L`arbre maudit Année - blandy et son histoire
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L`arbre maudit Année - blandy et son histoire
LES LEGENDES DU DIABLE L’ARBRE MAUDIT Dans les plaines verdoyantes de la Brie, s'élève la ruine imposante du vieux manoir de Blandy. Ses vieilles tours couronnées autrefois de mâchicoulis et de créneaux menaçants, limées par le temps, rongées par la vétusté, ne donnent plus qu'une faible idée de son antique splendeur. Cet immense géant de pierre qui allonge sa tête altière au-dessus de l'horizon, est aujourd'hui l'humble demeure d'un paisible métayer, et dans ses salles gothiques où résonnaient jadis le bruit des armes, les cris des vassaux et le gai refrain des pages, mugissent des troupeaux inoffensifs qui s abreuvent dans des auges chargées de sculptures. Ces sombres ruines, disloquées parla main du temps ou le vent gémit des complaintes lugubres, sont peuplées de sinistres traditions, et plus d'une fois les habitants du vieux castel ont raconté des apparitions nocturnes aux vieilles du village. Tous les ans, au coup de minuit, le jour de la Toussaint, des fantômes blancs traversent les airs, dansent une ronde fantastique au-dessus des fosses ou croassent les grenouilles, parcourent ensuite les corridors sombres, puis montent en poussant des cris lamentables le vieil escalier de la tour ronde, et disparaissent dans un nuage noir. Que de fois ses hôtes paisibles n'ont-ils pas été effrayés en entendant le grincement des chaînes, et des voix gémissantes s'élever d'un vieux souterrain qu'aucune personne vivante n'a jamais osé visiter. Mais, la plus célèbre de toutes ces apparitions et qui fut longtemps racontée de père en fils, est celle du comte Dunois. « Tous les ans, dit la tradition, le jour des Rois, il vient vers minuit se poster devant la porte d'entrée du vieux manoir, armé en guerre, entouré de ses chevaliers suivis de leurs écuyers; on entendait même, ajoute la chronique, le son des clairons, le bruit des armes sur la dalle sonore, et les clameurs de la mêlée. » Mais arrivons à notre légende. Dans la forêt voisine du château, se trouve un chêne millénaire énorme, dont le tronc noirci par la foudre apparaît toujours comme un globe de feu au milieu des orages ; la tradition l'a désigné sous le nom de l'arbre maudit. C'était, disait-on, pendant qu'il se reposait des fatigues de la chasse au pied de ce chêne, qu'un des barons de Blandy avait été occis par son frère; depuis cet horrible fratricide, l'âme du défunt hantait ce lieu désert, errait en poussant des gémissements, et le soir, quand l'horizon devenait sombre, les bergers du hameau voisin affirmaient sur leur salut qu'on entendait distinctement les gémissements du baron trépassé. Or, voici ce que dit la légende : Charles VII étant mort, la politique sombre et sanglante de son successeur irrita tous les princes, qui se révoltèrent et formèrent la ligue du bien public dont le comte Dunois, le beau Dunois, l'heureux époux de Marie d'Harcourt et châtelain de Blandy, fut un des chefs principaux. Le roi, en rentrant dans sa capitale, dissipa la ligue ; pour échapper aux prisons du châtelet, le comte Dunois fut forcé de se réfugier dans les Etats du duc de Bourgogne. Il laissa la garde de son manoir à Gavi. Âme basse et hypocrite, cupide et ambitieux, cet intendant infidèle préleva sur les pauvres vassaux des cens et des redevances exorbitantes. Tous les pauvres serfs taillables et corvéables à merci furent pressurés et épuisés jusqu'au sang. Gavi fut haï par tous, et regardé par les enfants comme un affreux objet d'épouvante. Si quelque malheureux osait élever la voix, se plaindre, ou faire entendre seulement un soupir aussitôt il allait augmenter le nombre des poires de Gavi qui pendaient aux gibets qu'on voyait non loin du château. Plus Dunois s'appauvrissait, plus l'insatiable intendant enflait ses trésors et augmentait les redevances. Car plus on a, plus on veut avoir. Abusant du pouvoir du châtelain, il pratiquait l'usure. De moeurs farouches et dures, on l'accusait de judaïsme, et quand un enfant disparaissait du village, enlevé, ou par des bohémiens, ou par un accident, on l'accusait aussitôt de l'enlèvement pour des pratiques diaboliques. Une sombre terreur pesait sur les chaumières de la contrée. D'humeur sombre et sauvage, son unique société était un énorme dogue, dont le collier en fer était hérissé de pointes aiguës; il faisait sa promenade habituelle des endroits les plus déserts de la forêt, où l'on disait qu'il avait des rendez-vous avec le diable. Il s'asseyait des heures entières au pied de l'arbre maudit. Dans sa guerre avec le duc de Bourgogne, Louis XI s'empara du château de Blandy, comme suspect d'avoir des intelligences avec son ennemi. Gavi, terrifié et tremblant pour le riche trésor qu'il s'était amassé par la rapine et l'usure, quitta furtivement le vieux castel par une porte dérobée, et, dès lors, plus ne revint. Quand le comte Dunois, rentré en grâce auprès du roi, revint en son domaine, il entra dans une grande colère en ne retrouvant pas son intendant. Avec Gavi avaient disparu maints joyaux de grand prix. Plusieurs années s'écoulèrent. Le vieux chêne conservait toujours sa mauvaise réputation, elle était même accrue, car un bûcheron avait juré par sa part de paradis que, les trois jours qui suivirent la fuite de Gavi, une voix lamentable était sortie de l'arbre maudit, et que tous les soirs, ce vieux vétéran de la forêt reflétait une lumière phosphorique dont les rayons bizarres et blanchâtres dessinaient des formes humaines. Dunois, fatigué de tous ces contes, voulut en avoir raison. Il décida, dans sa sagesse, que l'arbre maudit serait détruit. Mais, pour trouver un bûcheron assez hardi pour enfoncer sa cognée dans ce chêne qu'on disait la maison du diable, il fallut prières, menaces, et même promettre une récompense. Enfin, un vieil arbalétrier, plein de courage et entreprenant, se présenta pour accomplir la terrible besogne. Après s'être muni de tous les sacrements de l'Église, il partit suivi de quelques cadets soutenus par son audace. Déjà quelques débris avaient sauté du tronc, qui, à chaque coup, rendait un bruit sourd; déjà la hache mordait à belles dents dans la racine noueuse du vieux chêne: déjà même, elle avait rencontré une faible excavation qui descendait du sommet à la base, quand, soudain, des ossements humains s'échappent du Tronc. Ô terreur! Un squelette entier est debout dans le sein de l'arbre. A cette vue, l'arbalétrier laissa tomber sa hache, et les valets épouvantés fuient de tous côté sen poussant des Cris. Au bout de quelques instants, remis de sa première frayeur, le vieil arbalétrier reprend sa hache et frappe en redoublant d'ardeur. Après quelques efforts, il dégage, avec le squelette, un coffre en bois de cèdre orné de l'écusson du comte Dunois. Son poids énorme le fit songer qu'elle contenait des objets précieux, il court aussitôt la remettre à son maître, qui la reconnaît comme sienne. Elle était remplie de sous d'or et de joyaux précieux que l'infâme Gavi lui avait volés. Alors tous les récits lugubres qui entouraient l'arbre maudit s'expliquèrent. Les gémissements entendus étaient ceux de l'infidèle Gavi : cherchant un refuge dans le vieux tronc contre la fureur des soldais de Louis XI, il s'y était blotti, et le poids de son corps avait affaissé l'espèce de poussière, qui cachait la cavité du chêne, de sorte qu'il s'était englouti vivant et que tous ses efforts réunis n'avaient pu parvenir à l'arracher au châtiment que la Providence réservait à ses crimes. Amédée de Ponthieu Année : 1860