Hypokaliémie sévère au cours d`un syndrome de Cushing
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Hypokaliémie sévère au cours d`un syndrome de Cushing
abc pratique quotidienne Ann Biol Clin 2007 ; 65 (4) : 425-30 Hypokaliémie sévère au cours d’un syndrome de Cushing paranéoplasique Ectopic ACTH syndrome and severe hypokalaemia Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. A. Servonnet1 H. Delacour1 X. Roux2 C. Dehan1 V. Gardet1 C. Morand2 1 Fédération de biologie clinique, <[email protected]> 2 Service de médecine interne, Hôpital d’Instruction des Armées Robert Picqué, Bordeaux Résumé. Les syndromes de Cushing sont des pathologies rares dont le diagnostic peut se révéler délicat. Les principales difficultés diagnostiques résident dans l’existence de tableaux clinico-biologiques mimant le syndrome de Cushing (pseudo-Cushing) et dans le diagnostic différentiel des deux formes de syndromes de Cushing ACTH-dépendants. Nous rapportons le cas d’un syndrome de Cushing paranéoplasique dans le cadre d’un cancer bronchique à petites cellules avec métastases hépatiques, dont le principal signe d’appel biologique a été une hypokaliémie sévère. L’objectif de ce travail est de rappeler la démarche du diagnostic biologique des syndromes de Cushing et de présenter le mécanisme physiopathologique de l’hypokaliémique retrouvée dans cette observation. Mots clés : hypokaliémie, syndrome de Cushing paranéoplasique, démarche diagnostique Abstract. Cushing’s syndrome is rare and remains a challenge to diagnose. Particularly difficult are the differentiation between Cushing’s syndrome and Pseudo-Cushing’s states and between the two forms of ACTH dependent Cushing’s: Cushing’s disease and ectopic ACTH syndrome. We report the case of a patient diagnosed with a metastatic smal cells lung carcinoma associated with ectopic ACTH-syndrome. Hypokalaemia was a clue to diagnosis. We focus on critical questions addressing diagnosis and differential diagnosis of Cushing’s syndrome and we explain the mechanism of hypokalaemia. Article reçu le 10 mars 2007, accepté le 14 avril 2007 Key words: hypokalaemia, ectopic ACTH syndrome, biological diagnosis doi: 10.1684/abc.2007.0142 L’observation Une femme de 41 ans est hospitalisée pour dyspnée de stade I avec dégradation de l’état général évoluant depuis un mois. Cette fumeuse (20 paquets année) présente comme antécédent médical notable une hypertension artérielle présumée essentielle diagnostiquée depuis 2 ans et traitée par Cotareg®, Hyperium® et Amlor®. À l’admission, l’examen clinique met en évidence une hypertension artérielle systolique modérée (160 mmHg), une obésité androïde (97 kg pour 174 cm), un syndrome œdémateux distal des jambes avec signe du godet, une exophtalmie bilatérale modérée et une hépatomégalie indolore. Le bilan biologique montre une hypokaliémie majeure (1,8 mmol/L) avec kaliurèse inadaptée (44 mmol/j), une alcalose métabolique (pH à 7,49 et hydrogénocarbonates à Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 38 mmol/L), une hyperglycémie, une cytolyse hépatique avec un syndrome cholestatique ainsi qu’une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, le reste du bilan biologique étant dans les limites de la normale (tableau 1). Le bilan endocrinien, réalisé devant ces premiers résultats, met en avant une hypercortisolémie majeure avec rupture du cycle nycthéméral associée à une augmentation de la cortisolurie des 24 heures et une concentration en ACTH supérieure à 10 fois la normale orientant vers une sécrétion paranéoplasique (tableau 2). Le scanner révèle un nodule apical gauche de 13 mm au niveau thoracique ainsi qu’un foie polymétastasique. Un carcinome neuroendocrine de haut grade de malignité est retenu suite à la biopsie hépatique, l’exploration du nodule pulmonaire étant non réalisable. Le dosage des marqueurs tumoraux met en évidence une augmentation de la NSE 425 pratique quotidienne Tableau 1. Résultats des principaux sanguins et urinaires à l’admission. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Paramètres mesurés examens biologiques Résultats Valeurs normales Sang Sodium Potassium Chlorures CO2 total Glucose ASAT ALAT γGT PAL Bilirubine totale Bilirubine libre 142 1,8 91 39,3 9,14 67 216 1 960 202 20 14 (138 – 142 mmol/L) (3,5 – 4,5 mmol/L) (90 – 110 mmol/L) (22 – 28 mmol/L) (4,5 – 5,5 mmol/L) (< 31 UI/L) (< 34 UI/L) (0 – 38 UI/L) (40 – 136 UI/L) (N < 17 µmol/L) (N < 5 µmol/L) pH 7,49 (7,38 – 7,42 UpH) 16 780 14 448 (4 000 – 10 000/mm3) (1 500 – 8 000/mm3) 134 (< 400/mm3) 67 (< 100/mm3) 1 393 738 4 210 000 14,2 257 000 (1 000 – 4 000/mm3) (800 – 1 200/mm3) (4 000 000 – 5 000 000/mm3) (12 – 15 g/dL) (150 000 – 300 000/mm3) 2 000 98 44 126 (600 – 2 000 mL/j) (30 – 300 mmol/j)) (50 – 150 mmol/j) (50 – 300 mmol/j) Leucocytes - polynucléaires neutrophiles - polynucléaires éosinophiles - polynucléaires basophiles - lymphocytes - monocytes Hématies Hémoglobine Thrombocytes Urines Diurèse Sodium Potassium Chlore Tableau 2. Résultats du bilan biologique endocrinien et du dosage des marqueurs tumoraux. Paramètres mesurés Résultats Valeurs normales Aldostérone couchée Rénine couchée Cortisol 8 H Cortisol 16 H ACTH Cortisol libre urinaire 200 8 2 513 2 478 682 > 10 000 (43 – 430 nmol/L) (5 – 25 nmol/L) (250 – 450 nmol/L) (50 – 250 nmol/L) (2,2 – 13,2 pg/mL) (90 – 110 nmol/L) 1 523 284,8 (0,0 – 3,4 µg/L) (0,0 – 16,3 µg/L) ACE NSE (284,8 lg/L) et de l’ACE (1 523 lg/L). Une chimiothérapie est alors instaurée (Carbo-VP16) associée à un traitement médical de l’hypercorticisme par métopirone 250 mg (3 prises par jour). En quelques semaines une 426 régression du faciès cushingoïde est observée avec retour aux concentrations physiologiques en cortisol (cortisol 8 heures à 357 nmol/L). Le point de vue du biologiste Les syndromes de Cushing se définissent par un ensemble de manifestations cliniques et biologiques en rapport avec un excès de sécrétion endogène de glucocorticoïdes. Deux grands cadres physiopathologiques sont distingués : 1) les hypercorticismes ACTH-dépendants (environ 80 % des cas) dans lesquels les surrénales sont stimulées par une sécrétion excessive et inappropriée d’ACTH. Celle-ci est soit d’origine eutopique et sécrétée par un adénome hypophysaire (maladie de Cushing), soit d’origine ectopique et sécrétée par une tumeur endocrine non hypophysaire (syndrome de Cushing paranéoplasique). Les syndromes de Cushing par sécrétion ectopique exclusive de corticolibérine (CRH) sont exceptionnels ; 2) les hypercorticismes ACTH-indépendants dans lesquels la sécrétion surrénalienne est autonome en rapport avec une tumeur surrénalienne bénigne ou maligne. L’hypercorticisme, par rétrocontrôle, supprime la sécrétion d’ACTH dont la concentration circulante est effondrée [1]. Quelques pathologies peuvent s’accompagner d’un tableau clinico-biologique mimant un syndrome de Cushing suite à un excès modéré de la production de cortisol. Cette forme d’hypersécrétion par entraînement de l’axe corticotrope est aussi dénommée pseudo-Cushing. Elle constitue une des difficultés diagnostiques de syndrome de Cushing et est rencontrée au cours des obésités, du surpoids, des états de dénutrition sévère, de l’alcoolisme chronique et des dépressions endogènes. En cas de suspicion de syndrome de Cushing, la première étape du diagnostic biologique a pour objectifs d’affirmer l’hypercorticisme et d’écarter les patients présentant un pseudo-Cushing. Les examens utilisés sont l’étude du cycle nycthéméral de la sécrétion du cortisol, le dosage du cortisol libre urinaire et les tests de freinage à la dexaméthasone [1-3]. La cortisolémie matinale est peu discriminante du fait de larges chevauchements entre les valeurs normales et celles rencontrées dans le syndrome de Cushing. De plus, les techniques utilisées dosent le cortisol total, somme du cortisol libre et du cortisol lié à l’albumine et à la transcortine ou cortisol binding globulin (CBG), sa protéine de transport spécifique. La prise d’œstrogènes augmente la production hépatique de CBG et entraîne une élévation sans signification pathologique de la cortisolémie. Une période de 4 à 6 semaines après arrêt de la prise d’œstrogènes est nécessaire pour un retour aux valeurs physiologiques de la CBG. À l’inverse, la perte du rythme circarAnn Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 Hypokaliémie et syndrome de Cushing Tableau 3. Difficultés d’interprétation des tests diagnostiques d’un syndrome de Cushing [1-3]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Tests Résultats excluant un syndrome de Cushing Résultats observés lors d’un syndrome de Cushing Étude du cycle nycthéméral du cortisol Cortisol 16 h inférieur à 50 % du cortisol 8 h Perte du cycle nycthéméral Cortisol libre urinaire Cortisol libre urinaire < 140 nmol/j Cortisol libre urinaire > 490 nmol/j Test de freinage minute (test de Nugent) (1 mg de dexaméthasone per os à 23 h puis dosage du cortisol sérique à 8 h) Test de freinage faible de Liddle ou test standard (0,5 mg de dexaméthasone per os toutes les 6 h pendant 48 h puis dosage du cortisol 8 h à J+2) Cortisol 8 h < 70 nmol/L Cortisol 8 h > 270 nmol/L Cortisol 8 h < 50 nmol/L Cortisol 8 h > 50 nmol/L dien de la sécrétion du cortisol est un signe précoce du syndrome de Cushing. Mais la réalisation des prélèvements vespéraux est difficilement réalisable en ambulatoire et les ponctions veineuses soumettent le patient à un stress susceptible d’augmenter la cortisolémie. Ces difficultés pratiques expliquent l’intérêt du dosage du cortisol salivaire. La salive est dépourvue des protéines de transport et le cortisol salivaire est étroitement corrélé au cortisol libre plasmatique. Le recueil de l’échantillon, non stressant, est facilement réalisable en ambulatoire mais ce dosage n’est pas disponible dans tous les laboratoires. La cortisolurie des 24 heures est augmentée en cas d’hyperproduction de cortisol. Son dosage se heurte à la difficulté d’obtention d’un recueil urinaire correct et la mesure simultanée de la créatininurie permet d’en estimer la qualité. De plus, les fluctuations spontanées de la sécrétion dans l’hypercorticisme rendent impératif de recueillir les urines pendant 2 voire 3 journées consécutives. La perte du rétrocontrôle physiologique des corticoïdes sur la sécrétion surrénalienne est étudiée grâce à la dexaméthasone. Ce glucocorticoïde de synthèse se lie aux récepteurs du cortisol au niveau hypophysaire et supprime la libération d’ACTH chez l’individu sain. Les protocoles utilisés sont le freinage minute, réalisable en ambulatoire, et le freinage « faible » de Liddle ou freinage standard. La prise d’inducteurs enzymatiques (rifampicine, carbamazépine, phénobarbital, diphénylhydantoïne...) doit être interrompue environ une semaine avant la réalisation du test de freinage, des faux positifs pouvant survenir par accélération de la clairance de la dexaméthasone. L’interprétation de l’ensemble de ces tests peut se révéler délicate, mais habituellement un faisceau d’arguments permet de porter le diagnostic (tableau 3). La stratégie d’exploration biologique est fonction du degré de vraiAnn Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 Difficultés d’interprétation Faible spécificité : rupture du cycle nycthéméral en cas de stress, d’infections sévères, d’hyperthyroïdie, d’insuffisance hépatique ou rénale, de troubles de l’humeur Faible spécificité pour des concentrations comprises entre 140 et 490 nmol/j : pseudo-Cushing, grossesse, intervention chirurgicale Faible spécificité pour des concentrations comprises entre 70 et 270 nmol/L : stress intense, intoxication alcoolique chronique, troubles de l’humeur Freinage parfois observé dans les syndromes de Cushing débutants. Freinage observé chez 3 à 6 % des syndromes de Cushing semblance clinique de l’hypercorticisme, de la possibilité de réaliser les tests en ambulatoire chez des patients compliants et de la disponibilité de certains examens (cortisol salivaire). Un algorithme diagnostic est proposé sur la figure 1. Une fois le diagnostic de syndrome de Cushing posé, la première étape du diagnostic étiologique vise à établir l’ACTH dépendance de l’hypercorticisme par un dosage de l’ACTH plasmatique. L’instabilité de la molécule implique des précautions particulières de recueil et de conservation des échantillons : prélèvement effectué sur tubes EDTA - Aprotinine, transport et centrifugation rapides à 4 °C avec congélation immédiate si le dosage est différé. Une concentration inférieure à 5 pg/mL signe l’ACTH-indépendance, une concentration supérieure à 15 pg/mL signe l’ACTH-dépendance [1, 2]. Dans la maladie de Cushing, des concentrations en ACTH augmentées de 25 à 200 % par rapport au seuil physiologique sont observées. Les formes paranéoplasiques sont d’emblée évoquées lorsque la concentration d’ACTH est très élevée. Cependant, une incertitude diagnostique entre ces deux formes de syndromes de Cushing ACTHdépendants peut demeurer. La réalisation de tests dynamiques complémentaires se révèle alors nécessaire. Ils sont fondés sur le fait que les cellules de l’adénome hypophysaire corticotrope demeurent en partie sensibles aux mécanismes de freinage et de stimulation. Les deux tests les plus fréquemment utilisés sont le test de freinage « fort » de Liddle et le test de stimulation à la corticolibérine (CRH). Le test de freinage fort consiste à administrer 2 mg de dexaméthasone toutes les 6 heures pendant 48 heures avec dosage du cortisol sérique après la dernière prise. Une variante repose sur une prise unique de 8 mg de dexamé427 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. pratique quotidienne thasone vers 23 heures avec mesure de la cortisolémie le lendemain matin. En cas de maladie de Cushing, un freinage de la cortisolémie est partiellement obtenu (diminution de 50 % par rapport à la cortisolémie basale). Cependant, dans 10 à 20 % des cas de maladie de Cushing aucune réponse n’est observée et l’hypercorticisme de certains syndromes paranéoplasiques (tumeurs carcinoïdes) est freinable dans 20 à 40 % des cas. De plus, selon une étude récente, le test de freinage fort n’apparaît pas plus informatif que le test de freinage faible pour poser le diagnostic de maladie de Cuhsing : un freinage partiel d’au moins 30 % de la cortisolémie lors du test de freinage faible oriente vers une maladie de Cushing et rend inutile la réalisation d’un test de freinage fort [4]. Lors du test de stimulation hypophysaire par la CRH (injection de 1 lg/kg de CRH suivi du dosage de l’ACTH et de la cortisolémie), un accroissement de la concentration plasmatique d’ACTH et de cortisol est observé dans la maladie de Cushing, alors que la réponse est faible ou nulle dans les sécrétions ectopiques d’ACTH. Ce test possède une spécificité de l’ordre de 90 %, mais une sensibi- lité moins satisfaisante de l’ordre de 80 % ne permettant pas de conclure en cas de non réponse. L’analyse conjointe des résultats du test fort de Liddle et du test de stimulation à la CRH permet généralement de poser le diagnostic étiologique. En dernier recours, un cathétérisme des sinus pétreux inférieurs peut être réalisé. Il consiste en la mesure de l’ACTH à l’état basal et après stimulation par la CRH dans chacun des deux sinus pétreux, tandis que le dosage de l’ACTH d’une veine périphérique sert de référence. Un gradient de concentration entre l’ACTH central et l’ACTH périphérique supérieur à 3 permet d’affirmer une origine hypophysaire de la sécrétion sans toutefois permettre de localiser avec précision la tumeur [1, 2]. Dans notre observation, le diagnostic de syndrome de Cushing paranéoplasique a été posé devant les résultats classiques de la biologie : hypercorticisme majeur associé à une concentration plasmatique en ACTH à plus de 50 fois les valeurs normales. De telles valeurs de cortisolémie et de cortisolurie des 24 heures permettent de retenir le diagnostic de syndrome de Cushing et rendent inutiles Suspicion d’un syndrome de Cushing Normal Étude du cycle nycthéméral du cortisol ou dosage du cortisol libre urinaire Arrêt Diagnostic peu probable Cortisol 8 h > 70 nmol/L Test minute Cortisol 8 h < 70 nmol/L Diagnostic probable Arrêt Cortisol 8 h < 50 nmol/L Test faible de Liddle Cortisol 8 h > 50 nmol/L Arrêt Diagnostic positif du syndrome de Cushing Dosage de l’ACTH ACTH < 5 pg/mL ACTH > 15 pg/mL Syndrome de Cushing non ACTH dépendant Syndrome de Cushing ACTH dépendant Si incertitude diagnostique : Adénome, carcinome surrénalien Test fort de Liddle Test de stimulation à la CRH Maladie de Cushing Syndrome de Cushing paranéoplasique Figure 1. Stratégie du diagnostic biologique d’un syndrome de Cushing (facteur de conversion du cortisol : nmol/L x 0,37 = ng/mL) [1-3, 6]. 428 Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Hypokaliémie et syndrome de Cushing la réalisation d’un test faible de Liddle. Ce diagnostic a été confirmé par l’imagerie médicale et l’anatomopathologie. À côté de ces signes biologiques, le bilan hématologique et biologique a révélé plusieurs anomalies liées aux actions périphériques du cortisol : un diabète, une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une alcalose hypokaliémique à kaliurèse conservée, dont la découverte a constitué le principal signe d’appel biologique chez cette patiente. Quel est son mécanisme physiopathologique ? Au niveau rénal, le récepteur minéralocorticoïde possède la même affinité pour l’aldostérone et le cortisol, ce dernier ayant physiologiquement une concentration 100 à 1 000 fois supérieure à celle de la première hormone. La sélectivité de la réponse biologique est assurée par la présence d’une enzyme : la 11 b-hydroxystéroïde deshydrogénase de type 2 (11 b-HSD 2). Celle-ci métabolise le cortisol en cortisone présentant une faible affinité pour le récepteur minéralocorticoïde qui est alors protégé d’une occupation « illicite » par le glucocorticoïde (figure 2). Cependant, la 11 b-HSD 2 est saturée pour des concentrations proches des valeurs physiologiques supérieures du cortisol. Dès lors, en cas d’hypercorticisme, l’enzyme ne peut métaboliser tout le cortisol. Le glucocorticoïde en excès se lie au récepteur minéralocorticoïde et mime l’action de l’aldostérone à l’origine de l’alcalose avec déplétion potassique. Sa découverte dans le cas d’un syndrome de Cushing est en faveur d’une étiologie néoplasique (syndrome de Cushing paranéoplasique ou corticosurrénalome) [5]. Le point de vue du clinicien Les syndromes de Cushing sont des pathologies rares, leur incidence annuelle étant estimée entre 1 et 12 cas par million d’individus. Cette rareté contraste avec la fréquence avec laquelle est évoquée son diagnostic devant des symptômes relevant en réalité d’une obésité, d’un alcoolisme ou d’un état dépressif. Le tableau clinique complet est rarement observé dans sa totalité, hormis dans les formes évoluées. Il associe une morphologie caractéristique (obésité faciotronculaire avec répartition centripète des graisses), de nombreux signes cutanés (érythrose faciale, atrophie cutanée, vergetures pourpres, acné, séborrhée et parfois hypertrichose) et des signes généraux (asthénie, crampes, modifications récentes de l’humeur, libido diminuée, aménorrhée secondaire, hypertension artérielle, douleurs lombaires). Les symptômes cutanés et musculaires, reflets de l’activité catabolique et antianabolique du cortisol, sont les plus spécifiques et leur présence renforce considérablement la probabilité de syndrome de Cushing [1, 2]. En pratique, ce diagnostic doit être évoqué devant un ensemble de symptômes associant une obésité androïde Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007 avec redistribution faciotronculaire des graisses, une hypertension artérielle et un diabète. Ce tableau recouvre celui du syndrome métabolique qui touche plus de 10 % des adultes en France. Il prête également à confusion chez les patients dépressifs obèses et éthyliques qui présentent des anomalies morphologiques compatibles avec l’hypercorticisme (pseudo Cushing). Le diagnostic différentiel avec un syndrome de Cushing débutant et/ou d’intensité modérée peut alors être délicat [1, 6]. Aussi, une démarche diagnostique rigoureuse et progressive doit être d’emblée adoptée et repose, en plus de la clinique, sur des arguments biologiques puis morphologiques (IRM hypophysaire, radiographie du thorax, scanner surrénalien). L’imagerie médicale à la recherche de l’étiologie du syndrome de Cushing ne doit intervenir qu’après l’appréciation de l’ACTH dépendance de l’hypercorticisme afin de limiter les erreurs de diagnostic étiologique. En effet, la finesse des explorations IRM pourrait conduire à la construction artificielle d’une maladie de Cushing par la juxtaposition d’un hypercorticisme chez un obèse et d’un incidentalome hypophysaire [1, 2, 6]. Malgré les performances des techniques biologiques et les progrès de l’imagerie médicale, l’approche étiologique d’un syndrome de Cushing peut rester délicate. L’une des principales difficultés réside dans le diagnostic différentiel des deux formes de syndrome de Cushing ACTHdépendant et la multiplicité des tests biologiques précédemment décrits témoigne des réelles difficultés pour l’obtention de la certitude diagnostique. Les syndromes de Cushing paranéoplasiques, comme observé chez notre patiente, représentent 15 à 20 % des syndromes de Cushing ACTH-dépendant. Ces pathologies Membrane basolatérale Sang Membrane apicale Urines K+ Cortisone Cortisol Aldostérone 11 β HSD2 ATP ADP Na+ Récepteur MC K+ Na+ + Noyau + Figure 2. Mécanisme de régulation de l’effet minéralocorticoïde du cortisol au niveau rénal. En métabolisant le cortisol en cortisone, la 11b-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11bHSD2) assure la sélectivité de la réponse biologique aux minéralocorticoïdes. En cas d’hypercorticisme, l’enzyme est saturée et le cortisol en excès mime l’action de l’aldostérone en se fixant au récepteur minéralocorticoïde [5]. 429 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. pratique quotidienne touchent à part égale hommes et femmes, avec un âge moyen au diagnostic plus élevé que dans la maladie de Cushing. Elles sont responsables d’un syndrome de Cushing sévère et rapidement évolutif avec perte de poids, faiblesse musculaire importante, pigmentation cutanée, diabète, hypertension et alcalose hypokaliémique. Quelquefois, le tableau clinique peut être proche de celui de la maladie de Cushing [7]. Dans environ la moitié des cas, les tumeurs en cause sont d’origine bronchique (anaplasiques à petites cellules, carcinoïdes) puis par ordre de fréquence décroissant thymiques, pancréatiques, thyroïdiennes (cancers médullaires), médullo-surrénaliennes (phéochromocytome). Ces tumeurs forment un ensemble histopathologique hétérogène avec un degré de différenciation variable corrélé à l’expression du phénotype corticotrope. Les tumeurs endocrines bronchiques bien différenciées (carcinoïdes typiques) peuvent exprimer des récepteurs aux corticotropes et un freinage de l’hypercorticisme de ces tumeurs est observé dans 20 à 40 % des cas. Cette réponse explique qu’un diagnostic étiologique erroné soit observé chez un nombre significatif de patients. En cas de doute sur l’origine de la sécrétion anormale d’ACTH, le recours au cathétérisme des sinus pétreux, réalisé par une équipe neuro-radiologique entraînée, est pleinement justifiée. Elle constitue « l’étalon or » pour le diagnostic différentiel des syndromes de Cushing ACTH-dépendants [1, 7]. Une fois la sécrétion ectopique affirmée, la localisation de la tumeur neuro-endocrine doit être recherchée à l’aide d’une imagerie scannographique thoraco-abdominale. Cependant, dans environ 30 % des cas, la tumeur est occulte au moment du diagnostic, ce qui constitue une autre difficulté du diagnostic différentiel avec la maladie 430 de Cushing. Il s’agit alors généralement de carcinoïdes à localisation pulmonaire ou pancréatique [7]. Le traitement de choix est l’ablation chirurgicale de la source d’ACTH. Cet objectif peut ne pas être réalisable, la tumeur étant occulte ou évidente mais non extirpable chirurgicalement. La sécrétion de cortisol doit alors être contrôlée à l’aide d’un anticorticosolique comme l’OP’DDD, le kétoconazole ou la métopirone, utilisés seuls ou en association. Ce traitement s’accompagnera d’une surveillance morphologique en cas de tumeur occulte ou d’un traitement palliatif par chimiothérapie et/ou radiothérapie en cas de tumeur non opérable [1]. Références 1. Tabarin A, Collet D, San Galli F, Paire JP, Loiseau H. Syndrome de Cushing. Paris : Elsevier, 2006, EMC Endocrinologie-Nutrition : 10-015-B-10. 2. Newell-Price J, Bertagna X, Grossman AB, Nieman LK. Cushing’s syndrome. Lancet 2006 ; 367 : 1605-17. 3. Drouin A, Nahoul K. Actualités des investigations biologiques pour le diagnostic du syndrome de Cushing. Immuno-analyse et biologie spécialisée 2005 ; 20 : 86-91. 4. Isidori AM, Kaltsas GA, Pozza C, et al. The ectopic adrenocorticotropin syndrome : clinical features, diagnosis, management, and long-term follow-up. J Clin Endocrinol Metab 2006 ; 91 : 371-7. 5. Quinkler M, Stewart PM. Hypertension and the cortisol-cortisone shuttle. J Clin Endocrinol Metab 2003 ; 88 : 2384-92. 6. Dupuy O, Rousseau C, Bordier L, et al. Pièges et difficultés de l’exploration des syndromes de Cushing. Med Armees 2005 ; 33 : 46570. 7. Hernandez I, Espinosa-de-los-Monteros AL, Mendoza V, et al. Ectopic ACTH-secreting syndrome : a single center experience report with a high prevalence of occult tumor. Arch Med Res 2006 ; 37 : 976-80. Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007