La paix à portée de main - CNCD
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La paix à portée de main - CNCD
Nord-Sud Colombie, ;PDVFDUROÀLFNU La paix à portée de main ? La guérilla des FARC et le gouvernement colombien négocient depuis octobre 2012 XQHSDL[Gp¿QLWLYH&HGLDORJXHWUqVFDGUpHWWRWDOHPHQWVHFUHWDGpMjFRXFKpVXU SDSLHUOHVFLQTVXMHWVjWUDQFKHUHWHQJUDQJpXQDFFRUGVXUOHSUHPLHUSRLQW,OUHVWHj ERXFOHUOHUHVWHHWUDSLGHPHQWFDUOHWHPSVMRXHFRQWUHOHVQpJRFLDWLRQV «L a Colombie n’a jamais aussi près d’un accord de paix, lance Ariel Fernando Ávila, jeune coordinateur de l’Observatoire des conflits armés, basé à Bogotá, la capitale colombienne. Le gouvernement et la guérilla des FARC se rencontrent secrètement depuis un an et, selon mes informations, les parties sont proches d’un accord. » Si les négociations qui se tiennent actuellement à Cuba aboutissaient, elles mettraient un terme à 50 ans d’une guerre civile qui a opposé l’armée régulière colombienne, trois mouvements de guérilla, des gangs de narcotrafiquants et diverses milices privées, faisant près d’un million de morts et quatre millions de déplacés. Pourquoi la Colombie peut-elle aujourd’hui rêver à la paix, alors que les trois tentatives précédentes (1982, 1990 et 1999) ont échoué ? « Parce que les différents acteurs du conflit se sont profondément transformés, précise Ariel Fernando Ávila. Narcotrafiquants, guérillas et milices privées ont perdu une part de leur force de frappe. Quant aux autorités colombiennes, elles ont abandonné l’espoir d’une victoire militaire. » La fiQVDQV¿QGHVSDUDPLOLWDLUHV Voyons les narcotrafiquants d’abord. Les 160 000 hectares de coca, autrefois exploités par les puissants cartels de Medellín et de Cali, ont aujourd’hui été réduits au tiers de leur surface. L’apparition de nouveaux producteurs au Pérou et en Bolivie a de surcroît fait baisser le prix de la coca, poussant nombre de trafiquants colombiens à se reconvertir dans l’exploitation minière, source de plantureux revenus et blanchisseuse de l’argent de la drogue. « Ces transformations ont démantelé les grands cartels qui se sont réorganisés en réseaux très décentralisés, composés de petites structures franchisées qui drainent encore beaucoup d’argent, mais plus assez pour entretenir de grandes armées privées. » 34 [imagine 98] juillet & août 2013 Les paramilitaires ensuite, ces milices privées à la solde de grands propriétaires terriens, de politiciens, parfois de narcotrafiquants ou même d’organisations paysannes, ont perdu beaucoup de leur force depuis la démobilisation de 31 000 miliciens en 2006. « La fin des paramilitaires ne signifie pas la fin des problèmes, nuance Ariel Ávila. Certains miliciens se regroupent dans de nouvelles structures qui sont désormais présentes dans un tiers des municipalités de Colombie. Mais on n’assiste plus à des massacres à grande échelle comme dans le temps. On a l’impression que le conflit a baissé en intensité. Cependant on a encore déploré, l’année dernière, 14 000 homicides. » Restent enfin les guérillas et l’armée régulière. Toutes ont abandonné l’idée de gagner la guerre par les armes. L’ELN (Armée de libération nationale), forte de mille à deux mille hommes actifs dans le sud du pays, dans les régions minières et pétrolières, refuse toujours de négocier, mais si les rencontres de La Havane devaient aboutir, l’organisation serait acculée à assouplir sa position. Quant aux FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), la première guérilla en importance qui contrôlait, au début des années 2000, 60 % du pays et était, selon certains analystes, sur le point de prendre le pouvoir à Bogotá, elles sortent affaiblies de la guerre totale que lui a déclarée l’ancien président colombien Alvaro Uribe. Mais elles n’ont pas été éliminées, loin de là. « Les FARC ont simplement été éloignées des villes, poursuit notre interlocuteur. Il y a avait sept fronts autour de Bogotá en 2002, aujourd’hui il n’en reste plus aucun, ce qui donne un faux sentiment de tranquillité. » Expulsée de ses positions, la guérilla a déclenché une guerre mobile qui est rapidement montée en intensité, passant de 2 000 actions violentes en 2002 à 2 300 l’année dernière. « On n’assiste plus à de grosses opérations coup de poing qui mobilisent des centaines de guérilleros pour prendre une ville, mais à de petites actions d’unités tactiques d’une dizaine de combattants, qui se livrent essentiellement à des sabotages. La guérilla compte encore Une gigantesque manifestation a mobilisé 2 millions de personnes en Colombie, en février 2008, dont comme ici, 500 000 à Medellin. Ce fut la première mobilisation colombienne de grande ampleur pour dire non aux violences de la guerre civile. Signe de la complexité de la situation colombienne, des syndicats, une partie de la gauche colombienne et des familles des otages n’ont pas soutenu cette manifestation qui s’élevait contre les seules violences des guérillas. A l’inverse, des dirigeants de groupes paramilitaires ont souhaité, depuis leur prison, rejoindre la manifestation, alors que les paramilitaires sont tenus pour responsables des deux tiers des homicides qui endeuillent le pays. 11 000 combattants sur 79 fronts, principalement concentrés dans le sud du pays. » Enfin, l’opinion publique et l’armée colombienne ont changé, secouées par le pic de violence qu’a engendré la guerre totale lancée, finalement en vain, par Alvaro Uribe, qui a présidé le pays de 2002 à 2010. Mais écœurées aussi par les scandales politicofinanciers qui ont traversé le pays. L’incroyable scandale « de la parapolitique » a particulièrement marqué les esprits. La révélation des liens entre certains politiciens et les milices paramilitaires, de loin la première force belligérante du conflit, responsable des deux tiers des homicides qui endeuillent la Colombie, a conduit la justice à mettre en examen pas moins du quart des députés du Congrès, et à placer la moitié d’entre eux en prison. Aussi l’arrivée, en août 2010, d’un homme neuf à la présidence, Manuel Santos, a-t-elle permis de penser la paix autrement, notamment sur la base de négociations avec une guérilla toujours en activité, une option qu’avait toujours refusée son prédécesseur. 3D\VDQVHWFLWDGLQV De La Havane, les négociateurs, strictement encadrés par des diplomates venus du Chili, de Norvège et du Venezuela, pourraient donc un jour annoncer une bonne nouvelle. A condition qu’ils ne tardent pas trop à conclure la paix. Or après s’être accordés sur les cinq points de leur feuille de route, les parties ont mis plus de six mois pour s’accorder sur le premier point, l’accès à la terre. « Le temps risque de jouer contre eux, reprend Ariel Ávila. L’année prochaine, le président Manuel Santos devra affronter des élections présidentielles dont l’issue dépend largement de l’attitude des deux tiers de la population colombienne qui vit en ville. Or les citadins ne sont pas véritablement affectés par les combats. Ils n’ont jamais vu la guerre, cultivent à son propos de nombreux préjugés et se montrent plutôt réservés par rapport aux négociations de La Havane. La cote de popularité de Manuel Santos a déjà baissé de 80 % en début de mandat à 60 % aujourd’hui. Il serait en difficulté s’il devait entrer en campagne les mains vides sur le plan des négociations. » En vérité, ce sont surtout les 10 % de paysans marginalisés qui subissent les bombardements, voient leurs terres minées et leurs enfants enrôlés dans les forces combattantes. Mais ces paysans ne votent pas, les élections se jouent ailleurs. En ville, les classes moyennes instruites soutiennent les négociations mais, dans la bataille d’opinion, feront-elles le poids face à l’hostilité des grands propriétaires fonciers, ces 3 % de la population qui mobilisent les énormes moyens dont ils disposent pour paralyser les négociations, lesquelles, si elles aboutissaient, réduiraient sérieusement leurs privilèges ? 8QHIRUPHG¶LPSXQLWp En mai dernier, Ingrid Betancourt, l’otage emblématique des FARC, est sortie de son mutisme pour affirmer à la télévision qu’elle croyait au processus de paix. Si celui-ci se concrétise, les Colombiens devront, comme celle qui fut détenue de 2002 à 2008 dans la jungle, apprendre à pardonner. « Il faudra abandonner certaines charges qui pèsent sur les leaders des FARC accusés de violation des droits de l’homme, conclut Ariel Ávila. C’est une forme d’impunité, je le sais, mais il en faudra une certaine dose. On a pardonné au franquisme en Espagne, à l’armée en Argentine, on le fera ici. » Q Jean-François Pollet /HWRPEHDXGHVV\QGLFDOLVWHV« HWGHVHQVHLJQDQWV U QV\QGLFDOLVWHHVWDVVDVVLQpHQPR\HQQHWRXVOHVWURLV MRXUVHQ&RORPELHHWOHVPLOLWDQWVOHVSOXVVRXYHQWYLVpV DSSDUWLHQQHQWjOD)(&2'(ODIpGpUDWLRQFRORPELHQQHGHV pGXFDWHXUV2XLrWUHHQVHLJQDQWHQ&RORPELHHVWXQPpWLHU jULVTXH0DVVLYHPHQWV\QGLTXpVLOVRQWIDLWGHOHXURUJDQLVDWLRQ ODSOXVSXLVVDQWHGXSD\VUHSUpVHQWpHDX3DUOHPHQWSDUGHX[ VpQDWHXUVHWODUJHPHQWFRQQHFWpHjODVRFLpWpFLYLOHLQWHUQDWLRQDOH TX¶HOOHDOLPHQWHGHQRPEUHXVHVGpQRQFLDWLRQV&DUOHVSURIVVRQW pJDOHPHQWELHQLQIRUPpVGHODVLWXDWLRQLQWHUQH« Dans la société colombienne, ils sont ceux qui relient les urbains et les lointains ruraux, SUpFLVH$ULHOÈYLOD Ils vont et viennent au gré de leurs nominations. Au retour, ils racontent leur vie au village. Quand une information dénonce les activités des paramilitaires, ceux-ci se disent qu’elle vient d’un professeur, ce qui les pousse à la répression. » 'HSOXVGDQVOHVFDPSDJQHVUDYDJpHVSDUODYLROHQFHOHVHQVHLJQDQWV LQFDUQHQWO¶XOWLPHUHSUpVHQWDWLRQGHO¶(WDWHWUHVWHQWOHVGHUQLHUVDYHF OHVSUrWUHVjDQLPHUXQHPEU\RQGHYLHVRFLDOH&HOHDGHUVKLSDSRXU HIIHWGHOHVH[SRVHUDX[UHSUpVDLOOHVGHVPRXYHPHQWVFODQGHVWLQV« PDLV pJDOHPHQW GH O¶(WDW TXL OHXU UHSURFKH GH WURS ELHQ FRPSUHQGUH FHTXLVHSDVVHGDQVODWrWHG¶XQSD\VDQOHTXHOVHWUDQVIRUPHSDUIRLV HQJXpULOOHUR.Q /HVFLQTMDORQVGHODSDL[ L HVFLQTSRLQWVGLVFXWpVDFWXHOOHPHQWj/D+DYDQHV\QWKpWLVHQW DQQpHVG¶XQFRQÀLWTXLGLYLVHODVRFLpWpFRORPELHQQH 1. L’accès des paysans à la terreUHSUpVHQWHODUHYHQGLFDWLRQ KLVWRULTXHGHV)$5&TXLGpIHQGHQWXQHDJULFXOWXUHSD\VDQQH FRQWUHOHPRGqOHGXJRXYHUQHPHQWFRORPELHQSRUWpVXUOHVJUDQGHV PRQRFXOWXUHVGHVRMDRXGHSDOPH 2. La conversion de la guérilla en parti politiqueVRXOqYHOD TXHVWLRQGHODVpFXULWpGHVIXWXUVPLOLWDQWVGLVVpPLQpVGDQVOHV SURYLQFHVUHFXOpHVTXLGHYURQWDIIURQWHUOHVLQWLPLGDWLRQVGHVPLOLFHV SULYpHVDSUqVV¶rWUHYRORQWDLUHPHQWGpVDUPpV 3. La « justice et vérité »GRLWIDLUHODOXPLqUHVXUOHVYLROHQFHVGHOD JXHUUHHWJDUDQWLUXQWUDLWHPHQWGLIIpUHQFLpGHVFULPHVFRPPLVSDUOD JXpULOODHWOHVSDUDPLOLWDLUHV 4. L’indemnisation des victimes et déplacésTXDWUHPLOOLRQVGH UXUDX[TXLRQWWRXWSHUGXGRQWXQJUDQGQRPEUHGHSHWLWVSD\VDQVTXL QHSRVVpGDLHQWSDVGHWLWUHRI¿FLHOGHSURSULpWpHVWUHQGXHG¶DXWDQW SOXVGpOLFDWHTXHOHVFLQTPLOOLRQVG¶KHFWDUHVGHWHUUHVDEDQGRQQpHV SDUOHVGpSODFpVRQWpWpFRQ¿VTXpVSDUOHVJUDQGVSURSULpWDLUHV IRQFLHUVTXLOHVRQWPLVHQH[SORLWDWLRQRXUHYHQGXVjGHV¿UPHV WUDQVQDWLRQDOHV (WHQ¿QOHUqJOHPHQWGXQDUFRWUD¿FGRLWRUJDQLVHUGHVFXOWXUHV GH VXEVWLWXWLRQ HW UHVWLWXHU OHV URXWHV GH VRUWLH GH OD GURJXH HQFRUH FRQWU{OpHVSDUOHV)$5&Q [imagine 98] juillet & août 2013 35