La retraite des artisans et commerçants

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La retraite des artisans et commerçants
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
RETRAITES
La retraite des artisans et commerçants :
les infortunes de la spécificité
Les artisans d’une part, les industriels et commerçants d’autre part, eurent
de fortes réticences lorsqu’il fut question, après la Libération, de les
incorporer dans un système national de retraites par répartition ; ils obtinrent
la constitution de régimes catégoriels, dont la gestion leur incomba pour
une part importante. Alignés en 1973 sur l’assurance vieillesse du régime
général, leurs régimes de base, plombés par la démographie défavorable
de ces professions, sont incapables de subsister de manière autonome.
Mais les réformes ne sont pas faciles…
Une retraite dont la mise
en place fut difficile
L’ordonnance du 4 octobre 1945 marque
le point de départ de la Sécurité sociale,
qui prit la relève des Assurances sociales
à l’issue de la seconde guerre mondiale.
Elle créa un “régime général“ ayant
vocation à rassembler non seulement
tous les salariés du secteur privé, mais
aussi les professions indépendantes non
agricoles : professions libérales, artisans,
commerçants et industriels. Cependant
les membres de ces quatre catégories
d’indépendants n’étaient guère enclins
à participer au régime général. Ils redoutaient d’être assujettis à un organisme
gouverné par l’État et largement soumis
à l’influence des syndicats de salariés.
Leur résistance, et plus particulièrement la
très mauvaise rentrée des cotisations leur
incombant, porta ses fruits : Daniel Mayer,
ministre du travail et de la sécurité sociale,
fut confronté à des refus massifs de se
faire immatriculer et de verser les cotisations prévues par la loi. Il mit en place
une commission destinée à trouver une
solution acceptable pour ceux que l’on
Résumé de l’article
L e s a r t i s a n s e t c o m m e rç a n t s
obtinrent en 1948 que leurs retraites
par répartition ne soient pas gérées,
comme prévu en 1945, par le régime
général, mais par deux caisses spécifiques. La mauvaise démographie
de ces professions vient, après des
péripéties compliquées, dont la
création du régime social des indépendants (RSI) par fusion de leurs
caisses, de provoquer un retour à la
solution initiale : le RSI va être intégré
au régime général.
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appela ensuite les “non-non“ (non-salariés, non-agricoles), en faisant valoir une
considération qui revient régulièrement
dans les discours de ceux qui ne veulent
pas engager une réforme unifiant le système français de retraites par répartition :
« les besoins des différentes catégories
sociales, même sous l’angle de la vieillesse, ne sont pas toujours identiques. Et
il est légitime d’adapter la couverture de
chaque risque au but précis qu’il s’agit
d’atteindre » 1.
Ni les principaux intéressés, ni le gouvernement, ne semblent avoir alors vraiment
compris qu’un système de retraites par
répartition ne peut fonctionner correctement dans la longue durée que pour une
catégorie de population se renouvelant de
manière suffisante, puisque les pensions
promises doivent être financées par les
cotisations des futurs travailleurs de la
catégorie considérée 2. Un horizon temporel de court ou moyen terme fut le cadre
1. Association pour l’étude de la sécurité
sociale (1988), La Sécurité sociale – son
histoire à travers les textes, tome III, 1945 –
1981, Paris, 1988.
2. L’acquisition des droits à pension resta
liée au versement des cotisations vieillesse,
comme elle l’était très logiquement dans le
régime par capitalisation de 1930, alors qu’en
répartition, les cotisations immédiatement
reversées aux retraités, ne préparent plus les
futures pensions des cotisants. Cette bévue
économique, juridique et politique ne favorisa
évidemment pas l’attention portée au nombre
des futurs cotisants de chaque régime : « j’ai
cotisé, j’aurai droit à ma pension », tel fut
le sentiment général. Il persistait encore au
début des années 1970 quand Alfred Sauvy
essaya, sans grand succès, d’expliquer que
la fin du baby-boom obligerait deux ou trois
décennies plus tard à réduire la générosité
du système – ce que font depuis 1993 les lois
successives “portant réforme des retraites“.
// N°482 Décembre 2014 // Revue Française de Comptabilité
Par Jacques BICHOT,
Economiste,
Professeur émérite
à l’université Lyon 3
de ce débat qui aurait dû être centré sur le
très long terme. La loi du 17 janvier 1948
instaura ainsi quatre caisses autonomes,
une pour chacun des quatre groupes professionnels de travailleurs indépendants :
artisans, industriels et commerçants
(rassemblés ici sous la dénomination
“commerçants“), professions libérales,
agriculteurs.
L’Assemblée, en votant cette loi à l’unanimité, montra que le législateur était lui
aussi dominé par des considérations de
court terme. Pourtant, le Ministre regretta
« certains égoïsmes particuliers, égoïsmes
de catégories sociales qui ont ce résultat
que maintenant la loi n’est plus tellement
une loi de sécurité sociale ». Il vit aussi
que « la multiplication des caisses, des
organes de gestion, va accroître les
dépenses administratives dans des proportions sensibles ». Le porte-parole du
groupe communiste souligna pour sa part
le gros défaut du texte que son groupe
allait néanmoins voter : « les dispositions
qu’il contient sont telles qu’il ne saurait
avoir la viabilité que nous aurions souhaitée ». Ainsi fut instauré, avec des regrets,
faute de pouvoir résister à la pression de
catégories assez influentes de la population, un dispositif juridique et institutionnel
inapproprié pour le tout jeune système de
retraites par répartition.
La retraite des professions artisanales
et celle des professions industrielles et
commerciales furent confiées à une multiplicité d’organismes de base, chapeautés
par deux caisses nationales de compensation, la CANCAVA (Caisse autonome
nationale de compensation de l’assurance vieillesse artisanale) et l’ORGANIC
(Caisse de compensation de l’organisation autonome nationale de l’industrie et
du commerce). Les caisses de base, professionnelles ou interprofessionnelles, et
RETRAITES
les caisses de compensation nationales,
furent soumises selon la coutume à une
kyrielle de tutelles ministérielles. En 1967,
l’ordonnance du 23 septembre instaura
de plus une compensation entre les deux
caisses nationales. Ces régimes fonctionnèrent par points pour la composante
principale (dénommée “allocation proportionnelle“ pour les artisans, et “pension
d’assurance“ pour les commerçants). Des
allocations d’assistance et des régimes
complémentaires obligatoires complétaient le tableau. Cette organisation initiale fut profondément modifiée en 1973,
comme nous le verrons plus loin.
Difficultés
démographiques et
montée en puissance
Les régimes de travailleurs indépendants
ont connu des évolutions démographiques contrastées. Le nombre des
professionnels libéraux a augmenté, si
bien que leurs caisses (la CNAVPL pour
la retraite de base de toutes ces professions excepté les avocats, et la Caisse
nationale du barreau) ont un rapport très
supérieur à la moyenne entre le nombre
des cotisants et celui des salariés. En
revanche, le régime des exploitants agricoles ne doit sa survie qu’aux sommes
reçues d’autres régimes (au titre de la
compensation démographique), et de
l’État : on recensait 3,9 millions de travailleurs agricoles non-salariés en 1954,
il en restait 0,43 million en 2011, à peine
plus du dixième des effectifs de 1954 ;
c’est l’exemple même d’un régime qui
n’est pas viable.
En ce qui concerne les artisans et commerçants, la détérioration du “rapport
démographique“ (nombre de cotisants
sur nombre de pensionnés) a commencé
très tôt. Pour les premiers, ce rapport est
passé de 3,39 en 1960 à 1,93 en 1970
puis 1,31 en 1980. Pour les seconds,
2,58 en 1960 puis 1,47 en 1970 et 0,97
en 1980 3.
Les deux régimes de retraites de base
seraient donc lourdement déficitaires
en l’absence de transferts et de subventions : en 2013, le RSI-AVA (artisans)
avait 986 000 cotisants pour 915 000
bénéficiaires et disposait de cotisations
nettes s’élevant à 1,89 milliard d’euros
(Md€) face à 3,40 Md€ de prestations ;
il comblait la différence grâce à 0,85
Md€ de C3S (la contribution sociale
de solidarité des sociétés) plus 0,55
Md€ de compensation démographique
et quelques broutilles en provenance
du Trésor public et du FSV (Fonds de
solidarité vieillesse). Quant au RSI-AVIC
(commerçants), avec 1 099 000 cotisants
pour 1 191 000 bénéficiaires il percevait
1,98 Md€ de cotisations pour verser 3,89
Md€ de prestations, ce à quoi il parvenait
grâce principalement à 0,60 Md€ de C3S
et 1,14 Md€ de compensation démographique. Les représentants des artisans et
commerçants sont partis “la fleur au fusil“
au lendemain de la Libération, mais ils
n’ont pas laissé à leurs successeurs une
situation enviable.
La réforme de 1973 (“loi Royer“ du 3 juillet
1972) eut pour objet, comme l’indique son
article 1er, « d’établir un alignement des
régimes d’assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles et commerciales sur le régime général de la sécurité
sociale ». Elle a joué un rôle important
dans la montée en puissance de ces deux
régimes qui, avant cela, fonctionnaient
principalement par points et avaient des
objectifs plutôt modestes car, pour leurs
vieux jours, leurs adhérents comptaient
surtout sur leurs patrimoines. Prestations
et cotisations furent désormais calculées
par la CANCAVA et par l’ORGANIC selon
des règles se rapprochant de plus en
plus de celles en vigueur à la CNAVTS.
Cet alignement est désormais presque
complet 4, comme l’a constaté la Cour
des comptes dans son rapport Sécurité
sociale de septembre 2014. Et depuis la
loi Royer chaque réforme de la retraite du
régime général s’est appliquée également
aux retraites des artisans et commerçants,
à commencer par la “retraite à soixante
ans“ de 1982.
Appliquer à des régimes démographiquement sinistrés, les accroissements
de générosité dus à la loi Boulin du
31 décembre 1971 (taux plein passé
de 40 % à 50 % et multiplication des
exceptions permettant un départ à taux
plein avant 65 ans), puis aux ordonnances
de mars 1982 (taux plein accordé dès
60 ans sous réserve d’une durée d’assu-
rance suffisante, fréquemment acquise
par les sexagénaires de sexe masculin),
ne pouvait que porter les dépenses
de ces régimes bien au-delà de leurs
ressources. À la C3S créée par la loi du
3 janvier 1970 vint donc s’ajouter, pour
gonfler lesdites ressources, la compensation démographique instaurée par la
loi du 24 décembre 1974. Ce mécanisme
complexe, modifié depuis lors à diverses
reprises, ne peut pas donner complète
satisfaction, comme l’ont montré divers
rapports, notamment celui du Conseil
d’orientation des retraites 5, mais il serait
très difficile de s’en passer. La création,
peu après la Libération, de régimes théoriquement autonomes mais dépourvus de
la capacité à l’être économiquement, a
contribué à la complexification excessive
de la sécurité sociale.
Les origines du RSI
La mise en place du Régime Social
des Indépendants (RSI) fut réalisée par
ordonnance du 31 mars 2005. Le RSI
regroupa non seulement les régimes
d’assurance vieillesse des artisans et
des commerçants, mais aussi les régimes
d’assurance maladie de ces mêmes catégories et celui des professions libérales.
La CNRSI (Caisse nationale du RSI) se
substitua à la CANAM (Caisse nationale
d’assurance maladie pour les non-salariés non-agricoles) pour ce qui est de la
maladie, et aux caisses de retraite des
artisans (CANCAVA) et des commerçants
(ORGANIC). Elle joue le rôle d’une tête
de réseau pour 28 caisses régionales
qui assurent le contact avec les assurés
sociaux : service des prestations et recouvrement des cotisations.
La mise en place du nouveau dispositif fut
laborieuse. Elle constitue, selon les termes
de la Cour des comptes, « une réforme de
simplification administrative mal construite
et mal mise en œuvre » 6. Les artisans et
3 .J. J. Dupeyroux, Droit de la sécurité
sociale, 9e édition, 1984.
4. La seule différence notable qui subsiste
par rapport au régime général concerne
la couverture sociale des conjoints
collaborateurs (ceux qui ne sont ni salariés,
ni associés), dont il reste environ 47 000 :
la couverture maladie et maternité leur est
accordée à titre d’ayant droit, comme s’ils
étaient “au foyer“, et leurs cotisations et
prestations vieillesse restent spécifiques.
5. Dixième rapport du COR : “Retraites :
la rénovation des mécanismes de
compensation“, octobre 2011.
6. Rapport Sécurité sociale de septembre
2012, chapitre VII intitulé “Le régime social
des indépendants et l’interlocuteur social
unique“. La citation reprend le titre de la
première section de ce chapitre.
Abstract
Handicraftsmen and tradesmen
preferred that their pay-as-you-go
pensions were managed by two
independent pension funds and not
by the general scheme; they got this
arrangement at 1948. Afterwards,
and with a lot of difficulties, these two
funds joined together at 2006 to compose the RSI (independent workers
social scheme). But the professional
demography of these independent
workers is bad: so RSI is now going
to join the general scheme.
Revue Française de Comptabilité // N°482 Décembre 2014 //
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Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
RETRAITES
commerçants payaient aux URSSAF les
contributions et cotisations n’ouvrant
pas de droits spécifiques (CSG, CRDS et
cotisations destinées à la branche famille) ;
les cotisations ouvrant des droits pour la
retraite et la maladie étaient, quant à elles,
versées aux différents organismes débiteurs des prestations vieillesse et maladie.
Ces organismes étaient multiples : caisses
régionales vieillesse affiliées aux réseaux
CANCAVA et ORGANIC ; mutuelles et
sociétés d’assurance intervenant pour le
compte de la CANAM en ce qui concerne
la prise en charge des soins. « Au total,
les artisans et les commerçants devaient
s’adresser à trois ou quatre guichets »,
constate la Cour.
L’intention louable de leur simplifier la tâche
tout en leur laissant une liberté de choix
déboucha sur le lancement d’un concept
dit “Interlocuteur social unique“ (ISU). Il
s’agissait de permettre à chaque travailleur
indépendant de choisir l’organisme auquel
il verserait toutes ses cotisations. Il y aurait
donc eu pluralité d’organismes, mis en
quelque sorte en concurrence, et unicité
pour l’assuré social, une fois son choix
effectué. L’idée était intéressante ; la mise
en œuvre fut rocambolesque. Le projet ISU
germa en 2002 « dans le cadre d’un vaste
chantier de simplification administrative »,
ancêtre du “choc de simplification“ actuel.
Mais, comme l’écrit la Cour, « cette perspective de libre choix portant initialement
sur le seul recouvrement des cotisations
a abouti finalement à la fusion des trois
grandes caisses concernées et de leurs
réseaux au sein du RSI et à l’instauration
d’un interlocuteur social unique sans libre
choix des assurés, l’ISU ».
Comment en est-on arrivé là ? Les Présidents
de la CANCAVA, de l’ORGANIC et de la
CANAM prirent position d’un commun
accord contre le libre choix de l’organisme
auquel verser les cotisations : cela aurait
provoqué, selon eux, « une mise en concurrence des régimes sociaux légaux contraire à
l’esprit du service public ». Ils voulaient qu’un
seul organisme fût chargé de tout encaisser.
Oui, mais lequel ? La CANCAVA voulait que
ce soit l’URSSAF, l’ORGANIC souhaitait
conserver sa fonction de recouvrement, et
la CANAM était divisée sur la question. C’est
dans ce contexte que les pouvoirs publics
optèrent en faveur du RSI, d’un interlocuteur
unique sans libre choix pour le recouvrement des cotisations et contributions, et du
recours aux ordonnances pour mettre en
œuvre ce programme.
La difficultueuse mise
en place du système
RSI / ISU
La Cour des comptes intitule le chapitre
XVI de son rapport annuel sécurité
42
sociale 2014 : « Les retraites des artisans
et des commerçants : une soutenabilité
menacée, un poids croissant pour la
collectivité nationale ». Son investigation
porte non seulement sur les régimes de
base (toujours distincts), mais aussi sur le
régime complémentaire, unifié depuis le
1er janvier 2013. Elle complète et confirme
le rapport sécurité sociale 2012 qui fournit
moult exemples de défaillances dans la
mise en œuvre de la réforme RSI / ISU.
Il apparait que l’on s’est lancé tête baissée
dans une entreprise délicate, en adoptant
un calendrier de réforme dont la faisabilité
n’avait pas été étudiée sérieusement. La
Cour note par exemple en 2012 : « L’enjeu
majeur du retour d’informations des
URSSAF vers le RSI sur le paiement des
cotisations, qui conditionne l’ouverture
des droits en matière d’indemnités journalières et de pensions, n’a été identifié
qu’en septembre 2006 et n’a toujours
pas trouvé de solution satisfaisante à la
mi-2012 ». Les problèmes informatiques
posés par la nécessaire interconnexion
de systèmes disparates ont été à la fois
majeurs et initialement sous-estimés.
Ainsi le basculement récent de l’ancien
système de la CANCAVA vers celui de
l’ORGANIC n’était-il pas encore digéré
au moment de passer à l’étape suivante.
Quant aux querelles entre chefs, la Cour
en dresse un tableau saisissant à propos
du traitement de graves pertes de données provoquées par un basculement de
fichiers : « Au lieu de chercher à résoudre
ces difficultés techniques, le RSI et
l’ACOSS se sont opposés pendant deux
ans, dans des logiques institutionnelles,
sur le choix du système informatique sur
lequel allait s’appuyer l’ISU, l’ACOSS
cherchant à faire prévaloir son logiciel
SNV2, le RSI son logiciel SCR ».
Le point d’orgue de cette gabegie fut
probablement la décision de brûler les
vaisseaux, prise fin 2007. Concrètement,
« le 28 novembre 2007, les fichiers des
URSSAF ont été écrasés par les fichiers
du RSI sans expérimentation préalable,
sans phase de test, ni retour en arrière
possible », peut-on lire page 209 du rapport Sécurité sociale 2012. Il en est résulté
en 2008 ce que la Cour a nommé « une
catastrophe industrielle pesant sur toutes
les fonctions du RSI, avec des conséquences sur le régime général », laquelle
catastrophe a provoqué « un choc de
très grande ampleur aux conséquences
durables pour les assurés ». Blocage du
logiciel SNV2 de l’ACOSS rendant la gestion des comptes impossible durant trois
semaines, erreurs dans les émissions de
cotisations (en 2008 elles auraient affecté
10 % des émissions effectuées), encaissements non pris en compte ainsi que des
affiliations et radiations, les malfaçons se
// N°482 Décembre 2014 // Revue Française de Comptabilité
multiplièrent. Les retards aussi, car il fallut
effectuer manuellement les liquidations et
affiliations pour lesquelles l’informatique
déclarait forfait. Ainsi « 20 000 dossiers
d’immatriculation du début de l’année
2008 n’ont pu être pris en compte que
plus de deux ans après, à l’automne
2010 ». Le pourcentage de liquidations
dans les soixante jours de droits propres à
une pension de retraite est tombé à 70 %
en 2010 contre plus de 90 % en 2007,
etc… Le Médiateur de la République fut
tellement submergé de saisines au sujet
de ces dysfonctionnements qu’il leur
consacra un numéro complet de sa revue
au printemps 2010.
Il est vrai que certaines défaillances préexistaient. La Cour explique notamment
que « l’existence de comptes incomplets
d’assurés, vice caché de l’ancien système
de recouvrement, a été révélé à l’occasion
de la fusion des fichiers de cotisants ».
Mais le traitement de ce problème
concernant environ 100 000 assurés
sociaux a traîné en longueur : « Bien que
cette situation ait été identifiée et même
quantifiée à l’été 2007, elle n’a pas été
traitée avant la fusion des fichiers. Elle a
très sérieusement perturbé l’activité de
recouvrement et le fonctionnement du RSI
jusqu’au début de l’année 2012 ».
L’intégration du RSI
au régime général
La loi de finances rectificative du 8 août
2014 signifie probablement la fin du
feuilleton en ce qui concerne la retraite
de base des artisans et commerçants. En
effet, cette loi programme la disparition
de la C3S en trois étapes : relèvement de
l’abattement d’assiette en 2015, accentuation de cet abattement en 2016, puis
suppression de la C3S en 2017. En outre,
le produit de la C3S cessera d’être versé
au RSI à compter de 2015 : ce régime
sera alors “adossé“ au régime général, qui
percevra une fraction de la C3S et versera
au RSI un transfert d’équilibrage. La Cour
considère cela comme « une intégration
financière complète du RSI au régime
général », car « l’équilibre des régimes
vieillesse du RSI sera assuré par une
dotation d’équilibre de la CNAV ». Et elle
constate que « cette intégration reporte
sur le régime général la difficulté du financement du déficit structurel des régimes
de base des commerçants et artisans ».
Les lois de finances et de financement de
la sécurité sociale pour 2015 doivent en
principe compenser l’impact négatif que
cette mesure aura sur les comptes de la
CNAV, mais sait-on jamais ? Quoi qu’il en
soit, la mise en œuvre de l’ordonnance
du 4 octobre 1945 (le même régime pour
tous les Français) progresse, fut-ce à
petits pas.
RETRAITES
Conclusion : les systèmes
d’information, clé de
l’évolution des retraites
par répartition
Dans un Rapport de suivi de la mise
en œuvre de l’ISU de décembre 2009,
l’IGAS (Inspection générale des affaires
sociales), constatant que les stocks de
dossiers en attente ne se résorbaient pas,
déclara : « une part non négligeable des
dysfonctionnements persistera tant que
l’architecture des systèmes d’information
sur lesquels repose l’ISU ne sera pas totalement transformée ». Cette faiblesse dans
la conception et la mise en œuvre des
systèmes d’information n’est pas unique
dans l’administration française puisque
le logiciel de paie Louvois utilisé par les
forces armées françaises depuis 2011 ne
se comporte pas mieux (« trous dans la
fiche de paie ou trop perçus concernent
toujours la moitié des 190 000 soldats de
l’armée de terre », indiquait Le Monde
du 1 er février 2014). Rappelons que la
création de ce logiciel, destiné à rempla-
cer la quinzaine de logiciels de paie en
usage dans les différentes composantes
de nos armées, a été décidée en 1996
(Les Echos du 27 novembre 2013) : on
constate que le remplacement par un seul
de plusieurs logiciels, chacun utilisé par
une entité différente, est une opération
lourde et délicate.
Si un jour la France se décide à fusionner
ses trois douzaines de régimes de retraite
par répartition, opération qui présenterait
bien des avantages 7, c’est une difficulté
7. Voir A. Bozio et T. Piketty, Pour un nouveau
système de retraite, éditions rue d’Ulm,
2008 ; ainsi que A. Robinet et J. Bichot, La
mort de l’État providence, Les Belles Lettres,
2013.
8. C. Albert et V. Poubelle, “Les systèmes
d’information dans le domaine de la retraite :
évolutions“, CNAV, étude n° 2013 – 078 –
DSPR, 11 octobre 2013.
avec laquelle il faudra sérieusement
compter. Fort heureusement, la mise en
place déjà bien avancée du répertoire
EIRR (échanges inter-régimes de retraite)
devrait permettre de disposer prochainement dans un même fichier de toutes les
informations nécessaires pour le calcul
des droits à pension de tous les assurés
sociaux. Ce système d’information est
déjà « alimenté par tous les régimes, de
base et complémentaires, pour les assurés de 55 ans et plus » 8 ; cela semble
montrer que les ratages ne sont pas une
fatalité.
Bibliographie
• Conseil d’orientation des retraites, Retraites : la
rénovation des mécanismes de compensation,
dixième rapport du COR, octobre 2011.
• Cour des comptes, La sécurité sociale, rapports de
septembre 2012 (en particulier le chapitre XVI) et de
septembre 2014 (en particulier le chapitre VII).
PRÉVOYANCE ET RETRAITE SUPPLÉMENTAIRE : ASPECTS SOCIAUX ET FISCAUX
Le thème de la prévoyance et de la retraite est l’une des problématiques majeures de
l’actualité sociale car de nouvelles règles s’appliquent à compter du 1er juillet 2014 et la
plupart des dispositifs existants doivent être revus pour une mise en conformité.
Sans oublier l’impact de la loi de sécurisation de l’emploi sur l’obligation d’avoir une
complémentaire santé dans toutes les entreprises…
Il faut notamment vérifier si le caractère collectif et obligatoire du régime, si les obligations de
l’entrepreneur vis-à-vis du salarié sont respectés, à défaut le passif social est très important.
Cet ouvrage présente sous forme de fiches, avec de nombreux exemples et modèles à l’appui
: les modalités de mise en place et de modification des régimes, l’obligation d’information
des salariés par l’employeur, la portabilité de la prévoyance, le régime social et fiscal, etc.
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Revue Française de Comptabilité // N°482 Décembre 2014 //
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