L`entretien élève par le CPE : une pratique au - Aix
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L`entretien élève par le CPE : une pratique au - Aix
Page 1 sur 4 L’entretien élève par le CPE : une pratique au service de l’accompagnement. Nathalie Mikaïloff CPE Formatrice Doctorante en sciences de l’éducation Aix-Marseille Université, ENS de Lyon-IFE, EA4671-ADEF, 13004, Marseille, France ESPE, 2 avenue Jules Isaac 13626 Aix en Provence Cx 01 [email protected] Le métier de Conseiller Principal d’Education a évolué au gré des transformations sociétales qui ont modifié le fonctionnement du système éducatif et la place de l’élève dans l’établissement scolaire. Historiquement garant du respect des règles par son héritage du surveillant général, le CPE a davantage centré, dans les années 70, sa démarche éducative sur l’apprentissage d’une citoyenneté active pour répondre aux manifestations de la crise de l’autorité. Par sa circulaire de missions du 28 octobre 1982, il est reconnu comme un acteur central de la prise en charge éducative des adolescents et développe son expertise dans le domaine de la gestion de l’équipe vie scolaire et du suivi individuel et collectif des élèves. En 1989, son entrée en pédagogie (Caré, 1992) répond aux nouveaux besoins des élèves issus du processus de démocratisation scolaire (Prost, 1986), dans un contexte socioéconomique qui interroge maintenant depuis plus de vingt ans notre institution sur ses missions d’insertion socioprofessionnelle. Ainsi le CPE est « par essence le généraliste de l’éducation », assure Guy Delaire en 1997 en le considérant comme l’un des principaux « artisans » du climat d’établissement. Le terme est repris 15 ans plus tard par les auteurs du Rapport de la Mission sur l’enseignement de la morale laïque remis au ministre Vincent Peillon le 22 avril 2013. C’est bien dans sa contribution à la politique éducative de l’établissement, par ses qualités de médiateur et de communicateur, que le CPE est attendu (Gentil et Alluin, 1996 ; Obin, in Bouvier, 1997). Lors de la récente réforme pour la refondation de l’Ecole, le référentiel métier du 1er juillet 2013 relatif aux compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation a défini huit compétences spécifiques du CPE en qualité de conseiller et animateur de la politique éducative, acteur de la communauté éducative et accompagnateur du parcours de formation des élèves. C’est en particulier dans le cadre de l’« accompagnement du parcours Page 2 sur 4 de l’élève sur les plans pédagogique et éducatif » (compétence spécifique 5), qu’il mène des entretiens d'écoute et de médiation. L’étude publiée par le Cereq en 2007 (Cadet et al) a montré que la pratique de l’entretien constituait une activité privilégiée et centrale pour le CPE afin d’assurer le suivi éducatif et pédagogique des élèves. Véritable pilier du métier selon les professionnels interrogés sur le terrain, l’entretien individuel occupe une place importante dans des journées de travail qui peuvent cependant être marquées par une certaine « tyrannie de l’urgence » vécue par le CPE devant la succession des tâches qui lui incombent (Condette, 2013). Les différentes recherches menées en France sur le métier de CPE abordent principalement la question de sa place dans l’établissement scolaire et des représentations de son rôle en lien avec la construction historique de son identité professionnelle. Avec la reconnaissance officielle d’un champ d’activité mal connu mais néanmoins central dans sa pratique, il est légitime de s’interroger aujourd’hui sur la manière dont il assure le suivi individuel des élèves. Quelle réalité recouvre l’accompagnement de l’élève par le CPE ? Dans le cadre d’une recherche en doctorat qui tente de répondre à cette question, l’enquête adressée aux CPE de notre académie en novembre dernier, avait entre autres comme objectif de mettre en évidence les caractéristiques de l’activité d’entretien menée par les CPE. Comment ce professionnel de l’éducation suscite-t-il chez l’élève l’expression de sa pensée et de ses motivations ? Quelle posture adopte-t-il et de quelle façon peut-il l’ajuster lorsqu’il lui apparaît que l’explicitation par l’élève de ses propres actions doit être favorisée ? Quelques éléments théoriques sur les techniques d’entretien peuvent déjà nous éclairer sur la nature de cette relation pédagogique. Défini comme une conversation suivie avec des objectifs, l’entretien est à la fois situation et acte de mise en relation de plusieurs personnes. Par l’ « entre-tenir », le CPE crée un espace d’échanges basé sur la parole et le langage (Jacobi, 1995). Différents types d’entretien existent, en fonction des modalités choisies et des objectifs poursuivis. S’agit-il d’un rappel du règlement intérieur qui s’impose à la suite d’une bagarre, d’une exclusion de cours ou d’une entrevue destinée à aider l’élève lorsqu’il traverse une période difficile ? La frontière peut être floue et c’est finalement la singularité de chaque jeune et de chaque situation qui va influer sur le déroulement et les objectifs de l’entretien. Les techniques peuvent ainsi varier d’un entretien directif, très structuré, qui pose des questions pré- établies appelant des réponses précises, à un entretien non directif qui n’impose pas de direction ni de contrôle de la parole. Page 3 sur 4 Carl R. Rogers (1968 ; 1970) a mis en évidence les attitudes du psychothérapeute qui favorisent une relation d’aide dans une approche centrée sur la personne (« client-centered therapy »). Le développement est le pivot central de l’entretien clinique : la théorie de la personnalité s’appuie sur l’idée d’une tendance naturelle à l’épanouissement et à la communication chez l’individu. La non-directivité qui s’est également appliquée dans le domaine de la relation pédagogique, privilégie l’écoute par le regard et la gestuelle, par un accueil soigné, par la place laissée aux silences. Elle fait appel à l’empathie du praticien, capable d’accueillir l’émotion d’autrui sans pour autant la porter. Cela nécessite une congruence de sa part, c’està-dire une forme d’authenticité dans sa réaction face à l’Autre, et une volonté de non jugement de ce qui est dit (Salomé, 2003). Autant de caractéristiques inhérentes à un entretien de qualité lorsque l’objectif est de guider l’élève et non de l’enfermer dans une démarche imposée ou des réponses préparées. Lorsqu’avec deux collègues du département ASH de l’IUFM d’Aix-Marseille, nous avons expérimenté une grille d’entretien pour le diagnostic préalable à la phase de contractualisation du Programme Personnalisé de Réussite Educative en collège, nous avons choisi de nous appuyer sur plusieurs méthodes : l’entretien compréhensif (Kaufmann, 1996), échange non contraint permettant de déduire des hypothèses sur les informations livrées par l’élève, et l’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994), qui vise à la verbalisation par l’élève de la manière dont il réalise une tâche d’apprentissage (Mikaïloff N., Pasquier A., Rouquette I., 2010). Les techniques d’explicitation formalisées par Vermersch font appel à un ensemble de pratiques d’écoute permettant de repérer ce qui est dit et de formulations de relance visant à accompagner la mise en mots de l’expérience du sujet interviewé. Il apparaît dans l’analyse des discours des CPE interrogés sur leurs pratiques, que ces différentes techniques, implicites ou apprises en formation initiale, sont mobilisées par les CPE. Dans une phase de recadrage destinée à rappeler les règles de vie dans l’établissement, l’entretien s’établira davantage sur le mode directif, tandis qu’une attitude non directive sera privilégiée pour amener l’élève à élaborer progressivement des solutions, par une méthode de questionnement progressif favorisant l’expression de l’Autre. Quel que soit l’objectif poursuivi dans l’entretien élève, la bienveillance et le sens de l’altérité sont toujours au rendez-vous. Dans une relation qui s’apparente au modèle de l’éthique relationnelle du « care » (Noddings, 1988), l’attention aux besoins de l’élève ne s’oppose pas au sentiment de responsabilité à son égard ni à l’instauration d’un cadre propice à l’entretien. Page 4 sur 4 Références Bouvier,A.(1997). Éclairage métaphorique sur l’établissement scolaire à l’usage des conseillers principaux d’éducation. Lyon : CRDP. Cadet, J.-P., Causse, L., et Roche, P. (2007). « Les Conseillers Principaux d'Éducation: un métier en redéfinition constante ». (Cereq, Éd.) Net-Doc, 28. Caré, C. (1992). Les CPE- Enquête d'image. Ministère de l' Éducation Nationale, IGEN-EVS, Paris. Condette, S. (2013). « État de la recherche sur le métier de conseiller principal d'éducation (CPE) ». Carrefours de l'Éducation 35, 105-131. Delaire G., (1997). La vie scolaire : principes et pratiques. Paris : Nathan Gentil R. et Alluin, F. (1996). Étude sur la fonction de conseiller d’éducation et de conseiller principal d’éducation. Les dossiers d’éducation et formation, 72, Ministère de l’Éducation Nationale, Direction de l’Évaluation et de la Prospective. Jacobi, B. (1995). Cent mots pour l’entretien clinique. Eres : Ramonville –Saint- Agne Kaufmann, J.C. (1996). L'entretien compréhensif. Paris, France : Nathan. Mikaïloff N., Pasquier A., Rouquette I., (2010). « Un outil à destination des enseignants : le guide d’entretien avec l’élève en difficulté », Cahiers Pédagogiques, N°480, Dossier "Travailler avec les élèves en difficulté". Noddings, N. (1988) An Ethic of Caring and Its Implications for Instructional Arrangements. American Journal of Education. 96, (2) The Moral Life of Schools, 215-230. Récupéré du site: http://www.jstor.org/stable/1085252 Prost, A. (1986). L’enseignement s’est-il démocratisé? Paris : PUF. Rogers, C. (1968/2005). Le développement de la personne. Paris: Dunod. Rogers, C. (1970). La relation d’aide et la psychothérapie. Paris : ESF. Salomé,J.(2003). Relation d’aide et formation à l’entretien. Presses Universitaires du Septentrion : Villeneuve d’Asq. Vermersch, P. (2003). L’entretien d ‘explicitation. Paris, France : ESF. Ce texte est sous licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale Pas de Modification 4.0 International. 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