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Exemplaire de AGAMDOC [Email:[email protected] - IP:195.68.24.109] Le débat Société Vendredi 15 Avril 2016 www.laprovence.com III Cannabis légalisé: quels sont les risques sanitaires ? Alors que le débat est relancé, deux spécialistes livrent leur point de vue médical sur ce sujet polémique L égalisation contre prohibition. La question agite et n’a sans doute pas fini d’agiter la classe politique au sujet du cannabis. Au lendemain du triple homicide à la cité Bassens, à Marseille, le député PS, Patrick Mennucci, s’était clairement prononcé en faveur de sa légalisation. Saluant le travail de la police pour le démantèlement de certains réseaux, l’élu faisait le constat que "ce travail indispensable et mené d’une manière exemplaire n’est pas suffisant" contre le trafic. Seul moyen pour le stopper : créer une filière d’État chargée de la distribution du cannabis. Les trafiquants seraient alors, selon lui, privés de cette "attractivité" et "de moyens financiers considérables". Rapidement, la proposition a eu de l’écho au gouvernement. Ce lundi, le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, Jean-Marie PR CHRISTOPHE LANÇON, UNITÉ D’ADDICTOLOGIE DE L’AP-HM Le Guen, a émis le souhait que le Parti socialiste ouvre le débat sur la dépénalisation du cannabis. Un débat fumeux pour l’opposition. Bon nombre d’élus Les Républicains ont alors clairement affiché leur opposition. "Résolument contre ce signal de relâchement", le maire de Bordeaux, Alain Juppé, était rejoint par le président LR de la région Paca, Christian Estrosi, estimant : "Il faut renforcer les moyens de lutte contre les trafics de drogue dans les quartiers en difficulté". Témoin du fléau de la drogue dans son secteur, la sénatrice-maire PS des 15e et 16e arrondissements de Marseille, Samia Ghali, s’est elle aussi clairement opposée à la dépénalisation pour des raisons "sociétales" et "sanitaires". Justement, quels seraient les risques médicaux d’une dépénalisation ? La question est posée. Éric MIGUET MICHÈLE RUBIROLA, MÉDECIN, CONSEILLÈRE DÉPARTEMENTALE EELV "Faisons enfin de la santé publique!" "Le danger vient du mélange de produits" "Le débat sur la légalisation du cannabis est une affaire éminemment politique. Même les experts médicaux sont pris dans cette dimension. Actuellement, il est de bon ton de dire que le cannabis est mauvais pour la santé. La réalité, c’est que, pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les produits les plus dangereux d’un point de vue sanitaire sont l’alcool et le tabac. Dans une logique de santé publique, c’est donc l’alcool et le tabac dont il faudrait se préoccuper prioritairement. Ensuite, il y a deux façons de s’attaquer à un produit nocif. D’abord la logique de l’interdit, médicale et sociale. Mais on sait que la prohibition, ça ne marche pas, au contraire, cela entraîne des conséquences plus graves sur la population, car il n’y a plus de contrôle du marché, on ferme les yeux sur les produits qui sont consommés. De plus, quand on interdit une substance utilisée par un très grand nombre de gens (un Français sur 3 ou 4 a consommé du cannabis au moins une fois dans l’année), on décrédibilise la notion d’interdit, qui perd tout son sens. Mais autoriser les produits nocifs pour tout le monde, c’est mauvais aussi. La question est donc : comment utiliser ces produits en faisant en sorte que les gens nuisent le moins possible à leur santé ? C’est ce que l’on appelle la prévention des risques et des dommages. Cela a été fait quand on a facilité l’accès aux seringues de bonne qualité, ce qui a permis de faire chuter considérablement la mortalité par overdose et la contamination du sida par voie sanguine. C’est de cette façon que l’on devrait raisonner. Avec évidemment un strict interdit pour les enfants. Comme pour l’alcool, on dispose de données précises qui montrent que la consommation de cannabis avant la puberté est extrêmement nocive, car le système nerveux central et les mécanismes biologiques sont dans une phase d’installation et de vulnérabilité. À cet âge, la dangerosité du cannabis est donc extrême. Son utilisation est un crime. Si l’on légalise, il faudra aussi contrôler la qualité du cannabis qu’on met sur le marché. L’herbe varie énormément selon la façon dont elle est cultivée. Elle renferme en outre plusieurs composés qui ont chacun des effets bien particuliers (sur le sommeil, contre la douleur par exemple). Il faut cependant être conscient que le risque zéro n’existe pas. Les effets du cannabis sont très différents d’un individu à un autre . Et pour un "Fumer du cannabis n’est bon pour personne. La question que l’on peut se poser est sur le manque d’études pharmacologiques à ce sujet. Du fait de l’illégalité, on ne connaît pas sérieusement tous les mécanismes d’action du cannabis et ses vertus. Ce que l’on sait, c’est que le THC (le cannabinoïde le plus présent dans la plante de cannabis) n’entraîne pas de dépendances physiques. D’ailleurs, on n’a déclaré aucun décès dû à la consommation de cannabis. En revanche, l’association du tabac et du cannabis entraîne des cancers du poumon plus précoces que le tabac seul. Chez des personnes vulnérables, le cannabis peut aggraver l’anxiété, favoriser la dépression et révéler ou aggraver une schizophrénie. À 13/14 ans, la vulnérabilité est plus forte que pour un consommateur adulte. Le problème lié à la consommation se caractérise aussi par les troubles de la concentration, l’assiduité scolaire. De plus, l’association cannabis-alcool est néfaste. Tabac et alcool causent près de 100 000 morts chaque année, tandis que les drogues illicites, quelques centaines de morts par an. L’urgence est donc de faire disparaître le tabac des joints (option herbe à fumer comme aux Pays-Bas, moins nocive que le tabac). Par contre, le risque d’escalade vers d’autres drogues dures n’est pas confirmé. La légalisation peut en effet augmenter légèrement la consommation de cannabis, mais la prohibition ne l’a pas fait baisser d’un iota. Malgré son arsenal répressif, la France est le 1er pays consommateur de cannabis en Europe. Elle enrichit la mafia, elle entraîne la circulation de produits frelatés, dangereux pour la santé. Elle facilite l’escalade chez les jeunes vers des substances plus dures telles que l’héroïne. En effet les usagers sont obligés de se fournir dans le marché clandestin où circulent d’autres drogues bien plus dangereuses. En légalisant le cannabis, on sortira de la marginalisation un certain nombre de jeunes. On éviterait ainsi le contact avec les vendeurs, la fréquentation de milieux et de lieux dangereux. Je plaide pour une légalisation qui permet d’encadrer les risques d’une consommation néfaste pour la santé pulmonaire. Que l’on soit bien clair, je me bats autant contre le cannabis que contre toutes les autres drogues. Mais dans la mesure où 91109 / PHOTO DR même individu, selon le moment où il consomme. Ceux qui s’opposent à la légalisation craignent l’apparition d’un marché noir. En fait, tout dépend du prix que l’on fixera. La vente de cigarettes de contrebande a explosé parallèlement à la flambée des prix du tabac. L’autre argument antilégalisation est de dire que cela n’empêchera pas certains consommateurs de chercher des produits plus concentrés et plus nocifs. En effet, cela ne l’empêchera pas, comme on n’empêchera pas un jeune de prendre une cuite ! Je pense donc que légaliser le cannabis serait une belle occasion de faire de la santé publique, de créer un modèle susceptible de faire école pour d’autres substances nocives." Recueilli par Sophie MANELLI La législation dans les pays considérés comme les plus libéraux sur le sujet L'URUGUAY est devenu en décembre 2013 le premier pays au monde à légaliser la production, la distribution et la consommation du cannabis. L'État est ainsi autorisé à octroyer des licences de production de cannabis pour sa commercialisation en pharmacie, pour un usage récréatif. Auparavant, seules la détention et la consommation étaient dépénalisées. La loi autorise trois modes d'accès au cannabis (culture à domicile pour la consommation personnelle, appartenance à un club cannabique ou achat en pharmacie), l'usager ne pouvant en choisir qu’un. L’État uruguayen percevra 10 à 13 % des recettes issues de la commercialisation du cannabis, plus le prix des licences payé par les entreprises productrices. Au MEXIQUE, le débat sur la dépénalisation bat son plein depuis un jugement historique de la Cour Suprême en novembre 2015 qui a ouvert la voie à la légalisation de la marijuana : les juges suprêmes ont autorisé quatre personnes à cultiver cette substance et à l'utiliser à des fins personnelles et récréatives. Par ailleurs, la COLOMBIE, après le CHILI, a autorisé en décembre 2015 son usage thérapeutique. Aux ÉTATS-UNIS, la loi fédérale interdit la culture, la vente et l'utilisation de la mari- juana. Toutefois, 23 États ont légalisé l'utilisation du cannabis à des fins médicales. Quatre d'entre eux - Oregon, Colorado, Alaska, Washington -, ainsi que la capitale Washington DC sont allés plus loin en légalisant sa consommation à des fins récréatives. Au moins quatre autres États devraient voter sa légalisation en 2016. Au CANADA, la consommation de cannabis pour des raisons médicales est permise depuis 2001 et la Cour suprême a même étendu en juin 2015 la définition du cannabis thérapeutique, permettant aux usagers de le consommer sous forme de biscuits ou d'en faire infuser les feuilles plutôt que de seulement le fumer. Le Premier ministre Justin Trudeau a promis de faire du Canada le premier pays du G7 à légaliser le cannabis à des fins récréatives mais n'a pas établi de calendrier précis pour le faire. La RÉPUBLIQUE TCHÈQUE est l'un des pays européens les plus libéraux vis-à-vis du cannabis. Les personnes qui possèdent jusqu’à 15 grammes de marijuana ou font pousser chez eux jusqu’à 5 plants de cannabis ne risquent qu’une amende. Aux PAYS-BAS, la possession, la consommation et la vente au détail de moins de cinq grammes de cannabis, dans les coffee shops, sont tolérées depuis 1976, de même que la production de moins de 5 plants. En revanche, la culture et la vente en gros, contrôlées par des groupes criminels, sont, elles, interdites. En ESPAGNE, la loi tolère la consommation et la culture de cannabis dans un cadre privé, entre personnes majeures et dans un cadre strictement non lucratif. Dix autres pays européens ont déjà légalisé le cannabis thérapeutique : l'Allemagne, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Finlande, la France, l'Italie, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie et dernièrement la Croatie. / PHOTO CYRIL SOLLIER l’interdiction n’a rien donné, il faut contrôler. Aujourd’hui le résultat du cannabis prohibé, c’est de la violence, des risques de rencontres avec d’autres drogues plus dures et la consommation de produits mélangés ou coupés. Si on légalise, les produits seraient contrôlés et le réseau de distribution maîtrisé. Des moyens pour faire de la prévention seraient utilisés. Nous aurions le financement pour cela. Tous les jeunes qui boivent ou qui se sont pris un jour une cuite ne sont pas tous devenus alcooliques. Ils le vivent comme une expérience. Donc l’accompagnement et la prévention dans la consommation de cannabis feront qu’ils seront encadrés." Des polémiques récurrentes Recueilli par E.Mi La dépénalisation du cannabis fait l'objet de polémiques récurrentes en France, un des pays plus gros consommateurs de cette drogue en Europe. En février 2015, des sénateurs écologistes mettent sur pied une proposition de loi pour autoriser l'usage et la vente contrôlée par l’État du cannabis. L'initiative est rejetée en avril par les sénateurs. En décembre 2014, une étude d'un groupe de réflexion proche du PS, Terra Nova, propose une légalisation très encadrée, qui permettrait de renflouer les caisses de l’État. Selon ce think tank, une légalisation dans le cadre d'un monopole public rapporterait 1,8 milliard d'euros à l’État par an. L'UMP dénonce le "silence assourdissant" du gouvernement sur cette étude. En octobre 2012, le ministre de l’Éducation Vincent Peillon se prononce pour un débat sur la dépénalisation du cannabis. "Cette interrogation mérite d'être menée, et je suis très étonné parfois du côté un peu retardataire de la France sur un sujet qui pour moi est d'ampleur", affirme-t-il. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault le rappelle rapidement à l'ordre. Dépénaliser le cannabis, "ce n'est pas la position ni du gouvernement, ni du président de la République et ça n'a pas changé". Le 5 juin 2012, la nouvelle ministre du Logement Cécile Duflot (EELV) plaide pour la dépénalisation : "Il faut considérer que le cannabis, c'est comme l'alcool et le tabac, même régime : une politique de santé publique et de prévention, notamment vis-à-vis des plus jeunes". La droite crie au "désastre moral". Le président François Hollande reste "opposé à une dépénalisation du cannabis". Le 19 avril 2012, le président Nicolas Sarkozy juge "irresponsable" la proposition du sénateur-maire PS de Dijon François Rebsamen de transformer le délit de consommation de cannabis en contravention. Avant son élection, M. Sarkozy avait pourtant déclaré le 17 mars 2007 : "Je propose la contraventionnalisation" car "faire de la consommation un délit n'a pas beaucoup de sens", une idée déjà formulée le 25 juin 2003 comme ministre de l'Intérieur.