Proposition de correction pour le commentaire du texte de Victor

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Proposition de correction pour le commentaire du texte de Victor
Proposition de correction pour le commentaire du texte de Victor Hugo
Introduction (1 = une accroche généraliste conduisant au texte, 2 = une tentative de problématiser, 3 = une annonce de
plan avec un minimum de précisions)
1. La politique est un sujet théâtral intéressant, car elle offre à la fois une vitrine (la politique-spectacle, une visibilité
publique), et la nécessité d’hommes de l’ombre, qui agissent, font le travail ingrat, pour le bien de l’État. C’est ce qu’a fait
Hugo dans Angelo, tyran de Padoue, en 1835, pièce historique prétexte à rebondissements spectaculaires provoqués par des
intrigues tortueuses et parfois embrouillées. 2. La longue explication que fait Angelo à sa maîtresse, où il se présente à la fois
comme chef absolu et serviteur d’un autre État, est très complexe, et pour en rendre compte il faut essayer de comprendre
dans quel état d’esprit il se trouve, mais aussi pourquoi Hugo a choisi un tel sujet et cette manière de le développer. Un tyran
qui se plaint d’avoir trop de pouvoir, et en même temps d’être soumis à un autre pouvoir, c’est une situation paradoxale, et il
faudra sans doute voir en quoi elle est tragique ; un sénateur qui donne un cours de science politique à une comédienne, au
tout début d’une pièce, c’est peut-être une leçon indirecte de Hugo, et ce serait du théâtre engagé. 3. Donc on analysera
d’abord la tragédie d’Angelo, en montrant qu’il est soumis à des forces qui le dépassent et qui le font agir : un pouvoir
extérieur et la peur de lui désobéir, et qu’il se trouve dans un sérieux dilemme. Ensuite, on cherchera à comprendre le sens de
ce discours politique : description ambiguë d’un monde à double face, puis celui de cette dénonciation didactique d’un
système autoritaire dissimulé sous une apparence de civilisation.
Plan détaillé (indication des outils d’analyse et des illustrations possibles, à compléter)
I Une tragédie politique et sentimentale, ou psychologique
1°) Un homme soumis à un pouvoir terrifiant et très fort = registre tragique

Pouvoir indéterminé et anonyme : abondance de l’indétermination, derrière un nom générique, « Venise » et « le
Conseil des Dix », une abstraction et une indéfinition, choix d’un terme neutre et passe-partout, le mot « chose » : « une
chose grande et terrible »
 Pouvoir invisible : images de nuit, de souterrains, de cachettes, « on entend quelque chose tomber dans l’eau la nuit »,
« un corridor ténébreux », « cette ombre »
 Pouvoir dissimulé derrière l’anonymat : « qui n’ont ni simarre, ni étole, ni couronne, rien qui les désigne aux yeux »
 Pouvoir nombreux contre un seul : abondance des pluriels, énumérations, reprises ternaires : « Des hommes que […]
et qui […] des hommes qui […] et qui […] des hommes qui […] et qui […] des hommes qui […]», « des agents partout,
des sbires partout, des bourreaux partout », « ces mornes bouches de bronze […] bouches fatales que […] et qui », « le
valet […] l’ami […] le prêtre […] la femme »
 Pouvoir effrayant : lexique de la crainte, « terrible » trois fois dans le texte, points d’exclamation et tonalité d’Angelo,
évocations de la mort ou de la disparition sous des formes variées, « qui ont dans leurs mains toutes les têtes »,
« sbires », « bourreaux », « Condamné », « exécuté », « bourreau », « échafaud », « meurt », « échafaud », « disparaît »,
« plombs », « puits », « le canal Orfano », « on entend quelque chose tomber dans l’eau la nuit », lexique de la surprise,
de l’imprévisibilité, la métaphore des vengeances personnelles qui cheminent
Transition : cela n’est pas normal …
2°) Un homme soumis à la peur et à la méfiance, une sorte de paranoïa, en plein désarroi, faisant de l’ironie = registre
tragique

Antithèses pour montrer le paradoxe du tyran soumis : « Je suis sur Padoue, mais ceci est sur moi. », « Tyran de Padoue,
esclave de Venise. »
 Situation de confidence ou de confession, Angelo parle sous le sceau du secret à quelqu’un qui ne fait pas partie du
monde politique : « Écoutez, Tisbe », « parlons-en bas, Tisbe », « Voilà sous quelle pression je vis, Tisbe », « Ne me
demandez jamais la grâce de qui que ce soit, à moi qui ne sais rien vous refuser, vous me perdriez. »
 Gradations, répétitions, variation sur le même thème, celui de la surveillance permanente, lexique et images de la
surveillance : « l’inquisition », « qui nous écoute », « des agents », « ces mornes bouches de bronze », « à l’insu de »,
« secret », « trahisseur », « Je suis bien surveillé, allez ! », et abondance du « tout » et du « partout »
 Exemples à la fois amusants et inquiétants (le serrurier, « j’entends des pas dans mon mur ») : ironie tragique, proximité
de la folie
Transition : un entre-deux délicat, une situation totalement ambiguë, donc un malaise intellectuel et affectif
3°) Un homme pris dans un dilemme : obligé d’être tyrannique contre sa nature = registre tragique



Abondance du JE et auto proclamation de ses titres, métaphore de la cruauté : « la griffe du tigre sur la brebis »
Manifestation du regret de ne pas pouvoir être humain : « Ne me demandez jamais la grâce de qui que ce soit »
Grammaire des tournures passives ou à signification passive : « Voilà sous quelle pression je vis », « ceci est sur
moi », « J’ai mission de », « Il m’est ordonné » « Je suis bien surveillé », et série de verbes dont « ME » est le c.o.d. :
« Ne me demandez », « vous me perdriez », et « m’espionne » quatre fois de suite dans la phrase finale

Nécessité de dire son malaise à une maîtresse, celle à qui il ne sait rien refuser, soumission plus agréable, mais
dangereuse ?
Transition : c’est du théâtre, on ne va donc pas plaindre Angelo. Mais il faut comprendre pourquoi Hugo le fait
s’épancher aussi longuement, à propos d’une République vieille de trois siècles. Il y a sans doute une visée politique
derrière ce spectacle d’un homme qui fait des confidences sur l’oreiller à une comédienne, peu suspecte d’ambition
politicienne. Donc le spectateur de 1835 est peut-être destinataire d’un message, ou d’une leçon.
II Une tirade à portée politique, une dénonciation, ou du moins une leçon
1°) Description d’un monde double, de la duplicité politique : l’Italie vue par un républicain du XIXème ? = leçon
politique

D’un côté, le pittoresque des clichés sur l’Italie : images de Venise, doge, palais, canaux au nom italien, carnaval, bals,
costumes, tout le folklore de la représentation touristique, et même les « bouches de bronze » où l’on glissait les
dénonciations anonymes, etc.
 De l’autre, une ville secrète, évoquée à la manière d’un guide qui ferait voir derrière chaque porte des mystères, avec le
champ lexical de l’obscurité, du secret, avec des sous-entendus : les mêmes « bouches de bronze » ont donc les deux
valeurs, folklorique et politique
 La description de deux villes éloignées, mais dont les caractéristiques se mélangent et s’effacent : il est difficile de
savoir dans laquelle des deux on est dans certaines évocations d’Angelo, c’est un seul et même monde politique, derrière
deux géographies différentes, car le mur de la chambre d’Angelo se situe à Padoue, mais il évoque des cheminements
secrets dans les murs, dans les couloirs, qui se passent aussi à Venise
 Des antithèses nombreuses et des renversements du supérieur à l’inférieur, de l’esclave à l’homme libre, de l’indéfini
au précis, l’abondance des images de l’inconnu :
 Une sensation proche du fantastique : une réalité qui ne répond pas aux critères rationnels de l’analyse et de la
compréhension, mais qui fonctionne très bien, presque toute seule, dans laquelle Angelo n’est qu’un bras animé par une
force externe, la métaphore des vengeances qui cheminent
Transition : vision historique, peut-être, mais surtout fantastique, qui rejoint l’impression de paranoïa vue plus haut.
2°) Une explication du monde : Victor Hugo professeur à Sciences Po,= leçon politique

Énonciation à la deuxième personne.
 Tonalité didactique, pesante, du maître à l’élève, questions rhétoriques à Tisbe : « savez-vous », « Vous, Tisbe, ma
belle comédienne, vous ne connaissez que ce côté-là ; moi, sénateur, je connais l’autre », « Oui, c’est ainsi » ; lexique de
l’appel à l’attention : « Écoutez », « voyez-vous », « savez-vous », « je vais vous le dire », « Voyez-vous » ; répétitions
sous des formes voisines, images redondantes pour définir son pouvoir : « je suis seigneur, despote et souverain de
cette ville, je suis le podesta que Venise met sur Padoue, la griffe du tigre sur la brebis »
 Lexique de la connaissance et de la compréhension, marque de l’autorité pédagogique de l’homme qui connaît tout, car
il est sénateur, à la différence de la « belle comédienne »
 Des exemples simples destinés à faire comprendre la complexité : le serrurier
 Phrases longues, lourdement ponctuées, avec des reprises
 Lexique simplifié de la politique, peu de termes très techniques, mais des approximations : « peuple », « conseil »,
« famille », « seigneur »
 Des enchaînements logiques avec reprise du dernier terme, « dénoncez ! », « une fois dénoncé, on est pris ; une fois
pris, tout est dit », des séries binaires montrant des automatismes, « rien à voir, rien à dire », pas un cri […] pas un
regard », « un bâillon […] un masque »
 Un monde ramifié, à l’image des longues phrases et de la syntaxe explicative, beaucoup de propositions relatives
 Un monde où la volonté de puissance est fondamentale, comme l’oppression : pas de révolte, système de délation,
espionnage (champ lexical et répétitions)
 Un monde où les sentiments bas se mêlent à la politique, « vengeances personnelles », délation, « mornes bouches de
bronze », images à connotation morale, « on sent serpenter », etc.
 Un monde violent, images de mort, de supplices, etc.
 Une assimilation à « l’inquisition » : un monde où le pouvoir juge, enquête, une sorte de police de la pensée
Donc : le contraire d’un idéal de liberté, paradoxe lorsqu’on parle de la République de Venise
III Conclusion
Hugo nous fait admirer ( ?) un homme politique lucide, humain malgré l’obligation d’être tyrannique, et capable de faire un
retour introspectif sur sa condition d’esclave de Venise.
D’un point de vue littéraire, cette confession provoque un sentiment d’oppression ; d’un point de vue théâtral, elle donne
l’impression du mystère. Et il faut s’imaginer comment peut se comporter Tisbe pendant ce discours …
En même temps, il nous fait comprendre que la liberté est le bien le plus précieux, que la franchise est une vertu positive, et
implicitement il dénonce (pour l’éducation des spectateurs ?) les régimes autoritaires et dissimulés.