En marge du FIFM, les «Transes» de Nass El Ghiwane

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En marge du FIFM, les «Transes» de Nass El Ghiwane
En marge du FIFM, les «<i>Transes</i>» de Nass El Ghiwane
“Transes”, réalisé en 1981 par Ahmed El Maânouni, avait été projeté au FIFM en 2007. Celui
qui l'a sorti de l'oubli n'est rien d'autre que Martin Scorcese, qui, ayant eu un violent coup de
coeur pour ce film, avait décidé de le restaurer par le biais de la Fondation qu'il a créé en 1990
avec un collectif d'amis réalisateurs dans le but de préserver les oeuvres du 7ème art.
Remasterisé et édité en DVD par la The Film Fondation, “
Transes” était diffusé le 7
décembre à l'ABC, dans le cadre de la programmation documentaire de “Casa/docks”, louable
initiative lancée il y a tout juste deux mois pour donner à voir, à revoir, ou même justement à
découvrir des pépites de ce type. En marge de l'événement star que représente le Festival de
Marrakech, c'était l'occasion de s'offrir un pur moment de “
revival
” avec “Nass El Ghiwane”...
Plus qu'un groupe de musique, ils demeurent un mythe qui a donné à des générations de
Marocains le sentiment de leur dignité, tout en exprimant le tréfonds de leur coeur. C'est
l'histoire d'un groupe, mais c'est aussi et surtout l'histoire de cinq copains, puis de quatre. Car,
après la mort de Boujmaâ H'Gour, dit Boujmiî, Larbi Batma, Abderrahmane Kirrouche dit Paco,
Allal Yaâla et Omar Sayed poursuivent seuls l'aventure commencée quelques années plus tôt,
à Hay Mohammadi. Vingt ans durant, les 4 compères vont alors construire la formation la plus
stable et la plus longue de leur carrière. Mais, longtemps, un micro demeurera sur scène en
mémoire du disparu. “Kounna Khmasa” chantera d'ailleurs Paco, en rendant hommage à son
ancien complice...
“Jamais le souvenir de Boujemaâ ne
nous quittera”
, chantera de son côté
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Ghir Kouddouni...
“Nass ghiwane” , les troubadours du Maroc moderne...
Nous sommes en 81, dix ans après la naissance du groupe. Et c'est quasiment sur ces paroles
répétées en boucle par les Nass El Ghiwane que le film démarre sur ces images d'un concert
en plein air. La ferveur du public face à ce groupe déjà célèbre transpire à l'écran. Des policiers,
des
mokhaznis cernent les abords de la scène,
vigilants, prêts à intervenir pour contenir les débordements trop visibles qui de temps à autre se
font sentir. Juste des gens, jeunes et moins jeunes, qui expriment intensément leur bonheur
d'entendre des chansons si proches d'eux, si sincères, si justes. Mais nous sommes en 81, et
l'inquiétude que suscite la foule est palpable, tangible. L'époque ne trompe pas. Pendant que
Omar Sayed entonne un couplet de ce qui semble être
“Fin Ghadi Biya Khouya”
, évoquant les coups qui frappent l'âme d'un peuple, il se trouve que les mokhaznis
interviennent pour bastonner un type dans la foule. Dans son dos, sans qu'il ne s'en aperçoive,
la scène raconte alors mot pour mot ce qu'il chante sur le vif. Instant saisissant... Chacune des
chansons du groupe possède en fait viscéralement cette même vertu : incarner l'expression la
plus profonde, la plus sensible, la plus vraie de ce que les Marocains vivent, aiment, et souffrent
dans leur vie de tous les jours...
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Pourfendre l'injustice sociale et combattre les oppresseurs de tout poil...
La musique et les textes : leur force vient de cette exigence à vouloir combiner la richesse
musicale d'inspirations très diverses, où l'on retrouve une fusion de musiques issues
directement du patrimoine populaire avec le “shikhat”, les poèmes du “malhoune” et l'influence
directement
“g
nawie”
élaborée par Paco, et de combiner ce fonds populaire revisité, à la qualité d'une écriture dont
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l'ambition première est de raconter quelque chose de leur époque. Dans le lot, on compte des
musiciens hors-pairs et touche-à-tout, comme le maître du banjo, Allal, et le maître du hejouj,
Paco, ainsi qu'un auteur à la veine sensible et écorchée : Larbi Batma, avec Omar Sayed en
figure tutélaire, qui avouera avoir toujours préféré le théâtre à la musique, lui qui s'engagea
comme comédien dans la troupe de Tayeb Saddiki pendant plusieurs années. Quelques
chansons mythiques, quelques grands moments de scène, quelques émotions de transe (un
hâl
désacralisé) captées lors de “lilas ganouis” à Essaouira traversent le film. Dans chacune d'elles,
de
“Sacrifiés nous sommes”
,à
“Assynia” (Le plateau)
, en passant par
“Wannadi Ana”(Et de s'écrier)
on entend le même désir lancinant de pourfendre l'injustice et l'oppression, et de souhaiter une
société construite sur des valeurs d'égalité et de fraternité.
Les “Nass Ghiwane” déclinent chaque fois autrement les fondements de cette prière, résumée
par la chanson
“Taghounja” : “Vous qui continuez à accabler le tourmenté
dans sa peine / Vous qui soutenez l'oppresseur dans ses abus./ Vous dont le plus jeune est
dépité et le plus grand, confus./ (...) “Depuis la nuit des temps, il ne manque à ce monde/ qu'un
petit rien,/ Et, au changement, les états d'esprit sont contraints./ La justice a-t-elle battu en
retraite et disparu pour de bon ? Nulle trace elle n'a laissé. En a-t-elle fait le serment ?”
C'est de manière très fine et subtile que le film évoque d'ailleurs la conscience qui habite leurs
textes en filmant par exemple cette discussion sur le vif, au cours de l'élaboration d'une
nouvelle chanson -était-ce
Mahmouma
?* à propos de l'image du “tyran qui dort”.
“Cela ne me plaît pas, qu'il dorme !”
lance Omar Sayed à Larbi Batma, pendant que Paco cherche les tonalités. Car, lance-t-il
aussitôt, les tyrans doivent mourir...
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Authentiques dans leur démarche, intemporels dans leur message...
Face aux abus et aux dérives du pouvoir, leurs mots n'hésitent pas à décrire à l'époque le
manque de sens critique et le manque de mobilisation du peuple dans “Erreghaya” ; ils
dénoncent la multiplication des dictateurs au sud de la Méditerranée.
“Da-yine”
, c'est tout le désespoir d'un peuple arabe qui n'arrive pas à exprimer ses valeurs. A l'échelle
des peuples comme des individus, ce qui fait la force des textes de
“Nass El Ghiwane”
ce sont ces mots simples, forts, et généreux, qui veulent à tout prix garantir les droits des
faibles face aux puissants. D'où le recours aux poèmes sarcastiques du poète
malhoun
Abderrahmane Majoub d'un côté, et aux mélopées de chant
gnawi
de l'autre, qui racontent, sur le mode de la complainte et d'un rythme cathartique, l'oppression
et l'asservissement de cette petite communauté sud-saharienne demeurée au plus bas de
l'échelle sociale.
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Eux-mêmes, en tant qu'artistes, se font plumer dans des contrats foireux, et face à une
entourloupe de ce genre, la scène où Larbi s'emporte en déclarant qu'il vaut mieux dans ce cas
donner un concert totalement gratuit pour les handicapés, à côté des six autres concerts
payants, résume parfaitement la démarche altruiste, authentique et passionnée d'un groupe qui
est demeuré extraordinairement populaire, parce que faisant totalement corps et âme avec ce
peuple dont ils se réclament... Les baguettes jouant des tbilats de Larbi résonnent encore en
choeur avec le
bendir, le sentir,
-instrumenrs réservés aux joueurs de rue et réhabilités par les
“Nass Ghiwane”
- la
darbouka
, le
daadou
, le
guembri,
le
banjo
, lorsque le film se termine...
Scorcese, en le voyant, avait immédiatement décidé de le faire restaurer par The Film
Fondation
,
profondément ému par l'aventure humaine et artistique du groupe. Ce qui l'avait scotché, a-t-il
plus tard déclaré, c'est cette faculté qu'ils ont eu d'avoir su se nourrir et puiser à la source de
l'héritage de la culture musicale populaire, pour en faire naître la plus somptueuse musique rock
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contemporaine... Un exemple parmi d'autres, cette magnifique scène où Paco entre en dialogue
avec le joueur de rue de sentir en reconnaissant un rythme typique
“hamdouchi”
qui lui inspire aussitôt les bases mélodiques d'une composition nouvelle...
Montré trop rarement après cette magnifique première fois lors du Festival de Marrakech
présidé en 2007 par Scorcese, justement, le film d'Ahmed El Maânouni projeté par l'association
Casa/docks dans cette même version remasterisée a rappelé à beaucoup combien le message
de leurs troubadours demeurait tout aussi actuel, qu'intemporel...
*“Mahmouma” : “Mon frère, c'est la main du Tyran dont la face est peinte
Le sanglot s'est couché, cette terre se console
Du temps où ils dirent : "il est mort" et les sanglots se sont élevés”
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