Quartiers en vacances - Ministère de la Ville

Transcription

Quartiers en vacances - Ministère de la Ville
É
e t
t
u
d
e
s
r e c h e r c h e s
Quartiers
en vacances
Des Opérations
Prévention Été
à Ville Vie Vacances
1982-2002
Sous la direction de
Didier Lapeyronnie
Les éditions de la DIV
Quartiers en vacances
Quartiers en Vacances
PRÉFACE
Les concepteurs du dispositif né dans l’urgence au lendemain des
rodéos de voitures qui animaient les soirées chaudes du quartier des
Minguettes, dans la banlieue lyonnaise au début des années quatre-vingt,
sont très vraisemblablement étonnés de son succès et de sa longévité.
Effectivement conçues à l’origine pour être extrêmement limitées dans le
temps et l’espace, ces « Opérations anti été chaud » avaient pour premiers
objectifs d’éloigner les jeunes les plus turbulents des cités et, donc, de ramener le calme.
Mais ces événements de 1981 ayant, semblait-il, largement démontré les
limites de la prévention de la délinquance dans ses formes classiques, ces
actions nouvelles sont devenues très rapidement une pratique originale de
prévention ciblant des publics qui ne faisaient pas partie de la clientèle habituelle des intervenants sociaux. L’originalité tenait aussi à la valorisation de
ces mêmes publics lorsqu’ils participaient à ces « opérations ».
Au début sans objectif précis, il s’agissait de « faire quelque chose » mais
également d’expérimenter, et donc d’innover, de nouvelles approches de la
prévention en dehors des cadres traditionnels ; mobiliser de nouveaux partenaires et « décloisonner » les pratiques institutionnelles furent les méthodes
employées. Il ne s’agissait pas de déposséder les professionnels de leurs
publics ou de nier leur compétence mais de les mobiliser autrement, d’accepter l’implication d’autres acteurs, de sortir de la routine et d'y introduire plus
de souplesse et de réactivité. Les collectivités locales furent alors amenées à
jouer un rôle primordial.
Les « Opérations anti été chaud », puis les « Opérations Prévention Été »
ont été, parmi d’autres dispositifs, précurseurs en matière de politique de la
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ville et, tout naturellement, la Délégation Interministérielle à la Ville fut chargée d’en assurer le suivi et l’animation. Aujourd’hui, vingt ans après les
débuts largement décrits dans cet ouvrage, Ville-Vie-Vacances est étendue à
l’ensemble des périodes de vacances et tous les départements sont éligibles.
Plus de 800 000 jeunes sont touchés annuellement, près de 15 000 projets soutenus, et au total 29 000 encadrants mobilisés. Bref le succès semble acquis…
Pourtant, de façon récurrente et paradoxale, le dispositif est interrogé
tant par ses défenseurs que par ses détracteurs, qui sont souvent les mêmes,
sur ses objectifs et son bilan. Il nous a semblé que ce vingtième anniversaire
était l’occasion de confier un travail de réflexion au-delà du traditionnel bilan
annuel, à une équipe de chercheurs. Didier Lapeyronnie, sociologue à
l’Université de Bordeaux 2, et son équipe ont réalisé cette étude.
Ce sont ces travaux traitant de la place des élus dans le dispositif, de la
nature des relations entre travail social et procédures exceptionnelles, des
publics accueillis, du rôle et de la place des associations, de sa capacité d’innovation et d’influence sur les pratiques, qui vous sont proposés dans cet
ouvrage.
Par cette démarche, j’ai souhaité marquer une étape dans l’évolution des
opérations VVV, afin de s’assurer de la pertinence de ses orientations voire
d’envisager les infléchissements qu’il convient de proposer à la réflexion de
nos partenaires et des opérateurs.
Claude BREVAN
Déléguée Interministérielle à la Ville
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Cette étude a été réalisée grâce
à la tenue de plusieurs séminaires
réunissant l’équipe de chercheurs
et de consultants, Jean DELLES,
chargé de mission, et le département
Citoyenneté Prévention Sécurité
de la délégation interministérielle
à la Ville.
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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION :
Ville, Vie, Vacances, un bilan général
Par Didier LAPEYRONNIE
.......................................................
page 9 à 34
PREMIÈRE PARTIE :
Vingt ans d’évolutions et de permanences d’un dispositif
Chapitre I
OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Par Louis DUBOUCHET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 39 à 74
Chapitre II
La construction d’une politique publique
Par Francis BAILLEAU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 75 à 104
Chapitre III
Les difficiles relations du politique et du technique
Par Guy JULLIARD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 105 à 126
DEUXIÈME PARTIE :
Acteurs et publics locaux
Chapitre I
Les difficiles relations entre les acteurs
Par Maurice BLANC et Jean-Yves CAUSER
...................................
page 129 à 148
Chapitre II
Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe-et-Moselle
Par Marie-Christine CORDEBAR et Marie-Claude GERARDIN . . . . . . . . . . . . . . page 149 à 164
Chapitre III
Des jeunes face à VVV
Par MARWAN Mohammed et Laurent MUCCHIELLI
........................
page 165 à 184
Témoignage
Des opérations Été à Ville, Vie, Vacances
Par Philippe CASTANIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 185 à 201
Annexes
Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 205 à 215
Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 216 à 217
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Quartiers en Vacances
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INTRODUCTION
Ville, Vie, Vacances, bilan général
Par Didier LAPEYRONNIE,
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Quartiers en Vacances
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
PRÉSENTATION
L
e programme Ville, Vie, Vacances, a eu vingt ans en 2002. C’est en effet en 1982 qu’ont
eu lieu les premières opérations Été-jeunes ou qu’a été mis en place le premier plan Antiété-chaud sous l’impulsion conjointe des ministères des Affaires sociales et de l’Intérieur.
Onze départements avaient été concernés. Il s’agissait d’éviter la répétition de l’été
chaud de 1981 marqué par les émeutes et les rodéos notamment dans le quartier des
Minguettes à Vénissieux. Conçue à l’origine pour être extrêmement limitée dans le
temps et dans l’espace, cette opération se donnait pour but d’éloigner les jeunes les plus
turbulents des cités afin d’y maintenir le calme et, en même temps, d’effectuer une action
de prévention originale, strictement ciblée et valorisante pour des publics réputés ne pas
faire partie de la clientèle habituelle des travailleurs sociaux. Dans l’esprit des promoteurs de ces actions, les émeutes de 1981 avaient largement démontré la faillite de la prévention de la délinquance dans ses formes classiques. Il s’agissait donc aussi d’expérimenter d’autres solutions et d’impliquer d’autres acteurs que les professionnels attitrés
et, peut-être surtout, de faire éclater les frontières institutionnelles afin de décloisonner
l’action pour la renouveler. De ce point de vue, il était clair que les collectivités territoriales devaient jouer un rôle important dans ces opérations. Leur implication financière
et matérielle était d’ailleurs fortement désirée et sollicitée.
Les opérations été n’avaient pas été pensées pour être pérennisées. La première
année, elles avaient d’ailleurs été improvisées dans l’urgence et sans objectif très clair. Il
s’agissait de « faire quelque chose ». Par la suite, elles devaient s’inscrire dans un projet
plus vaste de politique de la ville et de renouvellement des politiques de prévention qu’a
bien traduit la mise en place de dispositifs nouveaux comme le Développement social
des Quartiers, les Commissions locales de lutte contre la délinquance et, enfin, les
Missions locales et autres PAIO destinées à lutter contre le chômage des jeunes. Au-delà
du simple objectif d’obtenir le calme dans les quartiers, les opérations-été devaient être
un moment d’expérimentation et d’innovation, hors de toute routine bureaucratique, ne
devant durer que quelques années. Il s’agissait de faire une sorte de « coup » fortement
visible et à la limite du spectaculaire. La médiatisation de certaines actions était plutôt
encouragée. Le but était de montrer à l’opinion publique que les problèmes de prévention et d’insécurité étaient réellement pris en charge mais aussi de bouleverser par ce
détour les territoires et les habitudes acquises. Par définition, un « coup » ne pouvait pas
se répéter indéfiniment sans que son impact ne s’émousse rapidement. C’est aussi pour
cela que ces opérations ont été soumises à évaluation dès la première année. Il fallait tirer
des enseignements rapides de l’expérience afin de les transférer éventuellement dans
des dispositifs pérennes.
D’emblée, les opérations-été ont suscité un certain nombre de résistances notamment de la part d’équipes de travail social fortement hostiles à ce qu’elles vivaient
comme une promotion de l’amateurisme, une négation de leurs compétences et la
dépossession d’un quasi-monopole professionnel au profit d’actions militantes et spectaculaires qu’elles jugeaient peu efficaces sur le long terme, voire contre-productives.
Mais ces réactions ont été mises au crédit des opérations-été dans la mesure où elles fai-
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Quartiers en Vacances
saient apparaître de nouveaux acteurs et surtout impliquaient les acteurs habituels des
politiques sociales d’une autre manière. Cette particularité s’est traduite par deux évolutions importantes du dispositif dans ses premières années. Nombre d’actions ont été suscitées par son existence même, notamment au niveau local, le dispositif ayant un effet de
halo. Par ailleurs, très vite, il est apparu comme un lieu d’opportunité financière et a rallié les plus réticents. D’autres réactions hostiles et plus problématiques sont venues des
villes de vacances. Dès sa première année, un certain nombre de difficultés et d’incidents
ont marqué les séjours. Beaucoup y ont vu un simple transfert des conduites délinquantes et des incivilités. Ce problème récurrent a conduit à la mise en place de dispositifs
d’accueils locaux. En définitive, malgré quelques réserves, assez rapidement, le bilan est
apparu très positif. Certes, tous les objectifs n’étaient pas atteints et une certaine routine
se mettait en place, observable dès la deuxième ou la troisième année. Dans nombre
d’endroits, les opérations-été revenaient dans le giron des acteurs et des pratiques classiques de la prévention et perdaient une part de leur force novatrice. Mais, après tout, en
voulant s’appuyer sur les acteurs, elles incluaient, dès le départ, la probabilité d’une telle
évolution. Néanmoins, elles continuaient de représenter une opportunité à la disposition
des acteurs, utilisable ou non, une ouverture pour l’expérimentation et elles restent une
des principales innovations de la politique de prévention depuis vingt ans.
Malgré leur aspect initial de « coup », les opérations été, un temps appelées « plan
anti-été-chaud », puis OPE (Opérations prévention été), aujourd’hui opérations VVV,
Ville Vie Vacances, se sont inscrites fortement dans le paysage de la prévention de la
délinquance et de la politique de la ville. Elles ont pris une ampleur sans commune
mesure avec le « bricolage » et l’impulsion du début. Elles se sont étendues géographiquement : onze départements en 1982, 14 en 1984, 24 en 1989, 39 en 1993 et 91 en 1997,
l’ensemble du territoire national à partir de 2000, même si l’implication départementale
est très variable. Elles ont largement élargi leur public puisque plus de 800 000 jeunes ont
été concernés en 1999 et 2000, même si là encore, ce chiffre recouvre de larges disparités
et des niveaux de participation des jeunes très différents. Neuf ministères y sont impliqués financièrement ou matériellement et, en 1999, le ministre délégué à la Ville a ouvert
le dispositif à l’ensemble des congés scolaires. Malgré cette extension, l’organisation et
les objectifs affichés ainsi que les publics visés restent les mêmes comme l’atteste la présentation qu’en faisait le ministre des Affaires sociales en 2001 : « Les opérations VVV permettent aux jeunes les plus en difficulté, de bénéficier d’un accès aux activités culturelles, sportives et de loisirs et d’une prise en charge éducative durant leur temps de vacances. Ce programme
mobilise tout au long de l’année, de manière complémentaire aux dispositifs de droit commun,
l’ensemble des partenaires sur la base de projets et d’activités éducatives. Il contribue aux politiques d’insertion sociale des jeunes et à la prévention des exclusions. Les publics concernés… sont
prioritairement les jeunes âgés de 11 à 18 ans. Le dispositif privilégie les actions destinées aux jeunes qui n’utilisent pas spontanément les activités offertes par les structures traditionnelles d’animation ou ne fréquentent pas le milieu associatif. Largement déconcentré, ce programme s’appuie
sur un diagnostic établi par les préfets de département qui sont chargés de sa mise en œuvre. »
Ajoutons que les opérations VVV sont mises en place par des cellules départementales réunissant les acteurs locaux et les administrations concernées, cellules qui décident des projets retenus et qui sont censées faire un travail de suivi. Même si des changements et des évolutions importantes ont eu lieu, il existe donc une indéniable unité et
continuité de ce programme. Il s’agit toujours de la même politique.
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
Les opérations VVV continuent de s’inscrire dans un souci de prévention consistant à
réduire les opportunités délinquantes en occupant et en surveillant les jeunes tout en
menant auprès d’eux des actions éducatives et valorisantes censées les « resocialiser ».
Les nouveautés qu’elles cherchaient à introduire étaient moins d’ordre philosophique
que pratique : décloisonner les administrations et faire que police, justice, travail social,
mais aussi collectivités territoriales et associations travaillent ensemble ; donner une
priorité au politique sur le technique dans l’élaboration nationale et locale des politiques
de prévention ; faire émerger des solutions novatrices et éventuellement de nouveaux
acteurs, alternatifs ou complémentaires au travail social et créer de cette façon une sorte
de concurrence ou d’émulation ; toucher des publics largement étrangers à la prévention
ou n’appartenant pas à la clientèle des services sociaux ; obtenir des résultats tangibles
et rapides du point de vue de la paix publique et de l’opinion.
Après vingt ans d’opérations-été ou VVV, il nous a semblé que l’ensemble de ces
problèmes pouvaient faire l’objet d’un travail d’analyse et d’évaluation. Qu’en est-il
aujourd’hui de ces opérations ? Il ne s’agit pas de s’interroger sur le fait de savoir si l’esprit initial demeure. La réponse serait d’emblée négative et ne nécessite pas de longues
investigations. Mais malgré tout, ces opérations sont aujourd’hui un élément quasi indispensable des politiques de prévention et de la politique de la ville. De même, il ne s’agit
pas ici de procéder à une évaluation des « effets » de ces politiques. Cela demanderait
des investigations précises et lourdes. Notre objectif est plus limité : quel bilan pouvons
nous tirer des opérations Ville Vie Vacances après vingt ans de fonctionnement ? Quels
changements faudrait-il induire dans cette politique pour la rendre plus efficace ? En
fonction de la nature de cette politique et de ses particularités, nous avons dégagé des
questions qui paraissaient plus directement pertinentes afin de poser un diagnostic et de
proposer certaines orientations d’actions. Ces questions ont été choisies finalement de
manière assez arbitraire mais en tenant compte de la nature de la politique que nous voulions étudier et des informations disponibles ou mobilisables. Nous en avons retenues six.
1. Quelle continuité et quels changements ou quelles ruptures ont été introduits
depuis vingt ans par et dans les opérations Ville Vie Vacances ? Un bilan de la « philosophie » générale de la politique menée et de son inscription dans l’action publique nous
a paru indispensable pour pouvoir asseoir une réflexion d’ensemble. Ce premier bilan
nous a semblé devoir être complété par une mise en perspective plus historique.
Comment les acteurs de cette politique ont-ils évolué et comment ont-ils pensé et mis en
œuvre, à différents niveaux, leurs idées et leurs objectifs ? Comment ont évolué en pratiques les objectifs de coordination interne, d’innovation mais aussi les publics visés ?
2. Quel est aujourd’hui, l’état des rapports entre le politique et le technique ? De ce
point de vue, une des dimensions essentielles des opérations Ville Vie Vacances est
d’avoir promu des dispositifs permettant de soumettre plus directement le technique
aux décisions politiques. Qu’en est-il aujourd’hui dans le fonctionnement des cellules
départementales et dans les relations avec les acteurs ?
3. Quelle est aujourd’hui la nature des relations entre le travail social et les procédures exceptionnelles ? Est-ce que les opérations Ville Vie Vacances ont contribué ou non à
ouvrir l’éventail des possibilités et des actions effectives du travail social ? Y-a-t-il une
meilleure acceptation de ces procédures et une plus forte mobilisation ? A-t-on assisté de
façon plus générale à des évolutions de l’esprit même de la prévention ?
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Quartiers en Vacances
4. Quelle est aujourd’hui la nature des acteurs impliqués dans ces opérations et
notamment a-t-elle une influence sur le contenu des actions ? De ce point de vue, est ce
que les opérations Ville Vie Vacances sont un lieu d’innovation et d’expérimentation ?
5. Dans cette même logique, quelle est plus particulièrement, la place réelle des
associations ? Parmi les objectifs visés, l’engagement des associations dans leur diversité
est un point important. Qu’en est-il aujourd’hui à la fois localement et sur le plan national ? Les associations petites et grandes ont-elles un rôle moteur ou ne sont-elles que des
porteurs de projets plus ou moins contrôlés par les autorités administratives ou locales ?
6. Enfin, il est indispensable de se pencher sur la question des publics. Quels sont
les publics qui participent et sont mobilisés dans ces opérations ? Les questions de minorités immigrées et de genre sont ici importantes du point de vue des caractéristiques de
ces publics. S’y ajoutent des questions tenant aux comportements des publics visés et à
leurs appréciations du dispositif.
Pour traiter ces questions, nous avons mis en place un dispositif de travail à
deux niveaux :
- 10 chercheurs appartenant à des équipes différentes se sont vus confier le traitement de
cet ensemble de questions, chacun ayant le loisir de choisir sa propre méthodologie.
Nous avons associé des spécialistes de disciplines différentes, mais aussi des universitaires et des cabinets privés. Il ne s’agissait pas de procéder à des enquêtes empiriques systématiques trop lourdes mais de mobiliser l’information disponible sous diverses formes
(rapports, entretiens, articles), et les connaissances personnelles puisque certains des
chercheurs ont travaillé depuis longtemps autour du dispositif, afin de faire un bilan de
la question posée.
- Ces chercheurs se sont réunis régulièrement pendant huit mois dans un séminaire de
travail auquel participaient des représentants de la Délégation Interministérielle à la
Ville. Le séminaire a porté plus particulièrement sur le bilan général des opérations et
sur les réflexions à en tirer concernant le travail social et la prévention. C’est aussi dans
le cadre de ce séminaire qu’ont été construites les problématiques propres à chaque
équipe ainsi que la problématique générale du travail. Si chaque chercheur et chaque
équipe a gardé sa propre logique, les analyses et les propositions faites ici sont le résultat de la confrontation de leurs travaux et de leurs points de vue.
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
Synthèse générale des observations
Q
u’est ce que VVV aujourd'hui ? Si on suit les bilans nationaux établis par la
Délégation Interministérielle à la Ville, ce programme propose des loisirs directement ou
indirectement à 800 000 jeunes, essentiellement pendant l’été, à travers 14 270 projets. Le
public touché est pratiquement pour moitié un public d’adolescents entre 11 et 18 ans et
pour un peu moins d’un tiers un public féminin. 40 % des activités sont des séjours,
courts ou journaliers, 20 % sont des activités sportives, le reste se partageant entre des
activités artistiques, de l’animation de quartier, ou des chantiers. Pour l’essentiel, toutes
ces activités sont proposées localement par les mêmes opérateurs d’une année sur l’autre, des municipalités, des associations culturelles ou des centres sociaux, des clubs de
prévention, très rarement par des jeunes eux-mêmes ou des habitants des quartiers
concernés. Il s’agit presque exclusivement d’une offre de vacances et de distraction plus
ou moins « éducatives » ou « sportives ». La vitrine du programme VVV, les interventions et les stages offerts par la Gendarmerie, la Police nationale ou la Défense ou encore
les actions menées par des fédérations ou associations nationales sont certes importantes
mais n’ont pas l’ampleur qu’on leur prête parfois. Au total, l’opération en 2000, a coûté
330 MF, selon l’estimation de la DIV. Un tiers des crédits a été mobilisé par les municipalités et un quart par le financement national VVV et les autres contributions ministérielles, les conseils généraux ne finançant que 3,5 % de l’ensemble. Plus les départements
sont inscrits depuis longtemps dans le dispositif, plus la contribution financière locale
est importante. Plus, au contraire, ils sont concernés depuis peu et plus la contribution
locale est faible. Ceci explique des mobilisations locales extrêmement variables. Ainsi,
par exemple, sur l’été 2002, les municipalités des Alpes Maritimes ont financé 1 % des
opérations VVV, 42 % de ces crédits étant apportés dans le cadre du dispositif national,
15 % par le Conseil Général. En Seine-Saint-Denis, les municipalités financent près de
35 % du programme pendant l’été, le dispositif national 22 %, le Conseil Général 6 %.
30 % de financement municipal dans le Bas-Rhin, aucun financement de la part du
Conseil général des Yvelines etc. Les engagements locaux sont donc très divers. Dans
nombre d’endroits le dispositif VVV vient compléter des politiques de prévention et
d’animation déjà en place. Dans d’autres endroits, il sert à certains acteurs à impulser
des actions qu’ils espèrent voir déboucher sur un engagement local encore balbutiant si
ce n’est hostile en matière de prévention. Certaines municipalités y voient un moyen de
« contourner » les équipes de prévention qu’elles jugent peu efficaces et trop traditionnelles, alors que d’autres s’appuient exclusivement sur les clubs de prévention pour mettre en place le dispositif. Ces disparités locales ne sont pas nouvelles. Elles tiennent à la
nature d’un programme qui est incitatif et qui en appelle à une diversité d’acteurs. Mais
il n’empêche. Il s’agit bien de la même politique et il faut souligner la continuité du dispositif depuis vingt ans. L’organisation des cellules départementales, le fonctionnement
général, les objectifs poursuivis sont restés les mêmes. La seule grande différence est
l’ampleur prise par VVV, qui est sans commune mesure avec les opérations initiales : en
1982, les opérations Été concernaient onze départements chacun doté d’un budget de
420 000 francs du moment. Mais si elles sont restées globalement les mêmes, au sens où
il s’agit bien d’une politique continue du point de vue des objectifs, de la nature des
acteurs mobilisés et de l’organisation générale, des changements ont eu lieu, qu’il s’agit
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Quartiers en Vacances
d’apprécier non pas tant par rapport à ce qui existait il y a quelques années mais en termes d’efficacité et de réponse apportée à la demande politique et sociale.
Trois grands types d’observations peuvent être faits à propos du programme VVV tel
qu’il est aujourd’hui : la permanence d’ambivalences positives dans la définition des
objectifs poursuivis (1) a conduit à l’affaiblissement de la capacité stratégique (2) et à une
certaine déconnexion avec la situation sociale des quartiers et des jeunes visés (3).
1. La permanence d’ambivalences positives.
Une première approche à travers les bilans des cellules départementales montre bien la
permanence de la « satisfaction » générale. Dans l’ensemble, les responsables de la mise
en œuvre du programme estiment que les « objectifs » ont été atteints : les activités financées sur les crédits VVV ont un caractère « éducatif » nécessaire. Les jeunes, très nombreux, y font l’apprentissage de la vie de groupe, se socialisent et prennent contact, à travers le dispositif, avec les institutions de la République : « Le jeune découvre l’importance
de son implication personnelle dans le cadre de la vie en collectivité, mais aussi l’autonomie, ainsi
que le respect de l’autre et de l’environnement » écrit un responsable de cellule départementale. Le travail administratif et politique s’avère particulièrement original et efficace : la
coordination institutionnelle et l’évaluation fonctionnent bien. Les membres des cellules
départementales effectuent des visites sur sites et évaluent l’utilisation des crédits qu’ils
ont attribués. Enfin, de nouveaux acteurs ont été mobilisés et apportent leur connaissance du terrain et leurs méthodes d’animation ou d’éducation, à la grande satisfaction
des jeunes et des habitants. La plasticité du programme VVV contribue certainement à
ces jugements majoritairement positifs : chacun peut y trouver ce qu’il y investit. Cette
première impression doit être néanmoins soulignée. Elle n’a rien de superficiel et montre le fonctionnement satisfaisant du dispositif VVV, au moins pour la grande majorité
des acteurs chargés de le mettre en œuvre, et ce depuis le début.
Mais un certain nombre de bilans font état de réserves évidentes quant au fonctionnement et aux résultats des opérations VVV : « Le bilan que nous avons pu en faire est en
général décevant, voire contraire à la vocation des VVV. » VVV est considéré comme « un dispositif en grande partie dévoyé. » L’interprétation de la réalité du dispositif est ici inversée :
les actions menées s’écartent peu de l’animation traditionnelle et ont peu d’impacts sur
les jeunes, notamment sur les jeunes les plus en difficultés qui sont censés être visés. Le
travail administratif est devenu extrêmement lourd et paralysant, bien peu adapté à la
réalité du terrain. L’évaluation consiste le plus souvent à compter le nombre de jeunes
qui passent. La longue instruction des dossiers et les délais de financement interdisent à
de nombreux acteurs de s’engager dans le dispositif et favorisent les associations ou les
institutions déjà en place, qui y trouvent plus une source de financement complémentaire qu’une opportunité d’innovation. D’ailleurs, dans de nombreux cas, en raison des
délais imposés, les projets sont vides : les jeunes, qui devaient s’y engager neuf mois plus
tôt, ont d’autres activités et les promoteurs du projet doivent recruter à la dernière
minute. Les autres acteurs potentiels, notamment les associations de jeunes, mais bien
souvent aussi des structures mieux établies, préfèrent rester en dehors d’un dispositif
qui leur semble à la fois lourd et très inadapté à leur mode de fonctionnement.
La différence d’appréciation du programme tient en grande partie à l’implication
des acteurs institutionnels : les jugements sont plus négatifs dans les départements qui
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
ont tardivement mis en place VVV ou chez les élus ou techniciens qui s’y sont trouvés
impliqués récemment. À l’inverse, quand le dispositif est installé depuis longtemps dans
un département ou une municipalité, élus, administrateurs et techniciens en vantent
plus volontiers les mérites. Il est probable que leur appréciation de la « nouveauté » et
de « l’efficacité » n’est pas la même en raison de leur point de vue : alors que les premiers
ont en général bénéficié des effets novateurs du dispositif à travers un ensemble de politiques, les seconds restent très largement attachés à un programme qui a, en son temps,
porté des innovations pédagogiques et administratives. Alors que les uns sous-estiment
le dispositif VVV dans la mesure où ils s’en sont passés sans trop de dommages jusquelà, il est probable que les autres le surestiment car il est devenu financièrement et politiquement un instrument indispensable de leur politique de prévention. Les uns jugent
plutôt négativement un dispositif qu’ils n’ont pas vraiment soutenu et dans lequel ils ne
s’impliquent pas vraiment alors que les autres jugent positivement un dispositif qu’ils
veulent légitimer et défendre. Ainsi, l’adhésion au dispositif ou, au contraire, le retrait,
dépend plus de l’ancienneté et de l’appartenance à un territoire que de l’identité professionnelle, comme le soulignent Maurice Blanc et Jean-Yves Causer.
Cette dualité des appréciations a le mérite de faire sentir le problème majeur rencontré par le dispositif VVV : le projet est largement épuisé dans ses dimensions novatrices,
comme s’il avait produit sur les plans administratifs, politiques et pédagogiques l’ensemble des effets que l’on pouvait en attendre. Ayant perdu sa capacité à être tiré par
l’innovation, il s’est englué dans la répétition et a le plus souvent été réintégré dans une
action plus classique, à tel point d’ailleurs que, dans nombre d’endroits, pour les acteurs
de l’animation ou de la prévention, il ne s’agit plus que d’une ligne de crédits supplémentaires, un travail administratif un peu fastidieux (il faut faire un projet et remplir un
dossier) mais indispensable pour faire vivre telle ou telle association. La spécificité du
programme se fait de moins en moins sentir sur le terrain, la lourdeur bureaucratique en
devenant plus insupportable. Ceci se traduit par un très faible renouvellement des opérateurs : ce sont toujours le mêmes qui mettent en œuvre le dispositif, celui-ci s’inscrivant très souvent dans leur activité habituelle. Du coup, plus le dispositif est ancien
moins le renouvellement est important. Il est parfois nul. Cette extraordinaire stabilité
accompagne une très forte institutionnalisation et professionnalisation : 50 % des opérateurs sont des municipalités ou des CAF, les associations culturelles et de loisirs comptent pour un quart et les associations liées à la prévention ou la police 12 %. Les associations de jeunes ou d’habitants, par exemple, ne représentent pas plus de 6 % des projets :
depuis le début des opérations, les cellules départementales souhaitent leur participation mais se méfient de leurs faiblesses administrative et pédagogique et préfèrent, pour
des raisons de sécurité et de confiance, financer des opérateurs déjà établis. Dans certains
départements, la proportion d’opérateurs institutionnels peut-être encore plus élevée,
comme par exemple 70 % dans le Bas-Rhin. En général, plus le dispositif est ancien et
plus les cellules départementales ont tendance à renouveler d’une année sur l’autre leurs
financements et à accorder ces financements plus en fonction de la nature de l’opérateur
que du projet. Une des conséquences de ce mode de fonctionnement est la réduction progressive du nombre de bénévoles (ils n’étaient plus que 13 % en 2000) et le poids des professionnels des structures diverses (plus de 50 %).
De façon plus générale, les opérations VVV ne sont plus portées par leur inscription
dans un ensemble de politiques abordées avec optimisme et induisant une forte mobilisation. Elles sont devenues banales et routinières, suscitant plutôt de l’indifférence dans
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Quartiers en Vacances
un environnement politique et social peu favorable. Beaucoup y sont attachés et y
voient un outil indispensable car habituel de la politique de prévention en direction des
jeunes, alors que d’autres ne peuvent en mesurer les apports réels. Le paradoxe est ici
que plus le dispositif est ancien, moins il porte d’innovation et plus les acteurs expriment de jugements positifs.
Il n’y a là rien de nouveau. Les critiques faites au dispositif sont récurrentes et permanentes. Dès 1983, les observateurs, s’ils portent un jugement positif sur l’action de
nouveaux partenaires comme la Défense, la Justice ou la Police, constatent la « professionnalisation » et la routine des activités. Dès cette période, ils soulignent que bien souvent les crédits VVV servent à renforcer les activités habituelles des centres sociaux. Il ne
s’agit en fait que de l’amélioration d’une offre de service pour une population défavorisée. La mobilisation des associations de jeunes ou des habitants des quartiers est déjà
rare et extrêmement faible et ne répond pas aux attentes. Les opérations Été, comme le
dispositif VVV, n’engendrent pas d’action de la part d’une population ou de publics qui
n’en n’ont pas les capacités. Une des particularités du programme VVV est donc de susciter chez les acteurs et les évaluateurs les mêmes observations et les mêmes recommandations depuis l’origine. Il y a ainsi une assez grande continuité dans l’ambivalence des
jugements portés, à la fois positivement et négativement.
L’explication est probablement à rechercher dans le décalage entre la « philosophie »
générale des acteurs de la prévention et de l’administration publique d’un côté et la
nature même du programme de l’autre. Depuis le début, il est reproché au dispositif de
ne pas atteindre véritablement les publics les plus en difficulté, d’avoir tendance à privilégier l’animation pour les plus jeunes, de flatter la logique de consommation de ces
publics, de ne pas porter assez d’attention à la présence des jeunes femmes, bref de ne
pas être assez « éducatif ». Des doutes sérieux sont sans cesse émis quant à la capacité
de ces actions courtes et structurées autour d’une logique d’offre de services, d’avoir des
effets permanents et durables sur un public « déstructuré ». Mais d’un autre côté, le dispositif est censé favoriser des actions inhabituelles menées par de nouveaux acteurs afin
de toucher des jeunes échappant aux services sociaux le reste du temps. Il est alors bien
difficile d’envisager que l’implication de ces jeunes dans le dispositif soit l’aboutissement d’un travail long et approfondi avec eux. Aussi, le reproche devient-il paradoxal :
le dispositif n’est pas assez « éducatif ». Mais en même temps on ne veut pas que les
« structures éducatives » le prennent en charge globalement et le réintègrent dans leur
routine. D’ailleurs, la critique du manque d’effets éducatifs est le plus souvent portée par
les structures éducatives elles-mêmes qui y trouvent la justification à leurs actions habituelles. Dans bien des cellules départementales, on souhaite travailler avec l’Éducation
nationale et faire participer une institution peu réceptive à la coordination. Mais en
même temps, on se méfie du dispositif d’École ouverte auquel il est reproché parfois de
n’être « qu’une sorte d’aide aux devoirs à peine améliorée », bref d’être plus un dispositif
éducatif que de vacances. Dans d’autres départements, au contraire, la logique des
« chantiers » est « unanimement appréciée » pour ses effets éducatifs : le jeune, par son
travail, gagne le droit aux vacances. Celles-ci ne lui sont pas offertes gratuitement, ce qui
pourrait l’entretenir dans sa « dépendance » et l’action des instances éducatives s’en
trouve légitimée et renforcée.
L’ambivalence relève ainsi de réticences plus générales vis-à-vis de la « consommation » de vacances dont tout le monde se méfie. « Un dispositif Vacances comme VVV a
l’avantage de travailler sur l’exceptionnel (les périodes de congés) par rapport à la vie ordinaire
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
des jeunes. C’est cette particularité qui a sans doute amené les évaluateurs à caractériser VVV
comme dispositif par nature expérimental et mobilisateur. Cependant, du point de vue de son
impact sur les jeunes eux-mêmes, une question doit demeurer centrale dans l’orientation des
actions retenues : le cumul des expériences vécues constitue-t-il un ensemble structurant et pas
déconnecté ? Comment l’organiser dans ce but ? On assiste parfois à une nébuleuse d’offres,
séparément intéressantes, mais utilisées comme un vaste marché par des groupes qui zappent
« au plus offrant ». La fidélisation de publics suivis par une même structure évite ce phénomène.
La coordination rigoureuse de structures également. À condition de travailler à petite échelle. »
Ce jugement d’un responsable administratif fait écho à celui d’un travailleur social
vingt ans plus tôt « Je ne vois pas de quelle manière on peut responsabiliser des jeunes en leur
proposant comme ça un aller et retour, un voyage totalement gratuit. C’est pas éducatif. » Bref,
bien souvent, les critiques faites au programme VVV sont liées à la nature même des
objectifs poursuivis et relèvent de l’injonction paradoxale : comme si les équipes éducatives ne devaient pas l’être et les équipes qui ne le sont pas devaient le devenir. Il est bien
difficile de concilier le souci « éducatif » avec le souci d’innovation et l’offre de vacances.
« De manière générale, il est rappelé qu’un projet ne saurait se prévaloir d’une portée éducative
que s’il s’inscrit dans la durée », écrit un rapporteur départemental. Le dispositif ne saurait
donc être une simple offre de services ou une simple offre de vacances pour les plus
démunis. Sa logique, rappelle-t-on sans-cesse, est de produire de l’éducation et non de
la consommation. À Amiens, « un travail est mené avec les opérateurs afin de réorienter les projets qui n’ont qu’un caractère purement consommatoire. Le principe est que les projets de pure
consommation ne sont retenus qu’en échange d’un travail effectué par les jeunes destinataires de
ces projets. » Dans les évaluations positives, il est souvent mis en avant le passage « d’une
approche consumériste à un projet construit dans la durée avec les jeunes » à vocation éducative. Dans les évaluations négatives, c’est l’inverse qui est souligné : « L’abondance de l’offre… incite à des attitudes de consommation. Il faut maintenir l’exigence éducative basée sur l’engagement et la participation active des jeunes dans les projets qui les concernent. »
L’ambivalence autour de la logique éducative est redoublée d’une ambivalence
autour de la mobilisation des habitants et des jeunes. Le programme VVV doit aussi faciliter la participation active des associations locales. Il s’agit là d’un point de vue partagé
tant par les associations socioculturelles que par les responsables administratifs ou politiques. Mais les opérations VVV sont censées mobiliser des acteurs qui ne peuvent réellement se mobiliser car ils n’en n’ont pas les capacités et elles sont menées par des
acteurs dans une logique d’offre de service alors que ce n’est pas leur philosophie.
Comme en matière de « participation » des habitants en ce qui concerne la démocratie
locale et les procédures de consultation, l’habitant ne répond pas aux attentes de l’élu ou
de l’administrateur : il reste en retrait, ne pense qu’à ses intérêts immédiats et sa participation est faible et épisodique. Il est dans une attitude de « consommateur ». Mais en
même temps, si l’habitant ne se cantonne pas à cette position et se met à exiger la reconnaissance de son autonomie ou à contester telle ou telle décision, il est vu avec suspicion
et renvoyé à son manque de légitimité : il n’est pas assez compétent pour le technicien
ou il ne représente rien d’autre que lui-même pour l’élu. Du coup, l’expérience est toujours « déceptive » : l’habitant n’est jamais à la hauteur de ce qu’il devrait être. En retour,
l’élu et le technicien puisent dans la déception éprouvée la conviction de la justesse de
leur position. C’est à eux de prendre en charge et surtout, d’éduquer l’habitant pour en
faire un citoyen. Réciproquement, l’habitant trouvera dans « l’arrogance » du technicien
et dans la « surdité » de l’élu la justification de sa faible implication. Le paradoxe est alors
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Quartiers en Vacances
que plus les élus « écoutent » objectivement la population, plus cette population a le sentiment de ne pas être entendue de ces mêmes élus et refuse de participer à des opérations dont elle soupçonne la forte dimension de patronage. Le dispositif VVV fonctionne
selon la même logique. La faible participation des habitants et des associations de jeunes
est souvent soulignée, mais en même temps une sorte de « syndrome du devoir de
vacances » impose d’éduquer les familles et les jeunes : ainsi, dans la Nièvre, « l’implication des familles est recherchée de façon presque systématique. Les actions de départ en vacances
familiales permettent de favoriser l’insertion sociale des familles et le développement de leur autonomie. Cette action d’accompagnement et de soutien à la fonction parentale s’inscrit dans
la durée, puisqu’il faut compter neuf mois de préparation du séjour. » La participation
ne saurait avoir de valeur en soi si elle ne s’accompagne pas d’un travail de « socialisation » d’une population considérée par définition comme désocialisée.
Le fonctionnement général du dispositif VVV et les jugements qui sont portés sur
son efficacité accumulent les injonctions contradictoires de ce type dans la logique de
bien des politiques publiques incitatives. La priorité est donnée aux associations et aux
structures bien implantées mais on leur reproche de ne pas assez toucher les publics les
« plus en difficultés », ceux qui précisément ne les fréquenteraient pas et qui ne feraient
pas partie de leur clientèle. On souhaite une forte dimension « éducative » s’inscrivant
dans la durée pour des opérations que l’on veut ponctuelles et dégagées des logiques
professionnelles. On voudrait toucher plus de filles que le tiers participant mais on continue de donner la priorité aux structures existantes dans lesquelles les garçons sont déjà
largement dominants et on recherche les publics les plus difficiles dont elles ne font pas
partie… Les cellules départementales souhaiteraient plus de nouveauté mais ne sont pas
prêtes à en assumer le risque ni même le coût. Les « ambitions » affichées sont telles que
la déception quant à la réalité est inévitable : les opérations VVV ne sont jamais ce qu’elles sont supposées être, le public n’est pas complètement le bon, les filles ne sont pas là,
la bureaucratie a repris ses droits et les professionnels leurs habitudes, la consommation
de vacances l’emporte sur l’éducatif. Il existe ainsi une tension propre au dispositif entre
son caractère ponctuel et nécessairement limité dans le temps et la volonté des élus ou
des acteurs d’avoir un impact positif sur la population et les jeunes concernés. La particularité première du dispositif VVV, comme probablement tout dispositif d’abord incitatif, est d’être porté par une ambition et des projections telles que les acteurs censés le
mettre en place ne peuvent parvenir à les réaliser. Il convient donc probablement de
revoir les critères d’évaluation à la baisse de façon à mieux mesurer les aspects positifs
et négatifs du programme VVV.
2. L’affaiblissement de la capacité stratégique.
La logique des ambivalences, même si elle peut avoir des effets favorables, conduit à
affaiblir globalement le développement du dispositif. Pris dans des objectifs qui sont
contradictoires, la capacité de définition d’une orientation générale (éducation et participation, innovation et mobilisation) est complètement déconnectée de la capacité de la
mettre en œuvre réellement. En d’autres termes, la spécificité du dispositif est érodée au
profit de son inscription de plus en plus évidente dans des logiques de prévention habituelle, logiques dont un des objectifs essentiels était de s’écarter. On observe alors l’affaiblissement de la capacité stratégique des acteurs centraux et locaux du programme VVV.
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
Du point de vue historique et institutionnel, il faut souligner la permanence du dispositif et de la forme de l’action publique qu’il a impulsée de façon tout à fait originale. La
Cellule nationale chargée de mettre en œuvre chaque année le programme VVV n’a pas
fondamentalement varié dans sa composition et son fonctionnement. Il reste néanmoins
que les grands ministères impliqués sont demeurés indépendants de cette cellule :
Défense, Intérieur, et surtout Éducation nationale mènent leurs actions sans trop se
préoccuper d’une politique générale. La juxtaposition plutôt que l’intégration est la règle
en matière de fonctionnement. Les grands ministères gèrent leur dispositif souvent en
l’inscrivant dans les préoccupations locales, mais rarement en le liant directement avec
VVV et sa programmation. C’est notamment le cas pour la Défense et surtout pour les
Centres de Loisirs Jeunes du ministère de l’Intérieur ou le dispositif École ouvert de
l’Éducation nationale. Ce dernier cas est particulièrement illustratif d’un fonctionnement
en parallèle : en général, le lien entre l’opération École Ouverte et VVV est inexistant. On
observe de rares cas de collaboration, comme par exemple à Belfort où un collège a
accepté de mettre en œuvre un partenariat avec une association des « Francas », opérateur de VVV. Mais après tout, la juxtaposition permet la diversité des orientations et
laisse des espaces d’initiatives et de jeu, qui ne sont pas inutiles en matière de prévention de la délinquance. Elle évite aussi certainement un renforcement de la logique
bureaucratique, qui serait inévitable en cas de recherche d’une intégration plus poussée.
On peut cependant regretter, ici, l’absence de représentants des administrations locales
et des élus, l’État restant « entre-soi », ce qui ne va pas sans quelques inconvénients,
notamment du point de vue de la capacité d’initiative et de la réactivité générale. Malgré
tout, même en absence de concertation forte, le fonctionnement de la cellule aura permis
aux « gens de se parler », ou du moins, elle aura permis aux ministères de se parler entre
eux et petit à petit de découvrir des préoccupations communes. Il n’est pas sûr qu’un tel
dispositif pouvait aller au-delà et il n’est pas sûr que l’objectif d’une coordination étroite
et d’une rationalisation d’ensemble soit vraiment souhaitable.
Les cellules départementales constituent aussi un « cas d’école de la coordination
interinstitutionnelle », comme le souligne Louis Dubouchet. Elles ont gardé les mêmes
principes de fonctionnement et elles ont souvent été à l’origine du développement de
politiques locales de la jeunesse ou de prévention. Un point positif de leur fonctionnement est leur réactivité : en théorie, leur capacité de veille pendant l’été et la conservation d’enveloppes financières, leur permet de faire face aux situations d’urgence. Il faut
ajouter, aussi, le travail d’évaluation auquel elles se livrent et qui leur permet, outre l’acquisition d’une connaissance du « terrain », d’intégrer dans leur fonctionnement un certain nombre de relais locaux. Enfin, et c’est sûrement une pratique à généraliser, dans
certains endroits comme à Marseille, la cellule départementale aide techniquement les
petites associations à construire des projets et assure un suivi pendant les vacances. Dans
ce département, « la cellule se réunit régulièrement avant chaque période de vacances scolaires
afin de faire le point sur le déroulement des actions et des difficultés de mise en œuvre de cellesci. Elle est souvent amenée, à cette occasion, à se prononcer sur des projets pour des sites où le
besoin émerge pour des raisons d’absence d’opérateurs ou de problèmes avec les jeunes. » Sur le
plan départemental et municipal, un des succès de VVV est à l’évidence, depuis les premières années, d’avoir induit une prise de conscience locale et par la suite la mise en
œuvre de politiques locales visant à améliorer l’offre de services aux jeunes pendant l’été
(ouverture des équipements sportifs par exemple) et parfois d’avoir impulsé localement
le développement de politiques de prévention. De ce point de vue, le dispositif VVV
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Quartiers en Vacances
aura joué pleinement son rôle incitatif en suscitant implication et innovations locales et
en leur apportant la légitimité nécessaire.
Aujourd’hui, le problème général de ce fonctionnement est le renforcement continu
de la logique bureaucratique : la programmation est annuelle et dans bien des endroits,
il n’y a plus de ressources dès le mois d’avril. Dans certains départements, tout est bouclé dès le mois de janvier. Les cellules départementales ont retrouvé largement une logique de guichet et de distribution des financements, sans avoir trop de capacité « stratégique » d’orienter le dispositif. Autrement dit, à l’évidence, la réactivité des cellules s’est
affaiblie. Outre la croissance de la taille du dispositif VVV, il est probable que l’explication tient d’un côté à la pression de la bureaucratie dont la logique est celle de l’intégration et de la programmation à long terme, et peut-être surtout, de l’absence du politique
qui s’est largement détourné du dispositif et ne peut plus y faire contrepoids. Cette évolution explique aussi l’ambivalence générale des acteurs et des participants aux cellules
départementales : ils n’ont pas les moyens réels d’une planification stratégique et d’une
réactivité forte face à la pression bureaucratique. Leurs ambitions sont probablement
bien au-delà de ce qu’ils ont la capacité de faire.
Il faut souligner d’abord la prise de distance des élus et ses effets. Celle-ci s’explique
localement par une double évolution. L’effet d’aubaine d’un dispositif nouveau et
médiatisé s’est largement effacé et atténué. Le dispositif a donné ce qu’il pouvait donner.
Surtout, les élus locaux sont aujourd’hui largement confrontés à une demande de sécurité qu’un dispositif, qu’ils perçoivent comme un dispositif de prévention en direction
des jeunes en difficulté, ne semble pas pouvoir ou plus pouvoir combler. Pour eux, le
dispositif est revenu largement dans le champ de l’animation socio-éducative traditionnelle. Il n’est donc plus nécessaire de s’y impliquer. On peut le laisser aux services
sociaux et aux travailleurs sociaux. Mais pour les élus, le problème de la « prévention »
n’est plus une priorité absolue. L’utilité que certains pouvaient trouver dans un dispositif qu’ils cherchaient à utiliser comme levier pour transformer des pratiques d’animation
ou de prévention peu satisfaisantes s’est largement évanouie. D’autant que les populations cibles peuvent avoir l’impression que le dispositif s’intègre dans une logique
« clientéliste », qui rend la violence rentable : dans de nombreux endroits, des groupes
de jeunes cherchent à obtenir des subventions pour les vacances par la pression ou la
menace. La population perçoit cette logique de manière extrêmement négative. Comme
le souligne ici Guy Julliard, il n’y a guère de projet politique global précis et cohérent
capable de donner une lisibilité forte au programme VVV. Cette observation générale
mérite cependant d’être quelque peu tempérée. Dans certains départements, les municipalités, ou une partie d’entre elles, gardent une implication politique forte : les services
municipaux de la jeunesse « portent » le programme et en coordonnent la mise en
œuvre. Dans certains endroits, comme sur le littoral, le dispositif constitue un enjeu véritable de sécurité pour les élus qui s’impliquent comme par exemple en Vendée, à SaintHilaire-de Riez, dans la mise en œuvre d’un dispositif Plan d’Accueil des Jeunes dans les
Communes Touristiques (PAJECOT).
L’absence des élus et leur distance vis-à-vis du dispositif VVV sont illustrées par la
disparition de presque toutes les journées nationales de lancement ou de rituel marquant, avec la présence des élus, l’originalité et la pertinence du dispositif et son importance politique. De la même façon, les journées de clôture comme celle organisée à Agen,
réunissant porteurs de projets et jeunes avec les élus ont souvent disparu. Dans certains
endroits, les crédits attribués n’ont pas pu être tous consommés en raison du retrait d’un
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
Conseil général ou d’une municipalité. La mobilisation des acteurs de terrain est alors
rendue plus difficile et la routine s’installe plus facilement. L’absence des élus a aussi un
impact fort sur les acteurs et les opérateurs. Elle est significative pour eux d’un sentiment général de mise en cause de la prévention et parfois du travail social d’animation
ou de prévention. Bref, la légitimité de leur action n’est plus aussi évidente. Dans certains endroits, d’ailleurs, les conventions ont été dénoncées et parfois la prévention spécialisée purement et simplement liquidée. En l’absence de soutien politique et dominés
par une insécurité statutaire ou un doute quant à la légitimité de leur travail, la plupart
des acteurs ont tendance à se « replier » sur leur identité professionnelle et leur savoirfaire. Repli qui peut conduire parfois à de véritables crispations, notamment quand les
difficultés du terrain sont fortes et le soutien politique absent. Les changements de pratiques et les évolutions identitaires supposent une certaine « sécurité » que n’ont plus,
ou pas, les travailleurs sociaux. La pression pour réintégrer le dispositif dans une logique classique ne peut alors qu’augmenter sensiblement au fur et à mesure que les catégories professionnelles érigent des barrières de protection.
Les dimensions administratives prennent le pas sur les autres : c’est une des difficultés aujourd’hui du dispositif. Il s’agit d’un programme administratif dominé largement
par les techniques administratives de gestion des dossiers et de programmation financière et de rationalisation de l’ensemble. Les particularités locales ont ainsi tendance à
s’effacer et les actions menées ont tendance à s’uniformiser. La généralisation du dispositif et son extension, aussi justifiées soient-elles, ont largement contribué à cette évolution. En l’absence d’acteurs « externes » et de pression des élus, les cellules départementales fonctionnent de manière consensuelle, ne facilitant pas en retour l’implication
d’acteurs nouveaux, qui n’ont pas le soutien nécessaire et n’utilisent pas le même vocabulaire. À Blois, « le fonctionnement de la cellule départementale est satisfaisant. La permanence
de ses membres a construit une culture commune qui permet de porter une grande attention à la
dimension éducative de projets dans le respect des critères du dispositif… » Dans certains
endroits, comme par exemple les Yvelines, la cellule départementale ne fonctionne tout
simplement pas et l’instruction des dossiers est prise en charge par les sous-préfectures
d’arrondissement avec la collaboration des chefs de projets. De façon générale, comme
cela a déjà été observé, le fonctionnement des cellules a tendance à devenir formel. Les
tâches administratives prennent le pas sur les visites et l’évaluation et chaque représentant d’administration proportionnant son investissement aux objectifs de ses propres services. On est alors loin de la logique « territoriale », qui devait présider à la mise en place
du dispositif. « Tout se passe par la Poste », explique-t-on dans le Val-de-Marne.
L’autre raison de l’affaiblissement stratégique est la faible capacité de mobilisation
locale : trouver de nouveaux acteurs et les impliquer dans le dispositif pour promouvoir
de l’innovation est un objectif ambitieux et souvent assez irréaliste. La vie associative
dans les quartiers sensibles n’est pas à ce point développée et surtout ne s’est pas étendue suffisamment pour offrir les ressources nécessaires au renouvellement continu des
acteurs. Si l’on y ajoute les obstacles bureaucratiques, ceci explique largement la permanence générale des acteurs chargés de mettre en œuvre VVV, leur caractère professionnel et institutionnel. Les cellules départementales restent coincées entre la pression
bureaucratique d’un côté et l’absence de relais forts, d’un autre côté. Elles n’ont alors
souvent que le choix de financer les acteurs habituels auxquels elles font confiance mais
sur lesquels elles n’ont que peu de moyens de pression. Ceux-ci se contentent bien souvent d’intégrer le dispositif et ses financements dans leur programmation annuelle et
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Quartiers en Vacances
dans leurs budgets habituels. C’est aussi ce qui explique un certain nombre de difficultés rencontrées et notamment l’annulation de projets : « les jeunes se désistent au moment
de la réalisation de l’action », (comme on le constate à Marseille où 33 projets ont été annulés), celle-ci ayant été programmée bien trop tôt et selon un calendrier qui obéit à la temporalité administrative et non à la leur. À Toulouse, de la même façon, on observe que
les « effectifs n’ont pas toujours été au complet (réservations de bus inutiles dans certaines
actions…) » A Metz aussi, des opérateurs notent que certains jeunes se « désintéressent et
abandonnent même l’action. » Le décalage entre le temps bureaucratique et le temps des
« jeunes en difficultés » engendre bien évidemment la multiplication de ces annulations.
Finalement, le dispositif VVV, ayant perdu le soutien des élus locaux et du politique
et ne pouvant s’appuyer sur une réalité associative forte, a été pris en tenaille par l’alliance de fait entre la bureaucratie et les acteurs traditionnels et professionnels. Dans les
départements où aucune implication politique n’a été observée, son existence passe très
souvent inaperçue. Il s’agit d’un dispositif de prévention parmi d’autres dont l’intérêt
n’est que financier. Il n’a pas ou plus beaucoup de spécificités, qui permettrait de le différencier de la logique de la prévention. Dans le département de Meurthe-et-Moselle
évaluée par le CREAI, la répartition de l’enveloppe VVV fait apparaître une distribution
attribuant 30 % des subventions de la cellule départementale aux acteurs de la prévention, 14 % aux mairies et 56 % aux opérateurs de l’animation socio-éducative. Dans ce
département, 67 % des activités proposées sont des activités « chantiers », visant à la
« responsabilisation et à l’amélioration des comportements des jeunes ». L’activité « chantiers »
connaît d’ailleurs un succès considérable. Elle est, par exemple, la priorité à Agen où elle
est portée par la ville et l’office HLM. Elle fait l’objet d’une attention particulière dans la
Drôme. Dans le département de la Moselle, une partie de la sélection de projets est faite
directement par une association d’équipes de prévention spécialisée, qui « par sa bonne
connaissance du public… permet que les actions menées répondent au plus près aux besoins d’insertion et d’éducation des jeunes. » Dans le Finistère, la cellule départementale propose
d’affecter une partie des crédits à un programme d’actions de formation continue « à partir des vœux exprimés par les animateurs, en particulier sur les thèmes suivants : l’alimentation
en mini-camps, la place des parents dans les projets, les relations entre jeunes et adultes, la gestion des conduites additives dans la pratique avec les jeunes, la gestion des violences agies ou
subies dans la pratique avec les jeunes… » autant dire, un programme de formation d’éducateurs et d’animateurs.
La question des publics atteints est assez symptomatique de ce genre de fonctionnement. Il est extrêmement difficile de sortir de la clientèle habituelle du travail social. À
Toulouse, par exemple, on constate « un glissement du dispositif vers les publics les plus
accessibles au détriment du cœur de cible : les adolescents et jeunes majeurs réfractaires à tout
cadre. » En Seine-et-Marne, la cellule départementale propose des « rencontres entre porteurs de projets et associations diverses, notamment celles qui s’occupent de l’éducation spécialisée, afin de permettre un échange de savoir-faire ou de prendre contact pour un partenariat. » La
connaissance des jeunes est donnée en gage de bonne implantation sur le terrain mais
elle enferme aussitôt sur une population particulière. Il reste que la critique doit être
nuancée sur ce point. Il n’est pas sûr que l’existence de populations qui échapperaient à
tout dispositif ne soit pas largement mythique et ne relève pas de la méconnaissance du
fonctionnement général des quartiers en difficultés. Les jeunes « les plus en difficultés »
peuvent très bien faire partie de la clientèle des services sociaux et être liés aux travailleurs sociaux. Cela, comme toutes les études sur la question l’on montré, ne les empêche
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
pas de développer, par ailleurs, des conduites délinquantes ou violentes et surtout, de
garder une grande distance et une grande méfiance vis-à-vis des services sociaux et des
institutions en général. Il est très peu probable qu’il soit possible, d’une façon ou d’une
autre, d’obtenir une forme d’engagement ou de participation qui aille au-delà de la simple consommation de services et de droits. L’appel à toucher des jeunes autres que ceux
qui seraient en lien avec les services sociaux relève la plupart du temps de la méconnaissance de la réalité de ces jeunes et surtout, la réalité de ceux qui sont précisément pris en
charge par les services sociaux. Les plus en difficultés et les plus violents ou délinquants
ne sont pas forcément les premiers.
Au fond, le dispositif s’est affaibli par la désertion de ses acteurs principaux : les élus
et les bénévoles sont partis, les jeunes et les habitants n’adhèrent pas et se contentent de
consommer, les professionnels se limitent à une participation minimum permettant de
trouver des financements et de se protéger quand cela s’avère nécessaire. En matière de
prévention, le dispositif VVV est ainsi revenu à des fonctionnements classiques et suscite des appréciations qui peuvent être appliquées à des actions habituelles, comme le
montrent abondamment Maurice Blanc et Jean-Yves Causer. On ne voit plus très bien
alors ce qui le distingue de la politique de prévention, avec ses avantages et ses travers,
notamment sa logique individuelle de l’échange de « relation » contre de la « récompense », censée favoriser la socialisation du jeune, voire de l’adulte. Ainsi, par exemple,
à Laval, « l’investissement des jeunes proposé en amont de séjours, basé fréquemment sur la base
du donnant-donnant connaît des succès variables en fonction de la nature des actions proposées,
jugées pas toujours motivantes par les jeunes : par exemple, les ventes au porte-à-porte (croissants…) ou encore le simple ramassage de papiers dans le quartier. » Ou encore à Paris, les opérateurs observent les difficultés à « motiver et à impliquer les jeunes dans les projets. En ce
qui concerne les chantiers, un manque de rigueur est constaté, le rapport à l’effort difficile, les
horaires ne sont pas respectés et les jeunes n’ont visiblement pas l’habitude de travailler. »
3. Les transformations du public et du contexte
Dans l’ensemble, le dispositif semble atteindre les publics visés, si l’on entend par là les
« jeunes en difficultés », c’est-à-dire pour l’essentiel les jeunes des quartiers populaires
plus ou moins marginaux ou plus ou moins délinquants. Il reste que les opérateurs se
heurtent à des difficultés constantes de deux ordres. Ils ne peuvent toucher tout le
monde et ont le plus grand mal à s’écarter de la clientèle habituelle des services sociaux.
Mais ce type de problème est déjà très ancien. Non seulement, il était signalé dès l’origine des opérations VVV en 1982, mais plus généralement, il est présent dans les années
soixante et soixante-dix : les jeunes qui fréquentent les institutions sociales, les clubs de
prévention ou les centres divers d’animation ne sont qu’une minorité et des doutes ont
toujours été émis quant à leur spécificité. Comme nous venons de l’observer, ces doutes
relèvent probablement d’une méconnaissance générale et continue de la population
concernée : l’activité délinquante chez les jeunes n’est pas forcément liée à l’absence de
fréquentation des centres sociaux ou de l’animation socioculturelle. Les logiques de participation ou, au contraire, de prise de distance, obéissent largement à des mécanismes
sociaux plus généraux qui relèvent du fonctionnement des quartiers dans leur ensemble
et des rapports entre jeunes et groupes de jeunes. De plus, les informations données sur
le public le sont par les travailleurs sociaux eux-mêmes ou par les opérateurs : en règle
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Quartiers en Vacances
générale, ces informations sont recueillies dans la logique de l’intervention professionnelle. Elles tendent largement à considérer le « jeune » ou la « famille » en soi, comme
s’ils étaient des atomes isolés, caractérisés par un certain nombre de critères objectifs et
définis par un type de comportement qu’il s’agirait de « redresser ». Or, la logique de
conduites marginales des jeunes comme celle des comportements sur un quartier est
rarement « individuelle ». La personne est aussi définie collectivement et ses conduites
sont d’abord sociales. Comme le montrent bien ici Laurent Mucchielli et Marwan
Mohammed, la fréquentation des équipements sociaux comme la participation à VVV
s’expliquent moins par des caractéristiques personnelles (l’individu est plus ou moins en
difficulté) que par des caractéristiques sociales ou écologiques : l’individu appartient à
tel ou tel groupe, il est défini par telle ou telle identité ethnique dans tel territoire, etc.
Ainsi, si un groupe participe, sa seule présence peut avoir pour conséquence la mise
à l’écart de tel autre. Ceci est particulièrement le cas, par exemple, quand deux cités se
définissent l’une contre l’autre. C’est aussi largement le cas, à l’intérieur des cités ou des
quartiers. La présence de garçons, ou de certains garçons, amène les filles à se tenir à
l’écart. Mais l’inverse est aussi vrai : la présence de filles conduit certains garçons à ne
pas participer. Il existe donc un fort décalage entre la perception « professionnelle » des
populations, qui le plus souvent tend à individualiser et à objectiver, et une réalité
sociale dans laquelle les conduites et les comportements sont étroitement « réglés » par
les mécanismes normatifs de la cité ou du quartier. Le vocable « jeune en difficulté »
induit une perception trop étroite des individus. Ceux-ci ne sont pas seulement définis
par leurs « manques sociaux », ils appartiennent aussi à un ensemble social qui parfois
est extrêmement contraignant : le code de la rue, qui s’est mis en place depuis une
dizaine d’années en France, ne tolère pas beaucoup de « déviance » qui ne soit pas sanctionnée de manière parfois extrêmement violente. Il est inadéquat de ne voir dans les
quartiers populaires qu’une forme de chaos social qu’il faudrait traiter en développant
des actions éducatives et socialisatrices.
Ainsi, en est-il du comportement sexuel par exemple. À l’évidence, dans bien des
endroits, la communication est rompue entre les sexes. Dans la cité, il est très rare de voir
des couples et ceux qui existent préfèrent se retrouver ailleurs, à l’abri de regards et de
la pression sociale. La contrainte est ici à la fois « sociale », elle s’exerce par la « menace »,
le commérage et éventuellement la violence, mais aussi « normative », les garçons ont le
plus souvent « intériorisé » une conception des femmes et de leur « désirabilité », qui fait
que les plus désirables sont aussi les plus inatteignables. Les femmes vierges sont à la
fois les plus désirables et celles avec lesquelles il est interdit d’avoir des relations sexuelles sans violer les normes tant de la « rue » que de la « famille ». Il ne s’agit pas ici seulement de la crainte des sanctions et des conséquences. Les jeunes garçons se sentent
coupables quand ils transgressent ces normes. Il en résulte l’instauration d’une distance
publique et de logiques d’évitement entre garçons et filles, chaque groupe essayant de
vivre en réduisant au maximum les contacts avec l’autre et surtout en essayant, notamment chez les garçons, de ne pas avoir de relation interpersonnelle. Les difficultés récurrentes à faire participer les filles s’expliquent donc moins par la nature des activités que
par ce fonctionnement social et normatif. À l’adolescence, les filles se montreront réticentes à s’engager dans des activités marquées par une forte présence masculine. Elles préfèrent, le plus souvent, organiser leurs propres activités en dehors de la cité et, dans la
mesure du possible, de la façon la plus discrète possible. « Les garçons sont toujours surreprésentés. Nous observons malgré tout une augmentation dans les accueils de filles se déplaçant
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
plus fréquemment seules. Les garçons ont sans doute moins de difficulté à venir demander notre
aide tandis que les filles essaient de s’assumer. De plus, la présence des frères aînés ou des copains
de ces derniers ne leur facilite pas l’accès et la fréquentation du local », expliquent des travailleurs sociaux parisiens. Le taux de participation des filles aux programmes VVV, qui
oscille entre 25 % et 40 %, peut donc être considéré comme un succès. La seule manière
de l’augmenter serait de rajeunir le public.
Ici aussi, il faut rappeler le peu de pertinence des explications par l’héritage culturel ou les caractéristiques des individus. Les rapports entre garçons et filles tels qu’ils
existent ne sont pas la conséquence d’un héritage religieux particulier. Ils relèvent de
l’économie générale de la vie sociale dans les quartiers populaires et dans les banlieues.
En d’autres termes, leur explication est plus territoriale ou sociale que culturelle. De tels
comportements ont été décrits et analysés par la sociologie depuis fort longtemps dans
les quartiers populaires italiens, polonais, chicanos ou noirs dans les villes américaines.
Le plus remarquable est évidemment leur diffusion. On aurait donc tort de penser qu’il
s’agit là de simples conduites déviantes tenant à une intégration mal assurée ou « en
panne » d’individus d’origine immigrée. À chaque fois, c’est la logique du territoire ou
du quartier qui est en cause, avec ses normes propres, et c’est cette logique qui explique
la fréquentation ou la non-fréquentation des actions offertes par les opérations VVV par
les groupes de jeunes ou par les garçons et les filles.
De ce point de vue, par rapport à la période initiale de lancement des opérations Été,
des changements majeurs sont intervenus. Il est évidemment impossible d’en proposer
ici un diagnostic complet. Mais au moins deux types d’observations doivent être faits si
l’on veut comprendre les difficultés auxquelles se heurte le programme VVV et, surtout,
si l’on veut comprendre son évolution.
Tout d’abord, les populations sont aujourd’hui largement dominées par un sentiment double d’exclusion et de dépendance. Les études ont montré la dégradation continue de la situation dans les quartiers difficiles tout au long des années quatre-vingt-dix.
Cela se traduit par une impression, déjà ancienne mais croissante, d’exclusion notamment chez les jeunes, mais aussi le développement d’une dépendance de plus en plus
forte vis-à-vis des services sociaux et des institutions publiques en général. Pour nombre
de familles, sur un plan financier, la contribution des services sociaux est vitale. Mais
surtout, pour ces familles et leurs enfants, tous les aspects de la vie en viennent à dépendre d’institutions publiques diverses. La mobilité sociale dépend de la réussite scolaire,
trouver un travail suppose de passer par une Mission locale ou l’ANPE, trouver un logement amène à affronter les offices HLM, partir en vacances suppose que l’on s’adresse
aux services sociaux de la Mairie, etc. Il faut insister sur ces aspects de la vie dans les
cités qui concernent l’existence quotidienne : vivre dans un quartier populaire est dépendre de la bureaucratie et devoir se conformer aux catégories de la bureaucratie sans pouvoir réellement y échapper. Mais en l’absence d’espoir de mobilité sociale, cette dépendance, déjà vécue comme problématique du point de vue du respect de soi-même,
devient illégitime et se transforme en piège. L’individu a très vite le sentiment que la
bureaucratie est plus une barrière qu’une opportunité et que sa soumission ne lui apportera rien de très important d’autant que ce que peut lui offrir cette bureaucratie n’est
pour lui que du « factice » : il n’accède pas à la vraie consommation, il n’a pas de vraies
vacances, il n’a pas un vrai travail, ni même un vrai logement comme les classes moyennes. Dès lors, « ils se sentent exclus, rejetés et tenus légitimement, pensent-ils, de rendre
la pareille à ceux qui les oppriment. » Comme l’ont souligné de nombreuses enquêtes et
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Quartiers en Vacances
comme le rappelle ici Marwan Mohammed, les jeunes ont le sentiment de ne pas accéder à la réalité. De ce point de vue, leur prise de distance et le mépris qu’ils affichent visà-vis des opérations VVV s’inscrit dans cette logique : de telles activités leurs paraissent
souvent comme des succédanés de vraies vacances, quelque chose qui, au fond, induit
leur humiliation. Ce premier type de logique s’est fortement renforcé ces dernières
années. Il explique en grande partie les comportements observés et les rapports qui s’instaurent entre les opérateurs VVV traditionnels. Notamment, cette logique exacerbe le
désir de consommation qu’il faut bien ici comprendre comme un désir d’accès à la réalité, à la « vraie vie », désir de consommation régulièrement dénoncé par les travailleurs
sociaux et les opérateurs VVV, souvent profondément « choqués » moralement par de
tels comportements. Ainsi, un opérateur parisien décrit les jeunes ayant participé à
l’opération en 2001 : « fonctionnement dans l’immédiat et sans effort, difficultés de projection
dans le temps et dans l’engagement, le zapping y compris dans la relation, la place du fric (je veux
quelque chose, il me le faut maintenant), banalisation du petit trafic, difficulté à envisager une
morale, une loi. » Un autre utilise pratiquement les mêmes termes : « Consumérisme effréné,
conformisme de la mode (marques), valorisation de l’échec scolaire, fascination de la violence,
machisme, banalisation des insultes et des grossièretés, inertie. » Les jeunes « ne se retrouvent que
dans la consommation rapide d’activités et manquent de curiosité. » Les perceptions croisées
des uns et des autres se correspondent parfaitement : au désir de consommation des uns
répond le moralisme des autres ; à la critique du conformisme des classes populaires par
les travailleurs sociaux, répond la critique de l’utilitarisme et de l’égoïsme des classes
moyennes par les jeunes. On ne peut comprendre les conduites des jeunes indépendamment des modes d’intervention des institutions publiques et des services sociaux, de leur
perception et de leurs définitions des publics et des réactions que ces interventions et des
perceptions suscitent.
Le développement de ces perceptions croisées explique une certaine tendance au
repli des institutions publiques et des services sociaux. Le fossé s’est particulièrement
agrandi depuis les années quatre-vingt générant de fortes tensions notamment entre les
jeunes et tout ce qui peut représenter l’ordre et l’État. Il en résulte une sorte d’inversion
permanente entre les priorités des uns et celles des autres : les acteurs institutionnels
veulent « socialiser » des individus qu’ils jugent « désocialisés », alors que les individus
en question veulent, à travers l’accès à la consommation, s’individualiser pour échapper
à une socialisation qu’ils jugent humiliante. De fait, VVV apparaît bien souvent à ce
public, comme une production des bureaucraties, et donc comme s’inscrivant dans une
logique collective et sociale dont ils cherchent à s’affranchir pour accéder à une « vie normale » et au respect lié à la consommation.
La deuxième observation concerne la formation et le fonctionnement des groupes
ou des « bandes ». Tous les opérateurs constatent leur présence, même si la plupart se
refusent à parler de véritables bandes. La notion de « bande » n’a jamais été admise
comme telle, et déjà à la fin des années cinquante, l’anthropologue Jean Monod en
contestait la pertinence pour décrire les groupes de jeunes qu’il analysait dans le XIXème
arrondissement de Paris, parlant déjà de « fin des bandes ». Les opérateurs constatent
pourtant des phénomènes récurrents de regroupement des jeunes : « On ne peut pas parler de phénomènes de bandes constituées et hiérarchisées… les jeunes se regroupent par affinité,
par tranches d’âge, pour traîner ensemble… sans qu’il y ait pour autant un chef et des exécutants ». Mais, dans l’ensemble, la logique de ces groupes marque aussi une grande continuité. Les groupes se définissent par des territoires, ils se sentent chez eux dans tel ou tel
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
endroit et éprouvent de l’insécurité quand ils s’en éloignent. Ils s’affirment en s’opposant à d’autres groupes dans et hors de la cité. Ils sont quasi exclusivement masculins et
sont imprégnés d’un fort machisme agrémenté d’une aussi forte homophobie. La logique du « groupe » est celle du territoire et du quartier. Elle consiste généralement à marquer une identité forte, un « délire » à chaque fois particulier. Mais le groupe n’est pas
une excroissance pathologique. Il remplit deux fonctions sociales dans la cité. La première concerne le quartier dans son ensemble. C’est une fonction « communautaire ».
Les réunions dans les cages d’escaliers permettent de réduire fortement l’anonymat.
Dans la cité, chaque individu finit par être ainsi connu personnellement, par son caractère et non par ses rôles sociaux plus ou moins formels. Les conversations des jeunes
reviennent d’ailleurs inlassablement sur le « caractère » des personnes. En réduisant
ainsi l’anonymat, le groupe installe une certaine sécurité pour une population qui en est
largement dépourvue à cause de sa faiblesse sociale. La seconde fonction est plus importante en ce qui concerne le dispositif VVV : le groupe ne fonctionne pas de façon coopérative. Il ne s’organise pas en fonction d’un objectif précis. Contrairement au fonctionnement « normal » d’un groupe qui pourrait devenir ainsi une « cible » pour VVV, il est un
lieu d’expression de l’individualité. Pour des individus qui se sentent dévalorisés, le
groupe permet d’affirmer ou de faire reconnaître une individualité souvent humiliée par
les mécanismes institutionnels. Le jeune est vivant dans son groupe, il est souvent apathique et méfiant ou tout au moins très différent en dehors. « Chez certains, on constate peu
de motivation, une relative inertie. Ils ont du mal à s’éloigner de leur lieu d’habitation et à faire
confiance à des personnes étrangères », explique un opérateur parisien. Dans le groupe, il
peut trouver une autonomie qu’il n’a nulle part ailleurs. À travers l’action en groupe, il
a le sentiment de contrôler son environnement et c’est donc à travers son « groupe » ou
sa « bande » qu’il se sent un individu et qu’il peut exprimer cette individualité. Ce mode
de fonctionnement engendre souvent une forte incompréhension de la part des travailleurs sociaux car la logique du groupe est d’abord une logique de la compétition interne
permanente. Dans le groupe, l’individu est à la recherche de pouvoir et de prestige. Les
rapports internes sont donc souvent rudes, compétitifs voire violents. Mais paradoxalement, dans cette logique, l’individu cherche toujours à échapper à la dépendance vis-àvis du groupe et ne veut surtout pas y être identifié totalement. Il le vivrait comme une
humiliation ou une stigmatisation. Autant le groupe est fort et impose sa logique, autant
l’individu qui y participe évite de s’y identifier, voire de s’y engager. Un opérateur parisien décrit ainsi le fonctionnement des groupes : « L’acquisition de l’objet qu’ils convoitent
est un moment important. Ils prennent du plaisir à le manipuler, à le montrer aux autres… ces
comportements délictueux peuvent être expliqués, en partie, par un besoin effréné d’argent. Mais
ce sont aussi des conduites à risques ; ils bravent la loi et testent leurs limites. C’est aussi un
moyen de vivre des moments excitants… Ce mode de fonctionnement constitue pour le jeune un
moyen d’entrer ou de rester en relation avec son groupe de pairs ; c’est une façon d’être accepté
au sein du groupe, de montrer ses capacités, d’avoir une identité par rapport au groupe mais
aussi de donner une identité au groupe. » Le groupe est en quelque sorte un espace ou un
territoire. Il ne peut jamais se mobiliser de manière coopérative, en vue d’un objectif
précis et n’a donc pas de capacités d’actions collectives. Encore une fois, il est un lieu
d’expression individuelle.
La contrepartie de ce fonctionnement non coopératif et à faible engagement est la
très forte normativité que le groupe impose à ses membres et à son environnement. La
bande n’étant pas unie par un objectif commun maintient son existence par cette norma-
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Quartiers en Vacances
tivité. Le groupe, presque toujours entièrement masculin, impose une stricte conformité
sociale, non seulement aux jeunes qui le composent, mais aussi au quartier dans lequel
il évolue et notamment aux filles. Les réunions de cages d’escalier, en réduisant l’anonymat, servent aussi à contrôler le quartier. Le groupe ne se « cristallise » véritablement
qu’en cas de conflit avec ses opposants, dans une logique cumulative qui va de la cage
d’escalier à la rue, puis au quartier, à la cité et à la ville. Il n’existe au fond que par la projection négative d’un monde agressif et excluant dont il dénonce en permanence le
racisme intrinsèque. Au fond, la logique normative du groupe est de travailler à l’enfermement en interdisant toute relation à l’autre ou à l’extérieur, et notamment toute relation interpersonnelle avec les filles car elles pourraient compromettre l’appartenance à
la « bande ». Par le travail du groupe, le monde interne de la cité devient un lieu d’interconnaissance et d’expression de soi qui s’oppose au monde externe dangereux et anonyme où, à chaque instant, l’individu risque d’être embarrassé, confus ou surpris. Très
souvent, cette logique conduit les individus, et notamment les jeunes garçons, à limiter
étroitement leur monde social de façon à ne pas se voir remis en cause. L’autolimitation
peut prendre une dimension religieuse parfois, mais le plus souvent elle est territoriale.
L’intégrité personnelle est protégée par l’enfermement dans le groupe et le quartier.
L’individu se protège en refusant toute participation sociale et urbaine. La violence lui
permet alors de faire correspondre la réalité à ses projections et de « fixer » une identité
personnelle et collective. Les groupes considèrent leur quartier « comme une zone sanctuarisée et protectrice ». « Leur difficulté à affronter l’inconnu est liée à leur façon de vivre leur quartier, un endroit d’où l’on ne peut sortir sans risque, et leur groupe, un ensemble dans lequel l’individu est soutenu et sans lequel il ne peut exister », écrivent des éducateurs de prévention.
La conséquence, pour nombre de jeunes, est que les seuls contacts qu’ils ont avec les normes de la société « majoritaire » et intégrée se font par leurs aspects négatifs, c’est-à-dire
à travers les institutions de répression. Ils vivent ainsi dans un univers constitué des
« normes » de la culture de la rue qui sont celles de leur groupe et qui se juxtaposent aux
normes familiales, qu’ils opposent au monde de la bureaucratie.
D’un point de vue général, par rapport au monde de la galère des années quatrevingt, largement compréhensible dans des catégories sociales, le monde des cités d’aujourd’hui doit être compris plutôt à partir de catégories urbaines. La distance avec les
services sociaux et les institutions publiques s’est considérablement accrue et, surtout,
toute une culture de la rue s’est développée générant une assez grande fermeture des
quartiers sur eux-mêmes. À tout cela, s’ajoute le développement d’une économie souterraine et, dans bien des endroits, des modes de gestion politique clientéliste qui sont
venus exacerber ces tendances. La conséquence est un certain enfermement des « institutions publiques », des services sociaux et des dispositifs de prévention sur eux-mêmes,
et les difficultés qu’ils ont à susciter de l’adhésion. Se heurtant à la fermeture des milieux
urbains populaires, ils ont tendance à compenser par un surcroît de « moralisme » et un
renforcement de leurs identités professionnelles une efficacité plus faible. Le dispositif
VVV n’échappe pas à cette évolution et on peut penser que son repli sur les dimensions
administratives et la logique classique de la prévention s’explique en grande partie par
cette évolution générale.
Outre l’éloignement du politique, les transformations du public sont probablement
une des explications des évolutions du dispositif VVV, de l’affaiblissement des capacités
stratégiques et du développement d’ambivalences positives mêlant la recherche d’une
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
efficacité éducative et préventive avec une organisation dont le but était finalement
autre. Le dispositif s’inscrit ainsi dans des changements qui ne lui sont pas propres mais
concernent l’ensemble des institutions, des politiques sociales et de la politique de la
ville. L’heure est à un certain repli, qui se traduit dans le dispositif VVV par un surcroît
de professionnalisation et de bureaucratie. En ce qui concerne plus particulièrement
VVV, il faut souligner le décalage entre l’évolution du public et des orientations qui semblent aller progressivement en sens contraire.
L’évolution du public est fortement marquée par le développement d’une « culture
de la rue » et d’une fermeture accentuée des « cités » sur elles-mêmes. La difficulté dans
l’appréhension du phénomène est qu’il suppose de séparer les logiques individuelles
des logiques collectives. Par exemple, nous pouvons expliquer la participation de certains jeunes à des groupes de pairs, par des difficultés familiales, des caractéristiques
psychologiques et, peut-être surtout, par des dimensions proprement sociales, comme la
pauvreté, l’absence de perspective de mobilité, l’échec éducatif. Nous pouvons alors
comprendre en quoi ces groupes ont un rôle important pour l’individu dans son développement personnel et dans sa marginalisation, expliquant ainsi ses conduites. Mais à
cette première logique d’explication, il faut en ajouter une seconde : le groupe de pair
joue aussi des fonctions importantes dans la cité. Il contribue à réduire l’anonymat, il
permet la circulation de l’information, il établit un fort contrôle normatif, il délimite un
espace propre. Il est en quelque sorte une fabrication de la collectivité et non un agrégat
d’individus. De ce point de vue, il n’est pas utile que tous les jeunes garçons de la cité y
participent. Il suffit que 20 % à 30 % d’une classe d’âge participent à ces groupes pour
que leurs fonctions soient assurées. Aussi empêcher les réunions de ces groupes en réprimant leurs participants manque en grande partie la cible dans la mesure où le groupe
s’explique par les fonctions qu’il assure dans la cité tout autant que par son rôle auprès
des participants. Comme il est largement commandé par le fonctionnement général de
la « cité », si ses participants sont empêchés d’une manière ou d’une autre, il est probable que d’autres viendront prendre leur place et assurer les fonctions qu’il remplit. En
termes pratiques, la prise en charge éducative ou répressive des individus ne peut régler
en rien les problèmes collectifs qui relèvent d’autres logiques.
Dans les années quatre-vingt, dans les quartiers populaires de banlieues, cette dualité n’existait pas. Elle s’est construite progressivement pendant les années quatre-vingtdix, induisant un décalage fort des politiques sociales et des politiques de prévention :
les réactions publiques, et notamment le secteur de la prévention, comme en témoigne
l’évolution de VVV, ont plutôt consisté à renforcer le volet professionnel et éducatif
s’adressant aux individus. Une certaine orientation préventive (parfois moralisatrice)
s’est imposée, comme en témoigne par exemple, les « chantiers », orientation qui vise
l’individu auquel on demande une contribution en échange d’une récompense sous
forme de vacances. Par ce biais, le jeune est supposé retrouver un certain sens de la participation et de la bonne conduite. Il n’est pas entretenu dans son oisiveté ni dans ses
« mauvaises habitudes », bref, il est socialisé. Bien qu’elle soit utile auprès d’individus
particuliers, cette logique éducative et préventive rate au moins partiellement sa cible
pour deux raisons. Tout d’abord, parce que pour avoir un maximum de résultats, elle
devrait s’adresser à des publics plus jeunes. L’éducatif est d’autant plus efficace qu’il est
précoce. Une fois que l’individu a basculé dans la déviance, la prévention est relativement impuissante : quand on a goûté le champagne, il est difficile de revenir au CocaCola. Mais surtout, ce mode d’intervention n’a que peu d’effets sur le fonctionnement
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Quartiers en Vacances
général de la cité ou la vie du quartier dans son ensemble qui continuent de s’imposer
aux individus. Ceux-ci sont alors souvent pris dans la contradiction entre leur désir de
« mobilité » et de « s’en sortir » et leur attachement au quartier ou à leur groupe de pair
qui leur fait ressentir leur volonté de mobilité comme une « trahison ». En tendant à
isoler les individus, les travailleurs sociaux et les logiques éducatives exacerbent cette
tension. Pour y échapper, les « jeunes » cherchent alors à mettre à distance les institutions sociales et publiques et y participent sans trop s’y engager dans une logique
« consumériste » et utilitariste.
La conséquence en ce qui concerne les orientations de VVV est très directe : la notion
de public cible n’a pas vraiment de sens et contribue à masquer cette réalité sociale. Il
nous a semblé important de souligner la nécessaire réorientation du dispositif vers le
« territoire » ou le quartier. La préoccupation de « paix sociale » centrée sur le milieu et
cherchant à « réoccuper l’espace public » fut au cœur de l’idée initiale des opérations Été.
Elle est aujourd’hui, et pas seulement en raison de considérations politiques, devenue
une nécessité, même si elle n’invalide pas le travail classique de la prévention, bien au
contraire. Mais, la réalité du public de VVV est telle que cette orientation préventive ne
saurait avoir de sens si elle ne s’articule pas fortement à un travail sur les quartiers visant
à instaurer une logique de tranquillité publique. Le dispositif VVV ne doit pas seulement
viser à éduquer les jeunes et à les faire participer à des actions préventives. Il devrait
aussi viser les quartiers dans leur ensemble et contribuer au travail de « contrôle » de
l’espace public par la collectivité et les habitants, car c’est bien ce sentiment de perte de
contrôle collectif sur l’espace public qui explique le sentiment d’insécurité et alimente les
incivilités voire la délinquance.
PROPOSITIONS
Les observations que nous avons faites sur le dispositif amènent à faire un certain nombre
de propositions. Notons tout d’abord que dans l’ensemble notre appréciation est plutôt
positive. Au-delà des critiques habituelles du programme VVV concernant le public, la
présence relativement faible des filles, le peu de participation des associations de jeunes
ou d’habitants, l’absence de nouveauté et de renouvellement, le dispositif fonctionne de
manière satisfaisante. Un certain nombre de pratiques pourraient être généralisées.
Néanmoins, nous avons souligné trois ensembles de problèmes concernant les orientations face aux transformations du public, le poids croissant de l’alliance des professionnels
et de la bureaucratie et l’absence du politique. Il nous a semblé que ces trois ensembles
étaient liés. Les transformations du public sont à l’évidence à mettre en relation avec une
demande de plus en plus forte de sécurité qui a conduit les élus à se détourner du dispositif perçu comme un dispositif de plus en plus classique de prévention. L’administration
et les professionnels ont alors pu l’intégrer dans leurs pratiques et leurs orientations propres, construisant une sorte de « consensus éducatif » largement partagé par la plupart des
opérateurs. Il nous a semblé que s’il y avait des changements à opérer dans le dispositif,
ils devaient aller dans le sens d’une orientation moins « éducative » et plus largement
« tranquillité publique », moins ciblée sur les individus et plus sur les milieux et les quartiers. De ce point de vue, il importe probablement de dégager quelque peu le dispositif du
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
« consensus » imposé par les professionnels et l’administration et y faire entrer des préoccupations plus directement en prise sur la demande sociale et le politique.
Proposition 1. Définir un domaine propre. Dans bien trop d’endroits le dispositif VVV
est intégré à la prévention ou au travail social comme une simple source de financement.
Il tend à perdre sa spécificité. Or, le dispositif VVV, s’il comporte une part d’éducatif et
de prévention, n’est pas à proprement parler un dispositif classique de prévention de la
délinquance pas plus qu’il n’est une politique sociale. Il vise à obtenir et à restaurer une
certaine tranquillité publique dans les quartiers en permettant aux habitants d’occuper
l’espace public. Pour cela, il doit combiner une offre de vacances pour les jeunes les plus
difficiles, leur permettant de quitter leur quartier, et des projets localisés associant au
maximum les habitants des cités, jeunes et adultes. Cette orientation « tranquillité publique » est aussi une orientation préventive : elle doit consister à aider les habitants des
quartiers à contrôler eux-mêmes leur environnement urbain et social et donc à réduire la
logique de l’insécurité et des incivilités. On peut supposer qu’une telle réorientation, plaçant au moins partiellement le dispositif hors de la logique de la prévention, même partiellement, susciterait plus d’intérêt chez les élus.
Proposition 2. Sortir du fonctionnement consensuel et renforcer le rôle des élus et des
acteurs de terrain. Un des travers du dispositif est sa faible capacité de renouvellement.
Elle ne s’explique pas seulement par la faiblesse de la vie associative locale et donc un
nombre d’opérateurs potentiels lui aussi faible, mais également par le contrôle exercé
par les professionnels sur les orientations. Il nous a semblé important d’affaiblir ce
contrôle par l’introduction de nouveaux acteurs dans des cellules départementales trop
étroitement composés de membres d’administrations déconcentrées ou de responsables
administratifs locaux. Des élus et des responsables d’associations pourraient participer
tant aux cellules départementales qu’à la cellule nationale afin de casser quelque peu
« l’entre soi » administratif et le fonctionnement consensuel. Par ailleurs, afin de favoriser la mobilisation de nouveaux acteurs, les cellules départementales pourraient favoriser l’offre de service aux habitants et aux acteurs locaux, notamment par exemple,
comme certains départements le font déjà, en aidant à la constitution des dossiers, en
apportant un certain nombre de soutiens administratifs mais aussi en offrant une formation aux responsables associatifs ou aux leaders locaux.
Proposition 3. Débureaucratiser. Même sans réorientation, l’ensemble des acteurs se
plaignent de la lourdeur bureaucratique d’un dispositif dont la souplesse devait être une
vertu. Afin de faciliter les mobilisations locales et un certain renouvellement, un certain
nombre de dispositions pourraient être prises. La longueur des délais d’instruction des
dossiers par exemple pourrait être raccourcie. Telle qu’elle existe aujourd’hui, elle constitue un blocage important. Les dossiers pourraient être simplifiés. L’information en direction des opérateurs éventuels pourrait être utilement renforcée de façon à donner une
impression de plus grande ouverture. Des cellules départementales essayent de garder
un certain niveau de réactivité en réservant une part des financements à l’urgence, pratique qui mériterait d’être généralisée. Évidemment, toute cette orientation suppose l’acceptation d’un certain niveau de risque quant aux opérateurs. La contrepartie de ces allègements pourrait donc être un renforcement de l’évaluation et, surtout, du suivi en
temps réel des opérations par les cellules départementales.
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Ville, Vie, Vacances, un bilan général
PREMIÈRE PARTIE
Vingt ans d’évolution
et de permanences d’un dispositif
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Quartiers en Vacances
Q
u’y a-t-il de commun entre l’opération lancée en 1982 dans l’urgence et le bricolage,
plus portée par des personnalités et des politiques que par des administrations ou des
professionnels réticents, et le dispositif Ville Vie Vacances qui s’étend sur tout le territoire
et offre près de 15 000 projets à près de 800 000 jeunes ? À l’évidence, les changements ont
été considérables. Mais ont-ils affecté la nature même du programme ? Certes celui-ci fut
d’abord un « coup » dont les promoteurs espéraient des effets sur la tranquillité publique dans les quartiers « chauds » pendant l’été et, peut-être, d’autres conséquences sur
la prévention et les politiques locales, sur les cloisonnements qu’ils jugeaient paralysants
entre les ministères ou entre les services sociaux et les différents acteurs locaux de la prévention, de la justice et de la police. Au-delà de cette volonté de faire « bouger les choses » et de donner un poids plus important aux élus et aux politiques dans les domaines
de la prévention, du social et de la répression, il n’était guère envisagé que le « coup »
puisse devenir une politique publique, c’est-à-dire une action publique, motivée et cohérente, visant à traiter de manière appropriée un problème clairement identifié. Pourtant,
vingt ans plus tard, le programme Ville Vie Vacances fait bien figure de politique établie
et cohérente, politique fortement incitative puisqu’elle cherche à mobiliser des acteurs
locaux pour « traiter » le problème des « jeunes en difficultés » pendant les périodes de
vacances avec des objectifs « préventifs ». De ce point de vue, le programme VVV a
imposé aux administrations publiques de passer d’une « politique des produits » à une
« politique des problèmes » : elles ont dû accepter de renoncer, au moins partiellement,
à leur fonctionnement vertical et segmenté pour « agir en situation » en « tenant compte
de manière explicite de la variabilité des contextes locaux et de l’interdépendance de leur
action » [1]. Cette évolution, loin d’être aboutie, ne va pas sans grandes difficultés et surtout sans grandes résistances. La logique bureaucratique et professionnelle des « produits » continue de fonctionner largement, d’autant plus que l’administration n’est
jamais parvenue à définir clairement les problèmes à traiter et donc l’objectif ou les
objectifs en fonction desquels elle doit se mobiliser et se réorganiser. Sans cette conceptualisation préalable, les acteurs peinent à « décloisonner » véritablement leur action et
à établir une véritable coopération. Comme le montre abondamment ici Louis
Dubouchet, l’ensemble du dispositif est alors pris dans une sorte de tension entre une
logique bureaucratique de « produits », offrir un maximum de projets pour un maximum de jeunes dans une perspective « éducative », et une logique de « problèmes »,
résoudre le « problème » des jeunes en difficultés sur leurs quartiers pendant les périodes de vacances dans des contextes locaux les plus divers. Le témoignage et les
réflexions de Philippe Castanier (donnés en annexes) montrent bien aussi, de l’intérieur,
comment les différents acteurs peinent à définir clairement la nature de leurs objectifs et
donc la nature du programme VVV. Tous deux insistent sur les effets positifs concernant
la coopération et le décloisonnement des administrations, la mobilisation des acteurs
locaux, les évolutions des pratiques, mais aussi sur les résistances et la difficulté de
s’écarter des habitudes et des idéologies et, peut-être, surtout, des « territoires » d’intervention et des compétences de chacun. Dans son étude sur les circulaires, Francis
Bailleau souligne abondamment lui aussi les difficultés de la construction d’une politique publique. Il montre comment le programme se stabilise à partir de 1985 et finit par
s’inscrire dans la routine de l’action publique. Surtout, sa généralisation à l’ensemble des
1] Sur tous ces thèmes, voir : Patrice Duran, Penser l’action publique, Paris, LGDJ, 1 999.
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vacances et son extension à l’ensemble du territoire national contribuent à « brouiller »
ses objectifs et finalement ont renforcé la logique de « produit » en faisant perdre au dispositif sa spécificité. Enfin, Guy Julliard montre aussi combien la tension entre la logique
de politique publique appuyée sur l’engagement des élus a été affaiblie au profit de la
logique « technique et administrative » de « produits » au fur et à mesure que les élus se
sont désengagés du dispositif. Toutes ces contributions donnent une image très contrastée du programme Ville Vie Vacances, politique publique marquée par la coordination,
le décloisonnement, la recherche de l’efficacité pratique et de la résolution de problèmes,
mais politique publique entravée par les résistances bureaucratiques et professionnelles,
la désertion des élus et la difficile conceptualisation du problème et des objectifs.
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Quartiers en Vacances
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PREMIÈRE PARTIE
Chapitre Ier
OPE et VVV,
la galaxie de la prévention
Par Louis Dubouchet
La prévention de la délinquance est un service public.
Elle n’est plus le fait d’utopistes ou de bonnes œuvres.
Gilbert Bonnemaison, Le 11 juillet 1984
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Quartiers en Vacances
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
D
epuis 20 ans qu’il naît, se développe et résiste au temps incertain des alternances
politiques et des systèmes de valeur, le dispositif OPE/VVV est exemplaire d’une politique publique ayant mobilisé une multiplicité d’acteurs dont l’éclectisme des statuts le
dispute à celui de leur rapport à son objet initial, la prévention de la délinquance.
À tous les niveaux de l’organisation, politique, administrative et territoriale, les services de l’État, ceux des collectivités, le mouvement associatif et le bénévolat y ont été
associés en regroupant, sous un même emblème, des acteurs spécialisés et des acteurs
généralistes, d’aucuns inscrits dans la prévention par nature, d’autres très éloignés de
ces questions.
En appui à certaines actions d’envergure nationale ou locale, le secteur marchand
est également intervenu sous forme de mécénat d’entreprise.
À l’exception des bénévoles dont la présence s’est amenuisée, les autres familles
d’acteurs ont de manière stable participé à la conception, à la conduite ou à la mise en
œuvre du programme tout au long de son histoire. Leurs positions, à l’égard de l’animation, de la prévention ou de la sécurité, leurs investissements, les méthodes de travail ont
changé, mais les acteurs, les opérateurs ont été fidélisés par le dispositif dans une sorte
d’adhésion apparemment insensible aux évolutions pourtant substantielles du dispositif. Si nombre d’opérateurs conjuguent aujourd’hui comme hier les critiques et les contributions, ils sont peu nombreux à avoir quitté le dispositif (à tout le moins la subvention)
jusqu’à ces deux dernières années où un début d’hémorragie apparaît.
Au-delà de cette capacité d’attraction, le dispositif OPE/VVV a modifié les rapports
entre le secteur public et le secteur privé. La relation de commanditaire à prestataire
qu’entretenaient les administrations et les associations s’est transformée en une relation
de partenaires. Ils sont devenus coopérateurs dans l’ingénierie du programme au
niveau local et dans la mise en œuvre des actions d’animation tant que la logique de
projet territorial a présidé à l’organisation du dispositif.
Puis au fil du temps, son extension spatiale et temporelle a fait son œuvre et la logique de la commande publique, de la subvention a repris ses droits.
Cette articulation entre public et privé, entre commande publique et demande sociale, est
restée l’objet d’une quête permanente de tous les acteurs. Jamais acquise de manière stable, elle a conservé au dispositif une capacité d’adaptation qui s’illustre dans les politiques de financement. Ici elles privilégient l’aide aux communes, et là l’aide aux associations, voire l’aide à la personne dans les bourses vacances autonomes (BVA). Il en résulte
une nouvelle forme de conduite de l’action publique qui s’inscrit dans un plus large
mouvement fait d’interventionnisme, de contractualisation et de financements croisés.
Ainsi des acteurs de statuts, de dimensions et de domaines d’activités très différents
ont-ils contribué à la mise en œuvre du dispositif OPE/VVV. Ils y ont trouvé l’occasion
de développer des initiatives nouvelles, de réaliser des actions que leurs moyens propres
ne leur permettaient pas de mettre en œuvre, à tout le moins de valider des expérimentations à la marge de leurs domaines de compétences ou de leurs champs d’intervention.
Du point de vue de la coordination, mode de conduite instauré dès l’origine, le dispositif OPE/VVV a pu accepter que certains acteurs agissent de manière autonome
(armée - coopération – police nationale) malgré l’injonction au partenariat sans que des
forces centrifuges dépassent la puissance identitaire du dispositif. Ont pu aussi cohabiter des organisations très centralisées avec des initiatives locales microscopiques,
voire individualisées.
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Quartiers en Vacances
De la même manière, la largeur du spectre des domaines d’expertise mobilisés dans
les actions (culture – délinquance – justice – sport – défense – action sociale – coopération
- animation) a généré une même largeur de spectre dans les compétences des acteurs.
Autorisés par la plasticité du concept de prévention et l’absence d’identification
précise des caractéristiques du public, tous les acteurs ont pu développer les actions
qu’ils tenaient eux-mêmes pour opportunes et pertinentes.
Signe de reconnaissance et d’appartenance venant remplacer les pertes de filiation
aux réseaux traditionnels de l’éducation populaire à forte identité collective, la symbolique OPE/VVV a permis aux acteurs de contribuer à un enjeu de société très actuel, de
renouveler les organisations et les pratiques, puis, une fois le dispositif légitimé, étendu
après sa phase d’expérimentation, de s’y installer durablement.
Des institutions administratrices fidèles
1. Une cellule nationale constante
La cellule interministérielle nationale, initialement installée au Ministère des Affaires
sociales, puis à la délégation interministérielle à la ville (DIV), réunit les services de l’État
engagés dans le dispositif parce qu’ils y contribuent financièrement et techniquement.
On y retrouve les acteurs de l’initialisation des OPE à Saint-Jean-le-Centenier (1 982),
l’armée et la police, seule l’entreprise Trigano en est absente.
Autour d’un trio constitué de la DIV, des Affaires sociales et de Jeunesse et Sport, s’assemblent d’autres administrations dont les interventions se développent au cours des
deux décennies ; l’Éducation nationale, la Culture, la Sécurité routière, la Délégation
générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle, la Protection Judiciaire de la
Jeunesse, l’Administration pénitentiaire, l’Intérieur, la Défense, (état-major et gendarmerie nationale), la CNAF, le FAS et le Ministère des Affaires étrangères.
Sous réserve d’inventaire, on ne connaît pas d’autre exemple de dispositif interministériel de cette dimension qui ait tenu dans la durée avec une telle constance.
La cellule nationale a franchi le cap de la décentralisation en maintenant son autonomie
financière dans la mesure où sa ligne de crédit ne s’est pas totalement diluée dans celle
de la politique de la ville.
Ensuite, elle a changé de système de pilotage et de portage administratif.
Initialement abritée par le Ministère des Affaires sociales en coopération étroite avec
celui de la Jeunesse et des Sports, elle a été prise en charge par la DIV, au moment où
celle-ci intègre les missions du CNDSQ [2] et du CNPD [3] sans que cette translation ait
fragilisé son fonctionnement. Au contraire, la cellule nationale y a trouvé des moyens
logistiques et une commande publique mieux organisée. Elle y a conforté, son identité et
son savoir faire, illustré par la permanence nominale de ses membres.
2] Conseil national du développement social des quartiers
3] Conseil national de prévention de la délinquance
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Quelles que soient leurs administrations d’appartenance, leur présence est constante sur
toute la période sauf à considérer les mutations et les départs indépendants de la volonté
des personnes. Les OPE/VVV constituent un dossier dont les membres de la cellule
nationale ne demandent pas à être dessaisis car il s’agit pour eux d’un lieu de production et d’échanges plutôt que d’acquisition statutaire ou d’ascension administrative.
Mais dans ce dispositif de pilotage, des acteurs d’envergure nationale sont demeurés
indépendants de l’organisation concertée, bien que présents à la cellule nationale.
La Défense, l’Intérieur, l’Éducation Nationale et les Affaires Étrangères ont, en effet,
conduit leurs programmes, sous l’emblème OPE/VVV, de manière juxtaposée plutôt
qu’intégrée.
L’Éducation nationale en créant le dispositif École Ouverte en 1991 s’est résolument
engagée dans une programmation et un financement indépendants de celui des
OPE/VVV. Le ministère de l’Éducation nationale est représenté jusqu’à cette date par la
direction des lycées, assidue et active notamment pour que les acquis éducatifs des
périodes de vacances rejaillissent sur la vie scolaire. Mais après le lancement d’École
Ouverte, sa participation cesse et ce ministère n’apparaît plus dans la composition de la
cellule nationale présentée par la DIV dans ses récents documents d’information. [4]
Le ministère de l’Intérieur dont les centres de loisirs jeunes (CLJ) préexistaient aux OPE
a continué à les développer et à les diriger de manière interne.
Le ministère de la Défense a proposé de manière constante son offre d’accueil dans ses
bases, tenant ses engagements, malgré les difficultés croissantes rencontrées dans la maîtrise de jeunes « vif-argent » confrontés à l’encadrement militaire.
Le dispositif VVV Solidarité Internationale s’est également situé dans une gestion
quasi autonome avec un dispositif de pilotage et d’évaluation spécifique.
Ainsi, des acteurs de niveau national ont-ils pu satisfaire à une commande publique,
s’engager dans une mission d’intérêt général et participer au fonctionnement d’une
structure de pilotage interministérielle avec des postures très différentes, sans que le
système explose.
Cette stabilité apparemment étonnante tient au fait que les OPE/VVV apportent
des moyens, gratifient les institutions participantes, soutiennent et développent leurs
objectifs propres, sans exiger d’elles qu’elles les modifient.
La participation de ces institutions au pilotage national aura consisté à échanger de
l’information, à s’engager publiquement dans le dispositif en conduisant des actions
conformes et à se créer ainsi des obligations exclusivement pour elles-mêmes.
En somme, la forme et le fonctionnement de la cellule nationale ont permis aux
acteurs d’agir selon leurs propres logiques. L’absence de modélisation obligatoire de la
mise en œuvre et de la concertation, conjuguée au caractère transversal des missions de
la DIV ont fait de la cellule un espace d’échanges, d’enrichissement et de valeur ajoutée
pour chacun de ses membres sans que la contrainte d’uniformisation administrative ne
rigidifie son fonctionnement.
Les membres de la cellule nationale conviennent eux-mêmes que plus de dix années
de concertation avec les autres ministères leur ont permis de « se familiariser avec les
4] Ville Vie Vacances – Plaquette d’informations – Les Éditions de la DIV – juin 2000
Page 43
Quartiers en Vacances
missions des autres ». Ils y ont également découvert la réalité des quartiers populaires et
la nécessaire modestie de la prévention.
Ceci étant, cette grande stabilité des acteurs de niveau national a aussi pour conséquence une même stabilité de leurs pratiques.
La cellule nationale n’a en effet pas incorporé de membres issus des organisations
regroupant les collectivités territoriales ou les unions et fédérations associatives qui
contribuent de manière significative aux actions nationales ou locales. L’État est resté
entre soi alors que les pouvoirs locaux s’emparaient du dispositif et en assumaient de
plus en plus la prescription.
Les modes d’intervention de l’armée, de la police, de la solidarité internationale
sont restés constants. Ils ont démultiplié leurs actions en les ajustant aux aspirations et
aux comportements des enfants et des jeunes, plus qu’en les articulant avec les projets
territoriaux.
En revanche, la Culture, la Sécurité routière, la Jeunesse et les Sports, la J, les Affaires
sociales ont utilisé les OPE/VVV comme un laboratoire d’expérimentations avec, au sein
de chacune de ces administrations, des groupes d’ingénierie et de recherche de qualité,
alors qu’on pouvait se demander ce que la Culture, l’Armée ou les Affaires Étrangères
allaient faire dans un programme de prévention et de pacification urbaine.
Mais ces initiatives, à la marge des politiques publiques traditionnelles, se sont
construites sur un modèle politique et administratif qui est resté le même ; commander
de l’action publique au secteur privé et la cofinancer avec les collectivités locales dans
l’espoir d’orienter les moyens vers des publics et des opérateurs particuliers.
À constater que d’année en année les circulaires préparées par la cellule nationale
[5] ont reposé les mêmes exigences sur le public (âge, sexe et problématiques particulières), on peut s’interroger sur la capacité du pilotage national à réellement faire bouger les administrations qui la composent sur l’objet même de cette politique publique,
la prévention de la délinquance.
2. Des cellules départementales, laboratoires coopératifs d’action publique
Des compositions adaptées aux territoires :
De la même manière que pour la cellule nationale, les échelons locaux des administrations déconcentrées sont membres des cellules locales, exceptés dans la première
décennie où le ministère de l’Intérieur, de la Défense, et la Gendarmerie nationale, les
échelons régionaux DRAC – DRDF – Sécurité routière ne sont pas systématiquement
représentés dans les cellules départementales.
Dans la première période (82-86) les acteurs, DDASS – Jeunesse et Sport – PJJ,
constituent l’attelage des cellules départementales et impriment au dispositif une visée
sociale et éducative.
Dès lors que seront installés les sous-préfets à la ville, ils en prendront l’animation
en laissant pendant un temps le secrétariat à la DDASS ou à Jeunesse et Sport pour, à
terme, l’intégrer dans leur équipe préfectorale.
[5] Au cours de la première décennie, elles sont signées du premier ministre soi-même puis co-signées
par les ministres concernés.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Les CAF, les Conseils généraux, les unions associatives, les représentants de l’AMF
seront ensuite institués membres des cellules départementales sans qu’ils occupent toujours les sièges qui leur furent octroyés.
Durablement installées dans un fonctionnement coopératif local, les cellules départementales constituent un cas d’école de la coordination interinstitutionnelle.
De la même manière que pour la cellule nationale, on ne connaît pas d’autre exemple de
production d’action publique qui ait mobilisé une palette d’acteurs aussi diversifiée à
l’échelle du département.
En effet, les cellules départementales OPE/VVV préexistaient à la naissance des
multiples coordinations formelles nées depuis sous le triple effet, de la décentralisation,
de la déconcentration et de la territorialisation – CDPD – CDI – CDIAE – Comités des
FAJ - CODEF [6] et qui rassemblent les services de l’État, ceux des collectivités et des
opérateurs privés. Leurs dimensions et la diversité de leurs membres sont plus restreintes, et l’on sait leurs difficultés à rendre lisible leur production interinstitutionnelle.
Non seulement les cellules ont échappé à la sédimentation à laquelle elles étaient
exposées, mais elles ont contribué dans de nombreux cas à la naissance des CCPD ou des
CIPD et des concertations municipales dédiées aux politiques locales de jeunesse et de
prévention.
Elles ont expérimenté ce qu’allaient être les politiques territoriales contractualisées.
Au moment où le fait décentralisateur affirmait la vertu de la proximité et stipulait « qui
décide paie », le dispositif OPE/VVV multiplie les sources financières, fabrique de l’inter-institutionnalité dans lequel « tout le monde s’occupe de tout et tout le monde paie »
au grand dam des opérateurs qui voient les procédures administratives s’alourdir.
Il trace la voie des modes de contractualisation et de multifinancement qui deviendront
ensuite la norme pour la conduite et l’administration des politiques publiques contractualisées.
La dynamique du dispositif OPE/VVV consistant à laisser en fin d’été ou de vacances, des jeunes mieux reliés aux offres éducatives existantes et des acteurs mieux capables d’accueillir des publics « en difficulté » a également laissé des traces sur la coordination locale en contribuant à sa structuration.
Les déplacements collectifs des cellules départementales (quelques membres en
délégation) auprès des sites, la rencontre des maires, des sous-préfets d’arrondissement,
leurs interrogations sur la cohérence de l’ensemble du dispositif, actions municipales
courantes, dispositif été, dispositif CAF, dispositif OPE/VVV ont posé les bases de
stratégies locales intégrées et de dispositifs de pilotage qui se sont progressivement
structurés, sous la forme de commissions locales jeunes, groupes de veille, collectifs
d’animateurs ou de travailleurs sociaux.
Les réseaux constitués ont irrigué les CCPD, les stratégies interinstitutionnelles de
quartiers, en permettant aux acteurs engagés dans les OPE/VVV de se retrouver ensem-
[6] CDPD : Conseil Départemental de Prévention de la Délinquance
CDI :
Comité Départemental pour l’Insertion
CDIAE :
Comité Départemental de l’Insertion par l’Activité Économique
FAJ :
Fonds d’Aide aux Jeunes
CODEF :
Comité Départemental pour l’Emploi et la Formation
Page 45
Quartiers en Vacances
ble sur d’autres champs et d’autres politiques publiques, l’insertion des jeunes, les activités périscolaires, les fonds d’aide aux jeunes, les politiques de protection de l’enfance,
de prévention et de sécurité.
Ces réseaux à l’instar de la cellule nationale sont marqués par l’implication, la convivialité et l’estime réciproque, qualités dans lesquelles on trouve aussi l’explication de la
durée du dispositif et de sa résistance à la rigidification.
À ce titre, les cellules départementales ont été à l’action publique ce que la recherchedéveloppement et les cercles de qualité ont été à l’entreprise.
Un fonctionnement à géométrie variable
Pour fonctionner, les cellules sont structurées dans la plupart des cas autour d’un noyau
central constitué du sous-préfet chargé de mission pour la ville, de la DDASS et de la
DDJS, l’un ou l’autre de ces services étant chargé du secrétariat de la cellule.
Dans la première décennie, les secrétariats sont quasi exclusivement tenus par les
DDASS, mais la décentralisation ayant considérablement réduit leurs effectifs, la
seconde décennie sera l’occasion de confier le secrétariat à la jeunesse et aux sports pour
les nouveaux départements entrants.
Autour de ce noyau central, un premier cercle réunit les autres financeurs, le Fonds
d’Action Sociale [7], la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les Caisses d’Allocations
Familiales et les Conseils généraux.
Dans un second cercle aux participations plus aléatoires, se placent des institutions
dont les relations sont moins nourries. Ils ne contribuent pas à la programmation
départementale du dispositif OPE/VVV, mais en ont l’usage ; les centres sociaux, les
fédérations d’éducation populaire, les clubs de prévention.
En prenant appui sur ces ressources, les cellules départementales adaptent leur
formation aux différentes facettes de leurs missions.
- Elles sont « en plénière » lorsqu’elles organisent une séance officielle de lancement ou
de bilan, reçoivent le préfet ou la délégation de la cellule nationale en « visite de terrain ».
- Elles sont en formation restreinte pour administrer le quotidien, instruire et valider les
projets, assurer le secrétariat technique et les relations constantes avec les municipalités
et les opérateurs.
- Elles se transforment en cellules de veille pendant la période où les OPE/VVV se limitaient à l’été, en conservant une enveloppe d’« urgence » permettant de soutenir des
projets n’apparaissant qu’en début d’été.
Les responsables des cellules départementales n’ont pas souffert du fait que leur
composition était souvent différente de celle indiquée par la norme nationale. L’écart à
la norme ne les a pas empêchées d’agir et lorsqu’elles ont cherché à obtenir l’adhésion
des partenaires qui leur manquait, elles l’ont fait en avançant d’autres arguments que la
conformité aux textes.
Le besoin de relais locaux pour expertiser les projets, la conviction et l’intérêt personnel des partenaires sollicités, le fait qu’ils conduisent par ailleurs des actions de prévention ont plus souvent justifié les invitations à rejoindre la cellule départementale que
l’obligation administrative.
[7] Le Fonds d’Action Sociale s’est désengagé du dispositif en 2000
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Une capacité stratégique perdue
Les cellules départementales se sont ainsi employées à construire un dispositif intégré,
sans toujours y parvenir.
Elles ont disposé d’une palette d’interventions étendue dans la mesure où tous les financements fléchés OPE/VVV sont examinés dans un même lieu. Mais à l’instar de l’ensemble de la politique de la ville, l’observation commune, la mise en perspective commune
n’emportent pas la planification commune et la fongibilité des lignes financières.
En effet, outre ce qui a déjà été mis à jour pour la Police, la coopération ou l’Éducation nationale avec l’école ouverte, bien des communes et des départements ont continué à gérer leur propre dispositif de vacances. La juxtaposition résistait à l’intégration.
Par ailleurs, les moyens politiques et les procédures à disposition des cellules
départementales, et ceci, quelle que soit la qualité individuelle de leurs membres, ne
leur permettaient de faire bouger les projets qu’en les refusant et en demandant leur
amélioration.
Tant qu’elles ont fonctionné à flux tendu, dans une dynamique de préparation de
campagne, elles ne pouvaient que rejeter les projets hors sujet, hors territoires ou en dessous de la qualité requise.
Lorsque les projets émis par des associations naissantes, des associations d’habitants ou des associations de jeunes n’étaient pas aux normes, elles avaient la ressource
de les faire parrainer par des structures plus établies – centres sociaux, clubs sportifs,
maisons des jeunes et de la culture ou clubs de prévention.
Aujourd’hui, où elles habilitent les projets et arrêtent leur programmation annuelle
dès le mois d’avril, elles n’ont plus cette ressource.
Cette difficulté est demeurée pendante tout au long des deux décennies.
Ainsi, en 1998 Thomas KIRSZBAUM [8] s’interroge-t-il sur la capacité des VVV à influer
sur les politiques locales de jeunesse.
« Le dispositif VVV n’est-il qu’un simple facilitateur des politiques municipales en direction de la jeunesse ? Contrairement aux services municipaux dont l’action s’adresse à
l’ensemble de la population, il entre dans la vocation de certains opérateurs spécialisés
(de toucher un public en difficulté d’insertion (...). Les actions VVV constituent-elles une
incitation à accrocher une « clientèle » nouvelle, ou bien ne font-elles que révéler la pauvreté financière et matérielle de ces structures ? »
De fait se pose la question de la capacité interventionniste et stratégique des cellules
départementales dans la conduite actuelle du dispositif.
D’emblée le dispositif OPE/VVV était programmé pour être en rupture avec les systèmes traditionnels qui avaient échoué à voir venir l’émeute et à la contenir. Il mobilisait
des acteurs qui eux-mêmes étaient invités à se mettre en rupture avec leurs interventions
traditionnelles, « faire autrement plutôt que faire plus ».
À l’origine, la prévention spécialisée ne s’y est pas trompée en refusant de s’y associer et il lui a fallu une décennie pour progressivement s’y investir et, dans certains
départements, en être un des piliers.
8] Jeunes – n° 90 – Échanges Santé Social – Ministère de l’Emploi et de la Solidarité
La documentation française – page 76
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Quartiers en Vacances
En revanche et dans un mouvement symétrique, les cellules départementales se
sont fait rattraper par le syndrome du guichet sous le double effet de la programmation annuelle et du nombre de territoire couverts alors même que les innovations dont
elles ont été capables, l’investissement qu’elles ont suscité chez leurs membres ont
laissé des traces dans les coordinations territoriales en tant que nouvelle méthode
d’action publique.
Une administration rigoureuse en quête de sens
Le dispositif est administré avec rigueur et s’il ne manque pas d’être l’objet de critiques
depuis son origine sur sa lourdeur administrative et sa lenteur financière, il n’a pas
généré de manière significative de contentieux (ordres de reversement très marginaux).
Malgré une longue période où il s’est agi de faire du capital-risque en finançant
directement de petites associations aux situations juridiques incertaines avec des récupérations de pièces comptables aléatoires, la gestion publique n’a pas été mise en cause
ou attaquée.
Les visites sur le terrain, l’audition préalable des associations par les cellules, les
demandes de révision des projets, leur capacité d’attendre la dernière limite pour les
retenir, la permanence des membres et l’accumulation d’expertise individuelle et collective permettaient de parer aux principaux risques.
En revanche, les cellules départementales n’ont pas toujours perçu les injonctions
contradictoires qu’elles relayaient ou qu’elles émettaient elles-mêmes.
À titre d’exemple, elles ont pu stabiliser une administration de qualité tout en imputant
au dispositif deux ambitions paradoxales :
La première consistait à enjoindre les opérateurs à se tourner vers des publics plus
déstructurés que d’habitude, à les associer à l’élaboration du projet tant dans sa
conception que dans les prises de responsabilité pour sa réalisation. Confusion entre
une finalité et un mode opératoire, les jeunes en rupture sont justement ceux qui sont
le moins capables de se projeter dans l’avenir, de tenir des responsabilités et de programmer les actions plusieurs mois à l’avance.
La seconde, prétendait augmenter la présence des jeunes filles dans le dispositif en
même temps que d’orienter les actions vers des sports à risque, des manifestations de
quartier spectaculaires ou que de rechercher le brassage social des publics dans les
actions en y accueillant des jeunes sous main de justice et d’autres jeunes mieux insérés.
Dans certains milieux d’origine maghrébine ou comorienne, cette évolution ne pouvait
qu’être répulsive pour les familles des adolescentes.
À trop vouloir charger d’ambitions contraires un dispositif dont la réussite emportait la satisfaction de tous, elles ont contribué à le rendre illisible pour les politiques et
pour ses usagers eux-mêmes.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Des opérateurs légitimés
par la mise en œuvre des actions
Plus de généralistes que de spécialistes
Les opérateurs qui assurent la mise en œuvre OPE/VVV se distribuent sur une palette
de catégories extensive.
En 1993 sur 16 départements et 1 376 opérateurs identifiés [9] la répartition était :
Plus de 80 % sont des opérateurs généralistes de l’animation, du sport et des activités
socioculturelles permanentes. Les spécialistes de la prévention de la délinquance et de la
récidive se retrouvent au sein des 20 % restants.
L’hypothèse, selon laquelle la prévention spécialisée aurait massivement résisté à
contribuer au dispositif OPE/VVV et se désengagerait au fil du temps ne se vérifie pas.
Son taux de présence (2,5 %) au terme de la première décennie doit en fait être augmenté
d’un certain nombre d’associations « globales ou indéterminées » qui, en fait, sont des
clubs de prévention non identifiés comme tels.
Cette hypothèse procédait d’un discours interne à la prévention spécialisée considérant que les OPE/VVV sont hors de son champ d’intervention, « elles ne s’adressent pas
à un public suffisamment marginalisé et ce sont des opérations ponctuelles ».
En fait, la progression des budgets départementaux des clubs de prévention cache un
effet de ciseaux selon lequel le poids des coûts salariaux entame les budgets d’activités
et les crédits d’intervention. Cet effet mécanique amène naturellement les clubs à rechercher de nouvelles ressources financières pour développer les actions collectives bien que
certains Conseils généraux veillent à ne pas laisser se développer cette situation.
Cette situation s’augmente du fait que les jeunes qui s’adressent aux équipes de
prévention sont plus nombreux, plus déstructurés et avec moins de solutions.
En conséquence, les clubs et équipes de prévention trouvent dans les OPE/VVV, la
reconnaissance de leur compétence, et obtiennent des moyens complémentaires pour
leurs interventions pendant l’été, puis au cours de toute l’année.
La participation aux OPE/VVV permet aux opérateurs publics comme privés d’accéder à une légitimité, une reconnaissance qui leur ouvre l’accès à d’autres financements publics notamment ceux de la politique de la ville et des communes bénéficiant
du dispositif.
Les évolutions les plus nettes dans la présence des différentes familles d’acteurs
concernent l’accroissement de la présence des policiers dû au développement des CLJ
émargeant aux OPE/VVV, la régression de celle des missions locales et la quasi-disparition des associations créées par les jeunes eux-mêmes et dont la naissance résultait d’une
phase préparatoire aux OPE/VVV, accompagnée par une association préexistante.
Mais l’augmentation des effectifs policiers n’a pas entraîné une augmentation correspondante de jeunes marginalisés dans les OPE/VVV qu’ils conduisent. Les CLJ conti-
[9] Opération prévention été – Évaluation 1 993 – DIV – Les Éditions d’Ensemble
Page 49
Quartiers en Vacances
RANG
ORGANISMES
%
1
Associations globales ou indéterminées
50,9 %
2
Centres sociaux
15,8 %
3
Villes et para-municipal (offices municipaux,
CCPD, CCAS…)
15,2 %
4
Maisons des Jeunes de la Culture
5,2 %
5
Maisons pour Tous, maisons de quartier
3,8 %
6
Clubs de prévention spécialisée
2,5 %
7
Associations de jeunes
1,6 %
8
Services socio-éducatifs de l’AP
1,5 %
9
Missions locales
0,9 %
10
Club de loisirs Jeunes (Police Nationale)
Associations dans la mouvance PJJ (AAE) + Comités
de probation
0,8 %
0,8 %
12
Associations mouvance « Police nationale »
Organismes de formation
Foyers de jeunes travailleurs
0,3 %
0,3 %
0,3 %
15
Entreprises d’insertion, associations intermédiaires
0,1 %
nuent à s’adresser principalement à des jeunes de 12 à 15 ans peu effarouchés par le policier et la plupart du temps, les CLJ recrutent eux-mêmes leur public.
Il s’agit d’ailleurs là de la méthode universelle d’enregistrement de la demande dans les
OPE/VVV. Aucun opérateur ne se voit indiquer par une quelconque instance locale, le
public auquel il doit s’adresser pour atteindre la cible énoncée [10]. L’opérateur est son
propre prescripteur.
Aussi constate-t-on l’emploi de personnels hautement qualifiés en matière de délinquance, d’ordre public et qui disposent de techniques sportives de haut niveau pour
prendre en charge des adolescents volontaires et motivés tandis que des quartiers ne disposent, comme forces vives, que d’associations fragiles sans moyen d’encadrement
sérieux pour aller à la rencontre de jeunes qui, à priori, ne veulent pas être encadrés.
[10] Le choix du jeune in Opérations Préventions Été. « Évaluation – Réflexion – Méthode »
L. DUBOUCHET. Ministère des Affaires Sociales et de l’Intégration. Délégation Interministérielle à
la Ville et au Développement Social Urbain.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Quant aux missions locales, elles subissent les effets du fonctionnement en guichet.
Leurs capacités de développement d’activités collectives en sont altérées et réduites et si
l’on continue à les voir apparaître dans le partenariat des OPE/VVV, elles ont abandonné tout rôle d’opérateur direct.
Au-delà de ces deux principales évolutions, la répartition des opérateurs selon leur nature
institutionnelle, leur expérience, leur métier, leurs activités habituelles, est restée très stable.
À cela, on peut apporter deux interprétations :
La première tient au fait que depuis que le programme existe, la vie associative ne
connaît pas un développement extensif et sans doute les VVV ont-elles fait le plein de
l’existant. Tous les partenaires disponibles sont engagés et les cellules départementales
ont effectivement du mal à en trouver de nouveaux sur certains sites quand leur appel
d’offre est infructueux.
La seconde tient à la constance de la répartition financière des cellules. Les opérateurs
sont fidélisés par la subvention et les cellules ne peuvent plus se désengager dans la
mesure où elles ne disposent pas de critères d’évaluation rigoureux qui leur permettraient d’argumenter l’arrêt du financement d’une saison sur l’autre. Les objectifs et le
champ d’OPE/VVV est suffisamment large pour que toute action éducative ou sociale
se considère comme pertinente.
Compte tenu de ces constats, les OPE/VVV ne trouveront plus que marginalement
de nouveaux opérateurs et l’on est en droit de se demander s’il est souhaitable qu’elles
en recherchent en égard au fait qu’il est très difficile de les maintenir sur leur cible.
La constance de la répartition des origines institutionnelles des opérateurs, les limites
imposées à l’extension de leur nombre, montre que l’accroissement de l’effet préventif
de VVV ne peut se faire que par la voie de la qualité.
De l’implication des jeunes
Dès 1990 les bilans présentés par les préfets montrent que les projets portés par les jeunes sont en augmentation. Leur implication est plus forte et les projets comportent souvent la participation des jeunes à des activités lucratives leur permettant de contribuer
au financement de leurs séjours de vacances.
Cette contribution rétribution constituera par la suite un des modèles méritant des
OPE/VVV tendant à lutter contre une attitude consumériste des jeunes.
Mais elle s’accompagnera d’un appauvrissement des projets préparés tout au long de
l’année dans la perspective d’une réalisation l’été.
La création d’une association par les jeunes sera parée de toutes les vertus de l’accès
à la responsabilité, l’expérience de la démocratie, la citoyenneté. Elle servira d’indicateur
emblématique de résultat, puis sapée par la captation du pouvoir au profit de quelques
leaders et par quelques désordres financiers, elle disparaîtra des effets attendus.
Les bourses vacances autonomes par lesquels les OPE/VVV permettent à des jeunes de
s’auto organiser seuls ou en petits groupes constituent aussi une voie d’implication.
Les fêtes de quartier, les tournois interquartiers, les voyages à l’étranger, les raids
aventures maintiennent toujours une dynamique de préparation. Ils constituent un
groupe de jeunes, parfois érigé en emblème de la capacité du quartier à réussir et lui
fournissent les moyens de transformer une idée en une action.
Objectif asymptote, l’implication des jeunes, comme l’exigence éducative dans les
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Quartiers en Vacances
actions, a généré la coexistence d’activités consommatoires au côté de projets totalement
autonomes et d’achat de vacances par une production économique des jeunes.
On retrouve là l’évolution culturelle dominante de la « prise de vacances » qui autorise
autant l’oisiveté totale, la détente que l’activisme fébrile, la plage et le trekking.
Mais les politiques publiques ont toujours tendance à demander aux démunis d’être
méritants et plus actifs que la moyenne.
De l’été à l’année
Fort de son succès, le dispositif OPE/VVV s’est trouvé investi d’une mission impossible :
réussir là où les dispositifs ordinaires échoueraient. Ainsi en 1992, la cellule nationale
pose-t’-elle quatre questions particulières aux cellules départementales :
Les dispositions qu’elles avaient prises pour assurer la continuité des OPE le reste de
l’année ;
Les évolutions concernant la dimension éducative des activités et le niveau d’implication des jeunes ;
Les progrès observables dans la recherche des jeunes isolés et particulièrement désocialisés;
Les efforts consacrés à la qualité de l’encadrement et à sa formation.
Les préfets répondront eux-mêmes à ces questions en faisant apparaître que la
garantie de continuité est d’abord assurée par l’appel privilégié à des opérateurs qui
interviennent auprès des jeunes toute l’année.
Ensuite, elle se trouve dans la pérennité des investissements (aires de jeux, aménagements de locaux), et dans l’intégration des OPE aux programmes de droit commun
qui, à l’époque, s’appelaient loisirs quotidiens des jeunes, vacances et loisirs pour tous,
cartes jeunes, crédit formation individualisé.
On distingue dès cette période la tension existante entre la durée limitée de l’OPE
qui ne cesse de subir les critiques de son faible impact et les attentes des élus locaux et
des associations qui cherchent auprès de l’État des financeurs pérennes.
La critique est autant technique que politique notamment en provenance des élus locaux
qui considèrent que l’État les abandonne le reste de l’année.
Cette recherche de continuité conduira à l’extension des OPE/VVV à l’ensemble
des périodes de vacances. Mais, au passage, les autres préoccupations de la cellule nationale ne se transformeront pas en modes opératoires nouveaux. Ainsi la contribution des
jeunes à l’achat de leurs vacances est-elle le fruit d’un gauchissement de la méthode
active du projet. L’acquisition d’une rémunération (ou d’un droit en nature) pour le
paiement d’un séjour de vacances n’a pas la valeur de la construction de son projet par
le jeune lui-même.
Quant à la recherche des jeunes isolés, ou l’atteinte des jeunes inorganisés, les préfets arguent de la présence de la prévention spécialisée et de la protection judiciaire de
la jeunesse dans les porteurs d’actions (ils sont censés « déjà connaître ces jeunes ») pour
assurer la cellule nationale d’une réalité qui n’est que virtuelle.
Ils soulignent la difficulté de repérage des jeunes en question et l’indigence dans la
conception d’offres capables de les intéresser.
Cette difficulté est mise en relation avec le niveau pédagogique de l’encadrement
saisonnier qui est mobilisé par les OPE/VVV. Les actions conduites par des bénévoles
ou de jeunes animateurs (BAFA) ne peuvent prétendre absorber des jeunes en rupture,
rétifs à l’encadrement et à toute forme d’autorité.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Sous l’impulsion de la cellule nationale et du dispositif d’évaluation, les cellules mettront en place une formation préalable à la conduite des OPE pour les encadrants saisonniers avec l’appui du ministère de la Jeunesse et des Sports.
Ces questions ouvertes au terme de la première décennie resteront pendantes au cours
de la seconde sans trouver de réponse au cœur du dispositif VVV.
Il est pourtant notoire que sous l’intitulé VVV, on rencontre encore des opérations
qui s’emploient à aller vers un public qui n’est pas touché le reste de l’année ou pas suffisamment. Elles constituent une sorte de sursaut institutionnel. Mais il semble que la
proportion se soit inversée et que ce type d’intervention ciblée soit devenu marginal.
Des opérateurs publics s'exerçant à la prévention
La Défense a tenu son engagement d’année en année avec une offre d’accueil pour des
stages à caractère sportif dans des bases militaires mobilisées à cet effet. Son offre, gérée
au niveau national a toujours été confrontée à une difficulté de programmation prévisionnelle. Elle n’a pas pu évoluer vers une articulation avec les dispositifs départementaux. Elle a aussi géré de manière indépendante la découverte des comportements asociaux des jeunes, leur réactivité à l’environnement militaire en y adaptant les cadres et
les activités. Mais le dispositif OPE/VVV n’a pas eu d’influence sur leur mode d’administration (inscriptions – dates et durées des séjours) ni sur les transferts de pratiques
socio-éducatives entre les militaires et les autres acteurs locaux des OPE/VVV.
L’Intérieur a également développé les Centres de Loisirs Jeunes de manière autonome, soit en ouvrant de nouveaux sites, soit par extension des périodes d’ouverture.
Conditionnées par des affectations temporaires de fonctionnaires de police, ces extensions résultaient plus d’une décision centrale de la sécurité publique que de la dynamique locale des OPE/VVV. Cependant, dans la plupart des cas, les CLJ se sont inscrits
dans l’offre locale en raison des relations préexistantes avec les autres acteurs et des
échanges entretenus sur un public jeune souvent commun aux structures locales d’animation et aux CLJ.
Enfin, les CLJ, très présents aux responsables communaux, élus et techniciens, se
trouvaient inscrits dans la palette des interventions estivales et préventives identifiées
par la municipalité.
Les CLJ se développent à la faveur des OPE/VVV alors même qu’ils ne se rangent
pas d'évidence dans cette catégorie. Il demeure indistinct de savoir si le CLJ constitue
une opération VVV ou si le CLJ organise une opération VVV.
Déjà l’évaluation de 1984 [11] pointait cette question et relevait le succès d’estime
des CLJ (à l’époque CAJ) auprès des jeunes qui valorisaient le policier et ses techniques
de sports extrêmes par rapport à l’éducation.
[11] Opérations Prévention Été – (MIRE - IDEF)
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Quartiers en Vacances
Mais nous avions également mis à jour le faible impact des CLJ sur les relations police –
jeunesse, en dehors du lieu et de la période d’ouverture des CLJ [12].
Les CLJ fonctionnent en tant que tels. Ils ont leurs logiques propres et si les cellules départementales les comptent au nombre des actions VVV de la campagne, ils sont peu fréquemment articulés avec les autres offres préventives. Notamment ils rendent compte à
la hiérarchie policière, à la commune d’installation, mais pas à la cellule départementale.
Il est arrivé que les CLJ se retrouvent en concurrence avec d’autres activités identiques et soient choisis pour leur gratuité, leur image de rigueur et parfois la qualité des
matériels pédagogiques disponibles.
La Jeunesse et les Sports
Les conseillers et les chargés d’animation de Jeunesse et Sport s’inscrivent dans les
OPE/VVV par le biais des mises à disposition des fédérations sportives ou par l’expertise qui leur est demandée pour valider les projets.
Des Creps se sont également investis dans l’accueil voire la réalisation directe des
OPE/VVV et ils ont contribué à la formation des encadrants saisonniers. Comme on l’a
vu, les fonctionnaires de la Jeunesse et des Sports ont constitué le socle des cellules en y
apportant leur grande connaissance du milieu associatif, leur expérience de contractualisation avec les communes dans les politiques de la jeunesse et leurs maîtrises des équipements (plateaux sportifs de proximité – bases de loisirs – présences urbaines mobiles).
Mais globalement les fonctionnaires du ministère de la Jeunesse et des Sports ne se sont
pas impliqués directement dans la réalisation des actions.
La Culture
Les actions culturelles et les acteurs correspondants ont eu une présence grandissante
dans le dispositif. Leur développement prend naissance avec l'inflexion politique privilégiant les animations locales sur les actions déplacées et coûteuses (1 990). S'agissant
« d'étonner » les jeunes et les quartiers, de manifester « leur réussite », les opérations « un
été au ciné », Batucada, spectacles de rue et fêtes de quartiers sont venues soutenir l'implantation locale du dispositif.
Selon que les acteurs étaient dans une logique d'animation ou dans une logique
d'expression, l'accès à la culture a pris des formes différentes.
L'animation s'est employée à acheminer une offre culturelle dans les quartiers, spectacles - artistes – événements ou à permettre aux jeunes d'accéder à des offres de centre
ville – cartes jeunes.
La logique d'expression a donné l'occasion aux jeunes et dans la plupart des cas
mélangés à des adultes, de créer et de se produire.
L’institution judiciaire
La PJJ intervient dans les OPE/VVV aux deux niveaux de la cellule départementale et
de ses associations d’action éducative. Ainsi est-elle dans une double posture de pilote
et d’opérateur, modes d’intervention sans affectation lors du passage d’OPE à VVV.
De la même manière est restée constante l’absence des magistrats de l’enfance dans
ce dispositif ; absence qui signe à la fois leur distance avec les actions collectives et terri-
[12] Les jeunes à l'ombre des policiers (Marianne Goutorbe – Louis Dubouchet) - 1 995
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
toriales, leur représentation clinique de leur mission de protection de l’enfance et leur
éloignement des dispositifs de prévention.
Leur sollicitation n’a été que ponctuelle lors de « visites officielles » de l’été où les
présidents des tribunaux locaux pouvaient être conviés. Mais d’une façon générale, le
dispositif OPE/VVV ne s’est pas arrimé à une institution judiciaire demeurée extraterritoriale encore à ce jour [13].
Pour l’administration pénitentiaire, OPE/VVV a été l’occasion de démultiplier les
moyens socio-éducatifs. Son objectif affiché de réduction des risques et de prévention de
la récidive l’a conduit à soutenir les actions socio-éducatives au sein des établissements
pénitentiaires comme en milieu ouvert avec les CPAL puis les SPIP [14].
Admis dès l’origine, le principe d’une enveloppe réservée à l’AP et ventilée sur les différents départements, soutenait ces activités sans que la cellule départementale puisse en
influencer le contenu.
Le caractère ponctuel, territorial et collectif des OPE/VVV, leur proximité du politique local ne pouvait, en effet, permettre la rencontre avec les services judiciaires dont
l’intervention est exclusivement fondée sur la personne hors des contingences territoriales, et inscrite dans la durée.
1. Des collectivités intéressées
Les communes
Les opérateurs publics du niveau local regroupent essentiellement les services municipaux de l’animation et de la jeunesse qui ont trouvé dans les OPE/VVV l’opportunité
d’expérimenter des actions nouvelles et d’œuvrer de concert avec les associations intervenant dans le territoire communal.
On rencontre là ce qui caractérise les politiques publiques interventionnistes et contractualisées. Elles parviennent à assembler dans une même unité de temps et de lieu des
opérateurs publics et privés sur une même mission de service public.
Le cœur de métier des collectivités locales (de la paroisse à la commune) a toujours
été d’organiser l’offre socioculturelle locale et bien des collectivités ont continué à faire
fonctionner leur dispositif été, pour certaines de manière très formelle et étanche à côté
du dispositif OPE/VVV qui prenait de l’ampleur.
Ce dernier leur a posé la question du public et les a fait progresser sur l’intégration
des actions de l’État dans le territoire communal.
Au lieu de consacrer une séparation des publics, ceux qui utilisent l’offre communale
à la commune, ceux qui n’en veulent pas à l’État (police ou traitement social), les
OPE/VVV ont généré des avancées locales sur l’ouverture des structures d’animation
tout public l’été, à ceux qui n’y accédaient pas le reste de l’année (piscines – gymnases –
stades – sorties détente). Les communes ont pris conscience de leurs responsabilités dans
la rencontre de publics qu’elles ignoraient jusqu’alors ou qu’elles ne savaient pas aborder.
[13] Bien que ce soit la seule juridiction « territorialisée » à l’intérieur du ressort.
[14] CPAL = Comité de Probation et d’Aide aux Libérés.
SPIP = Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.
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Quartiers en Vacances
Mais, les communes ont largement contribué à « faire du chiffre » dans une alliance
avec l’État dont l’affichage médiatique a toujours fonctionné sur ce registre.
Les services jeunesse et animation des communes ont trouvé dans les OPE/VVV les
moyens d’obtenir la considération de l’État et sa confiance pour contractualiser des politiques communes dans d’autres domaines.
L’acquisition de cette expertise a notamment été obtenue par les services communaux capables de se mobiliser dans des délais courts, en situation de flux tendu et en
acceptant de se mettre en déséquilibre.
Le territoire communal a été en quelque sorte révélé par les OPE/VVV dans la conscience
des appareils communaux comme les lieux de traitement des régulations sociales.
Dans de nombreux cas, ce sont les services municipaux qui ont modifié leurs rythmes
institutionnels et ont constitué une offre relationnelle nouvelle.
Puisque les jeunes faisaient élection de l’espace public pour construire leurs relations,
se mettre en scène, proclamer leurs ruptures culturelles de manière ostentatoire, il
s’agissait de les rejoindre dans cet espace, d’y acheminer des offres éducatives capables
de les concerner.
Ainsi, les services municipaux ont-ils fait l’apprentissage de l’éducation dans l’espace public. À la faveur des OPE/VVV, ils ont pu constater que s’y présenter consistait
surtout à s’y exposer, à devoir gérer la dialectique de la protection des jeunes en danger
et de la protection du groupe social, de savoir s’ils avaient vocation à intervenir sur les
symptômes ou sur les causes. La répartition de l’intervention publique a pu ainsi être
reconsidérée entre l’État, les communes et les associations.
Au terme de cet apprentissage, les communes ont compris la nécessaire plasticité
des réponses éducatives de plein champ, la réactivité à préserver et lorsqu’elles trouvent
le nouveau dispositif annualisé trop rigide, elles reprennent leur autonomie, continuent
à conduire des actions qu’elles placent sous l’emblème VVV alors même qu’elles ne participent plus à son financement.
Elles ont compris la réflexion qu’elles devaient avoir sur le rôle de la commune dans
la prévention de la délinquance et plus largement des dysfonctionnements sociaux, mais
elles ont aussi compris que les réponses ne pouvaient être engoncées dans des partenariats qui, au lieu de servir de démultiplicateurs, faisaient office de ralentisseur.
Dans ce cas, elles sont ressorties du fonctionnement administratif et financier du dispositif en conservant la maîtrise d’une enveloppe dédiée.
Les départements
Les Conseils généraux ont été associés dès l’origine au dispositif des OPE/VVV pour
contribuer à leur financement. Selon les cas, ils se sont installés dans les cellules départementales et ont directement participé à la répartition des crédits dans les communes
candidates ou ils ont refusé d’arbitrer et ont laissé les services de l’État gérer l’enveloppe
octroyée.
Ils ont aussi laissé perdurer des dispositifs d’été ou des programmes de vacances
scolaires qui leur étaient propres et qu’ils s’employaient à garder indépendants des VVV,
même si à l’époque des OPE, les intitulés pouvaient être les mêmes. Les opérations été
constituaient, en effet, un label de pertinence et de qualité qui permettaient aux différents opérateurs de s’en prévaloir.
En 1992, 20 départements sur 24 interviennent dans le financement des OPE et VVV
verra cette proportion se maintenir.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Le dispositif OPE/VVV les a entraînés sur le terrain de la paix sociale et de l’ordre
dans l’espace public.
En effet, les Conseils généraux sont familiers de la protection de l’enfance par leurs
services d’Aide Sociale à l’Enfance, leurs responsabilités dans la mise en oeuvre des
AEMO judiciaires et par leur financement de la prévention spécialisée.
Mais ils sont par nature et par compétence, éloignés de la délinquance elle-même et surtout de ses manifestations collectives. Ils n’ont aucune propension, légitimité ou compétence à intervenir sur les effets de la délinquance et des troubles sociaux sur la demande
de sécurité.
Pourtant ils sont sollicités par les communes, par les associations pour compléter les
moyens que celles-ci consacrent à la paix sociale et à l’éducation dans l’espace public.
À ce titre et parallèlement aux VVV, ils ont complété les coûts des emplois jeunes dédiés
à la médiation, ils réclament d’être associés aux contrats locaux de sécurité et,
aujourd’hui, certains se posent la question de savoir comment ils vont pouvoir accompagner les communes confrontées à des jeunes que leurs politiques de la jeunesse ne
suffissent pas à prendre en charge.
Les régions
Sous réserve d’inventaire, les régions n’ont jamais été sollicitées y compris dans la
période où a été initiée la formation des intervenants saisonniers.
Les actions de formation préparatoires aux OPE/VVV ont été construites à partir des cellules départementales, de la jeunesse et des sports et par l’intervention financière de la
cellule, l’apport en nature de CREPS ou de lieux d’accueil dédiés à la jeunesse. Les interventions de formation furent souvent assurées par les membres de la cellule elle-même
sans rechercher l’intervention des régions dont la compétence en matière de formation
professionnelle des jeunes date de 1993 [15].
2. Des élus font de la politique avec les OPE/VVV
Après avoir été fortement impliqués dans les années de démarrage du dispositif, auprès
des territoires et des jeunes, les élus sont restés présents sous d’autres formes dans la
mesure où les OPE/VVV leur ont appris le territoire, la coopération avec l’État en même
temps que les limites des politiques interventionnistes et contractualisées.
Au cours des premières années, ils ont contribué à la conception du dispositif en se
prononçant sur le type d’association et le type d’action qui convenaient.
Ils s’employaient à valoriser les réalisations exemplaires en les honorant de leur présence. Première illustration de la validation des acquis de l’expérience, le fait qu’ils viennent saluer la fin d’un chantier, d’un événement festif, le retour d’un voyage humanitaire, la remise des trophées d’un tournoi inter-quartier, authentifiait la réussite et leur
permettaient de sentir les effets préventifs du dispositif.
De plus la couverture médiatique de l’été (largement utilisée par les médias en quête
d’événements) leur était propice à faire état de leur présence sur la question de la prévention et de la sécurité quotidienne.
[15] 1 993 – Loi quinquennale pour l’emploi
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Quartiers en Vacances
Depuis que le dispositif a été annualisé, qu’il s’est structuré et dilaté dans l’espace, ils
continuent à le financer, à s’y intéresser, mais ils n’en attendent plus d'effets sur la
demande de sécurité que leur adressent leurs administrés.
OPE/VVV pose en effet une double question politique aux élus :
D’une part, il est en tension entre une demande sociale de répression et d’éviction des
jeunes, parfois empreinte d’exclusion raciste, et une réponse qui, au contraire, tend à
maintenir les jeunes sur site et à les rendre plus visibles en les regroupant et en leur donnant les moyens de s’exprimer collectivement dans l’espace public.
D’autre part, il prétend constituer une réponse à cette nouvelle demande sociale, la
sécurité, en ne s’adressant qu’aux jeunes et à leur environnement familial sans capacité
d’aller directement à la rencontre des habitants organisés ou non.
Les rappels des circulaires nationales sur l’atteinte des générations adultes ne se
sont traduits que par de faibles réalisations. Peu d’actions ont consisté à s’adresser
directement aux habitants, aux prescripteurs d’opinion, et le risque du débat local sur
les rapports que le groupe social voulait entretenir avec « des jeunes » n’a pas été pris
par les OPE/VVV.
De la sorte le dispositif a bien souvent contribué à délester les élus et les parents de leurs
compétences et de leurs responsabilités en les transférant, le temps des activités, sur les
encadrants sans qu’une stratégie de restitution aux parents soit toujours perceptible.
Dans ces jeux d’échanges, les élus suffisamment présents aux territoires d’intervention
pour s’adresser directement à la population, relancer les parents sur la base d’une
connaissance personnelle font figure d’exception.
Si OPE/VVV ne constitue pas toujours un support à l’exercice de la politique locale,
les élus lui trouvent en revanche d’autres vertus. D’une part, les associations intervenant
dans leur territoire sont devenues plus nombreuses, plus visibles, elles leur sont plus
proches et peuvent démultiplier leurs politiques de jeunesse et d’animation. En cela les
VVV ont contribué à dépassionner le débat politique local en introduisant de la modestie et de la mesure dans l’affirmation des convictions et des solutions proposées à la prévention et à la demande de sécurité.
Il n’est que de voir l’extinction progressive des débats internes aux associations sur la
prévention et l’animation, l’intervention ponctuelle et le traitement social au fond, sur la
compassion, l’égalité et le contrôle social, sur la discrimination et la mixité sociales pour
s’en convaincre, ils ont quitté le champ des OPE/VVV.
Mais la réflexion provoquée par les VVV, l’évolution des comportements des jeunes dans
les activités collectives leur ont également permis d’apercevoir que l’animation participait de la prévention
Cette modification des modes de présence des élus dans les dispositifs contractualisés avec l’État a déjà été observée dans d’autres politiques interventionnistes intégrant
la mobilisation des élus locaux comme mode opératoire.
Les missions locales, les comités d’attribution des fonds d’aide aux jeunes, les conseils
d’administration des clubs de prévention ou des sauvegardes de l’enfance ont, en effet,
vu la présence physique des élus s’amenuiser tandis qu’ils acceptaient de leur voter des
budgets en augmentation.
Ils se sont tournés vers les CCPD, puis les CLS, les conventions entre leurs polices municipales et la police nationale ou la gendarmerie attendent moins que l’intervention
sociale et éducative rassurent les populations apeurées.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Selon les convictions politiques, ils demeurent sensibles au fait que l’offre d’activité, de
détente est indispensable, que son accès doit être égal pour tous et maintiennent à son
niveau le dispositif. Soit ils s’en désengagent progressivement pour investir d’autres
espaces de concertations plus offensifs et à leurs yeux plus prometteurs.
Les OPE/VVV sont un dispositif, il est nécessaire de le rappeler, conçu, développé et
principalement financé par l’État.
Tant qu’il reste arrimé aux missions de l’État – maintenir l’ordre public et assurer
l’égalité citoyenne - les communes y contribuent et facilitent l’intervention de l’État dans
leur territoire. Elles ont initialement une claire conscience de contribuer à une politique
publique qui les surplombe et dont la réussite ne relève pas de leur seule responsabilité.
Progressivement cette posture va évoluer avec la montée de la demande populaire, les
niveaux atteints par le vote d’extrême droite, les limites rencontrées par les expériences
de rapprochement de la police et de la population.
Les élus s’aperçoivent qu’ils ne peuvent durablement afficher les OPE/VVV comme
réponse emblématique à la demande d’éradication de la délinquance et de protection de
leurs concitoyens fragilisés.
Dès lors que le dispositif est démuni de ces vertus et qu’il rentre dans le champ des animations socioculturelles permanentes, les communes considèrent qu’elles sont dans leur
domaine de compétences. Elles savent gré à l’État de les aider, mais ce sont elles qui
entendent être les maîtres des lieux.
Face à l’extension de VVV, son éclectisme et son indétermination, ils sont parfois
perdus, ne savent plus quoi en penser, à quelle politique municipale le raccrocher.
Il est patent de constater que dans les programmes d’action des contrats locaux de sécurité, le dispositif VVV apparaît dans le volet socialisation insertion plus fréquemment
que dans celui de la prévention et de la sécurité quand il n’est pas fait silence à son sujet.
Cependant on trouve nombre d’élus qui demeurent investis dans les actions de prévention « exemplaires » que le dispositif est capable de continuer à porter et qui s’intéressent à des jeunes exclus des autres offres socio-éducatives.
Ils sont aux côtés des associations qui les réalisent, trouvent des budgets exceptionnels
et des procédures souples pour permettre la construction de projets locaux que la procédure VVV ne permet plus de mettre en œuvre.
Si VVV n’est plus source de manifestations du politique, de dividendes immédiats
comme ont pu l’être les OPE de la première génération, l’hypothèse selon laquelle les
élus s’en désintéresseraient ne se vérifie pas.
Les élus ont quitté l’avant-scène, leurs rôles se sont transformés, d’acteurs, ils sont devenus producteurs.
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Quartiers en Vacances
Des associations et des méthodes en mouvement
1. Des fédérations et des bénévoles…
Les associations qui constituent le gros des troupes engagées dans le dispositif
OPE/VVV se répartissent en trois grandes catégories :
Les organismes de niveau national qui, soit ont monté directement des opérations à cette
échelle, soit ont fait jouer leurs réseaux locaux. Dans ce premier groupe, on trouve les
grandes ONG qui ont réalisé les actions de solidarité internationale, la fédération des FJT
pour les opérations de sécurité routière avec la DSCR [16] et les PDASR [17], les fédérations des centres sociaux, des MJC, des FJT, les Francas, AIL, Léo Lagrange, la FOL, les
scouts de France des différentes obédiences.
Les organismes de niveau local fortement institués MJC – MQ – Prévention spécialisée ou les associations nouvelles voire constituées par des jeunes. On va vu que ces
associations « généralistes » représentaient 80 % des opérateurs.
Les bénévoles dont la collaboration sera, dans la première période, recherchée et
comptabilisée dans les bilans départementaux. À l’instar des milieux de l’éducation
sportive, ou de l’éducation populaire dans lesquels les OPE/VVV puisent leurs racines,
le bénévolat apparaît sous les deux formes de la militance associative et de l’intervention
directe dans les actions auprès des jeunes.
Les associations « généralistes » qui se sont engagées dans le dispositif ont pris en
compte les particularités de l’intervention préventive alors que la plupart d’entre elles
n’en étaient pas familières.
En s’engageant ainsi, elles ont dû se poser la question des dysfonctionnements
sociaux qu’elles contribuaient à éviter, qu’ils soient individuels, collectifs ou territoriaux.
2. s’ouvrent à de nouveaux publics…
La couverture spatiale et temporelle des vacances les a conduites à transformer leurs
horaires d’ouverture ou de fonctionnement, à considérer le territoire physique et institutionnel comme l’espace pertinent d’intervention et à sortir de leurs cadres immobiliers
pour déployer leurs activités dans l’espace public et de manière ambulatoire.
Il s’agissait pour elles d’aller vers des publics qu’elles n’avaient pas coutume d’accueillir, de s’ouvrir à des publics nouveaux en modifiant de manière substantielle leur
offre socio-éducative courante.
Les grands réseaux ont su inventer des solutions originales – raids aventure – les
sports à risque - un été au ciné – les compétitions sportives – les expressions culturelles théâtrales ou musicales – les événements à fort impact symbolique – les missions
humanitaires.
[16] DSCR = Délégation Interministérielle à la Sécurité Routière
[17) PDASR = Plan Départemental d’Actions de Sécurité Routière
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Ils ont su donner du prestige à leurs propositions et distiller l’idée que les exclus
(les délinquants « encore libres ») avaient eux aussi droit à des activités de qualité et
qu’ils n’étaient pas relégués dans des activités à bas prix (le Club Méditerranée à
caractère social).
3. en expérimentant de nouvelles méthodes
Les associations locales se sont employées à faire différemment, en organisant des activités de trois catégories qui constituent également trois étapes historiques du dispositif.
Elles ont fait partir les enfants et les adolescents en vacances, elles ont organisé des activités d’animation locales permanentes et elles ont créé des événements à fort contenu
symbolique pour attirer de nouveaux jeunes.
La première méthode pédagogique a consisté à offrir des activités déplacées,
conçues par les associations et proposées aux jeunes habitués des activités socio-éducatives courantes. Ils connaissaient déjà leur encadrement et trouvaient là le moyen de
compléter leur consommation de l’offre existante.
Le droit aux vacances, à la détente, était satisfait et la lutte contre l’oisiveté également.
Cette méthode consistait à extraire du quartier ceux qui pouvaient mettre en cause sa
tranquillité. Du fait de la fréquence des opérations déplacées, le dispositif produisait de
la paix sociale par extraction des jeunes des espaces publics du quartier, isolant la manifestation de la délinquance et permettant de mieux repérer ses auteurs.
Certains jeunes conscients de la perte de pouvoir qui pouvait en résulter sur leur
territoire refusaient de participer à des activités déplacées et de ce fait échappaient à l’interventionnisme associatif local.
Les associations ont eu plus de mal pour atteindre des publics qu’elles ne touchaient
pas le reste de l’année. Elles ont plutôt eu tendance à profiter des financements OPE/VVV
pour réaliser des actions que leurs moyens courants ne leur permettaient pas d’organiser.
Dans ce mode opératoire, et au fil du temps, les associations ont dû accroître l’attractivité des activités proposées pour continuer à y intéresser des jeunes désenchantés et
toujours avides de vertiges plus excitants d’année en année.
Cette évolution inflationniste a généré l’invention de propositions originales faisant
appel à l’effort, au dépassement des jeunes (les sports à risques, les raids de survie, les
challenges collectifs, le passage du permis de conduire, les chantiers patrimoniaux).
Non seulement cette évolution a fait exploser les budgets, mais elle a nourri une
réflexion problématique sur l’implication des jeunes, sur l’échange, la réciprocité et sur
les acquis du quartier en communication sociale. L’extraction momentanée des jeunes
(d’aucuns parlaient de déportation sociale) ne reconstituait en effet pas de liens entre la
jeunesse, éprouvée par les habitants comme une nuisance, un risque, et le reste de la
population.
Ils quittaient momentanément le quartier, y revenaient, sans que le milieu ne puisse
identifier le changement et faire le pari de la confiance.
Au double titre d’une rationalisation des choix budgétaires et des traces à laisser dans le
quartier, une seconde période ou méthode a érigé l’animation locale, la création d’événements festifs en mode opératoire pertinent.
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Quartiers en Vacances
Parallèlement et selon les méthodes d’animation locale permanente furent initiées par
certaines associations des actions de promotion sociale des jeunes. Il leur fut proposé de
construire leur propre projet d’animation pour eux-mêmes, ou pour d’autres (leurs
cadets), de se constituer en association pour gérer une activité commune, un local et des
équipements mis à leur disposition ou participer directement à l’encadrement des
actions programmées au côté des professionnels.
L’animation locale a souvent induit un sentiment d’injustice dans la représentation
que les habitants se faisaient de ces prestations. Ils considéraient que l’effort consacré à
un petit nombre de jeunes (auteurs de troubles dans le quartier) était non seulement
démesuré, mais qu’il distrayait des moyens qui auraient pu être accordés à leurs propres enfants.
Les associations ont ainsi conçu des actions locales tout au long de l’été et des
vacances scolaires en variant les contenus en juillet et en août pour s’ajuster aux modalités d’organisation des vacances familiales et aux événements culturels forts – retours
au pays – colonies de vacances et camps d’adolescents de droit commun, mondial de
football etc.
On a vu ainsi s’organiser des catalogues locaux d’activités socio-éducatives et de loisirs gratuits ou à coûts sociaux réduits afin de permettre à tous les enfants insolvables de
profiter des animations locales (cartes jeunes – passeports été).
Avec les municipalités, les associations se sont employées à ouvrir les équipements
existants, les structures éducatives et sportives à des publics qui n’y avaient pas accès
habituellement. Cette politique d’accessibilité a modifié les horaires d’ouverture des piscines, des bases de loisirs des gymnases, à y installer un encadrement spécifique aux
OPE/VVV, à y jouer la mixité des publics.
La tension permanente que les OPE/VVV ont su installer et faire perdurer tout au
long de leur histoire a été de distiller du doute dans l’intervention des municipalités et
des associations. Ce doute a largement nourri la demande d’évaluation tant locale que
nationale permettant aux OPE/VVV de disposer d’un dispositif d’évaluation consistant
de 1984 à 1995, une décennie.
Parvenaient-elles à rencontrer le public qui était attendu dans le dispositif alors que certains en restaient éloignés ?
Les contenus d’activité et les choix pédagogiques étaient-ils les bons ?
Toutes les ressources associatives, les forces vives du territoire avaient-elles été mobilisées ?
Même si les réponses à ces questions n’étaient pas fournies, si certaines d’entre elles
étaient volontairement éludées, la participation au dispositif supposait de s’exposer à ces
problématiques et d’entrer dans un système d’insatisfaction permanente.
Il est alors intéressant de constater que la difficulté à mesurer et à nommer la réussite préventive de l’opération s’est trouvée compensée par une valorisation des effectifs
des territoires et de jeunes atteints [18], comme si le seul fait de se développer administrait la preuve de la pertinence et de l’efficacité. Sans doute le dispositif avait-il changé
d’objectif.
[18] 200 000 en 1989 – 400 000 en 1993 – 900 000 en 2001 – un million espéré aujourd’hui.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Cette inscription dans le territoire a permis aux différents acteurs de prendre
conscience de la diversité des publics, des intervenants et de leurs modes d’intervention.
Il a mis à jour les questions que l’approche des territoires et des populations exposés,
notamment les jeunes, posaient à la cohésion sociale.
Les jeunes et la police, la police et les habitants, l’intervention sur les symptômes ou sur
les causes, l’intervention sur les auteurs potentiels de troubles sociaux ou sur les victimes, la prévention de la récidive, le lien entre les grands fléaux sociaux, toxicomanie,
errance, grande marginalité et l’influence des OPE/VVV ont constamment taraudé les
acteurs et les méthodes.
Portées par un mouvement dynamique, gratifiées par leur appartenance à un
emblème vertueux, les associations ont généreusement tenté des initiatives, expérimenté
des solutions, pris des risques financiers et relationnels.
Dans un troisième temps que l’on peut situer peu après le passage d‘OPE à VVV, le dispositif est revenu à ses premiers modes opératoires en proposant des activités prêtes à
la consommation.
Il demeure néanmoins capable de susciter et de porter des actions préventives dynamiques organisées par des associations spécialisées, mais qui sont restées dans la proportion initiale des 20 %, et encore faudrait-il réexaminer ce poids aujourd’hui.
L’extension à l’ensemble des départements et à l’année aurait plus profité aux
municipalités et aux associations généralistes qu’à celles capables d’aller chercher les
jeunes qui n’ont pas d’inclination naturelle à se mettre dans l’ombre des policiers ou des
éducateurs.
Une évaluation précoce et dynamique
L’évaluation du dispositif OPE/VVV prend naissance, dés son origine, avec « Les opérations été-jeunes » [19] réalisée conjointement par la MIRE, le CTNERHI et, l’IDEF [20].
Réalisée à partir de travaux conduits en 1984 et 1985 par plusieurs équipes de chercheurs, cette évaluation produit une analyse critique de l’interventionnisme politique et
du décalage entre les formes traditionnelles de l’intervention publique sur les dysfonctionnements sociaux et la voie utilisée dans les OPE.
Les chercheurs y font apparaître le risque de dérive, de dilution dans les pratiques
sociales, l’aspect conjoncturel, la logique de « coup » et l’incorporation rapide de nouveaux objectifs qui, au-delà de l’obtention de la paix sociale, avaient trait à la communication, à l’insertion, l’éducation et la prévention des risques.
[19] François DUBET – Michèle DUPE – Dominique DUPREZ – Adil JAZOULI – Didier LAPEYRONNIE
Bruno LEFEVRE – Philippe PITAUD – François PORTET.- Les opérations « été-jeunes »
Analyse longitudinale d’une politique publique – CTNERHI ; diffusion PUF - 1 986
[20]MIRE = Mission recherche du ministère des affaires sociales
CTNERHI = Centre technique national d’étude et de recherche sur les handicaps et les inadaptations.
IDEF = Institut de l’enfance et de la famille.
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Quartiers en Vacances
« Le modèle d’intervention directe de 1982 a été grignoté puis envahi par les réseaux de
travailleurs sociaux et des élus locaux. Les opérations-été s’y sont amenuisées, perdant
petit à petit leurs capacités d’initiative et d’innovation, se fermant aux actions autonomes des jeunes qui se trouvent ainsi ramenés à une situation de dépendance. Sur ce plan,
les opérations été ont probablement échoué ».
En 1986, le centre de formation et de recherche de la PJJ à Vaucresson organisera
une session de bilan et de perspective que l’on peut également ranger dans les processus d’évaluation même si l’absence de publication structurée, à tout le moins visible, ne
lui confère pas le caractère public et contradictoire nécessaire à une évaluation de politique publique.
En 1989, alors que la cellule nationale se structure au sein de la DIV [21], une nouvelle évaluation nationale est lancée. Elle demande à ce que soit exploré l’ensemble des
paramètres du dispositif, depuis l’état des jeunes accueillis dans le dispositif au regard
de leurs marginalités et de leurs inadaptations ; la qualité pédagogique des actions, le
fonctionnement des cellules départementales et les modes de collaboration entre acteurs
dans la conception et la conduite des programmes locaux.
Une première campagne d’évaluation [22] bénéficiera d’un soutien administratif et
d’un portage politique constants. Ses résultats seront valorisés par l’édition du rapport
final sous forme de brochures (ministère des affaires sociales 1 990 et 1 993). Elles seront
distribuées à toutes les cellules départementales (principalement celles secrétarisées par
les DDASS) qui auront consignes de les diffuser largement et d’en utiliser les éléments
pour nourrir le débat local et lancer des évaluations dans leurs départements.
Les résultats furent très proches de ce que les chercheurs de la précédente évaluation
avaient mis à jour, et la différence résidait plus dans l’investissement de la cellule nationale dans sa conduite, son déroulement et dans la discussion de ses apports que dans
son contenu et ses conclusions.
En effet, la première évaluation avait été commandée à des chercheurs, réceptionnée
et éditée sous la forme d’une compilation de résultats autonomes. L’analyse produite tout
en étant validée, n’avait que peu orienté l’action et irrigué les systèmes de décision.
La cellule nationale entendait ne pas rééditer la production d’une étude savante, mais plutôt contribuer à une évaluation permanente faisant appel à une expertise externe.
L’équipe de cette seconde évaluation sera ainsi conviée, de 1990 à 1994, à participer, voire
à contribuer à la planification des visites estivales de la cellule nationale dans les départements et à, soit participer, soit soutenir l’organisation des journées de lancement ou des
journées de bilan que les cellules étaient invitées à organiser.
Au cours de cette période, la commande évoluera. D’une commande traditionnelle
d’évaluation externe, elle progressera vers une commande d’assistance méthodologique
d’une part à la cellule nationale, d’autre part aux départements qui en feront la demande.
[21] Et sous l’animation principale de Jack ROS, (DIV) Olivier CHAZY, (MASE) Françoise MOYEN, (Jeunesse et sport)
Gisèle FICHE, (PJJ), M. JOUBERT (Intérieur) et des autres représentants des ministères composant la cellule nationale.
[22] L’évaluation des OPE – Collège Coopératif Provence Alpes Cote d’Azur 1 989 - Louis DUBOUCHET et alii…
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
L’assistance méthodologique portera alors spécifiquement sur plusieurs points que
l’évaluation initiale avait soulignés et que les acteurs locaux ou les travaux d’évaluation
locaux renforçaient.
Ils étaient manifestement intéressés à regarder collectivement comment les actions
OPE se donnaient les moyens de rencontrer des jeunes que l’encadrement ne connaissait
pas préalablement et comment l’exigence éducative se mariait avec la nécessité de les
intéresser à ce qui leur était proposé.
L’autre résultat particulièrement repris par la cellule nationale, les cellules départementales et les acteurs, consistait à mettre en relation le niveau de compétence des opérateurs et le niveau de marginalité, à tout le moins d’exposition au risque, des jeunes
accueillis.
Le jeu des bénévoles, des vacataires pris parmi les aînés des quartiers ou les habitués des
structures socio-éducatives montraient la difficulté à ce que les actions soient capables
non seulement d’intéresser les jeunes en difficulté mais lorsqu’elle y étaient parvenues,
de tenir face aux troubles qu’ils ne manquaient pas d’y produire.
Enfin, l’évaluation avait souligné l’intérêt de l’effet « campagne de l’été » sur la mobilisation, la logique de conviction, la force de l’entraînement et la possibilité d’expérimenter des solutions nouvelles en minimisant le risque à la seule période de l’été.
La mission d’assistance s’est traduite par l’édition d’un guide stratégique qui, à
nouveau, a été largement diffusé ancrant le logo et la charte graphique des OPE comme
signe de reconnaissance, repris localement par les services de l’état, identifiant une structure locale, la cellule départementale, en l’absence de personnalité morale et juridique.
En 1994, la cellule nationale élargit sa commande, la divise en plusieurs lots et sélectionne cinq équipes d’assistance technique chargées de thèmes différents [23] :
« La recherche » et la définition du sens des OPE ;
La construction d’outils de définition et de construction de projets territoriaux locaux en
fonction des objectifs prioritaires définis par les cellules ;
La qualification de méthodes de travail en organisant une journée interdépartementale
de confrontation pour les cellules départementales ;
La conduite d’une recherche-action sur un thème particulier.
Simultanément aux initiatives nationales, des évaluations locales sont engagées par les
cellules départementales elles mêmes en attirant des financements locaux avec quelques
départements significatifs tels la Gironde et le Nord.
Mais l’importance donnée à cette commande, son coût, sa surface et la visibilité des équipes auront comme effet de saturer le système et sans doute de trop externaliser les missions de la cellule nationale vers des consultants.
Il ne s’agissait plus en effet de mesurer la valeur des actions et des organisations qui
les portaient, mais d’accompagner un processus de qualification du dispositif en éduquant les systèmes d’acteurs.
Se sont développées depuis 1990 des évaluations départementales, confiées à des
équipes locales jusqu’en 1995, date à laquelle le passage des OPE aux VVV a transformé
l’évaluation nationale en analyse des bilans annuels produits par les préfets.
[23] Nathalie CORRAO - Jeannick DELTOUR - Guy JULLIARD – Yvon SCHLERET - Michel TACHON
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Quartiers en Vacances
Cette analyse conduite par la cellule nationale et confiée à un chercheur a édité sa dernière production en 1998 et depuis, la cellule fait procéder à une consolidation statistique des rapports des préfets sans analyse évaluative associée.
Ainsi les évaluations successives avec leurs constantes sur les risques de dilution, de
perte de sens et d’effet préventif, auxquels les OPE/VVV étaient exposées, auront-elles
finalement peu infléchi le cours de l’histoire.
Elles ont accompagné utilement le système de pilotage et en cela illustrent bien ce que
les spécialistes des sciences politiques appellent aujourd’hui la gouvernance en faisant
de l’évaluation un de ses principes.
Elles sont néanmoins contraintes à la modestie dans la mesure ou à l’instar des diagnostics, ce ne sont pas les preuves de la réalité sociale qui donnent aux institutions, des raisons d’agir. Dans une politique interventionniste telle que les OPE/VVV, le moteur du
mouvement, l’apparent paradoxe entre la critique véhémente et la participation au dispositif tient plus à des principes d’éthique publique, « lutter contre l’oisiveté » « prévenir plutôt que guérir », « occuper le terrain » qu’à l’administration de la preuve et la vérification du résultat.
L’accroissement du nombre de jeunes atteints, des départements et des communes
intéressés, tient lieu d’indicateur de performance et suffit à fixer la valeur du dispositif.
Dès lors l’évaluation n’a plus d’objet ni d’intérêt sauf à la confiner dans sa seule fonction
symbolique.
Comme le dispositif lui-même, l’évaluation naît, se développe et s’éteint. Initiée en
début de programme, elle faisait figure de précurseur dans la mesure ou peu de politiques publiques faisaient l’objet d’une évaluation externe continue alors que c’est
aujourd’hui le modèle dans la conduite de l’action publique.
Limites et interrogations
1. Des ressources associations interrogatives
La multiplicité des acteurs, leur diversité, leur engagement et leurs capacités d’innovation auraient dû permettre une optimisation de la ressource locale alors que l’on observe
aujourd’hui une évaporation de cette ressource à ses deux extrémités, les spécialistes et
les bénévoles ou les jeunes auto organisés.
Les spécialistes (prévention spécialisée, PJJ, associations de lutte contre la toxicomanie), estiment que le rapport entre l’intérêt de contribuer au dispositif et son coût en
énergie s’est déséquilibré et les fait reculer.
Ce coût s’est en effet alourdi pour un faisceau de raisons. Les normes d’encadrement et de sécurité imposées par la réglementation obèrent la souplesse et la réactivité
nécessaires pour s’adresser à des publics incertains.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
« Un brevet d’État de VTT, une déclaration d’existence et de projet pour une sortie à la
journée – le départ ne peut pas être négocié le matin même et les budgets explosent ».
Par ailleurs, s’il se vérifie qu’ils sont à la recherche de financements complémentaires
pour développer des activités, ils mettent en concurrence l’enveloppe des VVV avec
d’autres sources proposées par les Conseils généraux, les bases de loisirs des communes,
les financements spécifiques de l’été qui ne transitent pas par les cellules départementales ou par la politique de la ville.
La comparaison est souvent au désavantage de VVV, dont les montants unitaires se
sont, à leurs yeux, réduits de telle façon qu’ils ne peuvent plus soutenir le partenariat
local ; « Il y a trop peu à partager pour que l’on puisse réunir plusieurs associations sur
un même budget VVV ».
Ce type d’analyse rejoint le jugement sévère que portent, sur le dispositif actuel, certains
acteurs départementaux ou communaux chargés de le mettre en œuvre.
Discuter de l’argent, des coûts et des avantages de l’opération, des retours sur investissement, signe la centration des acteurs sur l’intérêt institutionnel et non plus sur l’intérêt général.
Contrairement à la représentation qui voudrait que l’enfant soit au centre du dispositif, on y trouve l’institution et le professionnel. Le programme semble avoir dissous le projet.
Et les critiques qui ont toujours existé sur l’incurie de la gestion, les délais insupportables par les trésoreries associatives, ont changé de sens et d’usage. Elles étaient formulées, mezza voce, par des partenaires engagés malgré ce, et qui trouvaient là le moyen
de faire reconnaître leur capacité à agir dans la difficulté, y compris administrative et
financière.
Ils en font aujourd’hui des arguments pour se tenir en dehors du dispositif et justifier
leur refus de coopérer.
Les intérêts particuliers auraient ainsi pris le pas sur la mission de protection des
jeunes en danger et sur la prévention des risques urbains et délinquantiels.
L’affaiblissement du sens apparaît également chez les acteurs qui sont restés fidèles dans
leurs modes de contribution aux OPE/VVV.
La force du sens initial leur donnait le sentiment d’appartenir à un mouvement de solidarité et de compassion avec les jeunes exclus, les délinquants.
Ils s’éprouvaient, avec une certaine considération pour eux-mêmes, associés à une
œuvre nationale, choisis à la fois pour intervenir dans des territoires exposés et auprès
de publics ciblés.
L’État, en retenant leur projet, leur reconnaissait la compétence et la capacité de participer à l’éradication d’un phénomène social mettant en cause le lien social, quand "il
n’était pas encore question de cohésion nationale, ni de fracture sociale".
Aujourd’hui, désenchantés par l’affadissement du sens et de la dynamique interne
du dispositif OPE/VVV, telle CAF ne veut plus servir de caisse de mutualisation pour
les petites associations, tel sous-préfet rend le secrétariat à la DDASS, et des associations
de spécialistes de la prévention de la délinquance et des grandes marginalités se détournent du dispositif dès qu’il n’est plus institutionnellement rentable.
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Quartiers en Vacances
2. Des jeunes avec ou sans les habitants
L’évolution de la participation des habitants est plus difficile à distinguer tant les témoignages des opérateurs sont contradictoires.
On trouve, en effet, des acteurs qui continuent à penser que le dispositif ne peut se
contenter de prendre pour cible principale les enfants et les adolescents accessibles à une
offre de loisirs et d’éducation. L’éducation ne peut être renvoyée à la seule responsabilité de familles qui doivent être accompagnées dans leurs rôles éducatifs. Ils organisent
des actions associant les familles dans la préparation des actions, dans leur réalisation,
ou encore organisent des rencontres et des échanges à l’issue des actions auxquelles ont
participé leurs enfants.
D’autres, a contrario, laissent penser que les enfants doivent être abordés indépendamment de leurs contextes familiaux et proposent des offres éducatives qui ne mobilisent pas les familles et les environnements adultes naturels de l’enfant.
Cette situation résulte d’un système de valeur ascendant qui affirme l’autonomie et
l’indépendance de l’individu, la liberté de disposer de soi-même.
Convaincus qu'ils ne doivent pas s'ingérer abusivement dans l’espace privé des
familles, ces acteurs s’interdisent de fait d’intervenir sur leurs pratiques éducatives.
Entre ces deux conceptions de l’éducation, la majorité des actions, et tout particulièrement celles qui ont été emblématiques du dispositif OPE/VVV, ont opté pour l’approche
autonome de l’enfant. Elles ont ainsi rencontré une limite majeure de leur mode d’intervention, tant du point de vue de la politique que de la pratique.
En ne se donnant que de façon secondaire les moyens de faire bouger l’environnement immédiat, elles méconnaissent l’importance de la résistance des milieux sociaux
vis-à-vis des enfants et des adolescents qui mettent en cause leur tranquillité
Ainsi, au retour de la période de vacances, et dans l’hypothèse où le jeune ait modifié
son comportement social, on ne sait pas comment son milieu a été préparé à reconnaître
cette transformation, à la saluer et à l’accompagner.
On rencontre néanmoins encore, dans VVV, des opérations qui mobilisent directement les habitants, sur la sécurité, sur leur rapport à la police, à la justice, à la responsabilité parentale, mais elles sont marginales et loin de répondre à la commande publique
qui souhaitait voir le dispositif s’intéresser à la « génération adulte ».
Hormis les opérations PAJECOT qui installent des régulations locales dans les lieux
de destination des actions touristiques, on en distingue peu qui tentent d’aménager directement les relations entre les habitants et les jeunes au sein des quartiers d’habitat social.
Malgré des initiatives, des débats réels, et les résultats des évaluations proposées,
OPE/VVV n’a pas fondamentalement considéré que les familles et l’environnement
immédiat de l’enfant ou de l’adolescent détenaient une partie de la solution.
Sur une base territoriale, le dispositif a centré sa recherche de qualité sur la pertinence de la cible (le bon public), la nature des activités (leur densité en exigence éducative) et le niveau de compétence de l’encadrement.
Quant aux bénévoles, habitants locaux ou bénévoles transplantés, il est très difficile
aujourd’hui d’en mesurer la présence effective.
Ils étaient comptabilisés dans les bilans annuels avec un mode de comptage peu assuré
jusqu’en 1999.
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
Aujourd’hui, les acteurs associatifs et administratifs n’identifient pas ce que la catégorie
« bénévoles » dans les opérations VVV recouvre exactement.
3. La transformation du projet éducatif conçu par les jeunes
En revanche, la présence de jeunes inorganisés qui pouvaient profiter du dispositif pour
se structurer en association avec un projet auto-centré ou oblatif a pratiquement disparu.
Comme on l’a vu, un glissement méthodologique s’est produit dans les modes opératoires de la participation des jeunes.
La préparation de la campagne d’été, qui perdure dans les opérations humanitaires de
solidarité internationale, supposait que l’encadrement fasse émerger d’un groupe de jeunes, une proposition d’activité nécessitant un travail de préparation structuré avec de
l’organisation, de la division du travail, recherche de financements, partage des responsabilités, assiduité dans le projet etc.
Cette phase de préparation pouvait supposer, mais pas obligatoirement, la mise en
place d’un chantier rémunérateur (avec des statuts aléatoires) pour contribuer au financement du projet.
Devant la réussite de telles opérations, s’est alors greffée sur le chantier éducatif,
une ambition d’insertion professionnelle qui l’a érigée en modèle vertueux.
Progressivement, il a changé d’usage, il est devenu une manière de rémunération
des jeunes pour qu’ils puissent financer l’achat de séjours de vacances prêts à la
consommation.
Leur participation n’a plus concerné le projet lui-même, elle s’est confinée dans son achat.
4. Des traces utiles
Le dispositif OPE/VVV a laissé des traces intéressantes sur les modes d’intervention
publique, et qui diffusent aujourd’hui dans les politiques locales de prévention et de
sécurité en les irriguant des questions d’éducation.
Les acteurs en présence ont, en effet, non seulement appris à se parler mais à œuvrer
de concert, même s’ils n’ont pas toujours abouti à adopter des stratégies communes qui
les conduisent à travailler sur les objectifs de leurs partenaires.
Acheminer de l’éducation dans l’espace public
La plupart des acteurs, contributeurs du dispositif des OPE/VVV ont cheminé d’une
posture de soin individualisé ou d’animation collective vers une intégration de ces deux
dimensions dans l’espace public.
En effet, les associations dont la culture les conduisait à s’approcher des jeunes dans
une perspective de protection individualiste (ROGERS et MOUNIER), d’assistance éducative personnalisée, ont construit des activités collectives ouvertes, en dehors de leur
pratique de l’exercice des mandats plus ou moins formalisés.
Les associations, sportives, culturelles, socioculturelles, les équipements de quartier, qui
avaient l’habitude de ne s’adresser qu’à des publics capables de tenir compte des règles
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Quartiers en Vacances
collectives de fonctionnement, ont accepté d’accueillir des publics moins dociles en se
laissant parfois déborder.
Ils ont ainsi apporté la démonstration que le processus éducatif n’est pas un parcours linéaire, supposant qu’on ait rétabli l’enfant dans son fonctionnement normal
(appelé aujourd’hui citoyen), avant de pouvoir l’intégrer dans des organisations collectives ordinaires (l’accès au droit commun).
L’éducation (de plein champ) est un sport de combat
À l'occasion de OPE/VVV, les acteurs les plus avancés ont ainsi expérimenté le fait que
les jeunes demandent des vacances, en arguant de la justice sociale et de l’égalité de droit
devant les loisirs, la détente, le plaisir, tandis que l’action publique leur offre de l’éducation et de l’insertion qu’ils n’ont pas demandées.
Ne pouvant le faire directement et de manière transparente, les concepteurs des
actions de prévention ont enrobé cette offre amère, de douceurs telles que les raids, les
sports à risques ou les activités culturelles, dans une conception très comportementaliste
de l’éducation et de la socialisation.
Cette conception considère, en effet, que la participation d’un jeune à une activité collective, empreinte de règles et de relations sociales, influe sur son comportement et ses attitudes et lui fait abandonner ses comportements déviants au profit de comportements
normés.
Si ça ne marche pas, il est déclaré inaccessible à l’éducation et changé de catégorie,
il appartient à celle des « troubles de la personnalité, border-line » etc.
Les acteurs, tant pour ce qui concerne les administrateurs du dispositif que pour ses opérateurs directs, ont pris conscience des limites de cette thèse comportementaliste. Ils ont
compris l’inefficacité des méthodes de guichet, de catalogues d’actions préformées, et se
sont engagés dans des projets soutenus par une méthode générale interventionniste.
Il ne s’agissait plus seulement de faire droit aux vacances, mais de s’adresser volontairement à des enfants qui ne voulaient pas, a priori, de la présence des adultes dans leur
territoire physique et affectif.
Cette stratégie interventionniste a supposé que, pour intervenir sur un risque de dysfonctionnement social, les acteurs en prennent eux-mêmes, s’exposent et acceptent de
considérer que si les jeunes les plus exposés boudaient leurs offres, cela pouvait être de
leur propre responsabilité.
Ainsi, les méthodes de « maraudage », de présence sociale dans les cités sans offre prédéterminée, d’accueil et d’écoute inconditionnelle ont-elles pu être expérimentées. On
les retrouve aujourd’hui dans les accueils de jeunes errants, dans le concept des correspondants de nuit, dans les méthodes proposées à la médiation sociale ou dans les techniques locales de gestion de risques.
La prévention par la culture de l’expression
L’un des atouts principaux des OPE/VVV aura également été d’administrer la preuve
que l’évitement des risques, des impasses sociales et pénales dans lesquelles se perdent
certains jeunes, pouvait être obtenu en leur proposant de se mettre en scène, de s’exposer et de se donner en spectacle.
Ainsi la prévention par la culture a pris, au fil des années, deux directions :
L’une a consisté à acheminer des offres culturelles dans les territoires qui en étaient
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
dépourvus – un été au ciné – l’accès aux musées, aux spectacles – les cartes jeunes – les
transports à prix réduits.
L’autre a proposé aux jeunes eux-mêmes de construire leur propre expression artistique à partir des musiques urbaines, des cultures étrangères ou des modes d’expression
plus codifiés tels les groupes de rap, les pièces de théâtre, les fresques murales et les événements festifs – carnaval – battucada etc.
Cette mise en culture et en scène des capacités d’expression des jeunes conserve la partie conception et préparation qui s’est quelque peu perdue dans les autres formes d’intervention éducative.
Elle concerne de petits groupes de jeunes, et parfois d’habitants associés pour la logistique, les costumes…, mais dont la production sert de signe de reconnaissance et de valorisation pour le quartier.
L’intelligence administrative
Les cellules départementales comme le pilotage national ont montré la capacité des différentes institutions à soutenir dans le temps ce dispositif et à irriguer les actions locales
avec, somme toute, un financement de faible ampleur.
Tant au niveau national que local, les compétences collectives qui se sont fait jour
ont été exploitées dans d’autres dispositifs coordonnés, CCPD – CLS - École Ouverte Contrats Temps Libre – Contrats Éducatifs Locaux - gestion départementale de la prévention spécialisée, et cette ressource mérite non seulement d’être préservée, mais également mieux stabilisée.
Comme déjà évoqué, les absents majeurs de ce dispositif auront été les magistrats, tant
du parquet que de l’application des peines qui ne sont pas remplacés par la protection
judiciaire de la jeunesse ou l’administration pénitentiaire.
Leur présence aurait signé l’arrimage des OPE/VVV à la prévention de la délinquance
et contrebalancé sans doute les forces qui les tiraient naturellement vers de la prévention
sociale et l'animation tout public.
5. Quel avenir ?
Le dispositif OPE/VVV semble aujourd’hui avoir dépassé un point d’inflexion au-delà
duquel il est plus chargé de contraintes et de limites que de ressources pour un nouveau
développement.
Il a fait le plein de ce qu’il pouvait donner, tant en mobilisation des acteurs, en mise
au point de méthodes nouvelles d’intervention, qu’en intelligence administrative.
Ses innovations tant administratives que pédagogiques, ses expérimentations en
conduite d’action publique comme en évaluation sont entièrement reprises par les politiques éducatives (École Ouverte) de prévention sociale et éducative [24] et de sécurité
[24] « La prévention dans tous ses états » – Histoire critique des éducateurs de rue – Gilbert BERLIOZ – L’Harmattan - 2 002
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Quartiers en Vacances
(Contrats Locaux de Sécurité). Toute la ressource disponible semble avoir été exploitée
et VVV n’est plus le théâtre où de nouveaux gisements de créativité pouvaient s’exprimer. Les développeurs s’investissent ailleurs.
Dès lors plusieurs scénarios sont envisageables :
Scénario n° 1
On ne touche à rien et les financements de l’État et des départements servent à accompagner les initiatives municipales et associatives avec un système administratif d’octroi
des financements qui ne cherche pas à réactiver un sens national au dispositif.
Les enfants ont besoin de vacances éducatives, l’État et les collectivités y pourvoient sans
avoir besoin d’arguer un risque de délinquance pour justifier cette orientation. Ils s’accordent sur leurs niveaux de participation en les énonçant dans des contrats locaux tels
que les contrats de ville, les contrats temps libre ou les contrats éducatifs locaux.
Le système de pilotage et de gestion spécifique s’éteint, et les acteurs qui proposent des
actions complexes et coûteuses dédiées à des publics difficiles sont orientés vers les
financements de la politique de la ville prévus pour les actions de prévention et de sécurité courantes.
La prévention de la délinquance et des marginalités n’est plus inscrite dans les objectifs
du dispositif. L’Etat participe à l’éducation populaire que les communes organisent.
Scénario n° 2
Le dispositif est maintenu dans son fonctionnement actuel d’accès à des activités de
vacances sans prétendre s’adresser à des publics très en difficulté mais néanmoins capables d'accueillir des enfants perturbés et perturbateurs.
L’État souhaite garantir une accessibilité que les communes n’assurent pas elles-mêmes.
On lui implante un dispositif interne renouant avec les ambitions initiales des OPE
consistant à s’adresser prioritairement à des adolescents et des jeunes adultes exposés et
qui ne pratiquent pas d’activités sociales, culturelles et éducatives de manière courante.
Les cellules départementales sont dotées d’un système d’évaluation initiale leur permettant de sélectionner les projets qui accueillent des jeunes inconnus préalablement avec
des coûts adaptés aux moyens et aux méthodes mises en œuvre. Sur le modèle des
actions d’insertion professionnelle de la protection judiciaire de la jeunesse, des critères
d’éligibilité peuvent être trouvés dans la présence d’un pourcentage de jeunes sous main
de justice, marqués par l’absence de statut, ou en décrochage scolaire avéré, au sein des
actions. Le système peut fonctionner avec une différenciation du coût des activités.
Scénario n° 3
On scinde le dispositif en deux parties :
La première partie est constituée de toutes les opérations de vacances et d’activités
d’éducation en plein air, de centre de loisirs sans hébergement pour adolescents ou d’accès aux loisirs.
Elle est renvoyée vers les communes et les associations en utilisant les modes de gestion
évoqués supra (scénario 1).
L’État participe, mais n’en conduit pas le projet.
La seconde partie regroupe les actions interventionnistes, adaptées aux territoires et aux
situations quelles qu’en soient les périodes et les thématiques, et qui s’adressent aux
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OPE et VVV, la galaxie de la prévention
publics que les communes les départements, les associations ne peuvent atteindre avec
leurs dispositifs permanents.
L’État conserve la maîtrise de ce nouveau dispositif sans obligatoirement le
contractualiser, en s’appuyant sur son actuel système de pilotage national et sur les cellules départementales. Il change de nom et se recentre sur des publics et des territoires
prioritaires.
Ce faisant, il retrouve une capacité de réactivité qui vient compléter ses modes d’intervention contractualisés et qui ne laisse pas aux seules communes, ayant repris leur autonomie, la possibilité d’agir rapidement et de manière ajustée.
Dans tous les cas de figure, il semble nécessaire que l’État reprenne l’initiative pour
aller à la rencontre des jeunes rétifs à toute manifestation institutionnelle à leur endroit.
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Quartiers en Vacances
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PREMIÈRE PARTIE
Chapitre II
La construction
d’une politique publique
Par Francis Bailleau
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Quartiers en Vacances
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La construction d’une politique publique
Modalités de construction d'une politique publique
Analyse des circulaires annuelles de lancement des Opérations Prévention Été et du programme
Ville, Vie, Vacances [25]
Dans cette analyse des Opérations Prévention Été (OPE) auxquelles succédera, en
1996, le programme Ville, Vie, Vacances (VVV), il s'agit pour nous de préciser les modalités de construction d'une politique publique en réaction à un problème social : « les
émeutes urbaines estivales » du début des années quatre-vingt et à ses évolutions sur
moyenne durée (vingt ans), en nous appuyant sur la définition de la notion de politique
publique comme « produit d'un processus social, se déroulant dans un temps donné, à l'intérieur d'un cadre délimitant le type et le niveau de ressources disponibles à travers des schémas
d'interprétation et des choix de valeurs qui définissent la nature des problèmes publics posés et
les orientations de l'action » [P. Duran, 1990, p° 240].
Pour construire cette analyse, a été privilégiée une lecture des circulaires adressées
chaque année aux préfets des départements concernés par ce programme d'activité promouvant l'occupation, la surveillance des « jeunes urbains oisifs », dans un premier
temps, durant la période estivale puis, par la suite, durant toutes les vacances scolaires.
En utilisant ce matériel, nous avons cherché à préciser l'hypothèse soutenant la programmation de ce travail : fêter les vingt années de l'existence de ces opérations. C’est-à-dire
interroger l'unité de ces plans annuels au départ très limités tant dans le temps et l'espace : onze départements sur une période de deux mois, que dans les objectifs et les
cibles désignés, au regard de l'évolution des impulsions gouvernementales telles qu'elles peuvent se comprendre à la lecture de ces circulaires annuelles.
Dès la première édition, en 1982, de ce programme temporaire pour les jeunes inoccupés durant les vacances scolaires d'été et présentant des risques de perturbation de
l'ordre établi durant les périodes traditionnelles d'activité, le choix a été fait de promouvoir un modèle expérimental de programmation ne cherchant pas à définir, à imposer
des actions normées mais laissant une grande marge de manœuvre aux promoteurs
locaux. Si une unité globale est à rechercher, elle apparaît clairement dans le caractère
temporaire, expérimental, provisoire, pour ne pas dire précaire, des activités programmées qui se maintiendra pendant presque les deux décennies. Par ailleurs, durant la
période considérée : 1982-2002, tant les objectifs du programme, que la définition des
populations bénéficiaires ou celle des modalités d'action comme les moyens administratifs mobilisés pour atteindre les objectifs vont varier.
L'option résolument expérimentale de ces « opérations prévention été » (OPE) est à
mettre en relation avec les conditions de naissance de ce programme. Le constat à la base
de ce choix en 1982 était le suivant : le travail social « traditionnel » en particulier les
équipes de prévention, les animateurs des structures municipales classiques (centres
d'action sociale, colonies de vacances, centres de loisirs, etc.) ainsi que les comités d'en-
[25] Cette analyse a pu être menée grâce au travail réalisé en amont par Virginie DESCOUTURES (doctorante, Université
Paris V) qui a rassemblé, en se heurtant à de nombreuses difficultés, toute la documentation nécessaire.
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Quartiers en Vacances
treprise ou les familles ne sont plus en capacité de faire face, par le biais d'une offre de
loisirs adaptée, aux défis posés par le maintien de l'ordre public durant l'été au regard
de la fragilisation de la position des jeunes dans la société et plus particulièrement de
celle des jeunes des banlieues défavorisées des grandes agglomérations.
Est-il nécessaire de rappeler par rapport à ce constat princeps que les « émeutes estivales » dans les banlieues lyonnaises, qui avaient marqué l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, avaient impulsé la naissance dans la précipitation de ce dispositif ? Il fallait
également répondre à une urgence politique.
S'appuyant sur ce constat et en réponse à cette urgence politique, il s'agissait de faciliter la programmation d'actions expérimentales visant l'intégration des jeunes désœuvrés et non pris en charge par les institutions traditionnelles durant l'été ; activités qui
devaient idéalement être assurées par des acteurs non-professionnels dans une perspective d'éducation populaire.
Ce mode de réponse doit également être compris par rapport à une volonté politique plus générale liée à l'orientation décentralisatrice du nouveau gouvernement et
à son programme social : intégrer les jeunes et valoriser l'action des personnes impliquées au niveau local. Des orientations qui se sont concrétisées dans les nombreux
programmes administratifs en direction des jeunes, des quartiers, etc., qui ont éclos à
cette période en référence, en particulier, au modèle grenoblois de gestion municipale
[H. Dubedout, 1 983].
L'hypothèse fondatrice : la recherche de nouveaux loisirs occupationnels s'appuyant
sur des acteurs non traditionnels de l'action sociale pour réduire, contenir localement la
« révolte des banlieues défavorisées », ne sera pas confirmée par les faits et ce d'autant
plus que les « explosions urbaines » vont se multiplier tout au long de la décennie suivante sans systématiquement se produire durant la trêve estivale [26]. Cette recherche
sera finalement abandonnée en 1985 quand le plan plus général dans lequel se « logeait »
le programme spécifique « prévention été », c’est-à-dire le programme « Vacances et loisirs pour tous » disparaîtra. Puis, en 1986-1987, l'objectif initial à la base, en 1982, de l'impulsion gouvernementale de ce programme OPE : éviter les troubles, ne sera plus poursuivi au regard de leur multiplication tout au long de l'année. Cette réorientation du
programme s'accompagnera de la définition d'une nouvelle population cible.
Dès 1986, année charnière, la programmation par voie de circulaire va se recentrer
sur des acteurs plus traditionnels du travail social et un objectif plus classique rarement
défini et concrétisé : « prévenir la délinquance » et non plus réduire les « émeutes urbaines de
l'été ». Cette orientation sera clairement affirmée en 1987 dans la nouvelle circulaire et
l'organisation technique des OPE sera modifiée. En particulier, la Commission
Départementale de Prévention de la Délinquance va jouer un rôle de plus en plus important et le pilotage national des « opérations été » viendra par la suite dans le giron de la
Délégation Interministérielle à la Ville dont elle constituera une des opérations phares
relativement médiatisée.
La programmation annuelle va peu à peu se routiniser autour de ce nouvel objectif
plus classique « prévenir la délinquance » et se coupler, au niveau national ou local, à
d'autres programmes pilotés par les ministères de la justice, de l'intérieur, de la ville, du
[26] Durant une longue période, ces OPE seront popularisées sous le nom, non labellisé officiellement, « d'opérations
anti-été chaud ».
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La construction d’une politique publique
travail ou de l'éducation nationale. Le dispositif s'adressera à un nombre de plus en plus
important de départements : au départ en 1982, ciblage sur onze départements très urbanisés puis le cap des vingt est passé en 1988 et, en fin de seconde période (1 994), 34 départements dont les quatre départements d'Outre-Mer. À partir de 1997, il sera plus facile de
relever les départements qui ne participent pas au programme « Ville, Vie, Vacances » que
ceux qui participent avant, qu'en 2000, il concerne l'ensemble du territoire.
En fin de période des OPE (1 995), l'objectif « prévenir la délinquance » connaîtra
également une inflexion. Il ne s'agit plus tant dans le nouveau programme intitulé
« Ville, Vie Vacances » qui succédera en 1996 aux OPE de lutter contre les actes de délinquance que « de réduire l'exposition aux risques de marginalité des jeunes qui résident dans les
milieux urbains ». Un objectif très général qui permettra d'affirmer que « les opérations
Prévention été trouveront leur pleine dimension au service de la cohésion sociale ».
Puis en modifiant les critères d'éligibilité des actions proposées, en se généralisant à
l'ensemble des départements, en s'ouvrant à une population plus jeune (11-18 ans) et en
refusant la référence aux seuls quartiers défavorisés, le programme VVV semble, en fin
de période, rejoindre les premiers objectifs à visées généralistes : réduire les inégalités
sociales, faciliter l'accès aux loisirs, etc, des programmes de 1983-1984 : « Vacances et loisirs pour tous », abandonnés en 1985.
Analyse des circulaires
Pour procéder à cette analyse des deux programmes, nous avons fait le choix de présenter en trois périodes l'ensemble des circulaires, adressées aux Préfets des départements
concernés, organisant la mise en œuvre pratique d'une année sur l'autre de ces actions
expérimentales, reprises par tous les gouvernements de gauche ou de droite qui vont se
succéder entre 1982 et 2002.
Le choix de ces trois périodes s'appuie sur les ruptures officiellement consacrées par les
autorités politiques et administratives responsables de la production de ces circulaires.
- La première période : 1982-1984 est marquée par le fait que le dispositif « Opérations
prévention été » n'est qu'une des modalités particulières concernant onze départements
d'un programme plus vaste de promotion des vacances et des loisirs pour l'ensemble des
jeunes sur l'ensemble du territoire.
- La deuxième période : 1985-1995 repose sur l'autonomie et la relative stabilisation du
programme OPE. Durant cette longue période, si la définition des publics visés, le nombre de départements concernés, le choix des actions promues, l'organisation pratique des
groupes de pilotage national et départementaux ont varié, les objectifs généraux du programme et son organisation globale ont connu peu de modifications.
- La troisième période : 1996-2002. Au-delà du changement de sigle : « Villes Vie
Vacances », le nouveau programme de 1996 marque des ruptures importantes. La référence à l'été - et donc aux événements de l'Est lyonnais du début des années quatre-
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Quartiers en Vacances
vingt - a officiellement disparu, le dispositif se cale sur le temps de l'institution scolaire.
La généralisation à l'ensemble du territoire fait également disparaître la référence « banlieue urbanisée » des OPE. L'élargissement, vers les plus jeunes (11-18 ans), des critères
d'accès au dispositif modifie la composition du public. Ces trois transformations concourent à une reconnaissance par les pouvoirs publics de la banalisation du dispositif par
rapport aux objectifs initialement fixés aux OPE.
1982-1984
Construction d'une procédure
Les deux premières circulaires (1 983 et 1 984) lançant les programmes d'occupation pour
les jeunes durant l'été comportaient deux volets distincts qui faisaient l'objet d'instructions séparées :
- Le programme : « Vacances et loisirs pour tous » ;
- Le programme : « Opération prévention ».
La raison officiellement énoncée pour promouvoir la création de ces deux nouveaux
dispositifs - dans la présentation commune qui en était faite - était la volonté du gouvernement de lutter « contre toutes les formes d'inégalité sociale et d'exclusion que connaît la
jeunesse » (1 983) et une liaison était établie avec les autres programmes mis en œuvre
par le nouveau gouvernement socialiste pour « favoriser l'insertion sociale et professionnelle des jeunes ». Le constat spécifique justifiant cette nouvelle action gouvernementale
était que « près de 40 % des jeunes de 4 à 18 ans ne partent pas actuellement en vacances durant
l'été, et bon nombre de ceux qui peuvent partir ne le font bien souvent que durant de courtes
périodes » (1 983).
Cette première circulaire officielle se réfère systématiquement, dans ces deux
volets, aux actions menées l'été 1982 [27] qui sont présentées comme le socle de ce nouveau programme.
La construction de ce programme d'activité pour les jeunes durant l'été s'appuyait sur
les réflexions menées dans « les comités interministériels de la jeunesse » qui s'étaient réunis le 14 décembre 1982 et le 3 mars 1983 pour évaluer les actions de l'été 1982.
L'accent est mis sur l'aspect innovant des actions locales de l'année précédente qui ont
« permis de dégager de nouvelles méthodes d'analyse des difficultés d'insertion des jeunes dans
notre société suscitant une prise de conscience de l'ensemble de ces partenaires (des collectivités
locales, des partenaires associatifs, d'animateurs et d'éducateurs bénévoles ou professionnels, de responsables d'institutions scolaires) et une volonté d'imaginer des solutions nouvelles adaptées aux réalités locales ».
La première partie de ce programme 1 983 et 1984 : « Vacances et loisirs pour tous »,
s'adressait à tous les jeunes et avait pour objectif d'assurer au plus grand nombre
« notamment les moins favorisés d'entre eux, les vacances qu'ils souhaitent », la seconde partie : « Prévention été », « concerne plus particulièrement les onze départements retenus en 1982
au regard de leur situation particulière et pour lesquels il est apparu nécessaire de développer des
moyens exceptionnels de prévention ».
[27] Nous disposons de la circulaire lançant le programme pour les années 1983 et 1984, pour l'année 1982 il n'existe pas
de circulaire programmant le dispositif mais uniquement une note technique indiquant les modalités pratiques de mises
en œuvre des activités.
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La construction d’une politique publique
Le programme « Vacances et loisirs pour tous »
Ce programme s'adresse en priorité aux jeunes de 12 à 18 ans, en insistant sur le fait que
« les jeunes filles puissent bénéficier de ces propositions ». Il s'agit de privilégier les initiatives
des jeunes eux-mêmes en favorisant « un processus de solidarité interjeunes » en s'appuyant
sur les responsables des associations, des établissements scolaires et des collectivités
locales. Ce programme est placé, au niveau local, sous la responsabilité du directeur
départemental Temps libre, Jeunesse et Sports sous couvert d'une impulsion des préfets
et doit associer les Affaires sanitaires et sociales, l'Éducation surveillée, l'armée, l'Éducation nationale, l'Agriculture, la Police et la Gendarmerie ainsi que la direction régionale
d'Agronomie et des Affaires culturelles. Financièrement, il s'agit d'utiliser les crédits
« que les différentes administrations pourront dégager au plan local » ainsi que les crédits spécifiques du ministère de la Jeunesse et de mobiliser les aides individuelles des Caisses
d'Allocations Familiales (CAF) et des Direction Départementales de l'Action sanitaire et
sociale (DDASS). Les autres administrations doivent apporter leurs moyens en matériels, personnels ou locaux.
En 1984, la seconde circulaire précise qu'il ne s'agit pas d'une opération standardisée mais que les programmes départementaux doivent s'appuyer sur une « analyse
précise des situations locales et tenir compte des contextes sociaux et culturels… Autant que
possible partir des demandes exprimées par les jeunes eux-mêmes… Sans cesse se renouveler,
faire place à l'imagination, se situer résolument loin des routines dans le domaine mobile et
l'innovation sociale ». Il est ainsi rappelé qu'il ne s'agit pas de financer des actions habituellement assurées par les associations et qu'il faut mobiliser les élus locaux sur ces
programmes.
Le programme « Prévention été »
L'organisation de ce dispositif spécifique, présenté comme un volant du programme
plus général des « Vacances et loisirs pour tous », est basée sur les trois pilotes des expériences menées en 1982 : les ministères de l'Intérieur, des Affaires sociales et de la
Solidarité nationale et de la Justice.
Son origine est clairement rappelée dans la circulaire de 1983 « éviter le renouvellement des graves incidents survenus les années antérieures ». Il est présenté comme une
réponse aux « jeunes les plus en difficulté qui pourraient rester à l'écart d'un dispositif général » afin qu'ils trouvent « des réponses adaptées à leur situation sociale et à leur cadre de vie »
en cette période « où les activités du pays se ralentissent ».
Il s'agit de « mettre en place un dispositif opérationnel conservant souplesse et diversité »,
et il est précisé, « qu'il est nécessaire d'ajouter, pour 1983, des activités liant loisirs et insertion
professionnelle et par exemple, utiliser la période de vacances pour permettre à un groupe de
découvrir le monde du travail sans les contraintes à court terme d'un cadre professionnel strict ».
Ce point est rappelé dans la circulaire de 1984 qui insiste « particulièrement sur l'intérêt
d'une initiation professionnelle dans le cadre des actions de loisirs des jeunes, qu'il s'agisse de
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Quartiers en Vacances
camps, de centre de vacances ou d'animation des quartiers ». Des vacances pour tous mais
utiles professionnellement pour les plus démunis !!!
L'opération est restituée par rapport aux efforts faits par le gouvernement en direction des 16-25 ans en terme d'insertion sociale et professionnelle, de développement
social des quartiers, du programme « Vacances et loisirs pour tous » et des besoins « des
adolescents et des pré-adolescents désœuvrés » ou de ceux (1 984) « qui se trouvent ou pourraient se trouver en situation précaire pendant l'été ». En 1984, les limites d'âges sont réduites aux jeunes de treize à vingt et un ans.
En 1983, ce programme concerne onze départements comme en 1982 : Bouchesdu-Rhône, Rhône, Nord, Paris, Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine,
Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, et Val-d'Oise ; en 1984 quatorze départements sont
concernés. Les nouveaux venus sont le Pas-de-Calais, la Loire et la Moselle.
Les pilotes, confirmés en 1983, des opérations 1 982 doivent s'associer à d'autres
ministères, les collectivités locales et le secteur associatif. Par contre, en 1984, « l'action
gouvernementale est animée conjointement par les ministères des Affaires sociales et de la
Solidarité nationale, le ministère délégué au Temps libre, à la Jeunesse et aux Sports, le ministère
de l'Intérieur et de la Décentralisation, le ministère de la Justice et, depuis cette année, le ministère de l'Éducation nationale. Y sont associés notamment le ministère de la Défense nationale et
le ministère de la Culture, ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse nationale
d'Allocations familiales, le Fonds d'Action sociale, la mission animée par M. Trigano, la commission pour le développement social des quartiers, le Conseil national de prévention et de la délinquance, la délégation interministérielle pour l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Une
cellule interministérielle nationale dont le secrétariat est assuré par le secrétaire d'État chargé de
la famille, de la population et des travailleurs immigrés ».
Au niveau local, l'organisation de ce programme repose sur les mêmes acteurs que
ceux déjà impliqués dans l'opération Vacances pour tous, élargis lorsqu'elles existent au
niveau municipal, « aux commissions locales de prévention ». Suite à la mise en œuvre au
1er janvier 1984 du transfert des compétences, les Conseils généraux des quatorze départements seront saisis afin d'associer leurs services et moyens à ce dispositif. L'Éducation
surveillée, et les instances judiciaires locales (parquets et magistrats de la Jeunesse) doivent être également associées au programme mais il est bien précisé en 1983 que le programme « ne vise pas des adolescents nominativement désignés mais des quartiers à forte population jeune en situation difficile…, (ce qui est contradictoire avec la volonté d'associer les
juges des enfants et l'éducation surveillée à ce dispositif car ils ne peuvent intervenir que
sur un signalement ou un mandat individuel) Il s'agit des jeunes de 12 à 23 ans (les limites
d'âge étant indicatives) dont la non-insertion sociale ou/et professionnelle ainsi que le cadre de vie
(situation familiale, habitat, etc.) risquent d'être une cause de marginalisation et d'exclusion du
corps social ». Il est rappelé dans la circulaire de 1984 que les quartiers visés sont ceux
« dans lesquels l'expérience et l'analyse des parties permettent de penser que des problèmes très
lourds pourront se présenter ».
En 1983 comme en 1984, c'est la direction des Affaires sanitaires et sociales qui doit
assurer le secrétariat de la cellule départementale mais n'est plus mentionnée en 1984 la
liaison avec la direction départementale Temps libre - Jeunesse et Sports.
Six caractéristiques, présentées comme les clefs du succès des opérations de l'année précédente, sont listées en 1983 :
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La construction d’une politique publique
- Coopération interministérielle aux niveaux national et local.
- Financement spécifique aisément mobilisable par les responsables.
- Suivi permanent de l'opération par une « cellule centrale ».
- Choix des zones d'intervention, ce qui exclut une action sur l'ensemble du département.
- Collaboration étroite des collectivités locales, ce qui permet des financements de leur part.
- Organisation d'activités motivantes pour les jeunes, parfois peu conventionnelles,
qui associaient souvent la population du quartier ou s'appuyaient sur des institutions
publiques ou privées les plus diverses ».
Des moyens financiers « viendront compléter les crédits ordinaires de vos services », moyens,
« qui ne devront pas se substituer aux crédits habituellement affectés aux animations et aux activités de loisirs destinées aux jeunes ». Ce point est rappelé en 1984 ainsi que le fait que ces
actions « ne doivent pas s'inscrire ni être financées dans le cadre d'un programme de prévention
destiné aux adolescents et jeunes adultes » Le programme « prévention été » doit être un complément - et non un substitut - aux actions engagées en direction des jeunes des quartiers
concernés
Enfin un dernier point est mis en valeur en 1984 : « Plusieurs centaines de grands adolescents et jeunes adultes ont pris avec succès, en 1982 et 1983, des responsabilités dans les activités proposées aux plus jeunes. Cette attitude doit être encouragée ». De plus, il est souhaité
« que vous apportiez votre concours aux mini-projets montés par les jeunes ou par les habitants
de ces quartiers, sensibles aux besoins des populations ».
1985-1995
Banalisation d'une procédure
Se référant aux objectifs des expériences de 1982, la circulaire de 1985 se situe dans
la continuation des opérations « Prévention Été » initiées par voie de circulaire en
1983 et en 1984.
Si, durant cette longue période, l'unité n'apparaît pas à la lecture des dispositifs pratiques évoquées bien qu'elle soit valorisée dans les circulaires (chacune des circulaires se
référant aux précédentes), toutes les circulaires sont par contre systématiquement
signées par le Premier ministre entre le mois de mars et d'avril de chaque année bien que
les rédacteurs principaux aient pu changer : ministère des Affaires sociales, de la
Jeunesse et des Sports, Conseil National de Prévention de la Délinquance (CNPD) puis
la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV).
La transformation des objectifs
Nous avions noté que, durant la période précédente, l'objectif des OPE était de tenter
d'éviter la reproduction de « l'été chaud lyonnais » qui avait « traumatisé » le pouvoir
politique nouvellement installé. Cet objectif premier, comme nous l'avions déjà indiqué,
sera abandonné relativement rapidement (en 1986) face à la multiplication tout au long
de la période des « émeutes urbaines » et à leur extension à d'autres aires géographiques
que l'est lyonnais et/ou à d'autres périodes de l'année : les célèbres Noëls strasbourgeois,
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Quartiers en Vacances
par exemple. La dernière circulaire dans laquelle il est fait référence à ces événements,
et ce d'une manière euphémisée, est celle de 1985 : « L'une des caractéristiques essentielles de ce programme doit être sa capacité à répondre aux situations qui pourraient se présenter
pendant l'été ».
Cet objectif spécifique des OPE était couplé à un objectif plus général : lutter contre
les inégalités sociales, qui sera lui aussi abandonné mais quelques années plus tard, en
1989. Jusqu'à cette date et pour mettre en évidence la progression de cet objectif, un argumentaire quantitatif sera systématiquement repris durant les premières années montrant
la progression du nombre de jeunes concernés, présentée comme gage du succès de ce
programme de réduction des inégalités face aux activités accessibles durant les vacances
aux jeunes d'origine modeste.
Cette référence systématique, jusqu'en 1990, dans les circulaires au nombre de jeunes concernés par les OPE marquait la poursuite de cet objectif d'égalité sociale par le
biais de l'accès de tous à des vacances « Il doit permettre de prendre en compte les besoins des
jeunes (de 13 à 21 ans) restés hors des circuits traditionnels d'animation et de loisirs… et qui se
trouvent ou pourraient se trouver en situation précaire pendant l'été » (1 985). Elle sera aban-
Années
Nombre de jeunes
Nombre de départements
1 982
10 000
11
1 983
80 000
11
1 984
120 000
14
1 985
150 000
14
1 986
150 000
14
1 987
200 000
14
1 988
200 000
21
1 989
200 000
24
donnée dans la circulaire de 1991. Dans la circulaire de lancement adressée aux préfets
cette année-là, il n'y pas plus de chiffre.
Les deux principaux objectifs fixés à ce programme OPE en 1982 et 1983 ont définitivement changé.
Il faut également préciser que la progression chiffrée évoquée d'une année sur l'autre paraissait, d'une part, peu compatible avec le ciblage des populations exigé par les
autorités dans les OPE et, d'autre part, non réaliste dans sa mise en relation avec l'augmentation du nombre de départements qui connaîtront une croissance relativement fai-
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La construction d’une politique publique
ble entre 1982 et 1989 : un peu plus d'un doublement, par contre le chiffre concernant le
nombre de jeunes impliqués dans les OPE sera multiplié par vingt.
Cet objectif de réduction des inégalités sera par la suite fondu dans un objectif général de lutte contre les exclusions plus vague que celui de la promotion de l'égalité des jeunes face aux vacances, aux loisirs. Par exemple en 1989, il est dit que « Ce programme fait
partie des moyens mis en œuvre par le gouvernement pour lutter contre les exclusions, contribuant ainsi à la réalisation d'une politique cohérente en faveur des familles, à une meilleure insertion sociale des jeunes et à la prévention de la délinquance ». En fin de période, en 1994, il
s'agira « d'éviter la dégradation du lien social entre générations et de réduire l'exposition aux risques de marginalité des jeunes qui résident dans des milieux urbains défavorisés » et en 1995
« les opérations Prévention été trouveront leur pleine dimension au service de la cohésion
sociale ». Avant que ne soit évoquée, durant la phase VVV, la promotion de la citoyenneté.
En liaison avec la volonté de soutenir cette frange de la jeunesse qui est marginalisée, il sera demandé - et ce d'une manière constante tout au long de la période - aux promoteurs de ces actions de « proposer aux jeunes des quartiers retenus des activités diversifiées
susceptibles de répondre à leurs attentes » mais surtout d'apporter « votre soutien aux projets
élaborés par les jeunes eux-mêmes ou par les habitants de ces quartiers. Privilégier cette prise de
responsabilité par les jeunes doit être de votre part un souci constant » (1 985). On peut d'ailleurs s'interroger sur l'effectivité de la réalisation de cet objectif tant il revient avec insistance comme un leitmotiv dans les circulaires successives mais avec certaines inflexions :
en 1987 : « Les jeunes eux-mêmes doivent participer à l'élaboration des projets », en 1991 :
« Promouvoir des projets et des activités négociés avec les jeunes et fondés sur une exigence éducative ». Entre élaborer, participer à l'élaboration et négocier, l'initiative et la confiance
accordées aux jeunes marquent un net recul.
Un autre objectif, présent dès la première circulaire en 1983, sera confirmé tout au
long de la période : promouvoir des vacances utiles par les jeunes, les projets doivent
répondre à une exigence éducative. Il s'agit ainsi « de ne pas bronzer idiot », slogan publicitaire des clubs de vacances de G. Trigano, promoteur par ailleurs de certaines des premières opérations. « Dans cette perspective, les services et organismes chargés de l'insertion
sociale et professionnelle ont un rôle essentiel à tenir, et, à ce titre, la mobilisation des missions
locales est indispensable » (1 985). Bien que cet objectif ne soit pas toujours clairement
confirmé comme par exemple en 1987 où il est fait uniquement référence « à la fois à une
animation spécifique dans les quartiers défavorisés et des possibilités variées de départ pour les
jeunes qui n'y auraient pas autrement accès », formule reprise dans la circulaire de 1988.
À partir de l'abandon en 1986 de cette velléité de réduire les explosions sociales
dans les quartiers, « prévenir la délinquance » sera le principal objectif jusqu'en 1995. Les
premières inflexions se dessinent dans la circulaire de 1986 sans qu’un nouvel objectif ne
soit clairement énoncé, il ne le sera qu'en 1987. Nouvel objectif assigné à ce programme
dont les pouvoirs publics se gardent bien de définir le contenu.
En 1986, il est fait référence à la tranche d'âge 13-18 ans, comme population prioritaire. Une tranche d'âge qui ne correspond plus « aux jeunes des quartiers d'habitat
populaire » mais qui fait clairement référence à une catégorie juridique : « les mineurs de
justice ». Par la suite, l'expression consacrée par les circulaires successives sera « la tranche d'âge 13-18 ans et jeunes majeurs » ce qui indique bien l'origine juridique de ce vocabulaire. Et, pour la première fois en 1986, il est demandé « de favoriser les projets élaborés
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Quartiers en Vacances
en direction des jeunes détenus pour lesquels, du fait de l'absence en été des intervenants socioéducatifs habituels, les effets de l'incarcération sont particulièrement nocifs ». Il est précisé que
le Conseil National de la Prévention de la Délinquance fait parti au niveau national des
pilotes du dispositif OPE et qu'au niveau local « la mise en œuvre du dispositif est assurée,
sous votre responsabilité, par une cellule créée au sein des conseils départementaux de prévention
de la délinquance ». De plus, pour la première fois également, les comptes des OPE
devront être adressés « sous le double timbre du Ministère des Affaires sociales et de l'emploi
et du Conseil national de prévention de la délinquance ».
Suite à ces différentes inflexions, le dispositif est alors présenté, en 1987, comme
« destiné à éviter le désœuvrement de jeunes issus principalement de milieux urbains défavorisés,
contribuant ainsi à la réalisation d'une politique cohérente en faveur des familles, à une meilleure
insertion sociale des jeunes et à la prévention de la délinquance ». Il doit ainsi principalement
« viser l'insertion sociale des jeunes qui sont les plus en difficulté notamment de ceux pour lesquels le risque de délinquance est le plus grand… Favoriser les projets en direction des jeunes
détenus, en vue de préparer leur sortie et de prévenir la récidive ». En 1988, une enveloppe spécifique de 50 000 F sera réservée par département aux projets destinés aux jeunes détenus ; disposition qui sera régulièrement reconduite par la suite.
Dans la circulaire de 1990, la multiplication des qualifications demandées aux opérateurs afin de respecter les objectifs fixés à ce programme permet de percevoir son
ambition sans doute exagérée à cause de l'hétérogénéité, en fin de seconde période, de
ces objectifs qui se sont additionnés, sans réelle réflexion, pendant près de dix années :
« Les objectifs assignés à ce programme conduisent à s'appuyer sur les principes suivants, afin
de permettre une meilleure prise en compte des jeunes les plus en difficulté :
- privilégier une double démarche ; celle d'une approche globale de prévention exercée sur les quartiers sensibles retenus à la suite d'un diagnostic fin de la cellule départementale, et celle, au
niveau de la ville d'une action plus déterminée en faveur des jeunes les plus marginalisés connus
des travailleurs sociaux ;
- faire appel à un encadrement associant à la fois une expérience dans le domaine de la prévention
de la délinquance, une connaissance concrète des quartiers et des jeunes et une maîtrise des techniques socioculturelles ou sportives ;
- organiser des activités fondées sur une exigence éducative et répondant réellement à l'attente
des jeunes. »
Variations dans la définition de la population
Au regard de la variation des objectifs poursuivis, la définition générale de la population
cible ne connaîtra pas de transformations notables sur la période 1985-1995 ; il s'agira
toujours de viser « les jeunes inoccupés en difficulté dans les quartiers sensibles durant l'été »
bien que l'on puisse noter des inflexions significatives dans les modalités de désignation
de la population ciblée.
En terme d'âges, à partir de la circulaire de 1986, la cible se réduit aux treize à dixhuit ans alors qu'en 1985 comme en 1984 les treize à vingt et un ans étaient encore désignés et, pour mémoire, en 1982 et 1983, il s'agissait des douze à vingt-trois ans.
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La construction d’une politique publique
En 1987, il sera fait à nouveau mention aux treize à dix-huit ans, tranche d'âge à
laquelle viendra s'ajouter la catégorie « jeunes majeurs ». Une expression directement
issue de la législation pénale concernant les mineurs de justice et qui permet d'inclure,
dans la population traitée par le magistrat de la jeunesse depuis 1975, les jeunes âgés de
18 à 21 ans déjà sous main de justice ; tranches d'âge et expressions qui seront reprises
sans connaître de variation jusqu'en 1995. Il est également rappelé en 1987 que ces projets doivent viser « les jeunes qui sont les plus en difficulté notamment de ceux pour lesquels le
risque de délinquance est le plus grand » ce qui vient confirmer cette référence explicite aux
jeunes pris en charge par la justice ou à ceux repérés par la police. En fin de période, en
1995 comme en 1994, il est à nouveau précisé que la priorité doit être donnée « aux jeunes âgés de 13 à 18 ans et aux jeunes majeurs concernés par des mesures de justice ».
À partir de 1988, il sera également précisé que ce programme doit concerner également les jeunes détenus « en vue de préparer leur sortie et de prévenir la récidive » (circulaire 1990). Ce nouveau critère vient renforcer la référence à la délinquance reconnue et
traitée comme critère explicite d'éligibilité alors qu'en 1986 était simplement mentionné
le fait qu'il fallait favoriser « les projets en direction des jeunes détenus… du fait de l'absence
en été des intervenants socio-éducatifs habituels » mais ce vocabulaire judiciaire n'est pas
repris explicitement et systématiquement chaque année. Par exemple en 1991, comme au
début de la mise en place du dispositif, l'insistance est marquée par rapport « au désœuvrement des jeunes issus principalement de milieux urbains défavorisés » ou « des jeunes les plus
marginalisés connus des travailleurs sociaux et des autres responsables de la vie de la cité » sans
que la référence à la délinquance soit explicite.
De même en 1989 et en 1990, il est fait référence aux « quartiers où réside une grande
proportion de jeunes d'origine étrangère (qui) fera également l'objet d'une attention prioritaire » ; cette priorité ne sera pas reprise les années suivantes pas plus qu'elle n'eût été
précisée les années précédentes. C'est la seule référence que nous avons trouvée dans ces
circulaires au problème des jeunes d'origine culturelle ou ethnique différente.
Par contre, au sujet de l'âge, il sera fait régulièrement mention dès 1986 du fait que
de « nombreuses actions d'animation locale se sont adressées à un public très jeune (entre six et
treize ans) » et que ce public ne fait pas partie de la cible prioritaire. Et, en 1989, il est rappelé que ce sont les municipalités qui doivent prendre en charge les plus jeunes.
Les jeunes filles qui avaient été un peu oubliées lors des campagnes précédentes sont à
nouveau présentées comme cible en 1995 après que le bilan 1 994 « ait établi qu'elles restent encore sous-représentées parmi les bénéficiaires du dispositif ».
Croissance du nombre de départements
Le nombre de départements concernés par cette opération connaîtra sur cette longue
phase une faible croissance avec une nette accélération en fin de période.
- En 1982 et 1983 onze départements sont concernés : Bouches-du-Rhône, Rhône, Nord,
Paris, Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-deMarne, et Val-d'Oise.
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Quartiers en Vacances
- En 1984, quatorze départements étaient concernés avec l'ajout cette année-là de trois
départements : le Pas de Calais, la Loire et la Moselle, aux onze initiaux. En 1985, 1 986 et
1 987 ce sont les mêmes départements qui sont concernés.
- En 1988 s'ajoutent sept départements : La Gironde, la Seine-Maritime, la Loire
Atlantique, la Haute-Garonne, l'Isère, la Meurthe-et-Moselle et le Var, ce qui porte le
nombre à vingt et un départements pour l'année 1988.
- En 1989, ce nombre passe à vingt-quatre départements, les trois départements supplémentaires sont ceux du Bas-Rhin, de l'Hérault et des Alpes-Maritimes. Le nombre de
départements restera constant jusqu'en 1993.
- En 1994, le nombre de départements grimpe à trente-six. Se sont ajoutés 8 départements
métropolitains : Le Calvados, Le Finistère, le Gard, le Haut-Rhin, l'Île et Vilaine, le Loiret,
le Maine-et-Loir et l'Oise et quatre départements d'Outre-Mer : la Guadeloupe, la
Guyane, la Réunion et la Martinique. Soient au total trente-six départements.
- En 1995, trois départements ont été ajoutés : la Drome, l'Eure-et-Loir et la Somme
et un département a été retiré : la Loire. Ce qui a porté le nombre de département à
trente-huit.
Malgré cette « inflation » relative du nombre des départements concernés par ce
programme, que certains commentateurs ont régulièrement dénoncée, il faut rappeler
que le territoire national est composé de cent départements et donc que la variation
entre 1982 et 1995, se situe dans le passage de 11 % à 38 %. Après le doublement du
nombre de départements atteint en 1989, il s'est stabilisé jusqu'en 1993. Ce n'est qu'à
partir de 1994 que l'on peut véritablement parler d'inflation d'autant qu'elle se poursuivra et s'accélérera les années suivantes, avant que ce ciblage géographique ne disparaisse en l'an 2000.
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La construction d’une politique publique
Les modifications dans l'organisation du dispositif
Dans une première approche des modifications apportées à l'organisation administrative des OPE, il faut rappeler qu'en 1982 n'étaient impliqués dans la préparation, la direction et le suivi de ces opérations que trois ministères : les ministères de l'Intérieur, des
Affaires sociales et de la Solidarité nationale et de la Justice. En 1983 et en 1984, le pilotage s'est élargi à sept ministères. Sont venus s'associer le ministère de la Jeunesse et des
Sports, celui de l'Éducation nationale, de la Défense nationale et de la Culture, ainsi que
la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse nationale d'Allocations familiales, le
Fonds d'Action sociale, la mission animée par M. Trigano jusqu'en 1985, la commission
pour le développement social des quartiers, le Conseil national de prévention de la
délinquance, la délégation interministérielle pour l'insertion sociale et professionnelle
des jeunes. Et, suite à la mise en œuvre au 1° janvier 1984 du transfert des compétences,
les Conseils généraux des quatorze départements seront saisis afin d'associer leurs services et moyens à ce dispositif.
Le suivi opérationnel national est sous l'autorité d'une cellule interministérielle
nationale dont le secrétariat est assuré par le secrétaire d'État chargé de la famille, de la
population et des travailleurs immigrés. Ce rappel a pour objectif de préciser que si, dès
le premier programme en 1982, une volonté de coopération existait, la cellule ne sera
réellement interministérielle qu'à partir de 1983 en s'associant officiellement à d'autres
partenaires et en se plaçant sous l'autorité du Premier ministre.
Ce caractère interministériel sera maintenu par la suite avec certaines participations
fluctuantes, par exemple le Ministère de l'éducation nationale sera absent en 1985, mais
il réapparaîtra en 1987, pour redisparaître en 1988, puis reviendra en 1991 et se stabilisera jusqu'en 1995. À l’inverse, le Conseil national de prévention de la délinquance en
1986 intègre le dispositif puis en 1987 le secrétariat de la cellule interministérielle nationale, et il n'en bougera plus jusqu'à sa fusion avec d'autres missions dans la délégation
interministérielle à la ville qui deviendra le seul pilote en fin de période. Jusqu'à cette
date (1 995), la responsabilité de la cellule était assurée conjointement par la DIV et la
direction de l'action sociale.
De même si, jusqu'en 1987, il s'agissait d'un programme global dans lequel les crédits des différents ministères, organismes d'État ou partenaires étaient fusionnés à partir de 1988 des opérations spécifiques feront officiellement leur apparition :
- Opérations en direction de l'Administration pénitentiaire
- Prestations du ministère de l'Intérieur
- Prestations du ministère de la Défense
- Prestations offertes par la délégation interministérielle à la sécurité routière
Opérations spécifiques auxquelles s'ajouteront en 1989, celles du Fonds d'action
sociale, en 1991 celles du secrétariat d'État à la jeunesse et aux sports, celles de la
Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse, celles des services extérieures du
ministère des affaires sociales et de la solidarité, en 1994 celles de la Délégation à l'insertion des jeunes et des missions locales, celles de la Délégation à la formation professionnelle et celles du ministère de la coopération.
Au niveau départemental, à partir de 1985, le pilotage est assuré par une cellule, sous la
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Quartiers en Vacances
responsabilité du préfet, composé des cinq principaux responsables ministériels locaux
du programme : justice, intérieur, éducation nationale, affaires sociales et jeunesse et
sports. Sont également associés des représentants du Conseil Départemental de
Prévention de la Délinquance (CDPD) et des collectivités territoriales.
C'est cette cellule qui est chargée de l'examen, de la sélection des demandes de financement et du soutien aux porteurs de projet. En 1986, elle doit être créée au sein des CDPD
et en 1987 « ce programme relève de la compétence du CDPD qui regroupe les différents partenaires concernés ». En 1994, le préfet peut déléguer son autorité « au sous-préfet ville dans
les départements qui sont dotés de tel poste ».
En 1987, la composition de cette cellule est élargie au responsable de l'action sociale
départementale et au directeur régional de l'administration pénitentiaire qui doivent
officiellement désigner un représentant au niveau du département.
À partir de 1988, une liste exhaustive des membres des CDPD devant participer
à la cellule sera jointe à la circulaire. Elle connaîtra peu de modifications par la suite.
Il s'agit du :
- directeur départemental des affaires sanitaires et sociales
- directeur départemental de l'Éducation surveillée
- directeur départemental de la jeunesse et des sports
- directeur départemental des polices urbaines
- un représentant du Président du Conseil général
- directeur du service départemental d'action sociale
- directeur de la caisse des allocations familiales
- du correspondant du FAS
L'autorité militaire pourra être associée au fonctionnement de la cellule ainsi que le
représentant de l'administration pénitentiaire. En 1991, le représentant de l'administration pénitentiaire devient membre de droit et s'ajouteront l'inspecteur d'académie ou son
représentant, le chargé de mission de la sécurité routière et un magistrat et, en 1994, le
directeur régional des affaires culturelles, celui des missions locales et celui du travail,
de l'emploi et de la formation professionnelle.
C'est la direction des affaires sanitaires et sociales qui doit assurer le secrétariat de la cellule départementale, mais n'est plus mentionnée en 1985, comme déjà en 1984 alors
qu'elle l'était en 1983, la liaison avec la direction départementale Temps libre - Jeunesse
et Sports. En 1989, le secrétariat pourra à nouveau être assuré par les représentants
départementaux des deux ministères et en 1994, la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse pourra également assurer ce secrétariat.
Ces différents élargissements, recompositions, appropriations du pouvoir opérationnel au niveau central comme au niveau local rendent compte de l'évolution générale
du dispositif, de son élargissement, des préoccupations gouvernementales ainsi que de
celle des rapports de force politique entre les différents ministères selon que l'accent soit
porté sur l'un ou l'autre des objectifs précédemment évoqués.
Sous une apparente stabilité du programme OPE durant cette longue période 1985-1995,
apparaissent ainsi différentes ruptures, recompositions.
Pour conclure l'analyse de ce programme sur ces dix années (1985-1995), un point,
que nous avons jusqu'à présent passé sous silence, est la complexification de ce dispositif, liée en partie à son institutionnalisation. L'installation progressive de contraintes
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La construction d’une politique publique
de plus en plus sophistiquées d'évaluation de sa « productivité », d'accès ou de répartition des crédits ne peuvent s'expliquer par l'élargissement relativement limité du
nombre de départements bénéficiaires. Pour donner une simple indication sur ce processus, en 1985 la lettre du Premier ministre et ses annexes couvraient quatre pages, en
1988 dix-huit pages et, en 1995, le dossier était composé de seize pages. Le passage des
opérations OPE à VVV ne se signalera pas par une simplification des procédures.
En 1996, la circulaire de lancement du programme VVV comprenait 23 pages, en 1999,
46 pages et en 2002, 40 pages.
1996-2002
Inventaire des ruptures
Le passage du programme OPE au programme « Villes, Vie, Vacances » (VVV) est justifié dans sa présentation au Conseil des ministres du 21 juin 1995 de la manière suivante :
- Ville pour rappeler le lieu de départ de ces jeunes et l'entité urbaine des quartiers.
- Vie pour souligner le cadre de ces opérations « apprendre à vivre » par l'effort, l'éveil à la nature,
la formation de soi.
- Vacances pour permettre à ceux qui ne partent pas, qui « rouillent » en bas des immeubles,
d'avoir eux aussi un congé qui ne soit pas l'oisiveté, une expérience des loisirs (4).
Au-delà de ce changement de sigle, que recouvre ce changement dans l'organisation, les
objectifs, la population destinataire de ce programme ?
Nous avions précédemment noté que les principales caractéristiques du programme OPE étaient la volonté de promouvoir l'expérimentation en s'appuyant sur ses
limites géographiques : les quartiers en difficulté, et sur sa courte durée : les deux mois
d'été mais également son caractère interministériel, marqué par la signature annuelle de
la circulaire par le Premier ministre.
Si en 1996, la première circulaire « Ville, Vie, Vacances » est signée par le Premier
ministre, dès 1997 c'est le ministre de la Ville qui en est le signataire sous couvert de son
ministère de rattachement alors même qu'en juin 1995, au moment de la présentation au
gouvernement du nouveau programme VVV, il était noté que « Le programme OPE doit
son efficacité à son caractère éminemment interministériel. Les ministres et organismes impliqués
mettent en commun non seulement des lignes de crédits, mais aussi les ressources humaines de
leurs administrations centrales et déconcentrées » [28].
Par rapport aux deux autres principales caractéristiques évoquées, il y aura également
rupture.
La première rupture, qui a lieu dès 1996 et qui s'exprime dans le changement de
sigle : les vacances et non plus l'été, sont l'annualisation de ce programme. Il concerne
l'ensemble des vacances scolaires, bien que « la préparation et l'organisation d'actions pendant la période estivale constitue néanmoins l'axe central de ce dispositif » (1 996). Sur ce point,
il faut évoquer la contradiction qui existe entre la volonté exprimée de continuer à cibler
une population jeune désocialisée : « L'intégration des publics les plus en difficulté et la lutte
[28] Phrases extraites du dossier de presse édité par le ministère, le 21 juin 1995, au moment de
la présentation du nouveau plan VVV au conseil des ministres.
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Quartiers en Vacances
contre l'exclusion sont des priorités de l'action du gouvernement » (1 996), et le fait de cadrer,
d'un point de vue temporel, le dispositif par rapport aux vacances scolaires alors même
que la principale caractéristique des populations « jeunes en difficulté » est de se situer
en dehors des rythmes scolaires, situation objective de ces jeunes niée consciemment par
les circulaires : « Le dispositif VVV permet aux jeunes en difficulté de bénéficier d'un accès aux
loisirs et d'une prise en charge éducative durant leurs temps de vacances scolaires » (1 998). Le
programme VVV en direction des jeunes ne se retrouve-t-il pas dans la même situation
- dénoncée régulièrement par les associations - que les différents programmes d'hébergement et de lutte contre la grande pauvreté qui ne fonctionnent que durant l'hiver : les
jeunes en difficulté ne sont-ils officiellement oisifs que durant les vacances scolaires ?
Pourquoi le dispositif n'a-t-il pas été généralisé à l'année entière et non uniquement aux
périodes de vacances scolaires en direction de ce public exclu des rythmes scolaires ?
La seconde, qui sera plus progressive, concerne l'abandon de la référence à une géographie prioritaire liée aux politiques de rénovation des quartiers sensibles. Nous avions
noté, en fin de période précédente, l'accélération du nombre de départements concernés.
Ce mouvement se poursuivra : 39 départements en 1996, 91 en 1997, l'ensemble des
départements en 2000.
En 1996, peu de changement par rapport à 1995, si ce n’est la réintroduction du
département de la Loire. Par contre dès 1997 le nombre de départements est multiplié
par près de trois : passage de 39 départements à 91 départements. En sont exclus, et ce
jusqu'en 2000, neuf départements : les Hautes-Alpes, l'Ariège, le Cantal, la Corrèze, la
Creuse, le Gers, le Lot, la Lozère et le Tarn-et-Garonne… Des départements hautement
urbanisés !!! Bien qu'en 2000, au moment de l'ouverture de la procédure à tout le territoire nationale il est précisé, suite à un rapport de l'IGAS, que « les opérations VVV restent
un dispositif de prévention de la délinquance en direction des publics identifiés et issus en priorité des géographies de la politique de la ville » Un discours purement ostentatoire ?
Pourtant, en 1996, en contradiction à nouveau tant avec cette ouverture temporelle
que géographique, les publics sont toujours - comme dans la seconde période des OPE définis selon les mêmes critères :
- Privilégier la prise en charge des jeunes en difficulté, en voie de marginalisation ou en risque
de délinquance.
- Accorder une priorité aux jeunes de 13 à 18 ans.
- Rechercher un équilibre dans la mixité et la diversité, tant sociale que culturelle, des jeunes…
une proportion significative de jeunes filles.
- Accentuer la participation des mineurs faisant l'objet de mesures de justice.
Les projets doivent être sélectionnés selon les mêmes caractéristiques :
- Mettre en œuvre des projets et des activités fondés sur une exigence éducative.
- Privilégier les projets inspirés d'une logique professionnelle.
- Associer au montage, à la réalisation et au suivi de ces actions les adultes et les familles.
- S'assurer de la participation des jeunes.
La justification donnée à cette généralisation du programme à la France entière est
que « de nombreuses communes, situées hors géographie prioritaire de la politique de la ville, ont
développé des actions de prévention et d'insertion dans un cadre partenariat » (2 000). Politiques,
actions de prévention ou d'insertion qui, pour la majorité d'entres elles, sont obligatoires
en ce sens qu'elles relèvent du droit commun alors que les opérations OPE se sont tou-
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La construction d’une politique publique
jours définies comme liées à une orientation politique de discrimination positive.
Un seul point est réellement nouveau dans cette circulaire VVV de 1996 par rapport
aux précédentes circulaires OPE. Il s'agit de la note concernant l'encadrement :
- Veiller tout particulièrement cette année à faire appel à un encadrement disposant d'une réelle
expérience.
- Informer systématiquement les préfets de départements d'accueil.
- Sensibiliser les élus et les services déconcentrés de l'État des sites accueil.
Alors que les années précédentes, comme en 1994 par exemple, il était simplement
demandé de « développer la formation de l'encadrement et l'évaluation… Vous réserverez une
partie de vos crédits déconcentrés au développement de ces actions ».
Cette insistance particulière en 1996 s'explique par les incidents, fortement médiatisés, qui ont émaillé le séjour « des jeunes des banlieues » dans les stations balnéaires,
principalement du Sud-Ouest durant l'été 1995 : L'opération « été chaud » glace le littoral.
Les séjours des jeunes des banlieues n’ont pas laissé que de bons souvenirs (Libération,
19.09.95). Ces incidents donneront lieu à l'énonciation de recommandations précises, qui
seront reprises chaque année par la suite, quant à l'encadrement des séjours, à l'information à délivrer aux autorités départementales des lieux d'accueil et même en 1999 à un
sous-programme « Les plans littoraux pour l’accueil des jeunes ».
Ce n'est qu'à partir de 1997, et de son élargissement à 91 départements, qu'un
changement notable dans les objectifs, les publics ou l'organisation sera clairement
affiché sans que l'ancien discours disparaisse complètement (cf. la circulaire 2000, précédemment citée).
Au niveau des publics, on note au-delà du rappel à la « prise en charge des jeunes en
difficulté, en voie de marginalisation ou en risque de délinquance pas ou peu intégrés dans les
activités existantes » un net changement d'orientation en 1998 : « une attention particulière
doit être portée au contenu éducatif des projets proposés : potentialités d'épanouissement personnel, apprentissages sociaux, éducation à la citoyenneté, solidarité locale ou internationale, logique
d'insertion sociale et professionnelle, » L'objectif d'insertion sociale et professionnelle qui
occupait une place centrale dans les dispositifs précédents n'est plus évoqué qu'en cinquième position.
Il n'y a plus également dans ces circulaires de renvoie systématique des plus jeunes
vers les dispositifs communs comme antérieurement : « la situation des plus jeunes, dont
l'accueil est normalement assuré par les municipalités, doit être analysée au cas par cas ; leur
accueil dans le dispositif ne peut être qu'exceptionnel ». Une notation reprise dans les circulaires de 1998 et 1999 et, en 2000, « le dispositif VVV s'adresse désormais aux jeunes à partir
de 11 ans afin de leur proposer des loisirs qui, tout en restant ludiques, intègrent une démarche
éducative ». Cette transformation est justifiée, dans la circulaire 2000, par trois éléments :
« 25 % des jeunes participants à ce programme les années précédentes ont moins de treize ans ;
la tranche d'âge 11-13 ans est de plus en plus fragilisée et échappe aux structures traditionnelles
proposés par les collectivités territoriales ;
sur le plan de la délinquance les faits commis par ces jeunes mineurs semblent en augmentation
significative ».
En terme d'objectif, si la lutte contre la délinquance et « les exclusions » est toujours
évoquée, elle devient seconde, une orientation qui confirme celle de 1998. Une nouvelle
hiérarchie bien explicitée dans la circulaire de 1999 : « la politique de la ville doit pouvoir
répondre avec plus de conviction et d'efficacité aux projets et attentes des jeunes » et qu'en
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Quartiers en Vacances
conséquence elle doit également « multiplier les occasions de faire accéder les jeunes à la
citoyenneté, notamment les jeunes les plus fragilisés… L'ensemble des acteurs locaux, et en particulier les services déconcentrés de l'État, se mobilisent pour que nous fassions de la ville un
espace d'opportunités et de solidarités qui organise le droit permanent à la réussite, le dispositif
VVV doit être pour nous tous une occasion de donner aux jeunes les plus en difficulté les moyens
d'une insertion réussie ». Ces inflexions peuvent être suivies de rappel à des objectifs plus
classiques comme lorsqu'en 2001 est constatée « une tendance à la banalisation de ce programme qui accueille un nombre important de jeunes relevant des dispositifs de droit commun.
C'est pourquoi, les cellules départementales doivent associer le plus largement possible les services de prévention spécialisée, trop peu présents dans le déroulement des actions. Le travail engagé
avec les services de protection judiciaire de la jeunesse doit être développé ».
Un simple habillage du dispositif sans conséquence en réponse aux réflexions de
l'IGAS ou une injonction paradoxale ? Question d'autant plus importante que l'année
suivante, en 2002, la circulaire prend acte de ce glissement en seconde position de l'objectif « prévention de la délinquance » comme de celui de « lutte contre les exclusions »
et l'officialise en quelque sorte en présentant les actions menées durant vingt ans comme
une adaptation de l'offre de loisirs ou de vacances en direction des jeunes : « Conçues dans
l'urgence, au début des années quatre-vingt… elles ont progressivement évolué vers la mise en
œuvre de projets à vocation plus éducative. La dimension pédagogique des actions est en effet très
rapidement devenue un impératif… Le dispositif a nettement inspiré les modifications apportées
à la conception des vacances et de l'accès aux loisirs pour les jeunes ». En conséquence, il est
noté plus loin dans cette même circulaire que « si les opérations VVV doivent s'adresser
prioritairement aux jeunes des quartiers confrontés au risque de déviance ou de marginalisation,
il ne s'agit toutefois pas de tomber dans la constitution d'un dispositif spécifique qui risquerait,
par étiquetage ou classification étroite, de s'avérer stigmatisant pour les jeunes qui les fréquentent. Vous rappellerez aux porteurs de projets la nécessité de veiller à la constitution équilibrée
des groupes, pour respecter la mixité et permettre la cohabitation de publics présentant des difficultés plus ou moins marquées ».
Nous sommes loin des objectifs « de discrimination positive » des premiers plans
avec l'insistance marquée sur les objectifs d'intégration ou le ciblage des populations
par rapport aux lieues des « émeutes estivales » ou de « la lutte contre la délinquance
des jeunes ». Il s'agit plus modestement de faciliter la modernisation de l'offre de loisirs
des institutions en direction des jeunes.
Par contre l'aspect « utile » des occupations proposées est toujours présent. Par
exemple en 1997, il est précisé « qu'il y a lieu de ne pas exclure a priori des activités qui se
déroulent à l'étranger dès lors que celles-ci évitent les loisirs consommation et prennent en
compte les dimensions suivantes :
- contribution significative des jeunes à la préparation du projet et du voyage,
- dimension de solidarité, partenariat et réciprocité de l'échange,
- aspect d'insertion sociale et professionnelle ».
Il est également mentionné, dans la circulaire 2000, que « s'agissant d'un dispositif d'insertion sociale, les chantiers éducatifs, les travaux saisonniers au profit de la collectivité sont un
moyen de motiver et de responsabiliser les jeunes ».
D'un point de vue organisationnel, nous avions noté qu'une des caractéristiques de
la seconde phase de la période 1985-1995 était la montée en puissance dans le dispositif
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La construction d’une politique publique
du Conseil national de Prévention de la délinquance puis, par la suite, de la DIV. Cette
orientation sera confirmée, en particulier, comme nous l'avions noté, par le changement
du signataire des circulaires lançant annuellement les opérations à partir de 1997 mais
également dans le fait que les comptes rendus ne doivent plus être retournés qu'à cet
interlocuteur gouvernemental. Il est également intéressant de noter qu'il ne sera plus fait
référence dans les circulaires à partir de 1996, à la composition de la cellule nationale en
charge de piloter ces opérations, la DIV est le seul interlocuteur clairement identifié. Les
autres ministères ou organismes nationaux ne seront plus évoqués que dans le cadre des
opérations spécifiques. Et, en 2001, le ministre de la ville précise en conclusion de sa
circulaire que le dispositif VVV « reste un élément essentiel des efforts entrepris par le gouvernement dans le domaine de la politique de la ville ».
Si en 1996, la composition de la cellule départementale inclue, en relation avec la
volonté à nouveau affichée d'ouvrir le dispositif aux jeunes filles, la chargée de mission
départementale aux droits des femmes et insiste sur la nécessaire présence des partenaires socio-économiques, il n’y a pas de réels changements à signaler dans sa composition.
Par contre, elle recommande « d'élargir la réalisation de ce programme à d'autres partenaires
tels qu'organismes logeurs, transporteurs, commerçants, entreprises pour mieux l'inscrire dans la
réalité locale ». Et, n'est plus fait mention d'une attribution fléchée du secrétariat permanent de la cellule. Est pris en compte, explicitement dans cette circulaire, la position spécifique - qui n'est pas récente, comme nous avions pu le noter - de l'Éducation nationale
dans ces opérations : « Le ministère de l'éducation nationale s'associe à la préparation du programme VVV. Il met tout en œuvre au plan local pour inscrire son propre dispositif dans l'ensemble du programme départemental ». Est également reprise la ventilation des opérations spécifiques par services concernés comme cela avait été fait pour la première fois en 1988.
Il est précisé également que l'ouverture du programme à toute l'année oblige à
« fortement recommander » une procédure d'instruction en trois périodes :
- « en janvier février pour les vacances des deux premiers semestres,
- en mai-juin pour la période estivale,
- en septembre octobre pour le quatrième trimestre ».
et, la moitié au moins de l'enveloppe financière doit être réservée à la période estivale.
Cette instruction sera complétée en 1997 par le fait qu'il « appartient au préfet de réunir la
cellule plénière au moins trois fois dans l'année et de rendre compte de ses travaux au conseil
départemental de prévention de la délinquance ».
L'ensemble de ces changements, à partir de 1996, amène à s'interroger sur les relations
entre la nouvelle formule « Ville, Vie, Vacances » et la procédure générale mise en œuvre
jusqu'en 1984 dans le cadre du programme « Vacances et loisirs pour tous » dont les OPE
n'étaient qu'un sous-programme.
De nombreux points rapprochent ces deux programmes : nécessité de moderniser
l'offre de loisirs en direction des jeunes, peu de confiance accordée au professionnel de
l'action sociale, rénovation des organismes spécialisées, définition « lâche » du public, etc.
S’agit-il d’un programme de modernisation de l'offre de loisirs et de vacances en direction des jeunes, soutenu par la puissance publique ?
Cette question est d'autant plus cruciale qu'à partir du début des années quatre
vingt dix, le problème de la délinquance des jeunes a été élevé au rang de priorité nationale, que de nombreuses mesures ont été édictées au plan national comme local, avec
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Quartiers en Vacances
par exemple en particulier la création en 1997 sous l'impulsion du ministère de l'intérieur des Contrats locaux de Sécurité. Malgré le poids de cette pression politique et
médiatique sur les jeunes, le comportement des jeunes, la violence des jeunes, il est
intéressant de constater qu'un des rares programmes en direction exclusive (officiellement) de ces jeunes en difficulté, de ces jeunes délinquants ou de ces jeunes détenus qui
soit piloté par un ministère social s'ouvre à presque « tous publics » au point de perdre
toute spécificité.
Cela ne veut-il pas dire a contrario que seul le ministère de l'intérieur et/ou celui
de la justice sont compétents pour s'intéresser et traiter des populations qui troublent
l'ordre public ?
La différence sans doute entre les deux périodes, celle de « Vacances et loisirs pour
tous » et celle de « Ville, Vie, Vacances » est que le gouvernement de 1982 avait construit
son action sur la croyance, largement partagée à l'époque, que les politiques sociales, les
politiques de discrimination positive permettraient de lutter contre les phénomènes de
marginalisation, d'exclusion sociale et de délinquance alors que les derniers gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, n'accordent plus leur confiance à ce type de
politique. Pour eux, comme sans doute aujourd'hui pour une majorité de la population,
face à la délinquance ou à la violence des jeunes, seul le ministère de l'intérieur et celui
de la justice peuvent intervenir.
À la recherche de la prévention de la délinquance
Cette rupture définitivement consommée en l'an 2000 à ce niveau sectoriel est le fruit
d'une part de la banalisation progressive du dispositif que nous avions relevée les
années précédentes et, d'autre part, le fruit d'un changement plus global dans la perception de la position, du rôle et des pouvoirs du gouvernement et de l'État.
À la fin des années quatre-vingt, au début des années quatre-vingt-dix, la
« croyance » dans le rôle correctif de l'État pour lutter contre la fragmentation de la
société, la progression des inégalités, la dégradation des conditions de vie d'une partie
de la population par des politiques volontaristes de « discrimination positive » va progressivement s'effriter.
Durant la phase OPE de ce dispositif spécifique - consacré à l'organisation des
vacances des jeunes défavorisés - et dans les différents champs sociaux relevant de ses
compétences à la même période, l'action de l'État était basée sur la perception du caractère provisoire des difficultés rencontrées au niveau économique et à celui de l'emploi. Il
s'agissait de produire des dispositifs permettant de réduire les difficultés rencontrées par
une partie de la population, afin d'attendre dans des conditions acceptables la reprise
économique qui permettrait de poursuive les objectifs ambitieux de réduction des inégalités des « trente glorieuses ». Les explosions urbaines, premier objectif, puis la progression de la délinquance, second objectif poursuivi par les OPE, se résorberaient si l'on
savait attendre en évitant une trop grande détérioration de la situation sociale et économique des fractions de la population fragilisées par « la crise » vivant dans les zones
urbaines dégradées.
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La construction d’une politique publique
Progressivement, cette orientation connaîtra une inflexion qui fera qu'en fin des années
quatre-vingt-dix, principalement le Ministère de l'intérieur, secondairement celui de la
justice seront considérés comme les seuls organismes à même de lutter contre les conséquences, en terme d'insécurité et de délinquance, de la dégradation des conditions de vie
d'une fraction de la population. Si les politiques de sécurité en France n'ont pas atteint le
degré répressif de celle mise en œuvre par les autorités politiques américaines envers les
jeunes noirs des ghettos urbains dont le taux de détention sur cette population ciblée
rend compte : « Pénaliser la misère » [L. Wacquant, 1 999], il est clair que l'action sociale
préventive ayant pour objectif de compenser les écarts de situation face à l'emploi, à l'intégration sociale de cette population « des jeunes en difficulté des banlieues » n'est plus
considérée comme prioritaire pour lutter contre ces manifestations de marginalisation
sociale. Et ce, d'autant plus qu'en France n'a jamais réellement existé une véritable politique ciblée de prévention de la délinquance ; cette seconde raison venant renforcer cette
réorientation vers des politiques publiques principalement répressives.
Pour comprendre ces transformations des objectifs des OPE puis de VVV, il est important de rapprocher les évolutions internes à ce programme de celles plus générales des
politiques de prévention et de lutte contre la délinquance des jeunes.
Trois périodes peuvent être repérées.
* Une première période longue, 1950-1975/80, qu’il est nécessaire pour notre propos de
développer est caractérisée par le rôle essentiel joué par le magistrat de la jeunesse et le
faible rôle des acteurs locaux ou de ceux périphériques à son activité dans le champs de
la prévention de la délinquance : médecins, assistantes sociales, enseignants, éducateurs
de rue, etc. Il s’agit d’une organisation pyramidale des autres acteurs autour de cet acteur
central dont l'orientation et le pouvoir d'intervention sont caractérisés par un principe :
« l'éducation du mineur, coupable comme victime d'une infraction ». En fin de période existe
d'une part, une prévention-protection sociale générale, gérée par les conseils généraux,
qui n'est pas centrée principalement sur l'activité délinquantielle des jeunes mais beaucoup plus sur des problèmes d'inadaptation sociale et, d'autre part, la justice des mineurs.
Entre ces deux pôles, en dehors de l'expérience emblématique des clubs et équipes de prévention qui représentent un faible nombre d'intervenants, n'existe aucune activité visible
ou lisible en terme de prévention de la délinquance. C'est pourtant au cœur de cette
période (1965-1970) que la délinquance acquisitive des mineurs connaîtra une croissance
importante, en particulier celle liée aux vols de moyens de locomotion [Robert, 2 002].
La fin de la période est caractérisée par la montée des préoccupations politiques sur ce
thème qui déboucheront sur la mise en place de la commission Peyrefitte (installée en
1976, rapport en juillet 1977) qui marquera la prise en compte par le politique des nouvelles préoccupations liées à l'expression d'une insécurité au sein de la population [29]. Cette
commission sera également à l'origine d'un renouveau des études et des réflexions dans
ce champ. Elle tentera de proposer un partage - peu opératoire dans le cas des mineurs entre la grande délinquance qui serait du ressort d'une aggravation de la répression et la
petite délinquance, essentiellement acquisitive, qui relève de la prévention.
[29] Suite à la publication de ce rapport, A. Peyrefitte deviendra Ministre de la Justice.
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Quartiers en Vacances
* Une deuxième période, 1981-1983 - 1990-1993, marquée par le développement des
politiques locales sous l'impulsion des municipalités avec une visée généraliste que l'on
peut qualifier de « prévention sociale ». Durant cette phase s'amorce la perte de pouvoir
du magistrat de la jeunesse, la montée en puissance du parquet et l'amorce du développement de « nouveaux » acteurs locaux de l'animation, de la réhabilitation, de l'insertion, de la protection des biens et du traitement de la délinquance ; acteurs souvent non
professionnalisés. Dans un premier temps et suite aux débats qui ont marqué l'adoption,
en fin de période précédente, de la Loi « Sécurité et Liberté », la gauche au pouvoir va
s'orienter vers une politique générale de prévention qui s'apparente plus à une politique
sociale généraliste classique qu'à un réel ciblage des problèmes de délinquance et d'insécurité qui auront pourtant marqué les débats électoraux avant son arrivée au pouvoir.
De nouvelles interventions expérimentales vont être mises en place selon trois directions
dans lesquelles s'inscrivent les OPE : aménagement de l'urbain, insertion dans l'emploi
et prévention situationnelle de terrain. Face à ces interventions, l'institution judiciaire est
obligée de se positionner comme ultime recours lorsque cette nouvelle prévention
sociale générale n'a pas fonctionné. Elle tend à compenser les échecs des politiques sociales plutôt qu'à en être un des éléments. Ceci entraîne un isolement de l'intervention judiciaire alors qu'elle était au centre de l'intervention préventive sur la délinquance dans la
phase antérieure. Le militantisme du juge des enfants, qui était plus proche du social que
du droit, cède le pas à un magistrat plus classique qui devient le garant de l'action judiciaire en s'appuyant sur les textes juridiques et moins sur la personnalité des mineurs
(le droit de l'enfant # l'intérêt de l'enfant). La notion d'accès aux droits plus que la prise
en compte de la personnalité et des conditions d'éducation des jeunes devient le nouveau credo des magistrats. Dans les mesures prises par le parquet, l'intérêt porté à la victime et à son préjudice ainsi qu'à la transgression en tant que telle détourne également
l'action pénale de la préoccupation de la personnalité de l'auteur des faits et la déplace
vers la responsabilité des faits incriminés et leurs conséquences économiques, sociales
et psychologiques. Ce nouveau processus s'appuie sur la notion de responsabilité sociétale qui s'oppose au processus antérieur mis en œuvre par le juge des enfants avec l'imposition judiciaire personnalisée de normes (rôle paternaliste).
Antérieurement, dans cette procédure, la réparation ou la sanction du trouble à l'ordre public s'opérait par rapport à l'État qui était le garant légitime de cet ordre et non par
rapport au préjudice subi par la victime qui, lui, relevait d'une procédure civile. Se
concrétisait ainsi le principe d'égalité de tous les membres de la nation dans un espace
public respecté par tous grâce au fonctionnement de l'appareil pénal. La reconnaissance
comme acteur dans le procès pénal de la victime des actes délinquants a pour conséquence une modification des rôles de chacun. L'État n'est plus l'unique garant d'un ordre
public dans lequel chacun se reconnaît mais tend à devenir le garant de la demande de
compensation, d'indemnisation ou de réparation de la victime. Son rôle se confond avec
celui d'une assurance multirisque. Cette orientation fragilise l'effectivité d'une solidarité
produite pour chacun à travers le respect par tous de l'ordre public.
Les dispositifs sociaux périphériques au judiciaire qui vont se mettre en place s'appuient eux sur le principe de la restauration du lien social plus que sur celui de la sanction ou de la responsabilisation face aux comportements illicites [Bailleau, 1 996].
Ces repositionnements accompagnent la montée en puissance du parquet dans le traitement de la délinquance des mineurs qui prend en compte deux exigences des acteurs de
terrain, essentiellement les municipalités, l'urgence et la proximité. L'action pénale s'ins-
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La construction d’une politique publique
crit de plus en plus dans des dispositifs locaux de sécurité publique qui essayent de
développer la coopération entre les différents acteurs : police, éducation nationale, services sociaux, services d'animation et de prévention et bien sûr collectivités locales.
Trois principes réorientent ainsi cette action du judiciaire :
* Participation de la collectivité
* Présence/prise en compte des victimes et réparation des préjudices
* Mobilisation de la responsabilité personnelle de l'auteur.
Pour répondre aux exigences de la population, les municipalités commencent également à se doter d'outils destinés à compenser les carences de l'État central : polices
municipales, correspondants de nuit, médiateurs, agents de tranquillité, sous-traitants
de sécurité privée, habitants relais, référents, etc. Difficile d'établir une cohérence, une
liaison entre ces nouveaux équipements « précaires » et les institutions traditionnelles
existantes. Par contre, la privatisation de la sécurité se développe rapidement et les
technologies privées de surveillance font de plus en plus souvent partie des instruments utilisés par les maires.
* Une dernière période 1990-1993 - 2000-2002, qui se marque dans un premier temps par
un recentrage de l'action sur la notion de sécurité, le développement de la prévention
situationnelle (durcir les cibles), la production d'actions plus centrées sur les actes de
délinquance ou d'incivilité des jeunes et par un réinvestissement de l'État dans ce champ
par le biais de ses représentants locaux : le préfet et le procureur, qui vont jouer un rôle
essentiel dans la définition des modes d'intervention et des actions. Entre cette dernière
phase et la précédente, une rupture sur deux points principaux :
- Les équilibres vont se modifier entre deux grands courants celui de la prévention technique et situationnelle et celui d'une prévention plus sociale au profit de la notion d'approche intégrée de la sécurité qui est une combinaison de techniques situationnelles et
de politiques de renouvellement urbain.
- Une inversion du rôle moteur entre les collectivités locales et l'État central.
Cette réorientation de l’action publique dans le champ du traitement de la délinquance fait ainsi l’objet depuis plus de vingt années d’une redéfinition des objectifs, des
techniques et méthodes requises et des acteurs mobilisés.
Quatre tendances principales permettent aujourd'hui de dresser un portrait des politiques actuelles de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs en France :
- Une critique des principes protecteurs et éducatifs qui avaient fondé ou accompagné
l'émergence des systèmes spécifiques de prévention et de traitement de la délinquance
des jeunes. Cette dernière est menée parallèlement à la remise en cause de ce qu'il est
convenu d'appeler l'État providence ou protecteur (« les Trente Glorieuses »). Et, au
regard des illégalismes des jeunes, on note en particulier une marginalisation progressive
du tribunal pour enfants qui occupait une place centrale dans les dispositifs antérieurs.
- Une réévaluation de la notion de responsabilité des jeunes face à celle d'éducabilité qui
faisait référence à celle de solidarité, base du consensus antérieur.
- La décision de solliciter ou d'intégrer de nouvelles instances dans la mise en œuvre de
mesures à l'égard des jeunes qui s'appuient sur un mouvement plus général de localisation avec l'implication, au plus près des lieux de vie du mineur de nouveaux acteurs non
spécialisés.
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Quartiers en Vacances
- Une volonté politique de ne laisser aucun acte commis par un jeune sans réponse : « la
tolérance zéro » mais également d'accélérer « les traitements » en réduisant les délais
entre la commission d'une infraction par un mineur et son traitement, qu'il soit social
ou judiciaire.
Le modèle français classique de prévention était/est plus un modèle d'action
sociale, d'animation sociale et culturelle visant une amélioration des conditions de vie
dans l'espoir d'agir indirectement sur la délinquance qu'un modèle de prévention situationnelle ou qu'un modèle médical ciblé sur les « futurs » fauteurs de trouble. L'action
curative sur des situations individuelles repérées était beaucoup plus prise en charge
par les magistrats de la jeunesse au nom de l'éducation que par les administrations
sanitaires et sociales ou que par les autorités locales. Face aux changements de nature
de la question sociale [Castel, 1 995], la réponse des pouvoirs publics est de tenter d'infléchir les politiques éducatives, sociales et judiciaires dans une perspective de gestion
des illégalismes ou des incivilités [Roché, 2 002], de prévention du crime afin d’assurer
« la sécurité dans la ville ».
Aujourd’hui, l’injonction du politique au nom de la sécurité induit le fait que les
interventions judiciaires pénales en direction des jeunes n’ont plus tant pour objectif de
traiter une déviance liée principalement à l'appropriation que de gérer les tensions liées
à la vie sociale, à la répartition des fruits de la croissance économique, à la cohabitation
conflictuelle entre les générations, entre des populations d'origines culturelles différentes et au face-à-face entre services et usagers, en particulier services publics et jeunes qui
sont au centre de nombreux débats sur ces thèmes [Bailleau et Gorgeon, 2 000].
La dégradation de la situation sociale et économique d’une partie de la population,
qui se traduit, en particulier, par une plus grande complexité des situations, place un
nombre de plus en plus important d’administrations devant la multiplication de « cas
difficiles » qui relevaient auparavant de l’exception. Certains services, sous couvert d’un
traitement adapté à ces « nouvelles » populations, mettent en avant l’argument sécuritaire pour décrire et réguler une déconnexion de plus en plus grande entre institutions
et publics [Garapon et Salas, 1 996]. Progressivement, l'ensemble des politiques sociales
se modifie. Le résultat de ces contraintes « nouvelles » est une sollicitation accrue des
institutions de contrôle social pour tenter de répondre à ces dysfonctionnements ou inadaptations multiformes.
Sur un plan opérationnel, ces pratiques administratives se conjuguent, ces dernières
années, avec des mutations en profondeur dans le paysage français de la sécurité :
- Introduction de réponses privées à l'insécurité perçue, et donc d’un marché de la sécurité en progression rapide et constante depuis plusieurs années [Ocqueteau, 1 997].
- Recours à de nouveaux métiers et de nouveaux modes de lutte contre l’insécurité, la
délinquance, en particulier la multiplication des formes de prévention dite « situationnelle » (alarmes, vidéosurveillance, etc.).
- Localisation ou territorialisation croissante de ces politiques mais sous l'impulsion du
centre qui joue à nouveau le rôle moteur, en particulier à partir de 1997, avec le Ministère
de l'intérieur. L'évolution du mode d'organisation des principales procédures montre
cette inversion des rôles [30]. Dans cet environnement, la Justice ne semble plus conviée
pour définir l’ordre public, pour valider les comportements acceptables. Les magistrats,
en particulier ceux du parquet, ne sont souvent plus interpellés que pour faciliter, par le
biais de la « médiation » ou de la « réparation », la restitution des biens ou la réparation
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La construction d’une politique publique
des dommages [Wyvekens et Faget, 2 001]. La troisième voie : les mesures de médiation,
de réparation, d'injonction thérapeutique, de rappel à la loi, etc., mises en œuvre par le
parquet, la poursuite de l'objectif de tolérance zéro, la volonté de réduire le temps entre
la commission d'un délit et son traitement en opposition au temps éducatif long, etc.,
démontrent que la justice des mineurs est sortie définitivement du paradigme assistanciel, préventif, éducatif et protecteur qui la caractérisait durant les « Trente Glorieuses »
[Bailleau et Cartuyvels, 2 002].
Bien que la situation ne soit pas stabilisée, il est possible de noter dès à présent certaines conséquences :
- Un effet de surpénalisation. La délinquance des mineurs était jusqu’alors traitée comme
symptôme et la Justice des mineurs devait privilégier l’approche éducative. Aujourd’hui,
elle tend à se recentrer sur la double logique de la vulnérabilité (maltraitance) qui relève
du droit civil, et de la responsabilité (délinquance) qui relève du droit pénal.
- Une logique de dé-judiciarisation et de sur-judiciarisation. Certaines nouvelles mesures et modalités d’intervention (le rappel à la Loi, la médiation ou la réparation) qui privilégient une temporalité courte (le temps réel), s’inscrivent en opposition à l’intervention éducative traditionnelle qui s’appuie, elle, sur une temporalité longue : le travail des
équipes de prévention ou le travail éducatif avec le jeune et sa famille sous le regard du
magistrat de la jeunesse [Milburn, 2 002].
- Un déplacement des axes d’intervention. Les interventions antérieures associaient
police/justice d’un côté et collectivités territoriales/services sociaux et éducatifs de l’autre. À présent, les Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance (CCPD) ou les
Contrats Locaux de Sécurité (CLS) mettent les acteurs de la sécurité (police justice/parquet) au centre de la scène locale, aux côtés des élus, et en position de déterminer les
orientations en matière de prévention.
L'intervention publique en direction des jeunes a été conduite jusqu’à la fin des
années soixante-dix autour de la notion d’action éducative par rapport à celle d'intégration dans la société salariale, puis structurée dans les années quatre-vingt autour de l’objectif d’insertion, elle s’organise essentiellement aujourd’hui autour de la gestion des tensions, liées à l'émergence d'une autre société, porteuse de nouvelles conflictualités.
Ces transformations marquent la fin du monopole de l’État dans ce champ de la prévention et du traitement de la délinquance ; un État qui a de plus en plus de mal à relever seul le défi « sécuritaire » engendré par les mutations des questions économiques,
sociales et urbaines. Elles se concrétisent dans le passage d’une action publique sectorielle, à une action publique transversale de moins en moins marquée par les monopoles professionnels de la police et de la justice. L’action publique subit ainsi une double
transformation, en même temps qu’elle devient transversale, elle se territorialise
[A. Crawford, 2 001]. De plus, le référentiel de cette action publique change. La mobilisation des politiques publiques ne s'opère plus tant principalement au niveau du
contrôle des comportements que vers un traitement des conséquences des choix faits par
[30] Des Conseils Communaux et Départementaux de Prévention de la Délinquance en 1983 (CCPD et CDPD) ; des
Contrat d'Action Prévention en 1985 (CAP), des Contrats d'Action Prévention et Sécurité en 1989 (CAPS) Aux projets
locaux de sécurité en 1992 ; aux plans départementaux en 1995 ; à la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité
en 1995 ; et, enfin aux Contrat Locaux de Sécurité en 1997 (CLS).
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Quartiers en Vacances
les individus. On passe d'une politique de prévention sociale à une politique de gestion
du risque pour la paix sociale que représente la délinquance des mineurs. Les différentes formes de délinquance sont ainsi de plus en plus perçues et analysées comme des risques sociaux sur la base de techniques assurantielles.
Ce passage de la notion de prévention à celle de gestion des risques marque une
réelle rupture car les deux notions n'ont pas le même référentiel.
Ces deux modes d'appréhension d'une même réalité sociale ne sont pas directement
compatibles. Ils participent de deux systèmes opposés de pensée, l'un centré sur la personne, l'autre axé sur la population. Ils impliquent chacun un mode de gestion différent
du temps, l'un se déployant selon une temporalité moyenne ou longue, l'autre sur une
temporalité courte. Ils se diffusent, sont mis en œuvre selon des modalités contrastées.
L'un tente d'appréhender l'ensemble des dimensions d'une personne en la restituant
dans un ensemble social structuré par un système de normes ; l'autre s'appuie sur une
vision et une gestion pragmatique des problèmes sociaux en s'efforçant de les isoler afin
de les hiérarchiser à partir d'une évaluation de l'urgence. La première approche s'attache
à obtenir l'adhésion de la personne, la seconde se déploie au seul regard du risque, d'un
schéma d'évaluation concernant l'ensemble de la population et à partir d'un discours alimenté par la peur de la généralisation de ces comportements [Ewald, 1 986].
L'importance prise, ces dernières années, par les systèmes de sécurité privée et le
poids des autorités politiques locales sont cohérents avec le changement de perspective
du rôle du pénal. Aujourd'hui, les différents moyens privés disponibles de sécurisation
étendent leur emprise de surveillance, de filtrage, de protection d'une habitation privée,
d'une entreprise à un ensemble d'habitations, à un quartier, à des zones commerciales ou
industrielles dont la continuité avec les voies de circulation, de liaison au reste de la ville
n'est plus assurée ou est fortement limitée. Ces options accélèrent la transformation d'un
bien commun en une marchandise accessible à certains seulement. De plus, la progressive disparition d'une solidarité active dans ce champ de la sécurité des biens et des personnes entre les différents membres de la nation renforce la tendance vers une protection
limitée, réservée aux seuls membres d'une même « communauté ». En France,
aujourd’hui encore, cette communauté n’est pas tant définie par des critères raciaux ou
culturels que par une position sur le marché du travail, bien que la liaison entre les deux
types de critères tende de plus en plus à se renforcer. Pour les jeunes, plutôt que de position sur le marché du travail, il faudrait évoquer un accès différentiel à ce marché ainsi
qu’à la jouissance de certaines ressources. Celles qui proviennent d’une activité rémunérée ou de mesures officielles liées soit aux procédures de formation, d’insertion, soit à
des mesures sociales opposées aux ressources procurées par une activité illégale : travail
au noir, trafic, prostitution, vol, etc.
Ces orientations se traduisent par une inscription de plus en plus sélective dans des
territoires urbains différenciés. On ne parle plus de la lutte des classes, du danger des
classes pauvres mais des espaces dangereux des banlieues. Cette inscription physique
des problèmes économiques et sociaux matérialise une rupture des liens de solidarité qui
devient lisible dans cette homogénéisation économique et sociale des espaces urbains
concrétisant une non-participation à un espace commun, partagé, solidaire. La coupure,
la non-communication entre certaines banlieues et la ville, la concentration des populations fragilisées sur certains espaces bornés ont conduit des responsables à parler de
relégation, en référence à la loi pénale du 27 mai 1885 qui instituait une peine complé-
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La construction d’une politique publique
mentaire obligeant les condamnés à résider en dehors de la métropole [J.M. Delarue,
1 991], d'autres encore parlent de défection ou de sécession : « Cette sécession fait littéralement éclater la ville, non pas l'urbain, détruisant en elle le vecteur de brassage et de confrontation […]. On se déplace pour éviter les pauvres et les immigrés [...]. La désolidarisation n'est pas
métaphorique : ceux qui pouvaient ont rompu le contact quotidien avec une fraction de la population pauvre et, surtout, issue des immigrations africaines » [H. Lagrange, 2001, 132].
Dans ce cadre global marqué par ces ruptures, par cette fragmentation de l'urbain,
il est possible d'analyser les réactions déviantes ou violentes de certaines populations
urbaines, en particulier des jeunes issus des dernières vagues de l'immigration qui
avaient motivé la mise en place des OPE et, en contrepoint, de comprendre également
les transformations en cours de la justice des mineurs et des politiques de prévention de
la délinquance par rapport à un héritage, une doctrine, un fonctionnement toujours très
liés à la période de croissance de l'après-guerre qui avait permis la naissance d'une forme
d'État social qui se délite aujourd'hui. Les transformations économiques en cours détruisent progressivement le compromis social - fondé en partie sur la perspective d'une
réduction des inégalités les plus marquées et d'une participation de tous à une société de
consommation - qui avait permis la croissance de l'après-guerre et fragilisent les règles
de cohabitation des jeunes et des plus âgés, des femmes et des hommes, des personnes
ayant un emploi et des autres, etc. Elles favorisent également la montée des inquiétudes
liée à la disparition de l'ordre social et économique antérieur et à la difficulté pour certains des acteurs de s'adapter à l'ordre économique et social émergent.
Cette orientation sociale des politiques judiciaires de l'après-guerre est aujourd'hui
largement remise en cause dans un contexte marqué par la question de la sécurité des personnes et des biens, par l'émergence d'un modèle de prévention et de réduction des risques sociaux qui induit une plus grande sensibilité aux comportements déviants ainsi
qu'à leurs conséquences pour les victimes. Dans un contexte sécuritaire, le contrôle et
l'éloignement ou l'enfermement des jeunes à risques devient prioritaire tant pour répondre aux exigences supposées des « vraies » victimes de la délinquance que pour satisfaire
les attentes présumées d’une « opinion publique » largement influencée par les médias.
Se dessine ainsi un retour, après une longe période dominée par le développement d'une
approche « solidariste » - fondée sur l'idée que tous les enfants, quel que soit l'acte commis, font partie de la communauté nationale qui est liée à « ses » enfants coupables par
un devoir d'éducation et d'intégration dans le monde des adultes - vers une approche
« libérale » faisant de la responsabilité de la personne au regard de l'acte, mineur comme
majeur, le socle de ses modalités d'intervention, tendant ainsi à effacer la spécificité du
traitement des mineurs au nom du respect de l'ordre public ou de son apprentissage.
Au-delà de cet exemple des termes dans lesquels se posent réellement les débats sur
le fonctionnement de la Justice pénale des mineurs et de la prévention de la délinquance,
on retrouve cette même question de la solidarité ou de la responsabilité dans l'évaluation
de la transformation du fonctionnement de nombreuses politiques publiques sociales.
La question, me semble-t-il, étant de savoir si la réaction sécuritaire actuelle des
pouvoirs publics qui vise principalement les « jeunes des banlieues difficiles » a pour
objectif de lutter contre cette « sécession au », facilite ou pas la réduction de la distance
de plus en plus grande entre groupes sociaux ou si cette réponse univoque accélère et
renforce la balkanisation.
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Quartiers en Vacances
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PREMIÈRE PARTIE
Chapitre III
Les difficiles relations
du politique et du technique
Par Guy Julliard
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Les difficiles relations du politique et du technique
Du point de vue des relations du technique et du politique une des dimensions essentielles des opérations Ville-Vie-Vacances est d’avoir promu des dispositifs permettant de
soumettre plus directement le technique aux décisions politiques. Qu’en est-il
aujourd’hui dans le fonctionnement des cellules départementales et dans les relations
entre les acteurs ?«
La question du politique et de sa place au sein de l’opération « Ville-Vie-Vacances »
concerne certes les élus des communes, des départements, ceux qui évoluent au
niveau national, mais également les fonctionnaires en charge de relayer des décisions
ministérielles.
Si l’hypothèse générale émise concerne la disparition progressive du politique au
bénéfice de l’administratif dans le sens de la gestion d’un dispositif reconstruit à
l’identique d’année en année, il paraît évident que d’autres acteurs ont permis cette
situation dans une lecture première voire analytique (« les bénéfices secondaires ») de
leur participation.
Cette remarque générale, s'appuie dans un premier temps sur des observations à
travers le territoire national et en particulier les régions suivantes : Provence-Alpes-Côte
d'Azur, l'Île de France, l'Aquitaine et l'Île de la Réunion.
Bien que ces régions présentent des profils sensiblement différents et aient appréhendé
chacune le dispositif de façon singulière, il apparaît aujourd'hui une distance du politique au regard des opérations Ville-Vie-Vacances.
Par exemple au sein même d'une région comme PACA, il est important de noter la place
prise par cette politique de prévention de la délinquance dans deux « départements sensibles » sur le sujet que sont les Bouches du Rhône et les Alpes Maritimes ; dans ce dernier le dispositif a été fortement porté par l'État et en particulier la Direction
Départementale de la Jeunesse et des Sports, ce qui a permis à de nombreuses communes de se mobiliser et d'initier en leur sein une véritable politique de prévention, voire
une première réflexion sur les besoins de la jeunesse.
Si actuellement, cette politique publique semble moins déterminante, c'est qu'elle a
dans plusieurs villes été intégrée à des dispositifs plus vastes : Contrat d' Agglomération,
Contrat Local de Sécurité, Contrat de Ville…
Elle a donc réussi cette percée au nom de la prévention de la délinquance, tout en se stabilisant comme un temps fort de l'année en particulier pendant les vacances d'été.
Les techniciens et les élus de ces communes, ainsi que les fonctionnaires de la cellule
départementale gardent un rôle actif mais qui s'est décalé de la fonction initiatrice
repérée dans les années quatre-vingt – quatre-vingt dix.
Dans le département des Bouches du Rhône, c'est un autre schéma qui a été institué. Dès le début des années quatre-vingt, les différents acteurs se sont lancés dans des
dispositifs lourds eu égard aux difficultés rencontrées ; en ce sens Ville-Vie-Vacances a eu
un impact plutôt complémentaire sur les sites importants.
Dans un département qui a investi massivement les politiques de prévention de la
délinquance à travers les Conseils Communaux et Intercommunaux de Prévention de la
délinquance, les Contrats Locaux de Sécurité et les réseaux de chefs de projet, c'est tout
naturellement que Ville-Vie-Vacances s'est inclus dans les sites prioritaires ; il faut signaler que la nouvelle politique de « prévention - sécurité » couvre à travers ces contrats
85 % du territoire départemental.
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Quartiers en Vacances
Des regroupements locaux placés sous la responsabilité des chefs de projet permettent
de recueillir des desiderata de proximité, mais pas toujours en phase avec les circulaires
nationales relayées sur le plan départemental ; auparavant ces mini-cellules étaient animées par les acteurs du Conseil Général.
Dans d'autres départements urbanisés et bénéficiant de zones prioritaires significatives, ces opérations ont peu mobilisé les acteurs de la politique de la ville ; c'est par
exemple le cas en Île de France ou ce sont des sites moins exposés qui s'avèrent plus
dynamiques et cela pour plusieurs raisons :
Tout d’abord l'intérêt principal de Ville-Vie-Vacances quand il se trouve être le seul vecteur utilisable dans un territoire pour tenter de résoudre des problèmes de comportement de quelques jeunes.
Ensuite son caractère mobilisateur et personnalisant ; en effet il est toujours représenté
quelle que soit l'organisation concernée, par une personne désignée et disponible dans
un relationnel de proximité. Cette relation directe et personnelle convient bien aux attentes des élus locaux.
Et pour finir sa lisibilité presque immédiate, dès que les actions se déroulent.
La situation de l'Aquitaine, mais surtout celle de la Gironde apparaissent davantage
paradoxales, puisque le dispositif s'est fortement inscrit dans les sites prioritaires de
Bordeaux et des Hauts de Garonne dès 1982.
Porté par une cellule départementale avec de fortes personnalités et des institutions très
présentes à l'image également des élus, la Gironde s'est vite située comme un leader en
conduisant de nombreuses expériences y compris sur son littoral pendant l'été.
Si aujourd'hui plusieurs acteurs ont changé, il n'en demeure pas moins que localement
le dispositif semble toujours efficace et la discrétion affichée tient peut-être davantage de
la raison que de la passion portée par les pionniers !!!!!
La situation girondine, que l'on retrouve d'une certaine façon sur l'Île de la
Réunion, montre à l'évidence que l'on peut côtoyer deux types d'acteurs sur les mêmes
sites et avec des visions très différentes, souvent en fonction de leur ancienneté dans le
dispositif.
En effet les élus, techniciens et fonctionnaires qui ont initié les cellules départementales
et les actions de terrain entre les années quatre-vingt et 90 sont d'ardents défenseurs des
pratiques et méthodes mises en œuvre ; pour eux la plus-value partenariale et la connaissance acquise des situations locales ont largement contribué à l’élaboration de toutes les
politiques développées depuis une dizaine d’années.
Si ces acteurs sont souvent critiques sur le dispositif actuel, ils sont intarissables sur les
vertus de ce type d'intervention.
Par contre les élus, techniciens et fonctionnaires qui ont découvert Ville-VieVacances depuis 1995 ou la fin des années quatre-vingt-dix sont souvent déçus au regard
des échos plutôt flatteurs qu'ils ont entendu ; ils constatent que cette politique :
- Est inscrite dans une logique de guichet et d’assistance vis-à-vis des jeunes.
- Relève souvent d'une animation socioculturelle assez ordinaire.
- Est parfois au regard des activités « squattée » par les mêmes ados d'année en année.
- Permet aux associations et services d'accroître leur assise financière, pour des actions
qu'ils développent au quotidien…
Ces deux niveaux d'acteurs sont facilement repérables et ces positions sont déterminan-
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Les difficiles relations du politique et du technique
tes dans le déroulement de cette politique de prévention de la délinquance ; les remarques actuelles de certains intervenants, en particulier des élus, sur un versant très sécuritaire… les éloignent encore davantage du sens et du bien-fondé des activités Ville-VieVacances.
L'Île de la Réunion demeure un exemple du fort investissement de l'État et de ses
services dans le cadre du dispositif et des opérations menées.
Cette dynamique impulsée en direction des services mais surtout des associations, provoque une adhésion significative des villes pour concourir à la mise en œuvre d'actions
auprès de la jeunesse locale la plus oisive.
Pour ce faire, la cellule départementale multiplie les contacts, les informations et les sessions de formation pour que les associations et les services municipaux puissent dans
des conditions optimums initier des projets et les réaliser.
Au regard de ces constats et premières analyses il apparaît que des actions aussi pertinentes soient-elles, si elles ne s'inscrivent pas dans un projet politique global précis et
cohérent, ne peuvent à terme aider les populations locales à se situer et en particulier les
plus fragilisées d'entre elles.
À partir d’une relecture des écrits et analyses effectués au cours des vingt dernières
années, et des échanges entre chercheurs, quatre axes majeurs émergent :
Un certain désengagement du politique
au niveau national et local
Principalement depuis 1994, il est à noter
un certain désengagement
et à tous les niveaux.
Quatre éléments qui correspondent souvent à des moments différents du déroulement
de ces opérations paraissent significatifs de cette question du désengagement.
1. Le politique et la cellule départementale
La cellule départementale est en général composée de fonctionnaires représentants les
services de l’État et du Conseil Général ; s’y ajoutent souvent des techniciens de la Caisse
d'Allocations Familiales et parfois des villes concernées.
Elle est la plupart du temps managée à deux niveaux : la préfecture dans les rencontres
officielles et séances plénières du niveau départemental et un service de l’État, Jeunesse
et Sport ou la DDASS pour les réunions de travail, de tri des dossiers, de présélection…
Depuis 1995, date des derniers grands changements, la circulaire nationale reprend les
mêmes éléments et est fournie aux départements en fin de premier trimestre, ce qui
conduit les cellules à user de prudence pour envoyer un courrier « type appel d’offres »
aux associations et services.
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Quartiers en Vacances
Très souvent ces derniers sont les mêmes depuis plusieurs années ; il s’agit de structures
connues de l’ensemble des services instructeurs pour leur capacité à mener des actions
auprès des publics jeunes.
Pendant la réalisation des actions, c’est-à-dire les vacances scolaires, peu de cellules délèguent sur le terrain des membres pour rencontrer les opérateurs et les usagers.
Ces pratiques en vigueur il y a quelques années demandaient une mobilisation très
importante des fonctionnaires dans des temps où ils prennent eux aussi leurs vacances.
Enfin, les bilans sont essentiellement fournis par l’intermédiaire de documents écrits
rédigés par les associations et les services concernés.
Seuls quelques départements valident en Conseil Départemental de Prévention de
la Délinquance le dispositif Ville-Vie-Vacances ; il en est de même pour les villes qui opèrent à l’identique en Conseil Communal de Prévention de la Délinquance voire qui mettent en œuvre des réunions dans des territoires restreints pour dégager des pistes et une
stratégie Ville-Vie-Vacances… Dans ces lieux, les élus peuvent exprimer leur opinion et
participer à des orientations locales du dispositif.
Dans des réunions de CDPD et/ou de CCPD, il s’agit davantage de communiquer des
informations que de réfléchir à des choix déjà effectués.
Sur le plan local, il apparaît donc aujourd'hui un fonctionnement partenarial souvent
consensuel entre les membres de la cellule départementale et les opérateurs ; ils utilisent
les mêmes mots et les mêmes codes à partir de références et grilles d'analyses très souvent partagées.
Quelques élus, la plupart du temps des précurseurs et des « croyants » du dispositif Ville-Vie-Vacances, possèdent les clefs du codage et cela en fait des privilégiés connus
et reconnus, qui peuvent à leur tour avec quelques collègues user du label « VVV » voir
l'ancienne dénomination « OPE » ; le must !!!!!
Si ce rapport entre élus locaux et cellule départementale s'est modifié et si un éloignement et/ou une prise de distance peuvent être notés pour certains, ce n'est pas le
cas pour tous.
Tout d'abord il faut distinguer des « élus de la première heure » qui ont fortement collaboré à la mise en place sur leur site du dispositif et qui sont passés de réunions hebdomadaires pendant plusieurs mois avec les fonctionnaires, à des rencontres annuelles suffisamment structurées pour être efficaces.
Entre les personnes des liens professionnels étroits se sont noués mais avec le temps et
la banalisation d'activités reproductibles, les relations parfois intenses et/ou passionnelles sont devenues raisonnables ; on peut toujours noter dans ces rencontres une grande
complicité entre les acteurs qui ont partagé des expériences fortes et uniques.
La « nouvelle génération d'élus » n'entretient pas les mêmes rapports avec les fonctionnaires, mais bénéficie d'un savoir-faire acquis par les acteurs et faisant parfois office
de mémoire collective. Placé dans un contexte ou la demande de sécurité est importante
et générale, le dispositif se trouve soumis par certains élus à un impératif d’efficacité à
court terme dans le domaine de la délinquance, ce qui le place davantage du côté du
curatif voire de la tranquillité publique que de la prévention.
Cependant une certaine régulation se met en place à partir des positions de chacun et le
dialogue se poursuit entre les élus et les techniciens.
Le politique apparaît également à travers les éléments sélectionnés au niveau national
pour alimenter la circulaire signée parfois par le 1er ministre et un certain nombre de
ministres concernés.
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Les difficiles relations du politique et du technique
Comme nous l’avons noté et depuis plusieurs années, il s’agit davantage d’un exercice technique mis en scène à partir de la Direction Interministérielle à la Ville et validé
par le niveau ministériel.
Dans ce cheminement, les choix importants opérés par le Politique, et en particulier
les cabinets ministériels, l’ont été la dernière fois en 1995 au sujet d’une double décision :
celle d’étendre le dispositif des vacances d’été à toutes les périodes de vacances scolaires et celle de prendre en compte la quasi-totalité des départements.
Hormis les premières années, il faut bien reconnaître que très rapidement le politique a
eu des difficultés à user de son influence ; l’organisation même des cellules départementales ne facilite pas la mobilisation des élus locaux.
Malgré un contexte peu favorable, certains acteurs du politique, des élus locaux, des
conseillers généraux… sont encore en contact étroit avec les cellules départementales à
propos des opérations Ville-Vie-Vacances.
2. Les lancements locaux et nationaux
Au cours des journées de lancement du dispositif national les techniciens et les élus ont
retenu qu'ils pouvaient :
- En priorité, poser aux directeurs des services déconcentrés de l'État, aux fonctionnaires des cabinets ministériels (parfois aux ministres) toutes les questions qu'ils souhaitaient, à partir des bilans de l'année écoulée et des nouvelles dispositions arrêtées ainsi
que celles reconduites.
- Dans les moments de pauses et de repas, rencontrer des collègues et échanger des
adresses, des méthodes, des réflexions et des idées sur telle ou telle action.
À leur retour, ils organisaient des réunions pour commenter l'esprit et la lettre de la nouvelle circulaire et mobiliser les différents acteurs du dispositif par des informations de
« première main » chères aux décideurs locaux. On peut penser que les départements qui
envoyaient à Paris leurs collaborateurs pour ces journées d'information, se situaient
comme des utilisateurs avertis et désireux de rester dans le peloton de tête des sites
sélectionnés et subventionnés au maximum.
Là aussi l’usure du temps a joué son rôle dévastateur, puisque depuis 1999 il n’y a plus
de journée nationale pour « lancer » le dispositif.
Cette « grande messe parisienne » réunissait tous les ans des centaines de fonctionnaires, techniciens et élus afin de remobiliser l’ensemble des acteurs sur des objectifs où
l’argumentaire politique avait tout son sens et prenait toute sa place.
De nombreux intervenants étaient attachés à ce rituel qui crédibilisait le dispositif,
donnait des directions opérationnelles et donc impulsait l’action départementale et
locale. Le double aspect politique et symbolique de ces regroupements était le gage d’un
succès toujours renouvelé et qui avait donné naissance ça et là à des « reproductions
départementales ».
Elles aussi, mais au plus près du terrain, jouaient le même double rôle, à tel point que
dans certains départements le choix de la ville qui allait porter ce mouvement était
devenu délicat et un enjeu politique certain.
Quelques acteurs mesurent actuellement avec la disparition de ces lancements, qu’il leur
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Quartiers en Vacances
faut redoubler d’efforts pour mobiliser les différents partenaires institutionnels autour
d’un dispositif qui a vu son image se dégrader sensiblement… et son sens se déliter.
Pour la majorité d'entre eux, ils n'ont jamais participé à des réunions de lancement des
opérations Ville-Vie-Vacances et ne voient pas là un signe politique évident ; pour eux ils
attendent avec impatience la circulaire interministérielle, acte administratif par excellence, pour lancer l'appel d'offre local.
Devant la sortie tardive de celle-ci et son caractère interchangeable d'année en
année, les fonctionnaires locaux rédigent et expédient leur missive dans les premiers
mois de l'année pour un retour des projets au plus tard à la fin du trimestre…
3. Le démarrage et la clôture des opérations de terrain
En Gironde, dans les Alpes Maritimes, sur l'Île de la Réunion, dans plusieurs sites
ont été mis en place des moments de regroupements avec une cinquantaine de jeunes et
leurs familles ; par exemple dans une commune de plus de 10 000 habitants le maire et
ses adjoints se sont fortement investis et de la façon suivante :
Près d'un gymnase, les jeunes participants de Ville-Vie-Vacances étaient récompensés
pour avoir pendant plusieurs semaines et dans des lieux différents participé à des tournois multisports ; la fierté des jeunes diplômés et de leurs familles donnait tout son sens
à ces activités dans des territoires plutôt stigmatisés et montrés du doigt pour abriter des
populations jeunes aux comportements incivils et délinquants.
D'autres événements permettaient aussi de réunir des jeunes et des adultes mais audelà des parents ; en Gironde, un repas collectif multiculturel préparé par les associations
de proximité, clôturait deux mois d'actions intenses de type socioculturel.
Lors de cette soirée les élus locaux et les techniciens de la cellule départementale ont pu
rencontrer pendant plusieurs heures, dans un rapport convivial et amical, les habitants
des quartiers sensibles ; cela leur a permis de mieux appréhender la réalité locale telle
qu'elle est vécue de l'intérieur.
De nombreux interlocuteurs ont confirmé ces pratiques, certes en régression dans le
dispositif et quelques fois transférées dans une utilisation purement municipale, cependant il est utile de retenir que :
Sur le plan local de nombreux élus suivaient (ou suivent encore) de près les actions collectives qui mobilisent de nombreux jeunes et leurs familles pour des rassemblements
festifs et sportifs ; ceux-ci sont souvent organisés l’été en début de période et/ou le plus
souvent fin août pour partager ensemble le fruit de deux mois d’actions en commun.
À l’occasion Monsieur le Maire et quelques adjoints profitaient de ces grands rassemblements pour délivrer des messages, rencontrer les jeunes, leurs familles et les intervenants.
Des tournois sportifs sont organisés sur le même mode, ainsi que des visites d’élus
sur des sites très fréquentés : gymnases, plateaux sportifs, piscines, centres culturels…
Il semble que la multiplication des temps alloués au dispositif a peu à peu banalisé celuici et ne permette donc plus une intervention annuelle revêtant un caractère exceptionnel, de la part des élus ; en ce sens ces opérations de masse soit disparaissent, soit se
déroulent entre techniciens et usagers mais plus rarement en présence d’élus.
Quelques villes maintiennent tant bien que mal ce rituel annuel et/ou ont repris
ces pratiques dans d’autres types de contractualisation, voire dans une gestion municipale directe.
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Les difficiles relations du politique et du technique
4. Des choix plus sécuritaires
Depuis la fin des années quatre-vingt-dix et surtout le début de la nouvelle décennie,
certains élus, conscients de l'inquiétude grandissante des questions de sécurité dans la
population, se sont consacrés à la mise en œuvre d'actions plus sécuritaires.
En ce sens les nouveaux contrats proposés (le Contrat Local de Sécurité par exemple)
permettent de combiner des activités répressives et préventives ; en même temps l'opportunité des salariés en « contrats aidés » facilite la mise en œuvre des activités décidées : médiation, correspondants de nuit…
Certains élus ont choisi de mettre de côté les actions de prévention jugées inopportunes,
ayant peu d'impact sur les populations les plus en difficulté et menées par un personnel
pas toujours disponible pour travailler le soir, en week-end et/ou pendant les vacances
scolaires…
Dans le même temps, ces communes développent sur le plan quantitatif les Polices
Municipales et réclament des renforts en ce qui concerne la Police et la Gendarmerie
Nationale.
On peut noter que la pression de l'opinion publique et des sondages, ont parfois
modifié les comportements du politique à l'égard des actions de prévention en général,
et du dispositif Ville-vie-Vacances en particulier ; par contre des élus engagés depuis plusieurs années dans le processus de ces opérations, continuent à les mettre en place et les
citer comme nécessaires pour la jeunesse locale fragilisée.
S’il existe « un certain désengagement du politique au niveau National et local » les
exemples choisis montrent bien que cette distance n’est pas toujours volontaire et qu’elle
correspond, surtout sur un plan local, à différents éléments :
- l’usure et la banalisation d’un dispositif qui a vingt ans
- la « désimplication » nationale à travers des circulaires redondantes d’année en année
et la disparition des journées de lancement
- la multiplication des périodes et des sites où le dispositif se met en œuvre, ce qui rompt
avec le caractère exceptionnel que pouvait justifier la présence des élus.
- la forte demande de sécurité des habitants et les difficultés de nombreux élus à résister
à ce discours ambiant et de sens commun.
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Quartiers en Vacances
La mise à l’écart du Politique
par le technique et l’administratif
Cette dynamique nous paraît construite dès le départ du dispositif dans un réflexe commun aux administratifs et aux travailleurs sociaux, généré principalement par la crainte
d’une dérive vers le non professionnel pour aider les jeunes en difficultés, et pas seulement dans le cadre des opérations Ville-Vie-Vacances.
1. La crainte d’une dérive
La naissance des ces opérations, appelées « Plan Anti Eté chaud » en 1982, a suscité
d’emblée stupeur et réserve chez les fonctionnaires et les travailleurs sociaux. A cela plusieurs raisons tenant à la fois au fond et à la forme.
A propos de celle-ci, l’affichage du déplacement massif des jeunes qui risquaient de
poser problème à la lumière de l’expérience de l’année précédente (incidents de type
révolte dans les cités de la banlieue lyonnaise) dans un site quasiment désert et encadré
par l’Armée et Trigano, posait de fait une stigmatisation de ce public.
En outre, confier ces jeunes à un voyagiste spécialiste des Clubs Med et à l’Armée, renvoyait aux professionnels une image d’impuissance… et d’échec.
Sur le fond trois éléments choquaient les acteurs :
- le coût de cette opération et de sa communication
- les finalités recherchées de paix sociale et de tranquillité d’un quartier au détriment
d’une aide individuelle et/ou collective en direction de la jeunesse
- une action sur les symptômes et non sur les causes, donc dénuée de sens à terme.
En effet, jusque-là les actions d’animation et/ou du travail social, avaient l’habitude
d’être portées par des opérations à peu de frais par absence de moyens et par peur d’être
entraîné dans un système de consommation jugé néfaste pour la jeunesse des quartiers.
Pour la première fois semble-t-il ou tout au moins avec autant d’affirmation et de reconnaissance au niveau national, il était donné la priorité aux habitants qui ne posent pas
de problèmes et surtout qui les subissent, au regard d’une jeunesse tumultueuse et issue
de l’immigration maghrébine.
Le concept de paix sociale, de tranquillité publique, prenait officiellement le pas sur
l’éducatif et la réinsertion d’une jeunesse vécue comme victime de l’urbanisation des
banlieues, pour de nombreux travailleurs sociaux.
La crise économique et le chômage de masse marginalisaient une partie de la jeunesse ;
les problèmes rencontrés par celle-ci se complexifiaient et de nombreux jeunes se retrouvaient aux prises avec des comportements asociaux et incivils.
Les conséquences étaient immédiates pour les travailleurs sociaux, qui ne pouvaient
plus utiliser les moyens pédagogiques, éducatifs et d'insertion professionnelle usuels et
en vigueur chez les intervenants spécialisés.
Cette remise en cause des méthodes et des pratiques, s'est parfois accompagnée du
fameux « burn out » d'une génération de professionnels souvent référent dans leurs
structures.
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Les difficiles relations du politique et du technique
Cet état de fragilité d'une corporation d'acteurs, ajouté aux vives critiques venant de
l'externe, a pu parfois développer des inquiétudes pour certains et de véritables parano
pour d'autres ; cela peut expliquer des réflexes de prudence dans certaines situations et
un rejet dans d'autres voire la mise en place d'une stratégie pour éliminer les nouveaux
intervenants.
C’est donc une certaine crise du travail social, la crainte d’une dérive politique
(après les espoirs de voir arriver la gauche au pouvoir un an plus tôt) et technique, qui
va amener les travailleurs sociaux à réagir et en particulier au sein du dispositif VilleVie-Vacances appelé Opérations Prévention Été dés 1 983.
2. La « résistance » des fonctionnaires
Dans les rapports entre le Politique et le technique, l’Administratif et par voie de conséquence l’administration a pris une place centrale et prépondérante.
En effet la mise en place depuis les années quatre-vingt d’actions contractualisées, souvent annuellement, a donné lieu à une débauche d’écrits de « type projets » et pièces justificatives.
C’est un pouvoir très important qui s’est développé car il autorise des actions et
donc des moyens financiers au regard de critères administratifs, à tel point qu’il est parfois plus important de savoir rédiger un projet que de le gérer… Un acteur de terrain
performant qui n’a pas la capacité à transcrire ce qu’il sait faire et qui n’a pas de réseau
relationnel a peu de chances de mettre en place des projets et activités.
Le dispositif Ville-Vie-Vacances n’échappe pas à cette nouvelle logique et en ce sens
les fonctionnaires ont dans le cadre de l’appel à projet au sein de la cellule départementale donné la priorité aux services et associations connus, reconnus et capables de présenter dans des délais souvent très courts des projets correspondant à la circulaire VVV.
Les petites associations, celles qui n’ont pas de personnel administratif, celles qui n’ont
pas l’habitude des termes utilisés et des attendus nécessaires… ont vu peu à peu leurs
projets rejetés et se sont détournées de ces opérations.
Nombreux sont les témoins impuissants de ce décalage pénalisant pour des acteurs
de terrain qui connaissent les publics, savent les gérer mais n'ont pas les diplômes qualifiants et/ou un rapport à l'écrit suffisant pour élaborer un projet précis.
Si la formation, comme l'a initié la cellule départementale de l'Île de la Réunion, peut en
partie pallier cet état de fait, la démarche proposée en règle générale exclue très rapidement les « non-professionnels » du dossier et de la subvention.
Il s'agit là d'une critique importante faite au dispositif et mise en avant depuis plusieurs
années par le secteur associatif qui voit là une manière de préserver « les habitués » et
de décourager les autres.
Ce fonctionnement « de résistance au changement » n'a pas permis d'atteindre un
des objectifs principaux qui consistait à voir de nouveaux opérateurs s'intéresser à ces
actions.
À cela plusieurs raisons :
- La complexité des parcours administratifs, pour être reconnu comme un nouveau porteur de projet.
- Le consensus entre les cellules et les opérateurs habituels, qui conduit à ce que des critères de sélection soient tacites et non-exprimés.
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Quartiers en Vacances
- Le peu de moyens financiers mis en œuvre pour des projets ayant des critères d'admissibilité très exigeants.
Les fonctionnaires qui interviennent au niveau des cellules départementales bénéficient souvent d'une excellente image auprès des villes et des associations les mieux
structurées. Souvent le dispositif leur a permis de mettre en place un partenariat étroit
entre-eux, ainsi qu'avec quelques représentants associatifs et dans les communes. Ces
liens sont basés sur une forte reconnaissance individuelle.
Si les membres des cellules sont bien conscients du processus mis en œuvre, ils le justifient à travers un choix qualitatif et non quantitatif ; en ce sens ces acteurs se situent plutôt dans la tradition française du travail social.
L’aspect de structures nouvelles et innovantes a très vite été relégué aux oubliettes
avec la complicité bien involontaire des fonctionnaires.
3. Le jeu ambigu des travailleurs sociaux
Les travailleurs sociaux à propos des opérations Ville-Vie-Vacances se sont montrés
ambigus.
En effet quelle que soit leur position aujourd'hui, il est assez évident qu'ils ont eu avec
ce dispositif des rapports complexes et différents suivant les périodes de leur action sur
le terrain et au regard des institutions et/ou associations qui les employaient ; il y a
même un autre regard à porter, c'est celui du métier de base exercé par l'acteur social.
Les éducateurs et les assistants sociaux sont souvent restés sur leur réserve dans la
première décennie de ces opérations, qu'ils jugeaient sans grand intérêt et essentiellement ludiques ; la position des animateurs socioculturel et sportif était d'emblée différente et nombre d'entre eux avaient saisi l'opportunité à travers Ville-Vie-Vacances de :
- Trouver de nouveaux moyens financiers pour leur activité.
- Faire reconnaître leurs actions dans le champ de la prévention de la délinquance.
- Repositionner une intervention qui semblait stagner dans un ancrage « éducation
populaire », et ne plus correspondre aux publics fréquentant les structures.
- Donner une image positive des animations culturelles et sportives.
- Favoriser un partenariat dans des structures souvent concurrentielles.
Face à ces prises de position plutôt offensives de certains travailleurs sociaux, une
certaine émulation s'est produite ; en même temps plusieurs organisations (certains clubs
de Prévention Spécialisé, des Conseils Généraux.) ont demandé à leurs éducateurs et
assistants sociaux de participer dans leurs lieux respectifs aux politiques de prévention
de la délinquance.
Dans ce cadre, des travailleurs sociaux se sont rapprochés du dispositif Ville-VieVacances, soit pour réaliser des actions, à partir des publics pris en charge, soit pour
conseiller les nouveaux intervenants et le secteur de l'animation, face aux comportements des publics à risques.
C'est donc à partir de leur savoir-faire et quelquefois de leurs exigences que les travailleurs sociaux se sont inscrits dans ce dispositif ; ils ont participé ainsi à sa technicisation sur le modèle classique de l'intervention individuelle et collective.
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Les difficiles relations du politique et du technique
Cette grande prudence et ce jeu ambigu, s'expliquent au regard de l'histoire du travail
social depuis la libération.
Celui-ci était habitué à ce qu’on le cite comme un modèle, avec un retour très gratifiant
pour ceux qui y interviennent, bénévoles et professionnels.
Depuis la fin de la guerre 39-45 et la reconstruction sociale qui l’a accompagnée, il
était extrêmement positif de s’occuper des jeunes en difficultés… Cette activité est
d’abord devenue un métier, certes peu rémunéré mais extrêmement valorisant de la part
de l’opinion publique qui y voyait une vocation de personnes se sacrifiant pour une
tâche très complexe, réinsérer des jeunes en difficulté…
Les années soixante-dix sont plutôt marquées par un paradoxe puisqu’elles portent ce discours à son apogée, mais laissent également la place au doute car ces « militants gauchistes » pourraient être complices des jeunes délinquants, dans leur opposition à la société…
La décentralisation et l’apparition d’actions contractualisées ont fini d’inverser le processus et ont parfois jeté l’opprobre sur le travail social.
Il y a eu très rapidement une défiance réciproque entre les acteurs du Politique et ceux
du technique. Les élus découvraient par la contractualisation et en particulier le dispositif VVV des actions simples, visibles et lisibles immédiatement dans la mobilisation
qu’elles généraient auprès des jeunes et de leurs familles.
En même temps et à partir de nouveaux pouvoirs issus de la décentralisation, les élus
avaient en charge et/ou étaient confrontés à un travail social dont ils voyaient mal les
tenants et aboutissants.
Face à une résistance forte dans l’explication des actions, la communication de renseignements sur les usagers, un discours technique balisé par des analyses complexes,
l’impression d’actions maintenant une assistance prégnante des publics mais sans prise
sur leurs comportements… les élus ont pris souvent de la distance avec les travailleurs
sociaux issus de structures qu’ils ne maîtrisaient pas (secteur associatif) ou mal (les services sociaux des conseils généraux). Cette tension a eu tendance à provoquer chez bon
nombre d’acteurs sociaux un repli professionnel sur leur activité et les usagers qu’elle
concernait.
Au sein du dispositif VVV cette manifestation du repli s’est ressentie dans les
années quatre-vingt-dix à partir des métiers d’éducateurs et d’assistant sociaux.
Le besoin de professionnalisation de l’intervention, ses liens avec les autres périodes de
l’année, le sens des actions proposées ont peu à peu ramené avec leurs habitudes professionnelles les acteurs de l’animation socioculturelle puis ceux de l’action sociale et éducative dans le dispositif…
Le besoin pour eux, financier et de crédibilité de participer à la Politique de la Ville tout
en réaffirmant les différences de savoir faire et d’objectifs, en particulier depuis l’apparition de nombreux et nouveaux acteurs au quotidien dans le cadre de contrats aidés, a
permis de repositionner d’une certaine façon le travail social.
Il semble donc évident que les fonctionnaires d'une part et les travailleurs sociaux d'autre part, ont largement contribué à rapprocher ce dispositif de leur pratique habituelle et
de leur mode de fonctionnement.
En ce sens, les nouveaux acteurs potentiels et les représentants de la classe politique
n'ont pu trouver leur place tout au moins sur le plan global ; il n'empêche que ça et là des
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Quartiers en Vacances
avancées ont été repérées et que des élus sont aujourd'hui très impliqués au sein de VilleVie-Vacances.
Cette nouvelle technicisation des opérations Ville-Vie-Vacances a participé au nouvel
éloignement des élus en introduisant dans l’espace formaté par l’administration, les professionnels et/ou en professionnalisant, quelquefois à outrance, les nouveaux acteurs en
recherche de légitimité et de crédibilité.
Un mariage historiquement difficile :
le politique et la prévention
Le premier élément qui oppose, ou tout au moins gêne les relations entre les deux
types d'acteurs que sont les élus et les travailleurs sociaux, s'exprime à travers la
notion de temps.
En effet, la prévention, qu’elle qu'en soient ses formes et ses modes, a toujours nécessité
du temps et du long terme pour influer sur les comportements des publics ciblés.
Le politique, lui, fonctionne souvent au regard des périodes électorales ; les élus doivent donc modifier les situations rapidement et ainsi prouver leur efficacité dans un
temps court.
Ces différences essentielles autour de la notion de temps, renvoient à des objectifs
particuliers sur le fond ; en effet quand les"deux acteurs"souhaitent par exemple une
modification des comportements de la jeunesse de telle cité, les élus et le politique en
général demandent que les troubles s'estompent rapidement, tandis que les travailleurs sociaux et les intervenants en prévention veulent provoquer un changement
durable de l'attitude de ces jeunes.
Il s'agit pour les uns d'agir sur les conséquences sociales et pour les autres d'intervenir
à la source des maux.
Ces positions différentes à propos des mêmes comportements génèrent souvent des
débats, mais parfois de grandes incompréhensions qui peuvent déboucher sur des blocages et des jugements hâtifs.
Au dire de nos interlocuteurs, une situation de tension entre le politique et la prévention, a pu être repérée dès lors que les lois de décentralisation en 1983 ont confié aux
élus départementaux certaines missions auparavant gérées par l'État et ses services ; les
rapports directs de proximité, et de subordination parfois, ont eu tendance à accentuer
les désaccords.
On peut noter une deuxième période symboliquement forte pour le relationnel entre le
politique et la prévention.
C'est à partir de la fin des années quatre-vingt-dix que les politiques de sécurité se
sont mises en place avec souvent un rôle prioritaire du répressif vis-à-vis de la prévention ; ce nouveau positionnement a modifié les rapports et mis en exergue les différences
qui avaient été parfois banalisées au prix d'un consensus fragile.
Le dispositif Ville-Vie-Vacances par son caractère direct et pragmatique a plusieurs fois
permis à des élus et des techniciens de la prévention de se rencontrer, de se comprendre
et aussi de travailler ensemble…
légende
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Les difficiles relations du politique et du technique
Ces expériences n'ont pas de valeur pour être modélisées, restent fragiles et tributaires
du départ ou du retrait des personnes engagées.
Sur un plan plus global, il semble important de partir des conditions de la réussite
d’un projet social et/ou éducatif. Le Politique doit porter des objectifs pour une population, des territoires… et pour ce faire des techniciens bâtissent les projets correspondants.
Dans le cadre du dispositif VVV et dès son origine, la fonction politique a porté semble-t-il l’ambition de la paix sociale et de la tranquillité publique dans des territoires
désignés, comme objectif principal.
De fait cela impliquait le projet et la construction d’une prévention des risques comme
axe central.
Il y avait là une proposition de rupture qui ne se disait pas, mais qui s’exprimait au
regard d’une politique de prévention critiquée par les élus qui n’en voyaient pas, en particulier à travers la Prévention Spécialisée, le sens et les modifications comportementales des jeunes qu’ils attendaient.
Si au deuxième chapitre nous avons noté que les rapports entre le politique et le technique étaient délicats principalement à cause des questions de conception de l’action à
mener, nous pouvons constater ici que la rivalité, voire le refus des travailleurs sociaux
se déplace sur la sphère plus purement politique puisqu’il s’agit d’objectifs dans lesquels
certains ne souhaitent pas entrer.
Quelques exemples locaux ont montré que des objectifs partagés sur un territoire
donné permettent de mener en commun des actions et d’en tirer des bilans. Si nous
pensons en particulier aux activités menées avec certaines mairies et élus des communes touristiques, il faut rappeler que les dispositifs ont été compliqués à mettre en
œuvre et à gérer ; cependant lorsque les objectifs étaient clairement annoncés des avancées notables ont eu lieu.
Il a souvent été noté que les négociations engagées étaient d’un caractère complexe car
il était nécessaire de trouver un espace commun d’intervention entre les besoins des collectivités et le respect du dispositif national…
Chaque fois que les intentions n’étaient pas clairement énoncées, ou que l’un des partenaires allait au-delà de ses prérogatives afin de satisfaire l’autre acteur… très rapidement
les désaccords se faisaient ressentir au travers des activités menées.
Il semble donc évident que les différents changements observés dans les objectifs du dispositif VVV (rajeunissement, quotas féminins…) et qui apparaissent depuis quelques
années déterminés par la Politique de la Ville, étaient vécus par les acteurs de ces opérations et parfois par les fonctionnaires des cellules, comme une obligation pas toujours en
réalité avec les besoins locaux… Cette opinion était parfois partagée par les élus locaux
qui manifestaient là leur distance avec le Politique Central, souvent vécu comme le
résultat d’énarques parisiens coupés des réalités de terrain.
C'est donc au sein de rapports passionnels et passionnés entre le politique et la prévention, que le dispositif Ville-Vie-Vacances doit parfois se situer ; dans d'autres circonstances, c'est une césure nette entre les deux séries d'acteurs qu'il faut constater.
En tout état de cause, la prévention de la délinquance dans laquelle se situent ces opérations, prend place également dans un ensemble plus vaste de prévention globale ; pour
que des projets voient le jour et prennent sens pour les populations ciblées, il faut qu'ils
soient portés par des politiques claires énoncées par des élus du peuple.
légende
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Quartiers en Vacances
Une logique publique d'uniformisation
et de déconcentration liée à l’administration
de la Politique de la Ville
Là aussi, il a fallu attendre les années quatre-vingt-dix et la mise en place des Contrats
de Ville, pour que cette logique de la Politique de la Ville s’impose, comme un modèle à
l’ensemble des politiques publiques contractualisées.
En effet, l’administration des données, leur traitement, les logiques budgétaires… ont
eu tendance par nécessité à s’unifier et à se coordonner sous couvert de la Politique
de la Ville.
Les différents dispositifs (Contrat Local de Sécurité, Contrat Éducatif Local,
Contrats Temps Libre Jeunes…) créés ont tout naturellement trouvé une place dans un
des volets des contrats de ville des agglomérations et communes retenues au sein de la
Politique de la Ville ; des dispositifs plus régionaux ou départementaux sont entrés dans
les mêmes logiques.
Au sein de celles-ci il a été observé une prééminence de l’administration du dispositif à
tel point qu’un chef de projet qui n’aurait pas une grande compétence de ce côté-là,
aurait du mal à assumer son poste et ses fonctions.
Cette composante souvent complexe qui voit des projets se superposer les uns aux
autres pour devenir un contrat global, demande des savoir-faire particuliers.
La logique dominante dite de « guichet » est toujours très présente car suite à des circulaires qui arrivent auprès des chefs de projets (après avoir été envoyé à la Préfecture et
aux services de l’État) il faut mettre en place des actions ou tout au moins remplir des
dossiers dans des délais très courts.
Ce système donne donc la priorité à ceux qui savent (et sont organisés pour) très rapidement donner satisfaction sur le plan de l’administration et du respect des délais.
C’est ainsi que les Contrats de Ville et/ou d’Agglomération ont ce côté affligeant de la
ressemblance quels que soient les lieux où ils s’exercent, ce qui ne peut correspondre à
des souhaits d’élus et/ou de techniciens.
Devant la complexité des procédures et les délais impartis, les porteurs de projets
renoncent très souvent et/ou tentent d’adapter (voire de pervertir) l’action au plus près
du terrain pour qu’elle corresponde à leurs souhaits, constats et analyses.
Dans bien des cas, il ne s’agit pas (ou plus) de se situer dans une logique de remontée des besoins du terrain qui s’organiserait au sein d’un projet de ville, construit par
des techniciens à partir de choix élaborés par les élus locaux mais il est plutôt question de nourrir des dispositifs qui proposent des moyens financiers à utiliser dans tel
ou tel domaine.
Si le dispositif Ville-Vie-Vacances a échappé dans de nombreux sites à la logique
Politique de la Ville, grâce au côté actif de la prévention de la délinquance et à ses outils
de réflexion pendant plusieurs années, la mise en place des Contrats Locaux de Sécurité
et des politiques de sécurité a souvent sonné le glas chez les derniers réfractaires.
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Les difficiles relations du politique et du technique
De cette logique globale du fonctionnement de la politique de la ville, au sein d'une
« administration tentaculaire », nous avons retenu à partir de nos contacts, deux éléments majeurs qui s'opposent aux valeurs d'épanouissement chères au dispositif VilleVie-Vacances ;
Une logique publique d'uniformisation :
L'ensemble des dispositifs mis en place nécessite un minimum de cohésion et de cohérence pour éviter des interventions qui se chevauchent, poursuivent des objectifs contradictoires… et/ou ne laissent des pans entiers de besoins désertés d'activités.
Cette logique peut conduire à uniformiser les différentes actions là où le dispositif VilleVie-Vacances, demande un rapport étroit entre les personnes et des activités de type
« cousu main ».
La personnalisation des relations et une analyse fine des besoins de chaque territoire, au plus près du terrain, sont des éléments essentiels à la réalisation des opérations.
Nos interlocuteurs notent tous le danger de la standardisation qui guette le technique
dès lors que l'administration devient l'acte le plus important de la chaîne : choix politique - projet technique - mise en forme administrative.
Une tendance forte à la déconcentration :
L'histoire récente de notre pays et de nos institutions montre bien une volonté claire et
précise de l'appareil politique pour que les décisions soient effectuées au plus près des
besoins ; c'est la fameuse décentralisation accompagnée par un cortège de lois qui a attribué des compétences nouvelles en particulier aux départements, régions et villes, mais
qui, quand on y regarde de façon précise, ressemble davantage à une déconcentration.
Dans les domaines de l'action sociale et des politiques publiques de sécurité, de prévention de la délinquance… cela se traduit souvent par un choix au sein d'un catalogue d'actions proches les unes des autres, voire identiques quels que soient les lieux.
La crainte d'une politique qui pourrait avantager tel ou tel territoire, conduit nos décideurs à proposer partout les mêmes solutions sans tenir compte suffisamment des particularités et besoins locaux.
Si les politiques de prévention de la délinquance doivent s'inscrire dans des logiques plus globales, il est nécessaire qu'elles gardent leur caractère original en ciblant des
publics en danger et aux prises avec des comportements et attitudes à modifier.
L’expérience montre bien que les territoires qui ont gardé une pratique autonome
mais coordonnée de Ville-Vie-Vacances, sont plus performants dans les moyens mis en
œuvre et leur impact ; ils notent également que là ou le dispositif n'est pas porté en propre, il est devenu un complément financier des autres politiques et en particulier dans le
cadre de la politique de la ville.
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Quartiers en Vacances
Commentaires, Réflexions et Propositions
Nous sommes confrontés à propos de la place du politique dans le dispositif Ville-VieVacances à deux positions parfois bien tranchées.
Elles ne représentent pas une différence liée à une approche professionnelle, ou politique, ou institutionnelle… mais assurément au rapport entretenu avec les opérations.
En effet, le point de vue des acteurs politiques, techniques et administratifs qui ont
acquis de l’expérience à travers le dispositif, est d’en mesurer tout l’intérêt et d’être plutôt « nostalgiques » d’un fonctionnement vécu comme idéal il y a quelques années. Très
souvent ils citent des anecdotes permettant de situer les opérations Ville-Vie-Vacances
comme pionnières de la création d’un Conseil Communal de Prévention de la
Délinquance ou d’un service jeunesse, en tout cas initiatrices d’une politique vis-à-vis
des publics en difficultés.
Au-delà des avancées professionnelles classiques, chaque acteur a retiré une expérience très positive sur le plan du partenariat et/ou des positions méthodologiques qu’il
utilise encore sur le modèle transfert de compétences.
À l’inverse, les opérateurs plus récents du dispositif le considèrent comme un élément
dissident des autres politiques et ont tendance à vouloir l’assimiler à des contrats plus
globaux, au sein de leurs responsabilités ; ils sont même parfois agacés du discours
« d’anciens combattants », car ils ne vivent pas du tout la même situation.
Le constat premier de l’absence actuelle du politique dans les opérations VVV est
partagé par la quasi-majorité des acteurs, mais à bien y réfléchir, on peut y voir également un repositionnement.
En effet nous avons analysé dans le corps du document les raisons qui conduisent au
recul du politique (prise de distance des élus au regard d’un dispositif qui se banalise,
mise à l’écart à partir du fonctionnement de l’administration et des techniciens, rapports
complexes entre le politique et la prévention, intégration au sein de la politique de la
ville…) mais il faut également retenir que la présence, et quelquefois significative, des
élus, perdure voire s’est mise en place récemment dans certains territoires.
Par contre, cette présence s’effectue essentiellement au niveau local et au sein d’une
communication interne, voire dans un cadre d’intervention municipal et plus au nom
du dispositif VVV.
En ce sens, nos propositions seraient fortement articulées au niveau local et au respect
des particularités attachées à cet espace territorial et à ses acteurs ; elles pourraient être
de trois ordres :
1. Favoriser la proximité
Le mouvement principal ne devrait plus être descendant mais essentiellement montant.
C’est à partir des besoins des jeunes en difficulté et de l’évaluation faite par les professionnels et associations locales, que pourrait se mettre en place un Comité Local chargé
de sélectionner les projets et dossiers.
Il serait composé des représentants locaux de l’État, des autres financeurs et d’élus
de proximité.
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Les difficiles relations du politique et du technique
Afin d’éviter les complications administratives et de favoriser l’émergence de projets à
tout moment, une enveloppe annuelle serait allouée par la ville, l’État et les autres partenaires aux opérateurs.
Cette gestion de proximité viserait à combattre la logique de guichet et/ou d’utilisation
du dispositif comme un fond complémentaire ou pour financer des actions appartenant
à d’autres logiques…
La confiance mise dans ce mode d’intervention, renverrait la cellule départementale
à un rôle :
- de régulation départementale
- de lien entre les comités locaux
- de gestion de questions et projets transversaux, par exemple la formation des encadrants
- de garant de traitement des associations et services, grâce à une évaluation très fine des
moyens mis en œuvre et de leur impact.
L’évaluation (trop souvent négligée) prendrait dans ce cadre une place très importante et il conviendrait, là aussi localement, de travailler avec les acteurs et les membres
de ces comités locaux pour établir un référentiel significatif sur chaque territoire, mais
garanti par le niveau départemental.
Un deuxième élément serait à prioriser pour redonner du souffle aux opérations VilleVie-Vacances ; il s’agit de la simplification administrative, réclamée unanimement par
l’ensemble des acteurs et toujours remise aux calendes grecques.
2. Simplifier le processus administratif
Des paliers de financement et une réserve systématique dans chaque département pour les
« projets de dernière minute », pourraient dynamiser efficacement l’ensemble du processus.
Très souvent les moyens financiers alloués pour la mise en place d’actions aux associations et/ou services municipaux sont extrêmement modestes ; dans d’autres situations les budgets sont plus conséquents et à l’évidence on ne peut traiter les projets de la
même façon.
En ce sens des paliers d’aides financières pourraient être définis au niveau départemental/ou national et des procédures idoines ; une action où la décision de financement
avoisine 750 euros, ne doit pas nécessiter le même traitement administratif, qu’une activité aidée à hauteur de 5 000 euros par exemple.
Il serait également urgent de créer dans chaque département une réserve financière, utilisable rapidement et correspondant à des « projets spontanés » et/ou de « dernière
minute », ce qui est courant quand on s’adresse aux publics ciblés ; comment programmer des mois à l’avance une action structurée pour des dates précises avec des jeunes en
grande difficulté ?
L’obligation administrative de programmation faîte actuellement, concourt à inverser le processus technique et c’est ainsi que l’on peut voir des opérateurs qui cherchent
des jeunes qui voudraient bien participer aux actions prévues… pour d’autres !!!
Cette simplification administrative, souhaitée et réclamée, est d’ailleurs en expérimentation dans certains départements par un dossier unique envoyé à la cellule et un fond
commun entre les financeurs…
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Quartiers en Vacances
Elle devrait s’accompagner d’une réflexion sur les modes de financement en terme de
délais qui actuellement pénalisent les « petites associations », c’est-à-dire celles qui ne
peuvent pas faire l’avance de trésorerie… Là aussi le mode de gestion contredit certains
objectifs affichés.
Si l’intérêt d’un renforcement du niveau local, aussi bien sur les plans du politique,
de la technique et de l’administratif semble évident à tous, il demeure nécessaire de garder au dispositif Ville-Vie-Vacances sa cohérence nationale et son impact global.
3. Garder au sein d’une cohérence nationale,
une capacité d’innovation et d’expérimentation
Afin de garder la cohérence nationale des opérations Ville-Vie-Vacances, trois actions de
base seraient à développer :
- Relancer le lancement national, à partir d’une circulaire au cadrage assez large mais
bien située au sein de la prévention de la délinquance.
- Valider en Conseil Départemental de Prévention et localement en Conseil Local de
Sécurité et de Prévention de la Délinquance obligatoirement le programme, en présence
de l’État et des élus.
- Inscrire l’union (ou l’association) des Maires des Départements comme partenaire
incontournable de la cellule VVV.
Le côté innovant et expérimental, souvent mis en avant dans les textes et quelques
propos, pourrait largement se développer pour peu que le dispositif retrouve une certaine souplesse ; par exemple il est particulièrement intéressant de pouvoir l’utiliser
dans des territoires sans contractualisation mais où les comportements de la jeunesse
semblent se dégrader.
Les territoires ruraux appartiennent à cela aujourd’hui.
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Les difficiles relations du politique et du technique
Annexes
Nous avons sollicité une trentaine de personnes concernées par le dispositif Ville-VieVacances ; elles sont élues, techniciennes des cellules départementales et opératrices de
terrain gérant des actions dans les périodes de vacances scolaires.
Elles interviennent en Gironde, dans les Alpes Maritimes, en Essonne, dans le Val de
Marne, en Martinique et sur l’île de la Réunion.
Elles ont toutes été contactées au moyen d’un courrier, d’un questionnaire joint et/ou
par contact direct, voire téléphonique pour deux ou trois d’entre elles.
Il ressort de ces entretiens :
Qu’une majorité de techniciens et d’élus pense que la classe politique et les décideurs
d’une commune sont encore concernés par les opérations Ville-Vie-Vacances.
Qu’ils sont plutôt mitigés quant aux liens entre élus et les cellules départementales ; ils
pensent que certains élus ont des contacts et des échanges avec les fonctionnaires mais à
partir d’autres dispositifs et notamment la politique de la ville.
Que les élus ont toujours été associés à ces opérations, puisqu’un certain nombre notent
que ceux-ci sont à l’origine de la demande qui a conduit à l’élaboration des premiers
programmes.
Que nos interlocuteurs ne notent pas d’engagement des élus en dehors du niveau local.
Que le repérage des acteurs qui ont réalisé les opérations est le suivant :
- Les acteurs habituels de l’animation
- Les services des villes
- Les forces de l’ordre et surtout la Police Nationale
Que les méthodes employées par les opérateurs sont plutôt classiques et issues de l’animation ; c’est d’ailleurs une logique socioculturelle qui domine les réponses avec une
autre idée-force, à la prévention de la délinquance.
Que les objectifs principaux du dispositif ont bougé en vingt ans puisqu’ils concernaient
au début, le déplacement des jeunes des lieux sensibles (mais avec une forte idée d’offrir
des vacances communes à tout le monde) et qu’aujourd’hui l’idée d’une aide en direction de la jeunesse est dominante.
Que l’opinion première portée sur le dispositif est plutôt négative mais que dans les dialogues, très rapidement, des éléments concrets et positifs sont apportés, ce qui amène in
fine nos interlocuteurs à parler de pérennisation du dispositif ; on le critique très vertement mais on ne veut pas le perdre !!!
Que les propositions effectuées le sont à partir des dysfonctionnements constatés :
- Le besoin de formation des encadrants
- La simplification des procédures administratives
- Des moyens financiers supérieurs mais surtout en adéquation avec les besoins repérés.
Il faut également noter que ces propositions globales ne couvrent pas la même réalité suivant le positionnement du répondeur ; par exemple la simplification des procédures administratives veut dire : chez les fonctionnaires, l’inclusion de ce dispositif au
sein de la Politique de la ville et chez les opérateurs, des réponses plus rapides de la
cellule départementale et des délais pour mettre en œuvre les projets « moins de paperasse à remplir ».
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Quartiers en Vacances
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DEUXIÈME PARTIE
Acteurs et publics locaux
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Quartiers en Vacances
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DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE I
Les difficiles relations
entre acteurs
Par Maurice Blanc et Jean-Yves Causer
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Quartiers en Vacances
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Les difficiles relations entre acteurs
L
e dispositif « Ville, Vie, Vacances » (VVV) a été à l’origine de partenariats entre travailleurs sociaux au sens large (principalement éducateurs de la prévention spécialisée et
animateurs) et/ou entre travailleurs sociaux et d’autres partenaires : associations, police,
municipalités, etc. Mais s’agit-il de partenariats éphémères ou durables ? Pour des raisons de proximité, nous nous limitons à la situation du Grand Est : Mulhouse, Nancy
et Strasbourg.
Nous nous sommes intéressés à la manière dont les acteurs de terrain se représentent le dispositif de prévention « Ville Vie Vacances » (VVV) et nous nous sommes placés dans la perspective de mieux comprendre certaines stratégies éducatives menées en
direction d’une jeunesse confrontée à des difficultés de vie croissantes. La mise en évidence des représentations que les acteurs du terrain se font de VVV nous a permis
ensuite de saisir les fonctions sociales et éducatives remplies par un dispositif qui n’a
cessé de s’étendre géographiquement et sur l’année : il est passé de la période estivale
lors des Opérations de Prévention Été (OPE) à l’ensemble des vacances scolaires avec
VVV ; de plus, le nombre de jeunes concernés n’a cessé de croître en 20 ans, en s’élargissant également aux pré-adolescents. Par ailleurs, si l’objectif initial et politique était bien
d’éviter que « le désœuvrement des jeunes en difficultés ne mette le feu aux banlieues
pendant les vacances »[31], les perspectives éducatives ont été rapidement remises en
selle ; ce qui nous fait penser que l’on a « mis du vin nouveau dans des vieilles outres » !
Éléments de méthode
Approfondir une réflexion autour de ces points a nécessité de procéder à une enquête
basée sur une quinzaine d’entretiens semi-directifs approfondis avec des éducateurs et
des responsables de la prévention spécialisée, des animateurs et responsables de Centres
sociaux, des policiers, un élu et une consultante. Certains d’entre eux ont été reconduits
une seconde fois, pour des approfondissements complémentaires. Il est arrivé qu’un
enquêté soit accompagné de ses collaborateurs ou responsables (par exemple, dans un
club de prévention spécialisée de Mulhouse, le Directeur était accompagné de son
Président et de son plus proche collaborateur).
Parallèlement à ces investigations, menées principalement auprès d’acteurs de la
Prévention Spécialisée et de l’Éducation Populaire (mais aussi de leurs partenaires),
nous avons recueilli différents documents que nous avons analysés. Il a été notamment
possible de dénicher un rapport d’audit réalisé en Alsace par deux cabinets de consultants en avril mai 1998 ; nous avons pu exploiter cette source, au même titre que des articles de presse et de la documentation personnelle.
Synthèse des résultats
Pour comprendre en quoi les représentations sociales et pratiques ont pu changer en
s’ouvrant, par exemple, au partenariat ou à l’innovation, il faut prendre en considération
les quatre thèmes suivants :
- Les objectifs éducatifs des projets réalisés.
- Les nouveaux moyens et les ressources à la disposition des éducateurs et animateurs.
- Les difficultés et contraintes perçues par les professionnels.
- Les niveaux de partenariat.
[31] TREMINTIN Jacques : « Les dispositifs anti-été chauds », Lien social, n° 315-1995, pp. 5-7.
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Quartiers en Vacances
Une distinction essentielle est apparue entre les projets avec des objectifs d’insertion
sociale et professionnelle des jeunes les plus en difficulté et les projets avec des objectifs
d’animation globale sur un territoire. La première approche est principalement celle de
la prévention spécialisée, la seconde, celle de l’animation socioculturelle. Malgré des tensions perceptibles, ces deux approches sont plus complémentaires qu’opposées.
Nous avons découvert que, pour certains organismes, les financements VVV viennent « mettre (un peu) de beurre dans les épinards » (selon l’expression populaire). Pour
d’autres, ils sont vitaux car les crédits de fonctionnement seraient insuffisants pour remplir les missions statutaires. Cette contrainte financière joue un grand rôle dans l’appréciation portée sur le dispositif VVV. Outre le poids écrasant de la bureaucratie et les difficultés financières évoquées ci-dessus, le principal obstacle tient à l’ambiguïté des
objectifs du programme VVV : cibler les jeunes les plus en difficulté risque de les stigmatiser. La difficulté à trouver des personnels compétents est aussi mise en avant.
Les acteurs donnent des définitions très différentes du partenariat. Par exemple,
la mutualisation des moyens matériels est donnée par les uns comme un exemple de
partenariat, alors que pour d’autres il s’agit d’un simple échange de services, bien
insuffisant pour fonder un « véritable » partenariat. Nous distinguons donc deux
niveaux : la simple collaboration et l’adhésion à un projet pédagogique partagé.
Les représentations de VVV par les professionnels
1. Objectifs des projets développés dans le cadre de VVV
Il est intéressant d’observer que l’adhésion ou le retrait du dispositif VVV se fonde
davantage sur l’appartenance à un même territoire que sur l’appartenance à un secteur
professionnel, la prévention spécialisée ou l’animation socioculturelle par exemple. Les
intervenants de la prévention spécialisée, qui mettent en avant l’insertion professionnelle des jeunes en difficultés, se retrouvent impliqués dans des projets visant d’abord
l’insertion sociale.
En effet, un séjour de vacances permet d’instaurer des règles de fonctionnement et
d’amener progressivement les jeunes à les respecter. Un animateur âgé d’une trentaine
d’années, actuellement en fin de formation DEFA (Diplôme d’État à la Fonction
d’Animateur), illustre à sa manière ce travail éducatif :
« J’avais organisé un séjour d’une dizaine de jours à Montbéliard. Les trois premiers jours ont
été terribles. Ils se battaient, s’insultaient. Il fallait organiser la gestion de la vie quotidienne et
la répartition des tâches comme faire des courses… Dans le cadre de ce projet, ils ont pu faire
du bateau ».
Pour cet animateur, qui a également participé à des Opérations Prévention Été, le dispositif VVV est « bien tombé », car il commençait à être confronté à des publics de plus en
plus difficiles et il pouvait, d’autre part, ouvrir de nouveaux champs d’action (comme
faire du bateau).
Il y a unanimité pour voir dans l’activité proposée un moyen et non une finalité de
l’action éducative. Les policiers du Centre de Loisirs pour la Jeunesse de Strasbourg
disent même :
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Les difficiles relations entre acteurs
« La moto et internet, ce sont nos « produits d’appel »; ça attire les jeunes et on peut commencer
un travail plus approfondi avec eux ».
Pour tous les acteurs interviewés, la « philosophie » du projet semble avoir changé
en 20 ans. Avec peut-être une part d’idéalisation du passé, une éducatrice de prévention
spécialisée déclare :
« Au début, on avait beaucoup d’argent et on pouvait faire ce qu’on voulait avec. Mais ça a eu
des effets pervers : les jeunes ont cru que tout leur était dû, que c’était « leur » argent ».
L’idée qu’il y a un échange, que le jeune reçoit une contrepartie pour le service qu’il a
rendu, fait l’unanimité. Un policier l’exprime ainsi :
« Aujourd’hui, l’accent est sur la participation à un chantier. La moto est la récompense ».
Ces objectifs semblent s’identifier avec ceux du travail social depuis ses origines
[32]. Mais ils sont devenus ceux de l’éducation populaire selon Geneviève Poujol,
connue et reconnue pour ses travaux sur l’histoire de l’éducation populaire : « Dans le
langage d’un animateur (…), le projet d’animation a pour fin non plus la seule mise en pratique
de l’activité, mais la participation d’un groupe dans son ensemble à sa mise en œuvre » [33].
Les projets VVV sont au carrefour d’un double mouvement. Traditionnellement, les
intervenants de la prévention spécialisée travaillaient avec des jeunes isolés ou de très
petits groupes nécessitant un encadrement important. Ils sont amenés à cibler des groupes plus étoffés. L’inverse se produit pour les acteurs de l’éducation populaire, habitués
à travailler avec des groupes plus importants et plus autonomes.
De même, la formulation des objectifs fait l’objet de transactions entre les jeunes et
les intervenants. Par exemple, des adolescents avaient exprimé le désir d’aller à
Marseille, alors même que leurs attentes n’étaient pas explicitement formulées ou fondées. Ce projet est devenu un camp itinérant à quelques-uns en minibus, Marseille
devenant une étape parmi d’autres. L’objet de ce séjour devenait culturel car il s’agissait
de sortir des jeunes de leur environnement familier pour leur faire découvrir des sites
jusqu’alors inconnus. Nous pouvons, par ailleurs, relever la créativité présente dans certains projets, tels qu’ils ont pu nous être décrits par leurs initiateurs. En guise d’illustration, on nous a cité une pièce théâtrale jouée par des jeunes, relatant un procès et suivant toutes ses étapes. Cette réalisation avait été menée par l’animateur d’une
association alsacienne favorisant l’accès au droit pour les enfants et adolescents.
Un autre projet comprenait une action visant à valoriser l’environnement, en mettant sur pied une « exposition photos », dont la thématique était le quartier où les jeunes
résidaient. L’objectif était de voir autrement et, par là même, de valoriser son environnement quotidien immédiat en portant un autre regard sur lui. Faute de soutien, cette
action VVV n’a pas pu faire l’objet d’une exposition itinérante, comme cela avait été initialement envisagé.
En fait, plus qu’un tournant ou une mutation, nous observons un approfondissement ou
un élargissement du répertoire d’actions. Nous avons connaissance d’objectifs éducatifs
[32] Les écrits sur la présence d’un « même bain culturel historique ambiant » ne manquent pas. Par exemple, DURAND
Robert, Histoire des centres sociaux, du voisinage à la citoyenneté, Paris, Syros, 1996, pp. 142-144.
[33] POUJOL Geneviève, Guide de l’animateur socioculturel, Paris, Dunod, 2e éd. 2000, p. 23.
Page 133
Quartiers en Vacances
LES PROJETS ET OBJECTIFS ASSOCIÉS À VVV
Adhésion à VVV
(acteurs utilisant le dispositif.)
Objectifs d’insertion
Objectifs d’animation :
(mise en place de chantiers éducatifs) :
- L’activité mise en place est le prétexte
d’un travail pédagogique et éducatif.
- Élargir l’horizon des jeunes
- Les aider à rompre avec une
tendance au repli territorial.
- Favoriser échanges et rencontres
avec d’autres jeunes,
dans d’autres quartiers.
* Autres activités
- séjours, camps,
- actions sur le quartier…
Secteur de la
Prévention spécialisée
Secteur de l’animation
- VVV ne permet pas de travailler
l’environnement social du jeune,
avec ses spécificités géopolitiques
et géographiques
- L’éducation spécialisée doit faire se
rencontrer des élus et des « jeunes »,
en leur faisant parcourir une même
distance en direction de l’autre.
- VVV (dans sa forme actuelle)
comprend un risque de stigmatisation
des jeunes ciblés.
L'activité, dans une logique d’animation, doit permettre de cibler le plus
grand nombre possible de jeunes.
- D’autres dispositifs comme les P.I.J
(Projet idées jeunes), permettent
d’inscrire réellement les jeunes
dans une dynamique de projet.
Rapport plus distancié à VVV,
(acteurs en retrait)
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Les difficiles relations entre acteurs
dans le domaine de la prévention, plus que dans ceux de la réinsertion ou de la rééducation d’une jeunesse délinquante ou déviante.
2. Ressources et opportunités offertes par le dispositif
Avant de saisir en quoi le dispositif VVV offrirait de nouvelles ressources et constituerait pour certains éducateurs et responsables une réelle opportunité, il faut mentionner
quelques « bémols ». En premier lieu, les membres d’une équipe de prévention spécialisée mulhousienne nous ont affirmé ne plus être en mesure de fonctionner sans ce type
de financement « exceptionnel ». En effet, leurs subventions de fonctionnement ne couvrent que la masse salariale, il leur faut donc trouver d’autres modes complémentaires
de financement. Nous serions dans une logique croissante de contractualisation autour
de projets ponctuels, avec un désengagement continu de l’État en arrière-plan. C’est
d’ailleurs l’analyse effectuée par une consultante qui fait l’évaluation du dispositif VVV
alsacien :
« Le VVV, des moyens financiers en plus ? C’était vrai, il y a une quinzaine d’années, du temps
des OPE. Il y avait effectivement des marges de manœuvre, un budget ! Or, depuis une dizaine
d’années, il n’y a plus rien qui assure la survie des associations. Aujourd’hui, on vend des compétences avec tous les effets pervers que cela implique ; on rentre en concurrence entre centres
sociaux. Aujourd’hui, le seul moyen de fonctionner, c’est de rentrer dans des dispositifs… ».
Cette logique de précarisation n’est d’ailleurs pas sans effet sur l’organisation de
l’accueil et de l’accompagnement éducatif des différents publics. En effet, cette consultante, spécialiste en travail social et éducatif, remarque une dualisation des dispositifs.
D’un côté, elle observe le recours à des professionnels diplômés pour les actions quotidiennes, (ils sont titulaires du BEATEP, du Diplôme d’État d’Éducateur Spécialisé ou de
Jeunes Enfants) ; ils travaillent en milieu périscolaire, dans le secteur de la petite enfance,
auprès des jeunes, etc. De l’autre, des jeunes intervenants se trouvent en situation plus
instable et ils entretiennent un rapport précaire à l’emploi, dans des « postes déqualifiés »
et « à hauts risques » (par exemple, les animateurs œuvrant dans le cadre des petites
vacances dans les projets VVV). On peut ainsi, selon les termes de notre interlocutrice,
se trouver dans une situation paradoxale où il n’y a plus (ou peu) de professionnels qualifiés là où les besoins sont les plus criants. Ce constat figure explicitement dans les Actes
de la journée Rencontres VVV du Bas-Rhin (1 996) : « La précarité de l’animateur fait écho à la
précarité du jeune, qui fait elle-même écho à la précarité de l’institution qui les accueille ».
Ces observations ne doivent pas masquer une forte hétérogénéité des points de vue
car nous avons pu aussi relever des appréciations plus valorisantes de VVV. À partir du
moment où VVV est perçu comme une réelle opportunité, et non pas comme un simple
complément indispensable à l’équilibre financier de la structure, il recueille des jugements positifs. Les propos d’un responsable en secteur jeunesse dans un centre socioculturel haut-rhinois l’illustrent bien :
« VVV permet aux acteurs sociaux de monter des projets quand ils le veulent sans tenir compte
des financements habituels. Auparavant, le travailleur social calquait ses projets sur des possibilités de financement. On inverse la logique : ce n’est plus le projet en fonction de l’argent mais de
l’argent à trouver pour l’élaboration de projets. On ne s’auto limite plus ! ».
Page 135
Quartiers en Vacances
De même l’embauche, même ponctuelle, d’animateurs pour des actions éducatives peut
être perçue comme une opportunité. Il en va de même pour le recrutement de jeunes
participants à des chantiers d’insertion. Le directeur d’un club mulhousien de prévention spécialisée évoque l’importance pour un jeune d’être rétribué pour un travail qui a
une visibilité et une utilité sociales :
« On valorise le travail et le statut d’un jeune qui connaît sa première expérience professionnelle.
Or c’est la première fois qu’il gagne quelque chose, de l’argent propre ».
Enfin, le fait de recruter, pour les opérations VVV, des jeunes du quartier, pouvant
être des « relais d’influence », ne va pas de soi. Mais ce n’est pas sans intérêt dans l’optique d’un investissement à moyen terme. Un directeur de centre social déclare à ce propos :
« Les animateurs issus des quartiers passent de la position du jeune révolté contre le système à
la posture plus engagée du militant. Mais il faut qu’ils soient dans une équipe avec un encadrement solide. (...) Il s’agit d’un parcours de resocialisation ».
3. Contraintes et difficultés repérées
D’emblée, différents niveaux de difficultés apparaissent sur un plan administratif. En
premier lieu, la question des critères de recrutement des jeunes. Elle a pour conséquence
directe « d’habiller » le projet dans le jargon professionnel approprié :
« On utilisera les bons mots au bon moment, pour que ça passe ! On parle alors d’autonomie, de projet pédagogique, de prévention ».
Pour donner une idée des stratégies à développer, nous pouvons citer les critères fournis par les services d’animation de la Ville de Mulhouse ; ces critères sont au nombre
de huit :
- le public doit être âgé de 13 à 18 ans, ou composé de jeunes majeurs en voie de marginalisation,
ou suivis par la justice ;
- le public doit être plutôt mixte ;
- les jeunes doivent participer à l’élaboration du projet ;
- la constitution des groupes doit favoriser le brassage social et culturel ;
- les parents doivent être impliqués dans la préparation des activités ;
- les jeunes doivent participer au financement ;
- le montage financier de l’opération doit associer différents partenaires ;
- le projet doit être original…
Comme le signale un interlocuteur, nous avons affaire à un « fichier avec des cases »
alors qu’il faudrait « sortir d’une logique d’enfermement » et il rajoute :
« Je suis effaré parce qu’il faut faire pour rentrer dans les projets VVV. C’est contre-productif par
rapport à une ambition politique à avoir à l’égard des jeunes… Il faudrait plutôt aller vers de l’intelligence collective ».
Cette impression de se heurter à des lourdeurs administratives est largement partagée
par nos enquêtés. Le directeur d’une association de prévention spécialisée de Nancy formule ainsi le problème :
« VVV a été les prémisses du Contrat de Ville. Aujourd’hui c’est plus compliqué car il y a les
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Les difficiles relations entre acteurs
LES RESSOURCES ET OPPORTUNITÉS OFFERTES PAR LE DISPOSITIF
Adhésion à VVV
- Des moyens supplémentaires qui
vont au-delà du registre financier.
- VVV permet de monter des projets
hors des financements habituels.
- La possibilité de renforcer ses moyens
à travers l’embauche ponctuelle
d’animateurs ou de jeunes du quartier
- Inversion d’une logique de
financement : « Ce n’est plus un
projet pour dépenser un budget,
mais des moyens à trouver pour
réaliser un projet ».
- La mise à disposition de locaux,
d’équipement et de matériel par
les collaborateurs ou partenaires.
Secteur de la
prévention spécialisée
- Replacé dans un contexte politique
(incluant la prise en compte d’un
environnement social), VVV pourrait être une ressource intéressante.
Secteur de l’animation
- Une ligne budgétaire parmi d’autres,
même si elle n’est pas négligeable.
- « On fait du VVV sans en avoir le
budget ».
Rapport plus distancié à VVV
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Quartiers en Vacances
deux et la Préfecture a peur que la même activité soit financée deux fois. C’est la même chose pour
les dispositifs d’insertion. Ca nous oblige à faire des montages financiers chiants ».
On trouve aussi le sentiment partagé par différents responsables d’établissements
d’être de plus en plus accaparés par les tâches administratives. Le directeur d’une association haut-rhinoise de prévention spécialisée déclare :
« ça devient de plus en plus difficile d’obtenir des financements pour des actions ; on y passe un
temps fou ! ».
Une autre difficulté majeure réside dans la difficulté à s’y retrouver dans cette « jungle »
administrative faite d’une multiplicité de dispositifs avec l’enjeu de dénicher la formule
la plus adaptée. Pour une interlocutrice ayant eu en charge l’évaluation du dispositif, il
devient impératif pour les communes et agglomérations de pouvoir compter sur de
nouvelles compétences susceptibles d’éclairer les acteurs de terrain sur les possibilités
d’obtention de financements :
« Du côté des élus, le seul but c’est d’arrêter que cela flambe ; mais ils n’y comprennent plus rien.
Il faudrait pour chaque commune des (chasseurs de subventions). C’est devenu effrayant tout ça,
c’est compliqué ! ».
L’élu aurait aussi besoin de s’y retrouver dans les dispositifs de la politique de la
ville. Il apprécie d’ailleurs l’aspect concret des réalisations. Notre interlocutrice prend
l’exemple d’une fresque ou d’un tournoi sportif ; ce sont des activités démontrant que
l’on s’occupe des jeunes que « l’on fait attention à eux… ».
Une troisième difficulté renvoie aux procédures. Elle tient au fait qu’un projet se fera
de manière ponctuelle et discontinue sur une courte période de l’année, alors qu’il
serait plus pertinent de penser les activités de façon plus globale et cohérente sur une
année sous forme de contractualisation. Si cette idée est récurrente, elle est parfaitement exprimée par un Directeur de centre socioculturel convaincu de l’importance du
dispositif VVV :
« Il serait judicieux de travailler sur une « préfiguration » des projets sur l’année, afin d’obtenir
en amont une validation préalable des financeurs. Le fonctionnement de VVV au coup par coup
n’est pas sans générer des effets pervers. On a la contrainte du calendrier et on n’est jamais sûr
du résultat. On est un peu bloqué ».
Il nous semble que les contraintes administratives ne sont pas forcément les plus
dissuasives. Les intervenants et responsables ne souhaitant pas utiliser le dispositif VVV
mettent en avant des difficultés qui sont d’abord d’ordre pédagogique et peuvent être
résumées par les questions suivantes, formulées par une enquêtée :
« Comment peut-on associer des jeunes à un projet dans lequel ils sont stigmatisés ? Et comment
sortir de cette ambiguïté majeure ? ».
Un intervenant en prévention spécialisée, plutôt réfractaire à la « philosophie »
VVV, la dénonce en ces termes :
« Une centaine de jeunes organisent seuls un tournoi de foot en salle (dans une petite ville) et
ils prouvent au Maire qu’ils sont capables de le faire seuls (c’est-à-dire sans la police) ; le
« gène » de la délinquance ne s’est pas exprimé ! Certains intervenants de la prévention spécialisée veulent convertir le « gène » alors que moi je me cantonne à souhaiter qu’il ne se déclare
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Les difficiles relations entre acteurs
pas ! J’autorise les jeunes à être délinquants autant qu’ils le veulent, pourvu qu’ils ne posent pas
d’actes délinquants… ».
D’autres professionnels du secteur de l’éducation populaire ne souhaitent pas tricher avec les règles du dispositif. Dans la mesure où les jeunes prioritairement ciblés par
le dispositif VVV échappent complètement aux projets montés dans les quartiers, ces
acteurs privilégient d’autres dispositifs et sources de financement. C’est bien la dimension pédagogique qui, pour eux, doit primer sur toute autre considération.
Pour la police, il y a aussi des difficultés à surmonter en interne. Tous les policiers
qui travaillent au CLJ sont volontaires, et ils acquièrent un complément de formation :
« Certains policiers ne sont jamais volontaires et ils considèrent que ce n’est pas leur boulot.
D’autres viennent régulièrement car ils ont compris le système. Nous avons 10 à 15 volontaires
par an. On leur propose de faire un essai pendant une saison. S’ils veulent poursuivre, on les
pousse à faire une formation et à préparer le BAFA ».
2. Partenariat ou collaboration ?
La question du partenariat est probablement celle où s’étalent les plus fortes divergences. Entre ceux qui le mettent en avant et ceux qui le déclarent inexistant, le réduisant à
un simple échange de service (mutualisation d’informations, de locaux, de matériel),
nous trouvons ceux qui évoquent les difficultés faisant obstacle à sa mise en place.
La première tendance est illustrée par les propos d’un responsable de secteur jeunesse :
« Le partenariat, je ne le vois pas. J’assiste plus à une mise à disposition de services comme le prêt
d’une salle. Or le partenariat suppose une mise en commun de compétences complémentaires. Je
constate plutôt que les travailleurs sociaux s’enferment dans leur savoir-faire. Cela vient du fait
qu’ils ‘mentalisent’ les financements comme un gâteau que l’on divise en parts et ils se disent :
‘j’en prends le maximum’».
Face à cette posture, faite de doute sur les capacités collectives à dépasser les intérêts trop particuliers, nous trouvons un avis contraire. À Strasbourg, mais ce n’est pas
forcément le cas ailleurs, un commissaire de police souligne la qualité du partenariat
tissé avec la prévention spécialisée mais aussi la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ),
le club vosgien, une maison de quartier, ou encore la piscine de la Communauté urbaine.
La police prête des VTT à la Prévention Spécialisée. Elle amène les jeunes avec ses véhicules, pour qu’ils puissent participer à des activités de canoë et d’escalade. Mais, pour la
police, c’est au-delà du simple échange de services. C’est rendu possible parce qu’il y a
accord sur les objectifs :
« Nos partenaires sont la PJJ, le Club de prévention spécialisée, la Maison du Quartier, etc. Les
objectifs sont communs, il s’agit d’apprendre que la vie en société passe par des règles à respecter.
C’est aussi le respect de soi, des autres et de l’environnement. Les objectifs sont partagés, donc ça
se passe très bien ».
Entre ces deux tendances, nous trouvons des avis plus mitigés, comme celui d’un
directeur d’association de prévention spécialisée de Nancy qui évoque un quartier
« à l’abandon » :
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Quartiers en Vacances
LES CONTRAINTES ET DIFFICULTÉS REPÉRÉES
Adhésion à VVV
- Le ciblage trop restrictif du public
(lié à l’âge).
- Les contraintes économiques :
« VVV n’est pas un supplément
budgétaire mais s’intègre au budget
de fonctionnement ».
- Le manque de personnel qualifié.
- « L’impression de travailler
dans le vide ».
- « Des publics de plus en plus
difficiles ».
- « On produit de la ghettoïsation
et de la stigmatisation. Il faut du
brassage, mais c’est un discours
mal entendu ».
Secteur de la
prévention spécialisée
- Le problème du manque de formation
- Le décalage entre les objectifs
institutionnels recherchés et ceux
poursuivis par les structures
- Sortir d’une démarche de
« consommation » de vacances et
des dérives d’instrumentalisation
du dispositif.
- Le sentiment d’isolement et
de non-reconnaissance du travail.
- Le manque de temps pour
l’observation et la réflexion.
- La lourdeur administrative.
- Le côté ponctuel du projet
- Le problème de l’évaluation
et du partenariat.
Secteur de l’animation
- VVV et, plus largement, le travail
social et éducatif participent à une
gestion à courte vue et à un travail
de dénégation de la question sociale.
- « C’est la théorie des cercles
concentriques qui commence par un
paradoxe : mon objectif est de toucher
les plus exclus donc je me fixe
des objectifs, je me donne les moyens ;
j’évalue, je rectifie, j’y arrive et j’ai
enfin constitué le groupe des exclus ! ».
- Les difficultés sont d’ordre
pédagogique et elles sont liées au
projet éducatif mis en place.
- Le refus de « servir du tout cuit ».
- Le choix de « ne pas intervenir
comme des pompiers à chaque fois
qu’il y a des problèmes ».
- Une vocation à toucher des grands
groupes de jeunes et pas uniquement
quelques-uns.
- Les deux problèmes les plus forts
sont la stigmatisation des publics
jeunes et le contournement des règles
VVV pour « habiller » un projet de
conformité administrative.
Rapport plus distancié à VVV
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Les difficiles relations entre acteurs
« Aux Provinces, il n’y a plus de partenariat, ça devient un ghetto. Il y a une tentative de créer
une association, Réactiver, mais c’est de plus en plus difficile ».
La principale limite mentionnée concerne la difficulté à concilier des cultures professionnelles ou des logiques d’action différentes. Mais elle n’est pas vécue comme
insurmontable. Un policier de Strasbourg dit de son côté :
« Avec les éducateurs de rue, on travaille bien, mais il y a des fois où on les trouve trop tolérants sur des choses que nous ne laisserions pas passer. Justice et Intérieur, c’est peut-être plus
proche, on se sent plus en phase avec la PJJ. Mais les éducateurs de rue ont d’autres objectifs,
ça peut se comprendre ».
Pour le directeur de prévention spécialisée cité ci-dessus, le partenariat serait présent sur d’autres lieux. Dans le cadre d’un Contrat Local de Sécurité, il s’est rapproché
du directeur d’un collège, afin de monter un atelier de boxe dans les locaux du collège.
Il y a unanimité sur l’intérêt des chantiers d’insertion dans une perspective éducative.
En Meurthe-et-Moselle (54), ils sont à l’origine de partenariats entre le Conseil Général,
les municipalités et les associations. Même si ce n’est pas la seule cause, VVV a contribué au rapprochement entre les animateurs des services municipaux jeunesse et la PS. Il
y aussi des rapprochements ponctuels avec d’autres travailleurs sociaux, ou avec des
associations locales, mais rarement un partenariat stable.
Les équipes de Prévention Spécialisée du Conseil Général 54 [34] ne peuvent percevoir des crédits VVV. Le référent départemental de la PS au Conseil Général se félicite de
cette mesure qui clarifie la situation : ainsi, le Conseil Général n’est pas à la fois juge et
partie dans l’attribution des crédits. En plus, cela incite les éducateurs au partenariat
avec les associations. Mais des chefs de service voient dans cette mesure une mise à
l’écart et une non-reconnaisssance de leur rôle dans VVV.
Dans beaucoup d’endroits, les rapports avec la police ont évolué mais ils restent distants. Au début, la participation de la police a été vécue comme une intrusion et une
« concurrence déloyale », la police ayant de gros moyens (motos), etc. Depuis, dans de
nombreux quartiers, la violence s’est aggravée et les éducateurs de la Prévention
Spécialisée peuvent en être les victimes: locaux incendiés, véhicules personnels endommagés, agressions physiques, etc. Certains éducateurs se sentent dépassés par la situation et ils admettent les limites de leur intervention éducative. La police a un rôle à jouer
dans le respect de la loi. Mais cette reconnaissance n’entraîne qu’une coopération limitée et on ne veut pas d’une confusion des genres :
« Je veux bien donner aux jeunes l’info sur les activités proposées par la police, mais rien de plus.
Les flics doivent faire leur boulot, mais pas le nôtre. La police de proximité, oui, mais pas l’animation ».
Analyser les stratégies partenariales nécessite de définir ce que la notion même de
partenariat recouvre. Pour Fabrice DHUME, le partenariat est une « méthode d’action
coopérative » fondée sur trois ensembles de principes structurants :
[34] En Meurthe-et-Moselle, il y a à la fois des associations de prévention spécialisée et des équipes intégrées au
Conseil Général.
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Quartiers en Vacances
- Ceux qui ont trait à l’engagement réciproque. Les partenaires sont dans l’obligation de
trouver des intérêts et des principes communs pour établir un partenariat malgré le
contexte concurrentiel entre établissements et associations.
- Ceux qui concernent la place de l’acteur. Le partenariat n’est possible que si les identités
professionnelles et/ou institutionnelles s’ouvrent à des transactions avec les autres
acteurs.
- Ceux qui renvoient au sens mis sur l’action. S’accorder sur le sens de l’action revient à créer
un nouveau cadre autonome avec ses propres règles de fonctionnement. Les moyens ne
sont pas des finalités et VVV nous semble être plus qu’un dispositif. Idéalement, il
deviendrait un outil de dynamisation partenariale.
Le deuxième ensemble est le plus fréquemment évoqué. La raison est probablement
liée au fait que cette dimension est la plus familière puisqu’elle est inhérente au travail en
équipe. Selon l’expression de F. Dhume : « au chacun à sa place, chacun a sa place… » [35].
À la journée bas-rhinoise des « Rencontres VVV 1 996 », les rapports de pouvoir sont mis
en avant comme une contrainte majeure à dépasser ou à contourner : « En milieu urbain,
il est délicat d’établir un partenariat, car il existe une concurrence entre opérateurs ».
Lors de la journée départementale du Haut-Rhin de 1998, cette même contrainte était
mise en avant alors même qu’il était suggéré que VVV permettait théoriquement de
créer cette dynamique partenariale autour d’intérêts supérieurs partagés :
« Dans la logique de Ville Vie Vacances, il s’agit de trouver une stratégie cohérente en
vue d’une même finalité, c’est-à-dire le travail avec le jeune en difficulté. Premier effet
du partenariat : enrichir, amplifier les objectifs. Mais pour cela il est nécessaire de surmonter la concurrence, de se donner le temps et les moyens d’un travail en commun,
fondé sur la complémentarité et la coopération (…) Le partenariat entre acteurs du terrain souffre d’un manque de coordination entre les différentes structures, opérant pour
un même objet, concernant le même public, sur un terrain identique » (voir annexe).
Les logiques de mise en concurrence entre les structures associatives ne favorisent
pas cette synergie, dans la mesure où la compétition pour les financements exacerbe les
rivalités et les tensions. La décentralisation renforce cette tendance, puisque
Départements et Communes cherchent à introduire une logique gestionnaire dans le
travail social.
[35] DHUME Fabrice, Du travail social au travail ensemble, Paris, éd. A.S.H., 2001, pp. 112-113.
GABERAN Philippe, Être éducateur dans une société en crise, Paris, éd. ESF, 1 998.
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Les difficiles relations entre acteurs
Des stratégies professionnelles aux fonctions
du dispositif VVV
1. Retour sur une aporie de départ
Il est demandé à des jeunes en situation d’extrême vulnérabilité de mûrir des intentions
pour s’inscrire dans du projet et cela tout en déclinant leur étiquette d’inadapté social.
Autant dire que ce type de profil continuera encore longtemps à échapper au dispositif
VVV, pour lequel il était pourtant initialement prévu. D’un côté, ces jeunes adultes ou
adolescents ont besoin d’un accueil et d’un accompagnement exigeants sur le plan relationnel. D’autre part, même s’ils adhéraient à la démarche initiée dans le cadre de VVV,
il faudrait deux conditions qui ne semblent pas être réunies : des professionnels qualifiés
et spécialisés dans le suivi de jeunes toxicomanes, sortants de prisons ou encore récidivistes, (la liste n’est pas exhaustive). Or des éducateurs et animateurs expérimentés affirment ne pas avoir ces compétences. Il faudrait aussi mettre sur pied des synergies rassemblant des compétences complémentaires dans l’impulsion du travail des équipes
éducatives. La démarche de projet est loin d’aller de soi pour les plus fragilisés, Robert
Castel a été le premier à le mettre en évidence pour les bénéficiaires du RMI [36].
Cette aporie est d’autant plus présente que nous pouvons percevoir deux tendances
se profiler dans le paysage institutionnel de VVV :
- D’un côté, une approche centrée sur des petits groupes avec l’objectif de favoriser la
formation de relais d’influence. On voit se généraliser le recours au « grand frère », encadrant les plus jeunes tout en se formant au Brevet d’Aptitude Professionnelle d’Assistant
Animateur Technicien (BAPAAT, niveau V).
- D’autre part, nous observons une volonté de « toucher » le plus grand nombre de jeunes afin de « faire du chiffre » et de donner une forte visibilité au dispositif VVV. Cette
tendance est très présente chez les élus locaux, mais aussi au niveau national.
L’accent mis sur les « effectifs » traduit la montée en puissance du dispositif, mais
ce n’est pas un gage de réussite en termes d’efficacité à long terme. De même, l’impact
d’un dispositif VVV devrait être évalué à travers des approches monographiques prenant en compte les autres mesures et procédures menées parallèlement sur le plan local.
Ces considérations demandent de revenir sur certaines réalisations pouvant illustrer les
points forts du dispositif, mais également sur les autres dimensions qu’il est nécessaire
d’approfondir et de développer.
2. Les attentes des acteurs
Les attentes que nous avons pu recueillir concernent les conditions réglementaires et
pédagogiques de VVV plus que le dispositif lui-même. Par exemple, l’importance de la
formation a été relevée depuis quelques années et il y a eu des initiatives dans ce
[36] CASTEL Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1 995.
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Quartiers en Vacances
domaine. Mais c’est un projet global et à long terme, impliquant un partenariat entre
organismes de formation, qu’il faudrait instaurer. Sur un plan politique, il est important
de renforcer et de valoriser les dispositifs de formation de l’éducation populaire et du
travail social, d’encourager des montages partenariaux associant les universités.
À l’heure des schémas nationaux et régionaux, est-il possible de sortir de la mentalité de
la « citadelle assiégée » et d’obtenir davantage de cohérence ?
Il y a d’un côté des professionnels en exercice à inscrire dans une formation continuée et, de l’autre, les risques de dérives pédagogiques tenant à la mise en situation de
jeunes intervenants inexpérimentés et peu formés. La demande ne vise pas uniquement
des formations individuelles, mais aussi la qualification d’équipes, aptes à travailler en
réseau. Une politique ambitieuse de formation permettrait de mieux réguler le dispositif VVV. Cette politique devrait partir de l’analyse des difficultés rencontrées par les
acteurs au quotidien.
Du côté des élus locaux, malgré les différences qui tiennent à la situation propre à
leur commune et/ou aux appartenances politiques, il y a des préoccupations communes. Ils mettent l’accent sur la médiatisation des réalisations. Il ne suffit pas de « faire »,
il faut aussi « faire savoir ». D’après un rapport d’audit, trois éléments leur paraissent
importants :
- Des données sur le nombre de participants et l’impact du projet.
- Des réalisations qui se terminent par une manifestation publique permettant de faire
du « marketing local ».
- Lier la « récompense » accordée aux jeunes (par exemple, un voyage, l’apprentissage
de la moto) à un travail au service de la communauté. Ils partagent sur cette question le
point de vue de la police et des travailleurs sociaux.
3. Points forts du dispositif et améliorations à apporter
Une idée intéressante ressort de cette analyse, c’est l’importance de mener de front le
travail avec les jeunes et l’action sur leur environnement social. Les membres de
l’équipe dirigeante d’un club de prévention spécialisée d’Alsace ont ainsi évoqué le
regard du bailleur social du quartier qui a pu positivement évoluer au vu de réalisations
effectuées dans le cadre de chantiers d’insertion VVV. Il s’agissait de remettre en état des
entrées de cage d’escalier.
Dans cette opération, même si les parents sont plus que de simples partenaires éducatifs (laissons leur la place de premiers éducateurs de leurs enfants), un travail a pu être
mené avec eux. Cette collaboration a permis d’introduire davantage de mixité sexuée
dans les activités du dispositif. Pour cela, des activités plus spécifiquement féminines
ont été organisées en concertation avec les parents. La police souligne l’importance de
la rencontre des parents :
« Quand ils nous disent que leurs jeunes s’ennuient et qu’ils n’y peuvent rien, nous
pouvons leur proposer des activités intéressantes ».
Plus généralement, l’importance de la dimension éducative est soulignée et l’accent
est mis avec insistance sur le professionnalisme dont doivent faire preuve les accompagnateurs. À partir du moment où cette condition est remplie, il y a unanimité sur l’intérêt pédagogique de l’activité ou du chantier, même s’il reste difficile d’en évaluer les
bénéfices à court et à long terme.
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Les difficiles relations entre acteurs
Une autre dimension, plus valorisée par les centres sociaux, concerne la fonction
d’impulsion du projet propre à VVV, même si cette affirmation laisse une place à des avis
plus réservés. Par exemple, la prise de risques liée à l’engagement dans une action VVV
n’est pas forcément bien vécue par des animateurs pensant perdre toute crédibilité si le
projet qu’ils ont monté ne devait pas être agréé par le comité départemental VVV.
L’essentiel reste que VVV rend possible de faire partir des jeunes en vacances et de leur
proposer des activités auxquelles ils ne pourraient pas avoir accès en dehors de ce dispositif. Si VVV ne révolutionne pas l’action éducative, il permet d’élargir l’éventail des
opportunités. Mais cette abondance de moyens laisse le problème essentiel entier, établir
une relation de confiance qui permette une action éducative approfondie.
Pour suggérer quelques améliorations à apporter, il faut partir des cinq priorités
énoncées pour l’année 2001 au niveau national.
- Le ciblage du public. Il doit être l’une des priorités du programme en 2001. Les cellules
départementales sont invitées à associer le plus largement possible les services de la
prévention spécialisée.
- La participation des jeunes filles. Elle progresse grâce à un travail d’information renforcé
en direction des familles, la formation de l’encadrement en direction des jeunes majeures, et l’association des parents dans la préparation des actions.
- L’encadrement. Il est un atout essentiel dans la réussite des actions. C’est pourquoi la
circulaire du 5 avril 2001 précise que 10 % de la dotation est consacrée aux actions de
formation de l’encadrement. Il est essentiel que les préfets et les directions départementales de la jeunesse et des sports veillent à la qualité de l’encadrement et à la formation
de l’encadrement.
- La prévention de la délinquance. Une attention particulière est apportée aux jeunes faisant
l’objet de mesures de justice. Les projets spécifiques qui concernent les mineurs et les jeunes majeurs placés sous main de justice, prévenus ou condamnés, sont développés.
- Les plans d’accueil des jeunes dans les communes touristiques. À la demande des élus, les
départements qui accueillent un nombre important de jeunes vacanciers peuvent mettre
en œuvre des plans d’accueil des jeunes, dans les communes touristiques (PAJECOT).
L’effort consenti en 2001 sur un plan budgétaire était conséquent dans la mesure
où les crédits d’État affectés étaient de 123 MF, soit une progression de 33 % par rapport à l’année précédente. Aussi, il importe de penser leur utilisation dans un souci
d’optimisation des procédures à l’œuvre. À cet égard, les professionnels redoutent une
« banalisation » de ces crédits, liée à la forte institutionnalisation de VVV. Il paraît dès
lors important d’activer de nouvelles régulations pour que VVV conserve son caractère
innovant et apporte une aide aux établissements et équipes éducatives qui développent
des projets neufs.
Une piste importante de réflexion, développée plus haut, concerne la formation.
Redisons simplement ici qu’une formation continue permettant à la fois l’adaptation aux
exigences du travail avec un public difficile et une prise de distance critique est une
nécessité pour de nombreux intervenants.
Une autre amélioration, souhaitée par les professionnels rencontrés, concerne la possibilité d’établir un plan éducatif d’actions à mener sur l’année. Ce n’est plus un projet ponctuel sur une période donnée qui serait agréé mais la « préfiguration » d’un programme
annuel d’action.
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Quartiers en Vacances
Enfin, il serait peut-être judicieux de repenser la place de VVV dans le répertoire
existant des dispositifs en revenant sur cette notion de prévention qui peut comprendre
trois stades, avant, pendant et après. Un rapprochement plus grand entre la prévention
spécialisée et les autres travailleurs sociaux ne pourra faire l’économie de cette réflexion,
tant l’enjeu partenarial est crucial. L’ambition est d’agir en amont des problèmes. Mais
lorsque les situations sont vraiment trop lourdes, même la prévention dite spécialisée
peut être démunie en termes de compétences vraiment spécialisées. Il faut apporter des
réponses adaptées aux publics déjà repérés et penser autrement les choses pour ceux qui
échappent encore actuellement à tous les dispositifs.
Plusieurs enquêtés ont souligné le manque d’évaluation sérieuse du dispositif VVV.
Un policier l’exprime très bien :
« La ‘fidélisation’ça marche, la moto, ça les dynamise, mais est-ce que ça fait baisser la
délinquance ? (...) Chez les mineurs, le taux de récidive en matière pénale est de 20 %
dans les quartiers où le Centre de Loisirs des Jeunes intervient et de 80 % ailleurs. Nous
croyons que c’est un peu à cause de notre action, mais il n’y a rien de fiable là-dessus ».
Voilà une piste de travail pour des chercheurs…
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Les difficiles relations entre acteurs
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Quartiers en Vacances
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DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE II
Une mise en œuvre départementale,
le cas de la Meurthe-et-Moselle
Par Marie-Christine Cordebar et Marie-Claude Gérardin
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Quartiers en Vacances
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
La place et l'engagement des associations
dans le dispositif « Ville Vie Vacances »
L
es associations sont les opérateurs principaux du dispositif VVV. Mettant en œuvre
plus des trois quarts des Opérations VVV, leur contribution est multiple et diversifiée en
lien avec la typologie variée des associations. Nous fondons cette typologie sur le positionnement des associations dans le champ de la prévention de la délinquance. D'une
fonction de relais ponctuel dans le champ de la prévention dans une dimension intégrative (telles que les associations appartenant au mouvement de l'éducation populaire, les
MJC, les associations socioculturelles, de loisirs, sportives), à une mission de prévention
de la délinquance et/ou de la récidive (telles que les associations de prévention spécialisée, les associations émanant de la police, les associations socio-éducatives en milieu
carcéral, les associations habilitées par la Protection Judiciaire de la Jeunesse) avec ou
sans mandat de suivi du public, les positionnements distincts des associations justifient
des engagements auprès du public VVV, des rapports aux partenaires institutionnels et
un professionnalisme différenciés.
Toutes ces associations se côtoient sur la scène des OVVV et si elles ne proposent pas
le même type d'activités ni ne touchent le même public, il n'en demeure pas moins qu'elles interviennent sur le terrain de la prévention de la délinquance voire de la prévention
spécialisée ; on pourrait s'interroger sur la capacité des opérateurs dont les compétences
ne relèvent pas de ce champ d'intervention, à accueillir dans de bonnes conditions le
« public VVV ». Néanmoins, on a pu constater que la participation de ces opérateurs
était rarement ponctuelle et se renouvelait d'année en année. En Meurthe-et-Moselle, sur
les trois dernières années, le renouvellement des opérateurs VVV est resté marginal étant
lié dans la plupart des cas à l'élargissement de la géographie du dispositif. Si l’on compare à l’année 2000, nous pouvons compter 14 opérateurs nouveaux en 2001. 8 opérateurs proposent leur projet pour la première fois et 6 réintègrent le dispositif après un
temps d’absence. Il est alors pertinent de s'interroger sur le type d'engagement de ces
acteurs dans le dispositif et surtout sur les incidences de leur participation sur leur mission, leur mode d'approche du public, leur fonctionnement et le public qu'ils accueillent.
Plusieurs questions émergent et peuvent être soulignées :
Quel sens les opérateurs associatifs (et notamment ceux qui n'ont aucune mission dans
le champ de la prévention de la délinquance) donnent-ils à leur engagement dans le
dispositif VVV ? à leur engagement auprès d'un public qui n'est pas forcément leur
public habituel ?
L'inscription d'un public nouveau pour ces opérateurs a-t-elle pesé sur la fréquentation
de leur structure et les activités proposées ?
Comment ces opérateurs se sont-ils outillés afin de répondre aux objectifs du dispositif
VVV et intégrer les préoccupations de la prévention ? Ont-ils engagé des démarches de
professionnalisation ou de partenariats avec les acteurs institutionnels ou associatifs de
la prévention de la délinquance et de la récidive ou de la lutte contre les exclusions ?
Quels appuis autant financiers et techniques qu'éducatifs et pédagogiques ont-ils
pu trouver ?
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Quartiers en Vacances
Toutes ces évolutions inhérentes à leur engagement dans le dispositif VVV, ont certainement pesé sur le sens de la mission générale et initiale de ces associations, ponctuellement ou à terme. Il s'agit de comprendre comment et pourquoi ?
Enfin, les communes se sont largement impliquées dans le dispositif sur le plan
financier d'une part, mais aussi souvent dans le pilotage des actions menées sur leur territoire afin d'en assurer la cohérence et la coordination. Quelle place ont pu trouver les
opérateurs associatifs dans ces coordinations locales ? Quelles marques de reconnaissance de la part des élus et institutions ont-ils pu recevoir en gage de leur contribution à
cette politique locale et coordonnée de prévention de la délinquance ?
La méthodologie utilisée afin d’identifier
la place et l’engagement des associations
dans le dispositif VVV.
À partir des questionnements présentés en introduction, nous avons procédé à l’envoi
d’un questionnaire à une vingtaine d’associations représentatives des opérateurs du terrain en utilisant l’expérience du département de Meurthe et Moselle. Ces associations
ont été choisies selon deux critères :
- ancienneté de l’engagement dans le dispositif VVV
- positionnement dans le champ de la prévention de la délinquance.
Des échanges avec des responsables, bénévoles, salariés et membres de la cellule sont
venus confirmer et étayer les tendances relevées dans les questionnaires.
Nous nous sommes également appuyés sur les bilans des OVVV 2 000 et 2 001 en
Meurthe et Moselle et sur les journées d’échanges et les réunions de concertation proposées aux opérateurs en 2001 et 2002.
PRÉAMBULE
Du fait du choix méthodologique, d’utiliser l’expérience du département de Meurthe et
Moselle, quelques indicateurs concernant l’activité VVV dans le département doivent
être communiqués afin de favoriser la compréhension du lecteur.
Ainsi, au regard des bilans 2001, nous constatons que 65 opérateurs ont participé à
l’OVVV en proposant 98 projets à 6 043 jeunes au cours des différentes vacances scolaires (même si la période estivale est celle qui concentre la grande majorité des projets). Le
bilan départemental fait apparaître les données suivantes :
14 % sont des acteurs de la prévention et de la récidive,
18 % sont des mairies,
le reste, 68 % sont des associations ; culture, habitants, sportives, MJC,... autant d’opérateurs de l’animation socioculturelle. Les associations de jeunes et entreprises d’insertion
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
sont très peu représentées (moins de 2 %). Aucune mission locale, ni établissement scolaire, ni association humanitaire n’ont participé au dispositif même s’ils sont parfois partenaires logistiques ou dans le montage du projet.
Par ailleurs, la répartition de l’enveloppe VVV modifie le poids des différents promoteurs dans le dispositif :
30 % pour la prévention
14 % pour les mairies
56 % pour les opérateurs de l’animation socio-éducative.
De même, il est important de préciser le rôle du CREAI de Lorraine dans ce dispositif, qui, sur demande de la cellule, est chargé depuis 3 ans d’assurer la rédaction du
bilan annuel de l’opération, mais également de mettre en place des processus interactifs
et participatifs entre la cellule et les opérateurs.
Ainsi, le CREAI apporte-t-il son concours dans les réflexions et l’organisation de
journées d’échanges, par exemple, en mars 2001, une journée d’échanges sur le thème
« Mieux réussir ensemble les chantiers jeunes », l’élaboration d’outils d’évaluation
du dispositif.
Une journée d’échanges engage les opérateurs dans une dynamique de connaissances des pratiques de chacun et de reconnaissance des différentes structures. Les réalités
diversifiées et les expériences permettent d’identifier des facteurs de réussite et d’élaborer des points de repères.
Par ailleurs, la cellule départementale a choisi de développer une stratégie
d’évaluation des opérations en lien avec les administrations représentatives du dispositif et un échantillon d’opérateurs, finalisée par le CREAI en juillet 2002 par un
cahier des charges départemental et des formulaires de présentation de projet et de
bilan de l’action réalisée.
Cet outil représente non seulement un outil d’évaluation pour le département, un
outil d’auto-évaluation pour l’opérateur et un outil pédagogique d’accompagnement
des opérateurs vers une démarche de projet.
Des Associations s’engagent
La première impression, au cours des échanges, et à la lecture des questionnaires, est que
l’engagement des associations est réel et leur motivation vive.
Beaucoup d’opérateurs participent depuis de nombreuses années aux opérations VVV,
certains depuis le début, d’autres depuis 10 ans avec cependant de nouveaux participants au dispositif depuis ces 3 dernières années.
Les motivations de ces opérateurs se rejoignent autour de valeurs citoyennes en
visant la responsabilité et l’amélioration des comportements des jeunes.
Chacun, avec son niveau de compétence, et ses ressources espère ainsi contribuer à trouver des réponses aux « maux » qu’il constate et déplore, ce que l’on pourrait résumer en
utilisant l’expression qu’ils utilisent le plus fréquemment, « le désœuvrement des jeunes ».
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Quartiers en Vacances
La majorité de ces opérateurs parmi les plus anciens note des caractères d’évolution
dans leurs motivations. Ils notent des phénomènes de mutation dans leurs projets qui
relèvent une plus grande recherche éducative.
Ainsi, à des propositions d’activités qualifiées d’« activités de consommation » on serait
passé à d’autres formes d’objectifs au cours de ces 20 années.
Si ces activités demeurent, elles diminuent en nombre et cèdent la place à des projets
incluant des notions de contractualisation (non obligatoire, si elle existe peut-être écrite,
orale, situant les acteurs et leur place, des objectifs,...) et de contrepartie. La contrepartie
peut être des activités, des loisirs, des séjours ou une rémunération ou une capitalisation,
ou un stage. Toutefois, un chantier peut s’organiser sans contrepartie.
Les chantiers deviennent majoritaires parmi les propositions du département par
rapport à l’ensemble des projets d’actions proposés. Nous précisons l’utilisation de cet
outil dans le paragraphe : « Une dynamique autour des projets chantiers » (p. 156)
De manière sensible, on identifie le souci des opérateurs de mieux cibler les publics et de
créer des projets plus durables. Ainsi, nous notons une progression des projets annuels
ou portant sur plusieurs périodes de vacances (20 projets), suite à la circulaire 2001 soulignant l’intérêt de projets sur l’ensemble des périodes de vacances scolaires. Également
conscients qu’ils ne peuvent répondre à tout de façon isolée, les opérateurs sont en
recherche d’échanges, de réflexions et de partenaires pour faire évoluer leurs actions.
Afin de préciser l’effort de recrutement du public par les opérateurs, nous reprenons les
éléments de bilan départemental :
- 67 % des projets recrutent une partie de leur public VVV en dehors de leur structure :
- 20 % des jeunes accueillis ne sont pas la clientèle des opérateurs dont 14 % représentent la population cible VVV.
Les moyens de recrutement sont multiples et les opérateurs utilisent plusieurs
moyens de communication :
- 33 % des opérateurs réalisent un travail de terrain leur permettant d'aller à la rencontre des jeunes, dans la rue, les quartiers. Ceci est pour eux un moyen d'attirer des jeunes
qui fréquentent peu les structures d'animation, de les interroger sur leurs souhaits en
matière de loisirs et de les inviter à participer, en amont des activités, à la réflexion et à
la préparation du projet.
- Pour 28 % des projets, c'est l'attractivité des programmes et le bouche à oreille qui suscite la participation des jeunes
- 24 % des opérateurs ne cherchent pas à cibler le public en difficulté et recrutent par voie
de presse, de tractage, ou d'envoi de leur programmation à leurs adhérents.
- Seuls 10 % des projets ont fait l'objet de partenariats avec les acteurs de la prévention
de la délinquance et de la récidive.
- 23 % des projets ont recruté les jeunes avec l'aide d'autres partenaires institutionnels ou
associatifs qui généralement favorisait la diffusion de l'information sur les programmes…
- 16 % des opérations donnent lieu à une communication un peu plus ciblée vers les
quartiers de la politique de la ville sans donner lieu pour autant à un travail de rue ; cette
communication est réalisée en général par affichage, tractage, distribution de courrier
dans les boîtes aux lettres, dans les établissements scolaires et quartiers visés.
- 8 % ont recruté parmi un public fidélisé grâce aux précédentes opérations VVV.
- 5 projets ont été réalisés suite à une demande spontanée des jeunes, les promoteurs
n'ont donc pas cherché à recruter.
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
- deux projets ont fait l'objet d'une recherche de recrutement ciblé sur la population féminine par une adaptation du programme d'activité.
Les difficultés de recrutement :
Les difficultés de recrutement sont évoquées par 30 % des opérateurs.
Ils identifient plusieurs niveaux de difficulté :
- le premier niveau concerne le difficile renouvellement du public pour deux raisons :
d'une part, l'existence de groupes constitués avec leurs systèmes de règles et de codes
favorisant leur identification au quartier, au groupe et rend relativement inaccessible les
activités pour les nouveaux ; d'autre part, et à l'inverse, c'est la stigmatisation de ces
mêmes groupes qui entraîne une méfiance de la part des parents et des jeunes euxmêmes, et un refus de mixité sociale ou inter quartier.
- le second niveau concerne les activités comme étant un frein à l'adhésion de certains
jeunes et notamment ceux rencontrant le plus de difficultés. Ces freins portent soit sur la
nature des activités soit sur leurs modalités de mise en œuvre ; ainsi nous avons relevé
les activités sportives et culturelles, les actions de proximité, l’activité chantier demandée en contrepartie des loisirs, l'absence d'activités de consommation. Parfois ce ne sont
pas tant les activités en elles-mêmes qui font obstacle mais plutôt leurs modalités :
Moyens mis en œuvre pour recruter le public VVV
Moyens d'attraction du public
Nb. de projets
%
travail de terrain
32
33 %
attractivité du programme/bouche à oreille
28
29 %
communication large tract, presse,
24
24 %
via d'autres partenaires
23
23 %
communication ciblée (dans les écoles,
dans les quartiers ciblés,...)
16
16 %
création/via un lieu accueil ados
11
11 %
via les acteurs de la prévention
de la délinquance et de la récidive
10
10 %
fidélisation des jeunes
8
8%
rencontres avec les familles
6
6%
jeunes sont venus demander d'eux-mêmes
5
5%
programme spécifique/fille
2
2%
Non-réponse
19
19 %
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Quartiers en Vacances
le mode de fonctionnement du CLSH, les activités hors quartier, les chantiers avec
contrepartie loisirs plutôt qu'une rémunération, un investissement demandé sur le long
terme, ou à l'inverse des actions de courte durée sont identifiées comme des obstacles à
l'adhésion de certains jeunes.
- le troisième niveau concerne le refus par certains jeunes d'adhérer à des activités structurées, encadrées et au système de règles de vie collective qui y est associé.
- le quatrième niveau concerne la difficulté de toucher les publics ciblés par le dispositif :
les jeunes les plus marginalisés restent dans leur isolement ; pour certains opérateurs, le
dispositif VVV n'apporte pas de réponse adaptée.
- le cinquième niveau concerne la concurrence produite par l’existence d'autres structures proposant des activités de loisirs sur les mêmes périodes.
L’engagement des opérateurs se traduit par le niveau de participation accru des jeunes
aux projets dans la réflexion préalable, dans le choix des activités, dans l’organisation
et gestion du budget de l’action et l’évaluation des activités, ce qui infirme l’évolution
du champ de compétences des opérateurs et de leur réelle volonté de s’inscrire dans la
démarche VVV. Sur ce même registre, nous notons l’effort consacré à l’association des
familles par le biais de réunions d’information, de séances de préparation et d’organisation, d’autant qu’un tiers des projets engagent la responsabilité des parents et des jeunes par la signature de contrat tripartite énonçant les droits et devoirs de chacun. Les
familles participent également bénévolement à l’encadrement et à divers services
(transport, préparation de repas, manifestation) et sont invitées à la clôture de chantier
et au bilan d’action.
Une dynamique autour des projets chantiers
Nous venons de citer le chiffre de 67 % qui représente la part des activités Chantiers dans
l’ensemble des activités proposées.
La présence de ce type d’activité est prégnante et constitue un repère pour bon nombre
d’opérateurs.
Il nous a semblé opportun de nous saisir de ce que représente cette action sur le
département de Meurthe et Moselle en partant de l’hypothèse que la valorisation de
ces chantiers a été une source d’évolution dans l’implication et les motivations des
associations VVV.
Si l’objectif du dispositif n’est vraisemblablement pas une modélisation monolithique de
ce type d’activité, on comprend néanmoins que l’activité chantier favorise une dynamique qui rejoint les motivations initiales des associations dans la promotion de valeurs
citoyennes.
Certains opérateurs n’hésitent pas à expliquer comment cette activité a contribué au
passage d’une image « d’organisateur de loisirs et de voyages » vers une image plus proche de leurs objectifs de départ davantage liés à la responsabilité et à l’amélioration des
comportements des jeunes.
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
En effet, les chantiers correspondent à une volonté de faire émerger des projets et des
valeurs au sein de groupes de jeunes afin de permettre de développer la capacité de
mener un projet ensemble, avec et malgré leurs différences [37].
Outre, l’intérêt évident que l’on pressent autour de cet objectif, c’est toute la dynamique
de réflexion qui y est rattachée qui nous intéresse à travers la thématique « place et engagement des associations dans le dispositif VVV ».
Il est sans doute nécessaire de parler de la transformation de l’image des opérateurs dans
le regard des jeunes et celui des quartiers que cette activité a produite. Outre le fait d’être
apparenté à une organisation de loisirs, certains commentaires moralisateurs relèvent le
paradoxe de « favoriser des jeunes qui ne le méritent pas ! ».
Cette donne existe et bien que contestable et réductrice, cette pensée de « l’homme
de la rue » doit être prise en compte dans les stratégies de communication.
La mise en place des chantiers a contribué à transformer cette appréciation négative en donnant à voir d’autres attitudes de la part des jeunes et en provoquant des
rencontres entre jeunes et adultes qui pouvaient s’établir à partir de connaissances
mutuelles, même si ces rencontres demeurent ponctuelles, elles peuvent contenir le
ferment d’interactions nouvelles et positives.
C’est à ce titre aussi que ces chantiers sont intéressants tant ils sont en mesure de créer
des situations de rencontres singulières et de ce fait, de mettre en mouvement le monde
des représentations et des réflexions.
Pour les opérateurs, ces chantiers sont des lieux d’expériences multiples qui produisent au sein des associations des évolutions de cadres de pensée.
Interrogés sur leur évolution, les opérateurs VVV sont unanimes pour affirmer l’évolution de leurs modes opératoires :
- en rappelant la nécessité croissante d’établir des liens avec des partenaires.
- en questionnant leurs fonctionnements, y compris leur volonté d’intégrer dans
leurs réflexions les jeunes et leur famille dans l’idée de « plutôt que de penser pour,
penser avec ! ».
- en ouvrant le champ de leurs questionnements qui se révèle être toujours plus vaste
à des thèmes tels que les relations intergénérationnelles, l’individualisme et l’intérêt
collectif.
Prenant en compte les risques de la contrepartie, et la valeur du travail réalisé, on
ne peut pas être dans du « faire pour faire ». Au contraire, l’activité doit être porteuse de
sens, affirment plusieurs responsables d’associations.
Sur cet exemple de chantier, on pourrait conclure sur un concept émis par les membres
d’un des ateliers de la journée d’échanges « Mieux réussir ensemble les chantiers jeunes » qui avait réuni 70 associations du département
« Pour vous qu’est-ce qu’un chantier réussi ? » :
« Un chantier réussi, c’est quand tout le monde connaît les règles du jeu, sa place, ses
obligations, ses gains et en partage le SENS ».
[37] 70 associations présentes à l’organisation de la journée « Mieux réussir ensemble les chantiers jeunes ».
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Quartiers en Vacances
Les besoins des jeunes, les motivations
des opérateurs, les activités ont évolué…
et les compétences des opérateurs
Interrogés sur ce thème, les opérateurs déclarent que leurs compétences en interne ont
évolué avec les besoins du public qu’ils ciblaient ou qu’ils accueillaient et que leurs
besoins d’adaptation portent sur trois types de compétence :
1. Une compétence éducative : l’encadrement des jeunes.
2. Une compétence technique : l’encadrement des activités.
3. Une compétence organisationnelle : l’encadrement de l’action inscrite dans le dispositif.
Globalement, les opérateurs ont su trouver des moyens pour développer à minima les
compétences nécessaires pour « faire face ».
Certains signalent qu’ils ont pu, avec les moyens qui leur étaient alloués, procéder à des
embauches :
- d’emplois jeunes
- de vacataires spécialisés
- de personnel qualifié
- d’animateurs.
On imagine que dans ces cas, les associations ont pu créer une plus value sur leur
champ de compétence.
En revanche, les petites associations les plus éloignées du champ de la prévention de par
leur finalité et leur public habituel doivent fournir un effort d’adaptation important tant
sur le plan éducatif qu’organisationnel. C’est pour elles que les besoins en soutien, de
formation ou de mise à disposition de personnel qualifié sont les plus criants. Parfois,
des mises à disposition de personnel ad hoc sont devenues possibles mais il n’en
demeure pas moins que des difficultés subsistent.
On peut noter pour compléter l’inventaire des besoins et des manques que la plupart des
opérateurs n’ont pas reçu d’appui financier pour entreprendre des formations à destination de l’encadrement.
Ils ont tout au plus pu bénéficier de réductions sur le montant de certaines formations
ou d’appuis techniques proposés par la cellule.
Il y a des efforts consentis, certes, mais semble-t-il insuffisant au regard des besoins et de
l’ambition de qualité qui anime les opérateurs.
Cette « ambition de qualité » est peut-être la nouvelle donne de ce dispositif né dans
l’urgence et qui, au fil des années, est entré davantage dans la professionnalisation.
La lecture des directives nationales et du cahier des charges de la cellule départementale
révèle cette ambition de qualité, ce qui suscite parmi les opérateurs des interrogations
sur le décalage qu’ils constatent entre conception des instances administratives et organisationnelles et les réalités du terrain.
Néanmoins, depuis quelques années, la cellule départementale interroge les opérateurs,
chaque année, sur leurs besoins de formation, question incluse au moment du bilan d’action. La cellule restreinte étudie ces demandes et facilite la mise en œuvre de réponses.
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
Le développement de projets ne s’improvise pas et la question cruciale reste posée :
- de l’amélioration de la qualité et de la technicité au profit d’un public reconnu difficile
voire très difficile
- sans moyens alloués au développement de nouvelles compétences.
Tout cela produit une équation difficile à résoudre.
Cependant, des alternatives au manque de moyens existent, qui peuvent ouvrir des
voies de résolutions ponctuelles par le développement de liens de partenariat, de transferts de compétence, de mutualisation de moyens. Certains opérateurs ont réussi à activer ses différents moyens.
Ces pratiques ont des effets positifs à différents niveaux mais sont exigeantes dans leur
organisation fonctionnelle et nécessitent des niveaux de coordination et concertation
locales efficientes.
Même si ces alternatives au manque de moyens permettent de gérer au mieux les ressources de chacun et d’un collectif, elles ne peuvent se substituer aux nécessités de
formation dès lors qu’un dispositif est amené à gérer la complexité.
Il convient d’ajouter le rôle de conseil méthodologique sur le montage de projets et les
ponctuations en fonction de territoire, de dispositifs connexes et de partenariats spécifiques que la cellule restreinte en Meurthe et Moselle mobilisent de manière à introduire
la cohérence sur ce champ des politiques de la ville.
La question de la reconnaissance
Les opérateurs sont engagés et motivés, nous l’avons constaté au cours des entretiens et
dans les renseignements fournis à partir des questionnaires.
« Engagement et motivation » posent la question de la reconnaissance des associations
au sein du dispositif VVV, nous l’avons reprise lors de notre enquête.
Comment la vivent-elles ?
Que peuvent-elles dire de leurs relations avec les politiques ou les professionnels ?
Les opérateurs associatifs se définissent comme des « pierres angulaires », des « pivots »,
des « chevilles ouvrières » du dispositif et en cela ils se sentent reconnus dans leur rôle
sur le terrain.
La reconnaissance leur est témoignée par :
- la confiance et l’indépendance accordées
- l’aide financière quand elle est équitable
- le soutien logistique et l’appui au moment où ils déclarent en avoir besoin
- le partenariat demandé quand il s’impose.
Ces marques de reconnaissance émanent surtout, du point de vue des opérateurs, des
collectivités locales qu’ils considèrent comme leurs partenaires privilégiés.
En revanche, certains vont jusqu’à déclarer qu’ils sont mal reconnus et relayés par le secteur de la prévention lorsqu’il est présent puisque par ailleurs, « les professionnels de ce
secteur n’interviennent pour ainsi dire jamais sur certaines zones géographiques où
pourtant des besoins existent ».
Page 159
Quartiers en Vacances
Les bilans 2 000 et 2 001 corroboraient ces propos. Ainsi, les mairies ont apporté leur soutien à plus de trois projets sur quatre, autant sur plan financier que logistique, alors que
la prévention spécialisée appuyait moins d’un projet sur cinq.
Défaut de communication? Manque de moyens des professionnels? Refus de collaboration?
Mais la véritable attente des opérateurs associatifs se situe au niveau financier.
Le saupoudrage des moyens actuels, s’il a le mérite de satisfaire a priori un grand
nombre d’opérateurs, a le défaut de réduire les sommes allouées et la satisfaction des
besoins. Cette question renvoie à celle de l’évaluation et de la définition des critères de
validation des projets qui donnent lieu avec beaucoup d’intérêt à création d’outils partagés en Meurthe et Moselle.
Les associations sont installées dans l’univers du concret, elles déclarent obtenir
dans de nombreux cas la reconnaissance des élus parce qu’ils sont leurs partenaires
directs et qu’ils s’engagent à leurs côtés.
Constat bien sûr nuancé dans certaines communes où la communication entre les élus et
le monde associatif connaît quelques tensions conjoncturelles ou durables.
Elles « sont conscientes des enjeux de leur implication » confirme la cellule VVV et, de
ce fait, elles attendent les moyens des institutionnels pour fonctionner plus efficacement
face à une tâche difficile (dont la difficulté est reconnue par tous). Alors, c’est à nouveau
la question du sens qui est posée à travers ces besoins concrets de moyens non satisfaits.
Ainsi, le constat que la médiatisation des actions soit moins tapageuse, plus modeste
qu’au début de l’opération, semble être peu gênant pour les opérateurs qui sont entrés avec
les politiques dans des relations plus fonctionnelles que symboliques. On constate ainsi que
les absences d’opérations médiatiques d’envergure ne créent pas de déficit de reconnaissance alors que l’absence d’appui financier ou de coopération directe induit ce sentiment.
L’organisation du dispositif local
Si l’appui des élus semble être favorable aux opérateurs, les manques repérés concernent
leur participation à des instances de concertation et de coordination locales qui
aujourd’hui font défaut ou semblent avoir disparu quand elles ont fonctionné.
Il s’agirait là d’un chaînon manquant identifié comme indispensable. Certains n’hésitent
pas à déclarer que « ce manque fragilise le dispositif » et que leur souhait serait de
« construire un partenariat fondé sur un contrat moral fiable entre les partenaires ».
De ce fait, certains opérateurs se tournent vers la cellule afin d’obtenir par son intermédiaire un niveau d’organisation, d’arbitrage et de régulation.
Il semblerait que cette insuffisance de coordination locale, même si elle apparaît comme
exemplaire en Meurthe et Moselle, conduisent les opérateurs à vivre des situations de
perte d’énergie alors que les ressources sont limitées. Ressources en terme de moyens
humains, compétences, matériel, réflexion.
Ainsi, les propositions d’échanges de pratiques sont formulées afin de faire évoluer
les projets tant dans leur nature que dans leurs objectifs et par là même de promouvoir
l’innovation préconisée.
La demande des opérateurs est de devenir une force de proposition dans une politique
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
territorialisée de la jeunesse qui aurait le mérite d’être transversale et de relier les différentes instances œuvrant dans leur secteur géographique ou institutionnel.
Les associations seraient ainsi motivées pour pérenniser l’action VVV mais avec une
attente qui les conduirait à rechercher dans l’avenir une meilleure efficacité du dispositif.
CONCLUSION
Les associations consultées à l’occasion de cette étude ont toutes confirmé leur souhait
d’être partie prenante d’une réflexion sur le devenir du dispositif et sur ses infléchissements nécessaires.
Notre implication plus particulière dans l’observation de ce dispositif en Meurthe
et Moselle ne nous autorise pas à généraliser des constats à tonalité plutôt positive.
La dynamique engagée ici ne se retrouve pas, à notre connaissance, dans les départements voisins. Qu’en est-il des autres régions ?
L’optimisme et l’engagement des acteurs restent d’ailleurs toujours nuancés.
Nous avons vu naître un dispositif il y a 20 ans. Peu d’associations peuvent témoigner
de cette histoire sinueuse.
Passée l’excitation du début de l’aventure avec les remous des passions, les constructions « brouillonnes » et aléatoires, les engagements et les retraits, arrive le temps où l’on
se pose la question « qu’avons-nous fait de nos 20 ans ? ».
Comment voit-on l’avenir de cet édifice qui, à l’image de son public, est précaire, fragile
et imprévisible ?
L’ensemble des opérateurs déclare tenir à la pérennité de ce dispositif avec l’idée
que l’opération VVV est un « révélateur » (selon l’expression des opérateurs) à la fois
des besoins du terrain mais également du type de moyens et de la nature des interventions à mettre en œuvre. Et c’est là dans les modalités expérimentées par les opérateurs
qu’ils insistent sur la pertinence de l’intervention pluridisciplinaire quand elle est
coordonnée.
Cela nous conduit à penser que si les opérateurs VVV souhaitent la pérennisation du
dispositif, cette opération doit faire l’objet de « modélisation » dépassant son cadre initial « pour intégrer, dans d’autres opérations, les constructions originales que l’OVVV
a conçu ».
Les opérateurs souhaitent de nouvelles organisations qui restent à inventer avec des
moyens adéquats pour que cette opération trouve son second souffle.
Pour beaucoup d’entre eux, la question de la démarche évaluative apparaît comme
un élément organisateur d’avenir.
Ainsi, l’action conduite évaluée, peut être répétée, transformée ou abandonnée.
La question de l’innovation elle-même est contenue dans celle de l’évaluation.
L’innovation systématisée n’est pas plus porteuse de sens que la répétition systématique.
Et si l’on n’élabore pas les outils pour apprécier l’impact d’une intervention, on peut être
dans la systématisation et la banalisation.
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Quartiers en Vacances
Évaluation et innovations sont complémentaires.
Autre attente forte des opérateurs associatifs : l’instauration d’une politique locale de la
jeunesse concertée et coordonnée.
Différents paramètres concourent à garantir la qualité des projets qui touche :
- la méthodologie de conduite de projets et le besoin de l’accompagnement de certaines
structures sur ce champ,
- une communication efficace centrée sur des objectifs reconnus par l’ensemble des
acteurs impliqués,
- des critères d’éligibilité des actions définis et soutenus par la concertation, l’échange.
La Meurthe-et-Moselle a choisi 6 critères d’éligibilité des projets :
1. Associer les jeunes et/ou les parents et/ou les associations de proximité et/ou les
acteurs locaux au pilotage.
2. Recentrer sur les dimensions éducatives et pédagogiques en recherchant l’adéquation
de l’encadrement.
3. Innover, expérimenter, diversifier, rencontrer de nouveaux environnements culturels,
écologiques, techniques.
4. Ouvrir sur des thématiques d’actualité et fédérer des initiatives.
5. Coordonner la dynamique territoriale et situer l’action en réponse à des besoins
identifiés.
6. Articuler et cadrer la concertation avec d’autres dispositifs, CEL, école ouverte, ZEP, ...
- le soutien à la demande de professionnalisation des opérateurs,
- le besoin de reconnaissance des opérateurs de terrain par le quartier, la cité, les élus, les
partenaires, la cellule départementale,
- la confrontation des pratiques au niveau départemental et interdépartemental,
régionale, ...
Les opérateurs sont en quête d’une nouvelle efficacité qui passera par de nouveaux
moyens et des engagements locaux.
Certaines associations ont défini leur place « rappelant le sérieux de leur implication » et
« la garantie de cohérence » qu’elles étaient « capables d’offrir ».
L’ensemble de ces déclarations nous indique qu’entre réalisme et ambition, raison
et passion, les associations affichent leur désir de maintenir leur niveau de motivation
et d’engagement.
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Une mise en œuvre départementale, le cas de la Meurthe et Moselle
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Quartiers en Vacances
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DEUXIÈME PARTIE
Chapitre III
Des jeunes face
à Ville, Vie, Vacances
Par Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli
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Quartiers en Vacances
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
INTRODUCTION
Depuis le début des années quatre-vingt, la problématique de la prévention de la délinquance a évolué en fonction de l’histoire politique et de celle des pratiques institutionnelles. Dans les deux décennies précédentes, ce champ spécifique des politiques publiques relevait principalement de la prévention spécialisée, qui fût progressivement
désinvestie par les décideurs publics nationaux puis départementaux du fait de sa faible
visibilité et de la montée du sentiment d’insécurité chez les Français [38]. Dans le même
temps, le surgissement de la crise économique et l’épuisement de certaines luttes politiques participaient aussi à un certain « désenchantement » voire « épuisement » du travail social dans les années 1970 [39]. Les événements qui se sont produits dans certaines
cités de l’agglomération lyonnaise lors de l’été 1981 ont précipité la mise en place de
mesures d’urgence destinées à préserver la paix sociale dans les quartiers populaires
[40]. C’est ainsi qu’émerge en 1982 le dispositif « anti-été chaud » qui deviendra par la
suite « Opération de prévention été » (OPE), puis « Ville-Vie-Vacances » (VVV).
À l’origine, « cette opération fut une vaste action interministérielle visant à mobiliser les pouvoirs publics locaux sur un objectif précis et limité dans le temps : réaliser
pendant l’été des actions variées, d’animation locale et de départs en vacances pour les
jeunes des quartiers ‘chauds’ « [41] . L’organisation interministérielle de cette politique
et son architecture administrative ont très peu évolué jusqu’à aujourd’hui, résistant à
l’épreuve du temps et des alternances politiques. Ce dispositif, né dans l’urgence, surprend par sa longévité. Mais la politique de la ville est l’objet de critiques de plus en plus
vives et d’un désintérêt croissant de la part de l’État. La tendance de fond des années
quatre-vingt-dix a été celle d’une imposition progressive de modèles plus répressifs,
replaçant les forces de l’ordre (police et gendarmerie) au cœur de l’action publique
locale, aussi bien par la création de nouvelles unités aux modes d’intervention plus
« musclés » (telles les brigades anticriminalité) que par la tentative de réforme baptisée
« police de proximité » Accusées régulièrement d’inefficacité, les politiques de prévention laissent la place aux politiques de sécurité, dont la mise en œuvre est plus immédiatement et plus fortement visible. Dans ce contexte, il devient particulièrement difficile
d’expliquer les difficultés inhérentes au travail social et à l’animation sociale et culturelle
développés dans le sens de la prévention de la délinquance juvénile au sein des quartiers pauvres [42]. La question du ciblage du public en est une, classique et centrale.
[38] D. Duprez, S. Body-Gendrot, L’évolution des politiques de prévention et de sécurité dans les années 1990 en France,
Déviance et société, 2001, 4, p. 377-402.
[39] F. Dubet, A. Jazouli, D. Lapeyronnie, L’État et les jeunes, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1985, p. 49.
[40] Ces événements ont été consacrés dans la presse sous l’appellation étrange de « rodéos ». Les faits observables sont
les suivants : « Voilà des jeunes, souvent d’origine maghrébine, qui volent des « voitures de riches » des B.M.W.,
qui bravent les contrôles policiers et qui, devant des dizaines de copains et de badauds, font des pointes de vitesse
et mettent le feu aux voitures sans rien y voler ou presque » (ibid., p. 57). Ces rodéos se sont reproduits plus
de soixante-dix fois cet été-là, dans ces villes de l’agglomération lyonnaise (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Villeurbanne).
[41] Ibid, p. 55.
[42] Voir par exemple : J.-P. Augustin, F. Dubet, Les fonctions sociales de l’animation,
Les cahiers de l’animation, 1975, 7, p. 19-36.
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Quartiers en Vacances
Enfin, les difficultés classiques d’évaluation des politiques de la ville (notamment la difficulté à définir un système d’évaluation fiable et partagé par des acteurs institutionnels
et associatifs particulièrement nombreux et dont les logiques d’action et les horizons
d’attente sont très divers), constituent un handicap supplémentaire pour les chercheurs
[43]. Ces derniers n’ont cependant pas d’autre choix que celui d’analyser puis de restituer la complexité du réel.
Problématique et méthodologie
VVV est un dispositif de prévention de la délinquance spécifique. Contrairement à
d’autres politiques publiques, il repose sur un triple ciblage, temporel, social et territorial. Il s’agit d’intervenir durant les périodes de vacances scolaires (essentiellement
l’été, mais plus exclusivement) afin d’éviter les situations de marginalisation et de prévenir les éventuelles conduites délinquantes des « jeunes » des « zones urbaines sensibles » Le tout dans un contexte qui ne cesse de se dégrader, ces « zones urbaines sensibles » se caractérisant par la concentration de populations cumulant des difficultés
sociales et économiques qui ne cessent par ailleurs de s’aggraver depuis un quart de siècle, y compris ces dernières années [44]. Ce lien entre territoire et population s’est progressivement complexifié avec l’élargissement du dispositif à l’ensemble des départements. La problématique du ciblage du public concerné par les risques de délinquance
et de marginalisation s’est donc orientée vers les définitions des caractéristiques des
jeunes à accueillir. Tous les textes officiels insistent sur ce ciblage, mais ils se heurtent à
des obstacles sociologiques de différentes natures. Tout d’abord, la difficulté de cerner
« d’en haut » un public prioritaire en raison de la diversité des situations locales et donc
à la nécessaire contextualisation des besoins. C’est pourquoi il est prévu que chaque cellule départementale définisse des priorités locales à la suite de la réalisation d’un diagnostic précis, par la mobilisation et le croisement des connaissances acquises par le secteur associatif et par toute personne ou organisation susceptible « de contribuer au
repérage des territoires sensibles et des publics en difficulté » [45]. Pour l’essentiel, la mise en
place du travail de repérage des publics prioritaires est donc laissée à l’appréciation des
cellules départementales, dont la composition a été voulue la plus élargie possible par
le ministère de la Ville.
Notre enquête a pour objectif de saisir les logiques de repérage et de ciblage du
public du dispositif VVV, puis d’évaluer sa mise en œuvre de ce point de vue, en allant
observer les pratiques réelles, en analysant les difficultés rencontrées et en pointant le
cas échéant des effets pervers liés à l’organisation même du dispositif. Dans ce but, il
s’agit d’interroger tous les acteurs du dispositif : les textes officiels, l’organisation d’une
[43] D. Behar, La politique de la ville mérite-t-elle d’être évoluée ? Urbanisme, 1997, n° 297.
[44] J.-L. Le Toqueux, J. Moreau, Les zones urbaines sensibles, Insee Première, 2002, n° 835.
[45] Annexe de la circulaire DIV « Ville Vie Vacances 2 001 ».
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
cellule départementale, la conception des projets par les promoteurs, et enfin le public
concerné, défini aujourd’hui comme les « jeunes en instance de marginalisation » dans leurs
logiques de fréquentation ou d’évitement du dispositif. C’est ce que nous nous sommes
efforcés de faire. Les résultats de l’enquête présentée ici ne sont cependant pas nécessairement pleinement généralisables. Pour être efficiente, l’enquête a été effectuée (de septembre à décembre 2002) dans un cadre local spécifique où l’un des chercheurs pouvait
accéder pleinement au « terrain », rencontrer les jeunes en question et les interroger de
façon formelle ou informelle, ce qui ne va pas toujours de soi. Mais les rapports entre les
jeunes visés et les opérateurs, les stratégies d’information et de communication, le degré
d’implantation et surtout l’état des relations entre les jeunes eux-mêmes sont des éléments propres à chaque espace urbain et social où se développent des opérations VVV,
quand bien même ils seraient géographiquement proches. Dans le cas qui nous
concerne, le quartier des Hautes-Noues à Villiers sur Marne diffère de celui du BoisL’Abbé dans la ville adjacente de Champigny sur Marne. Pour autant, diversité ne signifie pas non plus totale hétérogénéité, dans la mesure où certaines logiques sociales –
comme les modes de sociabilité des adolescents et des jeunes adultes – dépassent les
spécificités locales. Aussi espère-t-on que les résultats de cette recherche contribueront à
la réflexion pour l’ensemble du territoire national.
1. Les circulaires ministérielles :
Largesses et ambiguïtés dans le ciblage du public
Les circulaires qui sont envoyées chaque année aux cellules départementales informent
des orientations du ministre de la Ville au sujet du dispositif VVV. Ces textes prennent
théoriquement en compte les résultats signalés dans les précédents bilans annuels afin
d’améliorer l’efficacité du dispositif. Ces dernières années, l’accent a été mis sur la tendance du dispositif à s’éloigner des objectifs initiaux de prévention de la délinquance
des jeunes. Cette tendance reconnue par le gouvernement, ne doit pas être séparée des
critères de définition des publics visés par le dispositif Ville Vie Vacances. L’évaluation
nationale menée en 1999 [46] a mis l’accent sur le sentiment qu’ont les animateurs des
cellules départementales et les organisateurs d’actions d’animation, d’accueillir des jeunes ayant des difficultés d’insertion réelles, mais dont « la majorité » ne présente pas de
risques délinquants.
Il semble pourtant qu’une partie de ces résultats soit directement liée aux critères
ministériels de ciblage, tant ils paraissent parfois ambigus, parfois contradictoires, permettant par la multiplicité des expressions de viser un public très large. En effet, l’efficacité du ciblage et de son évaluation dépend directement des modes d’énonciation initiaux. Or, à la lecture des recommandations émises ces dix dernières années, on peut
s’apercevoir que plusieurs contradictions ou « injonctions paradoxales » ont atténué la
précision initiale du dispositif.
Dans une circulaire destinée à préciser les priorités du programme pour les années
1991, 1 992 et 1993, les consignes de ciblage concernaient les « jeunes issus principalement
[46] T. Kirsbaum, Le dispositif Ville-Vie-Vacances, Évaluation nationale,
Paris, Délégation Interministérielle à la Ville, février 1999.
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Quartiers en Vacances
de milieux urbains défavorisés (…) les plus marginalisés connus des travailleurs sociaux et des
autres responsables de la vie de la cité «. De cette définition du public émergeait une méthodologie de repérage qui marquait indirectement les difficultés de maillage que rencontraient les administrations constituant les cellules départementales. La circulaire encourageait ainsi l’ouverture de « cette instance (…) au secteur associatif et à toute personne ou
organisation susceptible par sa compétence de contribuer au bon repérage des territoires en difficulté et de proposer des modes d’action adaptés aux publics concernés ».
En 1994, les cellules départementales sont sensibilisées à la problématique de l’isolement de certains jeunes, qui éviteraient les structures d’animation traditionnelles et
seraient donc peu connus des opérateurs locaux. D’après ces injonctions, la non-fréquentation des structures par certains jeunes était assimilée à un déficit de socialisation et le
signe de risques réels de marginalisation.
À partir de 1995 et la publication de deux rapports d’évaluation, la définition du
public va sans cesse s’élargir, les expressions se multiplier et les territoires concernés
sans cesse s’élargir, ce qui aura pour conséquence de réduire la spécificité du dispositif.
Parallèlement, la cellule nationale OPE, qui commence à diffuser des éléments de méthodologie et d’expertise possible avec la mise en place d’instruments d’analyse et de centralisation de données, va permettre aux cellules départementales d’affiner leur connaissance du milieu notamment par des méthodes de repérage des publics visés.
Cependant, l’évolution des caractéristiques du public élargit le champ des possibles
pour les opérateurs. Il est d’abord demandé de multiplier les efforts concernant les filles,
très minoritaires dans les actions VVV (1 995), puis de « rechercher un équilibre dans la
mixité et la diversité, tant sociale que culturelle, des jeunes » (1 996). Parallèlement, le programme VVV est progressivement étendu à tous les départements, à des zones rurales
et périurbaines avec toutefois une priorité faite aux zones concernées par la politique de
la ville. Enfin, en 2000, le ministère a abaissé l’âge des bénéficiaires aux enfants de 11 ans
au prétexte d’un rajeunissement des auteurs de conduites à risques.
On doit enfin noter que, de façon historiquement très significative, sociologiquement et
éthiquement contestable, mais surtout ici en contradiction avec certains de ces élargissements, les formulaires d’évaluation envoyés aux acteurs de la mise en œuvre des actions
VVV comportent toujours une question sur la part des « jeunes issus de l’immigration » dans
le public touché.
L’élasticité des critères de ciblage a donc accentué les risques de banalisation du
dispositif. Ce problème était déjà montré du doigt par certains chercheurs dès le début
des années quatre-vingt-dix [47]. Mais s’en tenir à l’évolution des modes de catégorisation du public cible du dispositif n’est pas suffisant, il est nécessaire de s’interroger sur
les concepts eux-mêmes et sur la manière dont ils peuvent être appréhendés par les
acteurs locaux.
La circulaire du 30 mars 1998 demande aux cellules départementales de favoriser le
ciblage d’un public défini à partir de six expressions génériques :
- les jeunes en difficultés
- les jeunes les plus éloignés des dispositifs de droit commun
[47] Dubouchet, dir., Les opérations prévention été. Évaluation, Aix-en-Provence, Collège Coopératif Provence AlpesMaritimes, 1 990 ; Ph. Robert, dir., Les politiques de prévention à l’aune de l’évaluation, L’Harmattan, 1 991.
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
- les jeunes les plus fragilisés et les plus exposés
- les jeunes qui n’utilisent pas spontanément les activités offertes par les structures
traditionnelles d’animation
- les jeunes en voie de marginalisation
Il y a donc des rapports de situations sociales objectives qui sont créées par les textes. Les
risques délinquants sont associés à des situations de distanciation avec les structures de
droit commun. Il en est déduit que la non-fréquentation des dispositifs d’animation
serait un signe probant d’une situation de marginalisation. Cependant, l’objectif de prévention de la délinquance ne signifie pas qu’il y ait déjà eu passage à l’acte. Dans ce cas,
il s’agirait de prévention de la récidive (ce qui fait effectivement partie des priorités du
programme VVV). Implicitement, cela peut signifier que l’évaluation du public prioritaire échappe en grande partie aux institutions de traitement de la délinquance (police
ou justice) et aux structures d’animation existantes. Pour autant, il est légitime de se
demander : comment peut-on savoir que le public n’est pas visé réellement si on ne le
connaît pas objectivement ?
La circulaire 2002 envoyées par la délégation interministérielle à la Ville donne un
exemple d’injonctions contradictoires qui peuvent faire obstacle à un ciblage précis et
homogène pour les acteurs locaux du dispositif. Certes, le texte rappelle d’abord la tendance amorcée il y a quelques années à la banalisation sociale du programme Ville-VieVacances, au niveau de la diversification des publics accueillis, ce qui conduit ce programme à un « éloignement » de son objectif initial. Mais il insiste ensuite sur le fait que,
pour éviter tout étiquetage stigmatisant pour les jeunes principalement ciblés, les cellules doivent rappeler aux porteurs de projets la nécessité d’une « constitution équilibrée »
des groupes (en termes socio-économiques). De même, la participation — en progression
mais malgré tout insuffisante — des filles aux actions VVV — légitime du point de vue
de l’égalité d’accès aux loisirs — pose question. On peut en effet s’interroger sur le rapport existant entre la prévention d’un phénomène essentiellement masculin (la délinquance juvénile) et le caractère prioritaire énoncé par les dernières circulaires de la DIV
quant au ciblage d’un public féminin (objectif des 50 %). La mixité du public visé (en
terme de genre et d’origine sociale) a souvent comme conséquence, de réduire l’impact
du principe de discrimination positive, intrinsèquement lié à ce dispositif de prévention
de la délinquance.
Ainsi, il apparaît clairement qu’un certain nombre de contradictions et d’imprécisions
structurent les typologies officielles du public visé. En voici quelques-unes unes, non
exhaustives.
1- Nous constatons d’abord l’élargissement du dispositif à un certain nombre de groupes sociaux moins exposés aux risques concrets de délinquance (avec l’abaissement de
l’âge des jeunes visés jusqu’à 11 ans, le ciblage d’un public féminin, l’objectif de mixité
sociale des groupes), ce qui rend élastiques les limites de classification initiales.
2- Nous constatons également que la volonté de développer la coopération avec les services de la prévention spécialisée contredit celle de « toucher les jeunes qui ne fréquentent
pas spontanément les structures traditionnelles d’animation et non pris en charge par les services de traitement de la délinquance »
3- Nous constatons enfin que l’appellation « jeunes en voie de marginalisation », d’une part
est particulièrement floue, d’autre part fait logiquement appel aux représentations subjectives des acteurs institutionnels locaux.
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Quartiers en Vacances
4- Comme le signale justement Louis Dubouchet dans son évaluation nationale de 1993 :
il est paradoxal de constater « l’existence d’un fort degré de marginalité du jeune et la nécessité qu’il soit l’auteur de son projet »
Très souvent, les définitions du public ciblé font appel à des considérations exclusivement subjectives pour les organisateurs d’animation. Les jeunes principalement visés
sont décrits comme des individus ou des groupes à risque. Ils sont « en voie de « « en danger de «les plus exposés à » « en difficulté » etc. Autant de qualificatifs qui font appel à
une connaissance pointue du public accueilli. Il en découle que les relais les mieux à
même de fournir ces informations se situent au cœur des territoires considérés comme
problématiques et ont seuls les outils de connaissance objective des réalités juvéniles
locales. Cela pose la question de l’implantation réelle des opérateurs et de leur capacité
à saisir les réalités vécues par ceux qui sont décrits dans les projets envoyés aux cellules,
comme « jeunes en errance » ou en « risque de marginalisation ». La définition des notions
de risque et de marginalité est laissée au soin des opérateurs. Il n’existe aucun moyen clinique de mesurer les risques locaux, et de mettre en place une sélection du public pertinente, d’autant plus que les largesses contenues dans les textes officiels et la relative faiblesse des montants attribués par les cellules départementales, sont des obstacles à ce
type de démarche.
La lecture de l’appel à projet récemment envoyé par la cellule VVV du Val de Marne
est instructive à cet égard. Sa période d’envoi correspond à la période où s’est déroulée
notre enquête. En aval des recommandations ministérielles, le texte rappelle les priorités
pour l’année 2003, notamment en matière de ciblage. Ainsi, il est demandé d’accueillir
les « jeunes les plus en difficultés ne fréquentant pas spontanément les structures traditionnelles
de loisirs ». Les opérations doivent concerner en priorité les jeunes âgés de 11 à 18 ans,
ainsi que les jeunes majeurs les plus marginalisés. Puis, le document énumère un certain
nombre de caractéristiques socio-économiques dans lesquelles les promoteurs d’action
doivent s’inscrire :
- Jeunes en échec scolaire ou sortis du cursus scolaire sans aucune formation
- Jeunes psychologiquement fragiles, en difficulté d’insertion sociale
- Jeunes sur la voie de la délinquance, ayant ou ayant eu des rapports avec la justice
- Jeunes toxicomanes
- Jeunes en danger de prostitution
Ces catégories renvoient certes à des situations sociales réelles et, pour certaines d’entre
elles, assez prégnantes sur le territoire étudié. Mais il est indispensable de s’interroger
sur les capacités qu’ont les opérateurs locaux d’obtenir ces informations et d’opérer dans
la gestion quotidienne de leurs structures le ciblage du public voulu par les textes. En
outre, se pose le problème du partenariat et du partage des informations (les administrations chargées de la gestion des questions de délinquance, de soutien aux familles, aux
jeunes, les structures départementales de protection de l’enfance, de la jeunesse, de
l’éducation ou de la prévention, possèdent des éléments d’information qui ne peuvent
être échangés pour des raisons de confidentialité). On peut aussi se poser la question de
la pertinence de ces catégories qui prétendent prendre en compte des réalités locales différentes. Cette hétérogénéité dépasse le caractère national du dispositif. Le diagnostic
départemental, qui est normalement effectué par les services préfectoraux au sein de la
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
cellule plénière, ne pourra guère répondre à la multiplicité des besoins au sein d’un
même département.
Ces largesses présentes dans les circulaires ne signifient pas que les cellules ou les
opérateurs aient relégué la problématique du repérage du public prioritaire au second
plan. Il apparaît, dans la pratique, que c’est une logique de hiérarchisation des priorités
qui s’est installée. Il existe effectivement des « priorités prioritaires » qui se modifient
chaque année au gré des circulaires, qui définissent une hiérarchisation plus ou moins
explicite de ces priorités. Cette hiérarchisation reste dominée par ce que l’on peut considérer comme le cœur du ciblage : les jeunes qui ne sont pas pris en charge par les services spécialisés de traitement de la délinquance et « pas assez insérés » pour fréquenter les
structures d’animation traditionnelles, bref : ces jeunes qui se situent « aux interstices de
la prise en charge institutionnelle » [48]. Toutefois, le fait de réduire la spécificité initiale du
dispositif a pour conséquence de compliquer singulièrement l’évaluation.
2. Les cellules départementales : le difficile maillage local
Le dispositif VVV a comme particularité d’être basé sur une étroite coordination entre
plusieurs services de l’état. Les cellules départementales, véritable pivot du programme,
sont de deux ordres. La cellule plénière regroupe les services suivants :
- le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales,
- le directeur départemental de la jeunesse et des sports,
- le directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse,
- le directeur départemental de la sécurité publique,
- le commandant du groupement de gendarmerie départementale,
- le directeur des services départementaux de l'éducation nationale,
- le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle,
- le directeur régional des affaires culturelles,
- le délégué régional du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs
familles,
- le sous-préfet chargé de la sécurité routière,
- le directeur du service départemental d'action sociale,
- le ou les directeurs des caisses d'allocations familiales,
- les directeurs des missions locales,
- un magistrat du siège,
- un représentant de l'administration pénitentiaire,
- la chargée de mission départementale aux droits des femmes ou la déléguée régionale
dans sa fonction départementale
Il appartient au préfet de réunir la cellule plénière au moins trois fois par an et de rendre compte de ses travaux au conseil départemental de prévention de la délinquance
[49] (ce qui en pratique est rarement le cas).
Cependant, pour répondre à un souci d’efficacité et d’organisation, une cellule restreinte
[48] T. Kirsbaum, Le dispositif Ville-Vie-Vacances, Op. cit.
[49] Annexe technique de la circulaire 2001 relative aux opérations Ville-Vie-Vacances.
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Quartiers en Vacances
doit préparer et instruire les dossiers et les agréments des opérateurs. Cette cellule
restreinte, réunie autour du préfet dans le cadre de la mission ville de la préfecture, est
au moins composée par les représentants des trois premières administrations citées. Le
caractère partenarial du dispositif qui devrait s’exprimer lors de la cellule plénière,
assurant ainsi l’accumulation des compétences et une meilleure connaissance des réalités locales (ce qui est l’une des spécificités du dispositif) est en réalité réduit à la gestion
du fonctionnement des opérations par la DDASS, la DDJS, la DDPJJ ainsi que les services préfectoraux. Dans le département du Val-de-Marne, ces quatre institutions assurent conjointement le pilotage (la préfecture), le suivi administratif (la DDASS), l’instruction pédagogique et financière des dossiers (tous les membres de la cellule
restreinte), les visites sur site (la DDJS), ainsi que les relations avec les promoteurs
locaux de projets d’animation.
Ce fonctionnement a certes des avantages au regard des méthodes de ciblage. Les
institutions précédemment citées ont une connaissance du « terrain ». Elles réalisent des
visites régulières (mais selon nous insuffisantes) sur sites. Par ailleurs, le faible turn-over
des animateurs du dispositif favorise une bonne connaissance des opérateurs locaux et
du public qu’ils accueillent. En outre, ils sont souvent chargés, dans le cadre de la politique de la ville, de multiples missions, mais dont les champs d’action restent liés à la
prévention de la délinquance juvénile. Ainsi, en dehors des services préfectoraux, la
direction départementale de la jeunesse et des sports est une administration fortement
impliquée dans le suivi permanent des actions qui relève de son domaine de compétence. Ses agents sont amenés à se rendre régulièrement dans les territoires privilégiés
par le programme VVV. Cette connaissance des structures locales est décisive pour l’instruction des projets d’animation. Le ciblage du public est ainsi avant tout basé sur une
observation directe du fonctionnement des espaces de loisirs.
L’évaluation nationale de 1999 mettait en avant le caractère formel et fortement aléatoire du fonctionnement de la cellule plénière. L’auteur du rapport expliquait que l’investissement des administrations censées la composer au vu des circulaires ministérielles, était « proportionné à l’opportunité qu’offre le dispositif VVV de réaliser des objectifs
sectoriels des services »[50]. Les animateurs de la cellule restreinte du Val de Marne sont
parfois accompagnés de représentants de l’Éducation nationale ou de la Caisse
d’Allocations Familiales, mais leur présence est souvent liée à la présentation par l’une
de ces administrations d’un ou de plusieurs projets en instruction. Ainsi, le ciblage qui
devait relever d’un maillage territorial effectué par les différentes administrations de la
cellule plénière, ce qui constituait certainement un point fort du dispositif, est rarement
appliqué à l’échelle nationale (voir l’évaluation nationale) et notamment jamais mis en
place au niveau du Val de Marne.
Au-delà des textes officiels, qui proposent un cadre cognitif de mise en application
du dispositif, le repérage des projets véritablement ciblés relève donc d’une « cuisine
locale » qui a ses propres limites. Dans les faits, le pilotage du programme Ville-VieVacances s’effectue en trois étapes principales : l’appel à projet qui est rédigé à partir des
directives ministérielles, le partage des projets reçus et leur instruction par les membres
réguliers de la cellule restreinte, et enfin la phase de restitution qui débouche sur les sub-
[50] T. Kirsbaum, Op. cit, p. 67.
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
ventions. Cette dernière étape regroupe la cellule restreinte et les représentants d’autres
institutions concernées par des actions précises dont ils sont les promoteurs.
Pour juger de la cohérence d’un projet au regard des critères VVV, la plupart des instructeurs se font un avis sur pièce, c'est-à-dire en prenant en compte les éléments avancés
dans les dossiers par les structures de loisirs. Dans le Val de Marne, les manières d’instruire les dossiers diffèrent selon les administrations, les moyens d’information dont
elles disposent et la connaissance des acteurs et des contextes locaux (selon les missions
menées au sein de ces administrations, les personnels chargés des VVV sont plus ou
moins amenés à se déplacer au sein des espaces de loisirs concernés). De fait, chacun a
sa méthode de gestion des dossiers et de restitution à la cellule.
L’investissement des membres de la cellule départementale est souvent limité par
l’accumulation des tâches administratives, notamment pour ceux qui cumulent les missions, ce qui réduit voire anéantit les temps de visites et les déplacements sur les sites.
La représentante de la préfecture résume ainsi cette situation : « tout se passe par la Poste ».
Dans cette perspective, les moyens de vérifier si le ciblage affiché dans les projets des
promoteurs est cohérent avec le ciblage effectif, sont réduits. Que ce soit au niveau de
l’étape des appels à projet ou bien à celle du bilan des opérations, les moyens de vérification sont extrêmement limités et même les « visites de terrain » opéré la plupart du
temps par les représentants de la DDJS, ne permettent pas de vérifier si la situation
sociale, économique ou psychologique des jeunes présents correspond aux objectifs prioritaires. L’analyse des comptes rendus de visites permet de se rendre compte de ces limites [51]. Le seul chapitre concernant la nature du public accueilli (« démarche spécifique en
direction d’un public marginalisé et des jeunes filles ») est la plupart du temps renseigné par
les contours de l’implantation des structures de loisirs visitées. C’est avant tout en vertu
d’un principe de déduction intuitive, structurée à partir d’éléments de connaissance
empirique (les visites sur le terrain, la continuité des promoteurs) et par la cohérence des
projets présentés par les opérateurs, que les animateurs de la cellule départementale instruisent les dossiers qu’ils possèdent.
Ces dernières années, le ministre de la Ville du précédent gouvernement a insisté
sur l’importance d’amplifier la participation des services de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse. Ces incitations à la collaboration active des services du ministère de la Justice
ont principalement été axées sur les questions de repérage du public. De fait, les moyens
mis en œuvre par la représentante de la DDPJJ du Val de Marne sont intéressants, et ce
à plusieurs points de vue. Tout d’abord, les projets menés par ces services sont par définition ciblés. Mais l’intérêt principal de la démarche de la DDPJJ renvoie aux méthodes
et aux moyens d’instruction des projets de la cellule départementale. Parallèlement à
l’étude de la cohérence des documents émis par les opérateurs, l’instruction se base sur
la recherche d’informations locales recueillies en partie par les relais territorialisés que
sont les CAE (centres d’action éducative), dont les éducateurs mandatés opèrent un travail de suivi individuel qui s’appuie sur une bonne connaissance du contexte local.
Ce type d’informations recueillies et croisées avec celles des autres membres de la
cellule peut permettre de repérer la réelle implantation des opérateurs. Ces méthodes
[51] Ces visites ne se réduisent évidemment pas à la vérification des démarches effectuées auprès des publics visés.
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Quartiers en Vacances
donnent des indications sur la place occupée dans le champ de la prévention sociale par
des structures d’animation qui fonctionnent sur la base de l’accueil, donc à partir d’une
démarche individuelle ou collective d’appropriation de l’espace de loisirs par les jeunes.
3. Opérateurs et jeunes :
barrières relationnelles et limites institutionnelles
Au regard de l’organisation verticale du dispositif, l’opérateur est le garant institutionnel de l’efficacité de la prévention. Véritables pivots, les opérateurs sont libres de poser
leur propre diagnostic et de s’auto évaluer. L’opérateur contrôle toute la chaîne qui va
de « la prescription jusqu’au traitement et à son évaluation ». En l’absence d’outil de diagnostic fiable, on est en droit de se demander en fonction de quels critères de marginalité, de quels risques concrets et de quelles urgences situationnelles les choix s’effectuent. En fait, « un système de diagnostic implicite fonctionne et le dialogue qui s’établit au
sein d’une équipe, lorsqu’il existe, garantit un minimum de cohérence dans les choix de prise
en charge »[52].
Cette liberté d’action ne signifie pas que le dispositif VVV soit réduit à de l’animation ouverte à tous. L’enquête menée auprès des opérateurs et des participants des activités de Villiers-sur-Marne montre que le public accueilli correspond en grande partie
aux caractéristiques mises en avant dans les textes ministériels (par rapport au public
prioritaire : les jeunes à risque). Une bonne part des jeunes qui ont participé à ces activités sont les auteurs réguliers de délits mineurs rarement sanctionnés par la loi.
Certains sont cependant connus des services de police et/ou suivis par la justice. Or, la
connaissance de ces informations est impossible à certains promoteurs d’actions VVV
(notamment municipaux) qui, dans le meilleur des cas, obtiennent des renseignements
sur l’état civil et l’origine résidentielle à partir des quelques feuilles d’inscription
recueillies [53]. Il existe donc une contradiction entre le discours officiel du ciblage des
« jeunes en difficultés » et les pratiques de fonctionnement quotidien des opérateurs
locaux, en sachant que l’implantation d’une structure d’animation, qui dépend largement de la connaissance du contexte et des rapports avec les jeunes concernés, varie
d’un espace à l’autre [54].
Une autre des priorités, qui apparaît de manière récurrente dans les circulaires
ministérielles, concerne le critère de non-fréquentation des structures de loisirs. L’idée
sous-entendue est que les jeunes les moins présents dans ces espaces seraient moins
socialisés et présenteraient des risques plus importants de délinquance. Ce critère ne
peut constituer une priorité objective de ciblage d’un public potentiellement marginalisé. Même en cas d’adhésion à cette idée (qui reste à prouver), l’objectif est en contradiction avec les pratiques d’accueil des opérateurs. Dans la plupart des cas observés (donc
[52] L. Dubouchet, Opération Prévention Été, évaluation, réflexion, méthode, Paris, DIV, 1 993.
[53] Ce qui pousse à s’interroger sur les méthodes de remplissage des projets d’animation et des bilans de ces actions,
où apparaissent des statistiques sur la fréquentation d’autres structures de loisirs, sur la réalité des conditions de vie
de ces jeunes, sur les risques de marginalisation qui les menacent, etc.
[54] Les capacités à maîtriser ces paramètres renvoient d’une part à l’implantation locale de l’opérateur et d’autre part à
la configuration urbaine et démographique du territoire concerné. Les difficultés de maillage augmentent objectivement
dans les lieux à forte densité de population.
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
non exhaustifs), les activités proposées visent principalement la clientèle régulière de ces
structures de loisirs, les démarches de communication ne garantissant pas l’accès à l’information chez les jeunes qui se tiennent en retrait des centres d’activités. Même lorsque
les opérations de communication sont efficaces, la non-participation d’une grande partie de jeunes reste importante. Cela constitue assurément les limites du dispositif, dans
la mesure où l’évitement des opérations d’animation ne renvoie pas cette fois à des dysfonctionnements institutionnels mais à des logiques relationnelles complexes et spécifiques à chaque lieu. Les entretiens menés auprès de plusieurs groupes d’adolescents permettent de saisir certaines de ces logiques d’évitement à l’œuvre (voir ci-dessous
l’analyse des trois logiques d’évitement).
Il existe plusieurs types d’opérateurs Ville Vie Vacances. En 2000 [55], les opérateurs
institutionnels (CAF et offices municipaux, dont MJC et centres sociaux) représentaient
près de 50 % de l’offre totale d’activité, les institutions spécialisées dans la prévention de
la délinquance et de la récidive encadraient environ 12 % des opérations, les associations
culturelles et de loisirs environ 27 % et, enfin, les associations « de jeunes et d’habitants
» animaient environ 7 % des actions du dispositif. Outre les services spécialisés, dont les
structures de fonctionnement intègrent cette dimension de ciblage, les différents types
d’opérateurs ne garantissent aucunement un maillage efficace (même si l’on ne peut pas
mettre sur un pied d’égalité d’un côté les MJC et les centres sociaux implantés dans les
territoires prioritaires, et de l’autre les services municipaux qui s’adressent à toutes les
couches sociales).
À Villiers sur Marne et Champigny sur Marne, les actions proposées en 2001 et 2002
émanent des services municipaux et des centres sociaux. La lecture des archives préfectorales sur plusieurs années confirme cette tendance déjà ancienne. Les démarches de
ciblage du public prioritaire avancées par ces opérateurs sont de deux types. Les services municipaux mettent systématiquement en avant les relations partenariales entretenues avec les éducateurs du club de prévention, alors que le centre social, fort de son
implantation dans la cité des Hautes-Noues [56], met l’accent sur la connaissance du
contexte local et du travail en amont des animateurs permanents, tout en insistant sur le
ciblage conjoint opéré avec les assistantes sociales du quartier.
Ce qui ressort à la lecture de tous ces dossiers, et ce sur plusieurs années, c’est l’impression de « déjà lu », où la gestion des dossiers renvoie à une certaine routine administrative. En l’absence de moyens d’effectuer un ciblage précis et efficace, les promoteurs anticipent les attentes des animateurs de la cellule, qui, conscients de ces difficultés
et limités par des moyens de fonctionnement insuffisants (Comment vérifier les capacités réelles de ciblage de 300 projets par été?), financent des projets qu’ils jugent cohérents
sur documents. Or, en pratique, plusieurs problèmes concrets surgissent rapidement.
Suivant l’organisation et le fonctionnement de la structure de loisirs, il est plus ou moins
possible d’opérer un filtrage des participants aux activités.
Si un jeune veut participer aux animations, il est censé remplir une fiche d’inscription et
s’inscrire à temps aux actions à places limitées. En pratique, ce sont souvent les premiers
[55] Bilan des opérations Ville-Vie-Vacances, 2000, DIV.
[56] Grand ensemble de 6 000 habitants faisant l’objet d’un grand projet de ville.
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Quartiers en Vacances
inscrits qui sont les premiers servis (Espace jeune du centre social des Hautes-Noues), ce
qui limite aux plus malins et aux plus rapides la garantie régulière de participer aux activités les plus convoitées. Mais dans certaines structures (service des sports, notamment
l’activité football en salle), une frange importante de jeunes n’a pas rendu la feuille d’inscription, rendant ainsi impossible toute évaluation écrite a posteriori. Dans des cas plus
rares, certains opérateurs bénéficiaires de subventions liées au programme Ville-VieVacances adoptent eux-mêmes des stratégies de sélection et d’évitement du public prioritaire (comme la proposition d’activités impopulaires auprès des jeunes de quartier de
relégation : mini-golf, squash, base-ball le matin, etc..) avec parfois pour dessein de s’assurer une relative tranquillité.
En fin de compte, le ciblage dépend des capacités et des possibilités des jeunes à
s’approprier les espaces locaux d’animation et à adhérer à la programmation proposée
(il est rare que les jeunes participent à l’élaboration des grilles d’activités). Ces démarches
sont davantage d’ordre collectif qu’individuel, elles dépendent d’une dimension sociologique rarement prise en compte dans ce type d’évaluation, à savoir les relations entretenues entre les différents groupes de jeunes au niveau du quartier et de la ville. C’est assurément
un enjeu fondamental dans la problématique du ciblage du public. L’argumentation du
déficit de socialisation, fréquemment avancé afin d’expliquer les logiques d’évitement
des structures d’animation locales, tend à occulter un fait relativement banal, à savoir
l’état des interrelations qu’entretiennent les jeunes et les conséquences de l’anticipation
de l’appropriation par certains d’entre eux des espaces de loisirs. Nous n’avons pas
observé au cours de cette enquête de corrélation flagrante entre le fait que des jeunes
soient distants des structures d’animation traditionnelles et un éventuel accroissement
des risques de marginalité ou de délinquance. La plupart des jeunes délinquants pris en
charge par des structures de prévention ou par des éducateurs mandatés, ainsi que les
adolescents auteurs des désordres quotidiens qui nourrissent le sentiment d’insécurité
fréquentent régulièrement les centres d’animation de leur quartier d’habitation.
Pourquoi donc une frange non négligeable des jeunes d’un territoire jugé prioritaire,
souvent reconnue par les acteurs institutionnels locaux comme étant des groupes ou des
individus à « problème » qui « ne font rien de leur temps » à part « faire des bêtises »,
etc. évitent-ils les dispositifs d’animation qui leur sont mis à disposition et dont ils ont
conscience ? La problématique de l’information paraît secondaire dans notre enquête,
même si les jeunes n’ont pas eu connaissance des activités proposées par les voies de
communication des promoteurs, les réseaux informels de diffusion ont efficacement
fonctionné et largement compensé les limites d’implantation des promoteurs. Ce sont
donc ces attitudes d’évitement qu’il s’agit d’analyser. Cette problématique traverse le dispositif depuis le début des années quatre-vingt. Il faut parfois rechercher dans des causes banales des parts d’explication de mécanismes plus complexes. Les dizaines d’entretiens informels qui ont alimenté notre étude sont le produit d’une bonne connaissance
des jeunes et d’une implantation locale déjà ancienne, et ce pour des raisons scientifiques
et résidentielles (et parfois professionnelles). Pour connaître l’identité des jeunes et des
groupes qui n’ont pas fréquenté les activités d’été, le chercheur lancé « sur le terrain »
s’est basé sur la participation aux activités plébiscitées par une partie d’entre eux, à
savoir le foot en salle organisé par le service municipal des sports et la fréquentation des
activités de l’espace jeune du centre Charlie Chaplin aux Hautes-Noues à Villiers sur
Marne. C’est à partir de ces listes reconstituées de manière relativement exhaustive que
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
le repérage des jeunes en attitude d’évitement a pu se faire, même s’il a été difficile de
cerner ceux qui n’avaient pas quitté la ville et qui peuvent prétendre au qualificatif de
« jeunes en voie de marginalisation » ou en « difficultés ». Pour ce faire, les jeunes considérés comme tels sont les auteurs réguliers d’actes de délinquance, déscolarisés et en
errance, les membres de groupes de pairs aux activités régulièrement déviantes et les jeunes isolés fragiles et facilement influençables (ces classifications s’appuient évidemment
sur une connaissance fine des adolescents, de leurs familles et des événements qui structurent leur quotidien).
4. Trois logiques d’évitement
Les réflexions et les évaluations du dispositif VVV, notamment sur les questions de
repérage du public, ont principalement été axées par le passé sur une analyse quantitative des données. Les difficultés d’obtention d’informations précises sur la nature des
risques et sur la réalité des situations vécues, limitent les possibilités de connaissance
de l’environnement proche des jeunes. Dans une évaluation de 1993, Louis Dubouchet
pose la question du rapport entre les opérations de prévention et l’impact des « réseaux
naturels » que représentent les instances familiales et amicales de socialisation. La prise
en compte de l’environnement est reliée dans le cadre de l’évaluation du dispositif, à un
risque de remise en cause des « gains obtenus par l’OPE » lorsque les jeunes y participent et, d’autre part, lorsque ces réseaux de relation représentent des barrières d’accès
au dispositif. Ces obstacles sont analysés selon une double perspective. D’abord, lorsque la démarche de participation au dispositif VVV est la conséquence des limites des
relations personnelles. De ce type de participation « par défaut », l’auteur pointe le risque de retournement d’un sentiment de « frustration et de dépendance » à l’institution
en agressivité « revendicative voire violente ». L’autre perspective concerne au contraire
les jeunes dont le réseau de relation est plus restreint et dont le relatif isolement « s’illustre dans l’inhibition sociale et l’impossibilité de s’adresser seul à un guichet public ».
Dans ces deux cas de figure, l’auteur suggère de développer une stratégie de repérage volontariste par les professionnels afin de réduire la « souffrance morale et sociale « qui
accentue les risques de délinquance. Aborder la prise en compte du repérage du public
par ces deux prismes est nécessaire, cela permet en effet de mettre l’accent sur les limites
de l’action institutionnelle. L’enquête que nous avons menée au niveau du Val de Marne
confirme une tendance déjà signalée par des chercheurs au début des années quatrevingt-dix, où les structures d’animation se contentent d’accueillir les jeunes qui font la
démarche de s’inscrire, au détriment d’un mode de recrutement inversé, où les opérateurs vont à la rencontre du public prioritairement visé par le dispositif, à savoir les plus
marginalisés qui ne fréquentent pas ces espaces. L’enquête que nous avons menée à
Villiers sur Marne, fait apparaître un certain nombre de paramètres sociaux directement
liés aux modes de sociabilité juvénile, dont l’impact au niveau de la fréquentation des
structures d’animation n’est pas négligeable. À partir de là, il est possible de faire ressortir trois types d’évitement, qui correspondent davantage aux dynamiques internes des
groupes concernés, qu’à des défauts de socialisation ou d’intégration quelconques [57].
[57] Ce qui ne signifie pas, encore une fois, que ces situations n’existent pas par ailleurs sur le territoire étudié.
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Quartiers en Vacances
Dans un premier cas, le groupe de pairs d’appartenance (qui peut être réduit) évite
tout contact avec les jeunes du même âge au sein des espaces du quartier pour des raisons conflictuelles et concurrentielles. En raison d’un rapport de force (symbolique
et/ou numérique) défavorable, ces groupes préfèrent rester dans l’espace circonscrit de
la cité et éviter les possibilités d’interactions qu’ils pensent rapidement dangereuses :
« nous, on sait que si on va là-bas, y va y avoir embrouille. Ils nous aiment pas et nous, c’est
pareil. C’est des embrouilles de merde mais c’est comme ça. Vu que eux ils squattent toujours làbas et ben voila quoi, on préfère rester là, on discute tranquille et si on veut bouger on bouge de
la cité, de toute manière y a rien à faire (…) on sait ce qui y’a comme sport, tout ça, mais voilà
vaut mieux éviter les embrouilles. « (Hamadi, 17 ans, et Thomas, 18 ans, tous les deux en 2e
année de BEP commercial) [58].
Les causes de ces évitements sont généralement anciennes et notre étude ne permet
pas d’en reconstruire la genèse [59]. L’occupation du temps est donc différentiée, ces
jeunes préfèrent extérioriser leurs activités, en multipliant les déplacements exogènes
au quartier, ce qui a pour avantage de développer leur capacité de mobilité géographique. Pour ces jeunes, l’absence ne relève pas d’un déficit d’information, cela renvoie
davantage à un déficit de capital symbolique (Bourdieu) et à une position délicate dans
l’espace des relations inter-groupales :
« C’est pas qu’on a peur mais y en a qui sont relous (lourds) chez eux, pas beaucoup, la plupart
on se respecte, mais c’est surtout ceux qui vont appeler leurs grands frères ou je sais pas quoi »
(Peter, 19 ans, au chômage).
La notion de capital symbolique fait ici référence à la place des familles dans le
champ des réputations locales, cela renvoie aussi à l’intensité du réseau de relation
(notamment pour les jeunes fraîchement arrivés au sein du quartier). Dans cette perspective, il peut arriver que des adolescents relativement exclus socialement (difficultés scolaires, difficultés financières, etc.) se heurtent à un deuxième type de marginalisation
(généralement très dur à vivre) de nature intersubjective et locale.
Il paraît ainsi difficile, dans le cadre de l’opération Ville-Vie-Vacances, de toucher
ce type d’entités collectives, qui nécessite une approche particulière et organisée à partir de l’obtention des informations difficilement accessibles aux opérateurs locaux.
Pour saisir la seconde logique de distanciation avec les dispositifs locaux d’animation, il faut prendre en compte une des modalités du fonctionnement des groupes de
pairs en milieu populaire. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, la sociologie des
bandes et de la déviance nous a souvent présenté les entités collectives des jeunes des
quartiers de relégation comme des formes « clonés » de sociabilité. L’accent a d’abord
été mis sur les groupes à caractère déviants et délinquants, quand bien même ils ne
représentaient qu’une minorité au regard de la structure sociodémographique de ces
quartiers. Derrière le concept amalgamant de « bande », ces sociologues ont occulté la
diversité des pratiques et des dynamiques de groupes qui n’apparaissent pas forcément
« à vue d’œil ». Dans les entretiens réalisés, cette singularité des groupes s’exprime sou-
[58] Les prénoms ont été naturellement changés mais tiennent compte des origines.
[59] Dans le travail collectif consacré au suivi des opérations « anti-été chaud » au milieu des années 1985, B. Lefebvre
(1 986) constatait déjà ces peurs et ces évitements.
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
vent par le terme de « délire ». Le « délire », c’est en quelque sorte le ressort commun
qui unit les membres de la collectivité, les modalités d’action et de gestion temporelle
qui différencient les groupes entre eux, tout en assurant leur cohésion interne. Cette
expression est souvent mobilisée par les différents groupes de jeunes afin de se distinguer les uns des autres.
« Non on y va pas, les activités me plaisent pas et même l’ambiance, le délire, j’aime trop, les
potes à M. ils y vont parce qu’ils sont dans ces délires foot tout ça. Moi j’ai pas envie qu’on me
dise fait pas ci ou ça, je fais mes trucs avec les autres on fait ce qu’on a à faire et puis c’est tout.
S’ils vont au karting ou au paint-ball pour une journée comme ça, ok, mais foot en salle ou les
sorties du centre (Charlie Chaplin aux Hautes-Noues) c’est pas notre délire » (Christopher, 16
ans, collégien).
Les activités des membres de ces entités collectives dépendent ainsi de l’adéquation
entre la nature de l’offre de loisirs, l’état des relations avec les autres collectifs structurés
de la cité ou de la ville et les rapports de force qui en découlent, ainsi que de ces « délires » qui structurent le quotidien. L’un des groupes d’adolescents (14-16 ans) dont les
activités déviantes et délinquantes ne sont pas rares et qui s’était fait remarquer par son
absence dans les opérations d’animation estivale, était dans un « autre délire » cet été.
Ceux qui n’avaient pas pu partir en vacances au mois de juillet (période de fréquentation intense des animations VVV) étaient d’après eux, dans le « délire meuf », c'est-àdire occupés la journée à entretenir des relations avec leurs conquêtes féminines de
l’époque [60].
« Y avait trop de plans cet été, la cousine à M. est venue des Antilles avec deux copines à elle pendant les vacances, elle avait des copines à elle sur Paris. On a pas arrêté de tégra [expression qui
renvoie à une attitude clairement « volontariste » dans le registre de la séduction] on bougeait
avec elles le soir aussi, sinon on restait à la cité avec les autres, faire de la moto. Tu vois l’ambiance, alors le foot et les embrouilles à deux balles on a été comme ça quelques fois mais y avait
autre chose à faire » (Jesse, 15 ans, collégien).
Un autre groupe de jeunes de 17 et 18 ans a mis en avant l’inadéquation de l’offre
d’animation qui est considérée comme étant pour « les petits ».
« Y a trop de petits, ils grattent toutes les places pour les activités et comme il faut s’inscrire les
premiers on lâche l’affaire (…) J’y vais pas, sauf de temps en temps, pour faire un baby ou un
match de ping-pong comme ça, mais les inscriptions tout ça c’est fini (…) (Mamadou, 17 ans,
en apprentissage carreleur) [61].
La prise de recul peut ainsi avoir une logique générationnelle, cela met l’accent sur
le fait que la participation aux activités VVV dépend de l’adéquation entre dynamique
des priorités des groupes et possibilités d’activités.
[60] Il est évident que le temps passé pour ce type d’activité n’a pas occupé toutes leurs journées, cependant,
sans être absents physiquement du grand ensemble, une bonne partie de leurs occupations en groupe tournait autour
de cette thématique (notamment autour du problème des besoins financiers nécessaires à leurs desseins)
[61] Il faut noter que les clivages générationnels évoqués par les jeunes interviewés sont liés à l’âge de ces derniers.
Pour certains de 19 ans, le petit a 14 ans ; pour ce dernier ceux de 12 ans apparaissent trop jeunes pour rester.
La prise de recul avec ces structures locales d’animation s’effectue nettement à partir de l’âge de 19 ans. Ainsi plusieurs
classes d’âge cohabitent au sein des mêmes structures, les plus âgés délaissant les sorties quotidiennes et monopolisant
les activités proposées au sein des espaces d’accueil (baby-foot, ping-pong, billard, projection de films vidéos).
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Quartiers en Vacances
Enfin, la troisième logique d’évitement renvoie à des stratégies familiales de différenciation. Plusieurs adolescents (surtout en difficultés d’insertion sociale ou en échec
scolaire) interrogés nous ont expliqué que, malgré l’attrait qu’avaient pour eux les animations sportives proposées, le fait que ces structures soient fréquentées par certains
groupes de jeunes très stigmatisés au sein de la même cité – du fait de leurs activités
régulièrement déviantes et de leur visibilité – leur interdisait de s’y rendre. Ces jeunes
(généralement discrets, dont les parents ont des revenus au-dessus de la moyenne
locale) sont encouragés à multiplier les déplacements en dehors de leur espace résidentiel. Ces incitations qui s’accompagnent souvent de financement sont le fait de parents
qui vivent leur présence dans ce quartier de manière négative. L’argumentation des
« mauvaises fréquentations », accompagnée d’une stratégie d’encouragement à la distanciation vis-à-vis des autres jeunes du quartier, est la principale cause de la non-participation des jeunes rencontrés. Contrairement à d’autres groupes qui expriment leur
peu d’intérêt pour les activités proposées, ces jeunes connaissent et sont attirés par la
programmation des promoteurs.
« Moi je m’en fous des autres, ils me respectent je les respecte si j’y vais c’est pour le foot en salle
c’est tout, les tournois, mais ma « dareune » [ma mère] elle veut pas que j’y aille, elle flippe des
gars « cheulous » [louches], des embrouilles, elle croit qu’ils vont m’engrainer dans leurs délires
bizarres » (Manuel, 19 ans, 1re année de bac professionnel).
Les trois logiques d’évitement que nous présentons ici ne sont pas exhaustives.
Elles permettent de saisir les difficultés que comportent les stratégies de repérage et de
« recrutement » du public VVV. Toutes les réflexions et les débats engagés au sein des
cellules départementales et au niveau national au sujet des caractéristiques du public, ne
doivent pas être séparés d’une étude des contextes locaux.
Dans chaque cas rencontré, les obstacles ne sont guère liés à des problèmes d’information (même si elle peut être tardive pour les moins dotés en réseau de sociabilité). Ce
qui apparaît décisif renvoie à l’état des interactions au sein et entre les groupes de jeunes à l’approche des vacances scolaires.
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Des jeunes face à Ville, Vie, Vacances
CONCLUSION
D
epuis le lancement de l’opération anti-été chaud, puis les OPE (opération de prévention été) et enfin le dispositif Ville-Vie-Vacances, le principe plus ou moins implicite
de discrimination positive a toujours été maintenu. En apparence, les modes de catégorisation du public visé renvoient à un certain nombre de significations et de représentations. Ces expressions sont plus ou moins explicites [62], elles sont censées désigner des
réalités individuelles et collectives évidentes pour les acteurs locaux. Mais la complexité
des contextes et surtout l’évident décalage entre la réalité empirique et les modes de classification qui apparaissent dans les textes officiels compliquent l’évaluation du ciblage
du public. Les largesses qu’offrent les circulaires pour définir ces publics ne résolvent
pas les difficultés d’organisation et d’évaluation d’un repérage effectif. Ces dernières
années, certains critères reviennent avec insistance dans les textes officiels, ils se présentent davantage sous la forme d’une hiérarchisation implicite des priorités en matière de
public accueilli, que sous celle de principes de catégorisation exclusifs et précis. Cela ne
signifie pas que l’on assiste à une banalisation du dispositif de telle sorte qu’il s’inscrive
comme programme de droit commun, mais les ambiguïtés du dispositif ne facilitent
guère une évaluation efficace du ciblage des publics prioritaires. L’émergence comme
dimension essentielle (circulaire 2002) de l’objectif de mixité sociale dans la constitution
des projets d’animation, l’abaissement de l’âge à partir duquel les dispositifs sont
ouverts (dès 11 ans), la recherche de la participation plus massive des filles, réduit
davantage la spécificité des actions VVV — il ne s’agit pas là d’une critique des principes de la démarche mais simplement d’une remarque sur ses conséquences. Au-delà des
incohérences liées aux textes officiels et aux limites de l’organisation du dispositif, la participation des jeunes que l’ont peut considérer en difficulté d’insertion sociale ne dépend
pas seulement de l’efficacité des campagnes d’information.
L’adhésion à des projets collectifs s’effectue souvent de manière groupée pour les
franges les plus fragilisées socialement. Il arrive donc qu’un groupe en chasse d’autres
[63], et que la réalité des clivages et des conflits adolescents ait des conséquences directes sur la participation ou non au dispositif du public visé. L’organisation locale des
sociabilités juvéniles apparaît donc comme un élément majeur pour comprendre le rapport des jeunes au dispositif VVV, dans un lieu donné, à un moment donné.
[62] Ainsi, par exemple, le fait que les fiches d’évaluation des actions demandent le pourcentage de « jeunes issus
de l’immigration » qui y participe.
[63] Cette remarque est valable d’un point de vue générationnel, l’occupation ostentatoire des espaces d’animation
par les « grands » ou par les « petits » opère un clivage qui exclue souvent l’une des parties.
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Quartiers en Vacances
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TÉMOIGNAGE
Témoignage des opérations
Ville, Vie, Vacances
Par Philippe Castanier
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Quartiers en Vacances
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
C
omment présenter historiquement les OPE/VVV sans écrire une redite des notes
maintes fois réalisées soit à l'occasion de bilans annuels, soit pour la presse, soit pour les
cabinets ministériels à l'occasion des changements de gouvernement, soit pour répondre
aux questions des parlementaires pendant la quinzaine d'années durant lesquelles ces
dispositifs ont été accompagnés ?
Comment en effet, ne pas refaire ce qui a déjà été fait ?
Après avoir rassemblé des souvenirs, des notes et des comptes rendus d'une époque
allant de 1985 à 1999, après avoir collecté quelques éléments comme des coupures de
presse ou des fac-similés de documents illustrant le dispositif au cours des vingt années
de son existence, après avoir compilé des données statistiques et des cartes, avec l'accord
du coordinateur de l'équipe rédactionnelle, Didier LAPEYRONNIE, il a été finalement
opté pour une présentation historique en quatre parties.
La première comprend un texte (historique texte) dont les différents chapitres ou
sous-titres correspondent aux grands points significatifs du dispositif : échanges, questions récurrentes, cellule nationale, programme, dispositif, actions, partenariat, lancement, accueil des jeunes.
La deuxième partie (historique journal annexe) est un texte illustrant la première.
Elle se voulait être un mini-journal. Elle reprend en une dizaine de dates des éléments
accompagnant voire précédant les chapitres de l'historique texte (annexe II)
Le troisième morceau (historiques repères chronologiques) replace le dispositif dans
un déroulement chronologique de l'Histoire hexagonale et plus modestement dans les
moments de cette dernière, qui sont liés à la prévention et à la politique de la ville. On
retrouve ce morceau en annexe du document (annexe I)
Enfin, la quatrième partie historique illustration est composée d'éléments divers :
cartes, statistiques, coupures de presse. Ceux-ci sont parfois groupés en annexe, parfois
disséminés au cours de l'ouvrage de manière à « l’illustrer ».
Figure en annexe également une liste des sigles utilisés au long de l'ouvrage.
Je voudrais, avant d'aller plus loin, envoyer un grand salut à tous ceux qui, au plan
national comme au plan départemental ou local, ont accompagné le dispositif et pour
certains l'accompagnent encore. J'ai eu le sentiment que, quel que soit notre statut, notre
situation, notre place, le travail, souvent militant, que nous accomplissions pour les jeunes, à travers la mise en place de ces actions, constituait un lien qui nous unissait et nous
rassemblait en une grande équipe.
Des instructions nationales
Chaque année, à la fin de l'hiver ou au début du printemps (février, mars ou avril),
depuis le début des opérations prévention été, les instructions nationales étaient attendues. L'ensemble des opérateurs locaux et notamment les services départementaux
attendaient les nouvelles instructions mais encore et surtout (car les objectifs ne variaient
guère d'une année sur l'autre et le bouche à oreille fonctionnait entre le niveau national
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Quartiers en Vacances
et le niveau départemental) le montant de l'enveloppe départementale pour pouvoir instruire les projets et les financer. Ces instructions furent, comme les journées nationales
de lancement au cours desquelles elles étaient, en principe, distribuées, l'un des
« piliers » du rituel du dispositif.
On peut dire que du 23 mars 1983 au mois de février 2002 il n'y a pas eu de changement, dans la forme tout du moins, dans la parution des circulaires. Intitulées
«Programme de vacances pour les jeunes : vacances et loisirs pour tous, opération prévention été » les deux premières années (1 983 et 1 984) puis « opération prévention été »
à partir de 1985 jusqu'en 1994, elles se sont appelées ensuite «opération prévention été
pour le Xlème plan instructions pour 1994, 1 995 ». À partir de 1996 l'objet de la circulaire,
encore signée par le Premier ministre, devient : « opération ville-vie-vacances en… ».
Apparemment sans changement les instructions se sont cependant étoffées d'année
en année. Elles se sont précisées au point que contenues dans deux pages et demie au
début du programme, il a fallu ajouter, au fur et à mesure de l'entrée de nouveaux partenaires nationaux, des instructions spécifiques à chaque ministère. Cet apport de financeurs/partenaires nationaux a fait considérablement augmenter le volume des instructions : aux deux pages et demie signées jusqu'en 1996 par le Premier ministre se sont
ajoutées plusieurs pages d'éléments spécifiques et particuliers contribuant sans doute à
alourdir d'année en année un dispositif qui est devenu figé peut-être par trop d'instructions ou d'informations venues du national.
Les ajouts de départements au cours des dix premières années furent en moyenne
d’un département par an (11 en 82, 24 en 92). En matière d'extension géographique du
programme, on peut dire que 1 995 a marqué une grande rupture puisque c'est à partir
de cette année-là que le dispositif a été, d'une part, étendu à toutes les vacances pour
devenir ville-vie-vacances et, d'autre part, à la géographie de la politique de la ville à travers toutes ses zones prioritaires.
Deux périodes auront donc marqué le dispositif OPE VVV au cours de ces vingt années :
- un programme stable pendant une dizaine d'années (1982-1992) s'est accéléré à partir
de l'année 1991 (25 juin), moment à partir duquel des crédits complémentaires ont été
injectés et où de nouveaux partenaires ont été sollicités pour rejoindre le dispositif.
- un programme qui ne cesse de s'enfler en crédits, en surface (tous les départements
sont pris en compte aujourd'hui) et en instructions particulières et dérivées (comme le
PAJECOT) dans la dernière décennie.
De la nécessité de se retrouver…
Pour échanger
De nombreuses rencontres, colloques, journées ont émaillé la vie du dispositif de prévention et celle des opérations prévention été ville vie vacances. Certaines de ces rencontres, comme la toute première (novembre 1985) à laquelle participaient six cents personnes, avaient pour but l'échange de pratiques. D'autres journées furent des actions de
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
« démonstration » souvent en direction des nouveaux dirigeants financeurs… comme
nous le verrons dans le chapitre suivant.
Tous les intervenants jugeaient positifs la tenue de ces rassemblements qui permettaient
de rendre compte d’actions de l’été, d’échanger des projets, de proposer des activités et
de débattre en commission à partir d’expériences.
Déjà les questions posées en novembre 1985 se retrouveront de manière récurrente tout
au long de la conduite de ce dispositif, ainsi :
Comment les nouvelles Opérations de vacances et de loisirs appelés Opération
Vacances Jeunes, Prévention Été, Opération Anti Été Chaud pouvaient-elles se diversifier dans l’année ? Devait-on les institutionnaliser ? Comment pouvaient-elles s’intégrer
dans la vie et l’animation locale ? Comment divers intervenants et institutions qui s’intéressaient à la jeunesse pouvaient-ils collaborer dans ces opérations ? Comment mettre en
place des projets entre localités, entre régions ? Comment favoriser la collaboration entre
des services différents autour d’actions communes ? Comment les organismes qui mettaient en place des « Opérations Vacances » prenaient-ils en compte les propositions des
jeunes ? Comment contactaient-ils les jeunes dans les quartiers ? Comment faisaient-ils
participer les jeunes à la définition des programmes ?
C’est toutes ces questions que les circulaires successives aborderont et auxquelles les
acteurs de terrain essaieront de répondre.
C’est aussi dans ces manifestations que le « local » rencontrait le « national » et inversement, au cours de nombreuses rencontres de cette nature allant des plus importantes
(plusieurs centaines de participants) aux plus modestes (quelques dizaines ou quelques
unités). Au-delà de l’aspect professionnel, elles seront toujours des moments de chaleur
et d’émotion. C’est vrai que l’on y rencontrait des professionnels de l’action sociale mais
aussi et surtout des militants de l’action pour l’insertion des jeunes, des élus convaincus
de l’action de prévention et des administrations ouvertes aux problèmes de la jeunesse.
Cette action militante que l’on retrouvait à tous les niveaux portée par des acteurs de
terrain, communaux et départementaux jusqu’aux chargés de mission nationaux me
paraît avoir été l’une des clés de réussite de la mise en place de ce dispositif de prévention.
Au-delà des clivages…
Des questions récurrentes se posent.
« L’outil original et exemplaire qu’est le dispositif des opérations de prévention été sera
non seulement préservé mais encouragé et renforcé. Je proposerai à monsieur le Premier
ministre de signer une circulaire qui en rappelant les objectifs et les cibles privilégiés
pour les actions de prévention, définisse avec précision les conditions nécessaires à la
réussite des opérations été ; quelques maîtres mots doivent guider notre action : impulsion, coordination, souplesse, efficacité. Les exemples qui seront évoqués aujourd’hui
montreront la qualité des résultats auxquels il est possible de parvenir ne serait-ce qu’en
réunissant autour d’une table différents partenaires, en fixant des règles simples, en
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Quartiers en Vacances
organisant les échanges. Qui aurait misé initialement sur la réussite des stages armées,
sur l’engouement pour les activités animées par des fonctionnaires de police, sur l’impact des animations en faveur des jeunes détenus ? Le grand mérite des institutions chargées de la réflexion et de l’animation des actions de prévention dans le cadre de la lutte
contre la délinquance, est d’avoir su transcender les clivages et faire se rencontrer des
personnes, des logiques qui s’ignoraient jusque-là. »
Cet extrait de l’intervention de madame Michèle BARZACH ministre de la santé et
de la famille, résumait la journée bilan du 6 novembre 1986 qui se tenait à Vaucresson
(cf. historique journal annexe).
En effet, au-delà de la réunion d’acteurs nationaux dans le cadre de l’interministerialité pour échanger et tirer le bilan des opérations prévention de l’été 1986, il s’agissait
par cette manifestation de présenter aux nouveaux financeurs et aux nouveaux dirigeants issus des élections du printemps 1986 un programme qui « tenait la route » en
matière de prévention. C'est l'autre volet de la fonction des rencontres bilans !
Ce fut, cette fois-ci, réussi puisque, d’entrée de jeu, l’allocution de la ministre était
positive pour le dispositif. Le travail d’information entrepris auprès des membres du
cabinet était et sera toujours payant. Si les crédits n'ont pas été augmentés, l’enveloppe
fut maintenue.
L’impression sur le déroulement des opérations fut très favorable. Il en sera souvent
ainsi. À chaque changement de gouvernement, chaque membre de la cellule nationale
aura pour mission de « présenter » le dispositif au cabinet de son ministre de tutelle.
Il est important que le partenaire le plus important du dispositif, son moteur financier (en 1982 le Ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale finançait le
dispositif à près de 86 %), tienne ce type de propos. Mais il est également intéressant de
réécouter aujourd’hui (décembre 2002) les propos rapportés ce jour-là. Au cours de cette
journée sont intervenus plusieurs chercheurs et M. BACHMAN de l’université Paris
XIII, chargé de la synthèse des réflexions des rapporteurs présents dans chacune des
commissions, indiquait dans les acquis indéniables un premier constat : les opérations
prévention-été ont eu un véritable impact local, et ont concouru à un changement effectif de pratiques. L’interpartenariat, même s’il n’était pas sans soulever parfois quelques
difficultés ponctuelles, comme l’implication effective de l’éducation nationale, apparaissait comme un fait acquis. Par ailleurs, certains départements avaient désormais rôdé
des cellules pour piloter l’opération, qu’ils se sont attachées à définir comme à la fois
« souples » et « opérationnelles ». Ce terme sera repris au niveau national pour nommer
la cellule interministérielle.
Au plan des techniques à affiner il rappelait que les groupes de travail avaient particulièrement insisté sur une double difficulté technique : identification des publics et des
objectifs.
Tout d’abord, il paraissait souhaitable que les publics soient mieux identifiés. Ainsi
quelle était la tranche d’âge visée : les 13-16 ans ou les 16-18 ans ? Une discussion ne pouvait manquer d’apparaître : une dérive vers les 13-16 ans, plus aisés à capter et à animer,
ne risquait-elle pas de se faire jour ? Comment maintenir le cap sur des populations difficiles : jeunes délinquants, toxicomanes, exclus… Il a été suggéré que les cellules départementales se munissent d’outils techniques leur permettant de cerner au plus près ces
difficultés, d’en débattre et de le contrôler.
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
Ensuite, s’il fallait se fixer des objectifs, la notion « d’objectif », appliquée à ces opérations, était des plus complexes. Certes, il ne saurait y avoir d’objectif simple et unique.
Mais comment s’articulaient les différentes finalités de l’action ? La visée centrale étaitelle préventive ? Dans ce cas, les indicateurs de réussite seraient essentiellement la baisse
de la délinquance, ou la moindre dégradation de l’environnement urbain. Mais une
question ne pouvait manquer de se poser : comment se gère l’avant et l’après de l’opération, sa préparation et son suivi ?
Sachant qu’un étalement de l’opération sur toute l’année lui ferait perdre son
impact, et qu’organiser des vacances pour les jeunes pendant l’été pouvait être un objectif parfaitement légitime et qui se suffisait à lui-même, il faisait état, enfin, de trois points
qui furent particulièrement soulignés : les « petites » vacances scolaires (4 fois 15 jours
en 86-87) laissaient les jeunes scolarisés tout autant inoccupés que l’été ; l’initiative des
jeunes devait être préservée au maximum ainsi qu’une valorisation des moyens existants
localement ; la spécificité des opérations été quant au public en danger de délinquance,
ces opérations ne devant pas se substituer à d’autres dispositifs.
Un risque avait été fréquemment soulevé : celui d’une trop forte institutionnalisation des opérations prévention-été qui naîtrait d’un alourdissement des procédures, de
la banalisation et de la routinisation d’actions originellement destinées à demeurer
exceptionnelles et ponctuelles. Si telle était leur évolution, elles perdraient leur caractère
innovant, et, par là même, leur raison d’être.
Il faut redire aujourd'hui que ces constats avaient été formulés en… 1 986.
De la cellule nationale
Placées d'entrée sous l'égide de l'interministérialité comme beaucoup de dispositifs
ayant vu le jour dans les années quatre-vingt, les opérations prévention été ville vie
vacances furent animées par une cellule nationale interministérielle opérationnelle.
À partir du milieu des années quatre-vingt-dix, pour une commodité de travail et à
l’image de ce qui se déroulait dans beaucoup de départements, il avait été proposé la
tenue de réunions dissociées en deux formations :
- en formation restreinte, la cellule comprenait les organismes ou les services financeurs
et/ou abondant le chapitre 46.60 article 50 à savoir : la direction de l’Action Sociale, le
Fonds d’Action Sociale, la Direction de la Jeunesse et de la Vie Associative, la Protection
Judiciaire de la Jeunesse, la Délégation au Développement et aux Formations et la
Délégation Interministérielle à la Ville.
Les réunions de ce groupe étaient plus fréquentes (préparation de texte, instruction des dossiers nationaux, suivi du programme, préparation et tenue des groupes de travail sur thème).
- en formation élargie, la cellule comprenait les services ci-dessus auxquels s’associaient :
le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère de l’Outre Mer, le
ministère de la Coopération, le ministère des Affaires étrangères, la Caisse Nationale des
Allocations Familiales, le Droit des Femmes, la Formation Professionnelle, la Délégation
à l’Insertion des Jeunes, la Direction de l’Administration Pénitentiaire.
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Quartiers en Vacances
Il a été proposé également d’élargir ce groupe et d’inviter l’association des présidents de
conseils généraux (APCG) à le rejoindre.
Par ailleurs, compte tenu des questions posées pour le déroulement de ce programme, il
a été proposé des partenaires ciblés à des groupes de travail ou des séances de réflexion
dans le but de faciliter la résolution de certains problèmes.
C’est ainsi que furent évoqués, sans exhaustivité ni ordre de prééminence : l’association des maires de France (AMF) et l’association des maires des villes et banlieues de
France (AMVBF), l’association des maires de villes moyennes de France (AMVMF)
notamment pour ce qui concernait les questions des jeunes autonomes et de leur déplacement ; le ministère de l’Équipement, des Transports et du Tourisme pour ce qui concernait les questions de transport et d’accueil dans des sites touristiques ; le comité technique de la prévention spécialisée et certaines fédérations nationales : les clubs et équipes
de prévention pour la réflexion sur le public accueilli dans ce programme ; la fédération
nationale des centres sociaux et les grands mouvements de jeunesse et d’éducation
populaire : l’UCPA, l’UFCV, les Scouts de France, la Ligue française de l’enseignement,
la fédération Léo Lagrange, les CEMEA furent également cités.
Des réunions, en formation restreinte ou en formation élargie, pouvaient être l’occasion de séances de travail avec ces partenaires. La fréquence des réunions en formation
élargie était de l’ordre d’une réunion tous les deux mois. Les consultants du programme
étaient invités en tant que de besoin.
De la définition du programme…
Les Opérations Prévention Été (initiées en 1982) sont devenues depuis le 21 juin 1995 les
opérations Ville-Vie-Vacances avec un dispositif renforcé, élargi, qui avait vocation à être
pérennisé pendant les petites vacances. Dans cette nouvelle approche, les activités de
vacances constitueront l’un des temps forts de la politique d’intégration et de la lutte
contre l’exclusion.
Le programme OPE Ville-Vie-Vacances fut considéré comme un dispositif de prévention de la délinquance parfois même comme « LE » dispositif de prévention. Il s’appliquait, au sein de départements prioritaires, à des quartiers ou à des zones qui connaissaient de graves difficultés. Le nombre de départements bénéficiaires a régulièrement
progressé : il est ainsi passé de 24 en 1982 à 39 départements en 1996 et à la totalité des
départements de métropole et d'outre-mer en 2002.
Il s’adressait en priorité aux jeunes de 13 à 18 ans (11 à 18 ans en 2002) fragilisés socialement, ainsi qu’aux jeunes majeurs incarcérés. L’objectif était de proposer des activités de
loisirs éducatifs qui participaient à la resocialisation des jeunes. Jusqu’en 1995 centrés
sur l’été, celles-ci étaient réparties entre activités sportives, séjours de vacances, activités
culturelles, et, plus récemment, stages d’insertion professionnelle, chantiers école, chantiers humanitaires.
Il s’agissait avant tout d’impliquer les jeunes les plus marginalisés et les plus exposés. Le
programme représentait un moment exceptionnel d’insertion sociale pour des publics
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
touchés par les difficultés de leur quartier : chômage, délinquance, toxicomanie, sida.
Cette prise en compte s’inscrivait dans un contexte local. Elle devait s’articuler avec les
autres programmes de la politique de la ville (contrats de ville, contrats de prévention)
menés par l’État et les collectivités locales.
Comme cela a déjà été présenté dans les trois premiers chapitres, généralement et de
manière récurrente, chaque année le gouvernement mettait l’accent sur la plus grande
participation des jeunes filles, restées jusqu’à maintenant minoritaires dans ce dispositif ; l’association des familles au déroulement et au suivi du programme ; l’implication
réelle des jeunes eux-mêmes et leur responsabilisation à la conduite des actions ; la prolongation des activités suivies par les jeunes, tout au long de l’année ; le développement
des chantiers-école et autres projets inspirés d’une logique professionnelle ; la prévention
de la récidive des jeunes touchés par des mesures de justice ; l’exigence éducative ; la
qualité de l’encadrement et l’information par les préfets de départements de départs des
projets qui se déroulaient dans d’autres départements (accueil) ainsi que la sensibilisation des élus et des services déconcentrés de l’État aux conditions d’accueil pour les
bénéficiaires du programme.
On peut dire qu'en terme de programme on possède là une panoplie complète !
Du dispositif institutionnel…
et de sa mise en place départementale
Le programme OPE Ville-Vie-Vacances a dû son efficacité à son caractère éminemment
interministériel. Les ministères et organismes impliqués mettaient en commun non seulement des lignes de crédits (parfois avec réticence) mais aussi les ressources humaines
de leurs administrations centrales et/ou déconcentrées (avec plus de facilité) !
Un comité national/une cellule (le mot cellule a un temps disparu car jugé trop à…
gauche ! il reviendra par la suite) dont la DIV assurait après le Conseil National de
Prévention de la Délinquance et après le Ministère des Affaires sociales le secrétariat
général, proposait les orientations et répartissait les enveloppes budgétaires entre les
départements concernés. Chaque année, il effectuait le bilan des opérations menées et
procédait à leur évaluation. À cet effet, la cellule nationale réservait une enveloppe qui
permettait de financer directement les équipes d’évaluation ainsi que quelques actions
d’envergure nationale.
Au niveau départemental, le préfet définissait les priorités en fonction des orientations nationales et des besoins locaux, appréhendés notamment par un diagnostic des
zones et quartiers sensibles et de leurs publics, actualisé, en principe, tous les ans. Il suscitait les propositions des opérateurs en diffusant une information diversifiée auprès des
maires, principalement ceux qui disposaient d’un conseil communal de prévention de la
délinquance (CCPD), des associations, des missions locales, de la presse, des jeunes euxmêmes. Le lancement annuel des opérations prévention été et Ville-Vie-Vacances se faisaient au cours d’assises départementales.
L’animation spécifique du dispositif était assurée par le conseil départemental de préven-
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Quartiers en Vacances
tion de la délinquance dont émanait un groupe départemental interservices chargé de
mettre en œuvre le programme. Ce groupe était composé de représentants du Conseil
Général, de l’Action Sociale, de la Jeunesse et des Sports, de la Justice, de la Police, de
l’Éducation Nationale, du Travail et de l’Emploi, des Affaires culturelles, du FAS, de la
CAF, du Droit des Femmes, des Missions locales. Cette cellule pouvait associer à ses travaux les observateurs et les acteurs qui connaissaient bien la population jeune.
Après instruction, les dossiers étaient soumis pour agrément et financement au conseil
départemental de prévention de la délinquance, présidé par le préfet assisté du procureur de la République et du président du conseil général, vice-présidents.
De même que la cellule nationale réservait des crédits à l’évaluation, l’instance
départementale pouvait financer des actions de formation à l’encadrement des opérations prévention été Ville-Vie-Vacances.
Des actions mises en œuvre
Selon la composition des gouvernements, on comptait, bon an mal an, pas moins de 16
directions concernées au plan national à savoir (exemple en 1996) :
Le ministère de l’Aménagement du Territoire, de la Ville et de l’Intégration ; le ministère
de la Ville (DIV-DPM) ; le ministère de la Jeunesse et des Sports (DJVA) ; le ministère de
l’Intérieur (DCSP/APPV) ; le ministère de l’Équipement (DSCR) ; le ministère de la
Défense (État major) ; le ministère de la Coopération (DD/IPVA) ; le ministère des
Affaires étrangères (DCST) ; le ministère du Travail et des Affaires sociales (DIJ, DFP,
DAS, DDF) ; le ministère de l’Outre mer (DAESC), la caisse nationale d’Allocations familiales ; le fond d’action sociale.
Et au plan local quels opérateurs ?
À ce niveau, les opérations Prévention Été et Ville, Vie, Vacances étaient pilotées par un
grand nombre de structures ou d’opérateurs :
Municipalités, au travers d’instances comme les conseils communaux de prévention de
la délinquance, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les centres sociaux, les
maisons des jeunes et autres équipements de quartier ; les structures spécialisées dépendant des conseils généraux comme les équipes de prévention spécialisée ou de la
Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de l’Administration pénitentiaire ; les Centres
de loisirs ou d’animation jeunesse (CAJ/CLJ) relevant de la Police nationale ; les établissements mis à disposition par les ministères de la Défense, de la Jeunesse et des Sports,
de la Culture pour l’organisation de stages ; le secteur associatif dans toute sa diversité.
Les opérations locales concernaient deux grandes catégories d’action :
les activités de proximité sportives et socioculturelles (signalons la prédominance des
activités sportives de proximité malgré le peu de promoteurs directement liés au mouvement sportif traditionnel) ;
les séjours généralement à orientation de loisirs de plein air.
Pour ces actions locales, en s'appuyant sur les bilans antérieurs, la cellule départemen-
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
tale, en tenant compte des priorités nationales, définissait des axes précis pour : tenir
compte des rythmes de vie des jeunes pendant l’été ; veiller à une participation réelle
des jeunes filles ; fonder les activités sur un esprit de citoyenneté comme on dit
aujourd'hui ; associer les jeunes et les adultes en complémentarité avec l’ensemble des
partenaires locaux.
Des visites départementales
et du suivi du dispositif
Les opérations prévention été sont nées dans le mouvement des chargés de mission
nationaux rencontrant les responsables départementaux et locaux. En effet, au cours
de la première année du dispositif, un représentant du ministère de la solidarité nationale et des affaires sociales parcourait la campagne avec ses collègues d'autres ministères pour voir les actions mises en place et pour… les financer directement, carnet de
chèques à la main.
Le programme n'était pas, au début, très conséquent et il pouvait faire l'objet d'un
« suivi de proximité » de la part des membres de la cellule nationale. Cet état d'esprit a
été pérennisé sous deux formes :
D'une part les visites organisées par les membres de la cellule à partir d'un calendrier
mis au point avant les vacances d'été pour sillonner les départements par groupes de
deux ou trois et, d'autre part, au fur et à mesure de l'extension du nombre de départements, le financement par le niveau national d'une équipe de consultants chargés « d'instruire » les nouveaux départements et de procéder avec les cellules au bilan des actions.
Ainsi, au cours d'une séance de la cellule nationale tenue en mars 1996 sont citées
les deux dernières visites effectuées, l’une à Nantes, l’autre à Bordeaux.
La cellule de Loire-Atlantique avait organisé une rencontre avec les promoteurs à la
suite de leur demande. La rencontre à Bordeaux avait pour objet la préparation d’une
action chantier au Canada (reconduction d’une expérience conduite en 95). À cette
occasion, des membres de la cellule départementale étaient présents. Il a pu être évoqué
certaines questions relatives au programme Ville Vie Vacances.
Il ressortait de ces visites une interrogation majeure sur le programme VVV inscrit
dans une durée annuelle sur toutes les périodes de vacances. Les cellules départementales avaient tendance (et je crois que cette tendance perdure !) à demander la remontée
des projets très tôt pour l’ensemble de l’année (29.02 pour la Gironde en 1996 par exemple, début avril pour la Loire-Atlantique pour la même année). Il s’en suivait un cadre
souvent général présenté par les opérateurs qui ne pouvaient donner avec précision le
contenu d’actions se déroulant cinq, six, voire huit mois plus tard. Les raisons invoquées étaient la lourdeur de l’instruction et le suivi du dispositif au regard des moyens
humains dont disposaient les secrétariats des cellules (préfectures, DDASS, DDJS).
Au vu de ce constat et pour éviter des dérives préjudiciables aux jeunes et au programme (perte d’innovation, programme tout prêt, accueil des jeunes peu marginalisés), avait été émise l’idée d’une proposition à soumettre au délégué interministériel :
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Quartiers en Vacances
demander aux préfets de doter le secrétariat de la cellule d’un jeune appelé du contingent dans le cadre du service national ville. Cela pouvait décharger ce secrétariat d’un
certain nombre de tâches et permettait ainsi de se consacrer à l’instruction des dossiers.
Cette proposition avait recueilli l’assentiment des membres de la cellule. Aujourd'hui
a-t- elle a pu se mettre en place ?
D'un partenariat national
Le dispositif OPE est devenu, après avoir été étendu à toutes les vacances, le programme
VVV. Il a été mis en œuvre grâce à de nombreux partenaires au plan local (cf. du dispositif institutionnel) mais aussi au plan national. Dès le début (dans les années quatrevingt) des ministères comme ceux de l'Intérieur ou de la Défense faisaient participer
leurs structures et leurs personnels aux actions (souvent sportives) et à leur encadrement. Le ministère de la Jeunesse et des Sports a souvent sollicité les structures associatives de loisirs et de sports pour qu'elles s'impliquent également dans ces programmes
d'activité en faveur des jeunes les plus défavorisés.
Dans les années quatre-vingt-dix, le partenariat national a pris un nouvel essor avec
la relance effectuée pour l'été 1991 par le ministre d'État Michel DELEBARRE. C'est ainsi
que, cette année-là, avait été mis en place un plan d'accueil des jeunes des banlieues par
les familles des agriculteurs. Le Centre National des Jeunes Agriculteurs avait, en effet,
sollicité ses délégués et ses adhérents pour faire fonctionner le plan Banlieue Verte.
Si ce plan ne s'est pas développé les années suivantes il est resté, ici ou là, quelques
actions qui se recommandaient de ce démarrage. En revanche, s'il est une action qui
avait été bien organisée et qui a perduré malgré toutes les vicissitudes, c'est celle d'un
Été au Ciné, montée par le Conseil National du Cinéma et son association relais Kyrnéa
International.
De la même manière que la cellule nationale avait été sollicitée pour participer à la
mise en place et à l'organisation des actions du CNJA, elle a été largement demandée (et y
a répondu favorablement) pour appuyer l'action du CNC et des ministères de la culture et
de la jeunesse et des sports. Nous avions en tête, avec les collègues de la cellule, la diversification des actions et l'aspect plus « culturel » que représentent ces deux ministères.
Ainsi, à l'occasion d'une journée de regroupement des correspondants régionaux de
l'opération un Été au Ciné tenue à Paris le 3 avril 1996, il est ressorti des échanges une
situation très contrastée reflétant la situation sur le terrain :
- les projets étaient déposés soit par les villes soit par des associations. Il semblait qu’il
n’y avait pas beaucoup de coordination.
- Les projets de cinéma en plein air recueillaient un avis très favorable de la part des
municipalités (promotion auprès des habitants).
- Les projets d’ateliers, pourtant plus intéressants sur le fond, étaient difficiles à financer.
On leur reprochait de ne pas toucher suffisamment de participants. La quantité de public
accueilli semblait primer. (l'effet masse !).
- Les relations des correspondants avec les services déconcentrés de jeunesse et sports
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
étaient très variables. Pour certains, il n’y avait pas de contact établi. Pour d’autres,
« quand la direction départementale de la jeunesse et des sports était intéressée, elle
n’avait pas un franc à mettre ! »
Les relations entre services d’État (direction régionale aux affaires culturelles et jeunesse et sports) étaient parfois conflictuelles. Il était question d’ingérence. Dans certains
secteurs, « les contrats de ville se désengageaient en laissant les associations faire la
demande dans le cadre des opérations Ville-Vie-Vacances ». Enfin, pour d'autres correspondants, principalement ceux de la région Île de France, un « tour » des sous-préfets à
la ville se montrait être une action d’information et de sensibilisation intéressante.
De la journée nationale de lancement
Traditionnellement une journée nationale dite de lancement du programme OPE Ville
Vie Vacances se tenait dans le courant du premier trimestre de l’année. C’était l’occasion de réunir les cellules départementales autour du bilan de la période estivale
écoulée et de tracer les perspectives en donnant les orientations nationales pour le
programme suivant.
Par exemple en 1995 (année de lancement des VVV), cette journée s’est tenue au
ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, le 14 février et elle a été clôturée
par madame la ministre. Lors d’une conférence de presse, le 21 juin, le ministre de
l’Intégration et de la Ville a lancé, dans la foulée des opérations prévention été, le dispositif Ville-Vie-Vacances qui étendait le bénéfice de ces opérations à toutes les périodes de
vacances de l’année.
En 1996, au cours des séances du premier trimestre de la cellule interministérielle
(4.01- 14.02 – 28.02) le sujet de la journée nationale avait été évoqué y compris avec les
consultants présents lors de la séance du 14 février après-midi. Après présentation
générale par l’animateur et discussion entre les membres, le canevas proposé pour cette
journée était le suivant :
Le lieu : depuis de nombreuses années cette journée se tenait au 8 avenue de Ségur
(ministère des affaires sociales). Il y a eu quelques dérogations à la règle comme en 1986
où une journée avait été organisée à Vaucresson au centre de la protection judiciaire de
la jeunesse (cf. supra : au-delà des clivages… des questions récurrentes se posent).
Pour cette année 1996, une idée a été émise de réaliser cette journée dans un département. La préfecture du département et la ville chef-lieu pouvaient être sollicitées pour la
préparation matérielle. Le site de Bordeaux avait été proposé pour plusieurs raisons :
ville du Premier ministre qui pouvait clôturer la journée, le département de la Gironde
était inscrit depuis de nombreuses années dans la liste des départements prioritaires, le
conseil général participait bien, la cellule était active et dynamique, incidemment, il existait un plan départemental de prévention de la délinquance.
La date : la première proposition était une date à la fin janvier, après la présentation
du PRV (pacte de relance pour la ville). Cette date était symbolique du démarrage de
l’année mais d’autres dates pouvaient être choisies qui auraient été tout autant symboli-
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Quartiers en Vacances
ques (fin d’une période de vacances, début d’une autre, milieu de l’année, avant l’été,
après l’été, date anniversaire du lancement VVV…)
Afin de prévenir les personnes invitées (préfectures, services déconcentrés, conseils
généraux) et les personnes qui devaient intervenir (consultants, membres de cellules
choisis pour les expériences intéressantes, cellule interministérielle), il était impératif de
prévoir la date 1 mois et demi avant le déroulement de la journée. Il fallait aussi le temps
nécessaire à la préparation du dossier remis à chaque participant.
La formule : contrairement à ce qui s’était fait les deux années précédentes (la journée en plénière), il était proposé unanimement par les membres de la cellule interministérielle de découper la journée en deux périodes (plénières et ateliers). L’avantage de la
répartition des participants en ateliers était celui de l’échange, ce que ne permet pas une
assemblée plénière. En général, trois ou quatre personnes par département assistaient à
la journée nationale. Cela permettait une répartition et une présence de chaque cellule
dans les ateliers mais aussi, de retour dans le département, un échange au sein de la cellule départementale.
Le côté pratique : compte tenu du découpage de la journée et du nombre de participants attendus (environ 150 personnes) il était nécessaire de prévoir quatre salles : une
grande salle pour 160 personnes et 3 salles plus petites d’une cinquantaine de places
avec tables en carré pour les ateliers.
En général, à Paris, aucune organisation n’était prévue pour le déjeuner (restaurants
autour du lieu de réunion). Si la journée avait eu lieu en province, un repas en commun
(intéressant pour les échanges informels) pouvait être prévu.
Le programme : la présentation générale du programme retenue lors de la dernière réunion de la cellule (28.02) était la suivante (cf. annexe VII mars 1996 : note de préparation
à la journée de lancement).
La journée : consiste en une réunion des membres des cellules départementales qui
avaient à mettre en œuvre le programme Ville-Vie-Vacances dans les départements.
C'était donc une journée de travail, de réflexion, d’échanges et de confrontation.
Le dossier : avec le programme de la journée serait distribué un dossier comprenant : la
synthèse des bilans ; le résultat des études ; la circulaire 1996 ; l’annexe technique ; la plaquette des stages défense ; une fiche problématique par atelier.
L'un des moments importants du dispositif OPE VVV était, comme il a été souligné
dans les trois premiers chapitres, cette journée nationale de lancement qui, comme un
rituel initiatique, était attendu par tous les opérateurs (cellule nationale, cellules départementales). Comme le 21 mars marque le début du printemps, elle marquait le début de
la campagne d'action pour l'été, pour l'année.
Reprise au niveau départemental par l'organisation de rencontres d'acteurs locaux
en une journée bilan/lancement, elle amplifiait auprès d'eux cette impression de rituel.
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
De l'accueil des jeunes
Sur le littoral au… PAJECOT
L'arrivée de jeunes venant, en masse pendant l'été, des grandes agglomérations urbaines (Nord, région parisienne, Strasbourg, Lyon, Marseille) a depuis le début des opérations prévention été Ville-Vie-Vacances posé un problème. Aussi de récurrente, la
question de l'accueil des jeunes sur le littoral devenait urgente à organiser sinon à
régler en 1997. Mais pour « résoudre » le problème de l’accueil des jeunes, il convenait
de noter qu’une enquête exploratoire sur la venue de jeunes banlieusards dans les stations balnéaires des Pyrénées Orientales durant la période estivale avait eu lieu au
cours de l'été 1996.
Dans sa conclusion, l’étude « sous les pavés… la plage » souhaitait ramener les événements à leur juste dimension : la présence des jeunes stigmatisés n’avait jamais
dépassé un pour mille individus présents sur la station (Argelès en comptait 120 000 au
mois d’août) et ceux qui se rendaient coupables de conduites répréhensibles ne dépassaient pas un pour sept ou huit mille personnes.
L’analyse rigoureuse de la vie estivale permettait de constater que beaucoup de jeunes banlieusards ne posaient pas de problème et que certains faits étaient à imputer à
d’autres groupes qu’ils soient Roussillonnais ou nord européens.
Le problème posé par les jeunes des banlieues était décuplé par un effet de contexte qui
était à prendre au sérieux au risque de le voir dégénérer.
Un refus d’accueil, une radicalisation des comportements vis-à-vis de ces publics
risquaient d’envenimer les relations déjà tendues sans atteindre les objectifs recherchés.
Aidés financièrement ou non, seuls ou en groupe, les jeunes rejoignent les lieux de
vacances désignés par l’engouement pour le littoral.
La majeure partie des incidents rapportés par des élus n'était pas due à des jeunes
séjournant dans le cadre des opérations Ville-Vie-Vacances mais plutôt à de jeunes inorganisés et non encadrés qui se retrouvaient sur les sites touristiques.
En supposant qu’aucun groupe de jeunes, dans le cadre du programme Ville-VieVacances n'ait été agréé pour un séjour sur la côte Languedoc-Roussillon, il n’en demeurait pas moins que l’afflux de population dans des stations balnéaires populaires, l’attraction de certains sites : chaleur, soleil, mer ; l’appel à la consommation par affiches et
publicité ; les habitudes prises pendant la période estivale étaient telles que des jeunes de
toute la France et donc des banlieues se retrouvaient à Argelès-sur-Mer, le Canet (ou… à
Agde, à Saint-Jean de Monts) l'été ; des jeunes « n’appartenant »… à aucun dispositif…,
à aucune structure…, à aucune colonie de vacances…
Les risques de troubles existaient de toutes les façons, risques d’autant plus grands
s’il n'était mis en place que des dispositifs d’interdiction ou de strict maintien de l’ordre.
S’il était nécessaire de prendre des dispositions dans le cadre du programme Ville-VieVacances, il était de toute façon indispensable pour les villes touristiques de s’organiser
en vue de cet accueil et de ces séjours (dispositif de dissuasion et dispositif de prévention coordonnés).
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Quartiers en Vacances
D'une manière générale, il me semble que l’État peut apporter son concours au
niveau national, régional et/ou départemental, en moyens humains et financiers mais il
ne peut ni ne doit se substituer aux associations, organismes et collectivités territoriales,
la plupart de ceux-ci « tirent bénéfice » de cet afflux de touristes.
Par ailleurs, si l’effort financier de l’État (programme Ville-Vie-Vacances entre
autres) était significatif pour la prise en compte des loisirs des publics les plus défavorisés, cela n’inscrivait pas le dispositif Ville-Vie-Vacances dans des procédures d’exception
au regard du droit commun en matière de loisirs des jeunes. Les règles ordinaires d’encadrement, d’hygiène et de sécurité étaient aussi applicables à toutes ces actions.
En forme de… préconisations
Le rapport d’évaluation daté de février 1999 par Thomas KIRSZBAUM après ceux de
Louis DUBOUCHET et d'autres consultants missionnés par la cellule nationale (Guy
JULLIARD, Michel TACHON, Yvon SCHLERET, Jeannick DELTOUR, ou encore Francis
BAILLEAU) faisait état d’une mobilisation aléatoire des services de l’état hormis quelques acteurs clés que sont les directions départementales de l’action sanitaire et sociale
et les directions de la jeunesse et des sports. En effet de nombreuses actions surgissent à
l’initiative des départements ministériels.
C’est sans doute à l’initiative des premières Opérations Prévention Été et à partir
d’une plus grande attention portée aux jeunes en difficulté que chaque service de l’État
ou organisme public s’attache maintenant à proposer une offre de loisir pour l’enfance
et la jeunesse.
Aujourd’hui, peut se poser la question de la place et du rôle du dispositif « Ville-VieVacances » dans cet imbroglio des politiques destinées à la jeunesse et donc au maintien
de sa spécificité.
Avant d’étendre le programme des actions Opération Prévention Été à toutes les vacances pour devenir le dispositif VVV, nous avions suggéré, à partir d’un travail de la cellule
interministérielle, de procéder à une réflexion nationale sur l’offre de loisirs faite aux jeunes en général et aux plus en difficulté ou en risque de délinquance en particulier.
Cette mise à plat nous semble encore plus d’actualité.
Le 30 mars 1998, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, sous l’autorité de laquelle
était placée la politique de la ville terminait la circulaire VVV par le paragraphe suivant :
« Le programme Ville Vie Vacances doit conserver ses objectifs propres et ce malgré son
extension à l’ensemble des périodes de congés scolaires.
Il doit avoir une forte capacité de mobilisation des différents partenaires en direction des
jeunes en voie de marginalisation. Sa souplesse et sa proximité des jeunes doivent être
largement encouragées ».
Le besoin de réaffirmer, sous une forme d’injonction aux Préfets, les grandes orientations
du dispositif n’est-il pas le constat d’une banalisation (qui s’est accrue depuis) d’un dis-
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Témoignage des opérations Ville, Vie, Vacances
positif qui pouvait être considéré comme un laboratoire de l’action coordonnée des services de l’État, des Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance, des collectivités et des organismes de prévention et/ou de loisirs ?
Les problèmes rencontrés par les jeunes, problèmes qui ont présidé au lancement
des Opérations Prévention Été en 1982, n’ont pas disparu. On peut dire que la précarité
s’est étendue, que les violences ou les incivilités se sont accrues et que les jeunes les plus
fragilisés ou développant des conduites à risques ne sont pas ou mal pris en compte
dans les structures de droit commun d’accueil et de loisirs.
À l’occasion du vingtième anniversaire du dispositif, la réflexion nationale suggérée ci-dessus devrait être entreprise pour que l’offre de loisir faite aux jeunes soit réactualisée et pour que la formation des animateurs soit également revue.
Dans cette perspective le ministère de la Jeunesse et des Sports, en charge de la prise en
compte des publics dans un dispositif de droit commun, développerait ses propres
actions et participerait au même titre que les autres ministères ou organisations à un programme Ville Vie Vacances qui aurait fait l’objet d’un recentrage pour :
- revenir sur toutes les extensions temporelles (vacances) et territoriales (départements) ;
- placer le dispositif dans une logique de développement local (souvent supra communal) prenant en compte les publics les plus difficilement abordables (déviances, délinquances, violences, prise de risques) par des professionnels compétents ;
- assigner à ce programme une fonction de laboratoire de l’action publique sur la base
du volontariat des départements en négociation avec les collectivités locales (Conseil
général et Conseil Communaux de Prévention de la Délinquance).
Cette fonction de laboratoire permettrait à ce dispositif de jouer un nouveau rôle à travers une triple action qui pourrait être la sienne à savoir :
- Interpellation/interrogation des politiques publiques des collectivités locales, des opérateurs nationaux tels que les fédérations nationales ou des services déconcentrés de
l’État sur leurs pratiques et leurs programmes,
- offre complémentaire afin de ne laisser aucun secteur géographique ou des situations
de jeunes sans réponse ;
- Impulsion/diffusion des innovations et des « bonnes » pratiques.
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Quartiers en Vacances
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Annexes
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Quartiers en Vacances
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Annexes
REPÈRES CHRONOLOGIQUES
Sont rapportées les principales dates relatives au dispositif OPE-VVV
et leur place dans la politique de prévention et de la politique de la ville
et du développement social urbain.
1 972
4 juillet :
Arrêté ministériel relatif à la Prévention Spécialisée : le travail des Clubs et Équipes de
prévention spécialisée est basé sur les trois principes de base suivants : libre adhésion,
anonymat, non mandat.
1 973
décembre :
Circulaire intitulée « Barres et Tours ». Le ministre de l’équipement Olivier GUICHARD met un terme à la prolifération des constructions massives dans les Z.U.P.
(Zones à Urbaniser en Priorité).
1 975
mai :
Programme 50 000 jeunes : le secrétariat d’État à la formation professionnelle,
(GRANET), « en attendant la reprise puisque la crise est conjoncturelle », propose la
formation en alternance de 50 000 jeunes sortis du système scolaire sans qualification.
Ce programme fait suite aux formations expérimentales menées conjointement par
le ministère de L’Éducation Nationale, de la Santé et du Travail (stages E.S.T).
1 976
20 avril :
Installation par le Premier ministre du comité d’études sur la violence, la criminalité
et la délinquance, présidé par Alain PEYREFITTE.
1 977
30 mars :
Alain PEYREFITTE est nommé garde des sceaux. Il met en chantier et fait voter
la loi sécurité et liberté.
mai :
Le secrétaire d’État au logement Jacques BARROT met en place un programme Habitat
et Vie Sociale (HVS) liant réhabilitation des grandes cités et accompagnement social.
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Quartiers en Vacances
27 juillet :
Le rapport PEYREFITTE « réponse à la violence » est adressé au président de la
République. Il formule 105 propositions à travers 18 thèmes. La proposition n° 104
préconisait la création d’un comité national de lutte contre la violence relayée par
une structure décentralisée au niveau départemental tandis que la proposition
suivante (105) assignait à cette dernière les orientations suivantes :
- être attentif aux préoccupations de la population ;
- étudier une politique de prévention adaptée aux réalités spécifiques de
la délinquance sur un plan local.
1 981
10.12 avril :
Violentes échauffourées à BRIXTON dans la banlieue de LONDRES.
10 mai :
Alternance politique en France : arrivée de la gauche au pouvoir.
21 mai :
François MITTERRAND est élu président de la République.
22 mai :
Pierre MAUROY, nommé Premier ministre forme son premier gouvernement
(23 juin 1981).
23 juin :
Pierre MAUROY forme son deuxième gouvernement (23 mars 1983).
juillet août :
Violents incidents dans la banlieue lyonnaise : Vénissieux, Vaux en Velin, Villeurbanne
sont le théâtre de « rodéos » de bandes de jeunes qui brûlent les voitures et s’opposent
aux forces de l’ordre. Ces incidents gagnent Marseille et Avignon.
octobre :
Annonce, au cours du congrès HLM, de l’installation de la Commission Nationale
de Développement Social des Quartiers (CNDSQ) (le décret de création paraîtra
le 6 février 1 986).
décembre :
Circulaire du ministère de l’Éducation nationale créant les Zones d’Éducation
Prioritaire (Z.E.P). 350 écoles et collèges sont concernés.
1 982
février :
Création de la Délégation à l’Insertion Professionnelle des Jeunes en Difficulté (D.I.J).
26 mars :
Mise en place par ordonnance, des premières missions locales créées à la suite
du rapport de Bertrand SCHWARTZ. (en 82 : 60 missions ; en 97 : 310).
18 mai :
Réunion à Matignon au cours de laquelle le Premier ministre décide de « prévenir
le renouvellement de l’été chaud de 1981 » par un ensemble d’actions de prévention
en direction des jeunes. Ces actions seront mises en place dans quelques grandes villes
de onze départements (13 Bouches-du-Rhône ; 59 Nord ; 69 Rhône ; 75 Seine ;
77 Seine et Marne ; 78 Yvelines ; 91 Essonne ; 92 Hauts-de-Seine ; 93 Seine-St-Denis ;
94 Val-de-Marne ; 95 Val-d’Oise) par des délégations locales de prévention
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Annexes
de la délinquance. Au plan national, une coordination est réalisée entre les différents
ministères concernés par la prévention.
28 mai :
Installation par le Premier ministre de la commission des maires sur la sécurité
animée par Gilbert BONNEMAISON
juillet août :
Déroulement des premières Opération Prévention Été (OPE).
novembre :
Premier bilan des OPE. Le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité nationale
a répondu au « mal être » des jeunes laissés à eux-mêmes pendant l’été et s’exprimant
par la violence, par une action interministérielle rassemblant le ministère des Affaires
sociales et de la Solidarité nationale, les ministères de l’Intérieur et celui de la Défense,
le ministère de la Jeunesse et des Sports et la commission des maires sur la sécurité,
sans oublier la participation de Gilbert TRIGANO.
Cette première opération aura concerné 10 000 jeunes à travers 500 projets pour un coût
de 7 MF dont 6 sur le budget du ministère des Affaires sociales et de la Solidarité
nationale (ASSN).
Chaque année, à l’automne, il sera dressé un bilan de la campagne des opérations
prévention été.
17 décembre :
Approbation par la commission des maires sur la sécurité du rapport BONNEMAISON
intitulé « Face à la délinquance : Prévention, Répression, Solidarité » ;
64 propositions sont formulées.
À partir du bilan positif des actions de l’été 82 démontrant qu’une prévention réfléchie
et réaliste obtient des résultats tangibles, la troisième partie du rapport propose une
organisation permanente de prévention de la délinquance au niveau national,
départemental et communal (CNPD, CDPD, CCPD).
C’est à partir de cette année que sont préparées, examinées et votées les lois
relatives à la décentralisation : 2 mars 1982, 7 janvier 1983, 22 juillet 1983.
1 983
23 mars :
Pierre MAUROY, Premier ministre forme son troisième gouvernement (19 juillet 1984).
Signature par Pierre MAUROY de la circulaire (1 759/SG) intitulée : Programme de
vacances 1 983 pour les jeunes : vacances et loisirs pour tous, opération prévention été.
8 juin :
Décret (n° 83-459) de création des conseils nationaux, départementaux et communaux
de Prévention de la Délinquance à la suite des préconisations du rapport
de Gilbert BONNEMAISON.
juillet/août :
Déroulement de la deuxième campagne des Opérations Prévention Été dans les onze
départements retenus en 1982.
novembre :
Installation de la mission « Banlieue 89 » animée par Roland CASTRO
et Michel CANTAL DUPART.
décembre :
Les leaders de la « marche des beurs » sont reçus par le président de la République.
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Quartiers en Vacances
1 984
30 mars :
Signature de la circulaire (1 908/SG) relative au programme de vacances 1 984
pour les jeunes : « vacances et loisirs pour tous » opération « prévention été 1984 ».
Ce texte fait référence à la circulaire précédente (1 759/SG) du 23 mars 1983.
juin :
Démarrage de la politique contractuelle État Région (DSQ) dans le cadre du IXème
plan (1983-1989). 130 sites sont concernés.
Création du Comité Interministériel des Villes (CIV) (16 juin) et du Fonds Social
Urbain (FSU) (24 juin).
23 juillet :
Laurent FABIUS est nommé Premier ministre en remplacement de Pierre MAUROY
(20 mars 1986).
juillet/août :
Déroulement des Opérations Prévention Été dans 14 départements, 3 nouveaux
départements sont pris en compte : le Pas-de-Calais (62) la Seine Maritime (76) et le
Var (83). La prise en compte de nouveaux départements se fait en principe à partir
d’une liste de classement des départements selon trois critères : taux de chômage des
jeunes, faits de petite délinquance et pourcentage de population urbaine dans les ZPIU
(Zones de Peuplement Industriels et Urbains). (critères INSEE).
1 985
29 avril :
Signature par Laurent FABIUS de la circulaire (2 060/SG) relative à l’opération
« Prévention été 1985 ». Ce texte fait également référence à la circulaire précédente.
juillet/août :
Déroulement des Opération Prévention Été dans les 14 départements retenus en 1984.
octobre :
Par circulaire le Premier ministre lance la procédure des Contrats d’Actions
de Prévention pour la Sécurité dans la Ville (CAPSV). Le financement de ces contrats
fait suite au financement d’actions dans les sites pilotes. (36 puis 42).
148 sites sont concernés par la politique contractuelle de DSQ.
1 986
14 mars :
Signature par Laurent FABIUS de la circulaire (n° 1368/Premier ministre) ayant pour
objet : Opération « Prévention été 86 » et faisant référence aux circulaires 1908/SG
du 30 mars 1984 et 2 060/SG du 29 avril 1985.
20 mars :
À l'issue des élections législatives la gauche est minoritaire au parlement.
Jacques CHIRAC devient pour la deuxième fois [64] Premier ministre (30 avril 1988),
la première cohabitation commence.
[64] Jacques CHIRAC avait formé son premier gouvernement le 28 mai 1974 25 août 1976.
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Annexes
Déroulement des Opérations Prévention Été dans les 14 départements retenus en 1984.
Marcel JULIA succède à Jean DUSSERRE comme préfet à la tête de la délégation
générale du CNPD.
octobre :
Le mandat de Gilbert BONNEMAISON en tant que Vice-Président du CNPD expire.
C’est Marc BECAM, maire RPR de Quimper, qui lui succède. G. BONNEMAISON
reste membre du comité exécutif du CNPD.
1 987
Émergence de la notion de « projet urbain » à l’initiative de « Banlieue 89 »
24 mars :
Signature par le Premier ministre Jacques CHIRAC de la circulaire (SG/6 530)
adressée aux Préfets des 14 départements avec pour objet « Prévention été 1987 »
et déroulement des Opérations Prévention Été dans les 14 départements déjà cités.
1 988
Jean THIEBLEMONT, préfet, a été nommé délégué général du Conseil National
de Prévention de la Délinquance et a succédé à Marcel JULIA.
10 mai :
À l'issue des élections présidentielles, François MITTERRAND est réélu président
de la République. La gauche revient au pouvoir, la cohabitation prend fin.
Michel ROCARD est nommé Premier ministre (14 mai 1991).
17 mars :
Le Premier ministre arrête dans la circulaire lançant la campagne 88 des OPE
la liste des 21 départements bénéficiaires de ce dispositif. Aux quatorze départements
cités depuis 1984 sont rajoutés les départements suivants : Haute Garonne (31) Gironde
(33) Isère (38) Loire (42) Loire Atlantique (44) Meurthe et Moselle (54), Moselle (57).
Déroulement des Opérations Prévention Été dans les 21 départements retenus.
28 octobre :
Création par Michel ROCARD de la Délégation Interministérielle de la Ville (DIV)
et du Conseil National des Villes (CNV). La DIV est rattachée au Premier ministre.
Yves DAUGE avait été nommé délégué interministériel à la ville le 19 juillet,
il le restera jusqu'en août 1991.
La CNSDQ, le CNPD, « Banlieue 89 » sont rassemblés pour constituer la DIV
dans un ensemble administratif de développement social urbain.
1er décembre :
Création du Revenu Minimum d'Insertion (RMI).
1 989
21 avril :
Signature par le Premier ministre Michel ROCARD de la circulaire (3 456/SG)
relative à l’opération « prévention été 1989 ».
Été déroulement des Opération Prévention Été dans les 21 départements
pris en compte en 1988.
Démarrage du Xième plan 89-93 : 400 quartiers en DSQ, conventions de quartier,
conventions Ville Habitat, 13 sites expérimentaux en contrat de ville.
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Quartiers en Vacances
1 990
31 mai :
Vote de la loi « BESSON » sur le droit au logement des plus défavorisés.
Été déroulement des Opération Prévention Été dans les 21 départements retenus.
17 août :
Circulaire prévention : prévention de la délinquance-une nouvelle étape.
octobre :
Émeute du Mas du Taureau à Vaux en Velin (banlieue lyonnaise).
4 et 5 décembre :
Aux assises de « Banlieue 89 » à Bron, le président François MITTERRAND insiste
sur l’urgence d’une politique de la ville.
21 décembre :
Il nomme Michel DELEBARRE comme ministre d’État, ministre de la Ville (avril 1992).
1 991
janvier :
Nomination de 13 Sous Préfets à la Ville.
8 mars :
Signature, par le Premier ministre Michel ROCARD, de la circulaire relative aux OPE
pour 1991 pour vingt-quatre départements. Aux 21 départements déjà retenus viennent
s’ajouter 3 nouveaux départements : Alpes Maritimes (06) Hérault (34) Bas Rhin (67).
Afin de répondre à un souci d’efficacité et permettre d’engager les actions sans tarder,
les orientations de 91 étaient valables pour 92 et 93 mais subordonnées à l’inscription
des crédits en loi de finances chaque année.
avril :
Vote de la loi créant la Dotation de Solidarité Urbaine (D.S.U).
15 mai :
Nomination d’Édith CRESSON comme Premier ministre (31 mars 1992)
mai juin :
Émeute au Val Fourré (quartier de Mantes la Jolie) ; décès d’un jeune retenu en
détention, deux semaines plus tard une gardienne de la paix est fauchée par
une voiture volée.
12 juin :
Crainte du dixième anniversaire des événements de l’été 81 ? Dans les quartiers,
tension due à la guerre du Golf (17 janvier-28 février). De nouvelles mesures en vue
de renforcer les Opérations Prévention Été sont arrêtées au cours d’une réunion sur
l’Aménagement du territoire ; Les préfets seront informés de ce renforcement par
télex le 25 juin.
25 juin :
C’est à l’occasion d’une réunion d’information au ministère de la Ville que le ministre
de la Solidarité propose au ministre de l’Éducation nationale de mener une action
expérimentale d’École Ouverte pendant l’été, en région parisienne.
L’implication de ce partenaire qui semblait effective depuis 1982 est remise en
question. Les représentants de ce ministère quitteront définitivement la cellule
nationale quelques années plus tard.
juillet/août :
Déroulement des Opérations Prévention Été dans les 24 départements indiqués
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Annexes
dans la circulaire du 8 mars, renforcées par les mesures du 12 juin.
Adoption (juillet) de la Loi d’Orientation de la Ville (LOV).
Procédure « Grands Projets Urbains ».
En Île de France début de l’opération « École Ouverte » qui concerne
12 établissements dans la région.
août :
Jean Marie DELARUE remplace Yves DAUGE à la tête de la Délégation
Interministérielle de la Ville. (janvier 1994).
septembre :
Mobilisation d’appelés du contingent dans les quartiers sensibles par le protocole
du Service National Ville (SNV).
1 992
mars :
Création du 1 % associatif.
1er avril :
Décret 92-343 modifiant le décret 83-459 du 8 juin 1983 relatif au CDPD et aux CCPD.
Suppression du CNPD (déjà effective depuis 1988).
2 avril :
Pierre BEREGOVOY est nommé Premier ministre en remplacement d’Edith CRESSON
(28 mars 1993).
avril :
Bernard TAPIE est nommé ministre de la Ville : parrainage des quartiers par
une grande entreprise, maisons du citoyen et conseils de quartier.
juin :
Le ministère de la Ville est transformé en secrétariat d’État après la décision
de Bernard TAPIE de quitter momentanément sa fonction.
C’est François LONCLE qui assure la fonction de secrétaire d’État pour 6 mois.
Été :
Déroulement des Opérations Prévention Été dans les 24 départements retenus en 1991,
avec la poursuite de quelques initiatives prises en juin 1991 comme le concours du CNJA.
novembre :
Adoption de la procédure unique du Contrat de Ville pour le XIème plan
et du principe du Fonds unique d’Intervention pour la Ville (FIV).
décembre :
Bernard TAPIE est de nouveau ministre de la Ville (mars 1993).
1 993
23 janvier :
Colloque des CCPD à La Rochelle en présence, entre autres personnalités,
du Premier ministre Pierre BEREGOVOY, de Bernard TAPIE ministre de la Ville,
de Michel VAUZELLE, ministre de la justice et de plus de 800 personnes.
mars :
Signature des premiers Plans Locaux d’Insertion par l’Economie (PLIE).
28 mars :
À la suite de la défaite de la gauche aux élections législatives, la droite revient
au pouvoir. Nouvelle alternance et nouvelle cohabitation.
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Quartiers en Vacances
29 mars :
Édouard BALLADUR est nommé Premier ministre et forme son gouvernement
(16 mai 1995).
avril :
Il est créé un ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville confié
à Simone VEIL (novembre 1995).
Été :
29 départements participent cette année aux Opérations Prévention Été.
Aux 24 départements précédents sont ajoutés l’Île et Vilaine (35) et les quatre
départements d’Outre Mer : Guadeloupe (971), Martinique (972), Guyane (973),
Réunion (974).
1 994
janvier :
Nomination de Francis IDRAC (Préfet) comme délégué interministériel à la ville
(novembre 1996).
février :
Création du FIV, Fonds d'Intervention pour la Ville, qui regroupe et globalise tous
les crédits sauf l'enveloppe spécifique consacrée aux OPE.
mars :
Circulaire Premier ministre relative à la lutte contre l’insécurité en milieu urbain
214 contrats de ville – 12 grands projets urbains.
6 avril :
Journée nationale de lancement de la 11e campagne des OPE.
18 avril :
Signature par le Premier ministre Édouard BALLADUR de la circulaire « Opération
Prévention Été » pour le XIème Plan – instructions pour 1994 (PM n° 4063/SG).
Elle est adressée aux préfets de 36 départements. Aux 29 précédents viennent s’ajouter
le Calvados (14), le Finistère (29), le Gard (30), le Loiret (45), le Maine et Loire (49),
l’Oise (60), le Haut-Rhin (68).
Été :
Déroulement des opérations prévention été dans les 36 départements désignés
le 18 avril.
1 995
4 février :
Loi d’orientation sur l’aménagement du territoire : incitations fiscales ; zones sensibles ;
ZRU (loi PASQUA).
31 mars :
Signature, par le Premier ministre Édouard BALLADUR, de la circulaire
« Opération Prévention Été instructions pour 1995 » (en référence à la circulaire 4063/SG
du 18 avril 1994). Elle est adressée aux préfets des 36 départements retenus en 1994
et à ceux des trois départements suivants : Drôme (26), Eure et Loir (28), Somme (80).
Ce qui porte désormais à 39 le nombre de départements éligibles au dispositif.
18 mai :
Élection de Jacques CHIRAC à la présidence de la République.
Premier gouvernement d’Alain JUPPÉ (7 novembre 1995).
Nomination d’Éric RAOULT (6 novembre 1995) comme ministre chargé de
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Annexes
l’Intégration et de la Lutte contre l’exclusion et de Françoise de VEYRINAS
(6 novembre 1995) comme secrétaire d’État chargée des quartiers en difficulté.
21 juin :
Extension des Opérations Prévention Été à toutes les vacances scolaires sous l’appellation
Ville-Vie-Vacances au cours d’une conférence de presse présidée par Éric RAOULT.
7 novembre :
Deuxième gouvernement d’Alain JUPPÉ (2 juin 1997).
Nomination de Jean Claude GAUDIN comme ministre chargé de l’Aménagement
du territoire, de la Ville et de l’Intégration et d’Éric RAOULT comme ministre délégué
à la Ville et à l’Intégration (2 juin 1997).
janvier :
Marseille - présentation par Alain JUPPÉ du pacte de relance pour la ville
(70 mesures annoncées).
Définition des ZUS : zones urbaines sensibles, des ZRU : zones de redynamisation
urbaines, des ZFU : Zones Franches Urbaines.
24 février :
Signature, par le Premier ministre Alain JUPPÉ, de la circulaire relative
à « l’opération Ville-Vie-Vacances en 1996 » sous le n° 4325/SG adressée aux 49
départements prioritaires : les 39 retenus en 1995 et pour des raisons de zonage urbain
(ZUS, ZRU, ZFU) à dix nouveaux départements : Aisne, Ardennes, Cher, Côte d’Or,
Manche, Marne, Haute-Marne, Pyrénées-Orientales, Sarthe et Territoire de Belfort.
Printemps :
Mise en œuvre des opérations Ville-Vie-Vacances qui se déroulent également
pendant les vacances d’été et d’hiver dans les 49 départements désignés.
Été : A l'occasion de l'Opération Ville-Vie-Vacances, mise en place d’opérations
spécifiques sur le littoral méditerranéen (Languedoc-Roussillon) et d’un plan
d’accueil de jeunes dans les communes du littoral (éducateur de rue dans
cinq communes).
Ce type d’opération a déjà été conduit dans le département de la Gironde.
novembre :
Mise en œuvre du Pacte de relance (loi).
Jean DAUBIGNY, Préfet, est nommé délégué interministériel à la ville en
remplacement de Francis IDRAC
décembre :
Géographie prioritaire ZUS-ZFU-ZRU (décrets).
1 996
15 avril :
Co-signature par le ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville
et de l’Intégration, Jean Claude GAUDIN et par le ministre délégué à la Ville et à
l’Intégration de la circulaire ayant pour objet « opération Ville-Vie-Vacances en 1997 ».
C'est la première année que cette circulaire n'est pas signée par le Premier ministre.
Celle-ci est adressée à 91 préfets de départements (49 précédents et 42 nouveaux)
puisqu’en 1 997, « le bénéfice des opérations VVV est étendu à tous les départements
concernés par les zones urbaines sensibles conformément à la nouvelle géographie
établie dans le cadre du pacte de relance pour la ville », autant dire la généralisation
à tous les départements. (celle-ci interviendra en 2000).
Page 213
Quartiers en Vacances
1 997
2 juin :
Suite aux élections législatives consécutives à la dissolution de la chambre des députés,
prononcée par le président de la République, nomination de Lionel JOSPIN comme
Premier ministre (6 mai 2002). Une nouvelle cohabitation intervient.
Martine AUBRY est nommée ministre de l’Emploi et de la Solidarité chargée de
la politique de la ville.
novembre :
Jean-Pierre SUEUR, maire d’Orléans est chargé d’une mission de réflexion sur la ville.
mars :
Nomination de Claude BARTOLONE, ministre délégué à la Ville rattaché au ministère
de l’Emploi et de la Solidarité dirigée par Martine AUBRY. (6 mai 2002)
.
1 998
30 mars :
Signature, par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité madame Martine AUBRY,
de la circulaire ayant pour objet : Opération « Ville-Vie-Vacances » en 1998
qui maintient le bénéfice de l’opération aux 91 départements précédents.
Depuis 1997, ce n’est plus le Premier ministre qui signe la circulaire OPE VVV,
c’est désormais le ministre en charge de la politique de la ville. Ainsi, pendant 15 ans,
entre 1982 et 1996, six Premiers ministres auront signé les circulaires annuelles OPE.
(trois de gauche et trois de droite !).
juillet :
Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.
Claude BREVAN est nommée déléguée interministérielle à la ville en remplacement
de Jean DAUBIGNY.
31 décembre :
Circulaire Premier ministre indiquant les démarches, les contenus, les territoires
des contrats de ville du XIIème plan (2000-2006) (7 ans – alignement sur les contrats
de plans État/Région, échelle de l’agglomération, participation des habitants).
1 999
2 février :
Signature, par le ministre délégué à la ville Claude BARTOLONE, de la circulaire ayant
pour objet « Opération Ville-Vie-Vacances en 1999 » dont le bénéfice est maintenu aux
91 départements concernés par la politique de la ville.
février :
Présentation par Ségolène ROYAL et Claude ALLÈGRE de la nouvelle carte des zones
d’éducation prioritaire.
17 et 18 mars :
Rencontres nationales des acteurs de la prévention de la délinquance à Montpellier.
25 juin :
Vote de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable
du territoire (dite loi Voynet qui modifie la loi Pasqua du 4 février 1995).
12 juillet :
Vote de la loi relative à l’organisation urbaine et à la simplification de la coopération
intercommunale (loi Chevènement).
Page 214
Annexes
2 000
24 février :
Circulaire : opérations « Ville-Vie-Vacances » adressée par le ministre délégué
à la Ville, Claude BARTOLONE, à tous les préfets de départements. « La distinction
entre les départements n’étant plus pertinente, le dispositif est généralisé à l’ensemble
du territoire national à partir de cette année. » Il s’adresse désormais aux jeunes
à partir de 11 ans.
Depuis 1982, c’est la première année que le dispositif est généralisé à l’ensemble
des départements, à l’ensemble des vacances et concerne les jeunes à partir de 11 ans.
19 juin :
Convention nationale PAJECOT (Plan d’Accueil des Jeunes dans les Communes
Touristiques) conclue à la suite des expériences menées depuis 1996 (Gironde,
Pyrénées Orientales) et principalement en 1999 (Gironde, Landes, Hautes Alpes).
décembre :
La loi « Solidarité et Renouvellement Urbains » (n° 2000-1 208) est promulguée
définitivement . Elle institue notamment les SCOT (schéma de cohérence territoriale)
et les PLU (plan local d’urbanisme).
2 001
30 janvier :
Le conseil de sécurité intérieure attribue des crédits supplémentaires pour les projets
VVV. Ces dotations doivent être employées pour des actions d’envergure (culture
et sécurité routière).
5 avril :
Signature, par le ministre délégué à la Ville Claude BARTOLONE, de la circulaire :
opération « Ville-Vie-Vacances » 2 001.
«L’expérimentation » d’extension à tous les départements se poursuit en 2001
en attendant une évaluation « pour apprécier la pertinence du maintien de la
géographie actuelle »
2 002
27 février :
Adoption de la loi sur la démocratie de proximité.
21 avril :
1er tour des élections présidentielles Jacques CHIRAC en tête avec 20 % des voix ;
L. JOSPIN 16,39 % ; J. M Le PEN 17 %.
5 mai :
Élections présidentielles : Jacques CHIRAC est réélu président de la République
(82 % des voix).
6 mai :
Premier gouvernement de J.-P. RAFFARIN (17 juin 2002)
Jean-Louis BORLOO nommé ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine
Page 215
Quartiers en Vacances
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Page 217
Quartiers en Vacances
CV/BIOGRAPHIE
Laurent MUCCHIELLI,
chargé de recherches au CNRS, membre du Centre de Recherches Sociologiques
sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages
parmi lesquels Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français
(La Découverte, 2e éd. 2 002) et Crime et sécurité : l'état des savoirs (La Découverte,
2002, en codirection avec Philippe Robert).
Louis DUBOUCHET,
éducateur, psychosociologue, dirige le cabinet d’évaluation des politiques sociales
Dubouchet et Berlioz Consultants. Ses travaux sont orientés vers la prévention de la
délinquance, l’éducation dans l’espace public, les politiques d’emploi et de formation
professionnelle. Il a contribué à l’évaluation nationale des OPE/VVV de 1989 à 1994.
Francis BAILLEAU,
sociologue, Directeur de recherche au CNRS, Directeur du groupe d’analyse du social
et de la sociabilité au laboratoire du CNRS associé à l’université de Paris 8
Marie-Claude GERARDIN,
DESS de psychologie clinique et psycho pathologique, Maîtrise de psychologie sociale.
10 ans d'expérience de conseillère technique au CREAI de Lorraine.
Marie-Christine CORDEBAR,
formatrice consultante dans le secteur sanitaire, social et médico-social.
15 ans d'expérience en tant que dirigeante associative.
Didier LAPEYRONNIE,
sociologue, Chercheur au CADIS, et Professeur d’Université à Bordeaux 2
Guy JULLIARD,
psychosociologue, ancien Educateur Spécialisé, Directeur du Cabinet d’Etudes NEO
(Nouvelles Études Expérimentales) à Lormont.
Maurice BLANC,
professeur de sociologie à l’Université Marc Bloch à Strasbourg et codirecteur du
Centre de Recherche en Sciences Sociales. Il est rédacteur en chef de la revue Espaces
et Sociétés. Il a participé à l’élaboration du rapport de Claude Brévan et Paul Picard :
Ville, une nouvelle ambition pour les métiers (Documentation française, 2 001).
Jean-Yves CAUSER,
maître de conférences en sociologie à l’Université Marc Bloch à Strasbourg
et codirecteur du Centre de Recherche en Sciences Sociales. Il a dirigé un Centre
de formation de travailleurs sociaux à Mulhouse.
Page 218
Les éditions de la DIV
Directrice de la publication :
Claude Brévan, déléguée interministérielle à la ville
Responsable des éditions :
Robert Deville, secrétaire général
Diffusion :
Déléguation interministérielle à la Ville
194, avenue du Président Wilson
93217 Saint-Denis CEDEX
Tél. : 01 49 17 46 46 - Fax : 01 49 17 47 01
site internet : www.ville.gouv.fr
Réalisation :
Grafy’
Imprimé en France par (...)
ISSN : 1633-7654
Dépôt légal juillet 2003
Quartiers en vacances
Des Opérations Prévention Été
à Ville Vie Vacances 1982-2002
Conçu dans l'urgence au début des années 80 et appelé initialement
Opérations anti Eté chaud, puis Opérations Prévention Eté, le programme Ville-Vie-Vacances ( V.V.V. ) a fêté l'an dernier ses vingt ans de
fonctionnement. Progressivement étendu à tout le territoire national,
ce sont plus de 800 000 jeunes qui ont pu en bénéficier en 2002.
A la demande de la Délégation Interministérielle à la Ville, ce dispositif
interministériel de prévention et d'accès à des loisirs a fait l'objet d'un
travail d'évaluation. Ces travaux ont été réalisés par le sociologue
Didier Lapeyronnie, qui pendant huit mois s'est entouré d'une équipe
de recherche constituée de six personnes, universitaires et issues de
cabinets privés, en charge chacune d'une thématique spécifique : l'historique ; le public et son évolution ; les acteurs et l'innovation ; les rapports entre le technique et le politique ; le travail social ; les associations.
Le lecteur pourra ainsi voir que le travail d'animation et de prévention
a évolué avec ce dispositif, et que Ville Vie Vacances demeure un
modèle concret de partenariat tant sur le plan national que local.
Délégation interministérielle à la ville
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ISSN : 1633-7654
ISBN : 2-11-093630-4
Prix : 18,30 € TTC
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