Fascicule N°1MCED-bat - Médecine Clinique endocrinologie

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Fascicule N°1MCED-bat - Médecine Clinique endocrinologie
Dossiers cliniques d’endocrinologie pédiatrique - n° 1
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Médecine Clinique ■ endocrinologie & diabète
Médecine Clinique
ISSN : 1639-6685
endocrinologie
& diabète
n°1 Dossiers cliniques
d’endocrinologie
pédiatrique
Une aménorrhée primaire
Claire Bouvattier et Pierre Bougnères
n°1
Dossiers cliniques
d’endocrinologie pédiatrique
Une aménorrhée primaire
Claire Bouvattier et Pierre Bougnères
Service d’Endocrinologie Pédiatrique, St Vincent de Paul,
82 avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris
[email protected][email protected]
AM est une adolescente Antillaise qui consulte à 16 ans pour une aménorrhée primaire. Elle a
comme seul antécédent une perte massive de poids entre 13 et 14 ans, de 62 à 34 kg ; dans les
deux années suivantes, elle a repris son poids, actuellement 64 kg. Elle est devenue une grande
fille, normalement musclée et trophique, en bonne santé, qui mesure 176 cm, ses deux parents
mesurant 162 et 170 cm. Aucun antécédent familial ne révèle d’anomalie du développement sexuel
ou de la reproduction, ni de pathologie médicale, mais la famille se résume à deux tantes maternelles qui ont des enfants. L’examen clinique est normal, en dehors de l’absence de développement
mammaire. Les organes génitaux sont féminins et normalement conformés, avec une pilosité
pubienne triangulaire (P3).
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Nous vous proposons à ce stade une
première ligne de raisonnement, fondée non
sur la connaissance qu’ont les spécialistes de
l’endocrinologie sexuelle pédiatrique, mais
sur une démarche « physiopathologique » par
organe ou par fonction, ouverte à tous les
endocrinologues.
Cet exercice va vous livrer
28 causes possibles… et peut-être
d’autres hypothèses auxquelles
nous n’avons pas pensé !
Insuffisance gonadotrope
• Génétique
• Acquise
FSH
GH
L’absence de puberté et donc de
fonctionnement ovarien de la patiente évoque :
- soit un défaut de la fonction gonadotrope : existant depuis toujours (défaut d’un gène nécessaire au développement des cellules
gonadotropes ou à la production des gonadotrophines) se révélant à l’adolescence, acquise lors d’une anorexie mentale ou d’un
grand amaigrissement d’origine organique (ou d’un surentraînement sportif) ou à cause d’un processus tumoral ou infitratif, ou
auto-immun ou inflammatoire, ou nécrotique (type She-Han), ou
même infectieux (abcès) touchant l’hypophyse, voire traumatique
(hypopituitarisme post-traumatique) ; selon les cas on peut attendre
ou non d’autres anomalies hypophysaires associées. On peut en
rapprocher un adénome hypophysaire sécrétant de la prolactine, de l’ACTH, de la GH.
- soit une anomalie constitutionnelle ou fonctionnelle de la gonade :
l’ovaire n’en est pas un, ou fonctionne mal. On peut penser dans
ce cadre à la composition chromosomique des cellules de la
gonade (X0, XY, mosaïque X0/XY, à un défaut d’un gène de différenciation/développement de la gonade ou des cellules de la granulosa productrices d’oestrogènes (gènes de développement),
soit un défaut d’un gène nécessaire à la stéroïdogenèse ovarienne
et/ou à la production d’oestrogènes (gène sur la voie allant du
récepteur LH à la sécrétion d’oestradiol), soit à un défaut épigénétique (méthylation d’une région régulatrice d’un des gènes évoqués ci-dessus), soit à une cause acquise auto-immune, dégénérative, métabôlique, infectieuse, touchant les deux gonades.
- soit une anomalie périphérique rendant les tissus insensibles à
l’effet des oestrogènes (si la patiente est XX).
Insuffisance ovarienne
• Chromosomique
• Génétique
• Acquise
- soit un patient XY insensible aux androgènes que ses testicules
normaux mais cachés sécrètent en abondance : tableau de résistance complète aux androgènes. Mais dans ce cas, la patiente
aurait quasiment à coup sûr des seins et pas de pilosité.
- la prise ou l’exposition à des agents ou des médicaments antigonadotropes ou antiovariens.
Œstradiol
Défaut d'action
périphérique
(non décrit)
Seins
4
Endomètre
Livrez vous maintenant à l’exercice
suivant après avoir bien réfléchi.
La clinique de la patiente livre en
effet, malgré son apparente simplicité, beaucoup d’indications.
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Sans prescrire aucun examen biologique
ou complémentaire, classez dans l’ordre
les 10 causes qui vous paraissent
les plus probables parmi les 27 évoquées.
1. défaut d’un gène de constitution des cellules
gonadotropes ou de production des gonadotrophines
2. anorexie mentale
3. grand amaigrissement d’origine organique
4. surentraînement sportif
5. processus tumoral hypophysaire
6. processus infitratif de la tige
7. processus auto-immun ou inflammatoire
de l’hypophyse
8. nécrose aiguë hypophysaire
9. abcès de l’hypophyse
10. adénome hypophysaire sécrétant de la prolactine
11. de l’ACTH
12. de la GH
13. anomalie chromosomique des cellules
de la gonade X0
14. mosaïque X0/XY,
15. gonade XY
16. défaut d’un gène de différenciation/développement
de la gonade
17. défaut d’un gène des cellules de la granulosa
producrices d’oestrogènes
18. défaut du gène du récepteur LH
19. défaut d’un gène nécessaire à la sécrétion
d’oestradiol
20. défaut épigénétique de méthylation d’un gène
évoqué ci-dessus
21. ovarite auto-immune
22. dégénérescence de l’ovaire génétique ou
d’un autre mécanisme de type maladie de système
23. maladie métabolique touchant les ovaires
24. ovarite infectieuse
25. tissus insensibles à l’effet des oestrogènes
(si la patiente est XX)
26. prise ou l’exposition à des agents ou
des médicaments anti-gonadotropes
27. ou anti-ovariens ou anti-effets périphériques
des oestrogènes
Une fois votre classement effectué,
prescrivez les 8 examens les mieux à même
de départager vos diagnostics préférentiels.
Nous les avons listés pour vous aider.
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Cocher une case
• Echographie ovaires et utérus
• Coelioscopie
• Biopsie des gonades
• Gonadectomie et examen anatomo-pathologique
• Consultation avec un psychiatre
• LH et FSH de base
• Test LHRH
• Oestradiol
• Oestrone
• Testostérone
• Dihydrotestostérone
• Test à l’HCG
• Inhibine B
• Leptine
• Cortisol à jeun
• Test au synacthène
• Cortisol libre urinaire
• ACTH
• 17-OH-progestérone
• SDHA
• Delta-4-androstènedione
• T4, TSH
• Age osseux au poignet
• Scanner surrénalien
• Echographie rénale
• Protéinurie
• Prolactine
• GH de base, IGF1
• IRM hypothalamo-hypophysaire
• CRP, VS
• Caryotype 30 cellules circulantes
• Caryotype 100 cellules avec FISH
• Radios du squelette
• Recherche de dérivés anabolisants dans les urines
• Recherche de médicaments précis dans les urines
• Recherche de galactosémie
• Recherche d’anticorps anti-ovariens
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Si vous souhaitez continuer un exercice de Sherlock Holmes clinique, pour
tester votre finesse diagnostique, nous vous donnons une information
supplémentaire : la taille de la patiente à 18,7 ans est 187 cm.
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SOLUTIONS
Réponses Pierre Bougnères.
1. Un adénome à GH ayant entraîné un déficit gonadotrope profond (acromégalie) :
rarissime à cet âge
2. Un prolactinome survenu en début de puberté et exerçant ses effets antigonadotropes : très rare à cet âge
3. Anorexie mentale à cause de l’antécédent de perte de poids massive deux ans
avant, ayant pu interrompre le déroulement normal de la puberté restée ensuite
en panne.
4. Tumeur hypothalamo-hypophysaire survenue en début d’adolescence, mais la
progression de la taille est contre.
5. Une pathologie infiltrative de la tige pituitaire, en règle une forme localisée d’histiocytose Langerhansienne (la neurosarcoïdose est si rare que nous n’en avons
aucune expérience à cet âge).
6. Une insuffisance gonadotrope génétique se manifestant à l’adolescence.
7. Une insuffisance ovarienne primitive sans cause identifiable dans l’état actuel de
nos connaissances (génétique ?)
8. Une dysgénésie gonadique avec des gonades de composition chromosomique anormale chez une patiente de caryotype XX ou 45X0/46XX, ou 45X0/46XY
dans ses cellules circulantes: peu compatible avec la taille.
9. Une patiente XX ayant une insensibilité aux oestrogènes : non encore décrite ! et
donc hypothèse très peu probable… mais elle expliquerait la croissance
10. Un patient XY dont la gonade s’est mal différenciée (bandelettes restées
intra-abdominales) et n’a pas produit assez de testostérone pour masculiniser un fœtus, ni assez d’AMH pour permettre la régression müllérienne. A 16
ans, sans androgènes, ni bien sûr oestrogènes, la patiente serait impubère et
grandirait sans fusionner ses plaques de croissance : cette hypothèse est peut
être la plus proche de la clinique.
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Réponses Claire Bouvattier
Grande taille, hypogonadisme avec impubérisme complet et pilosité pubienne
normale me font évoquer :
Classement des diagnostics
1. Un hypogonadisme hypogonadotrope congénital central. Je chercherais une
anosmie. La croissance rend peu probable le diagnostic d’hypogonadisme hypogonadotrope acquis.
2. Une insuffisance ovarienne 46,XX sévère avec impubérisme, par défaut d’un gène
de différenciation/développement de l’ovaire (FSHR, bloc en 17,20 Lyase-17
alpha hydroxylase, galactosémie, XqFra…).
3. Une dysgénésie gonadique 46,XY : anomalie d’un gène de développement du
testicule, la gonade reste indifférenciée, pas de sécrétion d’AMH testiculaire donc
présence d’un utérus et d’un vagin (SF1, WT1, duplication de DAX1).
4. Un retard pubertaire extrême dans une anorexie mentale.
5. La mosaïque 45,X/46,XX ou 45,X/46,XY est peu probable, vu la croissance de la
patiente.
6. Pas d’insensibilité aux androgènes : elle aurait des seins et pas de poils pubiens.
7. La prise ou l’exposition à des agents ou des médicaments anti-gonadotropes ou
anti-ovariens ou anti-effets périphériques des oestrogènes, retrouvés facilement
à l’interrogatoire.
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SOLUTION
Examens complémentaires demandés
par Pierre Bougnères
• LH et FSH de base
• Caryotype 100 cellules avec FISH
• Testostérone
• Echographie utérus et ovaires
• E2
• AMH
• Consultation avec un psychiatre
• Age osseux au poignet
Examens complémentaires demandés
par Claire Bouvattier
• LH et FSH de base
• AMH
• Testostérone
• E2
• Echographie ovaires et utérus
• Age osseux au poignet
• IGF1
• Caryotype 100 cellules avec FISH
• Tester l’odorat
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SOLUTION
Dossiers cliniques
d’endocrinologie pédiatrique
Une aménorrhée primaire
Claire Bouvattier et Pierre Bougnères
Le caryotype de cette jeune femme est 46,XY. Elle présente ce que l’on nomme une
dysgénésie gonadique pure (à phénotype féminin normal). L’échographie a confirmé
la présence d’un petit utérus de 28 mm et n’a pas retrouvé de gonades. Des valeurs
indétectables de testostérone (0,08 ng/ml) et d’AMH (0,3 pmol/l), ainsi qu’une FSH
élevée à 37 UI/L ont confirmé l’absence de tissu gonadique.
Une coelioscopie a permis quelques mois plus tard l’ablation de 2 bandelettes
fibreuses sans tissu gonadique reconnaissable. L’utérus est normal, ainsi que le
vagin, qui s’abouche normalement au périnée. Le développement des seins ainsi
que des règles sont survenus sous ethynil estradiol et lutéran. Les doses d’ethynil
estradiol initiales de 150 microgr/jour 21 jours par mois, données pour bloquer la
croissance, ont du être réduites en raison de migraines quotidiennes entravant la
vie solaire.
Un quart des dysgénésies gonadiques pures 46,XY sont expliquées par des mutations de SRY. Ce gène est normal chez notre patiente. L’analyse de la séquence de
SF1 a permis de retrouver une mutation hétérozygote.
SRY est un gène majeur de la détermination de la gonade bipotentielle en testicule.
Il entraîne la différenciation des cellules de Sertoli, à laquelle SOX9, dont l’action est
très précoce, est aussi indispensable. Il est probable que l’action de SRY sur ses
cibles est médiée par sa liaison à des éléments des séquences promotrices de SOX9
et de SF1 (Sekido, Nature 2008). SF1 est un facteur de transcription qui appartient
à la famille des récepteurs nucléaires. Son ligand n’est pas connu. Il s ‘exprime précocement dans la surrénale (33 jours post ovulation chez l’homme), dans l’hypothalamus, les cellules gonadotropes hypophysaires et la rate. Les souris invalidées
pour SF1 n’ont ni gonade ni reins, une persistance des dérivés müllériens chez le
mâle, un défaut de fonction gonadotrope.
Des mutations hétérozygotes de SF1 ont été mises en évidence :
- chez de rares patients 46,XY nés ambigus ou au phénotype féminin, avec une
insuffisance surrénale néonatale.
- chez une fille 46,XX avec une insuffisance surrénale néonatale et une fonction ovarienne normale.
- chez un patient anorchide avec un micropénis (Philibert, Hum Reprod 2007).
- chez une dizaine de patients 46,XY, nés ambigus avec hypospade, parfois cryptochirdie, et défaut de fonction testiculaire Sertolienne et Leydigienne (Köhler, Hum
Mut 2008 ; Lin, JCEM 2007).
Notre patiente est hétérozygote pour une mutation p.Glu395del, qui touche un
acide aminé du domaine de liaison au ligand.
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CONCLUSION
Mutation du gène SF1 et antécédent d’anorexie transitoire
(association a priori fortuite).
Le séquençage du gène codant pour la protéine SF1 a permis d’identifier un cas
rare de mutation de SF1 (p.Glu395del). Ce variant touche un acide aminé du
domaine de liaison au ligand et n’a jamais été identifié à ce jour à notre
connaissance. La patiente est par ailleurs hétérozygote pour le variant silencieux
c.1353G>A situé dans le dernier exon et qui peut modifier des séquences
exoniques impliquées dans l’épissage, et homozygote pour le polymorphisme
p.Gly146Ala qui semble diminuer légèrement l’activité de la protéine SF1. Il est
important d’étudier les parents afin de savoir si certains de ces variants ont été
transmis et confirmer ou non leur caractère délétère.
• Köhler B, Lin L, Ferraz-de-Souza B, Wieacker P, Heidemann P, Schröder V, Biebermann H, Schnabel D, Grüters
A, Achermann JC. Five novel mutations in steroidogenic factor 1 (SF1, NR5A1) in 46,XY patients with severe underandrogenization but without adrenal insufficiency. Hum Mutat. 2008 ; 29:59-64.
• Lin L, Gu WX, Ozisik G, To WS, Owen CJ, Jameson JL, Achermann JC. Analysis of DAX1 (NR0B1) and steroidogenic factor-1 (NR5A1) in children and adults with primary adrenal failure: ten years’ experience. J Clin Endocrinol
Metab. 2006 ; 91:3048-54.
• Lin L, Philibert P, Ferraz-de-Souza B, Kelberman D, Homfray T, Albanese A, Molini V, Sebire NJ, Einaudi S, Conway
GS, Hughes IA, Jameson JL, Sultan C, Dattani MT, Achermann JC. Heterozygous missense mutations in steroidogenic factor 1 (SF1/Ad4BP, NR5A1) are associated with 46,XY disorders of sex development with normal adrenal function. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ;92:991-9
• Philibert P, Zenaty D, Lin L, Soskin S, Audran F, Léger J, Achermann JC, Sultan C. Mutational analysis of steroidogenic factor 1 (NR5a1) in 24 boys with bilateral anorchia: a French collaborative study. Hum Reprod. 2007 ;
22:3255-61.
• Sekido R, Lovell-Badge R. Sex determination involves synergistic action of SRY and SF1 on a specific Sox9
enhancer. Nature. 2008 ; 456:824.
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