Hypokaliémie sévère au cours d`un syndrome de Cushing

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Hypokaliémie sévère au cours d`un syndrome de Cushing
abc
pratique quotidienne
Ann Biol Clin 2007 ; 65 (4) : 425-30
Hypokaliémie sévère au cours d’un syndrome
de Cushing paranéoplasique
Ectopic ACTH syndrome and severe hypokalaemia
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A. Servonnet1
H. Delacour1
X. Roux2
C. Dehan1
V. Gardet1
C. Morand2
1
Fédération de biologie clinique,
<[email protected]>
2
Service de médecine interne,
Hôpital d’Instruction des Armées Robert
Picqué, Bordeaux
Résumé. Les syndromes de Cushing sont des pathologies rares dont le diagnostic peut se révéler délicat. Les principales difficultés diagnostiques résident dans l’existence de tableaux clinico-biologiques mimant le syndrome de
Cushing (pseudo-Cushing) et dans le diagnostic différentiel des deux formes
de syndromes de Cushing ACTH-dépendants. Nous rapportons le cas d’un
syndrome de Cushing paranéoplasique dans le cadre d’un cancer bronchique à
petites cellules avec métastases hépatiques, dont le principal signe d’appel
biologique a été une hypokaliémie sévère. L’objectif de ce travail est de rappeler la démarche du diagnostic biologique des syndromes de Cushing et de
présenter le mécanisme physiopathologique de l’hypokaliémique retrouvée
dans cette observation.
Mots clés : hypokaliémie, syndrome de Cushing paranéoplasique, démarche
diagnostique
Abstract. Cushing’s syndrome is rare and remains a challenge to diagnose.
Particularly difficult are the differentiation between Cushing’s syndrome and
Pseudo-Cushing’s states and between the two forms of ACTH dependent
Cushing’s: Cushing’s disease and ectopic ACTH syndrome. We report the case
of a patient diagnosed with a metastatic smal cells lung carcinoma associated
with ectopic ACTH-syndrome. Hypokalaemia was a clue to diagnosis. We
focus on critical questions addressing diagnosis and differential diagnosis of
Cushing’s syndrome and we explain the mechanism of hypokalaemia.
Article reçu le 10 mars 2007,
accepté le 14 avril 2007
Key words: hypokalaemia, ectopic ACTH syndrome, biological diagnosis
doi: 10.1684/abc.2007.0142
L’observation
Une femme de 41 ans est hospitalisée pour dyspnée de
stade I avec dégradation de l’état général évoluant depuis
un mois. Cette fumeuse (20 paquets année) présente
comme antécédent médical notable une hypertension artérielle présumée essentielle diagnostiquée depuis 2 ans et
traitée par Cotareg®, Hyperium® et Amlor®. À l’admission, l’examen clinique met en évidence une hypertension
artérielle systolique modérée (160 mmHg), une obésité
androïde (97 kg pour 174 cm), un syndrome œdémateux
distal des jambes avec signe du godet, une exophtalmie
bilatérale modérée et une hépatomégalie indolore. Le
bilan biologique montre une hypokaliémie majeure
(1,8 mmol/L) avec kaliurèse inadaptée (44 mmol/j), une
alcalose métabolique (pH à 7,49 et hydrogénocarbonates à
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38 mmol/L), une hyperglycémie, une cytolyse hépatique
avec un syndrome cholestatique ainsi qu’une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, le reste du bilan biologique étant dans les limites de la normale (tableau 1).
Le bilan endocrinien, réalisé devant ces premiers résultats,
met en avant une hypercortisolémie majeure avec rupture
du cycle nycthéméral associée à une augmentation de la
cortisolurie des 24 heures et une concentration en ACTH
supérieure à 10 fois la normale orientant vers une sécrétion paranéoplasique (tableau 2). Le scanner révèle un
nodule apical gauche de 13 mm au niveau thoracique ainsi
qu’un foie polymétastasique. Un carcinome neuroendocrine de haut grade de malignité est retenu suite à la
biopsie hépatique, l’exploration du nodule pulmonaire
étant non réalisable. Le dosage des marqueurs tumoraux
met en évidence une augmentation de la NSE
425
pratique quotidienne
Tableau 1. Résultats des principaux
sanguins et urinaires à l’admission.
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Paramètres mesurés
examens
biologiques
Résultats
Valeurs normales
Sang
Sodium
Potassium
Chlorures
CO2 total
Glucose
ASAT
ALAT
γGT
PAL
Bilirubine totale
Bilirubine libre
142
1,8
91
39,3
9,14
67
216
1 960
202
20
14
(138 – 142 mmol/L)
(3,5 – 4,5 mmol/L)
(90 – 110 mmol/L)
(22 – 28 mmol/L)
(4,5 – 5,5 mmol/L)
(< 31 UI/L)
(< 34 UI/L)
(0 – 38 UI/L)
(40 – 136 UI/L)
(N < 17 µmol/L)
(N < 5 µmol/L)
pH
7,49
(7,38 – 7,42 UpH)
16 780
14 448
(4 000 – 10 000/mm3)
(1 500 – 8 000/mm3)
134
(< 400/mm3)
67
(< 100/mm3)
1 393
738
4 210 000
14,2
257 000
(1 000 – 4 000/mm3)
(800 – 1 200/mm3)
(4 000 000 – 5 000 000/mm3)
(12 – 15 g/dL)
(150 000 – 300 000/mm3)
2 000
98
44
126
(600 – 2 000 mL/j)
(30 – 300 mmol/j))
(50 – 150 mmol/j)
(50 – 300 mmol/j)
Leucocytes
- polynucléaires
neutrophiles
- polynucléaires
éosinophiles
- polynucléaires
basophiles
- lymphocytes
- monocytes
Hématies
Hémoglobine
Thrombocytes
Urines
Diurèse
Sodium
Potassium
Chlore
Tableau 2. Résultats du bilan biologique endocrinien et du
dosage des marqueurs tumoraux.
Paramètres mesurés
Résultats
Valeurs normales
Aldostérone couchée
Rénine couchée
Cortisol 8 H
Cortisol 16 H
ACTH
Cortisol libre urinaire
200
8
2 513
2 478
682
> 10 000
(43 – 430 nmol/L)
(5 – 25 nmol/L)
(250 – 450 nmol/L)
(50 – 250 nmol/L)
(2,2 – 13,2 pg/mL)
(90 – 110 nmol/L)
1 523
284,8
(0,0 – 3,4 µg/L)
(0,0 – 16,3 µg/L)
ACE
NSE
(284,8 lg/L) et de l’ACE (1 523 lg/L). Une chimiothérapie est alors instaurée (Carbo-VP16) associée à un traitement médical de l’hypercorticisme par métopirone
250 mg (3 prises par jour). En quelques semaines une
426
régression du faciès cushingoïde est observée avec retour
aux concentrations physiologiques en cortisol (cortisol
8 heures à 357 nmol/L).
Le point de vue du biologiste
Les syndromes de Cushing se définissent par un ensemble
de manifestations cliniques et biologiques en rapport avec
un excès de sécrétion endogène de glucocorticoïdes. Deux
grands cadres physiopathologiques sont distingués :
1) les hypercorticismes ACTH-dépendants (environ 80 %
des cas) dans lesquels les surrénales sont stimulées par
une sécrétion excessive et inappropriée d’ACTH. Celle-ci
est soit d’origine eutopique et sécrétée par un adénome
hypophysaire (maladie de Cushing), soit d’origine ectopique et sécrétée par une tumeur endocrine non hypophysaire (syndrome de Cushing paranéoplasique). Les syndromes de Cushing par sécrétion ectopique exclusive de
corticolibérine (CRH) sont exceptionnels ;
2) les hypercorticismes ACTH-indépendants dans lesquels
la sécrétion surrénalienne est autonome en rapport avec
une tumeur surrénalienne bénigne ou maligne. L’hypercorticisme, par rétrocontrôle, supprime la sécrétion d’ACTH
dont la concentration circulante est effondrée [1].
Quelques pathologies peuvent s’accompagner d’un
tableau clinico-biologique mimant un syndrome de
Cushing suite à un excès modéré de la production de
cortisol. Cette forme d’hypersécrétion par entraînement de
l’axe corticotrope est aussi dénommée pseudo-Cushing.
Elle constitue une des difficultés diagnostiques de syndrome de Cushing et est rencontrée au cours des obésités,
du surpoids, des états de dénutrition sévère, de l’alcoolisme chronique et des dépressions endogènes.
En cas de suspicion de syndrome de Cushing, la première
étape du diagnostic biologique a pour objectifs d’affirmer
l’hypercorticisme et d’écarter les patients présentant un
pseudo-Cushing. Les examens utilisés sont l’étude du
cycle nycthéméral de la sécrétion du cortisol, le dosage du
cortisol libre urinaire et les tests de freinage à la dexaméthasone [1-3].
La cortisolémie matinale est peu discriminante du fait de
larges chevauchements entre les valeurs normales et celles
rencontrées dans le syndrome de Cushing. De plus, les
techniques utilisées dosent le cortisol total, somme du
cortisol libre et du cortisol lié à l’albumine et à la transcortine ou cortisol binding globulin (CBG), sa protéine de
transport spécifique. La prise d’œstrogènes augmente la
production hépatique de CBG et entraîne une élévation
sans signification pathologique de la cortisolémie. Une
période de 4 à 6 semaines après arrêt de la prise d’œstrogènes est nécessaire pour un retour aux valeurs physiologiques de la CBG. À l’inverse, la perte du rythme circarAnn Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007
Hypokaliémie et syndrome de Cushing
Tableau 3. Difficultés d’interprétation des tests diagnostiques d’un syndrome de Cushing [1-3].
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Tests
Résultats excluant un
syndrome de Cushing
Résultats observés
lors d’un syndrome
de Cushing
Étude du cycle nycthéméral
du cortisol
Cortisol 16 h inférieur
à 50 % du cortisol 8 h
Perte du cycle
nycthéméral
Cortisol libre urinaire
Cortisol libre urinaire
< 140 nmol/j
Cortisol libre urinaire
> 490 nmol/j
Test de freinage minute
(test de Nugent)
(1 mg de dexaméthasone per os
à 23 h puis dosage du cortisol
sérique à 8 h)
Test de freinage faible de Liddle
ou test standard
(0,5 mg de dexaméthasone per os
toutes les 6 h pendant 48 h puis
dosage du cortisol 8 h à J+2)
Cortisol 8 h < 70 nmol/L
Cortisol 8 h > 270 nmol/L
Cortisol 8 h < 50 nmol/L
Cortisol 8 h > 50 nmol/L
dien de la sécrétion du cortisol est un signe précoce du
syndrome de Cushing. Mais la réalisation des prélèvements vespéraux est difficilement réalisable en ambulatoire et les ponctions veineuses soumettent le patient à un
stress susceptible d’augmenter la cortisolémie. Ces difficultés pratiques expliquent l’intérêt du dosage du cortisol
salivaire. La salive est dépourvue des protéines de transport et le cortisol salivaire est étroitement corrélé au cortisol libre plasmatique. Le recueil de l’échantillon, non
stressant, est facilement réalisable en ambulatoire mais ce
dosage n’est pas disponible dans tous les laboratoires.
La cortisolurie des 24 heures est augmentée en cas
d’hyperproduction de cortisol. Son dosage se heurte à la
difficulté d’obtention d’un recueil urinaire correct et la
mesure simultanée de la créatininurie permet d’en estimer
la qualité. De plus, les fluctuations spontanées de la sécrétion dans l’hypercorticisme rendent impératif de recueillir
les urines pendant 2 voire 3 journées consécutives.
La perte du rétrocontrôle physiologique des corticoïdes
sur la sécrétion surrénalienne est étudiée grâce à la dexaméthasone. Ce glucocorticoïde de synthèse se lie aux
récepteurs du cortisol au niveau hypophysaire et supprime
la libération d’ACTH chez l’individu sain. Les protocoles
utilisés sont le freinage minute, réalisable en ambulatoire,
et le freinage « faible » de Liddle ou freinage standard. La
prise d’inducteurs enzymatiques (rifampicine, carbamazépine, phénobarbital, diphénylhydantoïne...) doit être interrompue environ une semaine avant la réalisation du test de
freinage, des faux positifs pouvant survenir par accélération de la clairance de la dexaméthasone.
L’interprétation de l’ensemble de ces tests peut se révéler
délicate, mais habituellement un faisceau d’arguments
permet de porter le diagnostic (tableau 3). La stratégie
d’exploration biologique est fonction du degré de vraiAnn Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007
Difficultés d’interprétation
Faible spécificité : rupture du cycle nycthéméral en cas de
stress, d’infections sévères, d’hyperthyroïdie, d’insuffisance
hépatique ou rénale, de troubles de l’humeur
Faible spécificité pour des concentrations comprises entre
140 et 490 nmol/j : pseudo-Cushing, grossesse, intervention
chirurgicale
Faible spécificité pour des concentrations comprises entre
70 et 270 nmol/L : stress intense, intoxication alcoolique
chronique, troubles de l’humeur
Freinage parfois observé dans les syndromes de Cushing
débutants.
Freinage observé chez 3 à 6 % des syndromes de Cushing
semblance clinique de l’hypercorticisme, de la possibilité
de réaliser les tests en ambulatoire chez des patients compliants et de la disponibilité de certains examens (cortisol
salivaire). Un algorithme diagnostic est proposé sur la
figure 1.
Une fois le diagnostic de syndrome de Cushing posé, la
première étape du diagnostic étiologique vise à établir
l’ACTH dépendance de l’hypercorticisme par un dosage
de l’ACTH plasmatique. L’instabilité de la molécule
implique des précautions particulières de recueil et de
conservation des échantillons : prélèvement effectué sur
tubes EDTA - Aprotinine, transport et centrifugation rapides à 4 °C avec congélation immédiate si le dosage est
différé. Une concentration inférieure à 5 pg/mL signe
l’ACTH-indépendance, une concentration supérieure à
15 pg/mL signe l’ACTH-dépendance [1, 2].
Dans la maladie de Cushing, des concentrations en ACTH
augmentées de 25 à 200 % par rapport au seuil physiologique sont observées. Les formes paranéoplasiques sont
d’emblée évoquées lorsque la concentration d’ACTH est
très élevée. Cependant, une incertitude diagnostique entre
ces deux formes de syndromes de Cushing ACTHdépendants peut demeurer. La réalisation de tests dynamiques complémentaires se révèle alors nécessaire. Ils sont
fondés sur le fait que les cellules de l’adénome hypophysaire corticotrope demeurent en partie sensibles aux mécanismes de freinage et de stimulation. Les deux tests les
plus fréquemment utilisés sont le test de freinage « fort »
de Liddle et le test de stimulation à la corticolibérine
(CRH).
Le test de freinage fort consiste à administrer 2 mg de
dexaméthasone toutes les 6 heures pendant 48 heures avec
dosage du cortisol sérique après la dernière prise. Une
variante repose sur une prise unique de 8 mg de dexamé427
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pratique quotidienne
thasone vers 23 heures avec mesure de la cortisolémie le
lendemain matin. En cas de maladie de Cushing, un freinage de la cortisolémie est partiellement obtenu (diminution de 50 % par rapport à la cortisolémie basale). Cependant, dans 10 à 20 % des cas de maladie de Cushing
aucune réponse n’est observée et l’hypercorticisme de certains syndromes paranéoplasiques (tumeurs carcinoïdes)
est freinable dans 20 à 40 % des cas. De plus, selon une
étude récente, le test de freinage fort n’apparaît pas plus
informatif que le test de freinage faible pour poser le
diagnostic de maladie de Cuhsing : un freinage partiel
d’au moins 30 % de la cortisolémie lors du test de freinage
faible oriente vers une maladie de Cushing et rend inutile
la réalisation d’un test de freinage fort [4].
Lors du test de stimulation hypophysaire par la CRH
(injection de 1 lg/kg de CRH suivi du dosage de l’ACTH
et de la cortisolémie), un accroissement de la concentration plasmatique d’ACTH et de cortisol est observé dans
la maladie de Cushing, alors que la réponse est faible ou
nulle dans les sécrétions ectopiques d’ACTH. Ce test possède une spécificité de l’ordre de 90 %, mais une sensibi-
lité moins satisfaisante de l’ordre de 80 % ne permettant
pas de conclure en cas de non réponse. L’analyse
conjointe des résultats du test fort de Liddle et du test de
stimulation à la CRH permet généralement de poser le
diagnostic étiologique. En dernier recours, un cathétérisme des sinus pétreux inférieurs peut être réalisé. Il
consiste en la mesure de l’ACTH à l’état basal et après
stimulation par la CRH dans chacun des deux sinus
pétreux, tandis que le dosage de l’ACTH d’une veine périphérique sert de référence. Un gradient de concentration
entre l’ACTH central et l’ACTH périphérique supérieur à
3 permet d’affirmer une origine hypophysaire de la sécrétion sans toutefois permettre de localiser avec précision la
tumeur [1, 2].
Dans notre observation, le diagnostic de syndrome de
Cushing paranéoplasique a été posé devant les résultats
classiques de la biologie : hypercorticisme majeur associé
à une concentration plasmatique en ACTH à plus de
50 fois les valeurs normales. De telles valeurs de cortisolémie et de cortisolurie des 24 heures permettent de retenir
le diagnostic de syndrome de Cushing et rendent inutiles
Suspicion d’un syndrome de Cushing
Normal
Étude du cycle nycthéméral du cortisol
ou dosage du cortisol libre urinaire
Arrêt
Diagnostic
peu probable
Cortisol 8 h > 70 nmol/L
Test
minute
Cortisol 8 h < 70 nmol/L
Diagnostic probable
Arrêt
Cortisol 8 h < 50 nmol/L
Test faible de Liddle
Cortisol 8 h > 50 nmol/L
Arrêt
Diagnostic positif du syndrome de Cushing
Dosage de l’ACTH
ACTH < 5 pg/mL
ACTH > 15 pg/mL
Syndrome de Cushing
non ACTH dépendant
Syndrome de Cushing
ACTH dépendant
Si incertitude diagnostique
:
Adénome, carcinome surrénalien
Test fort de Liddle
Test de stimulation à la CRH
Maladie de Cushing
Syndrome de Cushing
paranéoplasique
Figure 1. Stratégie du diagnostic biologique d’un syndrome de Cushing (facteur de conversion du cortisol : nmol/L x 0,37 = ng/mL) [1-3,
6].
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Hypokaliémie et syndrome de Cushing
la réalisation d’un test faible de Liddle. Ce diagnostic a été
confirmé par l’imagerie médicale et l’anatomopathologie.
À côté de ces signes biologiques, le bilan hématologique
et biologique a révélé plusieurs anomalies liées aux
actions périphériques du cortisol : un diabète, une
hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une
alcalose hypokaliémique à kaliurèse conservée, dont la
découverte a constitué le principal signe d’appel biologique chez cette patiente.
Quel est son mécanisme physiopathologique ? Au niveau
rénal, le récepteur minéralocorticoïde possède la même
affinité pour l’aldostérone et le cortisol, ce dernier ayant
physiologiquement une concentration 100 à 1 000 fois
supérieure à celle de la première hormone. La sélectivité
de la réponse biologique est assurée par la présence d’une
enzyme : la 11 b-hydroxystéroïde deshydrogénase de type
2 (11 b-HSD 2). Celle-ci métabolise le cortisol en cortisone présentant une faible affinité pour le récepteur minéralocorticoïde qui est alors protégé d’une occupation
« illicite » par le glucocorticoïde (figure 2). Cependant, la
11 b-HSD 2 est saturée pour des concentrations proches
des valeurs physiologiques supérieures du cortisol. Dès
lors, en cas d’hypercorticisme, l’enzyme ne peut métaboliser tout le cortisol. Le glucocorticoïde en excès se lie au
récepteur minéralocorticoïde et mime l’action de l’aldostérone à l’origine de l’alcalose avec déplétion potassique.
Sa découverte dans le cas d’un syndrome de Cushing est
en faveur d’une étiologie néoplasique (syndrome de
Cushing paranéoplasique ou corticosurrénalome) [5].
Le point de vue du clinicien
Les syndromes de Cushing sont des pathologies rares, leur
incidence annuelle étant estimée entre 1 et 12 cas par
million d’individus. Cette rareté contraste avec la fréquence avec laquelle est évoquée son diagnostic devant
des symptômes relevant en réalité d’une obésité, d’un
alcoolisme ou d’un état dépressif.
Le tableau clinique complet est rarement observé dans sa
totalité, hormis dans les formes évoluées. Il associe une
morphologie caractéristique (obésité faciotronculaire avec
répartition centripète des graisses), de nombreux signes
cutanés (érythrose faciale, atrophie cutanée, vergetures
pourpres, acné, séborrhée et parfois hypertrichose) et des
signes généraux (asthénie, crampes, modifications récentes de l’humeur, libido diminuée, aménorrhée secondaire,
hypertension artérielle, douleurs lombaires). Les symptômes cutanés et musculaires, reflets de l’activité catabolique et antianabolique du cortisol, sont les plus spécifiques
et leur présence renforce considérablement la probabilité
de syndrome de Cushing [1, 2].
En pratique, ce diagnostic doit être évoqué devant un
ensemble de symptômes associant une obésité androïde
Ann Biol Clin, vol. 65, n° 4, juillet-août 2007
avec redistribution faciotronculaire des graisses, une
hypertension artérielle et un diabète. Ce tableau recouvre
celui du syndrome métabolique qui touche plus de 10 %
des adultes en France. Il prête également à confusion chez
les patients dépressifs obèses et éthyliques qui présentent
des anomalies morphologiques compatibles avec l’hypercorticisme (pseudo Cushing). Le diagnostic différentiel
avec un syndrome de Cushing débutant et/ou d’intensité
modérée peut alors être délicat [1, 6].
Aussi, une démarche diagnostique rigoureuse et progressive doit être d’emblée adoptée et repose, en plus de la
clinique, sur des arguments biologiques puis morphologiques (IRM hypophysaire, radiographie du thorax, scanner
surrénalien). L’imagerie médicale à la recherche de l’étiologie du syndrome de Cushing ne doit intervenir qu’après
l’appréciation de l’ACTH dépendance de l’hypercorticisme afin de limiter les erreurs de diagnostic étiologique.
En effet, la finesse des explorations IRM pourrait conduire
à la construction artificielle d’une maladie de Cushing par
la juxtaposition d’un hypercorticisme chez un obèse et
d’un incidentalome hypophysaire [1, 2, 6].
Malgré les performances des techniques biologiques et les
progrès de l’imagerie médicale, l’approche étiologique
d’un syndrome de Cushing peut rester délicate. L’une des
principales difficultés réside dans le diagnostic différentiel
des deux formes de syndrome de Cushing ACTHdépendant et la multiplicité des tests biologiques précédemment décrits témoigne des réelles difficultés pour
l’obtention de la certitude diagnostique.
Les syndromes de Cushing paranéoplasiques, comme
observé chez notre patiente, représentent 15 à 20 % des
syndromes de Cushing ACTH-dépendant. Ces pathologies
Membrane
basolatérale
Sang
Membrane
apicale
Urines
K+
Cortisone
Cortisol
Aldostérone
11 β HSD2
ATP
ADP
Na+
Récepteur MC
K+
Na+
+
Noyau
+
Figure 2. Mécanisme de régulation de l’effet minéralocorticoïde
du cortisol au niveau rénal. En métabolisant le cortisol en cortisone, la 11b-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11bHSD2) assure la sélectivité de la réponse biologique aux minéralocorticoïdes. En cas d’hypercorticisme, l’enzyme est saturée et
le cortisol en excès mime l’action de l’aldostérone en se fixant au
récepteur minéralocorticoïde [5].
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pratique quotidienne
touchent à part égale hommes et femmes, avec un âge
moyen au diagnostic plus élevé que dans la maladie de
Cushing. Elles sont responsables d’un syndrome de
Cushing sévère et rapidement évolutif avec perte de poids,
faiblesse musculaire importante, pigmentation cutanée,
diabète, hypertension et alcalose hypokaliémique. Quelquefois, le tableau clinique peut être proche de celui de la
maladie de Cushing [7].
Dans environ la moitié des cas, les tumeurs en cause sont
d’origine bronchique (anaplasiques à petites cellules, carcinoïdes) puis par ordre de fréquence décroissant thymiques, pancréatiques, thyroïdiennes (cancers médullaires),
médullo-surrénaliennes
(phéochromocytome).
Ces
tumeurs forment un ensemble histopathologique hétérogène avec un degré de différenciation variable corrélé à
l’expression du phénotype corticotrope. Les tumeurs
endocrines bronchiques bien différenciées (carcinoïdes
typiques) peuvent exprimer des récepteurs aux corticotropes et un freinage de l’hypercorticisme de ces tumeurs est
observé dans 20 à 40 % des cas. Cette réponse explique
qu’un diagnostic étiologique erroné soit observé chez un
nombre significatif de patients. En cas de doute sur l’origine de la sécrétion anormale d’ACTH, le recours au
cathétérisme des sinus pétreux, réalisé par une équipe
neuro-radiologique entraînée, est pleinement justifiée. Elle
constitue « l’étalon or » pour le diagnostic différentiel des
syndromes de Cushing ACTH-dépendants [1, 7].
Une fois la sécrétion ectopique affirmée, la localisation de
la tumeur neuro-endocrine doit être recherchée à l’aide
d’une imagerie scannographique thoraco-abdominale.
Cependant, dans environ 30 % des cas, la tumeur est
occulte au moment du diagnostic, ce qui constitue une
autre difficulté du diagnostic différentiel avec la maladie
430
de Cushing. Il s’agit alors généralement de carcinoïdes à
localisation pulmonaire ou pancréatique [7].
Le traitement de choix est l’ablation chirurgicale de la
source d’ACTH. Cet objectif peut ne pas être réalisable, la
tumeur étant occulte ou évidente mais non extirpable chirurgicalement. La sécrétion de cortisol doit alors être
contrôlée à l’aide d’un anticorticosolique comme
l’OP’DDD, le kétoconazole ou la métopirone, utilisés
seuls ou en association. Ce traitement s’accompagnera
d’une surveillance morphologique en cas de tumeur
occulte ou d’un traitement palliatif par chimiothérapie
et/ou radiothérapie en cas de tumeur non opérable [1].
Références
1. Tabarin A, Collet D, San Galli F, Paire JP, Loiseau H. Syndrome de
Cushing. Paris : Elsevier, 2006, EMC Endocrinologie-Nutrition :
10-015-B-10.
2. Newell-Price J, Bertagna X, Grossman AB, Nieman LK. Cushing’s
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diagnostic du syndrome de Cushing. Immuno-analyse et biologie spécialisée 2005 ; 20 : 86-91.
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follow-up. J Clin Endocrinol Metab 2006 ; 91 : 371-7.
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shuttle. J Clin Endocrinol Metab 2003 ; 88 : 2384-92.
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