Max Weber et les relations ethniques
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Max Weber et les relations ethniques
Max Weber et les relations ethniques : Du refus du biologisme racial à l’État multinational Elke Winter Saint-Nicolas : Presses de l’Université Laval, 2005. 214 pp. 25.00$ sc. En parcourant cet ouvrage, le lecteur sera saisi par la nouveauté de la pensée de Max Weber, considérant aujourd’hui des phénomènes tels l’ethnicisation du monde et l’accroissement de la mobilité transnationale. Dès l’introduction, Elke Winter dégage deux axes contextuels important afin de saisir la pensée de Weber sur les relations ethniques. Premièrement, à la fin du XIXe siècle, une première mondialisation refonde le monde européen et le jeune sociologue allemand sera au centre des grandes transformations d’un monde qui semble se terminer pour laisser la place à un autre. Des phénomènes comme l’industrialisation, l’urbanisation et la démocratisation vont bouleverser les rapports entre les être humains. Comme le souligne Marcel Gauchet, c’est l’incertitude par rapport au progrès qui s’installe parmi les hommes et entraîne de nouvelles relations entre les nations et les individus. Deuxièmement, les sociétés européennes sont traversées par une vague de nationalismes ethniques et civiques, qui incitent nombreux observateurs à s’intéresser aux relations sociales entre des peuples différents au sein d’une société nationale. La leçon importante à retenir de cet ouvrage est que la sociologie webérienne des relations ethniques se constitue dans un refus de l’enfermement biologique, raciale et ethnique pour employer le vocabulaire de la citoyenneté et de l’ouverture pluraliste. L’ouvrage se structure en deux parties. La première partie, qui constitue l’essentiel du travail, propose une interprétation wébérienne des notions clefs de l’analyse wébérienne des relations ethniques, soit la race, le groupe ethnique et la nation et l’organisation de l’État. Le deuxième partie regroupe des interventions historiques prononcées par plusieurs sociologues lors des Congrès de la société allemande de sociologie en 1910 et 1912, notamment l’échange entre Weber et Alfred Poletz partisan de l’approche raciale et biologique sur les notions de race et de société. La présentation de ces documents permet d’enrichir la recherche. Dans un premier chapitre, l’auteur dégage une contradiction dans la pensée de Weber sur la race, qui s’oppose clairement aux approches bio-raciales de l’époque mais adopte un ton péjoratif à l’endroit de certains groupes ethniques ou nationaux, notamment les Polonais et les Slaves. Dans un premier temps, Winter résume cette contradiction en dégageant trois grandes lignes d’interprétation présentées par des interprètes de Weber autour de la notion de race : le contexte nationaliste de l’époque propice aux postures patriotiques et raciales, l’évolution intellectuelle de Weber qui navigue professionnellement dans ce climat et une interprétation évolutionniste de la culture chez Weber qui, selon plusieurs, ordonne des nationalités selon leurs caractéristiques culturelles jugées inférieures. Dans un deuxième temps, Winter interroge les « cinq textes clefs où Weber aborde la notion de race » (p. 31). A la lecture de ces textes, le lecteur distingue clairement l’angle méthodologique et le regard social au centre de la démarche sociologique de Weber. Le deuxième chapitre traite de la sociologie webérienne des groupes ethniques, partie centrale de l’œuvre Économie et Société. En présentant quatre grands champs d’interprétation de l’œuvre, Winter souhaite démontrer que la catégorisation du groupe ethnique relève d’une construction sociale et non d’un fait naturel ou primordialiste. Cette dimension dynamique de la production de l’ethnicité me paraît centrale, à la fois comme processus objectif et subjectif, des sociétés traditionnelles et modernes : une société peut être plus ethnique que l’autre, mais l’ethnicité ne disparaît pas des sociétés dites modernes. Weber remarque que des processus d’exclusion et de marginalisation reposent sur des caractéristiques ethniques et non sur des distinctions de classe, notamment les noirs aux ÉtatsUnis. Enfin, l’activité ethnique est politique et stratégique dans le sens où les groupes ethniques sont des acteurs sociaux dans un État de droit. Le troisième chapitre aborde les concepts de nation et d’organisation étatique. La nation est l’aboutissement de deux logiques, soit culturelle et rationnelle. L’auteur présente clairement l’idée que la nation repose sur une appartenance commune ou un sentiment profond qui peut être ethnique et communautaire. Chez Weber, l’important et de comprendre la dynamique entre ces deux façons de concevoir la nation comme étant le lieu d’une organisation politique entre des groupes, lieu que l’État doit organiser de façon rationnelle. En somme, ce court ouvrage bien structuré, quoique un peu mécanique et répétitif dans la démonstration, nous invite à bien saisir un moment fondateur dans la sociologie allemande. D’une part, Max Weber fait de la sociologie une discipline académique parmi des disciplines bien ancrées comme l’histoire et le droit. D’autre part, il répond aux thèses biologiques et racistes de l’époque qui refusent des explications rationnelles aux questions ethniques. Comment alors penser la sociologie des relations ethniques dans un monde en mutation, dans un monde où les repères classiques de l’État organisateur de la nation sont concurrencés par d’autres formes organisationnelles du pouvoir et de la légitimité? Cette question nous semble d’autant plus importante que le lien établi à la citoyenneté est toujours fragilisée par des stratégies de repli et de particularisme dans des sociétés de plus en plus diversifiées. C’est un nouveau défi pour la démocratie plurielle. Chedly Belkhodja Département de science politique Université de Moncton Email: [email protected] Vol. XXXVIII, No. 1, 2006 Link to Canadian Ethnic Studies/Etudes ethniques au Canada's website