PROSTITUTION : 5 PROPOSITIONS POUR L`ÉMANCIPATION

Transcription

PROSTITUTION : 5 PROPOSITIONS POUR L`ÉMANCIPATION
PROSTITUTION : 5
PROPOSITIONS POUR
L’ÉMANCIPATION
Nous sommes socialistes et nous avons à
cœur de promouvoir une législation qui
émancipe, qui garantit le libre arbitre et
protège l’intégrité physique et morale de
chacun.
Contribution Thématique présentée par :
Denis Quinqueton
LES PREMIERS SIGNATAIRES:
Stéphane Bribard, section de Paris 10e, conseiller délégué du 10e arrondissement
(75) • Denis Quinqueton, section de Paris 19e - Jean Jaurès (75) • • •
LES SIGNATAIRES:
• • • Julien Bargeton, adjoint à la maire de Paris, section Paris 20e • Romain Blachier,
adjoint au maire du 7e arrondissement, section de Lyon 7e (69) • Constance
Blanchard, membre du Conseil national, conseillère municipale et communautaire,
section d'Accueil (94) • Gilles Bon-Maury, section de Paris 11e - Léon Blum (75) •
Amandine Barioz-Planche, responsable de la communication de la section de Lyon
3e (69) • Arthur Colin, section de Paris 9e (75) • Philippe De Visscher, section de
Noisy-le-sec (93) • Myriam Elyassa, secrétaire fédérale, conseillère municipale
déléguée et d'agglomération, section de Besançon (25) • Gildas Gautier, section de
Paris 10e (75) • Thomas Gautier-Doussau, section de Paris 10e • Maxime Lapierre,
membre du bureau de section, conseiller municipal, section d'Arpajon (91) • Lennie
Nicollet, section de Montreuil (93) • Cyril Marcant, secrétaire-adjoint de section,
section de Paris 4e (75) • Stéphane Martinet, adjoint au maire du 11e arrondissement
chargé de la prévention, de la sécurité et de la médiation, section de Paris 11e Léon Blum (75) • Dominique Mennesson, section de Maison-Alfort (94) • Nicolas
Vervliet, membre du Bureau fédéral, section de Lyon 1er - 4e (69) •
TEXTE DE LA CONTRIBUTION
Emancipation. Le mot n’est pas choisi au hasard. Outre qu’il véhicule une notion au
coeur des combats de la gauche et des socialistes depuis plus d’un siècle, il suppose
la participation active de l’intéressé. Or, il est frappant, dans l’appréhension politique
de la prostitution, de la surdité assez largement répandue à l’égard des paroles des
personnes prostituées. Nous sommes socialistes et nous ambitionnons d’agir sur la
réalité. Nous sommes socialistes et nous ambitionnons de changer l’avenir. Nous
sommes socialistes et nous voulons que la loi émancipe.
•••
Nous sommes socialistes et nous ambitionnons d’agir sur la réalité. La réalité,
aujourd’hui encore, c’est un cadre légal incohérent et des modalités d’applications
imprécises qui enferment les personnes prostitué-e-s dans une situation de déni de
droit. Déni qui laisse libre court à tous les abus, à toutes les exploitations, à de trop
nombreux trafics, à d’immondes filières de traites et qui dresse d’innombrables
obstacles aux politiques de prévention de la transmission du VIH-Sida et des autres
IST. Effarant état des lieux, ou plutôt état de la situation actuelle de femmes,
d’hommes et de transexuel-le-s prostitués dans notre pays.
Des réalités très diverses composent le paysage de la prostitution en France
aujourd’hui. Quand on parle de prostitution on évoque le plus souvent la prostitution
de rue, mais il existe aussi des pratiques prostitutionnelles plus discrètes. Celles qui
se passent dans les appartements, les salons de massage, les boites de nuit ou les
bars, celles qui ont lieu dans des foyers de migrants, les cités, sont plus ou moins
connues. Sans compter le rôle des médias comme Internet, le téléphone portable ou
les réseaux sociaux pour une mise en contact facilitée et décuplée.
Dans la prostitution on rencontre aussi bien des femmes, des hommes, des
transexuel-le-s, de tous les milieux sociaux et de toutes origines. De l’escorte
occasionnelle à la personne qui en fait son activité journalière, il y a toute une palette
de situations dans laquelle on trouve notamment : des étudiantes, des migrantes,
des femmes au foyer qui arrondissent leur fin de mois, des prostituées
“traditionnelles” exerçant depuis des dizaines d’années, des hommes - homosexuels
ou non - ayant une clientèle tant féminine que masculine, des femmes qui travaillent
dans le commerce du porno, des personnes trans exclues du marché de l’emploi du
fait de leur apparence… Et la liste est loin d’être exhaustive !
Dans cette grande variété de pratiques la prostitution, certaines personnes sont
contraintes par des moyens physiques ou psychologiques, tandis que d’autres
exercent en toute autonomie. Selon les trajectoires de vie, on peut passer d’une
entière liberté à la plus grande dépendance, ou l’inverse. Une personne migrante qui
est entrée en France dans la prostitution par le biais d’un réseau peut en être libérée
une fois sa dette remboursée, alors qu’une personne française et indépendante peut
se faire racketter par quelqu’un qui lui propose une place, une protection, réelles ou
supposées, contre de l’argent.
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Nous sommes socialistes et nous ambitionnons de changer l’avenir. Nous croyons
que le mieux est de ne pas laisser la réflexion s’embrumer de l’écume de l’actualité.
Nous avons jadis dénoncé, avec raison, la méthode sarkozyste du « un fait divers =
une loi ». Si nous l’avons dénoncée, c’est parce que nous savons bien qu’un fait
divers, triste, tragique ou cruel, est un fait, pas une étude anthropologique de la
réalité d’une société. Ne reprenons pas la méthode sarkozyste en nous fondant sur
d’autres faits divers, ceux qui serviraient nos certitudes et une approche morale de la
prostitution bien commode pour s’épargner une réalité complexe à traiter.
Chacun constate aujourd’hui que la répression du racolage n’a produit aucun effet
satisfaisant. La situation des prostitué(e)s de rue s’est considérablement dégradée,
multipliant les arrestations et des placements en détention ou en rétention
administrative des personnes prostituées. Cela ne change rien pour autant à leur
présence souvent décriée par des habitants de quartiers populaires : elles reviennent
toujours, plus fragilisées, plus précaires, et sans meilleure acceptation des voisins.
Souvent, certaines personnes ont dû se cacher encore plus pour exercer leur
activité, quitter des villes pour aller vers des territoires périphériques plus dangereux,
changer de région et parfois de pays. Parfois même, les lieux d’activité sont multipliés
pour une même personne, à Paris et en province, selon la demande et les facilités
de transport. Cette situation les a rendus encore plus vulnérables et fragiles,
particulièrement face aux violences venant de clients, de délinquants, de proxénètes
ou de policiers. Plusieurs rapports ont témoigné de cette situation, comme le rapport
de la commission « Citoyens - Justice - Police » de la Ligue des Droits de l’Homme :
« De nouvelles zones de non droit, des prostituées face à l’arbitraire policier »
(1). Dès son rapport de 2006, l’Observatoire National de la Délinquance (2) notait qu’il
n’y avait aucun progrès notable dans la lutte contre le proxénétisme et les réseaux.
Le Conseil National du Sida a rappelé que l’application de la loi a nuit à l’accès aux
droits, aux soins et à la prévention du VIH et des Infections Sexuellement
Transmissibles (IST). Enfin, l’application de la LSI a également eu pour effet de
compliquer l’activité des associations qui soutiennent les personnes prostituées dans
l’exercice de leurs droits et dans leur accès aux soins.
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Nous sommes socialistes et nous voulons que la loi émancipe. L’échec des exemples
internationaux d’abolition de la prostitution via la pénalisation des clients sont
probants. A propos de la Suède, par exemple, plusieurs études universitaires (3)
dénoncent l’hypocrisie d’une telle mesure, et montrent que, si la prostitution de rue a
diminué d’un tiers, voire de moitié, celle qui se pratique sur Internet ou dans des
salons s’est généralisée. Ces études montrent également que les réseaux n’ont en
rien été découragés, quand on apprend, par exemple, qu’ils font désormais travailler
les femmes sur les ferries qui longent les côtes scandinaves. La prostitution n’a pas
disparu ou diminué : elle s’est transformée et s’est adaptée en se cachant. La
commission mondiale sur le VIH et le droit du Programme des Nations-Unies pour le
Développement (PNUD) a publié un rapport intitulé « Risques, droits et santé » (4).
De nombreuses pages y sont consacrées à la question de la prostitution. Elles
confirment et renforcent les conclusions de ces études : les politiques répressives
menées par de nombreux pays, y compris ce modèle suédois de pénalisation du
client, font le jeu de l’épidémie de VIH et mettent en danger les personnes
prostituées. Selon la police elle-même, le commerce sexuel en Suède est resté au
niveau de ce qu’il était avant la promulgation de la loi, mais une moitié est devenue
clandestine. Ces services de police judiciaire suédoise « s’inquiètent particulièrement
de l’arrivée dans la profession de femmes étrangères, souvent entièrement
contrôlées par des proxénètes ». Au lieu d’avoir combattu la traite, la loi suédoise l’a
favorisée.
Dans son avis rendu le 22 mai 2014 après s’être autosaisie (5) de la proposition de
loi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme regrette, tout d’abord,
que « la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains [soient]
principalement considérées sous l'angle de la prostitution et des violences faites aux
femmes ». « Mêlant les questions de traite des êtres humains en général,
d'exploitation de la prostitution et de celle-ci en tant que telle, elle considère la
prostitution comme un phénomène homogène » poursuite la CNCDH. Pourtant,
observe-t-elle, « le phénomène prostitutionnel est hétérogène et de surcroît
particulièrement difficile à appréhender. Il couvre un ensemble large de pratiques
sociales, dont on ne connaît ni l’étendue ni les limites exactes ni la diversité ». Elle
rappelle, enfin, que « l’interdiction d’achat d’un acte sexuel et la pénalisation des
clients de la prostitution n’est pas une mesure appropriée pour lutter contre la traite
et l’exploitation de la prostitution. »
La commission spéciale de Sénat sur la proposition de loi « renforçant la lutte contre
le système prostitutionnel », présidée par notre camarade Jean-Pierre Godefroy et
dont la rapporteure est notre camarade Michèle Meunier n’est pas plus ambiguë. On
peut lire dans son rapport(6) d’octobre 2013 que, « soucieuse de ne pas accroître la
précarité sanitaire et sociale des personnes prostituées, la commission spéciale a
confirmé l'abrogation du délit de racolage et s'est prononcée contre la pénalisation
des clients » estimant « qu'il existait un risque réel que l'incrimination des clients ne
place les personnes prostituées dans un isolement plus grand et, par conséquent,
dans des conditions plus dangereuses, tout en ne contribuant pas de manière
significative à la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains et de
proxénétisme, qui doit rester une priorité pour les forces de l'ordre et pour la
justice. » La commission a, par ailleurs, adopté les dispositions visant à améliorer
l'accompagnement des personnes prostituées et à faciliter leur sortie de la
prostitution ainsi qu'à renforcer la lutte contre la traite des êtres humains et le
proxénétisme. Enfin, la commission a renforcé le volet de lutte contre la traite,
notamment en élargissant la compétence des inspecteurs du travail au constat des
infractions de traite des êtres humains, ce qui constitue la première traduction
législative du plan d'action national de lutte contre la traite présenté par le
Gouvernement.
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Nous sommes socialistes et nous proposons :
• De veiller et d’inciter au respect des personnes prostituées et à leur
« empowerment ». Elles ne sont pas toujours victimes, ce ne sont pas des
délinquantes ou des irresponsables. Elles doivent pouvoir être écoutées et prises en
compte, notamment lorsque ces personnes s’organisent en collectif ou association.
L’empowerment concerne aussi les prostitu(é)s ! C’est une étape importante de
l’émancipation que de prendre place dans la société. « Ce que tu fais pour moi, sans
moi, tu le fais contre moi » (7)…
• D’améliorer la connaissance pour mieux débattre et décider. On manque de
connaissance et de savoirs sur la prostitution et son évolution, ses nouvelles formes,
notamment celles qui sont les moins visibles, et sur les personnes qui la pratiquent
(migrants, trans, hommes). La recherche doit donc être encouragée afin d’améliorer
les programmes de prévention, d’accès aux soins, aux droits et à la réinsertion pour
les personnes qui le souhaitent. En complément, et comme le propose le Conseil
national du Sida (6), un travail de synthèse des actions des associations et des
constats qu’elles dressent de la situation dans leur champ de compétence doit être
réalisé. D’une manière générale, la promotion de ces recherches et leur visibilité
doivent être encouragées : colloques, conférences, rencontres entre partenaires
professionnels, groupes de travail interdisciplinaire, etc. Au grand jour et en pleine
conscience, on prend de meilleures décisions.
• De développer des programmes de prévention innovants et adaptés. Nous devons
réaffirmer le rôle et les moyens de fonctionnement des associations. Il faut
développer et soutenir des programmes de prévention santé et de soutien social des
associations qui interviennent auprès de toutes les personnes prostituées :
prostitué(e)s de rue, escort(e)s, personnes travaillant en intérieur, mais aussi
populations fragiles et discriminées comme les prostituées migrantes, jeunes
majeur(e)s, personnes transgenres. Il apparait aussi nécessaire d’encourager les
programmes de prévention innovants pour toucher les personnes qui choisissent
comme lieux d’intervention l’Internet, le numérique, les journaux d’annonces gratuites,
les lieux fermés,… Il faut aussi développer les places d’hébergement et les dispositifs
de sortie de la prostitution pour ceux et celles qui souhaitent changer d’activité.
L’insertion sociale et professionnelle est une clé majeure pour changer la donne.
• D’informer, notamment les les migrantes, pour rendre les droits effectifs et le choix
réel. Parce que les personnes migrantes peuvent cumuler les facteurs de fragilité, il
est nécessaire de rendre accessible et de les informer des services qui leur sont
dédiés. Il s’agit par exemple de les prévenir de l’existence des dispositifs de soins et
d’accès aux droits comme l’Aide Médicale d’Etat (AME) et la Couverture Médicale
Universelle (CMU). En effet, les difficultés d’attribution de l’AME, de la CMU ou de
l’obtention d’un statut du fait de la reconnaissance d’une Affection de Longue Durée
(ALD) sont dues pour une part à un manque de connaissance de ces dispositifs, et
d’autre part à un accès trop complexe à ces derniers, du fait des procédures ou de la
situation de la personne. Le fait, par exemple, d’avoir un logement précaire peut
constituer un frein pour l’obtention d’une AME, mais aussi pour accepter une
hospitalisation dans la mesure où la personne peut craindre de perdre son
hébergement en hôtel à la sortie de l’hôpital. Les associations interviennent très
souvent dans l’urgence avec des moyens de plus en plus réduits. Dans ce contexte,
la médiation culturelle et les services de proximité sont indispensables. C’est l’un des
points majeurs soulevés par le colloque de l’association Charonne en novembre
2011 (8), élément d’ailleurs partagé avec d’autres acteurs liés aux problématiques de
précarité ou de toxicomanie par exemple.
• De renforcer la lutte contre la traite, l’exploitation et le proxénétisme. Ce qu’il faut
combattre, c’est l’exploitation par la contrainte de la prostitution d’autrui, tant par des
moyens physiques que psychologiques. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire
de renforcer les réseaux d’accompagnement des personnes victimes de la traite et
de la contrainte, de leur donner des titres de séjour dès le dépôt de la plainte,
d’encourager les personnes à déposer en tant que témoins, de renforcer le dispositif
de mise en sécurité. Il est inimaginable et faux de considérer la sortie d’un réseau de
traite de personnes humaines comme un effet d’aubaine en vue de l’obtention d’un
titre de séjour. La lutte contre ces trafics relève de la police et de la justice, mais pas
seulement. Une meilleure collaboration entre les services chargés de la répression du
proxénétisme, de la traite, de l’exploitation et les différentes associations travaillant
avec les prostitué(e)s est indispensable pour accompagner, à toutes les étapes du
processus, une personne qui souhaite mettre fin à son exploitation. Sans compter le
nécessaire renforcement des effectifs et des moyens des services comme la BRP
pour être à la hauteur des enjeux posés par des réseaux internationaux souvent très
organisés et puissants. C’est aussi le travail des associations agissant dans ce
domaine qu’il faut soutenir, en renforçant les dispositifs de protection des victimes :
foyers sécurisés, moyens pour l’accompagnement des personnes,… Des lois existent
pour défendre les victimes de la traite et condamner les souteneurs, il s’agit de les
appliquer et de s’en donner les moyens. La lutte contre les trafics d’êtres humains
est une œuvre de longue haleine qui doit être réaffirmée et renforcée.
•••
Réformer la société humaine n’est pas une promenade de santé. Cela nécessite de
la connaissance, de la réflexion, de l’écoute, des débats. Parce que nous sommes
réformistes, nous savons qu’il y a, dans chaque pas que nous franchissons, « autant
de terre promise que de terrain gagné », pour reprendre les mots de Victor Hugo.
C’est précisément le sens de cette contribution, porteuse de propositions
pragmatiques et qui appelle au débat, au partage des connaissances, pour,
effectivement, atténuer les souffrances humaines et rendre à chacune et à chacun la
maîtrise et la responsabilité de son existence. Ce que l’on perdra en confort spirituel,
on le gagnera en progrès réellement partagé. Ne nous trompons pas de révoltes. Ce
qui est choquant, ce qui n’est pas admissible sur le territoire d’une République
comme la nôtre, ce n’est pas d’échanger une relation sexuelle contre de l’argent,
c’est d’y être contraint et d’être abandonné face à cette contrainte. Nous sommes
socialistes et nous devons avoir à cœur de promouvoir, sur cette question aussi, une
législation qui émancipe, qui garantit le libre arbitre et protège l’intégrité physique et
morale de chacun.
Contacter les auteurs de la
contribution :
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