Le système des cytochromes P450 : définition, rôle et implication
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Le système des cytochromes P450 : définition, rôle et implication
M i S E A U P O I N T T H É R A P E U T I Q U E Le système des cytochromes P450 : définition, rôle et implication dans la pharmacocinétique des anti-infectieux ! A.M. Taburet*, V. Furlan* RÉSUMÉ. Les cytochromes P450 (CYP) sont des hémoprotéines qui participent au métabolisme oxydatif de nombreux médicaments. En fonction de la structure de la protéine fixée à l’hème, différentes familles et sous-familles ont été identifiées chez l’homme. Les principales formes sont CYP 1A2, 2D6, 2C9, 2C19, 2E1 et 3A4. Certains sujets présentent un déficit en CYP 2D6, 2C9 et 2C19 (“métaboliseurs lents”). C’est le CYP 3A4 qui, chez l’homme, est quantitativement le plus important : il représente en moyenne 30 % (avec une variabilité interindividuelle importante) du contenu hépatique en cytochromes, et est également présent au niveau intestinal. Il est impliqué dans le métabolisme de plus de 50 % des médicaments commercialisés. L’activité des CYP peut être modifiée sous l’action de substances inductrices telles que la rifampicine, le phénobarbital, la phénytoïne et la carbamazépine et des hydrocarbures polycycliques (qui augmentent la synthèse et donc la quantité de CYP disponible), ou inhibitrices, qui vont provoquer une diminution du métabolisme et donc une augmentation des concentrations du ou des deux médicament(s) associé(s). L’effet inducteur est maximal après 6 à 10 jours de traitement. Les inhibiteurs sont nombreux : les inhibiteurs puissants du CYP 3A4 sont l’érythromycine, le kétoconazole, l’itraconazole et le ritonavir. L’effet inhibiteur est immédiat. Des substances non médicamenteuses sont susceptibles d’inhiber certains CYP. Par exemple, le jus de pamplemousse inhibe le CYP 3A4 localisé au niveau de l’épithélium intestinal. Mots-clés : Cytochrome P450 - Interactions médicamenteuses - Induction - Inhibition. L est une étape clé de la pharmacocinétique ’ élimination des médicaments. La vitesse d’élimination a un impact direct sur la clairance et donc la demi-vie et les modalités d’administration d’un médicament. En bref, deux grandes voies participent à l’élimination des médicaments : – l’élimination sous forme inchangée, par excrétion rénale (et/ou biliaire) ; – les réactions de biotransformation ou métabolisme, qui impliquent des enzymes de phase I (oxydation) ou de phase II (conjugaison) et conduisent à la formation de métabolites excrétés par le rein ou la bile. Les médicaments peuvent donc être éliminés en totalité par voie rénale sous forme inchangée (par exemple les aminosides, ou la majorité des pénicillines ou céphalosporines), sous forme de métabolites pour les médicaments lipophiles (macrolides...), ou de façon mixte. Il est de plus en plus évident que la connaissance des enzymes impliquées dans le métabolisme éventuel est un facteur de réussite thérapeutique, puisqu’elle fournira des informations sur la variabilité des concentrations, sur l’effet de premier passage, sur les modifications pharmaco- * Pharmacie clinique, CHU de Bicêtre, AP/HP, 94270 Le Kremlin-Bicêtre. 12 cinétiques éventuelles chez les patients insuffisants hépatiques, et permettra de prévoir certaines interactions médicamenteuses. Depuis les années 60, une hémoprotéine a été identifiée comme la partie “active” des enzymes catalysant les réactions d’oxydation, les mono-oxygénases. Cette hémoprotéine, qui fixe le monoxyde de carbone et absorbe à 450 nm, a été appelée cytochrome P450 (1). Depuis, plusieurs isoformes ont été identifiées, chacune ayant des caractéristiques et des spécificités de substrat différentes. Leur rôle dans le métabolisme des médicaments, en particulier des anti-infectieux, et les facteurs pouvant moduler leur activité vont être précisés. DÉFINITION ET PRÉSENTATION DU (DES) CYTOCHROME(S) P450 Structure et rôle Les cytochromes P450 (CYP) ont pour fonction l’oxydation des molécules au moyen de réactions chimiques très diverses. Ces réactions donnent naissance à des métabolites inactifs, actifs ou toxiques. Les CYP sont des hémoprotéines dont la structure est schématisée figure 1. Les modalités de fonctionnement des cytochromes P450 ont fait l’objet de nombreuses revues (2, 3). En résumé, la partie héminique du CYP (de structure tétrapyrolique), avec un atome de fer à l’état ferreux (Fe2+), est capable de fixer l’oxygène moléculaire et de l’activer. Cet La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 M T H É R A P E U T I Q U E oxygène activé est ensuite transféré sur le médicament fixé sur la partie protéique du CYP, qui forme une “poche”, en regard de l’atome de fer alors à l’état ferrique (Fe3+). Cette réaction nécessite du NADPH et des réductases, qui vont transformer l’atome de fer de l’état ferrique à l’état ferreux pour que le cycle d’oxydation puisse à nouveau fonctionner (2, 3). La structure de la chaîne protéique est variable et permet de distinguer plusieurs isoenzymes du CYP, dont certaines sont caractérisées et clonées. Elles sont classées en familles et sous-familles, en fonction de l’homologie de structure (4). i S E A U P O I N T sélectivité puisque les isomères R et S ne sont pas métabolisés par les mêmes isoformes : l’isomère R est métabolisé par les CYP 1A2, 3A et 2C19, l’isomère S est métabolisé par le 2C9 (5). Tableau I. Liste (non exhaustive) des principaux CYP identifiés chez l’homme et leurs substrats médicamenteux (5). CYP SUBSTRAT 1A2 Théophylline*, tacrine, fluvoxamine*, clozapine* 2C9 Tolbutamide, AINS (diclofénac, ibuprofène, flurbiprofène, indométacine, piroxicam*), phénytoïne, warfarine*, ticlopidine 2C19 Méphénytoïne, oméprazole*, lansoprazole, diazépam*, proguanil 2D6 Débrisoquine, dextrométorphan, fluoxétine*, maprotiline, paroxétine, trazodone, venlafaxine, chlorpromazine, rispéridone, thioridazine, tramadol*, flécaïnide, propafénone, métoprolol, timolol*, nortriptyline, fluvoxamine*, perphénazine* S 2E1 Halothane, théophylline*, éthanol* FeV 3A ! ! ! O Site de fixation du substrat protéine Figure 1. Représentation schématique du cytochrome P450 [CYP] (2). L’hème est fixé à la partie protéique, au niveau de l’atome de soufre d’une molécule de cystéine. C’est l’atome de fer qui, en passant de l’état ferreux (FE2+) à l’état ferrique (FE3+), participe au cycle oxydatif. La partie protéique confère à chaque famille et sousfamille une spécificité de fixation du substrat. Analgésiques et apparentés : alfentanil, fentanil, méthadone* Antiépileptique : carbamazépine* Anti-infectieux : clarithromycine, érythromycine, itraconazole, kétoconazole, miconazole, quinine, indinavir, nelfinavir, ritonavir, saquinavir, névirapine, éfavirenz, delavirdine, rifabutine* ! Anticancéreux : cyclophosphamide*, étoposide, ifosfamide*, tamoxifène ! Cardiovasculaire : " Antiarythmiques : amiodarone, disopyramide, xylocaïne, quinidine " Inhibiteurs calciques : nifédipine, nicardipine, diltiazem, vérapamil " Hypolipémiants : (lovastatine**), simvastatine, atorvastatine, cérivastatine* ! Antihistaminiques : astémizole, loratadine ! Sphère gastro-intestinale : cisapride ! Immunosuppresseurs : ciclosporine, tacrolimus, sirolimus (rapamycine) ! Antidépresseurs : sertraline ! Neuroleptiques : pimozide ! Sédatifs : alprazolam, midazolam, triazolam, zolpidem* ! Hormones : dexaméthasone, éthinylestradiol, fénastéride, flutamide, méthylprednisolone, prednisone, testostérone ! Autres : alcaloïdes de l’ergot de seigle, sildénafil * Lorsque des médicaments sont métabolisés par plusieurs CYP, seul(s) le(s) principal(aux) est (sont) mentionné(s). ** Non commercialisée en France. Chez l’homme adulte, les trois principales familles de cytochromes impliquées dans le métabolisme de nombreux médicaments sont les CYP 1, 2 et 3. Les sous-familles sont les CYP 1A, CYP 2A, CYP 2B, CYP 2C, CYP 2D, CYP 2E et CYP 3A. Soixante-dix pour cent des cytochromes hépatiques humains sont constitués des sept isoenzymes suivantes : CYP 1A2, 2A6, 2B6, 2C, 2D6, 2E1 et 3A (2). On constate que les médicaments métabolisés par le CYP 3A sont nombreux ; il a été estimé que plus de la moitié des médicaments utilisés en thérapeutique humaine sont métabolisés par cette famille de cytochromes P450. Substrats Les principaux médicaments, substrats des différentes isoenzymes du CYP, sont énumérés dans le tableau I. Seuls sont indiqués les médicaments pour lesquels une isoforme du CYP participe à la majorité du métabolisme. Compte tenu des chevauchements de spécificité, certains médicaments sont métabolisés par plusieurs CYP. Ainsi, par exemple, le propranolol est métabolisé par les 2D6, 1A2 et 2C19, ou le diazépam par les CYP 2C19 et 3A. Pour la warfarine, il existe une énantio- Dans le domaine des médicaments anti-infectieux, les CYP participent à l’élimination de certaines classes pharmacologiques : les macrolides, les antifongiques azolés, les inhibiteurs de la protéase du VIH et certains antiparasitaires. En revanche, les aminosides, les pénicillines, les céphalosporines et de nombreux antiviraux sont excrétés en quasi-totalité par voie rénale sous forme inchangée. Les cytochromes impliqués dans l’élimination des principales classes d’anti-infectieux sont résumés tableau II. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 13 M i S E A U P O I N T T H É R A P E U T I Q U E Tableau II. Rôle des CYP dans l’élimination des anti-infectieux (5). Famille antimicrobienne Macrolides Fluoroquinolones Médicament Fraction métabolisée (%) CYP impliqué Érythromycine Clarithromycine Azithromycine Josamycine Roxithromycine 90 > 70 30-35 40-50 ? 50 3A 3A 3A ? 3A 3A Ciprofloxacine 20 ? D CYP 3A4 Itraconazole Kétoconazole Fluconazole > 90 > 90 11 3A 3A 3A Rifamycines Rifabutine Rifampicine 90 60-65 3A > déacétylase 3A Antiparasitaires Dapsone Proguanil Quinine Halofantrine 70-85 > 50 > 80 NAT* > 3A 2C9 > 3A 3A (> 50 %) 3A Ritonavir Saquinavir Indinavir Nelfinavir Amprénavir > 90 > 90 80 90 90 Antiprotéases 3A > 2D6 3A 3A (majeur) 3A > 2C19 3A * NAT : N-acétyltransférase. Localisation C’est au niveau hépatique que la majorité des CYP sont identifiés. Ils sont situés dans le réticulum endoplastique, retrouvé dans la fraction microsomale lors du fractionnement cellulaire. Chez l’homme, la distribution tissulaire des CYP est ubiquitaire. Ils sont prédominants dans le foie, mais aussi présents dans d’autres organes tels que les reins, les poumons, le cerveau, la peau, l’intestin et le placenta (2). Les isoformes du CYP 3 (CYP 3A4 et 3A5) et du CYP 2C (2C8, 2C9, 2C18 et 2C19) sont les plus abondantes. L’expression de ces protéines est variable en fonction des tissus et des espèces, et il existe une variabilité interindividuelle importante. Elles représentent respectivement en moyenne 30 % et 20 % du contenu hépatique en cytochromes ; le CYP 1A2 représente 13 % et le CYP 2D6 10 % (2). La présence de CYP 3A au niveau intestinal contribue à augmenter l’élimination présystémique et à diminuer la biodisponibilité de certains médicaments. De plus, comme le montre la figure 2, un transporteur, la glycoprotéine P (P-GP), est associé au CYP 3A des entérocytes et participe à l’élimination présystémique en faisant sortir le médicament de la cellule qui, réabsorbé, peut à nouveau être métabolisé par le CYP 3A (6). Cette “recirculation” augmente le métabolisme intestinal puisqu’elle évite la saturation du CYP 3A. Les substrats du CYP 3A et de la P-GP sont souvent identiques (7). 14 FOIE D m D Imidazolés m P-GP D Veine porte D CYP 3A4 D P-GP CYP 3A4 Entérocytes D D D D Lumière intestinale P-GP : glycoprotéine P D : médicament m : métabolite Figure 2. Schéma du rôle du CYP 3A et de la glycoprotéine P (PGP) dans l’effet de premier passage. FACTEURS PHYSIOPATHOLOGIQUES MODIFIANT L’ACTIVITÉ De nombreux facteurs peuvent moduler l’activité des CYP chez l’homme, entraînant ainsi des variations du métabolisme des médicaments, et donc de leur efficacité ou de leur toxicité. Les conséquences cliniques vont dépendre de trois éléments principaux : l’importance de la voie des CYP dans l’élimination globale du médicament, la concentration active du produit (molécule mère et/ou métabolite) au site d’action et la marge thérapeutique. Plus cette dernière sera faible, plus il faudra être vigilant. Génétique (2) Le polymorphisme génétique contribue largement aux variations interindividuelles de la réponse à certains médicaments. Il concerne trois principales isoenzymes : CYP 2A6, 2D6 et 2C19. La diminution importante, voire l’absence, d’activité que l’on peut noter chez les “métaboliseurs lents” entraîne une augmentation des concentrations sanguines et de la réponse pharmaco-toxicologique. Ainsi, 5 à 8 % de la population occidentale d’origine caucasienne n’exprime pas le CYP 2D6, alors que la prévalence est de 1 % chez les Orientaux. À l’inverse, le phénotype “métaboliseurs lents” du CYP 2C19 est plus fréquent chez les Orientaux (# 20 %) que chez les Caucasiens (< 5 %). Les conséquences cliniques dépendent de la marge thérapeutique du médicament, de l’activité du métabolite formé et de la participation d’autres isoformes du CYP au métabolisme. Le déficit en CYP 2C9 semble plus rare (< 1 %). Âge Il existe des variations qualitatives et quantitatives des CYP au cours du développement. Cela est particulièrement net chez le fœtus humain, pour lequel certaines isoenzymes sont absentes La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 T H É R A P E U T I Q U E (CYP 2C), alors que d’autres sont présentes, mais absentes chez l’adulte (CYP 3A7). C’est pourquoi certains médicaments éliminés plus lentement chez le nouveau-né ont une demi-vie allongée dans la période néonatale (diazépam, midazolam, théophylline). Ce phénomène est encore plus net chez les nouveaunés prématurés (8, 9). Pathologies Les pathologies peuvent aussi, à des degrés divers, modifier le métabolisme des médicaments. C’est le cas des pathologies thyroïdiennes, du diabète, de l’insuffisance rénale et surtout de l’insuffisance hépatique (particulièrement les cirrhoses sévères et les hépatites). Dans cette dernière, il a été rapporté des diminutions des quantités des CYP de 50 %, 80 % et 100 % respectivement pour les CYP 2C, CYP 3A4 et le CYP 2E1 (10) ; ces chiffres sont très variables en fonction de la sévérité de l’atteinte hépatique. SUBSTANCES MODIFIANT L’ACTIVITÉ DES CYP : INTERACTIONS L’action d’une autre substance médicamenteuse ou d’une substance non médicamenteuse (substance de l’environnement, alimentaire...) sur le métabolisme d’un médicament est classiquement divisée en réactions d’induction ou d’inhibition. Leurs caractéristiques et leurs conséquences sont résumées dans le tableau III. Une substance inductrice augmente la vitesse du métabolisme du médicament associé, alors qu’une substance inhibitrice la diminue. Si l’effet d’une inhibition est très souvent immédiat, surtout s’il s’agit de compétition entre deux substrats, l’effet de l’induction qui nécessite une synthèse protéique n’est maximal qu’après quelques jours de coadministration des deux substances (en général 6 à 10 jours). À l’inverse, à l’arrêt du traitement, l’inhibition est rapidement réversible sauf si la substance inhibitrice a une demi-vie longue, alors que l’effet de l’induction disparaîtra en fonction du turn-over du CYP induit et de la demi-vie de la substance inductrice (11, 12). Tableau III. Effets comparés des inducteurs et inhibiteurs enzymatiques (12). Paramètre ! Mécanisme ! Délai d’action Conséquences pharmacocinétiques – Sur les concentrations plasmatiques – Sur la production de métabolites – Sur la clairance Modification observée avec Inducteur Inhibiteur Augmentation synthèse enzyme Compétition (réversible) ou fixation irréversible Maximal en 6-10 jours Immédiat Diminution Augmentation Augmentée Diminuée Augmentation Diminution ! Conséquences Diminution Augmentation thérapeutiques de l’effet thérapeutique de l’effet thérapeutique (s’il existe une relation (sauf si métabolite actif) et/ou effets indésirables concentration/effet) ! La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 M i S E A U P O I N T Facteurs environnementaux Les substances de l’environnement qui agissent en inhibant ou induisant les CYP contribuent à en augmenter la variabilité. ! Inducteurs (12). Certaines substances alimentaires peuvent agir comme des inducteurs enzymatiques, tels les indols (contenus dans le chou), qui augmentent l’activité du 1A2, et l’éthanol (en absorption chronique), qui induit le CYP 2E1. À noter que l’éthanol en ingestion aiguë est inhibiteur du CYP 2E1. Les hydrocarbures polycycliques contenus dans la fumée de cigarette ou les aliments cuits au charbon de bois sont des inducteurs connus du CYP 1A2. La consommation de cigarettes est donc un facteur à prendre en compte lors d’un traitement par des médicaments métabolisés par ce CYP, surtout si la marge thérapeutique est faible, comme c’est le cas de la théophylline. ! Inhibiteurs. Il est probable que certaines substances endogènes, ou de l’alimentation, ont des propriétés inhibitrices sur les CYP, sans jamais avoir été identifiées. Un exemple découvert fortuitement est la propriété inhibitrice du jus de pamplemousse sur le CYP 3A (13). Il est probable que le (les) composé(s) inhibiteur(s) administré(s) par voie orale ne parviennent pas jusqu’au foie, ce qui fait que le jus de pamplemousse semble être un inhibiteur assez spécifique du CYP 3A localisé dans les entérocytes. L’effet inhibiteur est important pour les inhibiteurs calciques (félodipine), plus modeste pour la ciclosporine. L’effet est transitoire et, pour avoir un effet maximal, il est nécessaire d’ingérer le médicament et le jus de pamplemousse simultanément. C’est ainsi que la biodisponibilité du saquinavir, médicament fortement métabolisé par le CYP 3A intestinal, double en présence de jus de pamplemousse (13). Facteurs pharmaco-toxicologiques (12-14) ! Les médicaments inducteurs enzymatiques. Les médicaments inducteurs les plus puissants sont la rifampicine, le phénobarbital, la phénytoïne et la carbamazépine. Ils induisent surtout les CYP 3A et 2C. L’isoniazide induirait spécifiquement le CYP 2E1. Le caractère inducteur puissant de la rifampicine est un élément important à prendre en compte. Ainsi, la rifampicine est contre-indiquée avec les inhibiteurs de protéase, car elle en diminue de façon très importante les concentrations, qui se situent alors en dessous du seuil d’efficacité antivirale. D’une façon générale, il y a lieu d’être vigilant lorsqu’on associe la rifampicine à des médicaments métabolisés en grande partie par le CYP 3A. D’autres médicaments comme la rifabutine, la névirapine ou l’éfavirenz sont des inducteurs plus modestes. Leur administration peut nécessiter d’augmenter la posologie du médicament associé. Récemment, les associations névirapine-indinavir ou rifabutine-indinavir en sont des exemples. La névirapine diminue les concentrations d’indinavir d’au moins 30 % en moyenne par induction de son métabolisme. Il est nécessaire chez certains patients d’augmenter la posologie de l’indinavir à 1 g x 3 (vs 800 mg x 3) pour conserver un niveau de concentration efficace (15). 15 M i S E A U P O I N T Les médicaments antiépileptiques (phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine) doivent être manipulés avec précaution du fait de leur propriété inductrice enzymatique. ! Les médicaments inhibiteurs enzymatiques " Mécanisme de l’inhibition. Les médicaments responsables d’inhibition enzymatique sont beaucoup plus nombreux. Les inhibitions peuvent être compétitives ou non compétitives. L’inhibition compétitive ou réversible se caractérise par une simple compétition entre le substrat et l’inhibiteur pour la même isoenzyme. La molécule qui présentera l’affinité la plus grande pour le CYP inhibera le métabolisme de l’autre. De nombreuses interactions de ce type sont décrites dans la littérature ; elles concernent l’ensemble des CYP. Le métabolisme du tacrolimus est inhibé par le kétoconazole (16). Il existe une interaction diazépam-oméprazole impliquant le CYP 2C19 qui ne survient que chez les métaboliseurs rapides, non déficients en CYP 2C19. La quinidine est un inhibiteur puissant du CYP 2D6 et une interaction tolbutamide-phénytoïne (CYP 2C9) a été décrite. L’inactivation irréversible est moins fréquente. Un exemple bien étudié est celui de l’inhibition du CYP 3A par certains macrolides (17) tels que l’érythromycine ou la clarithromycine. Un métabolite “nitroso” de l’érythromycine forme un complexe stable avec le CYP 3A, empêchant les oxydations ultérieures, tant que de nouvelles hémoprotéines du CYP 3A ne sont pas synthétisées. Des macrolides comme la josamycine et la roxithromycine ont une affinité moindre pour le CYP 3A, et peu d’interactions sont décrites. Quant à l’azithromycine ou la dirithromycine, elles n’ont pas à ce jour été impliquées dans des interactions cliniquemement significatives. Un certain nombre de médicaments identifiés comme étant des inhibiteurs puissants sont présentés dans le tableau IV. On remarquera le rôle de certains anti-infectieux (macrolides, antifongiques azolés, inhibiteurs de la protéase du VIH). Tableau IV. Les principaux inhibiteurs des CYP (5, 11, 12, 14). CYP Médicament 1A Fluvoxamine, énoxacine, ciprofloxacine 2D6 Quinidine, fluoxétine 3A Macrolides Antifongiques azolés Antirétroviraux TAO (non commercialisé), érythromycine, clarithromycine ! Kétoconazole, itraconazole (à un moindre dégré fluconazole) ! Par ordre décroissant de puissance inhibitrice : ritonavir +++ > indinavir, nelfinavir, amprénavir ++ > saquinavir ! Conséquences thérapeutiques d’une inhibition (11, 12). Dans la majorité des cas, l’inhibition d’un CYP entraîne une augmentation de la concentration des molécules mères qu’il métabolise, et un risque augmenté de toxicité. C’est ainsi que le kétoconazole ou l’itraconazole, inhibiteurs puissants, élèvent les concentrations de ciclosporine ou de tacrolimus de façon T H É R A P E U T I Q U E importante, augmentant le risque de néphrotoxicité. C’est également la raison pour laquelle il existe une contre-indication à l’association entre les inhibiteurs puissants et des médicaments à toxicité cardiaque : cisapride, astémizole, pimozide. Les interactions décrites avec la terfénadine ont été responsables de son retrait du marché. Ce médicament est en lui-même inactif, mais possède une toxicité cardiaque ; c’est le dérivé acide de la terfénadine formé par l’intermédiaire du CYP 3A qui possède l’activité antihistaminique. L’inhibition du CYP 3A augmente les concentrations de terfénadine, qui sont normalement indétectables, et donc la toxicité. Cela a été décrit avec de nombreux inhibiteurs du 3A4, dont l’érythromycine (11). Certaines quinolones (énoxacine et ciprofloxacine) inhibent le CYP 1A2, et sont responsables d’interactions avec la théophylline. Lorsque le médicament et le métabolite sont actifs, l’activité thérapeutique reste inchangée. C’est l’exemple de l’inhibition de la transformation de la clarithromycine en 4-hydroxyclarithromycine par l’indinavir : les concentrations de clarithromycine augmentent, mais celles du métabolite actif (la 4-hydroxyclarithromycine) diminuent. En revanche, lorsque la substance mère est une prodrogue, l’activité thérapeutique peut diminuer, c’est le cas du proguanil (seul le cycloguanil étant actif). Les interactions décrites avec la terfénadine ont été responsables de son retrait du marché. Dans certains cas, les inhibiteurs sont utilisés pour augmenter les concentrations d’un médicament. Ainsi, le ritonavir est utilisé pour diminuer l’effet de premier passage du saquinavir (18). Les concentrations augmentées de saquinavir sont alors très supérieures à la concentration virale inhibitrice. Il a été également démontré que cette inhibition diminue la variabilité interindividuelle des concentrations de saquinavir. " Enfin, on a évoqué l’utilisation de certains médicaments bien tolérés pour diminuer la posologie de certains médicaments onéreux, comme les immunosuppresseurs (19). Une telle attitude n’est pas, à l’heure actuelle, recommandée en France. Prévision des interactions médicamenteuses Il existe à l’heure actuelle des techniques in vitro bien validées, qui permettent d’identifier le(s) CYP impliqué(s) dans le métabolisme des nouvelles molécules, et de mettre en évidence les inhibiteurs de ces CYP. Ces techniques font appel à des microsomes hépatiques humains ou des cellules transfectées. Les cellules d’hépatocytes, qui permettraient en outre d’identifier des propriétés inductrices, sont plus complexes à utiliser (5, 20). Ces techniques se substituent aux modèles animaux, souvent peu prédictifs dans le domaine du métabolisme. Elles sont d’ailleurs citées dans la dernière directive de l’Agence européenne sur l’étude des interactions médicamenteuses (21). ! " 16 CONCLUSION Les progrès de la biologie moléculaire ont permis d’identifier et de caractériser les CYP qui jouent un rôle fondamental dans le métabolisme de nombreux médicaments. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 1 - janvier 2000 T H É R A P E U T I Q U E L’activité des CYP peut être modifiée sous l’action de médicaments inducteurs ou inhibiteurs, dont beaucoup font partie de la classe des médicaments anti-infectieux. Leur connaissance doit permettre d’éviter les interactions médicamenteuses. La connaissance des CYP impliqués dans le métabolisme d’un nouveau médicament est indispensable pour prévoir les interactions médicamenteuses qui risquent de survenir, et qu’il conviendra d’étudier avec des essais cliniques adaptés. # M i S E A U P O I N T 8. Burtin P., Jacqz-Aigrain E., Girard P., Lenclen R., Magny S.F., Betremieux P., Tehiry C., Desplanques L., Mussat P. Population pharmacokinetics of midazolam in neonates. Clin Pharmacol Ther 1994 ; 56 : 615-25. 9. Besunder J.B., Reed M.D., Blumer J.L. Principles of drug biodisposition in the neonate : a critical evaluation of the pharmacokinetic-pharmacodynamic/interface (part I). Clin Pharmacokin 1988 ; 14 : 189-216. 10. Murray M. P450 enzymes : inhibition mechanisms, genetic regulation and effects of liver disease. Clin Pharmacokin 1992 ; 32 : 132-46. 11. Tanaka E. Clinically important pharmacokinetic drug-drug interactions : role of cytochrome P450 enzymes. J Clin Pharm Ther 1998 ; 23 : 403-16. 12. Lin J.H., Lu A.Y.H. 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