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L’analyse d’une photographie : Robert Capa
Nous allons analyser la célèbre image de Robert Capa intitulée
« Mort d’un soldat républicain près de Cerro Muriano, Espagne, 5
septembre 1936 ». Je vous ai déjà parlé du doute qui plane sur
l’authenticité de ce cliché dans la chronique « Le poids des pixels »
http://www.emagphoto.eu/retouche.html. Bref, faisons comme si
cette photographie était bien le reflet d’une scène réelle. L’artiste
arrange parfois la réalité pour donner de la force à son oeuvre. Il
n’en demeure pas moins que cette guerre a eu lieu, que les morts
furent nombreux et que l’engagement de Capa auprès des
républicains était authentique.
L’artiste est parfois un menteur qui dit la vérité ! Aujourd’hui nous
allons analyser cette image en faisant abstraction des polémiques
qui entourent cette photographie voulant que le reportage de guerre
Robert Capa - Mort d’un milicien loyaliste, Cordoba, Espagne 1936
peut parfois naviguer entre objectivité, témoignage et mise en
scène…
Le sujet :
La photographie présente un homme en chemise blanche, armé et arrêté net dans sa progression, prêt à lâcher son fusil. Il va tomber en
arrière, les bras en croix, après avoir été touché par une balle dont on ne voit pas l’impact sur l’image…
Le photographe :
Robert Capa, de son vrai nom Endre Erno Friedmann, est hongrois, il est né à Budapest dans une riche famille juive, en 1913. Etudiant
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gauchiste il participe à des actions politiques contre le régime autoritaire en place. On le somme de quitter la Hongrie pour Berlin en
échange de sa libération. L'aventure berlinoise s’arrête pour Endre car juif, immigré et gauchiste, l’ambiance devient irrespirable pour lui,
quand Hitler accède au pouvoir en janvier 1933. Il décide alors de partir pour Vienne, mais là encore, un autre Chancelier, Engelbert
Dollfuss, y a établi une dictature fasciste. Il émigre finalement à Paris à l’automne 1934. Reporter free-lance il collabore avec de nombreux
magasines internationaux comme reporter de Guerre, il couvre notamment la guerre d’Espagne. Il fondera l’agence Magnum avec Henri
Cartier-Bresson, une agence nouvelle puisque les photographes sont propriétaires de leurs négatifs et décident des reportages qu’ils veulent
réaliser. Robert Capa meurt le 25 mai 1954, dans une zone proche du Tonkin victime de l’explosion d’une mine, lors d’un reportage en
Indochine.
Le contexte :
En 1936, la Guerre d’Espagne oppose les nationalistes et les républicains. Robert Capa, reporter de 23 ans, couvre l’événement et prend
cette photo qui restera l’une de ses plus célèbres prises. Il soutient les républicains, mais sa seule arme reste son appareil photo. La
photographie est publiée le 23 septembre 1936 dans un numéro spécial du magazine Vu consacré à cette guerre ibérique. Cette image est
devenue mythique, elle est devenue la photographie référence publiée par la presse de l’époque comme résumant le conflit de la guerre
d’Espagne.
L’impression :
Ce cliché dramatique symbolise l’héroïsme d’un soldat républicain qui perd la vie au combat, dans sa lutte pour la cause républicaine. Il
souligne également de manière invisible le courage du reporter qui suit ce conflit au risque de sa vie. L’image résume, dans l’action d’une
chute annoncée, la lutte du peuple espagnol contre le fascisme et le déclin imminent d’une République. Il ressort de cette photographie une
impression d’effet dit de « Pathos », qui se traduit par la mise en évidence des trois notions que sont la souffrance, la passion et l’affect.
Par ailleurs on peut qualifier cette image d’instant décisif, cher à Cartier-Bresson, c’est un instantané.
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Format, angle et cadrage :
Le combattant espagnol est photographié seul, en pied, en légère
contre-plongée, ce qui indique la proximité du photographe. Le
milicien qui, au premier plan vient de recevoir une balle, occupe la
partie inférieure gauche de l’image. Cela accentue grandement
l’impression de chute formée par la diagonale matérialisée en rouge,
qui sépare virtuellement le cliché en deux partie égales. Cette chute
annoncée est également renforcée par la proximité du sol
matérialisé par la ligne verte sur l’image.
Le photographe est placé en contre bas, la prise de vue est donc une
contre plongée. Cette vision rapprochée, place le spectateur au
coeur de l’action et de la dramaturgie de la scène. Il s'identifie au
photographe qui apparaît comme un second acteur invisible. Ce type
de photo légitime la valeur de l'information photographique, on peut
ressentir que le reporter était bien présent sur le terrain en prenant
les mêmes risques que les combattants.
Analyse des lignes obliques
Enfin, le cadrage de la photographie peut nous laisser penser que
Capa a été surpris par la rapidité de la scène et qu’il a déclenché par
réflexe très rapidement, sans désir de composer la scène, les pieds
coupés confirment cette impression.
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Profondeur et lumière :
L’ombre portée que l’on voit à gauche au sol permet de situer approximativement le moment de la prise du cliché en fin d’après-midi. Sa
présence dynamise également l’image bien que coupée en infligeant une direction, celle que va suivre le corps lors de sa chute.
Composition :
L’image comporte peu de données descriptives, le cliché mise sur
une esthétique dépouillée et sur une grande simplicité dans sa
composition. Le décor reste flou, l’action est intemporelle car on ne
peut pas situer la scène sans sa légende. Seul le contexte militaire
est indiscutable, identifiable grâce au fusil et à l’harnachement. Le
flou est à cette époque une sorte de signature esthétique en
photojournalisme,
une
période
durant
laquelle
l’émotion
de
l’événement vécu, prévalait sur sa valeur esthétique. J’ajouterais
qu’en la présente il y a quand même des aspects artistiques et
esthétiques, dégagés par cet homme les bras en croix comme
suspendu en l’air avant de tomber.
On notera également que cette image respecte les grands principes
Lignes des tiers, diagonale et points chauds
d’une bonne composition, même si elle a vraisemblablement était
prise dans l’urgence. Le personnage est bien positionné par rapport
aux tiers et à la diagonale, son visage étant situé sur un point
chaud.
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Enfin je souligne la présence d’un triangle formé par le corps du
milicien, triangle qui fonctionne toujours bien dans une composition
en photographie. Pourtant les compositions à base de triangle(s)
évoquent souvent le calme, l’harmonie et la sérénité. Les grands
artistes de la Renaissance utilisaient déjà cette forme de
composition d’image dans leurs oeuvres, notamment pour la
représentation d’images religieuses, de natures mortes ou de
portraits. Cette tradition s’est également perpétuée à travers le
mouvement néoclassique…
Il en ressort qu’il est presque impossible de donner une note grave
et dynamique à une telle composition. Une photographie organisée
de la sorte évoquant en général une vue forte mais fermée. En
d’autres termes, le spectateur voit une composition qui se suffit à
elle-même et annihile toute ouverture ou toute dimension de hors
champ.
L’unique moyen d’apporter un certain dynamisme à une telle image
étant de jouer sur des flous artistiques et sur les lignes obliques.
Cela tombe bien, car c’est justement cette association qui ici
dynamise parfaitement l’image de Capa !
Squal
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Triangle