) et L.
monocytogenes (3 et 4) en bouillon demi Fraser (1 et 3) et bouillon Fraser (2 et 4). Expérience A : L. monocytogenes 399 versus L.
innocua 743. Expérience B : L. monocytogenes 399 versus L. innocua 227. Expérience C : L. monocytogenes 399 versus L. innocua
239. Expérience D : L. monocytogenes 52 versus L. innocua 60. L.i. et L.m. sont les abréviations de L. innocua et L. monocytogenes.
BDF et BF sont les abréviations de bouillon demi Fraser et bouillon Fraser.
Log(N0)p
-1
p (h )
Lagp (h)
Log(Nmax)p
Log(N0)m
m
Lagm
0.48
3.05
[0.42 ; 0.53] [2.28 ; 3.83]
Log(Nmax)m
(a1) BDF
L.i.743
5.99
[5.90 ; 6.08]
0.62
2.51
[0.56 ; 0.68] [1.88 ; 3.14]
9.03
[8.88 ; 9.17]
Log(N0)p
(p: 0.56)
(a2) BF
L.i.743
6.48
[6.38 ; 6.58]
0.72
2.25
[0.65 ; 0.80] [1.80 ; 2.70]
8.88
[8.74 ; 9.02]
Log(N0)p
(p: 0.06)
(a3) BDF
L.m. 399
6.36
[6.22 ; 6.50]
0.72
3.17
[0.62 ; 0.83] [2.55 ; 3.79]
9.03
[8.77 ; 9.30]
cf. texte
(a4) BF
L.m.399
6.66
[6.58 ; 6.73]
0.78
[0.70 ; 0.86]
1.00
|0.66 ; 1.36]
8.79
[8.69 ; 8.88]
cf. texte
(b1) BDF
L.i. 227
5.68
[5.58 ; 5.78]
0.62
3.34
[0.56 ; 0.68] [2.69 ; 6.99]
8.81
[8.55 ; 9.07]
Log(N0)p
(p: 0.97)
µp
(p: 0.70)
Lagp
(p: 0.13)
7.82
[7.68 ; 7.96]
(b2) BF
L.i. 227
6.44
[6.39 ; 6.50]
0.87
[0.80 ; 0.94]
1.76
[1.51, 2.02]
8.72
[8.60 ; 8.84]
Log(N0)p
(p: 0.56)
µp
(p: 0.57)
Lagp
(p: 0.97)
8.33
[8.25 ; 8.41]
(b3) BDF
L.m. 399
5.95
[5.87 ; 6.03]
0.67
3.50
[0.63 ; 0.71] [3.03 ; 3.96]
8.98
[8.82 ; 9.14]
Log(N0)p
(p: 0.84)
µp
(p: 0.75)
2.81
[2.36 ; 3.25]
8.76
[8.64 ; 8.89]
(b4) BF
L.m.399
6.59
[6.61 ; 6.67]
0.89
1.37
[0.80 ; 0.98] [1.03 ; 1.70]
8.94
[8.81 ; 9.07]
Log(N0)p
(p: 0.52)
µp
(p: 0.17)
Lagp
(p: 0.67)
8.41
[8.32 ; 8.50]
(c1) BDF
L.i. 239
6.08
[6.00 ; 6.16]
0.79
2.13
[0.72 ; 0.86] [1.66 ; 2.60]
8.90
[8.76 ; 9.00]
Log(N0)p
(p: 0.89)
µp
(p: 0.67)
2.55
[2.08 ; 3.02]
8.54
[8.44 ; 8.64]
(c2) BF
L.i. 239
6.37
[6.27 ; 6.47]
0.82
1.64
[0.71 ; 0.93] [1.17 ;2.11]
8.62
[8.45 ; 8.80]
Log(N0)p
(p: 0.62)
µp
(p: 1.00)
Lagp
(p: 0.13)
Log(Nmax)p
(p: 0.64)
(c3) BDF
L.m. 399
6.28
[6.20 ; 6.36]
0.71
3.04
[0.65 ; 0.77] [2.62 ; 3.46]
8.97
[8.83 ; 9.12]
Log(N0)p
(p: 0.72)
µp
(p:0.77 )
Lagp
(p:0.05)
8.46
[8.36 ; 8.56]
(c4) BF
L.m.399
6.62
[6.50 ; 6.75]
0.77
1.11
[0.67 ; 0.87] [0.55 ; 1.67]
8.97
[8.76 ; 9.18]
Log(N0)p
(p: 0.84)
µp
(p:0.51 )
Lagp
(p:0.97)
Log(Nmax)p
(p: 0.89)
(d1) BDF
L.i.
6.42
[6.33 ; 6.50]
0.66
1.43
[0.62 ; 0.70] [1.03 ; 1.83]
9.19
[9.09 ; 9.29]
Log(N0)p
(p: 0.60)
µp
(p: 0.56)
Lagp
(p: 0.24)
Log(Nmax)p
(p:0.57 )
(d2) BF
L.i.
7.25
[7.15 ; 7.34]
0.92
1.51
[0.80 ; 1.04] [1.11 ; 1.90]
9.15
[9.05 ; 9.25]
Log(N0)p
(p: 0.59)
µp
(p: 0.66)
Lagp
(p: 0.24)
8.84
[8.75 ; 8.93]
(d3) BDF
L.m.
6.49
[6.39 ; 6.59]
0.65
1.71
[0.59 ; 0.71] [1.22 ; 2.20]
8.97
[8.80 ; 9.13]
cf. texte
(d4) BF
L.m.
6.97
[6.85 ; 7.08]
0.98
1.52
[0.77 ; 1.18] [1.04 ; 2.00]
8.64
[8.52 ; 8.75]
cf. texte
µp
(p: 0.94)
Lagp
(p:1 )
Log(Nmax)p
(p: )
Log(Nmax)p
(p: 1)
Il pourrait donc y avoir une inhibition de L. monocytogenes par L. innocua, non seulement avec une
interaction de type bactériocine, mais aussi dans certains cas avec une interaction de type particule
de bactériophage.
165
III. Etudes de cas
Discussion
De nombreuses et diverses activités inhibitrices sont connues au sein du genre Listeria (Tagg et
al., 1976 ; Mollerach et al., 1988 ; Ortel, 1989 ; Curtis & Mitchell, 1992 ; Lebek et al., 1993 ; Zink
et al., 1995 ; Yokoyama et al., 1998 ; Kalmokoff et al., 1999), et dans certains cas, les agents responsables de ces activités ont été reportés (Zink et al., 1995 ; Loessner et al., 1995 ; Yokoyama et
al., 1998 ; Kalmokoff et al., 1999).
Cet effet inhibiteur peut résulter de particules défectives de bactériophages ou "queue de phages"
(Zink et al., 1995), qui sont non réplicatives mais peuvent tuer une cellule sensible. Les termes de
monocines, listériocines ou inhibiteur de type bactériocine sont parfois utilisés (Zink et al., 1995). Il
est généralement admis que la production de queues de phages requiert une induction de la réponse
SOS. Mais chez Listeria spp., une production sur gélose voire en culture liquide sans induction a été
observée (Bradley & Dewar, 1966 ; Kalmokoff et al., 1999). D'autres souches de L. innocua et
L. monocytogenes produisent aussi des phages réplicatifs (Loessner et al., 1995) ou des composés
inhibiteurs de nature peptidique ou protéique (Mollerach et al., 1988 ; Kalmokoff et al., 1999).
Yokoyama et al. (1998) ont suggéré que la large incidence de potentialités inhibitrices chez L. monocytogenes et les larges spectres d'inhibition sur L. innocua pourrait avoir un impact sur les procédures d'enrichissement de L. monocytogenes. Toutefois, ils s'appuyaient sur des travaux expérimentaux en milieu solide et n'ont pas validé leurs hypothèses en reproduisant une procédure d'enrichissement.
J'ai pu mettre en évidence deux cas d'inhibition. Dans l'expérience A, L. innocua 743 a très clairement inhibé la croissance de L. monocytogenes 399 en bouillons demi Fraser et Fraser. Ce résultat
était relativement prévisible puisque L. innocua 743 produit au cours de sa phase exponentielle un
peptide de type bactériocine, auquel L. monocytogenes 399 est sensible (Kalmokoff et al., 1999).
La seconde inhibition, dans l'expérience D, entre L. innocua 60, productrice de queue de phage, et
L. monocytogenes 52 était plus inattendue. En effet, aucune interaction de ce type n'avait été notée
entre L. innocua 239 (également productrice de queue de phage) et L. monocytogenes 399. Cette
démarche devra être approfondie afin de caractériser précisément les interactions impliquant des
souches de L. innocua productrices de queue de phage.
Cette question pose un problème stratégique sur l'impact possible d'activités inhibitrices sur les
procédures d'enrichissement. En effet, la proportion de souches de L. innocua produisant un peptide
de type bactériocine est faible (3/50, d'après Kalmokoff et al., 1999), tandis que les souches de L.
innocua productrices de queues de phages sont majoritaires (31/50, d'après Kalmokoff et al., 1999).
III.3.4. EVOLUTION RELATIVE DES DEUX POPULATIONS
Les quatre expériences (A, B, C et D) présentées ci-dessus sont exploitées ci-dessous du point de
vue de l'évolution relative des deux populations. De plus, une cinquième expérience (E) a été
spécialement conçue pour prendre en compte l'impact de l'avantage sélectif d'une souche de L. innocua sur une souche de L. monocytogenes au cours d'une procédure d'enrichissement.
166
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
Matériel et méthodes
Souches
L. monocytogenes 17 était d'après III.3.2 la souche de L. monocytogenes la plus lente en bouillons
demi Fraser et Fraser après la souche Scott A. Elle a été cultivée versus L. innocua 264 (cf. Tableau
23).
Conditions de culture
L'expérience E a été similaire aux expériences A, B, C et D à quelques exceptions près. Aucune
culture pure témoin n'était réalisée, le but n'étant pas de caractériser une interaction éventuelle. Les
concentrations initiales en bouillon demi Fraser étaient plus faibles (103 ufc/ml au lieu de 106
ufc/ml) et la culture en bouillon Fraser était ensemencée avec 2,25 mL de la culture de la veille en
bouillon demi Fraser (soit une dilution au 100ème). Ce protocole (cf. Figure 40) avait pour objectif
de reconstituer l'évolution relative des deux populations dans un protocole réaliste.
Figure 40. Réalisation des cultures mixtes en bouillons demi Fraser (J1) puis Fraser (J2). Expérience E.
Résultats et discussion
Comme cela a été montré en II.2.2, la variable la plus pertinente d'un point de vue statistique pour
suivre l'évolution relative de deux populations bactériennes est la proportion de la population majoritaire. C'est pourquoi j'ai choisi comme variable d'intérêt le rapport entre densité de population de
L. innocua et densité de population totale.
Impact d'une activité inhibitrice de L. innocua
Dans les cas d'inhibitions (expériences A et D), L. innocua a très largement surpassé L. monocytogenes. Au cours des cultures mixtes en bouillon demi Fraser, la proportion de L. innocua a augmenté de 28% à 99% [expérience A] et de 45% à 99,8% [expérience D]. Au cours des cultures
167
III. Etudes de cas
mixtes en bouillon Fraser, la proportion de L. innocua a augmenté de 54% à 98% [expérience A] et
de 66% à 95% [expérience D].
Dans des conditions réelles, le phénomène serait vraisemblablement amplifié, essentiellement car le
ratio initial de la culture en bouillon Fraser serait le ratio final de la culture en bouillon demi Fraser.
D'autre part, les densités de population initiales seraient plus faibles et donc les phases de croissance plus longues.
Impact d'un avantage sélectif de L. innocua
Pour ces mêmes raisons, les expériences B et C n'étaient pas adaptées à prendre en compte l'impact
d'un éventuel avantage sélectif. C'est dans cet objectif que l'expérience E a été conçue.
Au cours de l'enrichissement primaire, le développement des deux populations a été caractérisé par
une latence puis une croissance exponentielle. Au cours de l'enrichissement secondaire, il n'y a pas
eu de phase de latence significative (résultat attendu, puisque les populations étaient encore en
phase de croissance exponentielle). De plus, les deux populations ont atteint la phase de ralentissement puis la phase stationnaire simultanément. Il est donc vraisemblable qu'elles étaient toutes deux
limitées par une même ressource (quelle qu'elle soit : un ou plusieurs substrat(s), un ou plusieurs
nutriment(s) ou l'espace), pour laquelle elles seraient en compétition. L'hypothèse est donc qu'il y
aurait croissance indépendante de chaque souche tant que la ressource n'est pas limitante puis limitation de la population totale par la ressource limitante.
Pour modéliser cette croissance conjointe, un modèle de croissance a été proposé sur les hypothèses
suivantes :
§ latence puis croissance exponentielle pour chaque souche indépendamment en bouillon demi
Fraser,
§ dilution au 100ème après 24h
§ croissance exponentielle pour chaque souche indépendamment en bouillon Fraser avec freinage
logistique sur la population totale.
[88]
Avec N i: densité de population de L. innocua (ufc/ml); Nm: densité de population de L. monocytogenes (ufc/ml); µi: taux de croissance de L. innocua (h-1); µm: taux de croissance de L. monocytogenes (h-1); Nmax: densité de population totale maximale (ufc/ml).
Il n'existe pas de résolution formelle de ce système. Toutefois, il est possible d'en chercher une
résolution numérique pour des valeurs particulières des paramètres des cinétiques. Les résolutions
numériques du système d'équations différentielles ont été effectuées à l'aide de la procédure
NDSolve du logiciel Mathematica.
168
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
N(t)
Proportion de L. innocua
Temps(h)
Temps(h)
Figure 41. Cinétiques de croissance en cultures mixtes de L. innocua 264 ( ) et L. monocytogenes 17 ( ). Expérience E.
Avec les valeurs estimées par l'ajustement d'un modèle de croissance à chaque cinétique, on obtient
un modèle théorique dont les chroniques décrivent parfaitement les cinétiques expérimentales (cf.
Figure 41). Cette bonne adéquation entre le modèle et les données permet de confirmer que la modélisation de la décélération par un freinage logistique sur la population totale est correcte et donc
que l'hypothèse d'une compétition pour une ressource est plausible.
Cela confirme donc que, dans l'hypothèse de neutralisme, les différences de fitness suffisent à expliquer de telles évolutions entre ratio initial (40% de L. innocua) et ratio final (95% à l'issue de
l'enrichissement primaire et 99,5% à l'issue de l'enrichissement secondaire). Toutefois, une évolution inverse pourrait être observée dans le cas d'un couple L. monocytogenes/L. innocua pour lequel
L. monocytogenes aurait un avantage sélectif sur L. innocua.
III.3.5. CONCLUSION
Le fait que L. innocua puisse surpasser L. monocytogenes au cours d'une procédure d'enrichissement avait été bien établi. Mais il avait été attribué en général à une différence d'aptitude de croissance entre les deux espèces dans les milieux sélectifs. De ce point de vue, les résultats présentés ici
viennent plutôt en contre-point de la littérature. En bouillon demi Fraser (jamais utilisé dans de telles expériences), il n'y a aucune différence entre les deux espèces. En bouillon Fraser, les L. monocytogenes sont certes en moyenne un peu plus lentes que les L. innocua, mais la variabilité interespèces n'est pas significative devant la variabilité intra-espèce. En revanche, l'hypothèse d'un effet
inhibiteur de L. innocua sur L. monocytogenes, rarement évoquée, semble devoir être approfondie.
Quelles qu'en soient les raisons, il a été confirmé ici qu'il est possible (mais pas systématique) que
L. innocua puisse surpasser L. monocytogenes. La proportion finale de L. innocua peut être très
supérieure à 80%. Or, avec les milieux gélosés sélectifs non différentiels (type Oxford ou Palcam),
sur lesquels seules cinq colonies sont identifiés quant à l'appartenance à l'espèce monocytogenes, il
est alors très probable de conclure faussement à l'absence de L. monocytogenes dans l'échantillon
initial.
Cet impact sur la détection de L. monocytogenes a été établi. Ainsi, Curiale & Lewus (1994) ont
conduit une étude inter-laboratoires pour apprécier la détection (après enrichissement en deux étapes) de L. monocytogenes avec du bœuf artificiellement contaminé par L. innocua et/ou L. monocytogenes . En absence de L. innocua, 14 laboratoires sur 14 ont détecté L. monocytogenes (100%
169
III. Etudes de cas
de vrais positifs), mais dans le cas d'échantillons contenant aussi L. innocua, seuls 0, 1, ou 2 laboratoires sur 14 ont retrouvé L. monocytogenes (95% de faux négatifs).
Par ailleurs, Beumer et al. (1996b) ont réalisé une vaste étude épidémiologique sur la présence de
Listeria dans des maisons. Sur 871 échantillons collectés, 132 contenaient une espèce de Listeria et
une seule mais ils n'ont trouvé aucun échantillon contenant deux (ou plusieurs) espèces de Listeria
conjointement. Des résultats similaires ont été rapportés sur des échantillons alimentaires (Petran &
Swanson, 1993). Il n'a pas pu être établi si ces résultats étaient le reflet d'une réalité épidémiologique, c'est-à-dire si les différentes espèces s'excluent in situ, ou s'ils résultent d'un artefact lié à l'enrichissement in vitro.
Ce surpassement potentiel de L. innocua a été avancé comme argument pour justifier la nécessité
des milieux gélosés sélectifs différentiels, permettant une reconnaissance de l'espèce monocytogenes au sein du genre Listeria (Beumer et al., 1997). Toutefois, si la proportion finale de L. innocua
dépasse 99% voire 99,9%, il n'est pas certain que les très rares colonies de L. monocytogenes puissent être visualisées parmi les colonies de L. innocua.
Au-delà de cette étude particulière, ce type d'approche pour l'optimisation d'une procédure de
détection est discuté dans la quatrième partie.
170
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
171
PARTIE IV
DISCUSSION
GENERALE
"La raison pour laquelle certains portraits ne ressemblent
pas à leur modèle vivant, c'est parce que les modèles ne font
aucun effort pour ressembler à leur portrait."
Salvador Dali
172
III.3. L. innocua et L. monocytogenes
173
IV.1.
APPORTS ET PERSPECTIVES SUR LE
PLAN METHODOLOGIQUE
Au cours de la troisième partie, j'ai pu mettre en pratique les concepts et méthodologies développés de
manière relativement théorique dans les deux premières parties. Cette quatrième partie est d'abord l'occasion de faire le bilan des principaux atouts et limites de cette approche méthodologique.
IV.1.1.
METHODOLOGIE EXPERIMENTALE
Concernant le suivi de la croissance bactérienne, les principales innovations techniques proposées
dans la deuxième partie étaient d'une part l'utilisation de la turbidimétrie pour l'étude de l'avantage
sélectif et d'autre part une planification rigoureuse de comparaison entre cultures pures et cultures
mixtes pour l'étude des interactions.
Aptitudes de croissance en cultures pures
L'évaluation des aptitudes de croissance en culture pure dans des systèmes automatisés de suivi de
la turbidimétrie se heurte à quelques contraintes.
§ Les conditions de culture (petits volumes, problèmes d'aération) sont éloignées des conditions
usuelles. Ce problème est encore accentué avec des systèmes de cultures en microplaques, qui
n'ont pas été utilisés dans ce projet.
§ La turbidimétrie impose des milieux de culture limpides, ne se colorant pas sous l'action du
développement bactérien. Le choix de supprimer l'esculine des bouillons demi Fraser et Fraser
dans la troisième étude de cas n'était pas anodin. En effet, la présence d'esculine dans les milieux de culture pourrait favoriser l'absorption de fer par Listeria (Coulanges et al., 1998).
§ La turbidimétrie impose des densités de biomasses initiales relativement élevées, il est donc
impossible de suivre l'intégralité de cinétiques à partir de faibles voire très faibles inoculums (cf.
Baty, 2000).
§ La variabilité inter-blocs (due à des artefacts techniques) est importante, en tout cas non négligeable devant les différences qui pourraient être mises en évidence (cf. Baty, 2000).
Toutefois, les résultats fournis par cette approche ont apporté des éléments très pertinents dans les
deux dernières études de cas. Le principal atout est de pouvoir, grâce à l'automatisation, tester en
parallèle un nombre important de souches. Cette approche est donc beaucoup moins lourde que la
réalisation de cultures mixtes (cf. ci-dessous).
Suivi de cultures mixtes
Les techniques automatisées de suivi de la croissance bactérienne permettent en effet d'alléger
considérablement le travail expérimental de suivi de cinétiques bactériennes. Or, comme cela a été
démontré dans la première partie, elles ne peuvent être appliquées au cas des cultures mixtes. Le
recours à un dénombrement sur boîtes de Petri est alors presque systématique, ce qui réduit le nom174
IV.1. Apports et perspectives sur le plan méthodologique
bre de cultures envisageables et le nombre de points expérimentaux réalisables par culture, pour des
raisons de coût, de temps et de faisabilité.
Pour le suivi sur boîtes de Petri, deux solutions principales sont envisageables : d'une part l'utilisation d'un milieu différentiel, sur lequel les deux populations peuvent être dénombrées distinctement,
d'autre part l'association d'un milieu sélectif, permettant le dénombrement d'une population particulière, et d'un milieu non sélectif pour le dénombrement total des deux populations. L'étude par
Monte Carlo de la deuxième partie fournit des informations quant au choix entre ces deux méthodes. Ainsi, si le ratio entre les deux populations reste proche de 1:1 au cours de la culture (ou au
moins n'atteint jamais 10:1 ou 1:10), le dénombrement différentiel permet d'atteindre la meilleure
précision. De plus, il permet en pratique de diviser par deux le nombre de géloses. En revanche, s'il
y a une population très minoritaire pendant tout ou partie de la culture et qu'il existe un milieu
sélectif permettant de dénombrer spécifiquement cette population, la deuxième solution doit être
retenue. Elle offre en effet l'intérêt de pouvoir compter les deux populations à deux dilutions différentes. Toutefois, le choix entre les deux méthodes n'est pas toujours possible, surtout dans le cas
de souches proches. Il peut même advenir qu'aucune de ces deux solutions ne soit adaptée à un couple de souches particulier, c'est-à-dire qu'il n'existe ni milieu différentiel ni milieu sélectif. Dans ce
cas, la mise au point d'une méthode alternative doit être envisagée.
Réalisation de cultures pures et mixtes en parallèle
L'approche des interactions que j'ai proposée repose essentiellement sur un protocole rigoureux de
réalisation en parallèle de cultures pure et mixte. Ceci multiplie par trois les contraintes en temps et
en coût puisque deux cultures pures doivent être menées en plus de chaque culture mixte. Cette
complexification pourrait sembler superflue. Elle l'est effectivement dans le cas d'inhibition très
marquée, comme ce fut le cas dans l'expérience A de la troisième étude de cas, (cf. Figure 36, A3 et
A4). Mais pour la plupart des interactions, les cultures témoins se sont avérées nécessaires.
IV.1.2.
METHODOLOGIE DE MODELISATION
Concernant les interactions, l’approche détaillée ici permet de déterminer pour une culture donnée
s’il y a eu ou non effet significatif d’une population sur l’autre. Ainsi il est possible de caractériser a
posteriori une interaction d’un point de vue phénoménologique. De plus, elle permet d’identifier si
l’hypothèse la plus simple (compétition pour une ressource limitante et donc freinage logistique sur
la population totale) suffit à expliquer les effets observés ou si le recours à une autre explication
(interaction de type interférence en particulier) est nécessaire. C’est une première approche de caractérisation mécaniste, toujours a posteriori . Mais aucun modèle permettant de décrire les interactions (ni a fortiori de les prédire) n’a été proposé.
Concernant l’avantage sélectif et son impact sur un surpassement, il est envisageable d’utiliser
l’approche développée ici en prédiction, à condition que les hypothèses de neutralisme ou de compétition pour une ressource limitante (modélisée par un freinage logistique sur la population totale)
soient acceptables.
175
IV. Discussion
Une approche alternative, non envisagée jusqu’à présent dans ce cadre, serait la modélisation stochastique. Elle a pour objectif de tenir compte des mécanismes précis au niveau individuel (échelle
microscopique). Elle s’oppose à l’approche déterministe tenant compte des populations (échelle
macroscopique), à laquelle la plupart des modèles présentés ici peuvent se rattacher. Ce type de
modèle permettrait de prendre en compte une variabilité inter-individuelle et de décrire les interactions à l’échelle individuelle (Pavé, 1994). Toutefois, cette approche semble difficile à mettre en
œuvre, en particulier pour des interactions complexes (Pavé, 1994).
IV.1.3.
DE LA CULTURE EN BATCH A L’ECOLOGIE
Le modèle expérimental essentiellement (voire exclusivement) détaillé ici a été le batch : procédé
discontinu de culture en milieu liquide. Comme cela a été introduit dans la première partie, il semblait en effet que le retard méthodologique concernant les cultures mixtes était plus marqué pour ce
modèle expérimental là que pour les deux autres : le chémostat (procédé continu de culture en milieu liquide) et la culture sur milieu solide.
Le batch est un procédé très couramment utilisé au laboratoire et il était apparu nécessaire de
développer une approche adaptée à ce procédé particulier. Ainsi, la procédure d’enrichissement de
Listeria monocytogenes, qui est en elle-même une culture en batch, a pu être reconstitué quasiment
à l’identique. Mais un procédé expérimental quel qu’il soit ne peut à lui seul constituer un modèle
réaliste de toutes les situations biologiques. Le batch doit être privilégié pour approcher les
phénomènes biologiques/écologiques de colonisation d’un milieu/territoire "riche" (pas de limitation initiale par le substrat) et "neuf" (préalablement stérile). C'est donc un modèle particulièrement
adapté à la microbiologie alimentaire mais moins à des études de physiologie bactérienne ou de
bactériologie médicale. Le choix du batch dans certaines études de cas était donc discutable.
176
IV.1. Apports et perspectives sur le plan méthodologique
177
IV.2.
APPORTS ET PERSPECTIVES SUR LE
PLAN BIOLOGIQUE
Les trois études de cas présentées dans la troisième partie ont illustré différents champs d'application de
la dynamique des populations bactériennes en culture mixte. Les principaux résultats biologiques et les
perspectives dans ce domaine sont discutés ici.
IV.2.1.
PHYSIOLOGIE DE LA CROISSANCE
La première étude de cas a permis d'utiliser des outils biométriques de modélisation pour étudier la
croissance d'un point de vue physiologique. L'utilisation d'un milieu minimum défini a permis quelques simplifications théoriques. Un des avantages principaux est qu'il n'y a théoriquement qu'une
décélération, due à l'épuisement du substrat limitant, qui était dans ce cas-là le glucose. Il s'est en
effet avéré que la décélération était caractérisée par une brutale diminution du taux de croissance
instantané. Pour les mêmes raisons, l'hypothèse de l'existence d'une phase de croissance exponentielle, qui n'est qu'une approximation dans la plupart des milieux de culture complexes, est théoriquement valable en milieu minimum défini. Cela a effectivement été observé dans le cas de E. coli
K12. En revanche, E. coli O157:H7 ne suivait pas ce modèle prototype. Cela a été démontré par une
approche inférentielle (test de Fisher) à partir des résultats par dénombrement et par une approche
dynamique (calcul d'un taux de croissance instantané) à partir des résultats turbidimétriques. Ainsi,
des outils ont été développés pour la modélisation de croissances non exponentielles. L'approche
dynamique a été rendu possible par l'utilisation d'un système sensible et précis de suivi automatisé
de la croissance. De telles croissances non exponentielles pourraient être observées avec d'autres
espèces, grâce à ces outils de suivi et de modélisation.
Une autre nécessité dans ce domaine est d'améliorer les techniques de prise en compte du temps de
latence, et ce tout particulièrement, dans le cas de faibles inoculums. Une réflexion sur ce sujet a été
amorcée mais nécessiterait de nombreuses investigations complémentaires : compréhension physiologique des mécanismes impliqués, mise en relation de ces données physiologiques avec un
modèle adapté décrivant les premières phases de la croissance, approche stochastique dans le cas
des faibles inoculums, effet de l'histoire de la souche (notamment des stress subis) sur le paramètre
lag, etc.
IV.2.2.
VARIABILITE DYNAMIQUE
Puisque l’un des enjeux de mon projet était d’évaluer l’impact d’éventuelles différences d’aptitudes
de croissance entre souches proches, j’ai été amenée à étudier la variabilité dynamique intraspécifique.
Dans la deuxième étude de cas, différents phénotypes de l’espèce S. aureus ont été étudiés. A partir
de l’échantillonnage de souches obtenu, une étroite relation entre profils d’antibio-résistance, profils
en champs pulsés (pulsotypes) et aptitudes de croissance a été démontrée au sein des souches clini178
IV.2. Apports et perspectives sur le plan biologique
ques françaises de S. aureus résistant à la méticilline (MRSA). Il s’agissait de la première description d’un lien entre épidémiologie moléculaire et propriétés physiologiques pour de telles souches.
Cet exemple ouvre des perspectives intéressantes quant à la mise en relation de variabilité génotypique et variabilité dynamique.
Dans la troisième étude de cas, deux espèces différentes du genre Listeria étaient comparées. Si la
variabilité inter-spécifique était le sujet d’intérêt, les expériences menées ont particulièrement mis
en évidence une variabilité intra-spécifique importante, avec présence de souches extravagantes.
Ainsi, L. monocytogenes Scott A avait une croissance relativement lente dans les milieux les moins
sélectifs mais sans se démarquer particulièrement de l’ensemble de l’espèce. En revanche, en milieux très sélectifs (bouillons demi Fraser et Fraser), son temps de génération était nettement le plus
long. Des caractéristiques similaires dans des conditions différentes ont déjà été observées (Barbosa
et al., 1994; MacDonald and Sutherland, 1994; Begot et al., 1997). Au sein du genre L. innocua, les
deux souches les plus lentes, quelles que soit le milieu, étaient les deux productrices de bactériocine : L. innocua 743 et L. innocua 755. Ceci peut être rapproché du problème du coût sélectif de la
production de bactériocine et de l'allélopathie (cf. p. 55).
Au-delà de cette étude des cultures mixtes, la prise en compte de la variabilité dynamique au sein
d'une espèce pathogène est essentielle en microbiologie prévisionnelle et a fortiori pour une utilisation en évaluation quantitative des risques. Il pourrait également être envisagé de compléter cette
caractérisation dynamique par une caractérisation écologique (origine des souches) et génotypique
(réalisation de sérotypes, ribotypes, pulsotypes…).
IV.2.3.
DETECTION PAR ENRICHISSEMENT SELECTIF
La troisième étude de cas a permis de montrer que le surpassement de L. monocytogenes par L. innocua pouvait être dû à deux phénomènes : d'une part une croissance plus rapide de L. innocua,
d'autre part un effet inhibiteur de L. innocua contre L. monocytogenes. L'impact de chacun de ces
phénomènes sur l'évolution relative des deux populations a été modélisé par des techniques proches
de celles de la microbiologie prévisionnelle. D'autre part, il a été établi que chacun de ces
phénomènes était susceptible de se produire, mais pas systématique. Il serait intéressant de poursuivre ce travail en cherchant à quantifier en termes de probabilités l'occurrence de ces phénomènes.
Cela impliquerait d'une part de mener une expérience sur l'avantage sélectif avec un nombre de
souches beaucoup plus élevé et d'autre part de quantifier la prévalence de souches de L. innocua
ayant un effet inhibiteur contre L. monocytogenes dans les conditions d'enrichissement. Ces données pourraient être appliquées à quantifier la probabilité d'un surpassement par L. innocua et donc
de ne pas détecter L. monocytogenes. Comme Alvseike & Skjerve (2000) l'ont proposé, la probabilité de détection pourrait constituer un nouveau critère quantitatif, en plus de la spécificité et de la
sensibilité, pour juger des procédures qualitatives de détection de pathogène.
Je propose donc d'étendre les méthodes de la microbiologie prévisionnelle, voire de l'analyse quantitative du risque microbiologique, à un domaine annexe : l'évaluation des méthodes de détection.
179
IV.3.
CONCLUSION
La culture pure s'est imposée à la fin du XIXème siècle comme le principe technique fondamental
de la microbiologie. Ce principe simplificateur a certes permis de nombreuses avancées mais il
pourrait avoir freiné la prise en compte de la variabilité microbienne et des interactions au sein de
flores complexes.
Dans le domaine de la modélisation de la croissance bactérienne, la plupart des travaux réalisés en
batch reposent sur l'hypothèse d'une population bactérienne homogène. Le développement de modèles adaptés aux cultures mixtes en batch est très récent. Mon étude se plaçait dans cet objectif
méthodologique et conceptuel. Comme dans la plupart des travaux actuels, des mélanges de deux
populations (et jamais plus) ont été étudiés, ce qui constitue une autre simplification épistémologique.
Sur la base de cultures pures, il est possible de comparer deux populations entre elles afin de déterminer laquelle serait la plus adaptée à des conditions données et donc laquelle aurait a priori un
avantage sélectif dans ces conditions. J'ai montré que les systèmes de suivi automatisé de la croissance permettaient d'obtenir une précision suffisante sur le temps de génération pour mettre en évidence des différences d'aptitudes de croissance au sein de l'espèce S. aureus et au sein du genre
Listeria.
Sur la base de cultures mixtes, il est possible de valider cette hypothèse d'avantage sélectif en suivant l'évolution relative de deux populations. J'ai mis en évidence que la variable la plus adaptée à
ce suivi serait la proportion de la population majoritaire. J'ai montré que l'avantage sélectif de certains clones de S. aureus sensibles à la gentamicine pourrait expliquer qu'ils surpassent les clones de
S. aureus résistants à la gentamicine, ce qui par suite constitue un élément de réponse à une évolution épidémiologique récente. De même, l'avantage sélectif de certaines souches de L. innocua en
bouillon sélectif pourrait expliquer qu'elles surpassent L. monocytogenes résistants à la gentamicine
au cours de procédés d'enrichissement, ce qui pourrait expliquer certains problèmes de détection de
L. monocytogenes.
L'extrapolation entre culture pure et culture mixte n'est possible que sous l'hypothèse forte que chaque population n'est pas influencée par la croissance de l'autre, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'interaction. La notion d'interaction correspond en effet à une modification du comportement (ici de la
croissance) d'une population du fait de l'autre population présente dans le mélange. J'ai donc proposé une méthodologie de caractérisation phénoménologique des interactions qui repose sur la
comparaison de la cinétique d'une souche en culture pure à la cinétique de cette même souche en
culture mixte. Cette méthodologie consiste en une planification expérimentale permettant de réaliser les cultures dans ses conditions aussi proches que possible et une méthode statistique de comparaison des courbes. J'ai ainsi pu mettre en évidence une interaction de type commensalisme entre E.
coli K12 et E. coli O157:H7 et caractériser l'inhibition de L. monocytogenes par différents phénotypes de L. innocua.
Dans les cas d'interactions les plus simples, de type compétition pour une ressource limitante, j'ai
proposé un modèle de dynamique conjointe permettant de prédire l'issue d'une culture mixte à partir
des cultures pures des deux populations. Toutefois, de nombreux développements complémentaires
180
IV.2. Apports et perspectives sur le plan biologique
sont nécessaires avant de pouvoir, dans des cas plus complexes, modéliser et a fortiori prédire la
croissance de deux populations de cultures mixtes.
181
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
182
183
A
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L'AUTEUR
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FLANDROIS J.P. (2000). Fitness and competitive growth advantage of new gentamicin-susceptible
MRSA clones spreading in French hospitals. Journal of Antimicrobial Chemotherapy. Sous presse.
CORNU M., KALMOKOFF M., FLANDROIS J.P. (2000). Modelling the competitive growth of
Listeria monocytogenes and Listeria innocua in enrichment broths. International Journal of Food
Microbiology. Sous presse.
Communications orales internationales
CORNU M., FLANDROIS J.P. (2000). Modeling the competitive growth of Listeria monocytogenes and Listeria innocua in enrichment broths. Third International Conference on Predictive Modelling in Foods. Leuven, Belgique.
Communications orales nationales
CORNU M., VERGU E., CHARLES-BAJARD S., FLANDROIS J.P. (1999). Régression nonlinéaire et cinétiques. XIXème séminaire de la Société Française de Biologie Théorique. SaintFlour.
LAURENT F., LELIEVRE H., CORNU M., VANDENESH F., CARRET G., ETIENNE J.,
FLANDROIS J.P. (2000). Fitness et avantage de croissance des nouveaux clones de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline. AUSSOIS 2000 - Biodiversité et Ecologie Microbienne (Société
Française de Microbiologie).
Communications affichées internationales
CORNU M., DELIGNETTE-MULLER M.L., FLANDROIS J.P. (1999). Unexpected growth physiology of Escherichia coli O157:H7 in minimal synthetic medium. Seventeenth International
Conference of the International Commitee on Food Microbiology and Hygiene. Food Micro 99,
Veldhoven, Pays-Bas.
LAURENT F., LELIEVRE H., CORNU M., VANDENESH F., CARRET G., ETIENNE J.,
FLANDROIS J.P. (2000). Spread in French hospitals of methicillin resistant Staphylococcus aureus
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Society for Microbiology General Meeting. Los Angeles, USA.
Logiciels
FLANDROIS J.P., CARRET G., LOBRY J., ROSSO L., GUERILLOT F., DELIGNETTEMULLER M.L., ZUBER E., CHARLES-BAJARD S., BREAND S., CORNU M. Superfit : Programme Mathematica d'ajustement d'un modèle non linéaire à un jeu de données expérimentales.
http://biomserv.univ-lyon1.fr/proMath/superfit.html. Cf. Annexe 1.
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ANNEXES
ANNEXE 1 : Contenu du site web Superfit. Superfit : Programme Mathematica d'ajustement
d'un modèle non linéaire à un jeu de données expérimentales. http://biomserv.univlyon1.fr/proMath/superfit.html.
ANNEXE 2 : Etude préliminaire par Monte Carlo des propriétés statistiques d'estimateurs de
différentes variables (de type rapport) pour le suivi relatif de deux populations bactériennes
en cultures mixtes.
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