La politique de dividende de France Télécom

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La politique de dividende de France Télécom
Peut-on faire confiance aux actionnaires-salariés pour fixer le dividende ? Le cas de Fr... Page 1 of 3
Publié sur Le Cercle Les Echos (http://lecercle.lesechos.fr)
Peut-on faire confiance aux actionnaires
-salariés pour fixer le dividende ? Le
cas de France Telecom
Le versement de dividendes aux actionnaires fait
débat, aussi bien dans la littérature académique que
dans le monde politique. Le cas récent de la politique
de dividende de France Télécom, une entreprise où
l’actionnariat salarié est fort, est emblématique de
cette problématique.
L’actionnariat salarié est en France - depuis notamment les ordonnances du Général
de Gaulle sur la participation en 1967 - souvent présenté comme la solution idéale
pour associer capital et travail à la réussite des entreprises et réduire la fracture entre
les intérêts divergents de ces deux parties. Il existe sur ce sujet une littérature
académique abondante et partagée sur les bienfaits de l’actionnariat des salariés.
Pour certains, ce serait un levier essentiel de motivation et de mobilisation des salariés
au profit de la performance de l’entreprise, pour d’autres, la double casquette
d’actionnaire et de salariés serait au pire incompatible, voire dangereuse pour les
salariés eux-mêmes du fait de la non diversification de leur capital humain et financier.
Certaines théories récentes sur la gouvernance des entreprises pointent également
l’impact négatif de l’actionnariat salarié sur l’enracinement des dirigeants. S’il est
fréquent de constater un activisme des salariés-actionnaires lors d’opération de prises
de contrôle (OPA) ou d’investissements de délocalisation au nom de la défense de
l’emploi, cela est plus rare en matière de politique de dividende. Le cas récent de
France Télécom constitue une première dans l’immixtion des salariés dans le domaine
de la fixation du niveau du dividende à verser aux actionnaires.
Ainsi, le fonds d'épargne des salariés de France Télécom, qui détient 4,6 % du capital
de l'entreprise, va proposer lors de la prochaine assemblée générale des actionnaires,
le 5 juin 2012, de réduire le dividende versé par l'opérateur au titre de l'exercice 2011.
Alors que la direction de France Télécom prévoit de verser 1,40 euro par action, les
actionnaires salariés estiment que le montant devrait être ramené à 1 euro par action.
Rappelons que l’Etat détient directement et indirectement 27 % du capital de
l’opérateur et que 68,4 % est dans les mains d’actionnaires ordinaires.
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29/04/2012
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Le débat sur le montant du coupon à verser se concentre sur l’utilisation du cash flow
de l’entreprise : "Bientôt nous aurons un nouveau gouvernement, il devra décider si
France Télécom doit continuer à être une vache à lait ou alors une entreprise
florissante qui investit", indique le délégué syndical CFE-CGC/Unsa, qui,
conjointement avec les autres représentants des employés, est à l'origine de cette
initiative qui se place résolument dans la défense de l’entreprise. De son côté, le PDG
de France Télécom s’était engagé auprès des investisseurs à maintenir le dividende
jusqu’en 2012. Il a prévenu fin février que, compte tenu des incertitudes économiques,
le groupe le diminuerait l’an prochain mais qu’il resterait de 1,40 euro cette année.
Avec un coupon de 1,40 euro et un cours de 10,4 euros (27 avril 2012), le rendement
de l’action France Télécom ressort à 13,5 %, un record quand on sait que le taux de
l’OAT est de 3 %. Un rendement très attractif, pour autant que le titre conserve sa
valeur ! Ce coupon correspond également à un taux de distribution record du résultat
net de 95 %.
Réduire de 40 centimes le dividende permettrait à France Télécom de réduire de 1
milliard d’euros le montant à verser à ses actionnaires et d’investir cette somme dans
de nouveaux projets. La proposition des actionnaires salariés revient clairement à
privilégier l’entreprise et ses capacités d’investissement. Mais est-ce aussi simple ?
Si l’on prend le point de vue de l’actionnaire ordinaire et fidèle (la veuve de
Carpentras) que constate-t-on ? Sur les trois dernières années, alors que le CAC 40
est revenu à son niveau (+ 4%), France Télécom a perdu 37 %. Pour beaucoup de
petits actionnaires, le dividende de 1,40 euro constitue un lot de consolation et une
poire pour la soif. Sans ce coupon il est vraisemblable que beaucoup auraient déjà
vendu. Certes, on pourra objecter que ceci serait une décision à court terme et une
vision de rentier. Mais peut-on demander aux petits actionnaires de se projeter dans le
futur et de croire que le titre est décoté de plus de 100 % car sa juste valeur serait de
21 euros (selon Morningstar) ?
Alors, faut-il baisser le dividende comme le propose les représentants des actionnaires
salariés ? Malheureusement, les très nombreux travaux théoriques consacrés à la
politique de dividende des entreprises ne permettent pas de nous aider à trancher.
Selon la théorie classique (Modigliani et Miller) il est illusoire de croire à un impact
positif du dividende sur la valeur de l’action. Selon la théorie du signal, il faut faire
attention au contenu informatif des dividendes et leur évolution qui renseigne sur le
futur. Si on considère la fiscalité certains auteurs suggèrent même de limiter au
maximum le versement de dividendes. En effet, pourquoi verser des milliards aux
actionnaires fortement imposés si c’est pour leur demander de participer ensuite à des
augmentations de capital ? Autant laisser l’argent dans l’entreprise.
C’est ce que font de nombreuses entreprises de haute technologie aux Etats-Unis.
Effectivement, si France Télécom a des projets d’investissement rentables, pourquoi
ne pas profiter d’une réduction du coupon pour les réaliser ? Après tout c’est en
investissant que l’entreprise peut se développer et créer et/ou maintenir l’emploi.
Encore faut-il que les projets soient créateurs de valeur pour l’actionnaire et que
l’argent investi le soit à bon escient. Oui, toute la question est là : dans quelle mesure
les dirigeants de France Télécom ont-ils encore des projets rentables ?
Une chose est sûre : ce n’est pas uniquement avec un dividende généreux qu’ils
satisferont longtemps leurs actionnaires. Une politique de dividende ne peut se
substituer à une politique industrielle défaillante à long terme. Finalement, la question
posée par les actionnaires salariés est pertinente car elle interpelle leurs dirigeants sur
les projets d’avenir de leur entreprise et c’est bien là le fond du problème.
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Michel Albouy
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