Revue Trimestrielle de Jurisprudence du Conseil de la concurrence

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Revue Trimestrielle de Jurisprudence du Conseil de la concurrence
Décision n°2003-C/C-97 du 4 décembre 2003
Affaire CONC-C/C-03/0054 : Cargill France SAS / OCG Cacao SA
Vu la notification de concentration déposée au secrétariat du Conseil de la concurrence en date du 16
octobre 2003 ;
Vu le rapport et le dossier d'instruction établi par le corps des rapporteurs ;
Entendu à l'audience du 4 décembre 2003 :
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Monsieur Patrick Marchand, rapporteur.
Monsieur Filip Buggenhout, représentant du Groupe Cargill, accompagné de Maîtres Mischaël
Modrikamen, Ariella Woitchik et Silvia Barpellon pour les parties notifiantes.
1. En cause
1.1. Acquéreur
Cargill France SAS est une société filiale du groupe Cargill Incorporated, société soumise aux lois de
l'Etat de Delaware (Etats-Unis).
Les activités du groupe Cargill concernent entre autres le processus de transformation du cacao aux
Etats-Unis, au Brésil, en Côte d'Ivoire et aux Pays-Bas. En Europe, ses activités se concentrent sur la
production et la fourniture de masse de cacao, de beurre de cacao et de poudre de cacao. Aux EtatsUnis, la société produit également de la masse de cacao et fabrique et vend du chocolat.
1.2. Vendeurs
Les vendeurs sont les personnes physiques et les sociétés actionnaires de OCG Cacao s.a.
1.3. Société cible
OCG Cacao S.A. (ci-après OCG) est une société de droit français active dans la production et la
commercialisation du chocolat et des produits issus du cacao.
OCG possède une usine de transformation du cacao à Grand Quevilly, Rouen, France (construite en
1997/98) qui produit également du chocolat. Elle a par ailleurs des unités de production de chocolat en
Belgique (à Anvers, un site de production acquis auprès de Nestlé en 1998 et à Mouscron, une usine
mise en service en 2003) et en Grande-Bretagne (à Nottingham, en activité depuis 2000). OCG a
également des bureaux de vente en Allemagne et aux Etats-Unis.
2. Description de l’opération
L'opération consiste en l'acquisition par Cargill France SAS de 100% du capital social d'OCG.
Le 16 septembre 2003, les parties ont signé une convention de cession d'actions.
3. Délais
La notification a été effectuée le 16 octobre 2003, le délai visé à l’article 33 de la loi prend par
conséquent cours le 17 octobre 2003 et la décision du Conseil de la concurrence prise en application
de l’article 33, § 2 de la loi doit être rendue pour le 05 décembre 2003 au plus tard.
4. Champ d’application
Les sociétés précitées sont des entreprises au sens de l’article 1er de la loi et l’opération notifiée est
une opération de concentration au sens de l’article 9 de la loi.
Considérant les chiffres d'affaires respectifs des parties, les seuils définis à l’article 11 de la loi sont
atteints.
5. Marchés concernés
5.1. Secteur économique concerné
Le secteur économique concerné est celui de l'industrie du chocolat (code NACE 15.84). En se basant
sur le rapport lié à l’affaire CONC-C/C-02/32 Barry Callebaut AG / Stollwerck AG et sur la
notification relative à cette opération, on peut décrire le processus de fabrication du chocolat comme
comportant cinq phases.
1. Les fèves de cacao sont nettoyées et séchées.
2. Les fèves sont ensuite décortiquées, torréfiées puis broyées afin d'obtenir la masse de cacao. Cette
étape est essentielle dans le processus de fabrication puisque c'est au cours de cette phase que le goût
du produit fini est déterminé.
3. La masse de cacao est soumise à un procédé de pressage qui sépare la matière grasse et les
composants solides de la masse. La matière grasse forme ce qu’on appelle le "beurre de cacao" tandis
que la partie solide donne après blutage (broyage) la poudre de cacao. Le beurre de cacao est vendu
comme ingrédient pour la production de chocolat tandis que la poudre de cacao est vendue
principalement comme ingrédient pour ses propriétés naturelles de coloration et d’aromatisation. Elle
est utilisée en boulangerie, pâtisserie, dans les petits déjeuners, les glaces, etc.
4. Le chocolat en tant que produit intermédiaire est obtenu en mélangeant à la masse de cacao et/ou au
beurre de cacao du sucre et d’autres ingrédients, comme le lait en poudre. La quantité exacte de
chaque ingrédient utilisé dépend de la recette suivie. La masse, le sucre et parfois le lait sont mélangés
et raffinés. Le mélange est ensuite affiné et mélangé avec du beurre de cacao pendant plusieurs heures
afin d’obtenir les caractéristiques souhaitées. Le beurre de cacao peut être remplacé dans une certaine
mesure par d’autres graisses végétales, en fonction de la législation applicable à la composition du
chocolat. Le produit est ensuite soit livré en liquide soit mis en forme solide comme les blocs, les
bâtons boulanger, les gouttes, etc.
5. Le chocolat en tant que produit intermédiaire (ou chocolat de couverture) est utilisé pour la
confection de produits de consommation finale à base de chocolat tels que les barres et tablettes,
confiserie, pâtisserie,...
Selon les parties, Cargill est essentiellement actif dans les phases 2 et 3 du processus de fabrication. Il
est très peu présent sur la phase 4 où il est actif à travers l’entreprise Fennema acquise par Cargill en
1986. OCG estime se concentrer essentiellement sur la phase 4 même s’il dit être également actif sur
les trois premières phases, principalement pour sa propre consommation. Notons enfin que, selon les
parties, Cargill, et dans une moindre mesure OCG, produisent également de la "pâte à glacer", à savoir
différents types de nappage à base de cacao qui comportent des graisses autres que le beurre de cacao
(de telle sorte qu’ils ne peuvent être vendus sous l’appellation chocolat).
Les marchés retenus sont donc la masse de cacao, le beurre de cacao, la poudre de cacao et le chocolat
en tant que produit intermédiaire (chocolat de couverture).
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5.2. Marchés de produits concernés
5.2.1. Le marché non-captif de la masse de cacao
Cargill est actif sur le marché non-captif de la masse de cacao tandis que OCG ne vend pas la masse
de cacao qu’il produit mis à part quelques ventes ponctuelles.
5.2.2. Le marché non-captif du beurre de cacao
Cargill est actif sur le marché non-captif du beurre de cacao tandis que OCG ne vend pas le beurre de
cacao qu’il produit mis à part quelques ventes ponctuelles.
5.2.3. Le marché non-captif de la poudre de cacao
Cargill et OCG sont actifs sur le marché non-captif de la poudre de cacao au niveau européen (mais
pas en Belgique pour ce qui concerne OCG en 2002).
Dans le rapport lié à l’affaire Barry Callebaut AG / Stollwerck AG, il est mentionné que la poudre de
cacao intervient dans la production du chocolat de couverture. Toutefois, selon les parties, la poudre
de cacao n’intervient pas dans la fabrication du chocolat, ce qui est confirmé par la plupart des
concurrents.
5.2.4. Le marché non-captif du chocolat en tant que produit intermédiaire
OCG est présent sur le marché non-captif du chocolat en tant que produit intermédiaire tandis que
Cargill est quasiment absent du marché du chocolat. Sa seule activité sur ce marché relève de
Fennema, acquise par Cargill en 1986, activité qui produit de petits volumes de chocolat.
5.3. Marché géographique concerné
Cargill considère que les marchés de produits semi-finis à base de cacao sont ceux pour lesquels la
concurrence a lieu à un niveau global.
Selon les parties, les différences de prix entre le beurre de cacao ou la masse de cacao d’un pays à
l’autre tendent à être faibles et sont, pour une large part, attribuables à la qualité et à la nature de la
première transformation (par exemple, si le beurre de cacao a été désodorisé ou non). Les coûts de
transport seraient relativement faibles et il n’y aurait pas de barrières douanières significatives en
Europe ou à partir des pays exportateurs africains.
Certains concurrents confirment la dimension géographique proposée par les parties, tandis que
d'autres estiment que les marchés de la masse et du beurre de cacao sont de dimension européenne.
La question de la définition du marché peut rester ouverte, l'analyse concurrentielle aboutissant aux
mêmes conclusions quel que soit le marché retenu.
6. Analyse concurrentielle
6.1. Préambule
Contrairement à la plupart des intervenants majeurs sur le marché de la transformation du cacao en
Europe, Cargill déclare ne pas être verticalement intégré dans la production du chocolat pour une part
significative. Ses seules activités de transformation en aval consisteraient en la production de "pâte à
glacer" via son usine aux Pays-Bas et à la production d’une petite quantité de chocolat à travers son
entreprise Fennema. Quant à OCG, il dit être principalement actif sur le marché du chocolat en tant
que produit intermédiaire.
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Pour rappel, dans sa décision du 9 juillet 2002 dans l’affaire Barry Callebaut AG / Stollwerck AG, le
Conseil a établi que Barry Callebaut dispose d’une position dominante sur le marché de chocolat de
couverture en Belgique.
Concernant les entrées récentes sur le territoire belge, les parties signalent uniquement l’acquisition
par OCG en 1998 d’une usine de production de chocolat située à Anvers et appartenant précédemment
à Nestlé.
6.2. Le marché non-captif de la masse de cacao et le marché non-captif du beurre
de cacao
6.2.1. Les barrières à l'entrée
L'instruction a démontré l'absence de barrières significatives à l'entrée sur le marché.
6.2.2. Evolution du marché
Selon les parties, la récolte mondiale de cacao a augmenté significativement au cours des 20 dernières
années, passant de 1.734.000 tonnes en 1981/1982 à 2.850.000 tonnes en 2001/2002. Les parties
estiment que la production de cacao devrait continuer à s’accroître dans le futur ainsi que la
consommation mondiale de produits chocolatés, ce qui devrait assurer une augmentation continue de
la demande de produits semi-finis à base de cacao.
6.2.3. Pouvoir de négociation de la demande
Les clients pour la masse et le beurre de cacao sont les producteurs de chocolat, qui produisent soit des
produits de consommation finale, soit des produits semi-finis (chocolat en tant que produit
intermédiaire).
Ces clients, de par leur taille, disposent d'un important pouvoir de négociation.
6.3. Appréciation
La présente concentration ne risque pas de poser de problèmes sur les marchés verticaux concernés
pour les raisons suivantes.
1) Même si Cargill devenait le fournisseur exclusif de OCG après la concentration, cela ne causerait
pas de problème d’approvisionnement, la plupart des personnes interrogées affirmant pouvoir changer
facilement de fournisseur de masse ou de beurre de cacao. Les producteurs de chocolat (et les autres
clients) pourront toujours s’approvisionner chez ADM, ou auprès d’autres producteurs ou importateurs
comme Shokinag, Hosta, Dutch Cocoa et Unicom. Les parties précisent que ADM n’est pas
verticalement intégré dans la production de chocolat, suite à la fermeture de ses deux usines de
production de chocolat en 2000.
2) La concentration envisagée aboutit à un renforcement de la concurrence vis-à-vis de BarryCallebaut sur le marché belge du chocolat ;
Le fait qu'OCG soit désormais intégré verticalement dans un groupe puissant lui permettra de
renforcer sa position sur le marché belge par rapport au leader incontesté qu’est Barry-Callebaut
notamment sur le marché du chocolat de couverture.
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Par ces Motifs,
Le Conseil de la concurrence
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constate que la concentration en cause tombe dans le champ d'application de la loi ;
estime qu'elle n'aura pas pour effet l'acquisition ou le renforcement d'une position dominante qui entrave de
manière significative une concurrence effective sur les marchés belges concernés ou sur une partie
substantielle de ceux-ci ;
la déclare admissible, conformément aux articles 33 § 1er et 33 § 2, 1.a de la loi.
Ainsi décidé le 4 décembre 2003 par la chambre du Conseil de la concurrence constituée de Madame
Marie-Claude Grégoire, président de chambre, de Madame Anne Junion et de Messieurs Eric Balate et
Roger Ramaekers, membres.
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