Soins infirmiers - EXIT ADMD Suisse romande

Transcription

Soins infirmiers - EXIT ADMD Suisse romande
Santé et société
Les infirmières confrontées aux
demandes d’assistance au suicide
Nul n’est en droit
de juger pour autrui
Comme tous les sujets touchant au sens même de la vie, la question de
l’assistance au suicide donne lieu à des positions tranchées: on peut y être
favorable, on peut y être opposé, mais il ne semble pas y avoir de juste
milieu. Pour les professionnels infirmiers, la confrontation avec cette thématique est difficile, parfois insupportable.
Texte: Brigitte Longerich / Photos: Fotolia, Martin Glauser, màd
Première situation: vous travaillez dans
un service d’oncologie et accompagnez
quotidiennement des patients dont l’espérance de vie est réduite, ou dont les
souffrances deviennent chaque jour
plus lourdes. Un de vos patients exprime
sa volonté de mourir et demande une
assistance au suicide. Une procédure est
mise en place pour clarifier la situation
selon les directives de l’institution.
L’idée que ce patient va «se suicider»
vous est intolérable, car votre mission
est de soigner jusqu’au bout…
Deuxième situation: votre grand’mère,
âgée de 94 ans, répète depuis quelques
semaines que sa vie n’a plus de sens,
que son corps n’est plus que souffrance,
qu’elle n’en peut plus et qu’elle va demander l’assistance au suicide. Membre
chez EXIT depuis de nombreuses années, elle a mûrement réfléchi à sa décision et souhaite faire les démarches nécessaires. Elle sollicite votre aide pour
cela. Malgré vos réticences à l’égard du
suicide assisté, vous comprenez la détermination de votre grand’mère et mettez tout en œuvre pour qu’elle puisse
réaliser ses dernières volontés…
Retour sur l’histoire
La question de l’assistance au suicide a
été largement débattue au cours des dernières années, en politique, dans les
médias, au sein du public. Un sondage
effectué en 2009 mettait en évidence
que 75% de la population suisse était favorable à cette pratique, et que 57% des
personnes interrogées choisiraient cette
option pour elles-mêmes si elles étaient
atteintes d’une maladie incurable1.
Depuis que l’Association EXIT a vu le
jour en Suisse, la discussion autour du
suicide assisté a été intense et nourrie,
www.sbk-asi.ch >Suicide assisté >Ethique >Rôle infirmier
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souvent passionnelle et engagée. Peutêtre est-il utile de rappeler que le mouvement «Pour le droit de mourir dans la
dignité» est né en Angleterre en 1935
déjà, puis s’est rapidement étendu à
d’autres pays et continents. L’Association EXIT A.D.M.D. Suisse romande a
été fondée en 1982 par une dizaine de
personnes. Elle compte aujourd’hui plus
de 18 000 adhérents. La Fédération mondiale des associations pour le droit de
mourir dans la dignité2 réunit quant à
elle 52 associations réparties dans 27
pays. Mais l’assistance au suicide telle
que nous la connaissons n’est autorisée
légalement que dans une poignée de
pays: la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique,
le Luxembourg ainsi que dans les Etats
américains de Washington et de l’Oregon.
Quand l’idéal se heurte
à la réalité
La polémique autour du suicide assisté
est, à bien des égards, passionnante et
révélatrice de nos contradictions intimes. Quoiqu’on en dise, la mort fait
toujours partie des sujets «délicats», voire tabous dans notre société, au même
titre que la sexualité, l’avortement, les
transplantations d’organes, le handicap
etc. Quant à la question du suicide en
général, elle n’a cessé d’interpeller les
hommes depuis la nuit des temps: a-t-on
le droit d’interrompre délibérément le
cours d’une vie, alors qu’elle a été donnée et qu’une «puissance supérieure»
seule est habilitée à décider du moment
de sa fin? Posée ainsi, elle est bien sûr
caricaturale, mais tel est le nœud du problème. Et c’est là que les défenseurs du
droit à l’autodétermination se heurtent
aux réticences de bon nombre de théologiens, philosophes, éthiciens et bien
entendu, médecins.
Mais c’est seulement lorsqu’on est personnellement confronté à une demande
d’assistance au suicide que la question
se pose soudain de manière brutale.
Quand une personne gravement malade,
pour laquelle la médecine a tout tenté,
Sondage réalisé en 2009 par l’Hebdo.
World Federation of the Right to Die Societies,
WFRtDS.
3
Loi vaudoise sur la santé publique, Art. 27 d –
Assistance au suicide en établissement sanitaire
reconnu d’intérêt public. Entrée en vigueur le
1. 1. 2013.
4
Les portes des EMS ne s’ouvrent pas toutes à
Exit. 24Heures, 10. 7. 2013.
1
2
qui voit sa qualité de vie diminuer
chaque jour et ses douleurs devenir de
plus en plus importantes et, surtout, qui
a perdu le sens de la vie, demande à
mourir, qu’allons-nous lui dire? Les réflexions philosophiques, éthiques ou encore morales se perdent dans l’abstrait
et il faudra, tôt ou tard, apporter une réponse à cette demande.
Le dilemme des infirmières
Les demandes d’assistance au suicide
ne sont pas encore très fréquentes dans
les établissements de soins, mais la tendance est clairement à la hausse. Dans
le canton de Vaud surtout, où, suite à la
votation du 17 juin 2012, la Loi sur la
santé publique prévoit désormais que
«Les établissements sanitaires reconnus
d’intérêt public ne peuvent refuser la tenue d’une assistance au suicide en leur
sein, demandée par un patient ou un résident, si un certain nombre de conditions sont réunies»3. Cet article stipule
que si le patient n’a d’autre domicile
que l’institution dans laquelle il se trouve, celle-ci est dans l’obligation d’accepter sa demande d’aide au suicide.
Une disposition qui place les EMS devant des défis considérables et qui a
mené certains établissements à refuser
purement et simplement d’appliquer la
loi.4
Pour les soignants, les demandes d’assistance au suicide sont source de multiples questionnements, voire de remises en question. Si l’on a côtoyé un
patient pendant une longue période –
par exemple en EMS – qu’on l’a soigné,
entouré, partagé avec lui ses joies et ses
peines, il est extrêmement difficile d’accepter qu’il veuille mettre fin à ses
jours.
Dans les hôpitaux aussi, des demandes
d’assistance au suicide commencent à
être formulées. Pour Hélène Brioschi
Levi, directrice des soins au CHUV, il
s’agit là d’un nouveau défi pour les
équipes et pour les directions des institutions. Pour sa part, elle attache une
énorme importance à un accompagnement de qualité pour les équipes, qui vivent alors des moments éprouvants.
«Les soignants doivent savoir que, face
à des questions aussi essentielles et des
situations extrêmement difficiles pour
eux, je serai là personnellement en tant
que directrice des soins». Et d’ajouter:
«Sachant ce que représentent ces moments pour les soignants, ce serait com-
Position éthique 1 de l’ASI
Recommandations
Si l’assistance au suicide ne fait pas
partie de la mission des soins infirmiers, il ne s’agit pas pour autant
d’abandonner le patient au moment où
il demande un dernier service à ses soignants. Répondre au souhait de suicide d’un patient, en professionnelle,
c’est continuer à l’accompagner et à le
soigner avec respect et sans juger de sa
décision et de ses sentiments, ni de
ceux de son entourage.
Ce que vous pouvez faire:
• écouter avec attention le patient et
vous engager à ce que tout ce qu’il
est possible de faire ait été mis en
œuvre pour soulager ses souffrances
morales et/ou physiques et tout inconfort lié à sa maladie
• partager avec l’équipe ce que vous
vivez face à cette décision et chercher du soutien
• discuter et explorer avec le patient et
en équipe des possibilités existantes
pour que la décision du patient de se
donner la mort puisse être réalisée
• accompagner sa famille et ses proches
• demander à être relevée de la responsabilité des soins donnés à ce patient
s’ils sont trop lourds pour vous
• ou assister, si le patient, sa famille et
si vous-même le souhaitez, à ses derniers instants.
Ce que vous ne pouvez pas faire:
• procurer la substance mortelle, la
préparer et la mettre à portée du
patient, même sur délégation du médecin.
Le document intégral peut être téléchargé
sur www.sbk-asi.ch > service de commande
> publications > Position éthique 1: L’assistance au suicide, 2005.
me si je me dédouanais en n’étant pas
là». La directrice des soins insiste également sur l’attitude des cadres, qui se
doivent d’être exemplaires dans de
telles situations.
Des directives claires
Pour que les infirmières et le personnel
hospitalier en général puissent s’orienter
et se positionner clairement par rapport
à la question du suicide assisté, il est indispensable que les institutions mettent
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Entretien avec Gabriela Renaud, accompa
«Il faut avoir
Gabriela Renaud accompagne les
personnes qui demandent une
assistance au suicide chez EXIT
depuis près de dix ans. Avec
beaucoup de sensibilité et de
bienveillance, elle veille aux
derniers instants de ceux pour
qui la vie n’a plus de sens.
Le patient en fin de vie doit être entouré et écouté, et toutes les possibilités
d’accompagnement doivent être ouvertes.
sur pied des directives explicites sur cette question. Cette démarche a été faite
au CHUV dès 2007, où une directive institutionnelle a été mise au point au terme d’une réflexion commune entre la direction médicale, la direction des soins,
le bureau de la commission d’éthique,
les aumôniers et avec l’aide de juristes.
Toutes les demandes sont traitées avec
sérieux et rigueur, et il est tenu compte
de la procédure définie. Le patient est
généralement admis à l’hôpital pour une
durée limitée. Si une demande d’assistance au suicide est formulée, on suggère au patient et à ses proches d’envisager un retour au domicile pour cela.
Dans certains cas, cette solution n’est
pas envisageable pour des raisons médicales ou médico-sociales. Et c’est uniquement dans ce contexte particulier
que l’hôpital peut envisager de donner
suite à une demande d’assistance au
suicide, afin de ne pas priver le patient
de la liberté d’exercer son principe d’autonomie.
«La parole du patient, et donc sa décision, est capitale» souligne Hélène Brioschi Levi. Tout sera mis en œuvre pour
appliquer le principe de bienfaisance.
Mais le patient n’est pas seul. C’est tout
son entourage qui doit vivre avec sa décision, sur le moment, mais surtout
après. «Mon rôle à moi est d’être là pour
les équipes, de les écouter, de pratiquer
le debriefing et d’instaurer un suivi sur
le long terme. On se doit de faire preuve
de la plus grande attention, car on ne
sait pas, pour l’heure, quelles seront
les séquelles sur elles plus tard» ajoute
Hélène Brioschi Levi.
Au CHUV, aucune infirmière n’est autorisée à être présente à titre professionnel
lors d’un accompagnement au suicide;
en revanche, elle peut demander à y assister à titre personnel, en enlevant sa
blouse.
De son côté, l’ASI a publié en 2005 une
position éthique à ce sujet, intitulée:
«L’assistance au suicide ne fait pas partie de la mission des soins infirmiers»,
qui donne des informations claires sur le
rôle infirmier dans cette situation difficile (lire encadré).
La question des proches
Lorsqu’une personne décide qu’elle
veut mettre un terme à ses jours, elle
crée inévitablement auprès de ses
proches des réactions diverses, parfois
inattendues. «Les relations avec l’entourage du patient sont extrêmement importantes au moment où la demande
d’assistance est formulée» souligne
Gabriela Renaud, qui accompagne depuis de nombreuses années chez Exit les
personnes qui veulent partir (lire interview). «Il m’arrive d’accompagner pendant une longue période des personnes
qui ont décidé qu’elles feraient recours
à Exit le moment venu et de rencontrer
les membres de leur famille. Des liens
étroits se créent souvent, ce qui facilite
grandement les choses lorsque les derniers instants approchent».
Si ce temps d’écoute, de discussion, de
compréhension n’est pas pris, beaucoup
Soins infirmiers: Qu’est-ce qui
vous a amenée à devenir accompagnatrice pour les personnes qui
désirent mourir?
Gabriela Renaud: J’ai travaillé pendant
quelques années à la Ligue contre le
cancer. Durant cette période, j’ai côtoyé
des personnes qui allaient mourir dans
des conditions dramatiques, avec beaucoup de souffrance et de douleurs. Je me
suis dit que je ne voulais pas finir
comme ça et qu’il devait être possible
d’aider autrement les personnes qui ne
veulent plus vivre.
Comment vos interventions
sont-elles perçues par les familles,
le personnel, les institutions?
C’est très variable. Certaines familles
soutiennent leur proche en fin de vie,
pour d’autres c’est plus difficile. Chez
de malentendus peuvent survenir, qui
laisseront ensuite des marques. Culpabilité, amertume, déception restent souvent chez les enfants ou les proches de
ceux qui ont choisi de s’en aller. Cet aspect préoccupe particulièrement Michel
Pétermann, directeur de la Fondation
Rive-Neuve (établissement spécialisé
dans les soins palliatifs à Blonay VD), qui
est lui aussi confronté occasionnellement
à des demandes d’assistance au suicide.
«Nous sommes toujours à l’écoute des
demandes et besoins de nos patients.
Mais à Rive-Neuve, nous vivons dans
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gnatrice
du cœur et du temps»
les professionnels et dans les institutions aussi, les réactions sont partagées. Je vois dans le regard des gens que
je côtoie s’ils sont opposés. Mais en
prenant le temps nécessaire, les portes
s’ouvrent finalement.
Qu’est-ce qui difficile pour vous?
J’aurais envie de dire que tout est difficile: la rencontre avec des personnes qui
en ont assez de la vie, le contact avec les
familles et l’entourage, la confrontation
avec la souffrance, la douleur. Le regard
de la société aussi – il m’est arrivé de me
faire traiter d’assassin. Le manque de
respect de certains médecins face aux
défunts… Mais en même temps, c’est
beau d’aider les gens à finir leur vie
dans la sérénité et sans souffrir. Pour
moi, c’est devenu un combat de premier
plan.
Que répondez-vous à ceux qui
s’appuient sur la religion en disant
que «Dieu seul choisit l’heure de
notre mort»?
Je constate que les personnes qui font
appel à EXIT pour une assistance au suicide ne sont souvent plus croyantes. Les
aléas de l’existence ont eu raison de leur
foi. Mais pas toujours: je suis surprise
de voir qu’en Valais, où j’interviens régulièrement, les choses se passent de
manière très simple, alors que la religion
y occupe encore une grande place. Une
Valaisanne m’a dit un jour: «Dieu n’est
pas là pour juger», tout simplement. Il
est aussi arrivé que l’intervention se déroule en présence de M. le curé…
Quelle est votre relation avec les
médecins qui doivent donner leur
accord et prescrire la substance
létale?
Je vois que les choses évoluent clairement. Un changement s’opère chez les
médecins traitants, qui deviennent de
plus en plus coopérants. Mais un dialogue ouvert et approfondi est indispensable et on ne peut pas aller à l’encontre
des valeurs personnelles de chacun. Il
m’est arrivé une fois de me mettre vraiment en colère contre un médecin légiste qui a totalement manqué de respect
dans l’exercice de sa fonction. Ma colère a porté ses fruits, depuis, nos relations sont normales voire cordiales!
On reproche parfois aux accompagnants d’EXIT de ne pas être au
bénéfice d’une formation. Qu’en
pensez-vous?
C’est vrai que nous ne bénéficions pas
d’une formation au sens usuel du terme.
Nous nous formons auprès de ceux qui
ont de l’expérience. Accompagner quelqu’un dans ce moment si fort ne s’apprend pas dans un cours. Il faut avoir du
«Que voudrais-je pour ma propre personne,
si j’étais gravement malade ou que ma qualité
de vie était si mauvaise que chaque heure
supplémentaire devait me peser?»
une ‹communauté de soins›, dans laquelle patients, proches et équipes soignantes sont liés et solidaires. De plus, le
suicide assisté n’entre naturellement pas
dans notre conception de la fin de vie,
puisque l’objectif des soins palliatifs est
d’offrir le meilleur accompagnement
quelle que soit la situation de santé».
Gabriela Renaud
cœur et prendre le temps nécessaire. La
mort est quelque chose de tellement intime qu’on ne peut en parler de manière impersonnelle et théorique.
On oppose souvent soins palliatifs
et assistance au suicide. Ces deux
notions sont-elles contradictoires?
Non, elles sont complémentaires. Chacun doit avoir le droit de choisir ce qu’il
souhaite pour la dernière étape de sa
vie. Et la société doit pouvoir offrir ce
choix. De grands progrès ont été faits en
matière de soins palliatifs, mais lorsqu’une personne «n’en peut plus», elle
doit pouvoir s’en aller à l’heure choisie.
Pensez-vous que l’aide au suicide
va faire son chemin et être mieux
acceptée à l’avenir?
Oui, je le pense. En dix ans, je constate
déjà une évolution très nette, et le fait
que ce sujet soit débattu publiquement
fera avancer les choses. De plus en plus
de personnes considèrent que nous
avons de la chance, en Suisse, de pouvoir recourir au suicide assisté. Pour les
pays qui nous entourent, nous sommes
devenus une référence en la matière.
Offrir toutes les alternatives
Les soins palliatifs, oui, mais est-ce une
réelle alternative? Des progrès considérables ont été faits ces dernières années
pour offrir des soins palliatifs de qualité
à une majorité de personnes. Malheureusement, la demande dépasse de loin
l’offre et beaucoup de gens n’ont pas
accès à une qualité de prise en charge
comme celle que l’on trouve à Rive-Neuve. Michel Pétermann est néanmoins
convaincu que l’approche palliative est
la meilleure pour des gens qui ont perdu
tout espoir de guérir. «Ici, ce qu’on peut
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Témoignage
«Bon voyage, maman»
«Je ne sais pas si la vie m’avait préparée à cela. Mais je sais que le moment
venu, lorsque j’ai compris que ta demande était sérieuse et que tu comptais sur moi pour parvenir à tes fins,
je ne pourrais pas te dire non. Pourquoi d’ailleurs? Tu nous avais dit si
souvent la petite phrase: ‹de toute façon, lorsque je n’en pourrai plus, je
ferai appel à Exit›. Inconsciemment,
je m’attendais peut-être à ce que cela
se passe comme ça.
Ce jour est venu. C’était un jeudi matin. Nous avions fixé le rendez-vous
avec l’accompagnatrice pour neuf
heures. Les jours qui ont précédé ton
départ ont été difficiles: je disais à
mon entourage que ma mère allait décéder tel jour à telle heure, c’était
étrange. Je vivais avec un mélange
de tristesse, de résignation, et de
conscience que cela allait être une délivrance pour toi.
La veille, nous t’avons ramenée dans
l’appartement que tu occupais dans
cette résidence pour personnes âgées
où, depuis l’annonce de ta décision,
on nous regardait bizarrement. Pour
passer une dernière soirée en famille.
Une des plus belles que j’ai passées
avec toi ces dernières années. Nous
avons évoqué des souvenirs, ri, chanté, et tu as bu ton petit coup de rouge. Ta fille cadette t’a demandé si tu
étais sûre de vouloir mourir et tu as
dit, avec cette fermeté qui ne t’a jamais quittée: je suis heureuse d’être
là avec vous, mais demain je m’en
vais.
Le lendemain matin, lorsque je t’ai rejointe vers sept heures, tu étais en
train de te préparer, comme pour sor-
tir: bien coiffée, souriante tu m’as annoncé que tu avais passé une excellente nuit. Mais le temps se rétrécissait… Tes petites filles sont arrivées,
puis notre adorable accompagnatrice,
dans quelques instants, tu partirais
pour… je ne sais, en fait.
Jusqu’au dernier moment, tu as gardé ton sourire, ton humour même,
alors que nous autres étions toutes au
bord des larmes. ‹Santé, ma chérie›,
as-tu dit as l’aînée de tes petites-filles,
qui partageait avec toi une gorgée de porto, sensée masquer le
goût désagréable du pentobarbital. Tu as vidé le verre contenant cette boisson d’un trait,
avec assurance, tandis que nos
bras t’entouraient. Bon voyage,
maman, ai-je murmuré. Et tu as
dit: je me demande ce qui va
venir maintenant.
Puis le sommeil t’a emportée.
Pour toujours. C’était digne,
c’était serein.
Aujourd’hui, en écrivant ces lignes,
je ne puis m’empêcher de ressentir
cette mort que tu as choisie comme
un dernier cadeau. Tu ne voulais pas
mourir seule. Et tu as réussi. Comme
si souvent dans ta vie. Pour moi, qui
ai éprouvé bien des difficultés dans
nos relations mère-fille, cet adieu-là a
tout changé. Maintenant, quand je
pense à toi, je vois tout ce que tu as
laissé de positif. Et je revois ton sourire, comme sur cette photo, découverte dans un tiroir, et que je me permets de partager. Pour donner un
signe d’espoir. Parce que tu aimais la
vie, profondément. Et que la mort,
tout simplement, fait partie de la vie.
Bon voyage, maman.»
(bl)
vous offrir, c’est d’être vos proches» ditil à celles et ceux qui disent que rien ne
les retient sur cette terre. Face à l’individualisme croissant de notre société, il en
appelle à notre responsabilité politique,
sociale et individuelle lorsqu’il s’agit
d’entourer les personnes malades, âgées
et solitaires. «La seule chose que nous
apprend la mort est qu’il est urgent
d’aimer» ajoute-t-il en citant Eric-Emmanuel Schmitt. Une affirmation à laquelle
Gabriela Renaud répond «qu’offrir un accompagnement lors des derniers instants
avec respect pour le choix du patient,
c’est aussi une forme d’amour».
En fait, au stade actuel du débat sur l’assistance au suicide, la seule chose que
l’on puisse souhaiter, c’est que toutes
les alternatives possibles soient offertes
aux personnes, de plus en plus nombreuses, qui en arrivent un jour à dire:
cette vie n’a plus aucun sens pour moi,
laissez-moi partir.
Et pour soi?
Pour que ces réflexions aient vraiment
une cohérence, une dernière question
demande une réponse sincère et sans
ambiguïté. «Que voudrais-je moi-même,
pour ma propre personne, si un jour
j’étais atteint d’une maladie en phase
terminale ou que ma qualité de vie était
si mauvaise que chaque heure supplémentaire devait me peser»?
C’est la réponse à cette question qui
mettra chacun sur la voie de ce qu’il
peut faire, en son âme et conscience,
pour ceux que la vie a mis sur son chemin. Car devant la mort, nous sommes
tous égaux.
Liens
www.exit-geneve.ch
www.worldrtd.net
«Face à une demande claire d’assistance au
suicide, les réflexions philosophiques, éthiques
ou encore morales se perdent dans l’abstrait.»