L`ex-macho qui doit tout aux femmes

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L`ex-macho qui doit tout aux femmes
JEUDI 3 MAI 2012 LE NOUVELLISTE
MAGAZINE 19
dc - bm
BERNARD CRETTAZ Le sociologue est l’invité des «Pieds dans le plat» ce soir sur Rhône FM, à suivre en direct dès 18 h 15.
L’ex-macho qui doit
tout aux femmes
CHRISTINE SAVIOZ
Il arrive, sourire aux lèvres,
avec un petit air de professeur
Tournesol. Bernard Crettaz a un
côté irrésistible. Peut-être par sa
rondeur rassurante et chaleureuse. Par sa douceur aussi, qui
irradie son visage. Même s’il est
capable de grandes colères
comme lorsqu’il a perdu ses
nerfs face à Franz Weber lors du
journal télévisé, un jour après la
votation sur les résidences secondaires. «Cela a pris une ampleur incroyable pour quelques minutes de direct! Aujourd’hui, je
dois même commencer mes cafés
mortels en parlant de cela aux
gens présents, c’est dire», racontet-il.
L’homme s’inquiète aussi. Difficile d’être mal-aimé. «Croyezvous que cela va durer longtemps
ou que cet épisode va être oublié
riant. Pourtant, ce sont les femmes également qui l’ont éloigné
de sa vocation première: le sacerdoce. «Depuis tout petit, je
voulais devenir curé. J’ai fait le
séminaire à Sion pendant
trois ans, mais je suis parti à
cause du célibat. A cause
des femmes. Au fond,
ce n’est pas mon
choix.» Le jeune
Bernard a quitté
la voie sacerdotale, en dépit de
l’immense blessure causée à sa
famille – «A
l’époque, quand
on n’arrivait pas
au bout, on était un
raté» - et de sa propre blessure - «J’ai
eu le sentiment profond que Dieu
m’abandonnait.» L’un
des moments
où la religion catholique régnait
en maître absolu, où le parti de
droite faisait l’unanimité, où l’ordre et l’obéissance étaient de rigueur et où les femmes devaient
rester au foyer. «Heureusement,
il y avait quelques rebelles, des
mauvais sujets contestataires
qui étaient toujours en rupture et avaient un sens
inouï de la farce. Cette liberté du rire, de la force,
du désordre, cette liberté d’être soi, c’était grandiose!», se souvient-il.
Bernard Crettaz a conservé cette envie de
transgression. «Je ne suis
pas dans la norme. Ce n’est
ni une vanité, ni une douleur, c’est comme ça.»
L’homme séduit. Il sera
surpris de le lire. Car Bernard Crettaz est persuadé
qu’aucun mâle n’intéresse
Je ne suis pas dans la norme.
«
Ce n’est ni une vanité, ni une
bientôt?», demande-t-il soudain.
On sent le montagnard touché,
blessé, un brin incompris. On le
rassure. Le personnage Crettaz
est bien trop attachant pour que
les Romands lui tournent le dos.
Et puis, l’homme a ainsi prouvé
qu’il se bat pour ses idées comme
un taureau de la race d’Hérens.
Pas mal pour un Anniviard.
Pur produit anniviard
Car Bernard Crettaz revendique ses origines. «Je suis un pur
produit d’Anniviers», souligne-t-il
d’emblée. Un détail qui n’en est
pas un. Il explique la personnalité de cet homme montagnard,
quinepeutpourtantpassepasser
de la ville. Bernard Crettaz a passé son enfance dans une vallée
les femmes, une fois la barrière
des 70 ans franchie. Inutile de
lui dire le contraire, il répliquerait tout de suite: «Mais vous,
vous aimez les vieux!» Faux,
Monsieur le sociologue.
La gent féminine est
aussi attirée par les personnalités authentiques, sincères, qui sortent de l’ordinaire et peu
importent les années au
compteur. Promis.
les
plus
durs de
son existence.
Aujourd’hui, il
est marié, pour la
troisième fois. Sa première union s’est terminée
après six ans de vie commune;
son deuxième mariage a duré
vingt-sept ans. Il s’est achevé en
raison de la mort de son épouse
Femmes, je vous aime
Oui, l’homme plaît encore.
De quoi ravir ce Valaisan qui
affirme tout devoir aux femmes. «Ce sont elles qui ont fait
du produit machiste que j’étais
un produit potable», lance-t-il en
«Ma colère contre Weber me vaut des réactions violentes»
Quelle est votre pire casserole?
Les farces que j’ai faites. L’une des pires est
d’avoir fait passer dans «Le Nouvelliste» il y a très
longtemps une information qui affirmait qu’il y
avait une épizootie dans le val d’Anniviers. Je disais que les chèvres changeaient de couleur
pendant la nuit... Ça date de 1972-1973 et on me
rappelle cette farce sans arrêt encore aujourd’hui.
tains m’ont dit que j’avais perdu le crédit que
j’avais avant. J’ai même lu: «Crettaz s’est coupé
des élites et rapproché du peuple»!
Etes-vous plutôt sucré ou salé?
Sucré pour la nourriture, et plutôt salé avec les
gens.
Savez-vous faire du plat à une femme?
J’ai eu su, mais plus aujourd’hui; j’ai oublié. Avec
l’âge, la séduction disparaît. A 70 ans (j’en ai 74),
j’ai senti que le regard des femmes changeait sur
moi. Je suis rentré dans la catégorie des vieux.
C’est très angoissant et très libérateur en même
temps, car on peut laisser tomber les masques; on est dans la totale vérité de soi.
Comment cuisinez-vous les gens?
La dernière fois que vous avez mis les
pieds dans le plat?
C’est avec Franz Weber lors d’une intervention
en direct dans le journal télévisé pour l’initiative
des résidences secondaires. J’étais en colère et
me suis emporté. Mais les mots étaient justes
dans le contenu. Je ne regrette rien. Si c’était à refaire, je redirais la même chose. C’est la forme
qui était fausse. Depuis cette interview de 2’30’’,
partout où je vais, soit on me siffle, soit on m’applaudit, mais on m’en parle tout le temps. Cer-
Je leur dis toujours que si ma question est indiscrète, ils ont le droit de ne pas y répondre. Je
m’autorise ainsi toutes les questions, mais je leur
laisse la liberté de répondre ou pas.
Votre dernière amende salée?
J’avais lâché le chien dans ma vallée et la
police l’a ramené. Comme à Anniviers, il y a
l’obsession des chiens en liberté, j’ai eu une
amende salée.
Préférez-vous cuisiner ou être cuisiné?
Cuisiner, sans aucun doute. Au sens propre aussi.
J’aime faire la cuisine ultra-traditionnelle, la bouillie,
la cochonnaille... C’est anti-diététique au possible,
d’où mon tour de taille! Mais si je le pouvais, je ferais la boucherie du cochon chaque année.
Pour quoi êtes-vous prêt à payer un saladier?
Pour toute démarche qui me permettrait de
trouver des chemins complètement novateurs
dans la spiritualité. J’ai rêvé plusieurs fois de
m’offrir un maître à penser comme Alexandre
Jollien. Je suis prêt à payer cher ce maître de vie.
Enfant, vous étiez terrorisé de passer à
la raclette?
J’étais un élève moyen, mais jusqu’à la fin de
ma thèse de doctorat, je m’approchais des
examens avec une angoisse terrible. Une fois
ma thèse finie, je me réjouissais de ne plus
avoir d’examens dans ma vie. Je me trompais.
On est tout le temps en examen dans la vie.
Vous est-il déjà arrivé de vous faire envoyer cuire un œuf?
Oui. Cela m’est arrivé dernièrement en reprenant contact avec une ancienne amoureuse
que je n’avais plus vue depuis très longtemps. Elle m’a envoyé paître. Cela a été très
dur; je me suis demandé quelle faute j’avais
bien pu faire! CSA
INFONF
douleur, c’est comme ça.»
qui a succombé à la maladie.
«J’ai alors pensé que j’allais rentrer
dans un couvent, mais en même
temps, cela aurait été une trahison
envers les femmes et tout ce que je
leur dois.» Bernard Crettaz a
donc dit oui à sa troisième
épouse en 2002.
«Mon rêve est d’écrire un livre
qui serait un hymne aux femmes.
Ce sera peut-être mon dernier ouvrage.» Le dernier livre, avant le
grand saut pour l’au-delà. Bernard Crettaz y pense souvent.
Logique pour le fondateur des
désormais célèbres cafés mortels – des lieux où chacun peut
parler librement de la mort.
L’Anniviard de 74 ans se refuse
cependant à imaginer l’autre
côté du miroir, de la vie. Il ne
tient pas à percer cette «énigme
fondamentale», comme il
le dit joliment. «La
frontière entre l’ici et
l’au-delà est une frontière totale; nous n’avons
pas accès à ce secret absolu. Mais je crois à la survie.» Impossible pour lui
d’entendre le mot «médium»
sans éprouver de l’allergie. «Je
suis complètement fermé à cela.
Quand la mort nous prend quelqu’un de proche, on est dans le
chagrin et on déconne, on est à
côté de la plaque. On a alors un
imaginaire débordant.»
Lui croit en Dieu, simplement.
En la vierge Marie aussi, la
Femme par excellence. «Je fais
recours à la Madone en permanence. Je lui demande parfois des
coups de main avant un café mortel par exemple. Je lui suis resté fidèle», souligne-t-il en prononçant ces mots avec douceur.
Mourir en Anniviers
A l’heure des confidences, le
septuagénaire avoue son désir
de mourir en Anniviers, sa
source, sa terre. Sa plus belle
mort ne pourrait se passer
ailleurs que dans sa vallée natale, imagine-t-il. «Mon cheval
(«Ginger») et mon mulet («Isidore») m’attendraient en bas de
chez moi un soir à minuit, puis ils
me conduiraient au sommet de la
montagne, jusqu’au glacier et me
laisseraient mourir là. Ils reviendraient ensuite à la maison; leur
tâche étant de me faire rejoindre le
royaume des morts.» Instant de
silence. «Oui, c’est la plus belle
chose qui pourrait m’arriver.»
L’espace de quelques minutes,
l’homme semble avoir retrouvé
la magie de l’enfance, cet imaginaire qui rend tous les rêves possibles. «Ah oui, juste avant de partir, j’aurais laissé un mot à ma
femme pour lui dire que je l’aime,
mais qu’«Isidore» et «Ginger»
m’attendent «pour ce que tu sais»,
ajoute-t-il les yeux pétillants.
Comme un petit garçon heureux d’avoir cueilli une marguerite pour faire plaisir à sa maman.
Bouffée de tendresse. Le macho montagnard a bien grandi.
Les femmes de sa vie peuvent en
être fières.