L`accueil des migrants : l`intégration par l`exclusion
Transcription
L`accueil des migrants : l`intégration par l`exclusion
2013/18 L’accueil des migrants : l’intégration par l’exclusion par Renaud Demot Analyses & Études Migrations 1 Siréas asbl Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente, sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de SIREAS sous la direction de Mauro Sbolgi, éditeur responsable. Les questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui intéressent notre public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de rendre les textes accessibles à l’ensemble de notre public. Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes Monde et droits de l’homme Notre société à la chance de vivre une époque où les principes des Droits de l’Homme protègent ou devraient protéger les citoyens contre tout abus. Dans de nombreux pays ces principes ne sont pas respectés. Économie La presse autant que les publications officielles de l’Union Européenne et de certains organismes internationaux s’interrogent sur la manière d’arrêter les flux migratoires. Mais ceux-ci sont provoqués principalement par les politiques économiques des pays riches qui génèrent de la misère dans une grande partie du monde. Culture et cultures La Belgique, dont 10% de la population est d’origine étrangère, est caractérisée, notamment, par une importante diversité culturelle Migrations La réglementation en matière d’immigration change en permanence et SIREAS est confronté à un public désorienté, qui est souvent victime d’interprétations erronées des lois par les administrations publiques, voire de pratiques arbitraires. Les questions d’émigration sont également abordées dans cette thématique. Société Il n’est pas possible de vivre dans une société, de s’y intégrer, sans en comprendre ses multiples aspects et ses nombreux défis. Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur nos sites www.lesitinerrances.com et www.sireas.be, elles sont aussi disponibles en version papier sur simple demande à [email protected] Siréas asbl Service International de Recherche, d’Éducation et d’Action Sociale asbl Secteur Éducation Permanente Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58 [email protected] www.lesitinerrances.com – www.sireas.be 2 Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles 3 U ne affiche stigmatisante. Un sac tenant lieu de valise posé à même le sol, esseulé, exprimant le désoeuvrement le plus criant. Le fond du gouffre. À ce stade, il serait peut-être temps de songer au retour ? C’est par ce message visuel que Fedasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, souhaite la bienvenue aux personnes qui se présentent à son bureau de « dispatching » dans le but de s’y voir désigner un lieu d’accueil auquel elles ont droit en vertu de la loi et du droit international1. En langage juridique, on parle d’ « obligation », et dans le cas de la Belgique (et d’autres pays européens), ce terme se révèle de plus en plus approprié, vu la mauvaise volonté affichée par Fedasil et les obstacles toujours plus nombreux qui se dressent sur le chemin menant au bénéfice effectif de ce droit. Principes et contenu du droit à l’accueil Le droit à l’aide matérielle est prévu pour les demandeurs d’asile, durant toute la durée de leur procédure, par la Directive européenne relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, qui vise entre autres à garantir le « plein respect » de la dignité humaine. D’ailleurs, tout demandeur d’asile (à l’exception de certains demandeurs ayant introduit leur demande à la frontière et demeurant dans un centre fermé durant l’examen de celle-ci) doit être autorisé au séjour sur le territoire jusqu’à ce que les instances d’asile – Office des Étrangers (OE), Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA), Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE) – aient statué définitivement sur son sort. Ces principes découlent de l’interdiction de refoulement et de l’idée, suggérée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, selon laquelle « on peut présumer qu’à moins que ce ne soit par goût de l’aventure ou simplement du voyage nul n’abandonne normalement son foyer et son pays sans y être contraint par des raisons impérieuses. »2 1 Directive 2003/9/Ce du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, Journal officiel n° L 031 du 06.02.2003, pp. 18-25. 2 UNHCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, 1979, §39. 4 L’accueil désenchanté Au vu de ce principe humaniste de base, comment expliquer que le retour vers le pays qu’on a fui par crainte de persécutions soit incité à l’entrée même du lieu où on est dirigé à la suite directe de l’introduction de sa demande d’asile en vue, théoriquement, d’y recevoir une offre de refuge ? La rhétorique dont est imprégné le discours relatif aux réfugiés a sensiblement évolué depuis l’adoption des grands principes prononcés après la deuxième guerre mondiale mais aussi, beaucoup plus récemment, avec l’adoption de la directive précitée ou de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’accent est désormais mis sur les nombreux « abus » que commettent supposément les personnes qui viennent chercher la protection de nos pays européens, ainsi que sur les « failles » qui permettent à des personnes qui n’ont « rien à faire chez nous » d’y arriver3. L’arrivée de Maggie De Block au Secrétariat d’État à l’Asile et la Migration a marqué un cap en la matière et a donné le ton. Désormais, le discours xénophobe est délié et assumé par les responsables politiques eux-mêmes. La Belgique n’est plus une terre d’accueil, ce qui explique ce cynisme décomplexé. La qualité de l’accueil « offert » aux demandeurs d’asile en pâtit nécessairement. D’autant que Maggie De Block est également Secrétaire d’État à l’Intégration Sociale et la Lutte contre la Pauvreté (sic). Ainsi, l’ « Instruction relative au trajet de retour et aux places de retour pour les demandeurs d’asile accueillis dans le réseau d’accueil de Fedasil », adressée le 13 juillet 2012 aux gestionnaires de structures d’accueil (centres gérés par Fedasil ou par ses partenaires, initiatives locales d’accueil des CPAS), précise que « dès qu’un étranger introduit une demande d’asile, l’accompagnement au retour fait partie intégralement de l’accompagnement offert aux demandeurs d’asile dans toutes les structures d’accueil. » Cette injonction vient en quelque sorte renverser la présomption dont bénéficiaient auparavant les candidats réfugiés, et adresse un message clair : en dépit de l’obligation d’accueil dont le Gouvernement doit s’acquitter, nul besoin d’entretenir une illusion ; le retour à la case départ se trouve en fin de programme. Effectivement, avec le durcissement des politiques migratoire et d’asile (n’est-il pas curieux que le droit d’asile dépende de considérations politiques, par définition variables ?), il n’y a bien souvent, après épuisement des différents canaux permettant l’accès à un statut de séjour en Belgique, qu’une simple alternative offerte au migrant : (sur)vivre dans la clandestinité, 3Maggie De Block promet une politique d’asile « humaine mais correcte », Belga, 4 janvier 2012. 5 avec tous les risques inhérents à ce « statut » (difficultés de logement et d’accès aux soins, exploitation économique, stigmatisation, peur permanente, …), ou rentrer chez soi. Retour volontaire vs. de retour Politique volontariste Peut-on, dans ce contexte, parler encore de retour « volontaire » ? Le cas d’Aref, jeune Afghan venu chercher protection en Europe, est symptomatique. Ses quatre demandes d’asile n’ont pas réussi à convaincre le CGRA que ses craintes de persécution, au sens de la Convention de Genève de 1951, étaient fondées. Son récit était entaché d’un manque de crédibilité et sa région d’origine, Nangarhâr, était considérée comme sûre en vertu des informations « objectives » dont dispose cette instance tout aussi « objective ». Débouté de ses demandes, exclu de l’accueil, il allait passer plusieurs semaines à dormir dans une gare, avant de, à bout, accepter ce qu’on appelle un retour volontaire. Quelques jours après son arrivée à Kaboul, il est abattu, semble-t-il par ceux-là mêmes dont il avait fui les menaces de persécutions4. On peut légitimement douter de la « volonté » qui l’animait en vue de retourner vers son pays natal. Les travailleurs sociaux du SIREAS, dans le cadre de leurs activités de service social et juridique, constatent de plus en plus l’épuisement des usagers. De nombreuses personnes nous font part de leur détresse, de leur incompréhension, de leur sentiment d’injustice. Face aux blocages institutionnels, aux dénis de justice, elles luttent véritablement durant des années parfois, avant de rendre les armes, écoeurées, lasses. Tout, partout, pousse au retour « volontaire ». Jusqu’au directeur de l’Office des Étrangers qui, lors d’une rencontre organisée avec des Afghans en lutte depuis des mois pour le respect de leur dignité et de leurs droits, se contente avec cynisme et provocation de distribuer des prospectus encourageant au retour volontaire5. Une fois encore, le message est clair : « nous ne lâcherons rien, rentrez chez vous ». Certains résistent, disent qu’ils préfèrent mourir ici plutôt que de rentrer dans un pays qu’ils ne 4Demandeur d’asile abattu en Afghanistan: « Erreur objective de la Belgique », Le Soir, édition numérique du 15 octobre 2013. 5 Occupant l’Église du Béguinage à Bruxelles à l’heure où nous écrivons ces lignes, ces personnes demandent depuis des mois un statut de séjour ne fût-ce que temporaire, dans la mesure où les autorités belges ne leur accorde ni statut de réfugié ni protection subsidiaire, mais ne les expulse pas non plus. 6 considèrent souvent plus comme le leur ou dans lequel ils courent un grave danger. D’autres, comme Aref, cèdent à la violence institutionnelle et à la politique volontariste de retour menée par le Gouvernement. « Lutte contre la Pauvreté » des enfants sans-papiers La thématique du retour volontaire s’est également immiscée dans la question de l’accueil des familles avec enfants mineurs en séjour irrégulier. En vertu de la loi du 12 janvier 2007 « sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers » et d’un arrêté royal du 24 juin 2004, ces familles se trouvant dans un état de besoin ont droit à une aide matérielle similaire à celle dispensée aux demandeurs d’asile. Depuis le 17 septembre 2010, un protocole d’accord conclu entre Fedasil et l’Office des Étrangers conditionne le bénéfice de cet accueil à l’élaboration et la mise en œuvre d’un « trajet d’accompagnement ». Ce trajet d’accompagnement consiste à, dans un premier temps, envisager des possibilités d’obtenir un séjour et, ensuite, préparer le retour volontaire. Ce protocole d’accord dépasse le cadre fixé par l’arrêté royal de 2004 en ce qu’il ajoute une condition non prévue par celui-ci et, en cela, est illégal. Il n’empêche que ce protocole est effectivement appliqué en pratique. Des parents souffrant d’une pauvreté extrême et soucieux de la survie de leurs enfants n’ont dès lors d’autre choix que de signer l’engagement prescrit, même s’il implique un retour ultérieur. Un recours au Tribunal du travail peut toutefois être introduit à l’encontre de cette modalité de l’accueil, mais encore faut-il avoir accès à un avocat compétent et agissant dans le cadre de l’aide juridique, cadre en passe d’être nettement restreint avec la réforme du secteur et la perception d’une TVA sur les prestations des avocats (réforme menée par Annemie Turtelboom, Ministre Open VLD de la Justice, coreligionnaire de Maggie De Block et précédemment…secrétaire d’État à l’Asile et la Migration !). Dans la réalité, il convient de préciser que la politique de retour volontaire a une efficacité limitée, ce qui nous autorise par ailleurs à questionner son bien-fondé. Entre septembre 2012 et septembre 2013, 5373 personnes devaient se rendre en place de retour. Parmi ces 5373 personnes, 4679 ne s’y sont pas rendues ou en sont sorties sans perspectives pour une grande partie d’entre elles6. À la différence des centres fermés dans lesquels sont détenus des ressortissants étrangers dans l’attente d’être expulsés du territoire, les centres de retour sont « ouverts », et rien n’empêche en principe la fuite 6 « Ce sont des personnes, pas des dossiers » - Récits et vision d’accompagnateurs sociaux au trajet de retour de demandeurs d’asile déboutés, CIRE et Vluchtelingenwerk Vlaanderen, octobre 2013. 7 des résidents. Mais désormais, la loi sur l’accueil des demandeurs d’asile prévoit cependant que si l’étranger ne coopère pas, l’Office des Étrangers a le champ libre pour procéder à son retour forcé… Plutôt que de mener une politique migratoire active et positive, digne et humaine, les Gouvernements européens préfèrent accentuer la fermeture des frontières et l’exclusion de ceux qui sont parvenus à les franchir. En résulte la constitution d’une masse de précarisés, de sans-droits, qui contribue à l’appauvrissement général du continent et au délitement du lien social. 8