Reportage à Beni Mkada. "Ici tu es à Kandahar"

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Reportage à Beni Mkada. "Ici tu es à Kandahar"
Reportage à Beni Mkada. "Ici tu es à Kandahar"
REPORTAGE. Direction Hay Sidi Driss, Bir Chifa et El Mers, à Beni Mkada, pas
loin de Marjane Tanger-Médina et de l'hôtel Ahlen. Je me dis que le fonctionnaire
de l'Intérieur qui compare la périphérie de Tanger à Kandahar exagère un peu.
Petite plongée dans un quartier où l'on fabrique des criminels et des extrémistes.
El Mers, à un jet de pierre de l'aéroport de Tanger, comme à Kandahar et à Kétama,
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dès midi, beaucoup de jeunes sont aux terrasses des cafés. Il y a plus de pipes de kif et
de joints qui circulent que de journaux ouverts. Comme dans tous les quartiers des
périphéries de nos villes, les marchandises sont disposées à même le sol: ici des melons,
là des légumes ou des barils de semoule de couscous.
Comme à Kandahar, les femmes sont couvertes de la tête aux pieds. Parfois on peut
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voir leurs visages. Comme à Kandahar surtout, la chronique des faits divers à El Mers a
été secouée, dans la nuit du 22 au 23 août, par une agression commise par une
vingtaine de membres d'une "brigade de la vertu" contre un jeune du quartier qui revenait
d'un mariage. Ces "brigadiers" qui font "loi et justice" dans certains quartiers voulaient
punir Mohamed El Berdaï parce qu'il avait bu deux bières au mariage.
Loin, très loin des lumières de la métropole
Sidi Driss ou Bir Chifa ne sont pas Kandahar. Dans les bureaux, les cafés ou certaines
rédactions de presse, on aime l'exagération. Parfois, c'est pour forcer le trait.
'Afghanistan est un pays enclavé, sans façade maritime. Ici, des hauteurs de Bir Chifa
L
qui auraient avec d'autres décideurs et d'autres planificateurs urbains pu devenir un autre
quartier California, un autre quartier La Montagne, on peut avoir vue sur la mer, sur les
tours de la baie de Tanger, cap Malabata, les lumières des restaurants et des hôtels le
soir.
A l'arrondissement du quartier, lorsque l'on demande des indications pour se rendre au
quartier d'El Mers, on apprend au terme de plusieurs échanges, qu'il y a plusieurs Mers:
El Mers 1, El Mers 2, le lotissement El Mers et Mers Achanad. Des zones encore floues.
La croissance urbaine et démographique du quartier y est si importante depuis
quelques années que les fonctionnaires du quartier ne semblent pas tous connaître le
territoire couvert par leur administration ni la population qui y vit. Plaques de rues et
numéros y sont une denrée rare. Les bâtiments aux normes aussi. Ni une pelouse, un
parc de jeux pour nos enfants-avenir et nos enfants-capital.
e flou règne et il bénéficie à deux groupes en particulier. Les trafiquants et
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extrémistes religieux d'un côté, et de l'autre côté ceux qui font leur beurre sur le
découpage de terres collectives sans passer par l'Agence urbaine. Il faut quelques
témoins, un peu de culot, un minimum de respect de la loi du silence et une politique du
fait accompli. Quelques fonctionnaires, quelques élus et quelques promoteurs
immobiliers s'en accommodent très bien.
"Une fabrique de criminels et d'extrémistes"
e conseiller communal de Bir Chifa Aziz Samadi (PJD) ne cache pas sa colère devant
L
le paysage de bombes à retardement qui se déploie sous ses yeux. Il n'y a ni
dispensaires, ni parcs, ni espaces verts, ni équipements sportifs ou culturels, ni d'écoles
en nombre suffisant. Aziz Samadi cite le cas d'une école primaire du quartier qui devait
être prête pour la rentrée ... 2010-2011.
n cette rentrée 2014-2015, les gamines et les gamins d'El Mers 2 du quartier font
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encore 3 à 4 kilomètres à pied pour rejoindre leur école à Bir Chifa. Des parents ont
renoncé à y envoyer leurs filles.
Tout le reste est à l'avenant. "Un terrain des domaines de l'Etat destiné à
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l'aménagement d'un parc est en train d'être vendu à Al Omrane," déplore le militant
associatif Abdelouhaed El Berdaï qui s'étonne: "Mais Al Omrane, c'est l'Etat aussi,
n'est-ce pas?" Les jeunes grandissent entre terrains vagues, constructions de mauvaise
qualité et détritus à chaque coin de rue. "Ceci n'est pas un espace pour vivre", assène le
jeune conseiller communal du PJD.
Faut-il rouvrir les mosquées ?
Sur l'extrémisme religieux, Samadi estime que certains membres de ces mouvances
remplissent le vide laissé par l'Etat: "Ils jugent et sanctionnent ; décident du bien et du
mal. Je ne suis pas surpris. Aujourd'hui, on accepte moins les importantes inégalités
sociales ; les jeunes du quartier traînent dans la rue, leurs parents ne sont pas là et ils
sont approchés par les extrémistes. C'est une erreur de fermer les mosquées en
dehors des heures de prière. Cet espace doit servir à encadrer et à éduquer les enfants
du quartier".
I llustration de la vitesse à laquelle la zone a poussé, Aziz Samadi m'explique qu'"aux
dernières élections en 2009, Sidi Driss et El Mers étaient composés de quelques
maisons; il n'y avait pas assez d'habitants pour présenter un candidat aux élections. Ici,
c'était la périphérie de Bir Chifa".
Des solutions? "Oui. Il faut arrêter le maquillage des quartiers, établir un vrai
service de secours social et investir pour répondre aux besoins primaires des
habitants. Ici se recrutent beaucoup des jeunes qui vont combattre en Syrie et en Irak".
Au final, ce n'est pas vraiment Kandahar, mais une sacrée bombe à retardement.
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