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P E T I T E anthologie DES PLUS BEAUX du bonheur Claire Julliard P E T I T E anthologie DES PLUS BEAUX POÈMES du bonheur L L’INST TANT CUPCAKE S O M M A I R E 15 Rêves de félicité 57 Effluves de tendresse 75 Plaisirs terrestres 101 Regret du bonheur 123 Voluptés 139 Bonheur mystique P A R T I E 1 Rêves de félicité RÊVES DE FÉLICITÉ 17 F R A N Ç O I S - R E N É D E C H AT E A U B R I A N D ( 1 7 6 8 - 1 8 4 8 ) Nous verrons Le passé n’est rien dans la vie, Et le présent est moins encor ; C’est à l’avenir qu’on se fie Pour donner joie et trésor. Tout mortel dans ses yeux devance Cet avenir où nous courrons ; Le bonheur est espérance ; On vit, en disant : nous verrons. Mais cet avenir plein de charmes, Qu’en est-il lorsqu’il est arrivé ? C’est le présent qui, de nos larmes, Matin et soir est abreuvé ! Aussitôt que s’ouvre la scène Qu’avec ardeur nous désirons, On bâille, on la regarde à peine ; On vit, en disant : nous verrons. 18 RÊVES DE FÉLICITÉ Ce vieillard penche vers la terre : Il touche à ses derniers instants ; Y pense-t-il ? Non : il espère Vivre encore soixante-dix ans. Un docteur, fort d’expérience, Veut lui prouver que nous mourrons ; Le vieillard rit de la sentence Et meurt, en disant : nous verrons. Valère et Damis n’ont qu’une âme, C’est le modèle des amis. Valère en un malheur réclame La bourse et les soins de Damis : « Je viens à vous, ami si tendre, Ou ce soir au fond des prisons… – Quoi ! ce soir même ? – On peut attendre. Revenez demain : nous verrons. » Nous verrons est un mot magique Qui sert dans tous les cas fâcheux. Nous verrons, dit le politique ; Nous verrons, dit le malheureux. Les grands hommes de nos gazettes, Les rois du jour, les fanfarons, Les faux amis, les coquettes, Tout cela vous dit : nous verrons. RÊVES DE FÉLICITÉ A L P H O N S E D E L A M A R T I N E ( 1 7 9 0 - 1 8 6 9 ) Le Lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges Jeter l’ancre un seul jour ? Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu’elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre Où tu la vis s’asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. 19 20 RÊVES DE FÉLICITÉ Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos : Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère Laissa tomber ces mots : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! Assez de malheureux ici-bas vous implorent, Coulez, coulez pour eux ; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent, Oubliez les heureux. Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m’échappe et fuit ; Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore Va dissiper la nuit. Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; Il coule, et nous passons ! » RÊVES DE FÉLICITÉ Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse, Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur, S’envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur ? Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi ? passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ! Éternité, passé, néant, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? Ô lac ! rochets muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux. 21 22 RÊVES DE FÉLICITÉ Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l’astre au front d’argent qui blanchit sa surface De ses molles clartés. Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire, Tout dise : Ils ont aimé ! RÊVES DE FÉLICITÉ V I C T O R H U G O 23 ( 1 8 0 2 - 1 8 8 5 ) Où donc est le bonheur ? Sed satis est jam posse mori. LUCAIN. Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné ! Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné. Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère, Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère, Est l’âge du bonheur, et le plus beau moment Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament ! Plus tard, aimer, – garder dans son cœur de jeune homme Un nom mystérieux que jamais on ne nomme, Glisser un mot furtif dans une tendre main, Aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen, Envier l’eau qui fuit, le nuage qui vole, Sentir son cœur se fendre au son d’une parole, Connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit, Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit, 24 RÊVES DE FÉLICITÉ Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes, Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes, Tous les buissons d’avril, les feux du ciel vermeil, Ne chercher qu’un regard, qu’une fleur, qu’un soleil ! Puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse Les boutons d’orangers sur le front de l’épouse ; Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ; Voir aux feux de midi, sans espoir qu’il renaisse, Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse, Perdre l’illusion, l’espérance, et sentir Qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir, Effacer de son front des taches et des rides ; S’éprendre d’art, de vers, de voyages arides, De cieux lointains, de mers où s’égarent nos pas ; Redemander cet âge où l’on ne dormait pas ; Se dire qu’on était bien malheureux, bien triste, Bien fou, que maintenant on respire, on existe, Et, plus vieux de dix ans, s’enfermer tout un jour Pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour ! Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années, Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris, Boire le reste amer de ces parfums aigris, Être sage, et railler l’amant et le poète, RÊVES DE FÉLICITÉ 25 Et, lorsque nous touchons à la tombe muette, Suivre en les rappelant d’un œil mouillé de pleurs Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs ! Ainsi l’homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre. C’est donc avoir vécu ! c’est donc avoir été ! Dans la joie et l’amour et la félicité C’est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie. Voilà de quel nectar la coupe était remplie ! Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort ! Grandir en regrettant l’enfance où le cœur dort, Vieillir en regrettant la jeunesse ravie, Mourir en regrettant la vieillesse et la vie ! Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné ! Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné ! 28 mai 1830 26 RÊVES DE FÉLICITÉ G É R A R D D E N E R V A L ( 1 8 0 8 - 1 8 5 5 ) Fantaisie Il est un air pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui pour moi seul a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cents ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre Un coteau vert, que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ; Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens, Que, dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue – et dont je me souviens ! RÊVES DE FÉLICITÉ Il est un air pour qui je donnerais, tout Rossini, tout Mozart et tout Weber 27 ! ! ! Petite!anthologie!des!plus!beaux! poèmes!du!bonheur! Claire!Julliard! ! Plus!d’infos!sur!ce!livre!paru!! aux!éditions!L’Instant!Cupcake!