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Supplément gratuit au numéro 20.052
l
99e année
Ne peut être vendu séparément
l
ISSN 0153.4831
Jeudi 22 novembre 2007
La France qui
se réinvente
50 INITIATIVES
QUI METTENT LE PAYS
EN MOUVEMENT
Bien sûr, il y a les grandes réformes et les
grands blocages. Mais loin de cette actualité
bien visible, il y a aussi un grand mouvement
de réinvention du pays, sous toutes ses
formes, dans tous ses recoins, par tous ses
acteurs. Un comité de pilotage a travaillé
pendant un an pour établir une sélection
qui montre une toute petite partie
de ce renouvellement en profondeur.
SOMMAIRE
FRANCE FIGÉE ET FRANCE QUI BOUGE.
Pages 2-3
ENTREPRISES. De Netvibes à ModeLabs
Pages 4 à 7
en passant par la Logan et Alstom.
SECTEUR PUBLIC. Des frais de justice
au placement des chômeurs.
Pages 8 à 10
ÉCONOMIE DU SAVOIR. De l’Idei
de Toulouse à HEC.
Page 11
TERRITOIRE. De Lyon au TGV Est.
Pages 12-13
COHÉSION SOCIALE. De 100.000 entrepreneurs
à l’Agence nouvelle des solidarités actives. Pages 14-15
Page 16
Jupiterimages, Bloomberg, Michel de Vries, DR
REGARDS D’EXPERTS ÉTRANGERS.
Suzanne Berger et Tito Boeri.
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
Sur www.lesechos.fr
Apportez votre témoignage sur cette France qui se
réinvente et aussi vos suggestions ou vos indignations.
Et retrouvez des interviews vidéo.
ÉDITORIAL PAR HENRI GIBIER
La preuve
par le changement
L
e coq gaulois est aussi
le champion de
l’autodénigrement. Ce mélange
paradoxal n’a pas fini d’étonner
le reste du monde quand celui-ci
tourne son regard vers la France.
Le choc entre nos prétentions à
l’universalisme et la tentation
permanente du repli particulariste
entretient cette étrange image
d’un pays qui ne cesse de vouloir
donner des leçons à la planète en
même temps qu’il se distribue
allègrement des punitions. Les
Français aiment se représenter tels
qu’ils voudraient être, se lamenter
de ne pas être ce qu’ils ne sont pas,
mais ont beaucoup de mal à se voir
tels qu’ils sont. Ces dispositions
propres au caractère national ne
sont pas neutres dans une
économie de plus en plus dominée
par les éléments immatériels.
Chaque fois que ceux-ci entrent en
jeu, comme c’est le cas dans les
classements mondiaux sur la
compétitivité des pays, ou de leurs
niveaux en matière d’éducation, il y
a de fortes présomptions que la
France n’apparaisse pas à son vrai
rang, souvent du fait des
appréciations émises par ses
propres ressortissants. Yann Algan
et Pierre Cahuc, deux experts du
Cepremap, organisme d’études
économiques rattaché au ministère
de la Recherche, viennent de
publier récemment un ouvrage sur
« La Société de défiance », qui
établit un constat similaire, à partir
d’enquêtes d’opinion menées dans
toutes les nations industrialisées.
Depuis plus de vingt ans, elles
montrent que les Français, par
rapport à leurs homologues
étrangers, souffrent d’un déficit
de confiance, en eux et entre eux,
qui entrave leurs capacités de
coopération et réduit leur
dynamisme économique.
C’est pour contribuer à briser ce
cercle vicieux que la rédaction des
« Echos », accompagnée dans cette
démarche par quelques
personnalités impliquées à la fois
dans la vie des affaires et dans
divers chantiers sociétaux, a réalisé
ce cahier. Son seul parti pris est
d’accorder, pour une fois, plus
d’attention aux signes et aux
symptômes de changement
encourageants pour le devenir du
pays qu’aux habituelles recensions
de ses blocages et de ses échecs.
Non que l’on veuille ignorer ces
derniers, régulièrement rapportés
et analysés dans notre journal.
Mais il ne sert à rien de dénoncer
les immobilismes si l’on ne cherche
pas aussi à mieux connaître ce qui
marche. Tel est l’objectif de ce
document auquel la meilleure
fortune qu’on lui souhaite est de
fournir l’amorce d’une sorte de
« rapport annuel » sur ce qui,
aujourd’hui, aide la France à
avancer dans le bon sens. Bien sûr,
l’approche est perfectible, elle se
veut plus un appel à débat qu’un
palmarès de prix de fin d’année.
Les cinquante initiatives retenues
dans l’ultime sélection procèdent
d’un choix scrupuleux, mais
forcément arbitraire, qui ne rend
pas justice, par exemple,
au foisonnement d’idées et
d’expérimentations suscitées par la
défense de l’environnement. Le but
sera tout de même atteint si l’on y
trouve la preuve que « la France qui
se réinvente » n’est pas une
invention.
2 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Genèse d’une idée
L’idée de proposer un dossier sur « la France qui se
réinvente » n’avait pas pour but de nier les médiocres
performances françaises en termes de croissance, d’emploiou dedéficitpublic.Ilétaitdesoulignerqu’endépit de
ces handicaps macroéconomiques la France bouge et se
réinvente dans les entreprises, les collectivités locales, les
associations et les services publics.
Reconnaître qu’un tel mouvement existe malgré tous
les freins est une clef pour penser et conduire le changement. Les tenants de la France bloquée ont tendance à
tout attendre d’un big bang politique, de réformes de
l’Etat et de changements par décret. Ils ignorent la force
detransformationquereprésententl’énergieetlavolonté
des acteurs sur le terrain.
LaFranceabesoinderéformesdestructure,maisellea
aussi besoin d’encourager ceux qui prennent des initiatives et qui innovent pour qu’ils soient de plus en plus
nombreux.
PromouvoirlaFrancequiseréinvente,c’eststimulerune
dynamique fondée sur la reconnaissance des acteurs, la
dissémination de l’innovation et le désir du changement.
JÉRÔME TUBIANA
directeur de la prospective sociale de Danone
Méthodologie
La sélection d’initiatives présentée danslespages suivantes
estlefruitd’untravailentaméilyaplusd’unan.Suruneidée
de Jérôme Tubiana, un comité de pilotage de neuf personnes venant d’horizons très variés (voir composition
ci-dessous) a été formé à la rentrée 2006. Il s’est ensuite
réuni une fois par mois. Le travail s’est fait en trois temps.
D’abord, le groupe a tenté d’identifier des initiatives
susceptibles d’être retenues en mobilisant des réseaux
d’experts travaillant dans différents domaines (entreprises,
secteur public, etc.) pour faire remonter des expériences
originales. Ensuite, des sous-groupes ont travaillé plus
spécifiquement sur chacun des domaines pour faire des
fiches d’évaluation relatives aux différentes initiatives, en
soupesant leur efficacité, leur caractère réplicable, leur
portéeet leurarticulation entrel’économique etle social. A
l’issue de cette phase, une bonne centaine d’initiatives ont
été présélectionnées. Enfin, le comité de pilotage a passé
plusieursséancesdetravail àétablirlasélectionfinale etdes
cartonsrougesmontrantuneFrancequineseréinventepas.
Ce travail donnera lieu à un débat dans le cadre d’un
séminaireAspenFranceenjanvier2008. Il avocationà être
renouvelé les années suivantes afin d’établir peu à peu un
véritable observatoire de la France qui se réinvente. La
première sélection comporte des initiatives parfois anciennes, mais qui ontfaitla preuvede leurefficacitéau-delà
des effets d’annonce. Les sélections ultérieures reflèteront
davantage des réalisations toutes fraîches.
Les apparences d’une France
figée dans ses habitudes
C
teurs. Manquant de moyens pour
acheter de nouvelles machines,
les entreprises financent à peine
plus de la moitié de leurs investissements sur leurs ressources.
Malgré un beau recul, le taux de
chômage reste parmi les plus élevés de l’Union européenne. Un
autre stock témoigne de la langueur tricolore : la dette publique qui ne cesse d’augmenter
− malgré un joli tour de passepasse budgétaire réalisé l’an dernier et en dépit d’une des fiscalités les plus lourdes au monde. En
dix ans, le poids de la dette publique dans le PIB a augmenté de
7 % alors qu’elle reculait d’autant dans les autres pays de la
zone euro.
Encore plus inquiétant : les déficits « sociaux » (santé, retraite)
s’accumulent aussi, alors qu’il
s’agit d’assurances qui devraient
donc être à l’équilibre ou excédentaires. Là encore, c’est la
preuve d’un pays impuissant à
’était en 1960. Un grand résistant devenu patron de la
SNCF et un fameux économiste
proposent dans un rapport explosif l’ouverture des professions
réglementées. Près d’un demisiècle après ce rapport rédigé par
Louis Armand et Jacques Rueff,
les taxis, les géomètres, les notaires, les pharmaciens, les comptables sont toujours régis par des
règles antédiluviennes qui ont
pour effet premier de bloquer la
concurrence. Qui ose encore espérer que la France peut changer, s’adapter, progresser ? Le
pays semble avoir une allergie
profonde au changement. L’élection d’un candidat de « rupture »
à la présidence de la République
ne change rien à l’affaire. Il suffit
de regarder la chronique des dernières semaines. Modifier des
règles de la retraite établies à
l’époque où celui qui arrêtait de
travailler avait une espérance de
vie de deux ans, alors que cette
espérance dépasse désormais les
vingt ans ? Grève. Changer une
carte judiciaire vieille d’un demisiècle, alors que 25 % des Français ont quitté depuis la campagne pour la ville ? Scandale.
Toucher au statut des universités
complètement débordées par
leur succès ? Tollé. Le pays paraît incapable de muer dans un
monde qui va de plus en plus vite.
Les grandeurs macroéconomiques confirment hélas l’impression. Malgré des politiques
incessantes de relance, la croissance française est à la traîne
(0,2 % de moins que la moyenne
européenne cette dernière décennie). Le commerce extérieur
du pays sombre dans des déficits
record qui reflètent la trop faible
compétitivité de ses exporta-
corriger les règles du jeu quand il
le faut.
Machine à écrémer
Si au moins le pays sacrifiait le
présent pourmieuxpréparer l’avenir… Mais ça n’est hélas pas le cas.
Le système scolaire fonctionne
toujours comme une machine à
écrémer, et non à former, avec
40 % des élèves qui redoublent au
moins une classe − trois fois la
moyenne des pays développés.
L’ascenseur social est bloqué.
Autre exception française : le pays
aunedépense inférieure pour l’enseignement supérieur. L’Etat débourse 30 % de moins pour un
étudiant que pour un lycéen. Dans
la recherche, ce n’est pas mieux.
Tous acteurs confondus, la dépense française de recherche et
développement plafonne à 2,2 %
du PIB, malgré les engagements
répétés d’atteindre l’objectif de
3 % affiché dans la stratégie de
Lisbonne. Même l’inscription du
principe de précaution dans la
Constitution, qui devait être le
signe d’une France qui se tourne
vers l’avenir, pourrait devenir l’excuse suprême pour ne surtout rien
faire au motif que l’action a des
effets parfois imprévisibles.
Comment sortir de cette paralysie ? Certains affirment que le déclin est irréversible. D’autres veulent croire à un réformisme
introuvable. D’autres encore soulignent que la France mue seulement dans les convulsions, comme
en 1789 ou en 1968. Ce n’est pas
tout à fait vrai. Si le rapport Armand-Rueff de 1960 n’a pas réussi
à modifier l’effectif des taxis parisiens, l’ouverture à la concurrence
qu’il prônait a préfiguré les bouleversements induits par le Marché
commun. Mais le temps n’est plus
où les élites du pays pilotaient le
changement. Aujourd’hui, la
France change par le bas. Et les
blocages sont en haut.
J.-M. V.
Un changement inchiffrable
« Signal faible ». La France qui se
réinvente, combien de divisions ? Il
n’y a pas de réponse à cette question. Et c’est l’une des raisons pour
lesquelles le changement est difficile à voir, du moins quand on
cherche à le mesurer avec les instruments habituellement employés
pour décrire le mouvement économique et social. Dans l’information
en général et dans l’information
économique en particulier, le
chiffre joue de plus en plus ce rôle.
Parfois, il surprend ou illustre. Souvent, il appuie un argument ou
étaie le raisonnement. En dernier
ressort, il devient argument d’auto-
rité, celui qui cloue le bec au contradicteur. Pour parvenir à cette puissance, le chiffre doit être issu de la
statistique, c’est-à-dire du travail
des grands nombres qui lui donne
sa légitimité. Il devient alors un
instrument de masse. Il montre des
quantités globales, des moyennes,
des distributions, des rythmes
d’accroissement. Autrement dit, il
est incapable de montrer les changements tant qu’ils ne sont pas
massifs. Il peine à capter les « signaux faibles », comme disent les
électroniciens.
Or l’invention ou la réinvention relève par excellence du « signal
faible ». Il faut donc renoncer ici aux
millions d’hommes et de femmes,
aux échantillons représentatifs, aux
pourcentages. Il faut prendre
d’autres instruments de mesure,
abandonner le grand angle au profit
du zoom, tâtonner au risque de
l’échec ou de l’erreur, délaisser les
grandeurs pour se concentrer sur
les exemples tout en évitant la petitesse. En un mot, il faut passer du
milliard grandiose à l’unité à peine
perceptible. La France ne se réinvente pas sous les feux des projecteurs qui éclairent souvent une
France bloquée. Mais elle se réinvente tout de même !
J.-M. V.
La puissance du levier associatif
DR
Précision. La numérotation des initiatives
de 01 à 50 reflète un simple décompte et non
un classement ou une hiérarchisation.
aldeck Rousseau n’imaginait sans doute pas en inspirant la loi du 1er juillet 1901
reconnaissant « le droit d’association » lesuccès que connaîtrait, un
siècle plus tard, le mouvement
associatif français. Avec un million d’associations actives, près de
deux millions de salariés, plus de
dix millions de bénévoles et plus
de 20 millions d’adhérents, la
France constitue un modèle singulier. Certes, la plupart des pays
industrialisés disposent d’un système associatif, corporatiste et
institutionnel en Europe de
l’Ouest, citoyen dans l’Europe du
Nord, à forte influence religieuse
dans la Méditerranée, d’inspiration caritative ou lobbyiste dans
les pays anglo-saxons, alors que
les sociétés asiatiques n’ont pas
développé de structures de ce
type.
La France fait une synthèse en
proposant sans doute le modèle le
plus éclectique et le plus équilibré.
Indicateur peu connu d’un pays
qui se réinvente, le monde associatif français connaît depuis une
décennie une croissance sans
Au global, ces initiatives associatives génèrent aujourd’hui
60 milliards d’euros de budget,
soit 3 % du PIB. Un vrai esprit
d’entreprise à la française ! Ce
n’est sans doute pas un hasard si
un gouvernement de la Ve République compte pour la première
fois un portefeuille de « la vie
associative ».
Maxppp
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
W
Le monde associatif français
connaît depuis une décennie
une croissance sans équivalent
avec 70.000 enregistrements
d’associations nouvelles par an.
équivalent avec 70.000 enregistrements d’associations nouvelles
par an, concentrées dans des secteurs touchant aux terrains laissés
pour compte par l’entreprise privée, voire par l’Etat : sanitaire et
social, culturel et sportif, et récemment environnemental.
Laboratoire
Les exemples ne manquent pas
pour illustrer cette dynamique socio-économique. Deux d’entre
eux sont des exemples de cette
synthèse française entre ambition
philanthropique et esprit d’entreprise : l’AFM, l’Association française contre les myopathies, et
Emmaüs. Créée en 1958, l’AFM
est aujourd’hui une véritable entreprise de 500 personnes, qui a
généré 1,2 milliard d’euros en dix
ans et financé des recherches
jusque-là impossibles autour des
maladies génétiquesrares permettant l’émergence d’un nouveau
secteur de recherche, à l’instar du
Généthon, qui regroupe aujourd’hui 200 chercheurs. L’associa-
tion Emmaüs, elle, gère aujourd’huiavec ses3.500 salariésplusde
3 millions de mètres carrés de
marchandises sur tout le territoire !
A l’instar des « pépinières » et
autres « incubateurs », l’existence
de ce tissu associatif éclectique et
dense et la facilité de lancement
d’une nouvelle association, conférée par la loi de 1901, constituent
un véritablelaboratoire de la création d’entreprise en France et un
ferment de l’esprit et de l’initiative
entrepreneuriaux. Qu’il s’agisse
de recherche ou de d’environnement, le milieu associatif peut permettre de financer directement ou
d’inspirer la création et ledéveloppement d’entreprises privées.
C’est dans cette perspective que le
statut hérité du XIXe siècle ouvrier doit êtreprotégé, même sises
modalités doivent être revisitées
pour éviter certaines dérives. Le
modèle associatif français constitue en tout cas une piste intéressante de la réinvention de nos
modèles de compétitivité !
JACQUES BUNGERT
coprésident du groupe Young & Rubicam.
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 3
AFP-Jupiterimages, AFP
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Une autre
forme
d’invention :
la tradition des
explorateursaventuriers
Les signes d’une France qui bouge
Une certaine idée du progrès
Certes, les Français sont attentifs
à la pauvreté persistante, au chômage durable, au manque de débouchés pour la jeunesse, à l’ascenseur social qui ne concerne
qu’un tiers d’entre eux par rapport à la génération précédente
(10 % déclarent avoir régressé
socialement). Mais nous retrouvons la plupart de ces maux dans
les pays développés, y compris le
pourcentage de personnes pri-
teurs économiques. Il faut intég r e r d e s i n d i c a te u r s d u
changement sociétal et plus globalement de la société durable.
Les Français ont l'esprit développement durable
% de réponses oui à la question « Considéreriez-vous comme plus important de développer
la performance et la croissance économiques que de rendre les villes et la campagne
plus agréables à vivre ? »
Espagne
Royaume-Uni
27%
34%
France
44%
Suède
Allemagne
35%
55%
Japon
28%
États-Unis
57%
Corée du Sud
61%
Chine*
Argentine*
Brésil*
Italie
Inde*
69%
59%
35%
61%
% de réponses
oui à la question
« Etes-vous
de ceux qui
pourraient
créer une
entreprise
ou monter
leur propre
affaire ? »
50%
35%
49%
60%
% de réponses
oui à la question
« Pensez-vous
que la présence
d'étrangers
appartenant à
d'autres cultures
est une chance
pour l'avenir
de la France ? »
38%
Le nombre de Français qui ressentent un sentiment de déclin… décline. Ils ne sont plus que 40 % à « craindre que la
France s’efface progressivement, que sa culture disparaisse, que sa puissance s’affaiblisse », contre 55 % en 1991.
vées d’emploi et cependant en
âge de travailler, classées selon
les usages des pays dans la catégorie demandeurs d’emplois, et
qui viennent grossir les statistiques du chômage, ou inaptes au
travail et venant grossir les statistiques des personnes handicapées.
Les Français, eux, partagent
une certaine idée du progrès,
d’abord humain et sociétal. Dans
une période où les dérèglements
(économiques, géopolitiques,
climatiques…) sont nombreux,
où les possibilités scientifiques
sont porteuses du mieux et du
pire, où la gouvernabilité du
monde n’a pas fait les progrès
qu’impose un monde ouvert et
en forte évolution, la prudence
s’impose pour beaucoup d’entre
eux.
Pour saisir les Français, on
l’aura compris, il faut chercher
ailleurs. Ne pas se focaliser seulement, voire trop, sur des indica-
Nouveaux critères
Les Français aspirent à unesociété
choisie et rejettent une société
subie, celle où les individus ont des
contraintes supérieures à leurs capacités à faire face (mobilités imposées, endettement, difficultés
de santé…). C’est sans doute dans
cette volonté de ne pas être un
frêle esquif ballotté au gré des
tempêtes du monde qu’il faut
chercher l’explication d’un comportement national volontiers vigilant, voire protestataire.
L’évolution du monde et l’évolution de la société portent de
nouveaux critères pour juger de la
« modernité » d’un pays. En voici
quelques-uns sur lesquels les
Français sont, selon nos travaux,
plutôt bien placés : les mobilités
(mentales et physiques), les postures d’ouverture (aux autres, au
monde, aux changements), l’autodétermination, la confiance en soi,
la capacité à établir des connexions avec son environnement, la
prise en compte des dimensions
globales et des dimensions locales,
le désir d’expérimentation, le goût
d’entreprendre, l’importance accordée aux connaissances, la place
de l’homme dans la société…
Cette posture des Français
contraste avec le paysage institutionnel sur bien des sujets en
retard par rapport à la population. La place des femmes et
celle des minorités dans la société en sont deux excellents
exemples. Elle contraste également avec les critères implicites
qui président le plus souvent à
l’appréciation du dynamisme
des nations : le goût du risque,
l’esprit de compétition, le sacrifice de soi, le libéralisme sans
contrainte… Critères hérités du
passé et sans doute en partie
dépassés.
PATRICK DEGRAVE
directeur général adjoint
de Sociovision Cofremca
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
Le mouvement par l’entreprise
L
’univers des grandes entreprises est souvent décrit
comme compassé. Pourtant, elles
réinventent elles aussi leurs modèles. Sur leplan économique bien
sûr, mais aussi sociétal. La preuve
par cinq.
Plus de diversité : la SNCF
3. Un jeune ou une personne issue
de l’immigration a trois fois moins
de chances d’être embauché sur
CV qu’un trentenaire blanc.
Quand on est à la fois jeune et issu
del’immigration, commec’est souvent le cas dans les quartiers difficiles, l’obstacle peut sembler insurmontable. Palme de l’initiative, les
entreprises publiques Gaz de
France et SNCF. La compagnie
ferroviaire a recruté en 2006 en
banlieue 350 jeunes sur les 4.000
qui se sont bousculés aux campagnes d’embauche dans les quartiers populaires. Avec un argu-
ment choc : « Nous voulons des
employés qui ressemblent à nos
clients. »
Plus de femmes : Alcatel
2068. Si le rythme actuel se maintient, c’est à cette date seulement
que les conseils d’administration
des grandes entreprises mondiales
comporteront autant d’hommes
que de femmes. La France dans ce
lot fait mieux que le Japon ou
l’Italie, avec 8 % de femmes, mais
beaucoup moins bien que les
Etats-Unis, le Royaume-Uni ou
les Pays-Bas. Quant au taux de
femmes parmi les cadres dirigeants, il atteint 21 % en France,
presque le même score que les
Etats-Unis, loinderrièreles Philippines, les seuls à avoir atteint le
seuil fatidique des 50 %. L’arrivée
de Patricia Russo, la patronne
d’Alcatel-Lucent, comme première PDG femme d’une entre-
prise du CAC 40, a changé la
donne : son comité exécutif comporte quatre femmes et cinq
hommes. PSA, de son côté, est le
seulgroupedu CAC 40àavoir une
femme à la tête de ses finances.
Plus d’étrangers
dirigeants : Carrefour
4. Quatre entreprises du CAC 40
sont dirigées par un non-Français.
Deux à la suite d’une fusion-acquisition, ArcelorMittal, dirigé par
Lakshmi Mittal, et Alcatel,
conduit par Patricia Russo. Une
parce qu’elle est franco-italienne,
STMicroelectronics, pilotée par
Carlo Bozzoti. Au-delà de ces cas
particuliers, une société françaisea
vu un étranger arriver à sa tête
uniquement parce que le conseil
d’administration a estimé qu’il
était le mieux placé pour ce poste :
Carrefour. L’espagnol José Luis
Duran a pris les commandes en
2005 après avoir gravi tous les
échelons.
Plus de champions
mondiaux : Vallourec
1er.
L’entreprise, leader mondial
du tube sans soudure, a été élue
cette année par les consultants du
Boston Consulting Group, parmi
5.000 candidats, comme la société
au monde qui a créé le plus de
valeur pour ses actionnaires sur
cinq ans, avec un rendement de
90 % par an. Personne ne dit
mieux ! Autre nouvel arrivé dans
l’indice CAC 40, Essilor, leader
mondial du verre correcteur, est
aussi l’un des champions français
qui a connu la plus forte croissance
cesdernièresannées. Lamoitiédes
quarante premières entreprises de
France peut prétendre à un premier rang mondial dans au moins
l’une de ses activités. Derrière, de
jeunes et moins jeunes champions
fréquentent aussi la première
marche du podium sur leur créneau : Soitec, Maped, Daregal,
Nexans, Roquette, Zodiac, JCDecaux, Eurofins, Bel, Bongrain…
Plus de privatisation : EDF
45 %. C’est la hausse de la valeur
du portefeuille boursier de l’Etat
sur la seule année 2007, avec des
vedettes comme EDF, devenu la
première capitalisation française.
Mercila Bourse ! Car, en réalité, la
puissance publique poursuit son
désengagement, notamment en
poursuivant son désengagement
de France Télécom. En 2006, la
décrue avait été très importante
avec la cession de trois sociétés
d’autoroutes et de 21 % d’Alstom.
En dix ans, le nombre d’entreprises contrôlées majoritairement
par l’Etat est passé de plus de 2.600
à moins de 1.200.
PHILIPPE ESCANDE
Maxppp
L
es Français auraient perdu
confiance, le sens du travail,
l’esprit d’entreprise. De classements mondiaux en classements
mondiaux, la place de la France
régresserait. Un des derniers en
date, celui du World Economic
Forum, place la France en 18e position quant à l’attractivité pour
les entrepreneurs, un recul de
6 places en un an.
Mais la réalité mérite d’être
regardée sous un autre angle. Le
nombre de Français qui ressentent un sentiment de déclin…
décline. Ils ne sont plus que 40 %
à « craindre que la France s’efface
progressivement, que sa culture
disparaisse, que sa puissance s’affaiblisse », contre 55 % en 1991.
Depuis plus de trente ans que
Sociovision Cofremca suit les
comportements en Europe, en
Amérique du Nord et du Sud et
en Asie, rien n’indique un quelconque décalage entre les Français et la marche du monde.
Comme ailleurs, il y a des changements importants et des
poches de problèmes difficiles à
résorber. Nous observons la
poussée continue d’un désir
d’émancipation et d’épanouissement de la personne, nous observons la montée d’une confiance
en soi, en sa créativité, en sa
capacité à agir sur son destin, sur
celui de la société et de plus en
plus sur celui de la planète. L’implication au travail et le désir de
réussite professionnelle n’ont
cessé de se raffermir, tout en
étant accompagnés d’une recherche d’harmonie de vie.
Jean-Louis Etienne.
L
a seule chose prom ise
d’avance à l’échec, c’est celle
qu’on ne tente pas », aimait à répéter Paul-Emile Victor. Sans lui, il
n’y aurait sans doute pas eu d’expéditions françaises dans les régions polaires ni de base antarctique Dumont d’Urville en Terre
Adélie. A lui seul, ce précurseur
de l’écologie, né à Genève en
1907, incarne bien cette tradition
française d’explorateurs-aventuriers dont les Charcot, Lesseps,
Besançon et Hermite… font figure d’éminents pionniers. Des
pionniers qui ont beaucoup d’héritiers. Deux exemples parmi
beaucoup d’autres : en pleine année polaire intern ation ale
(2007-2008), cinquante ans après
la dernière du genre, l’expédition
Tara Arctic, qui doit terminer sa
dérive sur la banquise en décembre, et la prochaine mission
Total Pole Airship, pilotée par le
médecin-explorateur Jean-Louis
Etienne, montrent bien que cette
tradition reste vivace.
« Notre but avec le programme
Tara Expéditions, quiexiste depuis
trois ans, c’est de sensibiliser les
gens sur les dangers qui guettent la
planète », explique Etienne Bourgois, directeur-général d’Agnès B
et directeur de l’expédition Tara,
soutenue par le programme de
recherche européen Damoclès.
Initialement construite à l’initiative de Jean-Louis Etienne, la
goélette polaire sortira de l’océan
glacial Arctique avant Noël, avec
de 9 à 10 mois d’avance sur le
calendrier prévisionnel. Le recul
spectaculaire de la banquise à la
fin de l’été 2007, avec plus d’un
million de kilomètres carrés de
glaces de mer qui ont disparu en
deux ans, a accéléré sa dérive
transpolaire. A ce rythme, les
scientifiques estiment que la banquise d’été pourrait disparaître en
2030-2040. Le « vaisseau spatial »
de Damoclès doit servir à mieux
comprendre ce « cycle de fonte ».
Depuis, le nouveau patron de
l’Institut océanographique de
Monaco, Jean-Louis Etienne, ou
la navigatrice scientifique Raphaëla le Gouvello, première
femme à traverser l’Atlantique en
planche à voile en 2000, jusqu’à
une autre navigatrice, Maud Fontenoy, la liste est longue de ces
Françaises et ces Français qui sont
prêts à défendre ces valeurs de
« courage, d’obstination et de dépassement de soi ».
P. DE G.
4 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les entreprises au cœur du changement
E
t les entreprises ? Elles aussi,
elles bougent, elles innovent,
elles se réinventent ! En France, le
mouvement est sans doute plus
difficile et plus lent qu’ailleurs. Logique dans un pays où l’Etat est
aussi présent, où l’esprit du capitalisme a eu du mal à souffler, où les
pesanteurs restent très fortes.
Globalement, la situation demeure d’ailleurs préoccupante.
Les entreprises tricolores profitent
moins que d’autres de la mondialisation et de l’explosion du commerce international. Leurs exportations ne suivent plus le
commerce mondial depuis 2001.
La désindust rialisation se
confirme de semaine en semaine,
01
au fil des fermetures de sites et des
plans de licenciements. Quant aux
profits, si ceux des poids lourds de
la Bourse s’envolent, les marges de
l’immense majorité des autres entreprises ont plutôt eu tendance à
baisser ces dernières années. Pas
de quoi les inciter à accentuer leurs
efforts de recherche ou à investir.
Et pourtant… Malgré ce
contexte difficile − ou parfois à
causedelui,parcequec’estlaseule
solution pour survivre −, certaines
sociétés tirent leur épingle du jeu.
Les exemples rassemblés ici en
sont la preuve. On y trouve bien
sûr une poignée de plus ou moins
« jeunes pousses ». Des entrepreneurs qui ont eu la bonne idée,
flairé lecréneauporteur, ontréussi
à concrétiser leur projet et surtout
à le faire grandir. C’est le cas,
typique, de Tariq Krim, un ancien
journaliste de trente-trois ans. Son
idée ? Rassembler sur une même
page Web des informations venues de dix ou vingt blogs et autres
sources. Son site n’a ouvert qu’en
septembre 2005.Mais aujourd’hui,
il est déjà utilisé par 10 millions
d’internautes,etGooglealancé un
système concurrent pour tenter de
copier ce succès bleu-blancrouge !
Dailymotion et Free ont un peu
suivi le même genre de parcours.
Innate Pharma aussi. Cette startup marseillaise, qui a trouvé de
D
DR
Deux ans plus tard, pas moins de
10 millions d’internautes se sont
emparés du phénomène ! Google
a même décidé de lancer iGoogle
pour contrer la start-up française.
Google a décidé de lancer iGoogle pour contrer la start-up française, qui a ouvert son site en septembre 2005.
naute qui n’a plus besoin de naviguer d’un site à l’autre pour la
trouver et peut la hiérarchiser
comme bon lui semble. « Après
avoir écrit des articles sur des startup américaines, j’ai décidé d’agir et
de créer ma propre société », explique Tariq Krim, ancien correspondant à San Francisco pour le
quotidien économique « La Tri-
bune ». En août 1999, il ouvre le
site musical MPTrois, en pleine
révolution numérique. Echec. « Il
a beaucoup appris de ce faux pas »,
explique un ami. Le projet devient
un site d’information grand public.
« A l’origine, Netvibes est né d’un
besoin, sesouvient TariqKrim.Sur
ce site, je voulais suivre la rédaction
de quinze blogs en même temps sur
une seule page. » De là naît l’idée
de rassembler tous les blogs en un
seul endroit. Très rapidement, le
service est proposé à des proches.
« Tariq m’a fait tester le site, que j’ai
trouvé formidable, se souvient un
ami, Jean-Baptiste Soufron. En
quelques jours, Netvibes était utilisé
par plus de 10.000 internautes ». En
septembre 2005, le site est ouvert.
La Logan, une voiture mondiale
faite à l’économie
02
A
utour de 450.000exemplaires
vendus cette année et probablement 1 million en 2010… La
Logan, voiture spartiate et économique conçue pour les pays émergents mais qui a également trouvé
sa place sur les routes françaises,
railléepar ses concurrents au début,
est désormais prise très au sérieux.
Au point que Toyota serait en train
de préparer une voiture exactement aux mêmes dimensions pour
2009-2010… « Le succès de la Logan est basé sur le fait que Renault a
osé », résume le PDG du constructeur, Carlos Ghosn, qui n’en finit
pas d’ajouter des capacités de par le
monde pour ce programme providentiel (Maroc, Russie, Brésil…).
Pour être exact, le vrai géniteur
de la voiture n’est pas Renault mais
son ancien patron, Louis Schweitzer. Lorsqu’il a lancé devant ses
cadres l’idée de faire une voiture à
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
tés. Si le groupe tient le choc, c’est
largement grâce à la Logan, cette
voituredu pauvrequeleprécédent
PDG, Louis Schweitzer, a eu tant
de mal à imposer à ses ingénieurs
férus de véhicules toujours plus
high-tech. Aujourd’hui, elle fait un
tabac. Un changement de modèle
économique voisin de celui qu’expérimenteEssilorenInde, avec ses
lunettes à 5 dollars.
Les uns innovent. D’autres tels
que Bénéteau jouent la carte du
luxe. D’autres encore reviennent
au contraire à des produits basiques, mais adaptés aux besoins
de la masse des clients… Les voies
du succès sont décidément multiples !
DENIS COSNARD
Netvibes ou la liberté donnée à l’internaute créateur
écembre 2005. A la fin d’une
journée organisée à Paris autour du phénomène naissant des
blogs Internet, Martin Varsavsky
convieunequinzainedepersonnes
à prendre un verre chez lui. Parmi
les invités à venir dans l’appartement du richissime entrepreneur
des technologies de l’information,
place des Vosges, Tariq Krim,
trente-trois ans. « Lors de cette soirée, il s’est mis devant l’ordinateur
pour me montrer son site, Netvibes,
lancé depuis trois mois, se souvient
Martin Varsavsky. J’en suis tout de
suite tombé amoureux. Je suis un
romantique, qui investit dans des
produits qu’il aime utiliser. » Lesite
propose aux internautes de personnaliser une page avec des blocs
de texte quel’utilisateur peut organiseràsaguise.Cesdifférentsblocs
accueillent des flux d’information
en provenance de tous les journaux du Net, des blogs et même
des services (messagerie Internet,
service de météo, bloc notes, etc.).
Résultat : l’info vient à l’inter-
bas coûts, il a « fait un four », se
souvient-il. C’est lors d’un voyage
en Russie, en 1997, que l’idée se
précise : concevoir unevoiture vendue au prix d’une Lada (6.000 dollars), mais dotée d’une technologie
fiable et moderne. Avec deux éléments décisifs pour serrer les prix,
reprendre des composants et des
moteurs déjà validés pour d’autres
modèles comme l’ancienne Clio et
réduire de manière drastique le
nombre total de pièces (trois fois
moins qu’une voiture traditionnelle). Résultat, la voiture est à la
fois plus grande qu’une Clio et
beaucoup plus légère, modérant sa
consommation.
Face à des ingénieurs moyennement intéressés car adeptes du
« toujours plus », le PDG de Renault est passé en force en faisant
largement « fuiter » son projet à
l’extérieur. « Pendant les années de
mise au point, toutes les études montraient évidemment que c’était idiot
et que nous allions perdre de l’argent. Comme j’avais le privilège, en
tant que président, de pouvoir m’asseoir sur les études économiques, je
me suis assis dessus. Et aujourd’hui,
cette voiture gagne de l’argent », résume-t-il avec ironie (« Mes années
Renault », Gallimard, 2007).
Une véritable gamme
Autre manière de dérouler irrévocablement son plan : le rachat du
roumain Dacia, en 1999. Avec ses
ratios de productivité déplorables
et sa main-d’œuvre peu formée,
personne d’autre n’aurait voulu du
petit constructeur des Carpates.
Mais Louis Schweitzer avait son
idée : sans usine dans un pays à très
bas coûts salariaux, la Logan n’aurait jamais vu le jour. Si l’équipe
d’ingénieurs ayant élaboré la voi-
ture était française, les ouvriers de
Douaiou deFlins ne verront jamais
passer ce modèle.
Le lancement de cette voiture
d’un nouveau type, en 2004, fut
délicat à piloter, mais s’est bien
passé. Du coup, depuis son arrivée,
Carlos Ghosn a mis les bouchées
doubles pour faire de la rustique
berline une véritable gamme, avec
des breaks, pick-ups, 4 × 4, etc. Au
final,lafamille Logancompterapas
moins de 9 ou 10 variantes à l’horizon de 2012.
DENIS FAINSILBER
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Le « low cost » n’est pas réservé
au consommateur à faible pouvoir d’achat et aux marchés
émergents.
Thuasne, une PME familiale
qui résiste dans le textile
04
E
nouveaux modes d’action pour stimuler le système immunitaire, est
représentative d’une nouvelle vague d’expériences tricolores dans
les biotechnologies, un secteur où
la France avait connu une série de
déboires.
Mais ce qui est frappant, c’est
que des entreprises centenaires
comme Thuasne se réinventent
aussi. De même que des poids
lourds comme Alstom et Air
France.Deuxmastodontes quiont
bien failli disparaître etque la crise
a obligé à tout bousculer, avec le
soutien de l’Etat, qui, pour une
fois, a plutôt bien joué son rôle
d’actionnaire. Renault aussi a
connu et connaît bien des difficul-
lleaétéfondéeen 1847etreste
à la pointe de l’innovation. A
Saint-Etienne, la société Thuasne a
su opérer une profonde mutation
pour résisterdans ledifficilesecteur
du textile. Avec 900 salariés pour
près de 100 millions d’euros de
chiffre d’affaires, elle est devenue
l’un des leaders de la fabrication
d’orthèsesetdeproduits de contention. Au départ, l’entreprise familiale a débuté dans le négoce de
rubans,avantdefabriquerdestissus
élastiques pour la lingerie et les
bretelles. Aujourd’hui connue surtout pour ses ceintures lombaires,
elle conçoit des produits finis à
haute valeur ajoutée sous marque,
avec un cahier des charges très
précis. « Le virage a été initié de
façon intelligente par mon grandpère après la Seconde Guerre mondiale, indique Elizabeth Ducottet,
aux commandes du groupe. Les
générations suivantes ont poursuivi
son travail. »
La crise textile a obligé l’entreprise à bouger, notamment en s’implantant à l’étranger, où elle possède16filialesetréalise40 % deson
activité. « Il faut se réadapter tout le
temps, se remettre en question, explique la dirigeante. Tout décalage
serait mortel. »
L’innovation est la clef de cette
réussite, avec la volonté de ne
vendre que des produits dont l’efficacité thérapeutique peut être
prouvée. D’où un important travail
de recherche, auquel la société
consacre 5 % de son chiffre d’affaires et qui donne lieu au dépôt de
brevets chaque année. La création
de nouvelles gammes s’appuie sur
lesrelationsétroitesnouées avecles
professions médicales, les chercheurs, les patients et les sportifs
− Thuasne s’est diversifié il y a cinq
ans dans les sous-vêtements de
sport − afin de mettre au point des
produitscorrespondantàleursréels
besoins. L’esthétique dans le choix
descouleursouletouchersontaussi
devenus des arguments pour
vendre,ycompris lesbasdecontention. Les femmes ne veulent plus
seulement du beige, mais du sable
ou du caramel. Même dans le domaine de la santé, il fautjouer sur la
séduction.
D. CH
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 3/5
Parmi les toutes premières filières à travailler à l’échelle du
globe,le textile,pour survivreau
choc de la mondialisation, doit
miser d’abordsur la créativité, la
recherche et la réactivité.
Un bureau à San Francisco
Des entrepreneurs de l’Internet
tentent de joindre Tariq Krim par
email pour investir dans la société.
Finalement, le fonds suisse Index
Ventures et des grands noms de
l’Internet, dont Marc Andreessen
(Netscape), Martin Varsavski
(Jazztel, Fon) et Pierre Chappaz
(Kelkoo) s’invitent au capital. En
août2006,Netvibes lève12millions
d’euros. La société ouvre un bureau à San Francisco et s’installe
dans le Sentier, à Paris. « Son idée
n’a jamais été de devenir riche pour
s’acheter une belle voiture ou une
superbe villa, estime Freddy Mini,
directeur de Netvibes. Tariq fait
partie des rares personnes à vouloir
changer le monde. »
Fils d’un professeur d’économie
et d’une mère prof d’éducation
physique, Tariq Krim veut avant
tout proposer le meilleur produit
possible aux internautes. L’argent
viendra ensuite, via les revenus
publicitaires issus de petites applications utilitaires intégrées dans la
page personnalisée des internautes. Aujourd’hui, le jeune entrepreneur, « très mal organisé » de
son propre aveu, court le monde de
Salons professionnels en événements clients. Comme le dit Laurent Binard, un entrepreneur de
l’Internet avec Wikio, « il est devenu le super-VRP de la société ».
Le plus souvent entre Paris et San
Francisco...
EMMANUEL PAQUETTE
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 2/5
Avec Internet, une bonne idée
est d’emblée mondiale. Ce qui
élargit la clientèle… et les
sources de financement.
L’Adam, un levier
de bonne gouvernance
03
R
ien de tel qu’une pasionaria
pour faire avancer la démocratie. Toujours prête à mobiliser
les médias et à arpenter les prétoires, Colette Neuville se bat depuis plus de quinze ans pour imposer les principes de la « bonne
gouvernance » dans les sociétés cotées. L’histoire de son association,
l’Adam (Association de défense
des actionnaires minoritaires), débute par un combat digne de David
contre Goliath. Fin 1991, la toute
jeune association se saisit du rachat
du Printemps par legroupePinault.
Elle dénonce la manœuvre de l’industriel : faisant mettre « au porteur »leblocd’actionsqu’ilachèteà
la famille Maus, il annule ainsi les
droitsdevotedoubles qu’ellescomportent et échappe à l’obligation de
faire une offre sur la totalité du
capital. Les petits porteurs crient à
la manipulation. L’Adam est déboutée en justice. L’affaire a pourtant mis en évidence l’inégalité de
traitemententreactionnaires majoritaires,quiprofitentdel’opération,
et minoritaires, qui ne bénéficient
pastousduprixd’OPA.C’estcequi
pousse le ministre des Finances,
Pierre Bérégovoy,à imposer,début
1992, l’offre sur 100 % du capital
dès franchissement du seuil de
33 %. La dénonciation d’un cas
particulier a servi de catalyseur à la
réforme du cadre légal.
Contre-pouvoir
La conviction de Colette Neuville
est faite : avec les privatisations et le
poids croissant des minoritaires,
l’actionnaire a désormais un rôle à
jouer dans le bon fonctionnement
des entreprises. En économie
commeen politique,souligne-t-elle,
« le traitement fait aux minoritaires
est un bon indicateur du degré de
démocratie et de la légitimité du système ». Elle érige donc son associationencontre-pouvoir. D’affaire en
affaire, elle construit sa crédibilité
auprès des investisseurs et des patrons pour se donner les moyens
d’influer sur le comportement des
sociétés ciblées et sur l’évolution du
cadre institutionnel. Un autre bras
defer perdufaceà François Pinault,
lors de l’absorption de La Redoute
par son groupe en 1994, sera à
l’origine d’une nouvelle règle obligeant l’acquéreur à faire une offre
de sortie aux minoritaires en cas de
fusion. En 1998, une bataille contre
Jean-MarieMessier,alorspatron de
la Générale des Eaux et actionnaire
principal − mais non majoritaire −
d’Havas, mettra en évidence le problème du contrôle par un concert
d’actionnaires. Une notion introduite dans le droit par la loi de 2001
sur les nouvelles régulations économiques, qui trouvera application en
2005, à la suite d’une plainte de
l’Adam contre Carrefour.
Membre du Forum européen de
corporate governance, Colette
Neuville participe à la réflexion
confiée à cette instance par Bruxelles. Car c’est de plus en plus au
niveau européen que sont fixées les
règles du jeu. Les problèmes que
posent la montée en puissance des
fonds souverains et la dictature du
court terme ne sont pas, à ses yeux,
uneraisonpourrenonceràl’idéalde
la démocratie actionnariale. La solution serait, selon elle, à chercher
du côté d’une nouvelle gouvernance, non seulement des sociétés,
mais du marché lui-même. La
« market governance », de nouveaux combats en perspective.
BENJAMIN JULLIEN
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
Les discours sur l’actionnariat
populaire se heurtent trop souventencoreaupeudecasfaitdes
actionnaires minoritaires.
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
D
Cellectis,
l’intuition de
chercheursentrepeneurs
06
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
L
e prix Nobel de médecine a
étédécerné cetteannée àMario Capecchi, Martin Evans et Oliver Smithies pour leurs travaux
sur les cellules souches embryonnairesde souris grâce àlarecombinaison homologue, un processus
biologique qui se traduit par
l’échange de fragments d’ADN
délimités par des séquences identiques. Ce qu’on sait moins, c’est
que l’Institut Pasteur détient les
brevets couvrant cette technologie et qu’il en a cédé la licence
exclusive à sa « spin off », la société Cellectis.
Tout le talent des fondateurs de
Cellectis, André Choulika, David
Sourdive et Arnaud Perrin, est
d’avoir pressenti le potentiel de ce
mécanisme biologique en matière
de « chirurgie ». Dans lanature,en
effet, la cassure de l’ADN et sa
réparation par recombinaison homologue interviennent avec une
fréquence trop faible pour qu’on
puissel’utiliser àdes fins thérapeutiques ou pour obtenir des animaux, des micro-organismes ou
des plantes génétiquement modifiés. D’où l’idée de mettre au point
des enzymes agissant comme des
ciseaux moléculaires, qui accroissent la fréquence de la cassure de
l’ADN à un endroit choisi et son
processus de réparation par recombinaison homologue.
Cellectis met donc au point et
commercialise ses enzymes auprès de clients comme les sociétés
développant des animaux transgéniques, les grands groupes semenciers ou les entreprises qui font de
la bioproduction (en utilisant des
microorganismes). En santé humaine, les programmes sont
moins avancés. Ils visent pour
l’instant à accroître la précision et
donc l’efficacité d’approches de
thérapie génique. Cellectis collabore notamment avec le professeur Alain Fischer pour améliorer
le traitement des « bébés bulle ».
La société qui s’est financée
depuis sa création en 2000 en levant 17 millions d’euros auprès du
capital-risque et une vingtaine de
millions en entrant sur Alternext
début 2007, a généré en 2006
1,2 million d’euros de revenus
mais n’est pas encore bénéficiaire.
Une situation banale pour les sociétés de biotechnologie à longue
maturation.
CATHERINE DUCRUET
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 3/5
Les percées dans les nouvelles
technologies dépendent de la
qualité du pont établi avec la
recherche fondamentale.
échangedu maintiende l’emploi, le
personnel consent des efforts pour
assurer le retour à l’équilibre financier en 1996. On est loin de la
méthodechoisiedixansauparavant
parMargaretThatcherpourBritish
Airways, privatisée et restructurée
à la hache.
« Croissance rentable »
Pour Christian Blanc, l’étape suivante est la privatisation, sans quoi
la compagnie ne pourra nouer d’alliance stratégique. Mais, en 1999, le
nouveau ministre communiste des
Transports, Jean-Claude Gayssot,
s’y oppose. Trois mois plus tard,
Christian Blanc démissionne.
Comme en 1993, la crise prépare
la phase suivante, avec l’arrivée de
Jean-Cyril Spinetta. Le nouveau
PDG veut faire d’Air France une
« major ». Ilcopie les autres, avec la
création, en 1999, de l’alliance Skyteam. Mais, plutôt que de tailler
dans les coûts comme ses concur-
rents, Air France augmente son
offre à effectif constant en espérant
augmenter la productivité par tête
sanslicencier.C’est lastratégiedela
« croissance rentable », qui s’appuie sur le potentiel de Roissy
CDG.
Mais le coup de maître de JeanCyril Spinetta est le mariage avec
KLM. En 2003, le nouvel ensemble
devient le numéro un mondial du
transport aérien en chiffre d’affaires, avec un « double hub » qui
permet d’offrir beaucoup plus de
correspondances que ses concurrents. Pour contourner l’obstacle
des deux nationalités, Jean-Cyril
Spinetta et son complice PierreHenri Gourgeon s’inspirent de
l’exemple de Renault-Nissan. Les
deux compagnies se marient sans
fusionner. Simple en apparence, ce
mode de fonctionnement suppose
uneparfaite adhésion des deux parties et de leurs salariés, aucune
coopération ne pouvant fonction-
ner sous la contrainte. Le dialogue
social instauré par Christian Blanc
et développé par son successeur
s’avérera déterminant pour
convaincre les personnels d’Air
France de l’intérêt de dépenser
8 milliards d’euros pour KLM sans
en prendre formellement le
contrôle. D’autant que le mariage
supposait également la poursuite
de la privatisation et donc un changement de statut. Air France sera
ainsi la première grande entreprise
à passer d’un statut public à un
statut privé, en 2006, sans faire la
moindre vague.
BRUNO TRÉVIDIC
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
Une meilleure pratique du dialogue en interne permet aussi
de réussir à bien collaborer
avec de nouveaux alliés.
Ubisoft, exportateur de
la « french touch » au Québec
07
P
ME des jeux vidéo ily a encore
dix ans, l’éditeur français Ubisoft devrait atteindre le milliard
d’euros de chiffred’affaires à l’horizon 2010.Un niveau quien feral’un
des leaders mondiaux du jeu vidéo,
au même titre que les géants américains Electronic Arts, THQ ou Activision. Une telle performance n’a
été possible qu’en appliquant très
tôt une stratégie alternative à celle
de ses concurrents.
Ne disposant pas de la même
force de frappe financière que les
grands éditeurs américains, l’entreprise présidée par Yves Guillemot
est allée chercher au Québec les
moyens de son développement. En
1997, contact estprisaveclesautorités de la Belle Province. Celles-ci
cherchent à l’époque un moyen
d’endiguerun forttauxdechômage
chez les jeunes, aux alentours de
20 %. Elles décident de miser à
fond sur l’industrie des jeux vidéo.
Un accord est trouvé : le gouvernement provincial paie 50 % des salaires,et Ubisoft s’engageàrecruter
500, puis 800, puis 1.000 salariés…
Résultat, Ubisoft compte aujourd’hui 1.800 salariés au Québec, soit
la moitié de ses effectifs ! Le studio
de Montréal, qui emploie essentiellement des développeurs de jeux,
est aujourd’huile plus important de
la société. Et les jeux phares d’Ubisoft comme « Assassin Creed » ou
la série « Tom Clancy Ghost Recon » sont produits là-bas.
Un centre de formation
L’implantation d’Ubisoft a d’ailleurs fait de la ville de Montréal la
nouvelle capitale mondiale du jeu
vidéo : d’autres grands éditeurs
mondiaux sont arrivés dans le sillage du « frenchy », comme Electronic Arts, SCi-Eidos ou Activision. Ce sont aujourd’hui plusieurs
milliers de personnes quitravaillent
dans la filière, notamment sur les
effets spéciaux. Ubisoft a même
créé un centre de formation qui
irrigue toute la profession. Plus important employeur privé de la ville
de Montréal, l’éditeur français se
targue d’y être plus connu que
Coca-Cola. Un nouvel accord a été
signé en début d’année avec les
autorités locales pour la création de
500 emplois supplémentaires...
Et cette « success story » francocanadienne au pays des jeux vidéo
ne s’arrête pas là. UbiSoft compte
implanter un nouveau studio spécialisé dans la production de films
d’animationàMontréal. Alaclef,la
création de 500 emplois dans cette
filière, et, à terme, la production de
longs-métrages. D’ici à un an, Ubisoft, qui a toujours son QG à Montreuil, dans le « 9-3 », devrait compter près de 3.000 salariés de l’autre
côté de l’Atlantique…
G. P.
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
L’espace de la francophonie,
base privilégiée de conquêtes
pour les savoir-faire industriels
français.
Bénéteau, un leader mondial
toujours ancré en Vendée
08
I
nnovation, créativité, remise à
plat des process de fabrication,
Groupe Bénéteau, leader mondial
delavoile de plaisance, vit à l’heure
du challenge permanent. Cette entreprise familiale vendéenne, fondée en 1884 et encore possession à
55 % des héritiers, a su déceler, dès
1964, le potentieldu polyester pour
fabriquer des voiliers de plaisance.
Pour un fabricant de bateaux de
pêche, c’était un vrai défi. En prenant, en 1995, le contrôle de son
concurrent Jeanneau, l’entreprise
de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a
doublé de taille sans perdre son
aiguillon concurrentiel. Une année, Jeanneau sort 5nouveaux modèles, la saison suivante, Bénéteau
en lance 6... L’outil de production
et le réseau de distribution Jean-
neau ont été préservés et valorisés,
assurant encore aujourd’hui aux
clients attachés à cette marque un
lien privilégié. « Chaque entité défend son pavillon, chacun continue
de vouloir faire la régate en tête et
c’est très stimulant pour les deux
marques », constate Bruno Cathelinais, président de Groupe Bénéteau.
Désormais, tous les nouveaux
modèles sont dessinés en trois dimensions avec le logiciel Catia de
Dassault Systèmes, adapté aux besoins des deux constructeurs de
bateaux. Un gain de temps et une
souplesse de travail grâce auxquels
Groupe Bénéteau a pris des longueurs d’avance sur ses concurrents. D’autant que les moules de
toutes les pièces complexes sont
construits par des robots d’usinage
travaillant nuit et jour. Cet outil est
la pièce maîtresse du programme
« Génération 2012 » qui symbolise
lamodernitédu vendéen etconcrétiselecredodeladirection :« Notre
quête permanente de compétitivité
est à vocation sociale. Sans elle, on
ne pourra plus honorer nos emplois
industriels », conclut Bruno Cathelinais.
PATRICIA-M. COLMANT
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 2/5
Un solide ancrage local peut
être un atout pour maîtriser les
bouleversements incessants
liés à la mondialisation.
09
- 5
INTERVIEW
HERVÉ JUVIN PRÉSIDENT D’EUROGROUP INSTITUTE
Air France, de la quasi-faillite
au premier rang planétaire
05
ix années auront suffi à Air
France pour passer de la situation d’une entreprise publique
en faillite à celle de numéro un
mondial du transport aérien. Une
métamorphose inimaginable pour
une entreprise qui semblait cumuler tous les handicaps : statut hérité
du monopole, endettement massif,
outil industriel vieillissant, managementadministratifetpersonnel peu
productif, divisé par de puissants
corporatismes et démobilisé par
des plans d’économies à répétition.
Autant d’ingrédients qui aboutissent en octobre 1993 à un conflit
social sans précédent.
Mais c’est de ce chaos que vont
surgir les bases de la refondation,
menéeendeuxtemps par ses PDG,
Christian Blanc et Jean-Cyril Spinetta. Avec, pour commencer, une
recette française, associant le soutien de l’Etat via un chèque de
20milliardsdefrancset un nouveau
contrat social avec les salariés. En
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
Les entreprises
ne se dissocient plus
du reste de la société
Hervé Juvin, président d’Eurogroup Institute, explique aux
« Echos » comment les entreprises françaises s’adaptent à un
monde qui change, tout en cultivant leurs valeurs traditionnelles.
L’attitude des entreprises françaises face à l’innovation a-t-elle
changé ?
Le génie français demeure toujours davantage porté par de
grands projets d’infrastructures
que par des innovations bourHervé Juvin.
geonnantes de type Silicon Valley. En France, le créateur qui développe rapidement
une entreprise finit en général par la vendre à un grand
groupe. Les choses fonctionnent ainsi, et cela n’empêche pas le pays de compter des leaders mondiaux
dans ses rangs, comme Areva, Airbus, Ariane.
Comment les entreprises s’adaptent-elles ?
Toutes s’adaptent à un monde en train de changer,
mais l’intangible fait d’elles ce qu’elles sont. En ce
domaine, les banques coopératives sont exemplaires :
elles réactualisent leur discours sur les valeurs mutualistes traditionnelles et, dans le même temps, elles
modernisent leur gestion, créent des véhicules cotés,
fusionnent leurs établissements régionaux. Onobserve
le même phénomène dans le secteur automobile et
dans tout le milieu industriel.
Et les salariés ?
Aujourd’hui, ils se mobilisent sur ce qui fait sens et leur
permet de se projeter à moyen terme. Résultat : ils se
rendent flexibles et acceptent la prise de risques, dès
lors qu’ils se sentent rassurés sur des points essentiels
comme leur rémunération ou leurs perspectives de
carrière.
Comment alors trouver un juste équilibre entre l’individuel et le collectif ?
Depuis quelques années, l’entreprise française multiplie les groupes transverses, favorise le travail participatif et, de fait, bouleverse le fonctionnement pyramidal classique dans le but de provoquer delacréativité et
de la génération d’idées. L’entreprise se redécouvre
dans sa vocation à produire des cérémonies et des
croyances. Aller très loin dans l’individualisation ne
l’empêche pas de réaffirmer le collectif avec des rites et
des grand-messes.
Et comment devenir l’ultime lieu structurant ?
L’univers professionnel se substitue aux grands corps
intégrateurs qu’ont toujours été les syndicats, les partis
politiques, les Eglises. L’entreprise, cette forme sociale
qui n’a pas 150 ans, a réussi à intégrer des dizaines de
millionsdepersonnesàlavieurbaineetàl’universsalarial.
Ilresteaujourd’hui àsavoir jusqu’oùellepeutaller dansle
collectif de vie et dans sa fonction extra-économique.
Surtout quand elle se positionne aussi sur les enjeux de
société…
Aggravation du risque pénal du chef d’entreprise, loi
RSE, développement durable, non-discrimination… les
entreprisesnesedissocient plus delasociétécivile.Mieux,
nous assistons à un mouvement inverse à celui des
privatisations : la société reprend le contrôle sur les
entreprises,paspar enhaut ouparl’Etat,maisdemanière
transverse, par porosité. Le temps où les entreprises
décidaient de ce qui sortait de leurs murs est révolu. Les
blogs de salariés et de clients les placent en permanence
souslesfeuxcroisés de l’opinionetdes médias.Attaquées
de toutes parts, doivent-elles répondre ou ester en justice ? Je n’ai pas la réponse.
Comment alors réussir partout dans le monde ?
Les entreprises françaises savent qu’il leur faut faire le
deuil des grands systèmes de management universels et
les troquer contre du sur-mesure. La tâche n’est pas
simple. La richesse de notre histoire doit leur avoir appris
l’inverse de l’arrogance que sont la modération, l’intelligencedeladiversité,lerespect dessingularités.Cesontles
atouts du monde qui vient, et c’est la chance d’une
approche européenne de l’entreprise mondialisée.
PROPOS RECUEILLIS PAR MURIEL JASOR
JCDecaux, premier vélibataire
Vingt-deux kilos, trois vitesses antidéraillement, un panier à l’avant et un guidon qui
dessine un joli V : le Vélib’ est la star de l’année parisienne. En moins de quatre mois, plus de
150.000 citadins qui ont adopté ce mode de transport révolutionnaire, bien dans l’air du temps, à
mi-chemin entre l’individuel et le collectif. Il ne fallait plus qu’une grève des transports pour
parachever le succès. Celui-ci tientà trois éléments : sonprixmodique, sa facilité d’utilisation et son
omniprésence. Il y aura à terme 6 fois plus de stationsde vélos que demétro. Untrès joli coup pourla
Mairie de Paris. Et une belle réussite pour JCDecaux, l’opérateur, qui consolide son implantation à
Paris et devrait y doubler son chiffre d’affaires publicitaire au moment où les édiles de la capitale
entendentréduirelessurfacesd’affichage.Ungagnant-gagnant miraculeux, qui devrait seretrouver
dans la conquête de nouveaux marchés en France et à l’étranger. En fait, pas de miracle, mais la
poursuite de la stratégiede JCDecaux qui propose, depuis1964, auxmunicipalitésde construiredes
équipements publics en échange d’espaces publicitaires qu’il se charge de commercialiser. La
tactique ad’abordfinancédes Abribus,puisdespanneauxde signalisation, desSanisettes,etc. Mais
l’ingrédient qui a fait la différence, c’est la concurrence. La compétition a été si intense avec
l’américain Clear Channel que l’on est passé de 3.000 vélos à 20.000. Le vrai miracle c’est celui-là, la
PH. E.
multiplication des petits vélos par la grâce des dieux de la pub et de la concurrence.
6 10
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
En Inde, Essilor bâtit un modèle pour les plus pauvres
A
lages, des marchands ambulants
louaient jusqu’alors des lunettes un
quartd’heureparsemainepourune
roupie, le temps pour ses utilisateurs de lire un courrier, d’écrire
une lettre ou de faire un travail
d’aiguille. « Nous avons découvert
qu’ilyavaitun marchéetque,sinous
proposions des modèles à 5 dollars,
les gens seraient prêts à les payer. »
L’aventure a démarré avec un
groupe hospitalier basé à Madurai,
Aravind. Il organisait des tournées
pour contrôler la population et détecter la cataracte à l’origine de
nombreux problèmes de cécité. Essilor lui a proposé de vendre des
lunettes dans ses bus. Puis, il y a un
an et demi, le groupe français a
envoyésespropresminibusdansles
villages. « Jusque-là, les gens de-
chaque marché sa stratégie.
Après dix ans d’efforts, Essilor est parvenu à mettre sur pied en
Inde un modèle de vente de lunettes adapté aux pauvres. Un système innovant et rentable, pour
bénéficier du potentiel de ce marché où seuls 7 % des habitants sont
équipés de lunettes contre 60 % en
Europe,etoùprès de12millions de
personnes sont aveugles faute de
soins. « Ce sont nos équipes indiennes sur le terrain qui sont à
l’origine de ce projet, insiste Xavier
Fontanet, le PDG du groupe. Pour
réussir, il faut partir des coûts et
proposer un produitqui correspond
à une vraie demande. »
Pour que les villageois puissent
s’équiper, Essilor propose des lunettes à… 5 dollars. Dans les vil-
11
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
vaient aller à la ville pour s’équiper,
ce qui demandait au moins deux
jours, plus le coût du bus. En venant
àeux, nous avons considérablement
baissé leur coût », note le PDG.
Depuis, Essilor travaille avec un
second groupe hospitalier installé à
Chennai.
Production locale
Deux minibus circulent désormais.
Dans l’un, les habitants subissent
des analyses de l’œil, ensuite transmises par Internetàun médecinqui
les contrôle. Dans l’autre, verres et
montures sont découpés sur place.
Dans un village de 2.000 personnes,
le groupe vend environ de 100 à
120 paires.
« La clef consiste à former des
gens qui gagnent 1 euro par jour, et
de les transformer en proto-opticiens », poursuit Xavier Fontanet.
Etàjouersur uneproduction locale
dans l’une des plus grandes usines
du groupe, qui alimente aussi les
marchésfrançais,américainetjaponais. Ce sont des gammes anciennes. Elles étaient vendues aux
Etats-Unis il y a une trentaine d’années.Lesverressont de« très bonne
qualité mais épais ». Pour les fabriquer, Essilor utilise des moules
d’une usine américaine qui a été
fermée.
Quant aux montures, elles sont
importées de Chine. Sinon, les
coûts étaient trop élevés. « C’est
comme cela qu’on construit un système rentable. Aujourd’hui, nous
avons surtout d’importants volumes
et peude chiffre d’affaires, mais c’est
Bourbon, un mutant permanent
M
13
L
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
D
résulte la cession de la branche
sucre et la décision d’adosser le
pôle distribution à un industriel.
Ce sera Casino.
Plan bouclé avec un an d’avance
Ainsi devenu, dès 2001, un potentiel « pure player » des services
maritimes, Bourbon mise alors à
fond sur l’offshore profond. Encouragé par des succès commerciaux remportés auprès du français Elf, puis de l’américain
Exxon, le groupe lance un ambitieux plan 2003-2007 de 1,2 milliard d’euros d’investissements.
Bouclé avec un an d’avance, ce
plan a, depuis, été reconduit
jusqu’en 2010, avec à la clef la
réception d’un bateau neuf tous
les… douze jours.
Le plus remarquable, dans l’histoire de cette mutation, c’est que
Bourbon n’a jamais lésiné sur les
investissements dans les métiers
dont il avait pourtant décidé la
cession. Pour Jacques de Chateauvieux, toute activité, stratégique
ou à vendre, doit bénéficier de ce
qui lui est nécessaire pour assurer
sa croissance. Une attitude qu’il
résume ainsi : « Ce n’est pas parce
qu’on va bientôt marier sa fille que
l’on va cesser de lui payer le dentiste ! »
CLAUDE BARJONET
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 3/5
Savoir se renouveler, c’est
aussi oser abandonner d’anciennes recettes gagnantes ;
élargir son périmétre passe
parfois par l’abandon de territoires trop éprouvés.
Innate Pharma, l’autodéveloppement
e système immunitaire de
l’être humain serait son meilleur allié pour lutter contre la maladie. Cen’est pas l’effet du hasard au
regarddesdécouvertesfaitesparles
scientifiques d’Innate Pharma. Les
chercheurs de cette start-up de biotechnologies marseillaise ont
trouvédenouveauxmodesd’action
pour stimuler certaines populations
de cellules de l’immunité innée
contreles pathologies tumoralesou
infectieuses. Pour les transformer
en nouveaux médicaments,
l’équipe fondatrice a mis son destin
entre les mains de l’un d’entre eux,
Hervé Brailly, qui préside l’entreprise depuis sa création en 1999. Ce
chercheur fondamental, qui avait
15
En 1979, Bourbon était un modeste producteur de sucre à la Réunion. Le groupe est aujourd’hui le leader
mondial des services maritimes aux compagnies pétrolières opérant dans l’offshore profond.
pourtant une forte aversion au
risque, a su bousculer ses habitudes
pour se forger un profil d’entrepreneur averti.
« Long travail de catalyse »
Il a notamment réussi à composer
avec les exigences de la dizaine de
capital-risqueurs, auxquels s’est
joint le groupe pharmaceutique
Novo Nordisk, qui ont misé 50 millionsd’eurosdefondsprivésjusqu’à
l’introduction en Bourse de la société. Il y a un an, Hervé Brailly l’a
portée à bout de bras pour lever
34 millions d’euros supplémentaires sur Euronext Paris, dans un
contexte alors peu enclin aux valeurs biotechnologiques.
En France, Innate Pharma incarne une nouvelle génération de
sociétés capables de mobiliser assez
d’argent privé et public pour financer un modèle de développement
très gourmand en capital. « Il y a les
racines d’une recherche fondamentale forte à l’origine de toutes les
réussites américaines », souligne
Hervé Brailly. Pour être une référence de l’immunologie européenne, avant de prendre une envergure mondiale, il a fallu
accomplir « un long travail de catalyse et d’assemblage de compétences
scientifiques, financières, cliniques et
réglementaires.On peutarriveràune
création de valeur considérable par
rapport à la taille de la société, qui
emploie aujourd’hui 85 salariés. »
Avec six essais cliniques en cours en
Europe et aux Etats-Unis, la société
attend l’an prochain des résultats en
cancérologie et dans le domaine
infectieux, contre l’hépatite virale
de type C.
CHANTAL HOUZELLE
Vente-privée.com, le nouveau soldeur
es étals sur les marchés aux
boutiques éphémères sur la
Toile…C’est leparcours peu banal
de Jacques-Antoine Granjon, le
PDG et cofondateur de Vente-privée.com. En 1 985, avec
20.000 francs en poche, il démarre
une activité de grossiste en fins de
série − qui réalise encore près de
20 millions d’euros de chiffre d’affaires − avant de lancer en 2001 un
site marchand, Vente-privée.com,
alors même que la bulle Internet
éclate. L’entreprise a d’ores et déjà
créé près de 800 emplois et terminera l’année à environ 370 millions
d’euros de chiffre d’affaires,
presque deux fois plus qu’en 2006.
« A partir d’un métier très basique
− au début, je prenais l’avion pour
aller négocier 100.000 pièces de textile avec une marque de sport, elle
nous livrait,70 personnes triaientles
stocks, et nos vendeurs plaçaient ces
colis auprès de distributeurs traditionnels −, nous avons bâti un nouveau système qui valorise les produits en fin de vie grâce à de la
technologie, du marketing et de la
créativité », explique Jacques-Antoine Granjon.
Magasins virtuels
Désormais, au siège de Vente-privée.com, dont la façade rose bonbon au bord de l’autoroute A1
entre Paris et Roissy ne passe pas
inaperçue, des équipes d’informa-
ticiens, de « web designers », de
chefs de produit, des musiciens,
des photographes, pas moins de
60 retoucheurs photo, des logisticiensimaginent, créent,mettent au
point pour les marques des magasins virtuels et éphémères pour
deux jours, au nombre de 850 en
2007, contre 450 l’année précédente. A quoi s’ajoute un nouveau
métier, celui de la vente à distance,
pour assurer une moyenne de
quelque 50.000 livraisons par jour.
Malgré 90 sites concurrents aujourd’hui, Vente-privée.com recueille chaque jour près de
6.000 nouveaux inscrits, et cela
sans aucune opération marketing.
Fort d’un modèle économique qui
a complètement inversé le besoin
en fonds de roulement, la société a
ouvert un site en Allemagne, avec
déjà 100.000 membres, un en Espagne (150.000) et prévoit d’en
ouvrir en Italie et au RoyaumeUni en 2008.
ANTOINE BOUDET
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 5/5
Un métier très traditionnel
peut donner naissance à un
métier complètement nouveau en recombinant ses principes.
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 3/5
Inventer un marketing adapté
aux populations des pays
émergents, une compétence
désormais décisive pour nos
industries « matures ».
Dailymotion,
le fonceur du Net
ncroitàtortqueYouTubeest
le pionnier des sites agrégateurs de vidéos personnelles. Erreur. C’est le français Dailymotion,
monté par Benjamin Bejbaum et
Olivier Poitrey, qui a le premier
ouvert son service en ligne sur une
vague qui a déjà atteint des sommets :YouTube,lancéquelques semaines après lui, a été cédé 1,6 milliard de dollars à Google.
Créé en mars 2005, le français
poursuit satrajectoire aussi vite que
ses moyens le lui permettent. Il
compte plus de 37 millions de visiteurs uniques par mois (source
XiTi) et a levé 32 millions d’euros
pour financer sa croissance. Tout
est à faire : régulariser les relations
avec les ayants droit − les internautes ayant la fâcheuse habitude
de piocher dans du contenu existant −, développer les capacités de
la plate-forme d’hébergement, inventer de nouveaux formats publicitaires et agrandir le réseau de
distribution.Ilfaut inventeraussiun
« business model » avec un partage
des revenus publicitaires avec les
fournisseurs de contenus. La croissance est exponentielle, à peine
freinée par quelques aléas judiciaires, qui ont permis de clarifier
son statut d’hébergeur et non pas
d’auteur, ce qui n’a pas évité les
amendes.
Une vie à mille à l’heure que
Benjamin Bejbaum, jeune trentenaire, mène maintenant avec l’appui d’un nouveau président, Mark
Zaleski, nommé après la deuxième
levée de fonds. Mais le fondateur,
dont c’est la deuxième société,
aprèsIguaneStudios,est déjààtuet
à toi avec le gratin des médias et du
cinéma. Ses partenaires s’appellent
Disney, Viacom, Warner Music,
UniversalMusic, et ilvientdesigner
avec l’Union syndicale de la production audiovisuelle, qui représente 80 % des producteurs en
France. Mais la priorité reste de
découvrir les « motion makers »,
ces individus qui génèrent des
contenus propres et qui sont suivis
par les internautes sur le site.
Dailymotion compte 80 salariés,
dont 65 en France. La société est
implantée à New York, à Londres,
à Berlin et a ouvert une filiale en
Espagne.Elleest la première plateforme d’agrégation de vidéos en
Europe,ladeuxièmedanslemonde
derrièreYouTube.Resteà monétiser, grâce à sa régie publicitaire
internalisée depuis juillet, toute
cette audience. Les premiers spots
dans les vidéos devraient bientôt
apparaître.
VIRGINIE ROBERT
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Servir de passerelle entre les
grandes majors de l’entertainment et les particuliers inventifs,
une piste fertile pour les nouveaux entrepreneurs du Net.
Nutriset, inventeur
de produits pour traiter
les malnutritions sévères
14
DE NOTRE CORRESPONDANT
AU HAVRE.
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
Dans les activités de pointe, le
capital humain prime sur le
capital, et une multidisciplinarité des compétences bien orchestrée peut faciliter la course
aux capitaux, publics ouprivés.
cet immense pays, le groupe vend
aussi ses verres de la dernière génération aux classes plus aisées.
Le modèle indien est-il transposableailleurs ?Non,estimelePDG.
En Afrique, les villages sont trop
éloignés et le pays n’a pas la même
densité. Testé dans un autre pays,
l’expérience a tourné court, car les
camions ont été volés.
D. CH
12
O
Bourbon
odeste producteur de sucre
à la Réunion en 1979, devenu dans les années 1990 un
conglomérat présent dans le maritime et la grande distribution,
avant de se recentrer à partir de
2001 sur la marine de services…
Bourbon, l’actuel leader mondial
des services maritimes aux compagnies pétrolières opérant dans
l’offshoreprofond,n’en finitpas de
réinventer son modèle. Est-ce dû
aufait qu’avant de prendreen 1979
− à vingt-huit ans − les rênes de ce
groupe familial, Jacques de Chateauvieux était passé par le Boston
Consulting Group (BCG) ?
Après une décennie consacréeà
la sucrerie réunionnaise, Jacques
de Chateauvieux se remeten question en 1989. « L’année avait été
très mauvaise à cause d’un cyclone
qui avait ravagé les champs de
canne à sucre, se souvient-il. J’ai
cherché à diversifier le groupe. » A
la Réunion, il se lance dans la
grande distribution. En dehors de
l’île, il acquiert, un peu par hasard,
l’entreprise maritime marseillaise
Chambon.
En 1998, ce qui est devenu un
conglomérat, réalisant 1 milliard
d’euros de chiffre d’affaires dans
trois métiers, entre en Bourse.
Pendant deux ans, les investisseurs
boudent l’entreprise. Avec Jean
Estin − un ancien du BCG −,
Jacques de Chateauvieux entreprend alors une réflexion. Il en
un modèle de développement durable, beaucoup plus puissant que
s’il était fondé sur la générosité »,
souligne Xavier Fontanet.
L’avenir de ce système, Essilor le
voit dans l’installation progressive
des petits opticiens dans les villes de
10.000 habitants. Après avoir patiemment installé sa marque, le
groupe tricolore pourrait alors profiter de tout ce travail de proximité
et du formidable essor de la classe
moyenne, qui croît de 15 % par an.
Déjà, l’équipe indienne lance de
nouvelles initiatives : elle visite des
petites entreprises de textile, en
proposant au patron d’équiper de
lunettes ses salariés, avec à la clef
unehaussede sonprofit. Mais cette
opération n’est qu’un des aspects
du travail d’Essilor en Inde. Dans
L
’histoire commence au début
des années 1980. Ingénieur
chez Nova, Michel Lescanne prend
son indépendance pour se lancer
dans la conception de produits à
haute valeur nutritionnelle pour les
populations du Sud. « Assez vite,
nousavons orienté notreexpertiseen
direction des populations atteintesde
malnutrition sévère. » En 1986, il
fonde Nutriset − dans sa maison à
Malaunay, près de Rouen − et
prend langue avec les ONG luttant
contre la faim et avec des nutritionnistes qui connaissent les besoins
des populations touchées. De ces
échanges naît une première génération de laits thérapeutiques en
poudre baptisés « F-75 » et
« F-100 », qui contiennent les sels
minéraux et les vitamines nécessaires à la croissance d’un enfant.
Elle constitue un progrès notable
par rapport aux produits basiques
provenant des surplus de l’Union
européenne utilisés jusqu’alors.
Distribués à grande échelle, ces
laits présentent toutefois l’inconvénient de devoir être mélangés avec
de l’eau et distribués dans des
centres paramédicaux. Mais en
1997, Michel Lescanne et André
Briend,un chercheurdel’Institut de
recherche pour le développement,
trouvent la parade sous la forme
d’une pâte à base de cacahuète ne
nécessitant pas d’adjonction d’eau.
Le « Plumpy nut » (« noix dodue »)
a une valeur nutritionnelle comparable à celle du lait « F-100 », mais
peut être délivré en toute sécurité
dans le cadre familial sous forme de
sachets de 92 g apportant 500 calories. Il connaît vite un grand succès
auprès des ONG et des organismes
spécialisés de l’ONU, qui achètent
les produits de Nutriset. Grâce à
cette innovation brevetée, cette société de 90 salariés est devenue
l’entreprise de référence dans ce
domaine avec un chiffre d’affaires
qui devrait atteindre 25 millions
d’euros en 2007. Dans l’avenir, son
effort de recherche devrait porter
surdesproduitsdestinésàdespopulations plus spécifiques comme le
convalescent,lapersonneâgéeoula
femme enceinte. DOMINIQUE AUBIN
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 4/5
Une innovation destinée aux
populations des pays en développement, si elle rencontre le
succès, a de bonnes chances de
trouver des prolongements sur
certainssegmentsdemarchédes
économies industrialisées.
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 7
Dassault Systèmes,
un champion du logiciel...
et du changement
17
Maxppp, DR
Free, la révolution
16 française du haut débit
Free, c’est une « success-story » à l’américaine comme
on envoit trop peu dans l’Hexagone. L’histoire de Xavier
Niel qui, après avoir fait fortune dans le Minitel rose, se
lance dans l’Internet au milieu des années 1990, gratuit
à l’époque, et arrive à un million d’abonnés fin 2001.
Entre-temps, des ingénieurs de génie, tel Rani Assaf, se
sont joints à lui. Pendant deux ans, entre 1999 et 2001,
cette petite équipe phosphore sur le futur du Web.
Voyages aux Etats-Unis, en Asie, rencontres avec Alcatel ou Sagem... « De la télévision, du téléphone et de
l’Internet sur le même équipement, vous n’y pensez
pas », s’entendent-ils dire. Qu’importe, Xavier Niel est
décidé. Son idée ? Une boîte unique que les abonnés
installeront dansleur salon pour faire la jonctionentre la
télévision, le téléphone et l’ordinateur. Car, comme le
dit Michaël Boukobza, l’ancien numéro deux d’Iliad (la
maison mère de Free) : « Les gens ne téléphonent pas
sur leurs PC et ne regardent pas la télévision sur leur
ordinateur. » La Freebox est née. Elle sera low-cost :
29,99 euros par mois. Un prix, trois services, presque
pas de pub. Le bouche-à-oreille suffira à imposer cette
offre « triple play ». Les décisions du régulateur de
faciliter l’accès au réseau de France Télécom pour
l’Internet haut débit feront le reste. C’est là le deuxième
coup de génie de l’équipe Niel : foncer pour profiter du
dégroupage, qui sonne la fin du monopole de l’opérateur historique. La banque Goldman Sachs injecte
15 millions d’euros pour soutenir l’entreprise. En 2002,
c’est parti et on n’arrêtera plus Iliad. Le secret de Free ?
« C’est une boîte où la finance ne commande pas les
ingénieurs », selon son fondateur, qui, avec encore 65 %
du capital, est un milliardaire « virtuel », comme il aime
à dire.
GUILLAUME DE CALIGNON
u départ, Dassault Systèmes
était une société créée par
Charles Edelstenne et Francis Bernard pour développer les fameux
logiciels Catia destinés à l’avionneur. Aujourd’hui, c’est une figure
de proue de la high-tech « made in
France ». C’est même le seul représentantfrançaisdulogicielprésentà
l’échelle mondiale. Avec un chiffre
d’affaires de 1,2 milliard d’euros en
2006, Dassault Systèmes a bâti son
essor sur la généralisation des outils
de virtualisation, qu’il s’agisse de la
conception d’un produit, de sa fabrication ou de la simulation de son
fonctionnement. Pour s’imposer
dans un métier où les Américains
sont rois et les mutations rapides,
l’éditeur n’apascessédeseréinventer. Bien sûr, la société doit une
grande partie de son succès à son
partenariat commercial avec IBM,
qui lui a assuré une diffusion mondiale de ses produits dès les années
1980. Mais Dassault Systèmes a su
s’éloigner du monde de « Big
Blue ».Il a pris lavague des stations
detravailsousUnix.Ils’estadaptéà
l’avènement du marché de la
conception assistée par ordinateur
pour PC. Au final, il a su s’émanciper d’IBM,en assurant lui-mêmela
gestion des canaux de distribution
pour les PME.
Tout au long de ces années, DassaultSystèmes a su aussise montrer
innovant.En 2000,lasociétéalancé
le concept du « PLM » (product
lifecycle management), avec la volontédegérer toutes les étapesdela
vie d’un produit, de sa conception à
sa maintenance. Aujourd’hui, elle
veut généraliser la « 3D » (trois dimensions) au grand public et a
Alstom, la recette
d’une résurrection économique
ela aurait pu être la faillite la
plus retentissante de l’histoire industrielle française. Quatre
ans après, le groupe Alstom symbolise au contraire l’un de ses redressements les plus spectaculaires. Une renaissance inattendue
qui s’est accompagnée d’une profonde refonte du groupe.
Entre 2002 et 2004, le fabricant
de trains et de centrales électriques
a vécu au bord du gouffre : surendetté, sans ressources et peinant à
remporter le moindre contrat. La
conséquence d’une conjonction de
difficultés, allant du gel de nombreux projets de centrales électriques dans le monde suite au
naufrage d’Enron à de lourds problèmes techniques sur des turbines
à gaz reprises à ABB, en passant
par une grave crise de liquidités.
Au plus fort de la crise, alors que
ses fonds propres avoisinent
900 millions d’euros, l’entreprise
totalise plus de 17milliards d’euros
d’engagements financiers. Sa situation est intenable. Et pourtant,
Alstom va tenir.
Aujourd’hui, le groupe présidé
par PatrickKronn’aplus de dettes,
croulesous lescommandes,affiche
depuis trois ans la deuxième plus
forte hausse du CAC 40 et se
verrait bien participer à la refonte
de la filière nucléaire française…
C’est qu’entre-temps, le marché
des centrales électriques est reparti
à toute allure. Mais surtout, Alstom a changé. De patron, avec
l’arrivée de Patrick Kron, un manager à poigne. Mais aussi d’actionnaires, avec l’intervention de
l’Etat, qui s’est avérée décisive
pour négocier avec les banques et
Bruxelles les conditions du sauvetage.
Changement de profil
Une fois l’entreprise remise sur les
rails, l’Etat a cédé ses parts à Bouygues, en faisant pour une fois une
trèsbonneaffaire.Legéant du BTP
possède aujourd’hui plus de 30 %
de son capital, et n’exclut pas, à
terme, de renforcer ses positions.
Enfin,Alstom achangédeprofil.
Sous la pression, le groupe a dû
supprimer plus de 5.000 postes et
céder uneséried’actifs.Sesturbines
industrielles ont été revendues à
l’allemand Siemens, ses chantiers
navals au norvégien Aker Yards,
ses activitésdetransportetdedistribution d’électricité font aujourd’hui le bonheur d’Areva. De quoi
retrouver une assise financière et
repartir de l’avant.
P. PO. ET D. C.
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 3/5
Un géant malade n’est pas
condamné à mourir. Et l’Etat
peut exercer une impulsionà la
fois décisive, temporaire et
rentable.
ModeLabs, un pionnier
du mobile sur mesure
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
S
leader du secteur, le japonais
Faith, pour 30 millions d’euros.
« ModeLabs est partie de l’idée que
les facteurs déclencheurs d’achat
d’un mobile sont le design et la
marque, raconte Stéphane Bohbot. Le mobile étant un produit
identitaire très fort, les grandes
marques s’y intéressent, de la même
façon qu’elles se sont développées
dans la montre ou le parfum. »
Quatre ans après sa création,
ModeLabscompte290salariés eta
généré un chiffre d’affaires de
106 millions d’euros au premier
semestre 2007 pour un résultat net
à l’équilibre. Introduite en Bourse
l’an dernier pour financer son développement, la société est désormais présente dans la plupart des
grands pays européens et se prépare à attaquer les Etats-Unis l’an
prochain. « Notre business model a
étébâti pour être rentable àpartir de
quelques dizaines de milliers de
mobiles vendus », précise son pré-
sident du directoire. Ce qui lui
permet de croître dans un secteur
où plusieurs grands n oms
− comme Alcatel ou Siemens − se
sontdéjà cassé les dents. Pour cela,
ModeLabs sous-traite la fabrication de ses portables en Asie mais
s’occupe de la recherche et de la
création en amont puis de la distribution et du marketing en aval.
Flexibilité
Récemment, la société a signé un
accord pour faire fabriquer des
mobiles haut de gamme dans
l’usine de Sony en Alsace. « Cela
va nous permettre d’annoncer prochainement un partenariat avec une
très grande marque de luxe qui est
très attachée au “made in
France” », prévient StéphaneBohbot.
Cette flexibilité permet à ModeLabs de rester serein quand les
grands noms du mobile se lancent
à leur tour sur le créneau : LG a
dévoilé fin juin, 3DVIA, une plateforme permettant de créer des objets 3D en ligne.
Réorganisation permanente
Pour lancer chacune de ces révolutions ou s’y adapter, Dassault Systèmes a cherché à faire du changement une valeur de référence.
« Pour continuer d’innover, il faut
une adaptation et une mobilité permanente de l’organisation », expliqueledirecteurgénéral,Bernard
Charlès. Pour ce patron volubile et
visionnaire, les avions sont comme
les entreprises : les plus instables
sont les plus agiles. Dassault Systèmes s’impose ainsi chaque année
un réalignement des objectifs, de
l’organisation et des opérations de
l’entreprise.Ceprocessus« 3.O »se
traduitpar descentaines dechangements de postes en janvier.
Mais, pour réussir, il ne suffit pas
de se réorganiser en permanence, il
faut aussi se montrer innovant.
Pour cela, Dassault Systèmes travaille depuis 2000 sur la qualité des
interactions entre les individus,
s’inspirant notamment des travaux
de l’universitaire japonais Ikujiro
Nonaka, coauteur d’un best-seller
mondial (« The Knowledge-Creating Company ») sur les mécanismes de diffusion du savoir. Pour
l’éditeur, la qualité des échanges
dans les équipes, la force de l’engagement collectif sont aussi des facteurs de compétitivité.
E. G.
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Dans une industrie américaine
par excellence, il est possible
de s’imposer en combinant innovations techniques et créativité managériale.
Meetic. Le site communautaire sur Internet incarne
un modèle à la française avec une approche artisanale
alimentée par une forte créativité, sur un secteur où les
barrières technologiques et économiques sont faibles.
Reste àprouver sacapacitéàpoursuivre l’innovation àla
fois dans le temps et dans l’espace.
l Pasteur. L’Institut demeure une entreprise de pointe,
qui attire des chercheurs du monde entier. Il s’implante en
Chine.
l Soitec. Il a fallu à peine plus d’une décennie à la société
grenobloise pour devenir une entreprise mondiale grâce à
une innovation technologique majeure dans les semiconducteurs de pointe : le silicium sur isolant, mis au point
avec le Leti (CEA). L’entreprise traverse cependant une
passe difficile, avec un chiffre d’affaires et des profits en
baisse. En associant la fabrication à partir de son propre
outil industriel et une politique de licences, elle est parvenue à imposer un modèle économique original.
l Nord Entreprendre. Une association créée il y a deux
décennies par des membres de la famille Mulliez (Auchan,
Saint-Maclou, Décathlon…) pour apporter une aide
concrète aux créateurs d’entreprise en jouant les transversalités,lescoopérationsinstitutionnellesetenjouantunrôle
clef dans la dynamisation du tissu socioéconomique de la
métropole lilloise.
l
Cartons rouges
19
téphane Bohbot n’a que
trente-trois ans mais déjà dix
années d’expérience dans la téléphonie mobile. Ce Lyonnais est le
fondateur de ModeLabs, une
PME française qui n’hésite pas à
affronter des mastodontes comme
Nokia, Samsung ou Motorola.
Pour tirer son épingle du jeu, ModeLabs s’est positionné sur un créneau original : la conception de
mobilessurmesurepour lecompte
de grandes marques. Derrière les
téléphones portables Elite, MTV,
Levi’s ou encore Hummer, c’est
ModeLabs qui se cache.
Quand il lance son entreprise en
2003, Stéphane Bohbot a déjà une
réputation de dénicheur de tendances : en 1998,ilpariesur le désir
du public de personnaliser sonmobile et ouvre Digiplug, une start-up
spécialisée dans le téléchargement
de sonneries. Jackpot ! Quatre ans
plus tard, il revendra sa société
créée dans son studio parisien au
Pour s’imposer dans un métier où les Américains sont rois et les
mutations rapides, l’éditeur de logiciels n’a pas cessé de se réinventer.
Histoires à suivre
18
C
DR
A
La création de Safran. Cette entreprise a
été créée en 2005 par la fusion de Groupe
Snecma et de Sagem. Décidé par l’Etat dans
le cadre de la privatisation de la Snecma,
c’était le mariage de la carpe et du lapin par
excellence : Snecma était le spécialiste en
équipements de propulsion aéronautique et
spatiale, Sagem travaillait surtout dans les
télécommunications. Un choc des ego à la
tête de la nouvelle entité a rendu encore plus
difficile un rapprochement d’équipes qui
n’avait riend’évident. Lesrésultatsetlecours
de Bourse ont chuté. Depuis, la vente par
appartement des activités de télécommunication
confirme que l’idée de la fusion n’était pas pertinente.
l
fabriqué un mobile pour Prada,
Samsung pour Armani, tandis que
Motorola s’est acoquiné avec
Dolce & Gabanna. « D’ici quatre à
cinq ans, les téléphones de grandes
marques représenteront 20 % du
marché, soit un potentiel de
quelque 240 millions de mobiles
adressables chaque année », poursuit le président du directoire. A
charge désormais pour Stéphane
Bohbot de faire rêver les marchés
financiers : le cours de ModeLabs
a fondu de moitié depuis son introduction en Bourse…
FRÉDÉRIC SCHAEFFER
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 5/5
La « customisation » ou production sur mesure est l’une
des grandes voies de l’avenir
industriel.
Les excès des stock-options. Les entreprises françaisessontleschampionnesd’Europedel’attributiondes
options d’achat d’actions, un mode de rémunération
censé aligner les intérêts des dirigeants et plus largement
des salariés avec ceux de l’entreprise. Mais les PDG en
sont les principaux bénéficiaires et les stock-options
constituent une part de leur rémunération plus importantequ’ailleurs.LePDGdeVinciconcentraitletiersdes
stock-options de l’entreprise. Les options sur EADS ont
été exercées dans des conditions qui restent à éclaircir.
Ces problèmes reflètent au-delà un vrai problème de
gouvernance des entreprises françaises − et aussi une
fiscalité inadaptée.
l
8 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Le secteur public respire sous le glacis
O
ui, le secteur public se réinvente lui aussi, au-delà des
clichés sur le mammouth et la
réforme impossible ! L’Etat n’est
ni une machine de gaspillage et
d’indifférence aux usagers ni le
seul gardien de la solidarité, protégeant la société des excès des entreprises et de la mondialisation.
La« vraievie »desservicespublics
esquisse une voie nouvelle, périlleuse, qui surpasse ces imaginaires
pour montrer l’Etat au quotidien,
en innovation et mouvement.
Bien sûr, ces innovations sont
parfois impulsées d’en haut,
comme la réforme des frais de
justice. Mais elles se développent
comme le fait que les permis de
construire ne sont plus soumis à
autorisation préalable(sauf exception). L’Italie est allée encore plus
loin en supprimant toutes les autorisations administratives, moyennant des mécanismes de contrôle.
Nous sommes tant habitués à la
fraude qu’une telle réforme nous
paraîtrait utopique. Et pourtant,
les mutations de l’administration
des impôts ces dernières années
montrentlepassagedelaméfiance
au soutien actif de l’usager.
La liste des innovations montre
à quel point l’administration française, souvent de sa propre initiative, s’est modernisée. Plus avant,
T
Toulouse (1,5 million d’euros) ou
la catastrophe du tunnel du MontBlanc (3 millions d’euros). Depuis
des années, les frais de justice
augmentaient de 20 % l’an
jusqu’à atteindre 487 millions
d’euros en 2005. Avec la LOLF en
2006, on est redescendu à un budget de 370 millions d’euros, à
peine dépassé à 379 millions.
Rationaliser sans limiter
« L’important était la méthode et le
fait de montrer que la maîtrise des
fraisdejusticeétaitnonpasdenepas
dépenser, mais de dépenser mieux.
En dépensant mieux, on dépense
effectivement moins », explique
Marc Moinard, le secrétaire général de la Place Vendôme chargé de
réduire les frais de justice.
Pour rationaliser sans limiter, le
ministère de la Justice a contourné
le problème : s’il est impossible de
contraindre le magistrat indépendant et libre de sa prescription, il
faut négocier le prix global et inciter les juges à faire jouer la concurrence. Une sorte de révolution copernicienne, car aucun prix n’avait
été négocié depuis des années. Les
juges étaient habitués à dépenser
sans compter, d’autant plus qu’ils
n’avaient souvent pas la moindre
idée du prix réel des prestations.
Pour les empreintes génétiques,
un marché public d’adhésion a été
passé au niveau national avec un
laboratoire, à 25 euros l’examen.
Ce faisant, la chancellerie a aussi
négociéunenormedequalité :ilya
maintenant deux analyses quand
uneexpertisegénétiqueestdemandée et le nombre de segments a été
augmenté. Pour les interceptions
téléphoniques, la chancellerie s’est
montrée encore plus offensive : les
prestations ont été tarifées au
grand dam des opérateurs téléphoniques,qui ont attaquéla méthode.
Pour toutes ces prescriptions, le
magistrat reste libre de participer
ou non aumarchépublic.« Maisily
a eu une vraie prise de conscience
des juges », estime Marc Moinard.
Au bout du compte, plus de
100 millions d’euros ont ainsi été
économisés en 2006. La Cour des
comptes elle-même a reconnu le
travail effectué : « Les principales
dotations (...) ont été mieux maîtrisées en 2006. Toutefois, en l’absence
de données précises sur les reports
de charges à la fin de l’exercice, il est
difficile de mesurer ce qui relève des
efforts accomplis pour une meil-
leure maîtrise de la dépense et de
reports de charges de l’année suivante », note la Cour dans son rapport public sur l’exécution budgétaire 2006. Fin 2005, l’absence de
comptabilité d’engagement a laissé
en suspens quelque 200 millions
d’euros de retards de paiement. Le
circuit de la dépense des frais de
justice est donc le prochain chantier. « L’idée est de simplifier le
paiement de mémoires qui, pour
85 %, sont inférieurs à 150 euros et
qui,avantd’êtrepayés,passent entre
les mains en moyenne de sept personnes ! », explique la chancellerie.
Un service central dans chaque
tribunal assurera le traitement
jusqu’au paiement. Courant 2008,
5 ressorts de cour d’appel expérimenteront ce nouveau circuit.
VALÉRIE DE SENNEVILLE
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
Dans le secteur public, comme
dans le privé, il n’y a pas d’incompatibilité entre la course à
la qualité et la chasse aux économies.
Le Lot, modèle pour la réorganisation
des services départementaux
22
DE NOTRE CORRESPONDANT
À TOULOUSE.
L
es administrations départementales ne sont pas réputées
pour leur esprit d’innovation. Et,
pourtant, en janvier 2007, la Direction départementale de l’équipement (DDE) et celle de l’agriculture et de la forêt (DDAF) du Lot
ont fusionné dans une DDEA, qui
chapeaute aussi le service de l’architecture et du patrimoine.
Concrètement, il y a un agent de
l’agriculture dans chaque unité territoriale de l’équipement. « Ce regroupementestun plus pour les élus
locaux et les usagers car certains
dossiers de l’équipement ont besoin
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
passé », d’identifier ce qui est reproductible, comment en pérenniser les résultats. Il existe des prix
(trophéede la qualité) mais peu de
récits. Tout le monde est conscient
de ces questions mais le temps de
la réflexion pour y répondre n’est
que rarement pris, pas plus que
l’on ne dispose d’outils pour la
conservation et la circulation de la
réponse. A défaut, les bonnes
énergies se fatigueront et les clichés redeviendront légitimes.
SYLVIE TROSA
professeur associé à l’Institut d’études
politiques de Paris, auteur de « Vers
un management postbureaucratique »
(L’Harmattan, 2007)
La révolution des frais de justice
rois cent quarante cinq euros
d’économie pour une expertise génétique, qui passe de
370 euros à 25 euros, 40 % de
moins pour les écoutes téléphoniques… la mise en place de la
nouvelle procédure budgétaire
(LOLF) depuis le 1er janvier 2006
a contraint le ministère de la Justice à de sérieux efforts de rationalisation budgétaire. Ces économies hors n ormes ét aient
inimaginables il y a à peine deux
ans. Entre-temps, le budget de la
chancellerie estdevenu limitatif et
non plus évaluatif. Les tribunaux
ne peuvent plus dépenser sans
compter et disposent désormais
d’une enveloppe de dotation globale et fixe. Il a donc fallu faire des
économies là où rien ou presque
n’avait jamais été fait.
Et pour cause : une part importantedes budgets des tribunaux va
aux frais de justice. Difficile de
restreindre le nombre d’examens
génétiques, d’écoutes téléphoniques ou de conservation de
pièces à conviction. Mais les frais
de justice − gratuits pour le justiciable au pénal − peuvent atteindre des sommes considérables
pour des dossiers comme AZF à
d’un avis des services de l’agriculture ou de l’architecture surles questions d’eau ou de bâtiments classés », explique Marcelle Pierrot,
préfète du Lot. Les 270 agents
concernés par la fusion restent rattachés à leur corps d’origine, mais
une dizaine seront mis à la disposition d’une autre administration sur
la base du volontariat.
Guichets uniques
Le regroupement n’a pas diminué
lenombredefonctionnaires,« mais
il entraînera des gains de productivité qui permettront de mieux passer
lecapen casderéduction d’effectif »,
ajoute la préfète. Si la fusion des
DDE et DDAF est réalisée dans
huit départements, le Lot est le seul
à expérimenter le projet OSE (Organisation des services de l’Etat).
Fin octobre, la préfecture a ainsi
regroupé 546 agents des différentes
administrations dans deux entités,
la Délégation interservices des territoires réunissant la DDEA, le
SDAP et le service vétérinaire, etla
Délégation interservices de la population qui rassemble les Directions des affaires sociales, de l’emploi et de la formation professionnelle (hormis l’inspection du
travail), de la jeunesse et des sports
etlesservices destitres quidélivrent
carte grise, carte de séjour, etc. Un
guichet unique d’accueil des étrangers sera créé à la fin de l’année en
réunissant le service des étrangers
delapréfectureetlesDirectionsdes
affaires sociales et du travail pour
traiter sur un même lieu toutes les
questions de carte de séjour, de
demande d’asile, d’hébergement et
d’emploi. Deux autres guichets
uniquespourlesassociationsetl’action sociale ouvriront en 2008.
LAURENT MARCAILLOU
Degré d’originalité 1/5
Possibilité de diffusion 5/5
Un regroupement d’équipes
bien mené ouvre la voie à un
accès plus facile pour l’usager.
Changement-adresse.gouv.fr, ou la vie
plus simple pour ceux qui déménagent
24
R
des questions se posent : comment
fairepourqu’uneexpérimentation
ne demeure isolée, qu’il y aittransferts de savoirs et de savoir-faire,
que l’on capitalise au lieu d’oublier ? L’urgence dans laquelle
l’administration vit aujourd’hui
rend difficile une nécessaire révolution technologique qui serait de
se doter des instruments de l’analyseetdelamémoiredesinitiatives
de l’administration (« knowledge
management » ou management
des savoirs).
Il n’existe aujourd’hui que trop
peu de services dédiés à l’évaluation de la modernisation, ayant
pour tâche d’analyser « ce qui s’est
epos dès le dernier carton
déballé ? Impossible : déménager implique que l’on prenne
aussitôt sa plumepour signifierson
changement d’adresse à des dizaines d’administrations différentes. Ou plutôt impliquait. Car,
depuis deux ans, un site Internet
permet d’enregistrer ses nouvelles
coordonnées et de le faire savoir
aux grandes administrations d’un
seul clic. Une évidence à laquelle
l’administration a été longtemps
étrangère, quand elle ne flirtait pas
avec l’univers de Kafka. Depuis le
début des années 2000, un vrai
changement s’est amorcé. Désarmés par les difficultés rencontrées
à réformer l’Etat, les gouverne-
ments successifs se sont retournés
vers l’amélioration de la vie quotidienne des Français. L’émergence
d’Internet sert de levier.
1,5 million de familles par an
Les gouvernements Raffarin puis
Villepin lancent à partir de 2003
des plans de développement de
l’administration électronique. Au
total, 600 services disponibles depu is u n po rt ai l u n iq ue
(administration24h24.gouv.fr)
sont aujourd’hui accessibles par
Internet pour simplifier la vie des
citoyens : téléchargement de formulaires, demande d’actes d’état
civil, téléprocédures…
Lancé en mai 2005, change-
ment-adresse.gouv.fr concerne
1,5 million de familles par an, le
quart decelles quidéménagent. Le
service ne pose pas de difficulté
particulière… si ce n’est qu’il a
imposé aux administrations partenaires d’adapter leurs processus
pour prendre en compte immédiatement l’adresse qui vient d’être
enregistrée. Sont d’ores et déjà
opérationnels laCAF,l’assurancechômage, l’assurance-maladie, les
administrations fiscales, le service
national, rejoints en 2006 par La
Poste, l’assurance-vieillesse, la
Mutualité sociale agricole, les
caisses de retraites, l’Agirc et
l’Arrco, la Caisse des dépôts et
EDF. La liste devrait s’allonger
dans les mois qui viennent. Ainsi
que celle des services dématérialisés que permet Internet. Le mois
prochain, le ministre en charge du
Budget et de la Réforme de l’Etat,
Eric Woerth, devrait annoncer
quelesactes demariageetdedécès
sont disponibles en ligne.
C. Co
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 2/5
Il est possible de bousculer les
organismes publics par une
mesure unique décrétée d’en
haut, à condition que l’objectif
soit clair et visible.
Musée du Louvre-Angèle Dequier
20
aussi sur le terrain grâce à la motivation et à l’inventivité des fonctionnaires (regroupements de services
déconcentrés,
télémédecine).Biensûr, lavolonté
de moins dépenser à travers des
choix stratégiques est un levier
(projet du Louvre, directions départementales de différents secteurs qui travaillent de plus en plus
ensemble). Mais ces initiatives
contribuent aussi à la qualité du
service aux citoyens. Il est d’ailleurs frappant que 90 % des expériences ont unimpact sur la qualité
du serviceàl’usager :beaucoup est
fait par l’accès informatique, mais
aussi par le pari de la confiance,
Le Louvre parie
21 sur l’immatériel
Pour le plus grand musée du monde,
dont la fréquentation a atteint un
niveau record avec 8,3 millions de
visiteurs en 2006, la question du
rayonnement extérieur devient cruciale. Après Atlanta, la création d’une
antenne délocalisée du Louvre, en
2010, à Lens, au cœur de l’ancien
bassin minier du Pas-de-Calais, sera
une nouvelle étape. Mais le grand
projet plus que symbolique reste la
création du Louvre des sables à Abou
Dhabi, capitale des Emirats arabes
unis, en vue d’une ouverture en 2012.
Le Louvre devientainsi objet d’exportation et instrument de valorisation
du patrimoine immatériel. D’une certaine manière, le projetd’Abou Dhabi
constitue le premier test d’exportation de la marque Louvre, sur le modèle du système de délocalisation de
la Fondation Guggenheim de New
York. Outre l’objectif de rayonnement culturel, ce projet est en partie
justifié par la nécessité de compenser
le manque de fonds propres du
Louvre par rapport à ses grands
concurrentsanglo-saxons. Mais malgré cette nouvelle manne, le Louvre
reste plus que réservé surle passageà
la gratuité proposé par Nicolas SarP. DE G.
kozy.
Police, des corps
en mouvement
23
U
n destin à part dans le champ
de la fonction publique…
c’est la réforme des corps et carrières des policiers,encours d’application. Voulue par Nicolas Sarkozy
lorsqu’ilétaitministrede l’Intérieur,
entérinéepar son successeur Dominique de Villepin, elle chamboule
l’organisation d’une « grande maison » devenue obsolète. Redéfinition de la pyramide hiérarchique,
hausse des niveaux de recrutement,
amélioration des perspectives de
carrière : l’ambition du projet était
de donner plus de responsabilités
aux policiers de base et de leur
confier des tâches jusque-là réservées à leurs supérieurs.
Conséquence, les corps abondants devaient fondre. Il a ainsi été
décidé de réduire le nombre des
commissaires, de 2.000 à 700 entre
2004 et 2012, et des officiers de
15.000 à 9.000. En compensation,
les premiers ont vu leur rôle resserré sur les questions de direction
et de conception, et leur traitement
a été calqué sur celui des hauts
fonctionnaires. Les seconds ont
abandonné leur casquette de techniciens de la procédure pour se
concentrer sur le commandement
opérationnel et ont obtenu d’accéder à lacatégorie A des cadres de la
fonctionpubliqueàpartir du1er janvier 2008.
A l’inverse de leurs supérieurs,
les brigadiers et les gardiens de la
paix, environ 100.000 agents, ont vu
leur nombre augmenter légèrement. Les promotions ont été nombreuses dans ce corps, afin de renforcer
l’ encadreme nt
intermédiaire. Parallèlement, les
personnels administratifs, techniques et scientifiques ont vu leurs
équipes renforcées (de 13.000 à
16.000), notamment pour permettreaux policiers de se consacrer
aux opérations de terrain.
Dialogue social « constructif »
Outre la volonté politique, cette
réorganisation a bénéficié de deux
atoutscombinés :undialoguesocial
« productif », selon la Direction de
l’administration de la police nationale, encouragé par des moyens
financiers substantiels. Point d’ancrage de la réforme, l’accord du
17 juin 2004, signé par l’ensemble
des organisations syndicales à l’exception du SNPT, disparu depuis, a
fait l’objet d’un suivi régulier. Sa
mise en œuvre pour l’instant
consensuelle doit beaucoup aux
moyens financiers mis sur la table
(entre 45 et 50 millions d’euros par
an), même si c’est là que de premières revendications se font jour à
proposdupaiementdesheuressupplémentaires des officiers et des
augmentations indiciaires des gardiens de la paix.Le renouvellement
des équipements, engagé en parallèle (véhicules neufs,système informatique, flash-balls, drones, etc.) a
pu aussi encourager la mutation en
contribuantàregonflerlemoraldes
troupes.
CARINE FOUTEAU
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Le changement passe dans un
domaine très classique de la
fonction publiquequand ilyade
vraies responsabilités à confier,
un dialogue social en profondeur et de l’huile budgétaire.
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
La Lozère, en pointe
pour la médecine par Internet
25
DE NOTRE CORRESPONDANT
À MONTPELLIER.
omme de nombreux départements ruraux, la Lozère est
confrontée à la désertification médicale. Le conseil général a donc
d’abord cherché à attirer de jeunes
professionnels en offrant une aide
financière de 400 euros par mois de
stage chez un médecin lozérien,
ainsi qu’une bourse d’engagement
de 700 euros par mois aux étudiants
de troisième cycle pendant les trois
années d’internat. En contrepartie,
l’étudiant s’engage à effectuer des
remplacements en Lozère pendant
son internat et, dès la fin de ses
études, à exercer pendant une période minimale de cinq ans dans le
département. Mais le conseil général a voulu aller plus loin en lançant
un projet de télémédecine destiné à
améliorer l’accès et la qualité des
soins en zone rurale de montagne.
La démarche vise d’abord la
transmission des données médicales en situation d’urgence en
équipant les médecins généralistes
correspondants du Service mobile
d’urgence et de réanimation
(SMUR) d’un ordinateur portable
capable de transmettre au
Maxppp
C
Le projet de télémédecine est destiné à améliorer l’accès et la qualité
des soins en zone rurale de montagne.
Centre 15les informations relatives
au patient.
Logiciel de géolocalisation
L’objectif consiste aussi à installer
un réseau de visioconférence sur
l’ensemble des établissements du
département en vue de tenir des
réunions, de conduire des formations et même de procéder à des
consultations. « La nouvelle culture
médicale est désormais fondée sur
uneconception partagée des compétences et des responsabilités, explique Jean-Jacques Delmas, président de la commission TIC au
conseil général. L’évolution attendueest biend’échangerentreprofessionnels les données de santé du
malade pour une meilleure qualité
de la prise en charge. »
La mise en réseau des médecins
correspondants du SMUR est en
phase d’étude, afin d’étendre la
technologie utilisée par les pompiers de Lozère. Il s’agit en l’occurrence d’un logiciel de géolocalisation qui pourrait être utilisé par le
Centre 15, afin de transmettre aux
médecins les coordonnées GPS des
personnes à secourir. L’appel
d’offres pour équiper les médecins
est attendu à la fin du premier
trimestre 2008 pour une mise en
place à la fin de l’année. L’équipement des douze hôpitaux publics et
privés en appareils de visioconférence sera lancé début 2008. D’ores
et déjà, les établissements lozériens
sonten traind’adhéreràungroupement d’intérêt public basé à Toulouse, qui permettra de les rapprocher des établissements de toute la
France pour des opérations de télédiagnostic, téléformation et téléconsultation. Le coût total de l’investissement a été chiffré à
769.630 euros.
JACQUES RAMON
Degré d’originalité 5/5
Possibilité de diffusion 5/5
Lessupposésconservatismesrural et médical n’empêchent pas
des réorganisations radicales.
27 L’Arcep, bon génie
Un permis de
construire plus simple de l’ADSL en France
26
C
elui qui, autrefois, avait l’idée
étrange de bâtir une maison
affrontait un vrai parcours du combattant pour obtenir le permis de
construire. Il y avait seize régimes de
déclaration ou d’autorisation différents. L’administration répondait
quand elle avait le temps, rarement
très vite. Puis venait le tracas des
pièces manquantes au dossier, souvent réclamées l’une après l’autre et
non en bloc, étirant encore les délais.
Encasderefusdel’administrationde
délivrer le fameux permis, l’épreuve
tournait facilement au cauchemar.
Bref, c’était l’exemple type du cas où
le citoyen ordinaire était soumis au
bon vouloir des pouvoirs publics. La
réforme du permis de construire entrée en vigueurle 1er octobre 2007 est
passée par là. Désormais, le demandeur d’un permis doit attester de sa
qualité de propriétaire sans être tenu
de fournir un justificatif de propriété.
Il lui appartient aussi de déclarer
l’achèvement et la conformité des
travaux. L’administration, qui vérifiait auparavant systématiquement
ces deux aspects, ne se livre plus à ces
contrôles.
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
Logique de continuité
On reprochait à la réglementation
antérieuresurles autorisationsd’urbanisme lourdeur et opacité. Cette
réforme allège les procédures et va
concerner les 600.000 permis de
construire et les 1,4 million d’autres
autorisations d’urbanisme délivrées
chaque année en France.
La nouvelle réglementation se
traduit par unediminutionsignificative du nombre des autorisations,
qui est ramené à quatre. En pra-
tique, elles portent sur trois permis :
construire, aménager, démolir − et
une déclaration préalable.
Lestextessontréécritspourfaciliter la lecture du champ d’applicationdechacunedecesautorisations.
« La diminution du nombre d’autorisations ne veut pas dire que des
constructions auparavant soumies à
autorisation vont échapper à tout
contrôle », explique PierrePopesco,
avocat associé chez Herbert Smith.
La réforme s’inscrit dans une logiquedecontinuitéetdeperfectionnement. Elle a été amorcée par
l’ordonnance du 8 décembre 2005,
qui a permis le regroupement des
autorisations. Elle prend aussi en
compte les modifications récentes
apportées par d’autres textes, et
notamment par la loi ENL − engagement national pourlelogement −
du 13 juillet 2006. L’unification du
régime de retrait des permis de
construire, sort réservé aux
constructionsirrégulières, préservationdu bénéfice du permis en cas de
recours,garantiedesdélaisetobtention tacite d’un permis en cas de
non-réponse de lamunicipalité sont
autant d’apports de cette nouvelle
version du Code de l’urbanisme.
Chaque année, plus de 150.000 particuliers sont concernés. Une vraie
amélioration de masse.
A. C.
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 5/5
Il est essentiel de ne plus mettre
l’administration au-dessus des
administrés, mais à leurs côtés.
E
lle va sur ses onze ans, mais
sait déjà se faire respecter, à
Paris comme à Bruxelles. Elle,
c’est l’Autorité de régulation des
communications électroniques
et des postes (Arcep) ou, pour
faire plus simple, le gendarme
des télécoms. Créée en 1997 pour
ouvrir le marché des télécommunications à la concurrence, cette
autorité administrative indépendante est alors une anomalie
dans une économie française encore très teintée de colbertisme.
Son heure de gloire, l’Arcep la
connaît le 16 avril 2002. Le régulateur prend alors la décision qui
marque la fin du retard de l’Hexagone en matière d’Internet
haut débit. Saisie par l’opérateur
LDCom, elle divise par presque
deux le prix du dégroupage. Désormais, il en coûtera 2,86 euros
par mois pour louer le réseau de
cuivre de France Télécom. Ses
concurrents peuvent maintenant
gagner de l’argent en faisant des
offres ADSL. Au 30 juin dernier,
l’Hexagone comptait 14,5 millions d’abonnés haut débit, ce qui
le place dans le peloton de tête de
l’Union européenne.
En janvier 2005, deuxième bataille. L’Arcep oblige France Télécom à baisser le prix du dégroupage total, qui permet aux
abonnés chez ses concurrents de
ne plus payer leur abonnement.
Aujourd’hui, la moitié des abonnés haut débit sont chez un
concurrent et 3,5 millions d’entre
eux ne paient plus un centime à
l’opérateur historique.
Certes, pourront dire les mau-
vaises langues, avec 5,6 milliards
d’euros de marge brute opérationnelle dans le téléphone fixe
en France l’année dernière,
France Télécom engrange encore 75 % du marché en valeur.
Mais pouvait-on mettre à genoux
une entreprise qui emploie plus
de 100.000 salariés dans le pays
ou se mettre à dos un groupe qui
investit 2 milliards d’euros par an
dans le réseau ?
Prix de gros du SMS
Le bilan du téléphone mobile est
peut-être plus mitigé. La France
est le seul grand pays d’Europe
avec seulement trois opérateurs
mobiles.Pourtant, là encore, l’Arcep n’a pas démérité. Elle a été le
premier gendarme européen à fixer un prix de gros du SMS. Ensuite, c’est bien la Commission
européenne qui lui a interdit de
réguler les opérateurs mobiles virtuels (MVNO) en 2005. Enfin,
c’est l’Etat français qui fixe le prix
de la quatrième licence de téléphonie mobile, aujourd’hui de
619 millions d’euros et que Free
juge trop élevé pour se lancer
dans l’aventure.
G. C.
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Une autorité indépendante est
parfois indispensable pour instaurer une vraie concurrence
sur un marché qui peut alors
croître.
Rescrit fiscal, le rêve d’une administration
qui dit clairement la règle du jeu
28
L
’administration fiscale est sans
doute l’une des moins aimées
desFrançaisetcellequisuscitelaplus
grande méfiance. Pourtant, elle ne
ménage pas ses efforts pour tenter
d’aplanir les angles et apparaître
mieux à l’écoute de contribuables, de
plus en plus déconcertés par la complexité croissante des textes. Pour
cela,elleaunearmeaunomabscons :
le rescrit fiscal. Depuis 1987, le fisc
français s’est engagé dans une vaste
opération de généralisation de cet
outil qui bouscule les us et coutumes
de l’administration, où la ligne directrice reste le célèbre mais glaçant
« nul n’est censé ignorer la loi ».
Le principe du rescrit fiscal est
simple : plutôt que d’attendre de voir
débarquer contrôleurs et autres vérificateurs fiscaux, les usagers (particuliers, professionnels, collectivités locales…)sont invités à se tourner vers
l’administration pour lui demander
d’exprimer sa position face à une
situation précise.
Echange de bons procédés
L’administration a alors six mois
pour répondre soit en gardant le
silence (l’absence de réponse est en
effet jugée comme un accord tacite
entre l’usager et l’administration),
soit en expliquant sa position si elle
diffère de celle défendue par le
contribuable. Les services fiscaux se
trouvent alors liés par leur réponse
et ne peuvent à l’avenir changer de
position, sauf à prévenir d’abord
l’usager.
La démarche désormais s’applique à un nombre croissant de
domaines, qui vont de la possibilité
d’une déduction supplémentaire
pour frais professionnels à la localisation du domicile fiscal, en passant
par les donations. Et la mue de cet
outil n’est pas terminée. Depuis
quelques années, la démarche a été
étendue au domaine social pour
éclaircir aux yeux des contribuables
dans le doute les modalités d’application de certaines mesures, notammentpar l’Urssaf.Etsevoulantplus
performante et réactive, l’administration pourrait à l’avenir mettre les
bouchées doubles. Après s’être en-
gagé à réduire de moitié le délai de
réponse, François Fillon a laissé entendre que cette réduction pourrait
être étendue à tous les domaines
administratifs ! Unéchangedebons
procédés, où l’administration décide de cultiver un « qui ne dit mot
consent »si lecontribuablese défait
de son habituel « pour vivre heureux, vivons cachés ».
C. F.
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 5/5
La fin de l’arbitraire public est
précieuse pour la formation
d’une vision à plus long terme.
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 9
INTERVIEW
MARTIN HIRSCH HAUT COMMISSAIRE
AUX SOLIDARITÉS ACTIVES CONTRE LA PAUVRETÉ
« L’expérimentation,
une approche féconde
pour renouveler
les politiques publiques »
Depuis longtemps, vous défendez l’idée
que l’expérimentation faciliterait la démarche de réforme. La voie que vous
avez choisie pour lerevenu desolidarité
active (RSA), mis en place dans vingtcinq départements avant d’être généralisé, reste rare. Pourquoi ?
La France est en retard en matière
d’expérimentation sociale, parce
qu’elle est organisée pour que ce processussoittrèspeupossible. Juridiquement, d’abord, le principe d’égalité
entre tous les citoyens ou tous les
Martin Hirsch.
territoires est invoqué contre l’expérimentation. Culturellement, ensuite, l’idée d’avancer par tâtonnements est contradictoire avec la vision messianique d’un Etat qui sait
où il faut aller. Enfin, la capacité d’expertise n’est pas à la hauteur.
L’Etat est incapable de dire quels départementsmènent les politiques
sociales les plus efficaces, parce qu’il ne le mesure pas, et qu’il ne
dispose pas des outils pour le faire.
Les réformes se font quand même…
Oui, mais jusqu’à récemment, elles ont consisté à rajouter des strates
plutôt qu’à transformer le système. La prime pour l’emploi est
l’exemple typique. La réforme a été faite vite, sans évaluation ex ante.
Et c’est après coup que l’on se rend compte qu’elle coûte cher et ne
remplitpassesobjectifs.Onfaitdel’évaluationexpost,quis’apparente
plus à du contrôle. Si l’on avait pris le temps de l’expérimentation, de
l’évaluation et du réglage fin de la réforme, l’efficacité aurait été
infiniment supérieure. Autre exemple : l’accompagnement des chômeurs. Làencore, leschosesontétéfaitesà l’envers.L’Unedicaconfié
le travail à des prestataires privés pour voir s’ils pouvaient être plus
performantsquel’ANPE. Maisles conditionsmêmesde l’expérimentation n’ont pas été arrêtées de manière consensuelle. Les résultats
sont donc contestés, on cherche a posteriori à leverlesbiaispour avoir
des éléments de comparaison fiables.
D’autres pays font-ils différemment ?
LesEtats-Unisontuneapproche intéressantedepuisplusdevingt ans.
Ils testent systématiquement les réformes qu’ils veulent lancer en
choisissant des groupes témoins et en comparant les résultats avec
d’autres. Des Etats ont vérifié qu’il était efficace d’aider financièrement des jeunes en leur promettant in fine un emploi à condition que
leurs résultats scolaires s’améliorent. Le maire de New York, Michael
Bloomberg, a aussi testé des aides au retour à l’emploi ciblées sur les
personnesayantdesenfantsàcharge,avecdesrésultatstrèspositifsàla
clef. Les pays les plus friands d’expérimentations sont ceux qui ont le
moinsla culture de la dépense publique : ils doivent justifierà l’avance
le fait que le moindre dollar dépensé aura un retour sur investissement !
La France est-elle en train d’évoluer ?
Oui. Les départements bougent parce qu’ils ont un intérêt direct à ce
que lespolitiquessocialesproduisentdesrésultats. EtlaConstitutiona
été modifiée en 2003 de manière à leur permettre de déroger au
principed’égalité dansdesconditionsbiencadrées. Je pense que, dans
les années qui viennent, l’expérimentation sociale va constituer
l’approche la plus féconde pour renouveler les politiques publiques, à
mesure que les outils réglementaires classiques montreront leurs
limites et que la dimension du comportement des acteurs dans les
processus de réforme prendra de l’importance. Les expérimentations
permettent de mesurer cette variable essentielle. Autre avantage : en
s’adressantàdesvolontaires,ellescréentdel’émulation.Onpassedela
réforme subie à la réforme choisie, coconstruite, comme en témoigne
l’appétence croissante des départements à tester le RSA.
Votreméthoden’est-ellepascontradictoireavecladémarchedeNicolas
Sarkozy, qui veut aller vite ?
Non, car ça colle bien avec la culture du résultat.
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE LEFEBVRE ET DOMINIQUE SEUX
Cartons rouges
l Le fret à la SNCF. Un exemple caricatural
de la France qui ne se réinvente pas. Sur cette
activité, l’entreprise publique perd de l’argent
année après année (260 millions en 2006).
Faceàl’arrivéedelaconcurrenceimposée par
la réglementation européenne, rien n’a
changé dans l’organisation ou presque, avec
des syndicats hostiles à toute évolution en
profondeur. Et cela alors que le ferroutage
devrait devenir une alternative logique au
transport routier dans un monde où la préoccupation environnementale grandit chaque
jour. Un rayon d’espoir toutefois : le trafic a
progresséaupremiersemestrepourlapremièrefoisdepuisseptans.Et
les négociations sont enfin ouvertes.
l Les classements de bordeaux. En 1855, Napoléon III avait
demandé un classement des vins de Bordeaux pour que les curieux
puissent s’y retrouver dans l’Exposition universelle de cette année-là.
Ce classement continue de peser lourd dans les têtes de gondole
vinicoles. Mais les enjeux sont tels que les classements sont très
difficilesàréviser.Enavril2007,letribunaladministratifdeBordeauxa
suspendu le classement des vins de Saint-Emilion, par l’Institut
nationaldesappellationsd’origine.Quelquessemainesplustôt,lacour
administrative d’appel a annulé la révision du classement des crus
bourgeois du Médoc. Producteurs, experts et juristes s’empaillent.
Pendantce temps-là, lesvinsduNouveauMondes’imposentsurtoute
la planète.
10 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
« Impot.gouv.fr », l’avènement
29 de l’e-contribuable
Maxppp
Bien sûr, il y aura toujours les irréductibles qui continueront de remplir
leur déclaration d’impôt au dernier moment, assis sur les marches de la
poste du Louvre, le seul bureau ouvert tout la nuit. Mais désormais, plus
besoin de sortir de chez soi pour remplir et envoyer sa déclaration à la
dernière minute. Depuis 2000, en effet, les contribuables peuvent s’acquitter de leurs obligations légales via Internet. Après un démarrage
chaotique, le système a trouvé rapidement sa vitesse de croisière. Après
avoir séduit seulement 4.500 contribuables la première année, le site a
dépassé, dès l’année suivante, la barre de 500.000 et, en 2006, ils étaient
près de 5,7 millions.
Il faut dire que l’administration fiscale, souvent accusée de ne pas évoluer,
n’a pas ménagé ses efforts pour innover. Non seulement sur le plan
technologique, mais aussi dans l’esprit, en ouvrant le site à un nombre
croissant de contribuables (dont les associations par exemple), en offrant
des « primes » au candidat à la déclaration virtuelle, et même des délais
supplémentaires, au risque de bousculer le sacro-saint principe de l’égalité devant l’impôt : réduction d’impôt de 20 euros pour ceux qui optent
pour le paiement en ligne et délai supplémentaire, selon la zone de
vacances scolaires. Mais le succès du dispositif ne doit pas faire oublier
qu’en ce domaine la France ne fait que rattraper son retard par rapport aux
pays européens leaders dans ce que l’on appelle l’e-administration (en
2003, la Suède ou le Danemark, qui affichaient déjà des taux de télédéclarants supérieurs à 30 %) ou bien encore les Etats-Unis, où plus de 70 millions de contribuables déclarent leurs revenus en ligne.
C. F.
DCNS, ou les ex-arsenaux de
la marine à la conquête du monde
30
C
hangement de statut, ouverture du capital, internationalisation : l’ancienne Direction des
constructions navales (ou DCN)
s’est complètement transformée
en moins de cinq ans. Devenue
DCNS, l’entreprise constitue un
bel exemple de réforme de l’Etat.
« Commeaucuneautre administration », soutient son directeur général délégué, Bernard Planchais.
Non seulement le champion national du naval militaire a changé de
statut, quittant en 2003 ses habits
séculaires d’arsenal pour ceux de
société nationale régie par le droit
privé. Mais quatre ans plus tard, la
nouvelle entité DCNS a réussi à
ouvrir son capital à hauteur de
25 % au géant Thales, dans le
cadre du projet Convergence. Une
vraie révolution culturelle dans
une institution qui employait encore 28.000 personnes au début
des années 1990, contre 13.300 aujourd’hui.
DE NOTRE CORRESPONDANT
À RENNES.
L
Maxppp
« Une question de survie »
Quant les ouvriers d’Etat ont pu
garder leur statut, les autres
− cadres, militaires, fonctionnaires − ont eu deux ans pour
passer sous la convention collective de la métallurgie. Environ
90 % d’entre eux l’ont fait. Les
fonctions achats et ressources humaines ont été remaniées et il a
fallu mettre en place une comptabilité de droit privé. Certains métiers historiques ont disparu, le
nombre de cadres et d’ingénieurs
a augmenté, et DCNS a appris
l’engagement de résultat dans ses
contrats de maintenance.
« Les grandes réformes nécessitent beaucoup d’explications.
Le Finistère, fervent
adepte du covoiturage
31
L’ancienne direction des constructions navales (DCN) s’est complètement transformée en moins de cinq ans.
Changer de statut était une question de survie. Aujourd’hui,
DCNS se recentre sur la maîtrise
d’œuvre de grands systèmes navals », résume Bernard Planchais. Revers de la médaille, certaines tâches de production sont
sous-traitées en France, voire à
l’étranger. Maintenant que le
projet Convergence est entré « en
phase de croisière », il s’agit de
franchir un nouveau cap, celui de
l’international. Confrontée à un
marché national stable, DCNS
doit en effet trouver des relais de
croissance. A condition d’adap-
ter sa politique commerciale,
d’améliorer sa compétitivité, de
s’implanter durablement à
l’étranger, et de disposer d’une
offre adaptée à des marines
moins ambitieuses que celles des
grandes puissances.
devant déboucher normalement
sur la vente de corvettes Gowind,
spécialement étudiées pour l’export.
ALAIN RUELLO
Accord avec la Bulgarie
« Nous ne partons pas de zéro,
mais il faut renforcer notre culture
économique et cela passe par l’ouverture à l’extérieur », estime Bernard Planchais. Premier signe encourageant, la Bulgarie vient de
conclure un accord avec DCNS
Possibilité de diffusion 2/5
Degré d’originalité 4/5
Dans une activité industrielle,
le passage du public au privé
peut se faire vite et bien à
condition de bien expliquer le
changement.
e covoiturage n’est pas une
spécialité réservée au Canada ou aux Pays-Bas ! L’un des
principaux chapitres des actions
mises en œuvre par le schéma
départemental des déplacements
adopté par le conseil général du
Finistère en 2005 est le covoiturage. Pour faire fonctionner ce
système d’entraide des salariés,
étudiants ou mères de famille, le
département a créé un site Internet, covoiturage-finistere.fr. La
personne intéressée par le partage d’un trajet avec un ou plusieurs passagers inscrit sa destination sur le site avec le lieu de
départ, l’horaire et le nombre de
personnes acceptées à bord. La
bourse ouverte à tous permet ensuite aux personnes à la recherche d’une possibilité de déplacement de choisir parmi les
offres.
Le département du Finistère,
qui a déjà enregistré plus de
5.000 utilisateurs, a voulu aller
plus loin en organisant ce service.
Une charte est donc signée par les
utilisateurs. Elle implique des engagements en matière d’assurance du conducteur, de responsabilité civile du passager et de
tarifs.
Indications de prix
Evidemmentaucun prix n’est imposé, mais le conseil général
donne des indications. Il considère qu’un parcours de covoitu-
rage d’une centaine de kilomètres peut être facturé un
maximum de 24 euros pour un
passager. S’ils sont trois dans la
voiture, le prix unitaire tombe à
9,70 euros.
Pour que se pérennise son action, la collectivité territoriale finance des aires de stationnement
pour les véhicules de ceux qui
vont ensuite se regrouper dans
une autre voiture. « Elles sont
d’accès gratuit et disposent d’environ une trentaine de places », explique-t-on dans l’entourage de
Pierre Maille, le président du
conseil général. Au cours de l’année 2007, celui-ci aura engagé
72.400 euros dans l’aménagement de deux nouvelles aires, à
Guilers et à Gouesnou. Les sites
choisis sont proches des voies
rapides.
Car les utilisateurs du covoiturage sont plutôt des personnes
effectuant des trajets réguliers à
l’intérieur du Finistère. Mais personne n’interdit la mise en ligne
d’offres beaucoup plus lointaines. Certains automobilistes
proposent ainsi des voyages réguliers à Paris ou à Rennes.
STANISLAS DU GUERNY
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 5/5
Une impulsion publique peut
être déterminante dans un domaine relevant apparemment
de l’initiative privée.
Histoires à suivre
Fusion Unedic-ANPE. On en parlait
depuis des années, elle devrait être bien tôt
lancée. Le rapprochement butera pourtant sur de nombreux obstacles. L’Agence
nationale pour l’emploi fait travailler
30.000 fonctionnaires, alors que les
14.000 salariés de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce relèvent du privé.
Les uns sont moins bien payés que les
autres. Et l’Unedic possède ses locaux
alors que l’ANPE loue la plupart des siens.
Sans parler des histoires d’hommes.
l
Le placement des chômeurs,
une activité vraiment concurrentielle
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
32
L
e placement des chômeurs
par des cabinets privés constitue une petite révolution sur le
marché du travail. Expérimenté
auprès de 46.000 demandeurs
d’emploi volontaires, la plupart en
grande difficulté d’insertion, il met
l’ANPE sous pression grâce à des
pratiques totalement rénovées :
entretiens hebdomadaires, appels
téléphoniques, référent unique,
etc. Les agents sont soumis, en
contrepartie, à une culture du résultat. Estimée à environ 3.500 euros par chômeur reclassé, la rémunération du prestataire est réglée
entroisétapes. Dans lecas général,
il perçoit 30 % lors de la prise en
charge de l’allocataire, 35 % s’il
signe un contrat en CDI ou en
CDD de plus de six mois, et 35 %
s’il a conservé son emploi les six
mois suivants. Quoique coûteuse,
cette expérimentation a déjà engendré des économies pour l’assurance-chômage. Les 17 opérateurs
sélectionnés (Ingeus, Altédia,BPI,
etc.) lui permettent de dépenser,
en moyenne, 3.400 euros de moins
par demandeur d’emploi. Le pari
est également gagnant pour les
chômeurs, qui retrouvent un emploi trois mois et demi plus tôt, en
moyenne.
« Un vrai suivi personnalisé »
Les employeurs ayant recours à
des cabinets privés saluent, eux
aussi, leur dynamisme : « Les opérateurs privés peuvent développer
un vrai suivi personnalisé des candidats et de nos attentes, au
contraire de l’ANPE, qui a des
contraintes de volume trop importantes », témoigne Didier Loing,
membre du directoire de la Caisse
d’Epargne de Haute-Normandie,
qui a embauché des commerciaux
débutants via Ingeus. « Quand on
voit le nombre de chômeurs et celui
despostes nonpourvus,c’estbien la
preuve que la courroie de transmis-
sion a de sérieux ratés. Pour beaucoup d’entrepreneurs, l’ANPE est
discréditée,et lelien de confiance est
rompu », explique Joël Pain, PDG
fondateur de Up&Up (commerce
équitable sur Internet) et membre
du comité exécutif de Croissance
Plus. Le nombre d’entreprises qui
ne trouvent pas de candidats, un
mois après avoir déposé leur offre
d’emploi à l’ANPE, reste, il est
vrai, important (environ 200.000
par an). « Les opérateurs privés ont
une vue plus pointue des besoins
des entreprises », renchérit JeanFrançois Veysset, de la CGPME.
L’ANPE serait ainsi trois fois
moins efficace que les organismes
privés, selon l’assurance-chômage : six mois après leur prise en
charge par l’ANPE, seuls 13 %
des demandeurs d’emploi disposent d’un travail parmi ceux risquant de sombrer dans le chômage de longue durée. Les
opérateurs privés affichent un
taux de réussite de 41 %, estime
l’Unedic. Ces chiffres sont, sans
surprise, contestés par l’agence
publique, qui rappelle que la prise
en charge de salariés volontaires
donne un sérieux avantage aux
opérateurs privés. La querelle de
chiffres devrait toutefois s’achever : à l’ANPE comme à l’Unedic,
on promet de faire évaluer les
prochains dispositifs d’accompagnement par des experts indépendants, notamment par le CNRS.
LUCIE ROBEQUAIN
Application de la LOLF. La loi organique
relative aux lois de finances votée en 2001 exerce
peu à peu ses effets dans la mécanique de la gestion
publique. Elle pourrait changer en profondeur le
fonctionnement de l’administration si un vrai management par objectifs se met en place. Mais le
système peut aussi bien déboucher sur une application bureaucratique ajoutant une couche de rigidité à un système qui en est déjà largement doté.
l
Impact de la revue générale des politiques
publiques. Va-t-on enfin supprimer des organismes obsolètes sans les rebâtir en catimini par
derrière ?
l
Degré d’originalité 1/5
Possibilité de diffusion 5/5
Des missions présentées
comme relevant d’une logique
publique peuvent être accomplies par le privé. La définition
du cahier des charges est essentielle.
Fusion « verticale » entre organismes régionaux
et départementaux, comme les services d’équipement. Elle amène à repenser les objectifs du service,
le niveau de d’intervention, la présence des équipes
et des compétences sur le plan géographique.
l
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 11
Une économie du savoir à doper
C
’est là que se joue notre avenir.
Et c’est pourtant là que la
France semble avoir le plus de mal à
se réinventer. Le groupe de pilotage
qui a sélectionné les cinquante initiatives de ce cahiera longuement cherché des actions exemplaires dans la
recherche et l’enseignement supérieur pour aboutir sur une récolte de
qualité… mais très classique et surtout peu abondante. C’est une mauvaise nouvelle qui a une explication
logique : ici plus qu’ailleurs, le système français est enserré dans un
corset extraordinairement serré laissant trèspeu deplaceà la respiration.
SiSciencespoetHEContpurenaître
avec un tel dynamisme, c’est au
moins en partie parce qu’ils vivent
auxmargesdusystème.Sia puéclore
auseindel’universitédeToulouseun
institut de recherche économique réputé dans le monde entier, au point
de finirpar être reconnuà Paris, c’est
parce qu’il y a eu une équipe d’une
rare opiniâtreté qui a su déployer
beaucoup d’énergie dansl’université
et beaucoup de diplomatie dans les
coulisses des palais de la République
pourfairebougerlesrèglesdujeu. Et
si a pu naître à Grenoble un complexe scientifique de recherche dans
l’infiniment petit, c’est parce qu’il y
avait déjà là une concentration trop
rare en France d’industries et de
chercheurs.
Mais il y a aussi une bonne
nouvelle : la donne change vite.
Avecla loi votée cet été, les universités vont avoir davantage d’autonomie. Pas encore assez, mais plus
qu’avant. Elles qui se sont déjà
malgré un début difficile). C’est
aussi le cas du lancement des pôles
de compétitivité pour fédérer les
efforts de centres de recherches,
de firmes technologiques et aussi
d’investisseurs. La multiplication
des initiatives dans l’économie de
la connaissance permet d’espérer
des retombées positives dans les
prochaines années. Même si les
Français n’investissent toujours
pas assez dans leur recherche et
leurs universités.
J.-M. V.
Recherche : l’Idei, vitrine
des partenariats avec le privé
Le pôle Minatec,
continuité d’un modèle
vertueux grenoblois
O
DE NOTRE CORRESPONDANTE
À GRENOBLE.
34
33
35
D
G. Fontagné UT1
n n’est pas sérieux quand on
a dix-sept ans », disait Rimbaud. Son jeune âge n’a pourtant
pas empêché l’Institut d’économie industrielle de Toulouse
(Idei) de tutoyer très vite les
sommets des classements internationaux. Classé second, voire
premier en Europe pour ses travaux en économie, il doit son
insolente santé à un modèle de
d éve lo pp em e n t in éd it en
France : une recherche étroitement appuyée sur un solide réseau d’entreprises partenaires.
« A l’époque, nous avons repris
à notre compte un modèle qui
existait déjà à l’étranger en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, mais pas vraiment en
France », rappelle Patrick Rey, le
directeur du laboratoire. Les
grandes entreprises publiques
(La Poste, EDF, France Télécom…) se montrent les premières intéressées pour conclure
des contrats de recherche. Très
vite, le laboratoire attire des
clients… et des chercheurs de
renom comme Jean Tirole, le
plus nobélisable des économistes
français. Il compte aujourd’hui
une quarantaine de partenaires
publics ou privés (Visa, SFR, le
min istère de l’Environnement...).
Pour l’Idei, le bénéfice est
double. En s’ajustant aux demandes des entreprises, il défriche des domaines de recherche
En s’ajustant aux demandes des entreprises, l’Institut d’économie industrielle de Toulouse défriche des domaines
de recherche inédits (comme l’économie des cartes de paiement) dans lesquels il devient leader.
inédits (exemple : l’économie
des cartes de paiement) dans lesquels il devient leader.
Objectif Top 10 mondial
Grâce à des contrats privés, auxquels s’ajoutent les revenus
d’une fondation en capital de
12 millions d’euros, il offre à ses
chercheurs des conditions de travail supérieures à la moyenne
française (secrétariat, locaux…),
attractives au plan international.
Moyen, aussi, de contourner certaines règles contraignantes du
fonctionnement universitaire
− l’Idei est rattaché à Toulouse-I.
Ce n’est pas du goût de tous,
mais quelques années et autant
de lois plus tard, ce qui n’était
qu’un pari un peu fou de l’économiste Jean-Jacques Laffont
− aujourd’hui décédé − est devenu un établissement pionnier,
observé à la loupe par toutes les
universités, sur le point, elles
aussi, de révolutionner leur financement et leur recrutement.
Les chercheurs toulousains, eux,
ont déjà le regard braqué sur les
prochaines étapes : figurer dans
le Top 10 mondial de la re-
cherche en économie, aujourd’hui trusté par les universités
américaines. Et réussir le pari de
la TSE, ou Toulouse School of
Economics.
LAURENCE ALBERT
Degré d’originalité 5/5
Possibilité de diffusion 2/5
L’acharnement peut venir à
bout des terribles rigidités universitaires. Et déboucher sur
une réussite mondiale.
Sciences po bouscule les codes
E
n guise de cure de jouvence,
Sciences po s’est offert… un
retour aux sources. L’établissement de la rue Saint-Guillaume a
entrepris voilà une dizaine d’années un grand lifting qu’il dit
inspiré par son fondateur, Emile
Boutmy (1871). « Il avait déjà
tout dit sur la nécessité d’être pluridisciplinaire, de s’ouvrir à
l’étranger ! Je n’ai fait que revenir
aux racines pour mieux affirmer
notre singularité et exister dans un
monde global », constate, un brin
amusé, son directeur, Richard
Descoings.
Réinventer, sans le dénaturer,
un établissement centenaire sur
les bancs duquel se sont succédé
des générations de dirigeants :
plus qu’un exercice délicat, une
gageure. Et une nécessité. A
l’aube des années 1990, l’Institut
d’études politiques de Paris, c’est
un peu la petite sœur de l’ENA :
sérieux, élitiste… et légèrement
assoupi. « J’ai senti qu’il y avait
urgence, que nous n’étions plus
conformes aux standards internationaux », explique Richard Descoings. Les yeux rivés sur les
universités d’outre-Atlantique,
le nouveau patron de Sciences po
va très vite lui donner une longueur d’avance − et de faux airs
de « business school », diront ses
détracteurs. Pionnière de l’harmonisation européenne des diplômes, la Rue Saint-Guillaume
ouvre dès 2000 ses portes aux
étudiants étrangers (40 % des effectifs aujourd’hui).
coings, sur lequel l’apostrophent
ses étudiants.
Sipa
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
montrées innovantes ces dernières
années dans la création de masters
vont pouvoir aller plus loin.
D’autres changements vont aussi
porter leurs fruits. C’est le cas de la
création des pôles de recherche et
d’ e n s e i g n e me n t su p é ri e u r
(PRES) et des réseaux thématiques de recherche avancée
(RTRA, comme la Toulouse
School of Economics, dans la foulée de l’Institut d’économie industrielle, et la Paris School of Economics, qui s’annonce prometteuse
Sciences po, qui se définit désormais comme une « université » et non plus
une grande école, a levé le tabou de l’égalitarisme scolaire à la française.
Très vite, cette petite révolution en amène une autre : l’établissement s’oxygène et se démocratise. Dès 2001, il tente de
casser son image élitiste en étendant son recrutement aux bacheliers de ZEP. L’expérience, fondée sur des concours
dérogatoires, lui attire les
foudres des contempteurs de la
discrimination positive. Mais les
résultats sont là : 15 % de boursiers contre 5 % auparavant. Le
débat sur la démocratisation et la
massification des effectifs n’est
pas clos pour autant. A l’heure
où Sciences po se cherche une
seconde antenne, il hante les couloirs de l’établissement et
jusqu’au blog de Richard Des-
« Devenir autosuffisante »
Car c’est un fait : étudier rue
Saint-Guillaume c’est un peu
jouer les cobayes au sein d’un
bouillonnant laboratoire d’idées
observé à la loupe par le milieu
universitaire. En dix ans, celle
qui se définit désormais comme
une « université » et non plus une
grande école n’a pas seulement
bousculé les codes et levé le tabou de l’égalitarisme scolaire à la
française (en modulant ses droits
d’inscription en fonction du revenu, en pratiquant un recrutement différencié…). Elle a aussi
restructuré son cursus en interne.
La scolarité est passée de trois à
cinq ans, avec des parcours individualisés, des « écoles professionnelles » (journalisme…) ont
fleuri pour accompagner son ambition de devenir « autosuffisante », une stratégie de marque
s’esquisse derrière la volonté de
créer des antennes ou des alliances. Et, à écouter Richard
Descoings, ce n’est qu’un début
ou presque.
L. A.
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 1/5
Le changement et l’innovation
peuven t venir d’un des
temples du système.
estiné à relever le défi de la
miniaturisation extrême, Minatec, marque déposée du CEA,
veut devenir le premier pôle européendu secteur et l’undes trois sites
mondiaux. Inauguré en 2006 et initié par l’Institut national polytechnique de Grenoble et le CEA, Minatec (micro et nanotechnologies)
concentre sur 8 hectares la recherche, l’enseignement et le développement industriel de composants électroniques. Près de
4.000 personnes travaillent sur ce
site,quijouxteleLéti,laboratoiredu
CEAetpremiercentreeuropéende
recherche appliquée en microtechnologies. Dans les cinq ans, le pôle
devrait induire 5.000 emplois dans
l’industrie ou les services.
En créant le concept Minatec,
Jean Therme, directeur du CEA, a
suivi la tradition grenobloise. « La
technopole réunit des caractéristiques très particulières : elle s’alimentedefaçontotalementendogène,
ce qui la différencie fortement des
technopoles créées ex nihilo. Ce modèle est stable à long terme. Il repose
surlaprésenced’un enseignementde
hautniveau etde puissantscentresde
recherche, couplés avec des groupes
industriels, des entreprises traditionnelles et des start-up. » Minatec, au
fond, rassemble en un même site ce
qui se pratiquait auparavant de manière éclatée dans l’agglomération.
Depuis le début du XXe siècle,
avec l’apparition de l’hydroélectricité,lesGrenoblois cultiventun modèle illustré par la synergie du triptyque enseignement-recherche
-industrie. Une constance qui permetd’afficherunepopulationscientifiqueparmilesplusimportantesde
France, avec 17.000 emplois dans la
recherche, 220 laboratoires,
5 centres internationaux de recherche,10écolesd’ingénieursetun
potentiel de formation de
61.000 étudiants.
Investissements massifs
Lescollectivitéslocales,conscientes
qu’un emploi dans la recherche en
crée trois dans les services et la
sous-traitance, ne se contentent pas
d’engranger les bénéfices de ce développement, mais investissent
massivement (150 millions d’euros
entre2002et2006) pour financerde
nouvelles infrastructures de recherche,encomplémentdescrédits
du CEA-Létiet de l’INP Grenoble.
Les plates-formes de recherche
communes se multiplient, notamment à Minatec. La pluridisciplinarité est en effet plus que jamais la
règle, les nanotechnologies se trouvant à la croisée de plusieurs
sciences et techniques. Reste l’objectif premier − un vrai défi −, celui
deproduireindustriellementàGrenobleleplusgrandnombrepossible
des applications issues des laboratoires.
GABRIELLE SERRAZ
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 5/5
L’associationdelarecherche,de
l’enseignement et de la production est non seulement nécessaire mais aussi possible en
France.
HEC, grande école
devenue mondiale
36
P
riorité à l’international ». Depuis douze ans qu’il està latête
d’HEC, Bernard Ramanantsoa ne
cesse de répéter ce mot d’ordre.
Une constance payante : école
avant tout hexagonale jusque dans
lesannées1990,HECs’estmuéeen
une « business school » qui compte
sur la scène européenne et mondiale. En témoignent les classements du « Financial Times », référence en la matière : le groupe est
depuis trois ans numéro un européen pour les masters et vient de
décrocher la deuxième place mondiale pour son MBA Trium en
coopération avec New York Stern
University et la London School of
Economics. Autre signe moins
connu : en Chine, HEC forme les
dirigeants des entreprises privatisées. Aujourd’hui, 30 % de ses diplômés débutent hors de France,
32 % de ses professeurs sont étrangers et son MBA accueille 84 % de
participants internationaux.
« Effort au long cours »
« Plutôt que d’une stratégie de rupture, cette progression résulte d’un
effort au long cours, sur les quinze
ou vingt dernières années », estime
Henri Proglio, PDG de Veolia et
président du conseil d’établissement de l’école. L’école a ainsi mis
l’accent sur la recherche et l’excel-
lence académique, avec le fameux
précepte anglo-saxon « publish or
perish » (publier ou périr). Elle a
tissé des accords avec des partenaires de premier plan, dans le
cadredeTriumcommedel’associationde 17grandesinstitutionseuropéennes. Enfin, elle s’est attachée à
communiquer à l’international.
Bref,HECa accepté les règles de la
globalisation. « Le groupe a su évoluer sans varier dans sa stratégie,
souligne Jean-Paul Vermès, viceprésident de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris en
chargede la formation.Son projet a
toujoursavancédanslamêmedirection. » Avec le soutien constant de
la CCIP, qui lui a accordé l’an
dernier une dotation de 120 millionsd’eurossurcinqanspourrénoverson campusetrenforcer lecorps
professoral. Et de la Fondation
HEC, qui lui apporte cette année
4 millions d’euros.
JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
En maintenant l’effort dans la
durée, une institution française
peut s’imposerdansundomaine
typiquement anglo-saxon.
12 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Un territoire en plein mouvement
E
n France, laproduction,l’emploi et la population ne font
pas preuve d’un même dynamisme dans tous les territoires. La
région parisienne tient ainsi dans
ce pays une place toujours aussi
prépondérante, à peine écornée
par la décentralisation, avec près
de 30% de la valeur ajoutée nationale. La moitié de la production
nationale est assurée par quatre
régionssur vingt-six. Les disparités
en matière de PIB sont tout aussi
criantes. Ramené par habitant,
seul celui d’un Francilien se situe
au-dessus de la moyenne nationale.
Ces quelques chiffres donnent
la mesure des déséquilibres entre
territoires. Mais depuis une dizaine d’années, des dynamiques,
suffisamment régulières et puissantes pour faire bouger les lignes,
se font sentir. La décentralisation
administrative lancée audébut des
années 80 n’y semble pas pour
grand-chose.Les géographes et les
économistes remarquent que les
régions des façades ouest et sud du
pays − dela Bretagne àla Corse en
passant par l’Aquitaine et MidiPyrénées − connaissent des taux
de croissance de production, mais
aussi de population, plus élevés
quelamoyenne.Dansunesortede
cercle vertueux, cette France qui
attire davantage de ménages et
d’actifs séduit dans leur sillage des
entreprises plus mobiles que leurs
aînées de l’industrie lourde. Souvent liées au secteur tertiaire,
épaulées par les nouvelles technologies, elles vont là où se trouve la
main-d’œuvre qualifiée. C’est
ainsi que l’on voit − remarque et
s’alarme en même temps le Bipe −
émerger des territoires cumulant
les avantages (avancées démographiques économiques et même
qualité de vie) au détriment des
autres.
D’autres lignes de force traversent le pays, faisant apparaître, à
l’échelle des territoires locaux, une
France très hétérogène d’espaces
urbains, périurbains et ruraux, de
zones d’emploi et autres bassins de
vie. On y distingue d’un côté des
espaces de croissance, de l’autre
des zones fragiles. Dans la première catégorie, on trouve les métropoles régionales, d’une taille
leur permettant d’entrer plus facilement dans les économies de la
connaissance et de constituer des
pôles capables d’agréger des compétences, des activités à forte valeur ajoutéeet des capitaux deplus
en plus mobiles. Plusieurs de ces
zones parmi les plus qualifiées et
innovantes, déjà orientées vers les
secteurs les plus porteurs comme
Grenoble ou Toulouse, parviennent même à accroître l’emploi
industriel.
Mais la taille n’explique pas
Lyon apporte le concours
de ses forces vives aux entrepreneurs
37
DE NOTRE CORRESPONDANTE
À LYON.
AFP, Hemis.fr
A
Le quota de porteurs de projets bénéficiant d’un accompagnement dans l’aire urbaine lyonnaise est 2 fois supérieur au reste de l’Hexagone.
l’étranger et accroître la visibilitéde
ce territoire. Une autre des actions
phares de cette démarche fédérative a été baptisée « Lyon, ville de
l’entrepreneuriat »etentend réveillerl’envied’entreprendre.Elleaété
lancée en 2004 lors du Salon des
entrepreneurs.
Tout est parti du constat dressé
audébutdes années 2000 :cettecité
« au tissu économique mature était à
la traîne en matière de création d’entreprises », rappelle Christophe Cizeron, directeur du cabinet de Gérard Collomb à la Communauté
urbaine de Lyon. Le programme
européen Pacerel a servi de déclencheur pour mener un long diagnostic ayantpermisderecenseretauditionner tous les protagonistes
Marque ombrelle
Les 6 présidents constituant le
conseil de gouvernance se réunissent au moins 2 fois par an et
délibèrent sur les propositions du
directoire, constitué des 6 directeurs de ces instances, qui se retrouvent, eux, tous les mois. « C’est
parce que nous avions appris à travailler ensemble que nous avons pu
monter les dossiers de 5 pôles de
compétitivité labellisés », dit Franz
Morize.Autreexemple :lacréation
de la marque ombrelle OnlyLyon,
adoptéepartoutes lesinstitutionset
de plus en plus d’entreprises pour
communiquer d’une même voix à
39
opérant dans ce domaine en les
repositionnant le cas échéant sur
leur cœur de métier pour éviter les
chevauchements.Aujourd’hui, une
quarantaine de structures a intégré
le dispositif Lyon, ville de l’entrepreneuriat auquel ont adhéré le
barreau, l’ordre des experts-comptables et la chambre des notaires.
Agrément
Pour aller plus loin dans la recherche de qualité,ilaété décidéde
mettre en place un agrément en
bonne et due forme des différentes
entités. Chacune est en train de se
faire auditionner par un cabinet
indépendant sur la base de 10 critères : accueil des porteurs de projet, respect de la confidentialité,
plus ambitieuse en 1994, qui lui
donne cette fois les moyens d’agir
dans la gestion des transports express régionaux. La mise en service, cette même année, d’une
nouvelle liaison InterLoire entre
Orléans et Nantes permet par
exemple un gain de temps d’une
heure sur le trajet.
DE NOTRE CORRESPONDANTE
À ORLÉANS.
L
AFP
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
réorientation vers d’autres circuits…,letout donnant lieuàl’attribution d’une note de 1 à 100.
Par ailleurs, une base de données
communes est en cours d’élaboration par la CCI de Lyon pour en
optimiser encore le fonctionnement. LeGrandLyon,quiconsacre
un budget annuel de 1,5 million
d’euros à cette ligne, procédera à
une évaluation de cette politique
mais peut, d’ores et déjà, affirmer
que cette mise en réseau se traduit
par un temps de parcours réduit
pour l’entrepreneur en herbe. Les
statistiques montrent, elles,
qu’entre 2001et 2006, lenombrede
créations dans l’aire urbaine lyonnaise affiche une croissance cumulée de 21 %, contre 16 % pour la
moyenne française. Ou encore que
le quota de porteurs de projets
bénéficiant d’un accompagnement
y est 2 fois supérieur au reste de la
France : 20 % à Lyon, contre 10 %
ailleurs. Le modèle intéresse d’ores
et déjà d’autres villes comme Grenoble, Saint-Etienne ou même
Metz.
MARIE-ANNICK DEPAGNEUX
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 4/5
Une coopération en profondeur des institutions est cruciale pour rendre une ville attractive.
La région Centre réussit le rail décentralisé
e pari pouvait sembler risqué.
LarégionCentren’apourtant
pas hésité. Plus tôt que d’autres,
elle a cru à la relance du trafic
ferroviaire régional et a été la première à prendre le train de la
décentralisation des trains express
régionaux, ou TER. « A l’époque,
la SNCF estimait que ces lignes
secondaires n’étaient pas rentables
et qu’il fallait les fermer. Ici, les élus
ont fait le choix inverse », souligne
Jean-Michel Bodin (PCF), viceprésidentchargé des transports depuis 1998, qui s’inscrit dans la
droite ligne delapolitiqueengagée
voilà plus de vingt ans par la précédente majorité.
C’est en 1986 que la région commence à explorer cette voie nouvelle, bien avant le transfert de la
gestion du transport régional de
voyageurs aux régions en 2002 et
l’expérimentation de 1997. L’impulsion est donnée par le président
UDF, Maurice Dousset, qui fait
Bayonne
donne
une seconde
vie à son
centre-ville
38
DE NOTRE CORRESPONDANT
À BAYONNE.
E
n adoptant le slogan « Grand
Lyon, esprit d’entreprise »,
élus, patronat et instances professionnelles se sont engagés dans
une cogestion du développement
économiquedeladeuxièmeagglomération française. Une petite révolution des mentalités supposant
que chacun reconnaisse la légitimité de l’autre à agir sur ce champ
par-delà les clivages gauchedroite. L’idée, née sous la mandaturede Raymond Barre à la fin des
années 1990, a été dynamisée par
son successeur,lesocialisteGérard
Collomb, « qui s’est impliqué personnellement dans cette démarche », atteste Franz Morize,
délégué général de la CGPME du
Rhône. Cette confédérationfigure
parmi les 6 institutionnels fondateurs aux côtés de la communauté
urbaine, de la chambre de commerceetd’industrie,delachambre
des métiers et de l’artisanat, du
Medef local ainsi que du pôle de
recherche et enseignement supérieur université de Lyon.
tout. Car si de petites zones, peu
qualifiées, dispersées, spécialisées
dans des secteurs exposés à la
concurrence des pays à bas coût
(Epinal, Troyes, Roanne, SaintQuentin, etc.) peinent à retenir les
emplois, d’autres, espaces ruraux
et petites villes, pas seulement recherchés pour leur cadre de vie,
connaissent des évolutions favorables, notamment dans le Grand
Ouest. Ces petits territoires abritent souvent des réseaux d’organisation où les acteurs se plaisent à
agir en coopération, s’accommodant de la complexité de l’organisation territoriale française, perçue comme une source de stérilité
des initiatives locales.
PH. M.
Plus tôt que d’autres, dès 1986, la région Centre a cru à la relance
du trafic ferroviaire régional.
alors voter la conclusion d’un accord de partenariat avec la SNCF.
« Nous ne pouvions intervenir qu’à
la marge sur les dessertes par rapportà un service de référence assuré
par la SNCF, mais c’était déjà un
gros progrès, car, à l’époque, on
parlait plutôt de fermer des gares
que d’en ouvrir », note Catherine
Monsigny, chef du pôle commercial à la direction des infrastructures et des transports du conseil
régional.
Après avoir enregistré une
hausse du trafic de 19 %, la région
passe une nouvelle convention
Horaires adaptés aux besoins
La région s’engage aussi dans une
politique de modernisation des
gares et du matériel roulant et se
porte candidate lorsque l’Etat invite les régions à devenir autorité
organisatricedutransportdevoyageurs à titre expérimental à partir
de 1997. Là encore, elle se veut en
pointe en insistant sur la qualité du
service, mesurée par des indicateurs objectifs. Elle crée un système de bonus/malus pour inciter
la SNCF à tenir ses engagements,
repris en 2002 lorsque la décentralisation est étendue à toutes les
régions.
A l’heure du bilan, le succès est
aurendez-vous.« Nousavonsdou-
blé l’offre et multiplié par trois le
nombre de voyageurs, avec plus de
90.000 usagers par jour », poursuit
Jean-Michel Bodin. Les dessertes
sont passées au crible, les horaires
adaptés aux besoins des usagers,
les tarifications modifiées pour attirer de nouveaux publics. Une
forme de titre unique de transport
(carte Multipass) est mêmeexpérimentée dès 1999. Le réseau
compte aujourd’hui 135 gares rénovées sur 160. Quant aux rames,
elles ont été modernisées ou renouvelées à 93 %, avec plus de
300 millions d’euros investis en
matériel depuis dix ans.
CHRISTINE BERKOVICIUS
Degré d’originalité 1/5
Possibilité de diffusion 5/5
Dans certains domaines, les
pouvoirs locaux doivent avoir
la main. Bel exemple d’application du principe de subsidiarité.
u confluent de l’Adour et de
la Nive, Bayonne, depuis
qu’elle a été rattachée au royaume
de France en 1451, n’a cessé de
densifier ses quartiers anciens
contenus derrière les remparts. Devenus en 1975 un secteur sauvegardé de 82 hectares, ceux-ci
avaient cependant été petit à petit
désertésparlapopulation.Un logement sur cinq y était vacant. S’appuyant sur la loi Malraux et les
dispositifs de réhabilitation de l’habitat,lavilleaalorsdécidédemettre
enœuvre,àpartir de 1979, plusieurs
programmes qui, en une douzaine
d’années, ont permis de rénover
2.068 appartements. Parallèlement
àlamiseauxnormesdubâti,l’architecte Alexandre Mélissinos s’est attachéà enconserver leurcachet et à
donner uneunitéàl’ensembledece
paysage urbain. Anémié par l’attractivité des communes périphériques et de ses centres commerciaux, le cœur historique de la cité a
ainsi été transfiguré par une action
de longue haleine de la municipalité, qui a permis d’y faire revenir
habitants et consommateurs.
Navettes électriques gratuites
Depuis, les quartiers centraux revivent, la population de la ville est
repartieà la hausse : de 40.000 habitants en 1999, elle est passée à
presque 45.000 en 2007. Si beaucoupdejeunesménagesnepeuvent
trouver du foncier qu’à l’extérieur
de la ville, certains préfèrent toutefois aujourd’hui la vie urbaine dans
les quartiers des « Petit » ou
« Grand Bayonne ». Encore fallaitil que l’offre commerciale suive :
parfois vieillot, manquant de locomotives, le petit commerce de
centre-ville a repris des couleurs
avec la création en 1998 de l’Office
de commerce. Expériencepiloteen
France, cet organisme réunit les
commerçants, la ville, la CCI, la
chambre des métiers et l’office de
tourisme avec un même objectif :
animerlacité,enrefaire« lepremier
centre commercial de la région »,
selon l’expression de Dominique
Destribats, président de l’Office.
Troisième initiative : depuis décembre 2003, un réseau de navettes
électriques gratuites draine vers le
centre les automobilistes ayant stationné leur véhicule dans les parkings implantés au pourtour du
centre-ville. En septembre 2008,un
nouveau site universitaire édifié sur
des terrains occupés auparavant
par l’armée viendra apporter une
nouvelle animation au cœur de la
cité.
PIERRE ETCHELEKU
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 5/5
Une municipalité active peut
renverser des tendances longues comme le déclin du
centre-ville.
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 13
Cartons rouges
Port deMarseille. Certes,c’est le « port de
tous les talents », le premier français et le
troisième d’Europe, plus de 20.000 emplois
induits,plusde100millionsdetonnesdetrafic
l’an dernier pour la première fois depuis un
quart desiècle.Maisquelgâchis !Alorsquela
ville de Marseille connaît une véritable renaissance, son port continue de perdre du
terrainenMéditerranée et les grèves àrépétition continuent d’éroder sa crédibilité. La
comparaison avec Barcelone est cruelle.
l Boulogne-Billancourt face à la fondation
Pinault. C’était l’histoire d’un musée qui
devait s’installer sur l’îleSeguin pour abriter les collections
deFrançoisPinault.C’est devenuunmusée…vénitien.Le
fondateur de PPR a certes slalomé. Mais la mairie de
Boulogne-Billancourtalâchéuneoccasionqu’ellen’aurait
jamais dû laisser filer. Un fiasco qui reflète le drame des
maires qui se croient éternels et des écolos parfois benêts.
l
INTERVIEW
MICHEL ROUSSEAU
PROFESSEUR À PARIS-DAUPHINE
« Le nombre d’initiatives
dans ce pays
est impressionnant »
AFP
Professeur à Paris-Dauphine, spécialiste
des mutations des tissus économiques,
Michel Rousseau a mené de nombreux
travaux sur l’économie locale.
Millau ou le viaduc
40 des records
Il a été emprunté par 4,4 millions de véhicules l’an dernier, un chiffre
supérieur aux prévisions initiales. Il attire 500.000 touristes par an pour la
plus grande joie des commerçants de la sous-préfecture de l’Aveyron. Il a
accueilli 10.000 coureurs le 13 mai dernier dans le cadre d’un semi-marathon. Il a même été survolé le 19 septembre dernier par un Airbus A380
passant à 150 mètres seulement au-dessus du sommet des piles, pour les
besoins d’un film publicitaire. Recensé 730.000 fois sur Google, le viaduc
autoroutier de Millau n’en finit pas de jouer les vedettes et de collectionner les records. Plus long viaduc multihaubanné au monde − 2.460 mètres
de tablier métallique supportés par sept piles en béton armé hautes
41
Valenciennes a gagné la bataille
pour l’emploi
DE NOTRE CORRESPONDANT
À LILLE.
U
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
n visiteur qui reviendrait
pour la première fois depuis dix ans à Valenciennes ne
reconnaîtrait pas l’agglomération. L’atmosphère lourde d’un
territoire ravagé par un chômage
de 24 % en 1997, sapé par les
crises textile, sidérurgique et minière, a complètement disparu.
Le tramway flambant neuf qui
traverse l’intercommunalité aux
artères rénovées incarne ce lent
travail de reconquête. JeanLouis Borloo, alors maire, avait
bien choisi le nom du nouveau
théâtre, le Phénix, premier investissement public majeur dans la
capitale du Hainaut français. Le
taux de chômage est aujourd’hui
tombé à 13 % et les élus locaux
osent enfin envisager le seuil des
10 %.
Cette métamorphose doit
beaucoup aux crédits européens
mais aussi à l’état d’esprit général, y compris du côté de l’Etat et
42
de la CCI du Valenciennois, qui
ont su faire front commun pour
rebondir, à commencer par l’implantation déterminante de
Toyota, ses 4.000 emplois et ses
multiples sous-traitants. L’Etat a
même inventé pour l’occasion le
concept de préfet ad hoc nommé
pour aplanir toutes les aspérités
du dossier. Les oppositions politiques, fortes dans un territoire
où la présence communiste fut
longtemps très puissante, ont
également cédé le pas devant la
mobilisation générale pour le développement économique. Valenciennes Métropole, présidé
par Jean-Louis Borloo, s’est emparé de cette compétence avec
conviction : réseau à haut débit
pour les entreprises, multiplication des zones d’activité, y compris franches, mais aussi accompagnement le plus poussé aux
entreprises.
Témoin, le service d’accueil
aux entreprises (SAE) inventé
en 1999 dont l’objectif premier
était de prendre par la main les
expatriés japonais de l’usine
Toyota à Onnaing, perdus dans
un pays et une région très étrangers à leur culture. « On nous a
baptisés longtemps “ cellule
Toyota ”, mais nous avions élargi
au bout de six mois nos activités à
tous les cadres et nouveaux arrivants », explique Ingrid Blasquez, en charge du SAE. Logement, scolarité des enfants,
emploi du conjoint… Les services du SAE apportent un vrai
plus aux implantations. La structure va à nouveau œuvrer à plein
régime les prochains mois, dans
le cadre de l’investissement massif du pharmacien GSK à SaintAmand-les-Eaux, qui doit créer
600 emplois.
Projet de technopole
La diversification tertiaire d’un
territoire naguère entièrement
industriel s’accroît au rythme de
la renaissance commerciale du
centre-ville, mais aussi du choix
du numérique, porté depuis des
années par la CCI du Valencien-
nois et par une université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC) aux résultats de
placement exceptionnels. Un
projet de technopole est d’ailleurs dans les circuits dans le
prolongement de l’UVHC, qui
permettrait aussi de capitaliser
autour du pôle de compétitivité à
vocation mondiale I-Trans, axé
sur l’industrie ferroviaire. Signe
tangible de retournement structurel, la ville-centre, qui était descendue sous les 37.000 habitants,
a dépassé à nouveau nettement
les 40.000 habitants. Les grues
travaillent sans relâche pour
construire de nouveaux logements.
OLIVIER DUCUING
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 3/5
Un bastion industriel peut rester un bastion industriel à
condition de tout réinventer.
Michel Rousseau.
e TGV Est ne profite pas
seulement à la Lorraine ou à
l’Alsace. Les grues et les bétonnières ont réveillé la « belle endormie » qu’était Reims avant que le
TGV n’ouvre devant Paris les territoires de l’Est. L’une des empreintes les plus visibles de cette
nouvelle effervescence est la renaissance du quartier du Clairmarais. Derrièrela gare TGV-Centre,
totalement rénovée et modernisée, l’habitat ancien et délabré a
petit à petit cédé la place à un
quartier d’affaires flambant neuf.
Plusieurs milliers de mètres carrés
de bureaux et de logements y ont
été construits par des investisseurs
privés.
Nourri par les nouveaux flux
ferroviaires qui placent Reims à
quarante-cinq minutes de Paris et
trente minutes de Roissy, le Clairmarais participe de la transformation de Reims, qui voit ses industries traditionnelles (métallurgie,
chimie, mécanique) remplacées
par des sociétés deservice.Entrois
ans, près de 2.000 emplois ont été
créés par 22 producteurs de service, que ce soit dans la finance
(ING-Direct), la relation client
(Techcity, Intra Call Center) ou
l’informatique (Ikoula). Selon
l’agence Reims Champagne Développement (RCD), ces créations ont déjà généré près de
62 millions d’euros sur l’agglomération, dont 3 en recettes fiscales.
Economies
En faisant entrer la Cité des sacres
dans lecercledesvilles delagrande
couronne parisienne, le TGV Est
permet d’établir un nouveau comparatif des coûts de fonctionnement d’une entreprise. Une implantation à Reims permet ainsi
selon RCD d’économiser par an et
par salarié de 600.000 euros (Vélizy-Villacoublay) à 1,2 million
d’euros. Au sud de Reims, la zone
d’activités de Bezannes, près de la
gare nouvelle Champagne-Ardenne TGV, compte sur cet argument pour se développer :
350.000 mètres carrés y sont à
construire, dont 10.000 livrés en
2007 et 7.500 programmés pour
2008. Grand réaménageur d’espace urbain, la première ligne du
tramway rémois reliera en 2010
cette gare nouvelle encore isolée
au reste de la ville. Cette extension
jusqu’à Bezannes n’était pas prévue dans la première mouture du
projet. Le TGV l’a rendue inévitable.
DOMINIQUE CHARTON
Degré d’originalité 2/5
Possibilité de diffusion 4/5
L’impact des grandes infrastructures dépasse largement
leurs effets directs.
Qu’est-ce qui fait le dynamisme de certains territoires en France ?
C’est généralement dû à des traditions
entrepreneuriales et à des initiatives locales encouragées par le sentiment d’appartenance à une province, une région,
un département, bref,une communauté.
C’estle cas de laBretagne,delaVendée,
de l’Alsace... On peut parler dans ce cas
d’une sorte d’héritage culturel, qui encourage l’effet réseau.
La puissance publique a tenté de soutenir ces initiatives
locales à travers les systèmes productifs locaux ou, plus
récemment, les pôles de compétitivité. Est-ce une bonne
chose ?
Non. A partir du moment où les fonctionnaires considèrent qu’ils peuvent organiser eux-mêmes les entrepreneurs, cela devient une catastrophe. Quand la Datar a
terminé, à la fin du siècle dernier, sa formidable mission
de redistribution de la richesse à travers les territoires,
elle s’est demandée quoi faire. On a ainsi vu naître sa
volonté de devenir un organisateur de systèmes de
production,typedistrictsindustrielsàl’italienne. Or iln’y
a rien de plus dévastateur que de mettre des fonctionnaires au milieu des entrepreneurs pour les organiser.
Cela ne peut pas marcher.
Une décentralisation accrue ne permettrait-elle pas alors
de libérer plus intelligemment les énergies locales ?
La richesse ne naît pas n’importe où ! Elle naît dans
l’entreprise, dans la confiance que l’entrepreneur a en
lui-même et dans son environnement, notamment celui
apporté par les pouvoirs publics en matière de fiscalité,
deréglementation, etc.Lessystèmesquiproduisent dela
richesse sont ceux où les entrepreneurs partagent leurs
expériences, font circuler l’information entre eux et se
trouvent dans une perspective confiante de développement. Le nombre d’initiatives dans ce pays est impressionnant ! Mais sans méthode ni stratégie. Alors ces
initiatives restent confidentielles puis s’étiolent. Il
manque dans ce pays une méthode et une stratégie,
territoire par territoire, conduite par les entrepreneurs
eux-mêmes. Ce qui m’inquiète beaucoup aujourd’hui,
c’est la perte d’influence des chambres de commerce et
d’industrie, étouffées par les agences régionales de
développement, les comités d’expansion et autres structures du même genre. Alors qu’elles ont un atout
irremplaçable : elles sont l’émanation des chefs d’entreprise. A ce titre, elles devraient pouvoir servir d’élément
fédérateur des PME, qui sont à la peine dans notre pays
et à qui il faut impérativement redonner confiance.
PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MOREAU
Le TGV fait bouger les lignes à l’Est
DE NOTRE CORRESPONDANT
À REIMS.
L
performances dont la plus haute culmine à 245 mètres −, cet ouvrage qui
relie le causse Rouge aux Grands Causses en passant à 270 mètres
au-dessus du Tarn est devenu, depuis son inauguration, le 14 décembre
2004, la vitrine du savoir-faire français actuel en matière de travaux
publics.
Conçu par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Michel Virlogeux,
dessiné par l’architecte britannique sir Norman Foster, qui lui a imprimé
une courbure (vu d’avion) s’inscrivant dans un cercle de 20 kilomètres de
rayon, réalisé en trente-huit mois seulement et sans aucun accident
mortel par le groupe français Eiffage dans le cadre d’une concession de
soixante-quinze ans, le viaduc a réussi l’exploit de faire, tout à la fois,
sauter l’ancien et traditionnel « bouchon routier du 15 août » et de
redynamiser toute une région grâce à l’achèvement de l’autoroute A75
qu’il a permis.
C. B.
Histoire à suivre
Réinventionduréseau ruraldeLa Poste. Après treize
ans de dialogue de sourds, La Poste et l’Association des
maires de France ont signé en 2005 un accord fixant des
garanties relatives à la pérennité et au financement de
2.500 agences communales et intercommunales (sur
17.000bureauxenFrance).C’est unefaçon derépondre à
un problème central de la réforme des services publics en
France − celuidelaprésence de servicespublics enmilieu
rural et de la restructuration des réseaux. Certaines
fonctionsrelevantauparavantdeLaPostesontdésormais
assumées par de petits commerces en milieu rural. Le
processus a des effets majeurs sur l’organisation (regroupement de bureaux et de bureaux distributeurs), sur le
fonctionnement (processus de distribution), sur les ressources humaines (gestion des équipes, remplacement,
rattachement à un secteur) et enfin sur les prestations
rendues (horaires, etc.).
l
14 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les voies nouvelles de la cohésion sociale
D
vers la modernité comporte des
avantages comme des risques mais
si ces évolutions sont non spécifiques à la France, elles ne lassent
pas d’y inquiéter le corps social.
Or les associations sont en
quelque sorte la métaphore du
monde contemporain parce
qu’elles réunissent des gens qui
veulent travailler ensemblenon par
nécessité mais par communauté
d’affinités. Leur fonctionnement
repose non sur des logiques de
besoin mais sur des volontés de
miseenréseaux.Labonnenouvelle
est que, de manière discrète et irréversible, le secteur associatif se développe et innove, affirmant ainsi
sa bonne santé. La France compte
epuis une génération, les observateurs dressent les
constats successifs de retrait de
l’Etat dans de nombreux domaines
etdel’affaiblissement du liensocial,
jusque et y compris dans les entreprises.Les raisons en sont multiples
et tiennent autant à la globalisation
des marchés qu’à la montée de
l’individualisme. Ces tendances ne
font que refléter des évolutions
liées à la société contemporaine.
Les Etats se font de plus en plus
discrets et modestes, économes en
moyens et ciblant leurs actions. Les
individus, quant à eux, affirment
leur volonté d’être les propres acteurs deleur destin et revendiquent
leursidentitésmultiples.Cechemin
aujourd’hui1milliond’associations
etprèsde70.000sontcréées chaque
année.
Loin de se restreindre aux domaines d’actions connus (le
sport, la culture, les activités de
loisir), il investit des domaines
laissés libres par l’Etat comme
certains aspects de l’action sociale, de l’insertion professionnelle ou du développement local.
Structures très réactives, bien
souvent professionnelles dans
leurs modes d’action, les associations s’avèrent capables de détecter de nouvelles aspirations et
d’y apporter une solution souvent inédite et pertinente.
Marie-Noëlle Besançon a
ainsi créé l’association Les Invités au festin pour répondre à la
baisse des moyens financiers
dans le domaine de la psychiatrie. Son association prend en
charge des personnes atteintes
de troubles psychotiques. Carole
Da Silva lutte, depuis 2002, avec
l’Association pour favoriser l’intégration professionnelle (Afip),
contre la situation paradoxale
qui voit un jeune issu d’une minorité visible d’autant plus discriminé qu’il est diplômé. Alexandre Jardin, fondateur de Lire
et faire lire, se bat pour recréer
du lien entre les générations par
l’entremise de la lecture.
Quand elles ont développé
une réelle expertise, les associations apportent leur capacité à
identifier des problématiques sociétales et à proposer des solutions opérationnelles. Ce faisant,
elles contribuent de manière efficace à la cohésion sociale. En
revanche, elles ne peuvent fédérer efficacement des initiatives
qu’à con ditio n d’in s p irer
confiance dans la durée, c’est-àdire en enregistrant des résultats
tangibles et probants. Leur
bonne volonté affichée n’y suffit
pas, tout comme les entreprises,
les associations sont condamnées à réussir pour survivre.
OLIVIER THÉOPHILE
directeur d’études à Entreprise & Personnel
100.000 entrepreneurs, la pédagogie
de l’entreprise à l’école
43
es Français n’aiment pas l’entreprise... » La litanie est récurrente depuis des années dans
l’Hexagone. Plutôt que de s’y résoudre, fin 2006, Philippe Hayat,
quarante-trois ans, polytechnicien, diplômé de l’Essec et « serial entrepreneur », décide de
lancer l’initiative 100.000 entrepreneurs. L’idée est simple : faire
découvrir aux Français ce qu’est
l’entreprise dès leur plus jeune
âge. L’association se donne donc
pour objectif d’organiser des témoignages bénévoles d’entrepreneurs dans les établissements scolaires, de la 3e à l’enseignement
supérieur. « Ecouter un entrepreneur raconter son aventure donne
aux jeunes de 13 à 25 ans des
perspectives professionnelles,
éveille en eux l’envie de s’exprimer
par le travail et de prendre leur vie
en main », explique Philippe
Hayat, qui préside l’association.
Et insiste sur la vertu pédagogique du projet. L’intervention,
explique-t-il, en effet, « montre
qu’il est possible de choisir sa vie
professionnelle et qu’elle peut être
synonyme d’opportunité et d’épanouissement ».
« Trois entrepreneurs sur
quatre sont issus de familles d’entrepreneurs. Cela prouve que
l’acte d’entreprendre n’est pas na-
Quant à SAP, il va développer
des modules d’initiation aux nouvelles technologies en ligne auprès des jeunes concernés.
turel », affirme le fondateur. A
défaut d’un recul suffisant − pour
l’heure, l’association n’intervient
qu’en Ile-de-France et devrait
bientôt être active en RhôneAlpes − pour savoir si cette initiative fera naître de réelles vocations d’entrepreneurs, le projet
semble faire recette. « En moins
d’un an, l’association a trouvé sa
place auprès du monde entrepreunarial et des enseignants », explique encore Philippe Hayat.
Vers les jeunes des ZEP
Le 13 décembre 2006, une charte
visant à favoriser l’accès à l’égalité des chances a été signée avec
l’ex-ministre de l’Education,
Gilles de Robien. L’objectif est
de démarcher prioritairement,
académie par académie, les
jeunes des ZEP et des « quartiers
sensibles », même si l’association
a vocation à s’adresser à l’ensemble des jeunes. Un partenariat sera signé le 15 novembre
prochain avec l’académie de Paris, en présence de Xavier Darcos, le ministre de l’Education,
au lycée Paul-Valéry, dans le
12e arrondissement de Paris. Plus
d’un millier d’entrepreneurs et
plusieurs centaines d’enseignants ont déjà rejoint l’initiative, permettant de programmer
DR
L
« Ecouter un entrepreneur raconter son aventure donne aux jeunes de 13 à 25 ans des perspectives
professionnelles, éveille en eux l’envie de s’exprimer par le travail et de prendre leur vie en main », explique
Philippe Hayat (ici, lors d’une intervention à Bondy), président de l’association 100.000 Entrepreneurs.
quelque 250 interventions dans
des établissements scolaires et de
toucher plus de 7.000 élèves. Objectif à cinq ou d ix ans :
100.000 interventions qui permettraient de toucher 3 millions
de jeunes chaque année.
Quatre grands groupes sont
venus apporter leur soutien financier à cette initiative : les
Caisses d’Epargne, SFR, SAP et
le groupe PPR de François Pinault. En octobre dernier, celuici a rejoint le projet via son association SolidarCité, dont la
vocation est de soutenir les initia-
tives des collaborateurs du
groupe en matière de solidarité,
de cohésion sociale ou d’égalité
des chances. Chaque fois, l’appui
financier se double d’un partenariat opérationnel. SFR propose
déjà des stages d’observation
dans son réseau de boutiques.
« Beaucoup d’idées reçues »
« Il y a beaucoup d’idées reçues
sur la difficulté de la création
d’entreprise en France. Un bon
projet avec un bon entrepreneur
trouve toujours de l’argent sur le
marché. Le problème, c’est qu’il y
a très peu de fonds d’amorçage
disponibles dans le secteur des
nouvelles technologies. Il y a
4.000 “business angels” en
France, contre 40.000 en GrandeBretagne et 400.000 aux EtatsUnis », souligne Philippe Hayat,
qui enseigne la finance d’entreprise à l’Essec. L’ex-fondateur de
l’incubateur Kangaroo Village
(revendu à la Société Générale
en 2003), en est à sa quatrième
aventure en treize ans. Mais cette
fois-ci, à la tête d’une start-up à
but non lucratif.
C. F ET P. DE G.
Degré d’originalité 4/5
Possibilité de diffusion 5/5
La pédagogie entrepreneuriale peut faire bon ménage
avec la pédagogie scolaire.
Force Femmes, une initiative
de dirigeantes indignées
45
AFP
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
C
Lire et faire lire, le goût
44 des livres dès l’enfance
Des retraités qui racontent des histoires aux enfants :
le principe de l’association Lire et faire lire est on ne
peut plus simple. L’effet madeleine de Proust est
immédiat. Tout le monde ou presque a fait, étant petit,
l’expérience de la lecture avec ses grands-parents.
Lancée en 1999, l’association, portée par la figure
médiatique de son cofondateur Alexandre Jardin,
compte aujourd’hui plus de 11.000 bénévoles. Près de
5.000 structures éducatives lui ont ouvert ses portes,
parmi lesquelles principalement des écoles, mais aussi
des crèches, des collèges, des centres de loisirs, des
bibliothèques ou encore des hôpitaux. Environ
250.000 enfants ont ainsi pu écouter les récits de ces
lecteurs du troisième âge. Les ingrédients de la réussite ? « Il nous fallait trouver une pratique reproductible, qui ne dépende pas du génie supposé de deux ou
trois personnes, et qui mobilise les réseaux existants
plutôt que de partir de zéro », indique le romancier à
succès, qui a convaincu la Ligue de l’enseignement et
l’Union nationale des associations familiales (Unaf) de
faire route avec l’association. Ce faisant, celle-ci a pu
bénéficier de leur savoir-faire en matière d’implantation locale, de financement et de crédibilité. Pour
mener à bien ses opérations, Lire et faire lire mobilise
ainsi deux millions d’euros chaque année, alors que
son budget propre est de 250.000 euros. Si certaines
entreprises mécènes ont quitté le navire, l’Education
nationale a en partie pris le relais. Pour s’assurer que
l’enthousiasme du début ne retombe, des chartes
définissant le rôle et les engagements de chacun sont
signées avec les partenaires. Et, à chaque signe d’essoufflement, Alexandre Jardin relance la machine : un
passage à la télé ou une opération avec la presse
quotidienne régionale et « ça cartonne : les volontaires accourent ».
CA. F.
hristina Fernandez de Kirchner, cinquante-quatre ans,
tout juste élue présidente d’Argentine, après Michelle Bachelet,
cinquante-cinq ans, présidente du
Chili, et en attendant Hillary Clinton (soixante ans) aux EtatsUnis… Le XXIe siècle sera-t-il
enfin celui de l’égalité entre les
hommes et les femmes ? Malheureusement, derrière ces destins
extraordinaires, les stéréotypes
n’ont pas disparu. Surtout en
France. Prenez l’exemple des
femmes cinquantenaires qui cherchent un emploi. « Là, c’est le
triangle des Bermudes, ironise Véronique Morali, administratrice
de Fimalac, fondatrice de Force
Femmes. Sur le marché de l’emploi, les femmes sont en risque à
partir de 45 ans, au moment où
elles sont en pleine possession de
leurs facultés intellectuelles, où
elles ont de l’expérience, de la maturité et éventuellement une plus
grande disponibilité car leurs enfants ont grandi. »
C’est ainsi que, il y a deux ans,
avec le petit cercle de femmes
chefs d’entreprise qui ont lancé le
Women’s Forum, Véronique Morali lance l’association Force
Femmes pour soutenir l’emploi
de femmes de plus de 45 ans.
« Nous avions toutes autour de
nous des exemples de femmes en
difficulté, à l’issue d’un licenciement, d’un divorce, d’un deuil... et
le sentiment qu’il fallait bouger
pour lutter contre une double discrimination du sexe et de l’âge. Ce
n’était pas glamour et notre projet
a été accueilli avec un grand scepticisme. » Dans les salons parisiens,
on leur a souvent demandé ce
qu’elles, des femmes riches et qui
ont réussi, allaient faire dans cette
galère. Bénévole, Véronique Saubot, qui a créé son entreprise
après des années passées chez
Valeo, répond à la vitesse de
l’éclair : « J’ai quarante ans, mais
je suis révoltée par le taux incroyablement faible de l’emploi des seniors en France, et je veux changer
les mentalités. Pour avoir travaillé
dans un grand groupe, je connais
l’inertie du système. Et je veux
renforcer la création d’entreprises
en France. »
Transmission de savoir
Deux ans après sa création,
Force Femmes affiche un bilan
encourageant. Avec des moyens
infimes, puisque le principe repose sur le bénévolat et la transmission de savoir. Des femmes
qui sont en poste, donnent de
leur temps à des femmes découragées de se voir fermer les
portes au motif qu’elles sont trop
vieilles ou trop chères. Celles-ci
s’inscrivent par Internet et sont
ensuite reçues pour un entretien
individuel. « Le but est de casser
le cercle de l’exclusion, explique
la déléguée générale, Elise Moison, par des entretiens individuels, la constitution d’ateliers,
des conférences, une cellule d’accompagnement à la création d’entreprises… ». En deux ans, l’association a reçu individuellement
2.320 femmes et est parvenue
avec ses 85 bénévoles à trouver
230 emplois. Force Femmes aura
15 antennes en province à la fin
de l’année et 25 en 2008. « Pour
créer des antennes à Lyon, Lille
ou toute autre ville, on recherche
parmi nos connaissance une
femme tête de réseau, qui peut
parler à la presse, aux entreprises,
aux bénévoles. Pour décrocher
des emplois, on démarche les entreprises et nos contacts », explique Véronique Morali. Face à
la galère, les femmes se retroussent les manches : un modèle associatif inédit en Europe. Peutêtre parce que les rigidités de
l’emploi et le jeunisme qui règnent en France n’ont pas d’équivalent.
ANNE BAUER
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 4/5
Une association peut être précieuse pour venir en aide à une
population en détresse mal détectée par les indicateurs classiques.
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
- 15
Les Invités au festin, créateurs
de la psychiatrie citoyenne
la psychiatrie, il est important d’essaimer. »
A
Essaimage
Après l’expérimentation est donc
venu le temps de l’essaimage. C’est
là qu’intervient Jean Besançon,
marideMarie-Noëlle, quifut directeur financier d’ungroupe informatique puis formateur, mais qui a lui
aussi attrapé le virus de la psychiatrie citoyenne. Il a lâché son emploi
il y a un an pour se consacrer à
temps plein aux « Invités » et à la
conceptualisation d’un réseau. Car
les demandes d’accueil affluent.
« Nous avons répondu à quatre
d’entre elles à Lille, Lyon, Montpellier et Paris. Ici, nous avons fait le
prototype,nous passons enphase de
pré-série », détaille en souriant le
directeur de l’association et président du réseau IAF, qui vient d’élaborer stratégie et charte.
Besançon a été créé un lieu
de vie pour personnes en détresse psychique où, peu à peu, ses
« invités » reprennent pied. Une alternative à l’enfermement psychiatrique qui constitue le pilote d’un
réseau en train de naître. C’est la
publication desonlivre témoignage
en 2005qui afaitconnaîtrel’expérimentation de Marie-Noëlle Besançon. Depuis 1999,cettepsychiatre a
concrétisésonrêve : créerunlieude
vie alternatif à l’enfermement psychiatrique.Dans« Ondit qu’ilssont
fous et je vis avec eux », la fondatrice de la Maison des sources, à
Besançon (Doubs), raconte la naissance de l’utopie jusqu’à sa réalisation,endévoilantsoncheminement
de thérapeute, la création de l’association Les Invités au festin, en
1990, puis celle du lieu de vie, en
1999. Une expérimentation menée
dans un couvent racheté cette année-là aux capucins et dont les résultats peuvent être chiffrés :
« Deux mille journées d’hospitalisation économisées chaque année, soit
750.000 euros, pour de très bons
résultats », estime-t-elle.
Une centaine de personnes aux
problèmes psychiques plus ou
DR
DE NOTRE CORRESPONDANT
À BESANCON.
Une centaine de personnes aux problèmes psychiques plus ou moins
marqués viennent à l’accueil de jour de la Maison des sources, à Besançon.
moins marqués viennent à l’accueil
de jour de la Maison des sources, et
s’impliquent dans l’une des 35 activités proposées : des ateliers friperie, écriture, informatique, coiffure,
théâtre, jardinerie, menuiserie, Qigong, etc. Elles se mêlent aux
13 personnes hébergées dans la
maison relais intégrée des Capucines et aux bénévoles. Chacune
étant responsabilisée, il est bien
difficile de distinguer les uns des
autres.
Cette absence de frontières est le
principe de base de la Maison des
sources et l’un des éléments clés de
sa réussite thérapeutique. MarieNoëlle Besançon, qui a finalement
lâchésoncabinet depsychiatrelibérale pour se consacrer totalement à
ses « Invités au festin », a l’habitude
de dire que cette maison n’est pas
un lieu de soin, mais un lieu qui
soigne. « Les gens vont mieux, ils
sont moins hospitalisés, ils prennent
moins de médicaments. Vu l’état de
MONIQUE CLEMENS
Degré d’originalité 5/5
Possibilité de diffusion 2/5
Les associations peuvent utilement intervenir dans des domaines officiellement « bien
couverts ».
Passeport télécoms, soutien
pour accéder aux grandes écoles
48
R
une école d’ingénieurs ou de commerce-managementàdesétudiants
issus de zones urbaines sensibles ou
à proximité de ces quartiers.
approcher les jeunes issus de
milieux défavorisés du
monde des grandes écoles puis de
celui des entreprises. Telle est la
mission du Cercle Passeport télécoms où des salariés de SFR,
d’Orange et des principaux équipementiers télécoms jouent les tuteurs pour faciliter l’accession de
jeunes issus de milieux défavorisés
aux grandes écoles. A l’initiative de
l’opérateur mobile SFR, cette association a vu le jour en 2006. Le
« Cercle » s’est alors élargi à
d’autres grands noms du secteur :
Alcatel-Lucent, Ericsson, Motorola, Nokia, Siemens, Nokia-Siemens Networks et, plus récemment, Orange. Concrètement, le
programme vise à faciliter l’accès à
Premiers résultats prometteurs
Des classes préparatoires jusqu’à
l’obtention du diplôme, les élèves
sont accompagnés par un salarié
d’une des sept entreprises partenaires. Endossant le rôle de tuteur,
« ilssontlàpourlesguiderdansleurs
études, les informer sur le monde de
l’entreprise et ses codes mais aussi
pour leur ouvrir leur carnet
d’adresses », explique Benjamin
Blavier, délégué général de l’association et directeur Responsabilité
et Innovation sociale chez SFR. Et
ça marche : Alcatel-Lucent a, par
exemple,mobilisédes salariésaméricains pour donner des cours d’anglais. Mais le tutorat ne fait pas tout
etencore faut-il donnerà ces jeunes
lesmoyens financiersdepoursuivre
leurs études. Pour cela, la chaîne
d’hôtels Formule 1 et le Crédit
Mutuel sont récemment entrés
dans le « Cercle », le premier en
proposant deux nuitées à proximité
des centres d’examen, le second via
un prêt bancaire.
Cette initiative est encore récente mais les premiers résultats
semblent prometteurs : près de 400
élèves ont bénéficié d’un tutorat
individuel l’an dernier. Sur les 273
ayant passéles concours avant l’été,
87 % ont intégré une grande école.
Pour cette année scolaire, 42 lycées
avec des classes préparatoires
(ATS, ECT, TSI) et 29 grandes
écoles ont décidé de jouer le jeu.
« S’il n’y a aucun engagement de
recrutement, le Cercle nous permet
aussi de repérer très en amont les
bons éléments », poursuit Benjamin
Blavier. Un partenariat gagnantgagnant.
FRÉDÉRIC SCHAEFFER
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 5/5
L’égalité des chances peut passer de la pétition de principe à
une volonté concrète, à condition d’associer des partenaires
très différents.
L’Afip, un lien nouveau
entre les entreprises et la banlieue
49
Nes et Cité, pour apprendre à gérer
47 la violence des banlieues
Rien n’y fait : depuis les années 1990, « Vaulx-en-Velin » est synonyme, dans
l’imaginairecollectif,dequartierdifficiledelabanlieuelyonnaiseoùriennepeut
changer.Silesclichés ontlaviedure,etsi defaitla situationyestsansdouteplus
difficile que dans bien des endroits en France, il ne faut pas dire à Abdel
Belmokaden que rien n’y change ! Lui qui fut le premier médiateur de cité de
France, poste créé au lendemain des émeutes de 1990, est un observateur etun
acteur privilégié. Conscient de la limite de son rôle pour transformer le paysage
de la cité, il a décidé de tenter l’aventure du privé en 2001. Etde créer seul, alors,
dans la pépinière « Carco », un cabinet de formation et de médiation en gestion
des conflits et des violences urbaines. Le nom est vite trouvé pour cet homme
d’origine nord-africaine qui est né à Vaulx-en-Velin : ce sera « Nes et Cité » en
référence au prénom de sa fille aînée, Ines, et parce que le mot veut aussi dire
« les gens » en arabe.
En six ans, la société a développé un produit quasi unique de gestion de la
violence. « Nos formateurs et nos consultants scénarisent toutes les situations
de conflit du quotidien, jusqu’au point paroxystique. C’est d’ailleurs là que
réside l’efficacité de la formation et les participants sont capables d’utiliser ce
qu’ils ont appris en trois jours », explique-t-on au sein de l’association. La
démarche semble séduire les entreprises. Dans son portefeuille, Nes et Cité
compte des grands groupes tels que GDF ou Coca-Cola.
Aujourd’hui, la société, qui réalise un chiffre d’affaires annuel supérieur à
700.000 euros, vient de quitter la pépinière d’entreprises qui l’avait vu naître
pour s’installer en centre-ville. Etelle multiplie toujoursles initiatives.Parmiles
plus symboliques, l’opération« Jobset Cités » (uncamion transformé enforum
de recrutement qui sillonne les banlieues parisiennes) ou bien encore, en juin
dernier, « Cité Stadium », qui a permisde réunir au stade Gerland les recruteurs
C. F.
de 24 entreprises et les jeunes en recherche d’emploi.
L’agence nouvelle
des solidarités actives,
une boîte à essais pour
lutter contre la pauvreté
ous les rapports publics ne fi- unique d’insertion, contenu dans le
T
nissent pas dans les oubliettes projet de loi « instituant le droit
de l’administration. L’agence nou- opposable au logement et portant
50
velle des solidarités actives est-elle
une exception qui confirme la
règle… ou un exemple ? Elle a été
créée en 2006 par Martin Hirsch,
auteur du rapport public « Au possible, nous sommes tenus, la nouvelleéquationsociale »publiéunan
plus tôt. Son but est clair : expérimenter et évaluer des programmes
novateurs de lutte contre la pauvreté. Son ambition a, elle, été fixée
par Nicolas Sarkozy lui-même :
« Réduire d’au moins un tiers en
cinq ans la pauvreté » en France.
Dans les faits, l’agence que dirigeait l’ancien patron d’Emmaüs
avant de devenir haut-commissaire
aux Solidarités actives contre la
pauvreté est devenue un laboratoire d’essais de plusieurs projets
mis en place par les pouvoirs publics. Elle a ainsi testé sur le terrain
la modernisation du RMI, via l’expérimentation dans 25 départementsdurevenudesolidaritéactive
(RSA) prévu par la loi de Finances
2007et quiétaitune des 15 propositions du rapportde 2005. Autre test
sur le terrain, celui du contrat
diverses mesures en faveur de la
cohésion sociale » adoptée par le
Parlement le 22 février dernier.
Unemission quiaétéconfirméeces
dernièressemainesparNicolas Sarkozy lui-même.
De toute évidence, le chef de
l’Etat attend beaucoup de cette
structuremandatéepour« transformer en profondeur la prime pour
l’emploi », ou encore « simplifier le
plus profondément possible le régime des contrats aidés » et, surtout,
mettre en place des démarches innovantes sur la santé, les difficultés
de se loger, de se déplacer, de faire
gardersesenfants,d’avoiraccès aux
services bancaires ou de sortir du
surendettement.
C. F.
Degré d’originalité 5/5
Possibilité de diffusion 2/5
Une association efficace et
imaginative peut faire vite
bouger les frontières dans l’action publique.
DR
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
D
es candidats issus de l’immigration découragés, des entreprises encore dans le déni de
leurs pratiques discriminatoires à
l’embauche, et Carole Da Silva au
milieu. Trop, c’est trop : en 2002,
après avoir constaté, dans le cadre
desonmémoirede diplômeuniversitaire, l’ampleur de l’inégalité des
chances en France, Carole Da Silva
décidedefonderl’Association pour
favoriser l’intégration professionnelle (Afip). Son objectif : décomplexer les parties prenantes et rétablir le lien en « dévictimisant » le
jeune demandeur d’emploi et en
« déculpabilisant » l’entreprise.
D’un côté, « il faut redonner
confiance au candidat, car s’il n’y
croitplus,toutentretien d’embauche
est voué à l’échec », explique-t-elle,
et de l’autre, « il faut aussi un gros
travail de sensibilisation des recruteurs, faire tomber les représentations, changer les habitudes très corporatistes. »
L’association compte aujourd’hui trente grandes entreprises
partenaires (Alstom, EDF, Areva,
Danone, SNCF…), qui la cofinancent,aveclarégion Ile-de-Franceet
la Ville de Paris, et lui transmettent
des offres d’emplois. Charge à
l’Afipdeprésélectionner des candidats (qui arrivent à l’Afip via
l’ANPE, l’Apec ou le bouche-àoreille) adaptés parmi les
DR
46
L’Association pour favoriser l’intégration professionnelle accompagne 200 jeunes chaque année, à raison
de deux ateliers de travail par semaine (préparation d’entretien, construction de parcours professionnel, etc).
200 jeunes qu’elle accompagne
chaque année, à raison de deux
ateliers de travail par semaine (préparation d’entretien, construction
de parcours professionnel, etc). En
outre, des cadres supérieurs ou des
dirigeants, séduits par la démarche,
parrainent des candidats et les aident dans leurs démarches.
Ce travail de fourmi, et de fond,
menéparCaroleDaSilva,luiavalu
d’être nommée au Haut Conseil à
l’intégration (HCI) et au comité
consultatif de la Haute Autorité de
lutte contre les discriminations et
pour l’égalité (Halde).
Entreprises « encore modérées »
Autant de postes d’observation des
grandes évolutions de la société
française, sur lesquelles elle porte
un regard optimiste mais lucide.
Depuis la crise des banlieues de
2005, analyse-t-elle, « la volonté des
entreprises de promouvoir l’égalité
des chances est réelle, mais elles sont
encore modérées dans leurs approches. Finalement, les DRH sont
convaincus, mais les opérationnels
n’ont pas envie de prendre de
risques, de sortir de leurs habitudes. »
DEREK PERROTTE
Degré d’originalité 3/5
Possibilité de diffusion 3/5
Despasserelles associatives sont
parfois indispensables pour permettreaux entreprises de passer
du discours à l’acte.
Histoires à suivre
l Women’s forum. Le Forum des femmes pour l’économie et la société n’en est qu’à sa troisième édition, mais il
existe déjà à l’échelle mondiale. Et s’il rassemble à Deauville des femmesd’affaires et d’influence, il contribue aussi
à tisser des réseaux de solidarité sur toute la planète.
l Reporters d’espoir. Les journaux sont souvent accusés
de concentrerl’information sur lestrainsen retard. L’association Reporters d’espoir cherche à éclairer un autre
versant de l’actualité, celle qui « valorise l’information
porteuse de solutions pour impliquer le plus grand
nombre ». Outilsemployés : desprix, un magazine annuel,
une base de données, une agence d’information…
16 -
Les Echos - jeudi 22 novembre 2007
LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE
Deux regards de l’étranger
A lire
« Stratégie océan bleu »
Un véritable manuel de la réinvention d’entreprise, sous la
forme d’un bestseller mondial
du management. Plutôt que de
pêcher dans des océans (ou des
marchés) parcourus de tous, les
deux professeurs de l’Insead de Font ai n e bl ea u
expliqu en t
qu’il faut au
contraire
trouver de
nouveaux
océans. La vraie innovation crée
de la valeur sur un marché global qu’elle contribue à accroître, au lieu de constituer
une arme dans la concurrence.
L’un de leurs exemples favoris
est… le québécois Cirque du
soleil.
W. Chan Kim
et Renée Mauborgne, Village
mondial, 2005.
« 4 milliards de nouveaux
consommateurs »
Les entreprises s’intéressent
rarement aux quatre milliards
d’hommes et de femmes vivant
avec moins de deux dollars.
Pourtant, cette « base de la pyramide » constitue un gisement
d’entrepreneurs et de clients,
explique C. K. Prahalad, professeur de management à l’université du Michigan. A condition
de voir à long terme pour trouver de nouveaux modèles de
production,
de financement, d’art i cu l at i o n
entre entreprises, pouv o i r s p ublics et
société civile. C’est
ce que tentent de faire Essilor
en Inde et Danone au Bangladesh.
C.K. Prahalad,
Village mondial, 2004.
Tous droits réservés − Les Echos − 2007
« Les multinationales du
cœur »
Le boom des associations dépasse largement la France. En
une génération, une nouvelle
catégorie d’acteur a réinventé
le jeu politique mondial : les
o r g a n i s ations n on
gouve rn emen t a l es .
Elle a par
exemple
réussi à faire
de l ’en vironnement
une préoccu pation
majeure. Deux intellectuels
français explorent les tensions
qui traversent les ONG entre
action et participation, contestation et coopération.
Marc-Olivier Padis
et Thierry Pech,
La République des idées/Seuil,
2004.
« Éducation et croissance »
Destiné à ceux qui doutent encore que l’enseignement supérieur est la voie obligée de l’avenir. Pour se
rapprocher
de la « frontière technologique » où
se préparent
les marchés
de l’avenir, il
faut renforce r l a r echerche et donc l’université. Or
la France a eu « un système d’enseignement supérieur longtemps
« adapté » à une économie relativement fermée où sélection des
élites, production de connaissances scientifiques et formation
de professionnels étaient disjoints. » Les deux économistes
font une démonstration à la fois
claire et peu contestable.
Philippe Aghion et Élie Cohen,
rapport n°46 du Conseil
d’analyse économique,
La Documentation française,
2003.
SUZANNE BERGER PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE AU MASSACHUSETTS INSTITUTE OF TECHNOLOGY
« Pour qu’il y ait réinvention, il faut laisser mourir
ce qui ne marche plus. Ici, la France bloque »
Suzanne Berger est professeur de
science politique au Massachusetts
Institute of Technology (MIT) et
directrice du programme MIT
France. Elle a écrit de nombreux
ouvrages, dont les plus récents sont
« Notre première mondialisation »
(La République des idées/Seuil,
2003), où elle analyse les réponses
politiques apportées en France lors
de l’ouverture des frontières à la fin
duXIXe siècle,et« Madeinmonde »
(Seuil, 2006).
On oppose souvent vieille et nouvelle économie, comme si la première était incapable de se réinventer. Partagez-vouscettevision ?
Je n’aime pas cette distinction. Des
pans entiers de cette prétendue
« vieilleéconomie » sontd’ailleursen
plein boomen ce moment, comme la
sidérurgie et d’autres industries liées
aux matièrespremières. Et passeulement parce que la croissance de la
Chine oudel’Indeontuneffetstimulant, mais aussi parce que certaines
entreprises de ces secteurs ont su
intégrer desinnovationspourse réinventer. La clef du succès est là. Il ne
s’agit pas de faire partie d’un bon ou
d’un mauvais secteur, il s’agit d’être
capable d’assimiler l’innovationpour
se réformer. Je prends souvent les
exemples du textile, de l’habillement
oude lachaussure, autantdesecteurs
qui pourraient sembler condamnés.
Et pourtant, aux Etats-Unis comme
en France, en Italie ou en Espagne, il
y a des réussites récentes dans ces
secteurs, prouvant qu’il n’y a pas de
fatalité.
Est-ilplusfaciledeseréinventerdans
certains pays quedans d’autres ?
Oui. Pour qu’il y ait réinvention, il
faut dans une certaine mesure être
prêtàlaissermourircequinemarche
plus ou ce qui n’arrive pas à changer.
Il faut ensuite disposer de mécanismes permettant de réutiliser les
hommes et les capitaux ainsi libérés.
Sur ce point, certains pays semblent
désavantagés. La France fait un blocagetrèsfort lorsqu’il estquestionde
laisser disparaître ce qui ne fonctionne plus. On met en place des
mesures protectionnistes pour défendre certaines catégories de commerçants ou on instaure des mécanismes de soutien public, dans le cas
de Bull, dans l’informatique, par
exemple. Les Etats-Unis n’ont pas
de tels états d’âme. La disparition de
certaines entreprises est beaucoup
plus facilement tolérée, les moyens
réalloués plus naturellement. Un
groupe comme Digital Equipment a
pu disparaître et certains de ses anciens employés sont partis fonder ce
qui est devenu Sun Microsytems. La
réincarnation est possible.
C’est quand même aussi le cas en
France !
Chez vous, la décision passe souvent en force. Dans de trop nombreux cas, les forces qui ont été
retirées d’un endroit ne sont pas
réemployées ailleurs. Exemple le
plus frappant : les nombreux départs en préretraite. Les gens sortent alors définitivement de l’économieproductive. C’est un gâchis à
la fois moral, économique et social.
On achète peut-être la paix sociale,
mais on se prive d’actifs.
Voyez-vousd’autres freins français ?
La France dispose d’un excellent
niveau de recherche, mais le passage qui mène de l’innovation à la
création d’entreprise semble singulièrement étroit. Trop peu d’entreprises survivent. Parmi celles qui
survivent, trop peu créeront de
nombreux emplois. Pourquoi ?
D’abord parce que les canaux menant des universités aux entreprises
sont trop souvent bouchés. Les
pôles de compétitivité devraient
d’ailleurs avoir comme première
préoccupation d’encourager la collaboration entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise.
Ensuite, la France semble ne pas
La France dispose
d’un excellent
niveau de
recherche, mais le
passage qui mène
de l’innovation à
la création
d’entreprise
semble
singulièrement
étroit.
Le Français a peur
de perdre
ce qu’il a.
Le Chinois a peur
de ne pas gagner
quelque chose
qu’il pourrait
avoir.
faire assez confiance aux étrangers.
Aux Etats-Unis, on ne compte plus
le nombre d’entrepreneurs, d’étudiants ou de professeurs qui ne sont
pas nés ici. Le pays est très attractif,
et il donne envie à ceux qui sont
venus de rester. Il importe du talent
et de l’innovation. Les universités
françaises devraient jouer également cette carte à fond.
La peur de l’étranger serait alors un
réel freinpour la France.
Denombreuses barrières sont dressées sur la route des étrangers dans
lasociétéfrançaise.Combiendefois
n’a-t-on entendu des slogans hostiles à des implantations de laboratoires ou d’entreprises étrangères,
ou à des prises de participation par
des fonds étrangers de capitalrisque ! On parle d’espionnage industriel et de pillage technologique.
Ne soyons pas naïfs, le risque existe.
Mais quel est le plus grand danger
que court la France ? Celui d’être
une victime une fois de temps en
temps d’un acte malveillant ou de
sortir de la boucle mondiale des
processus d’innovation ? Dans
l’équilibrage entre le risque et la
récompense, le choix devrait être
clair.
Les banques françaises sont-elles
trop frileuses faceà l’innovation ?
L’argumentn’est pasneuf.Avantla
Première Guerre mondiale, certains critiquaient déjà des banques
françaises jugées trop prudentes et
ne souhaitant pas investir dans leur
industrie nationale, à l’inverse des
banques allemandes. Mais, en réalité, le financement des nouvelles
entreprises innovantes aux EtatsUnis vient assez peu des grandes
banques traditionnelles. Ce sont les
« venture capitalists » (capital-ris-
queurs) qui interviennent. La
France devrait aller dans cette direction en favorisant le développement de capital-risqueurs capables
d’aider une entreprise à voir le jour
et de financer la croissance dans la
durée. Avoir des capitaux pour un
an ou deux ans ne suffit pas.
La culture française est-elle en
cause ?
Je travaille surtout sur les facteurs
institutionnels. Mais il est vrai que
dans le cas français, il semble qu’il y
ait aussi des blocages d’ordre psychologique. Il y a, par exemple, une
vraie stigmatisation de l’échec.
Echouer est humiliant. L’expérience n’est pas la même dans la
Silicon Valley, par exemple, où l’on
dit en ne plaisantant qu’à moitié
qu’il faut avoir connu au moins un
échec avant de réussir. Il y a une
culture du risque qui n’est clairement pas la même en France. Un
ingénieur chinois dans un groupe
français m’expliquait ainsi que certaines innovations proposées par
les Chinois étaient repoussées par
les Français de peur que l’innovation ne vienne cannibaliser des produits existants. Le Français a peur
de perdre ce qu’il a. Le Chinois a
peur de ne pas gagner quelque
chose qu’il pourrait avoir.
Le gouvernement peut-il jouer un
rôle moteur et faciliter la réinvention ?
Un gouvernement peut favoriser
l’innovation et faciliter ensuite sa
diffusion dans les entreprises. Je ne
pense pas que l’heure soit encore
aux grands projets lancés du sommetcommeAirbus,leConcordeou
un Google à la française… Les
priorités sont ailleurs. La France
peut, à juste titre, être fière de son
TGV,maiscelaneveutpasdirequ’il
n’yaitplusrienàfairesurlefrontdes
infrastructures.En Ile-de-France,le
réseau de transports en commun ne
relie pas entre elles les ressources
des entreprises, des laboratoires de
rechercheetdes universités. Le problème est à la fois identifié et traitable. Dans l’éducation, le constat
est encore plus sévère. Les mesures
en faveur de l’autonomie des universitésdécidéescetteannéenesont
qu’un petit pas dans la bonne direction. Il faut que la France mette
beaucoup plus de moyens dans son
enseignement supérieur. Vous savez qu’aux Etats-Unis l’investissement dans les services publics n’est
pas notre fort. Mais comparez la
Sorbonne à la plupart des universités publiques des Etats-Unis : le
constat est cruel.
Etes-vous aussi critique envers les
pouvoirs publics locaux ?
Non. De nombreuses régions ou
villes se sont, par exemple, mobiliséesenfaveurdespôlesdecompétitivité. Il y a sans doute là un appétit
qu’il faudrait encourager, en donnant par exemple plus de moyens
fiscaux aux pouvoirs locaux.
Vous êtes très critique à l’égard de la
France. L’êtes-vous aussi à l’encontre des Etats-Unis ?
Le « court-termisme » qui fait désormais partie des gènes des entreprises est un vrai problème. Les
grandes entreprises comme ATT,
IBM ou Xerox, qui disposaient autrefois de laboratoires de recherche
fondamentale, ont cessé ces investissements. La recherche est désormaisliéeàdescentresdeprofit.Elle
doit produire des résultats à court
terme. Or, les innovations nées
dans ces laboratoires constituent
l’origine lointaine de la révolution
des technologies de l’information.
Les entreprises ayant constaté que
ceux qui avaient investi n’étaient
pas forcément les bénéficiaires des
innovations, elles privilégient désormais la recherche à court terme.
Dans une certaine mesure, le gouvernement fédéral s’est en partie
substitué à ces grands groupes en
investissant dans les biotechnologies. Mais combien de temps notre
Etat fédéral, très endetté, pourrat-il continuer à investir de la sorte ?
PROPOS RECUEILLIS PAR
DAVID BARROUX
TITO BOERI PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ BOCCONI DE MILAN ET FONDATEUR DU SITE WWW.LAVOCE.INFO
« Il y a un sérieux problème de dialogue social en France »
Quelssont,selonvous,lesprincipaux
freinsàlamodernisationenFrance ?
Il y a un sérieux problème de dialogue social, très lié à la faible représentativité des syndicats. Le paradoxe est que les syndicats français
ont un poids considérable alors
qu’ils ont très peu d’inscrits. Cela
crée une conflictualité inutile qui
bloque les réformes. Le syndicat a
tendance à perdre sa fonction de
voix collective des travailleurs. Il
devient un agent corporatiste et une
force contraire aux libéralisations et
aux mesures qui relancent l’économie. Souvent à l’encontre des intérêts mêmes des salariés du secteur
privé. La situation est encore plus
grave en France qu’en Italie, où les
syndicats ont réussi à maintenir un
taux de syndicalisation de 30 %
[contre 8 % en France, NDLR] et
une certaine présence dans le secteur privé.
Quelssontlesacteurssociauxlesplus
aptes à réinventer le modèle social
français ?
C’est un processus long et compliqué. En Italie comme enFrance,les
syndicats ont souvent été une force
de résistance à la réforme des retraites ces dernières années. En
France, l’avantage reste que vous
avezunpouvoirexécutif plusfort en
mesuredefairefaceauxpartenaires
sociaux.Lesystèmescolairefrançais
fonctionne mieux qu’en Italie. En
France, comme en Italie, il y a des
difficultés à favoriser la qualité de la
recherche. Mais vous n’avez pas le
problème de fragmentation du système universitaire et de dispersion
des énergies que nous avons en
Italie avec 360 universités !
Doit-on miser sur l’émergence de
nouvelles formes de contrat de travail ?
La mise en place d’un contrat
unique serait une voie utile, plus
facile à mettre en place en France
qu’en Italie.Lapropositioncentrale
serait de renforcer la protection des
salariés dont les garanties augmentent au fil du temps. Cela va dans le
sens des propositions de contrat
unique à durée indéterminée formulées par l’économiste Pierre Cahuc.Ceseraitunemanièrederemédier à la nature duale du marché du
travail français, où l’on observe une
Le degré
de confiance des
Français en leurs
compatriotes
est de 33 %,
contre 57 %
chez les
Allemands.
asymétrieimportanteentreletraitementconsentiàceuxquibénéficient
d’un contrat à durée indéterminée
et les autres.
Peut-on réinventer un modèle alors
que l’on évoque de plus en plus une
« société de défiance »enFrance ?
C’est encore pire pour les Italiens,
qui sont altruistes dans la sphère
privée mais égoïstes dans la sphère
publique(voir notrelivre« Contro i
giovani ») (1). Le degré de
confiance des Italiens en leurs compatriotes est de 19 % seulement,
contre33 %chezles Français, 49 %
chez les Espagnols, 57 % parmi les
Allemands et 64 % chez les Suédois. Le problème du déficit de
confiance est lié à la faiblesse du
capital social et à des coûts économiques très élevés. C’est pourquoi
la voie de la « flexsécurité » est une
voie plus difficile à poursuivre dans
nos pays.
Peut-on faire émerger de nouvelles
solutions avec des formes participatives, comme par exemple les
35 blogs ouverts aux citoyens mis en
place dans le cadre de la commission
Attali pourrelancer lacroissance ?
C’est toujours positif de sonder
l’opinion publique. Mais je ne crois
pasquel’onpuissetropenattendre,
car les blogs sont surtout des instruments de critique. Pour faire émerger de nouvelles idées ou solutions,
il existe d’autres instruments. Si on
veut favoriser la démocratie sur
Internet, je pense davantage à la
contribution positive de sites de
réflexion alimentés par des intellectuels ou des universitaires, du type
lavoce.info quenousavonslancéen
Italie ou telos-eu.com en France,
avec lequelnous sommes en étroite
collaboration. Sur lavoce, nous
avons lancé l’idée d’un contrat
unique permettant de concilier la
flexibilité et la protection du marché de l’emploi. Nous avons également formulé des propositions sur
des mesures de libéralisation.
PROPOS RECUEILLIS PAR
PIERRE DE GASQUET
(1) Tito Boeri et Vincenzo
Galasso, « Contro i giovani.
Come l’Italia sta tradendo le
nuove generazioni », 2007,
Mondadori.

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