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Supplément gratuit au numéro 20.052 l 99e année Ne peut être vendu séparément l ISSN 0153.4831 Jeudi 22 novembre 2007 La France qui se réinvente 50 INITIATIVES QUI METTENT LE PAYS EN MOUVEMENT Bien sûr, il y a les grandes réformes et les grands blocages. Mais loin de cette actualité bien visible, il y a aussi un grand mouvement de réinvention du pays, sous toutes ses formes, dans tous ses recoins, par tous ses acteurs. Un comité de pilotage a travaillé pendant un an pour établir une sélection qui montre une toute petite partie de ce renouvellement en profondeur. SOMMAIRE FRANCE FIGÉE ET FRANCE QUI BOUGE. Pages 2-3 ENTREPRISES. De Netvibes à ModeLabs Pages 4 à 7 en passant par la Logan et Alstom. SECTEUR PUBLIC. Des frais de justice au placement des chômeurs. Pages 8 à 10 ÉCONOMIE DU SAVOIR. De l’Idei de Toulouse à HEC. Page 11 TERRITOIRE. De Lyon au TGV Est. Pages 12-13 COHÉSION SOCIALE. De 100.000 entrepreneurs à l’Agence nouvelle des solidarités actives. Pages 14-15 Page 16 Jupiterimages, Bloomberg, Michel de Vries, DR REGARDS D’EXPERTS ÉTRANGERS. Suzanne Berger et Tito Boeri. Tous droits réservés − Les Echos − 2007 Sur www.lesechos.fr Apportez votre témoignage sur cette France qui se réinvente et aussi vos suggestions ou vos indignations. Et retrouvez des interviews vidéo. ÉDITORIAL PAR HENRI GIBIER La preuve par le changement L e coq gaulois est aussi le champion de l’autodénigrement. Ce mélange paradoxal n’a pas fini d’étonner le reste du monde quand celui-ci tourne son regard vers la France. Le choc entre nos prétentions à l’universalisme et la tentation permanente du repli particulariste entretient cette étrange image d’un pays qui ne cesse de vouloir donner des leçons à la planète en même temps qu’il se distribue allègrement des punitions. Les Français aiment se représenter tels qu’ils voudraient être, se lamenter de ne pas être ce qu’ils ne sont pas, mais ont beaucoup de mal à se voir tels qu’ils sont. Ces dispositions propres au caractère national ne sont pas neutres dans une économie de plus en plus dominée par les éléments immatériels. Chaque fois que ceux-ci entrent en jeu, comme c’est le cas dans les classements mondiaux sur la compétitivité des pays, ou de leurs niveaux en matière d’éducation, il y a de fortes présomptions que la France n’apparaisse pas à son vrai rang, souvent du fait des appréciations émises par ses propres ressortissants. Yann Algan et Pierre Cahuc, deux experts du Cepremap, organisme d’études économiques rattaché au ministère de la Recherche, viennent de publier récemment un ouvrage sur « La Société de défiance », qui établit un constat similaire, à partir d’enquêtes d’opinion menées dans toutes les nations industrialisées. Depuis plus de vingt ans, elles montrent que les Français, par rapport à leurs homologues étrangers, souffrent d’un déficit de confiance, en eux et entre eux, qui entrave leurs capacités de coopération et réduit leur dynamisme économique. C’est pour contribuer à briser ce cercle vicieux que la rédaction des « Echos », accompagnée dans cette démarche par quelques personnalités impliquées à la fois dans la vie des affaires et dans divers chantiers sociétaux, a réalisé ce cahier. Son seul parti pris est d’accorder, pour une fois, plus d’attention aux signes et aux symptômes de changement encourageants pour le devenir du pays qu’aux habituelles recensions de ses blocages et de ses échecs. Non que l’on veuille ignorer ces derniers, régulièrement rapportés et analysés dans notre journal. Mais il ne sert à rien de dénoncer les immobilismes si l’on ne cherche pas aussi à mieux connaître ce qui marche. Tel est l’objectif de ce document auquel la meilleure fortune qu’on lui souhaite est de fournir l’amorce d’une sorte de « rapport annuel » sur ce qui, aujourd’hui, aide la France à avancer dans le bon sens. Bien sûr, l’approche est perfectible, elle se veut plus un appel à débat qu’un palmarès de prix de fin d’année. Les cinquante initiatives retenues dans l’ultime sélection procèdent d’un choix scrupuleux, mais forcément arbitraire, qui ne rend pas justice, par exemple, au foisonnement d’idées et d’expérimentations suscitées par la défense de l’environnement. Le but sera tout de même atteint si l’on y trouve la preuve que « la France qui se réinvente » n’est pas une invention. 2 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Genèse d’une idée L’idée de proposer un dossier sur « la France qui se réinvente » n’avait pas pour but de nier les médiocres performances françaises en termes de croissance, d’emploiou dedéficitpublic.Ilétaitdesoulignerqu’endépit de ces handicaps macroéconomiques la France bouge et se réinvente dans les entreprises, les collectivités locales, les associations et les services publics. Reconnaître qu’un tel mouvement existe malgré tous les freins est une clef pour penser et conduire le changement. Les tenants de la France bloquée ont tendance à tout attendre d’un big bang politique, de réformes de l’Etat et de changements par décret. Ils ignorent la force detransformationquereprésententl’énergieetlavolonté des acteurs sur le terrain. LaFranceabesoinderéformesdestructure,maisellea aussi besoin d’encourager ceux qui prennent des initiatives et qui innovent pour qu’ils soient de plus en plus nombreux. PromouvoirlaFrancequiseréinvente,c’eststimulerune dynamique fondée sur la reconnaissance des acteurs, la dissémination de l’innovation et le désir du changement. JÉRÔME TUBIANA directeur de la prospective sociale de Danone Méthodologie La sélection d’initiatives présentée danslespages suivantes estlefruitd’untravailentaméilyaplusd’unan.Suruneidée de Jérôme Tubiana, un comité de pilotage de neuf personnes venant d’horizons très variés (voir composition ci-dessous) a été formé à la rentrée 2006. Il s’est ensuite réuni une fois par mois. Le travail s’est fait en trois temps. D’abord, le groupe a tenté d’identifier des initiatives susceptibles d’être retenues en mobilisant des réseaux d’experts travaillant dans différents domaines (entreprises, secteur public, etc.) pour faire remonter des expériences originales. Ensuite, des sous-groupes ont travaillé plus spécifiquement sur chacun des domaines pour faire des fiches d’évaluation relatives aux différentes initiatives, en soupesant leur efficacité, leur caractère réplicable, leur portéeet leurarticulation entrel’économique etle social. A l’issue de cette phase, une bonne centaine d’initiatives ont été présélectionnées. Enfin, le comité de pilotage a passé plusieursséancesdetravail àétablirlasélectionfinale etdes cartonsrougesmontrantuneFrancequineseréinventepas. Ce travail donnera lieu à un débat dans le cadre d’un séminaireAspenFranceenjanvier2008. Il avocationà être renouvelé les années suivantes afin d’établir peu à peu un véritable observatoire de la France qui se réinvente. La première sélection comporte des initiatives parfois anciennes, mais qui ontfaitla preuvede leurefficacitéau-delà des effets d’annonce. Les sélections ultérieures reflèteront davantage des réalisations toutes fraîches. Les apparences d’une France figée dans ses habitudes C teurs. Manquant de moyens pour acheter de nouvelles machines, les entreprises financent à peine plus de la moitié de leurs investissements sur leurs ressources. Malgré un beau recul, le taux de chômage reste parmi les plus élevés de l’Union européenne. Un autre stock témoigne de la langueur tricolore : la dette publique qui ne cesse d’augmenter − malgré un joli tour de passepasse budgétaire réalisé l’an dernier et en dépit d’une des fiscalités les plus lourdes au monde. En dix ans, le poids de la dette publique dans le PIB a augmenté de 7 % alors qu’elle reculait d’autant dans les autres pays de la zone euro. Encore plus inquiétant : les déficits « sociaux » (santé, retraite) s’accumulent aussi, alors qu’il s’agit d’assurances qui devraient donc être à l’équilibre ou excédentaires. Là encore, c’est la preuve d’un pays impuissant à ’était en 1960. Un grand résistant devenu patron de la SNCF et un fameux économiste proposent dans un rapport explosif l’ouverture des professions réglementées. Près d’un demisiècle après ce rapport rédigé par Louis Armand et Jacques Rueff, les taxis, les géomètres, les notaires, les pharmaciens, les comptables sont toujours régis par des règles antédiluviennes qui ont pour effet premier de bloquer la concurrence. Qui ose encore espérer que la France peut changer, s’adapter, progresser ? Le pays semble avoir une allergie profonde au changement. L’élection d’un candidat de « rupture » à la présidence de la République ne change rien à l’affaire. Il suffit de regarder la chronique des dernières semaines. Modifier des règles de la retraite établies à l’époque où celui qui arrêtait de travailler avait une espérance de vie de deux ans, alors que cette espérance dépasse désormais les vingt ans ? Grève. Changer une carte judiciaire vieille d’un demisiècle, alors que 25 % des Français ont quitté depuis la campagne pour la ville ? Scandale. Toucher au statut des universités complètement débordées par leur succès ? Tollé. Le pays paraît incapable de muer dans un monde qui va de plus en plus vite. Les grandeurs macroéconomiques confirment hélas l’impression. Malgré des politiques incessantes de relance, la croissance française est à la traîne (0,2 % de moins que la moyenne européenne cette dernière décennie). Le commerce extérieur du pays sombre dans des déficits record qui reflètent la trop faible compétitivité de ses exporta- corriger les règles du jeu quand il le faut. Machine à écrémer Si au moins le pays sacrifiait le présent pourmieuxpréparer l’avenir… Mais ça n’est hélas pas le cas. Le système scolaire fonctionne toujours comme une machine à écrémer, et non à former, avec 40 % des élèves qui redoublent au moins une classe − trois fois la moyenne des pays développés. L’ascenseur social est bloqué. Autre exception française : le pays aunedépense inférieure pour l’enseignement supérieur. L’Etat débourse 30 % de moins pour un étudiant que pour un lycéen. Dans la recherche, ce n’est pas mieux. Tous acteurs confondus, la dépense française de recherche et développement plafonne à 2,2 % du PIB, malgré les engagements répétés d’atteindre l’objectif de 3 % affiché dans la stratégie de Lisbonne. Même l’inscription du principe de précaution dans la Constitution, qui devait être le signe d’une France qui se tourne vers l’avenir, pourrait devenir l’excuse suprême pour ne surtout rien faire au motif que l’action a des effets parfois imprévisibles. Comment sortir de cette paralysie ? Certains affirment que le déclin est irréversible. D’autres veulent croire à un réformisme introuvable. D’autres encore soulignent que la France mue seulement dans les convulsions, comme en 1789 ou en 1968. Ce n’est pas tout à fait vrai. Si le rapport Armand-Rueff de 1960 n’a pas réussi à modifier l’effectif des taxis parisiens, l’ouverture à la concurrence qu’il prônait a préfiguré les bouleversements induits par le Marché commun. Mais le temps n’est plus où les élites du pays pilotaient le changement. Aujourd’hui, la France change par le bas. Et les blocages sont en haut. J.-M. V. Un changement inchiffrable « Signal faible ». La France qui se réinvente, combien de divisions ? Il n’y a pas de réponse à cette question. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le changement est difficile à voir, du moins quand on cherche à le mesurer avec les instruments habituellement employés pour décrire le mouvement économique et social. Dans l’information en général et dans l’information économique en particulier, le chiffre joue de plus en plus ce rôle. Parfois, il surprend ou illustre. Souvent, il appuie un argument ou étaie le raisonnement. En dernier ressort, il devient argument d’auto- rité, celui qui cloue le bec au contradicteur. Pour parvenir à cette puissance, le chiffre doit être issu de la statistique, c’est-à-dire du travail des grands nombres qui lui donne sa légitimité. Il devient alors un instrument de masse. Il montre des quantités globales, des moyennes, des distributions, des rythmes d’accroissement. Autrement dit, il est incapable de montrer les changements tant qu’ils ne sont pas massifs. Il peine à capter les « signaux faibles », comme disent les électroniciens. Or l’invention ou la réinvention relève par excellence du « signal faible ». Il faut donc renoncer ici aux millions d’hommes et de femmes, aux échantillons représentatifs, aux pourcentages. Il faut prendre d’autres instruments de mesure, abandonner le grand angle au profit du zoom, tâtonner au risque de l’échec ou de l’erreur, délaisser les grandeurs pour se concentrer sur les exemples tout en évitant la petitesse. En un mot, il faut passer du milliard grandiose à l’unité à peine perceptible. La France ne se réinvente pas sous les feux des projecteurs qui éclairent souvent une France bloquée. Mais elle se réinvente tout de même ! J.-M. V. La puissance du levier associatif DR Précision. La numérotation des initiatives de 01 à 50 reflète un simple décompte et non un classement ou une hiérarchisation. aldeck Rousseau n’imaginait sans doute pas en inspirant la loi du 1er juillet 1901 reconnaissant « le droit d’association » lesuccès que connaîtrait, un siècle plus tard, le mouvement associatif français. Avec un million d’associations actives, près de deux millions de salariés, plus de dix millions de bénévoles et plus de 20 millions d’adhérents, la France constitue un modèle singulier. Certes, la plupart des pays industrialisés disposent d’un système associatif, corporatiste et institutionnel en Europe de l’Ouest, citoyen dans l’Europe du Nord, à forte influence religieuse dans la Méditerranée, d’inspiration caritative ou lobbyiste dans les pays anglo-saxons, alors que les sociétés asiatiques n’ont pas développé de structures de ce type. La France fait une synthèse en proposant sans doute le modèle le plus éclectique et le plus équilibré. Indicateur peu connu d’un pays qui se réinvente, le monde associatif français connaît depuis une décennie une croissance sans Au global, ces initiatives associatives génèrent aujourd’hui 60 milliards d’euros de budget, soit 3 % du PIB. Un vrai esprit d’entreprise à la française ! Ce n’est sans doute pas un hasard si un gouvernement de la Ve République compte pour la première fois un portefeuille de « la vie associative ». Maxppp Tous droits réservés − Les Echos − 2007 W Le monde associatif français connaît depuis une décennie une croissance sans équivalent avec 70.000 enregistrements d’associations nouvelles par an. équivalent avec 70.000 enregistrements d’associations nouvelles par an, concentrées dans des secteurs touchant aux terrains laissés pour compte par l’entreprise privée, voire par l’Etat : sanitaire et social, culturel et sportif, et récemment environnemental. Laboratoire Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette dynamique socio-économique. Deux d’entre eux sont des exemples de cette synthèse française entre ambition philanthropique et esprit d’entreprise : l’AFM, l’Association française contre les myopathies, et Emmaüs. Créée en 1958, l’AFM est aujourd’hui une véritable entreprise de 500 personnes, qui a généré 1,2 milliard d’euros en dix ans et financé des recherches jusque-là impossibles autour des maladies génétiquesrares permettant l’émergence d’un nouveau secteur de recherche, à l’instar du Généthon, qui regroupe aujourd’hui 200 chercheurs. L’associa- tion Emmaüs, elle, gère aujourd’huiavec ses3.500 salariésplusde 3 millions de mètres carrés de marchandises sur tout le territoire ! A l’instar des « pépinières » et autres « incubateurs », l’existence de ce tissu associatif éclectique et dense et la facilité de lancement d’une nouvelle association, conférée par la loi de 1901, constituent un véritablelaboratoire de la création d’entreprise en France et un ferment de l’esprit et de l’initiative entrepreneuriaux. Qu’il s’agisse de recherche ou de d’environnement, le milieu associatif peut permettre de financer directement ou d’inspirer la création et ledéveloppement d’entreprises privées. C’est dans cette perspective que le statut hérité du XIXe siècle ouvrier doit êtreprotégé, même sises modalités doivent être revisitées pour éviter certaines dérives. Le modèle associatif français constitue en tout cas une piste intéressante de la réinvention de nos modèles de compétitivité ! JACQUES BUNGERT coprésident du groupe Young & Rubicam. Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 3 AFP-Jupiterimages, AFP LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Une autre forme d’invention : la tradition des explorateursaventuriers Les signes d’une France qui bouge Une certaine idée du progrès Certes, les Français sont attentifs à la pauvreté persistante, au chômage durable, au manque de débouchés pour la jeunesse, à l’ascenseur social qui ne concerne qu’un tiers d’entre eux par rapport à la génération précédente (10 % déclarent avoir régressé socialement). Mais nous retrouvons la plupart de ces maux dans les pays développés, y compris le pourcentage de personnes pri- teurs économiques. Il faut intég r e r d e s i n d i c a te u r s d u changement sociétal et plus globalement de la société durable. Les Français ont l'esprit développement durable % de réponses oui à la question « Considéreriez-vous comme plus important de développer la performance et la croissance économiques que de rendre les villes et la campagne plus agréables à vivre ? » Espagne Royaume-Uni 27% 34% France 44% Suède Allemagne 35% 55% Japon 28% États-Unis 57% Corée du Sud 61% Chine* Argentine* Brésil* Italie Inde* 69% 59% 35% 61% % de réponses oui à la question « Etes-vous de ceux qui pourraient créer une entreprise ou monter leur propre affaire ? » 50% 35% 49% 60% % de réponses oui à la question « Pensez-vous que la présence d'étrangers appartenant à d'autres cultures est une chance pour l'avenir de la France ? » 38% Le nombre de Français qui ressentent un sentiment de déclin… décline. Ils ne sont plus que 40 % à « craindre que la France s’efface progressivement, que sa culture disparaisse, que sa puissance s’affaiblisse », contre 55 % en 1991. vées d’emploi et cependant en âge de travailler, classées selon les usages des pays dans la catégorie demandeurs d’emplois, et qui viennent grossir les statistiques du chômage, ou inaptes au travail et venant grossir les statistiques des personnes handicapées. Les Français, eux, partagent une certaine idée du progrès, d’abord humain et sociétal. Dans une période où les dérèglements (économiques, géopolitiques, climatiques…) sont nombreux, où les possibilités scientifiques sont porteuses du mieux et du pire, où la gouvernabilité du monde n’a pas fait les progrès qu’impose un monde ouvert et en forte évolution, la prudence s’impose pour beaucoup d’entre eux. Pour saisir les Français, on l’aura compris, il faut chercher ailleurs. Ne pas se focaliser seulement, voire trop, sur des indica- Nouveaux critères Les Français aspirent à unesociété choisie et rejettent une société subie, celle où les individus ont des contraintes supérieures à leurs capacités à faire face (mobilités imposées, endettement, difficultés de santé…). C’est sans doute dans cette volonté de ne pas être un frêle esquif ballotté au gré des tempêtes du monde qu’il faut chercher l’explication d’un comportement national volontiers vigilant, voire protestataire. L’évolution du monde et l’évolution de la société portent de nouveaux critères pour juger de la « modernité » d’un pays. En voici quelques-uns sur lesquels les Français sont, selon nos travaux, plutôt bien placés : les mobilités (mentales et physiques), les postures d’ouverture (aux autres, au monde, aux changements), l’autodétermination, la confiance en soi, la capacité à établir des connexions avec son environnement, la prise en compte des dimensions globales et des dimensions locales, le désir d’expérimentation, le goût d’entreprendre, l’importance accordée aux connaissances, la place de l’homme dans la société… Cette posture des Français contraste avec le paysage institutionnel sur bien des sujets en retard par rapport à la population. La place des femmes et celle des minorités dans la société en sont deux excellents exemples. Elle contraste également avec les critères implicites qui président le plus souvent à l’appréciation du dynamisme des nations : le goût du risque, l’esprit de compétition, le sacrifice de soi, le libéralisme sans contrainte… Critères hérités du passé et sans doute en partie dépassés. PATRICK DEGRAVE directeur général adjoint de Sociovision Cofremca Tous droits réservés − Les Echos − 2007 Le mouvement par l’entreprise L ’univers des grandes entreprises est souvent décrit comme compassé. Pourtant, elles réinventent elles aussi leurs modèles. Sur leplan économique bien sûr, mais aussi sociétal. La preuve par cinq. Plus de diversité : la SNCF 3. Un jeune ou une personne issue de l’immigration a trois fois moins de chances d’être embauché sur CV qu’un trentenaire blanc. Quand on est à la fois jeune et issu del’immigration, commec’est souvent le cas dans les quartiers difficiles, l’obstacle peut sembler insurmontable. Palme de l’initiative, les entreprises publiques Gaz de France et SNCF. La compagnie ferroviaire a recruté en 2006 en banlieue 350 jeunes sur les 4.000 qui se sont bousculés aux campagnes d’embauche dans les quartiers populaires. Avec un argu- ment choc : « Nous voulons des employés qui ressemblent à nos clients. » Plus de femmes : Alcatel 2068. Si le rythme actuel se maintient, c’est à cette date seulement que les conseils d’administration des grandes entreprises mondiales comporteront autant d’hommes que de femmes. La France dans ce lot fait mieux que le Japon ou l’Italie, avec 8 % de femmes, mais beaucoup moins bien que les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Quant au taux de femmes parmi les cadres dirigeants, il atteint 21 % en France, presque le même score que les Etats-Unis, loinderrièreles Philippines, les seuls à avoir atteint le seuil fatidique des 50 %. L’arrivée de Patricia Russo, la patronne d’Alcatel-Lucent, comme première PDG femme d’une entre- prise du CAC 40, a changé la donne : son comité exécutif comporte quatre femmes et cinq hommes. PSA, de son côté, est le seulgroupedu CAC 40àavoir une femme à la tête de ses finances. Plus d’étrangers dirigeants : Carrefour 4. Quatre entreprises du CAC 40 sont dirigées par un non-Français. Deux à la suite d’une fusion-acquisition, ArcelorMittal, dirigé par Lakshmi Mittal, et Alcatel, conduit par Patricia Russo. Une parce qu’elle est franco-italienne, STMicroelectronics, pilotée par Carlo Bozzoti. Au-delà de ces cas particuliers, une société françaisea vu un étranger arriver à sa tête uniquement parce que le conseil d’administration a estimé qu’il était le mieux placé pour ce poste : Carrefour. L’espagnol José Luis Duran a pris les commandes en 2005 après avoir gravi tous les échelons. Plus de champions mondiaux : Vallourec 1er. L’entreprise, leader mondial du tube sans soudure, a été élue cette année par les consultants du Boston Consulting Group, parmi 5.000 candidats, comme la société au monde qui a créé le plus de valeur pour ses actionnaires sur cinq ans, avec un rendement de 90 % par an. Personne ne dit mieux ! Autre nouvel arrivé dans l’indice CAC 40, Essilor, leader mondial du verre correcteur, est aussi l’un des champions français qui a connu la plus forte croissance cesdernièresannées. Lamoitiédes quarante premières entreprises de France peut prétendre à un premier rang mondial dans au moins l’une de ses activités. Derrière, de jeunes et moins jeunes champions fréquentent aussi la première marche du podium sur leur créneau : Soitec, Maped, Daregal, Nexans, Roquette, Zodiac, JCDecaux, Eurofins, Bel, Bongrain… Plus de privatisation : EDF 45 %. C’est la hausse de la valeur du portefeuille boursier de l’Etat sur la seule année 2007, avec des vedettes comme EDF, devenu la première capitalisation française. Mercila Bourse ! Car, en réalité, la puissance publique poursuit son désengagement, notamment en poursuivant son désengagement de France Télécom. En 2006, la décrue avait été très importante avec la cession de trois sociétés d’autoroutes et de 21 % d’Alstom. En dix ans, le nombre d’entreprises contrôlées majoritairement par l’Etat est passé de plus de 2.600 à moins de 1.200. PHILIPPE ESCANDE Maxppp L es Français auraient perdu confiance, le sens du travail, l’esprit d’entreprise. De classements mondiaux en classements mondiaux, la place de la France régresserait. Un des derniers en date, celui du World Economic Forum, place la France en 18e position quant à l’attractivité pour les entrepreneurs, un recul de 6 places en un an. Mais la réalité mérite d’être regardée sous un autre angle. Le nombre de Français qui ressentent un sentiment de déclin… décline. Ils ne sont plus que 40 % à « craindre que la France s’efface progressivement, que sa culture disparaisse, que sa puissance s’affaiblisse », contre 55 % en 1991. Depuis plus de trente ans que Sociovision Cofremca suit les comportements en Europe, en Amérique du Nord et du Sud et en Asie, rien n’indique un quelconque décalage entre les Français et la marche du monde. Comme ailleurs, il y a des changements importants et des poches de problèmes difficiles à résorber. Nous observons la poussée continue d’un désir d’émancipation et d’épanouissement de la personne, nous observons la montée d’une confiance en soi, en sa créativité, en sa capacité à agir sur son destin, sur celui de la société et de plus en plus sur celui de la planète. L’implication au travail et le désir de réussite professionnelle n’ont cessé de se raffermir, tout en étant accompagnés d’une recherche d’harmonie de vie. Jean-Louis Etienne. L a seule chose prom ise d’avance à l’échec, c’est celle qu’on ne tente pas », aimait à répéter Paul-Emile Victor. Sans lui, il n’y aurait sans doute pas eu d’expéditions françaises dans les régions polaires ni de base antarctique Dumont d’Urville en Terre Adélie. A lui seul, ce précurseur de l’écologie, né à Genève en 1907, incarne bien cette tradition française d’explorateurs-aventuriers dont les Charcot, Lesseps, Besançon et Hermite… font figure d’éminents pionniers. Des pionniers qui ont beaucoup d’héritiers. Deux exemples parmi beaucoup d’autres : en pleine année polaire intern ation ale (2007-2008), cinquante ans après la dernière du genre, l’expédition Tara Arctic, qui doit terminer sa dérive sur la banquise en décembre, et la prochaine mission Total Pole Airship, pilotée par le médecin-explorateur Jean-Louis Etienne, montrent bien que cette tradition reste vivace. « Notre but avec le programme Tara Expéditions, quiexiste depuis trois ans, c’est de sensibiliser les gens sur les dangers qui guettent la planète », explique Etienne Bourgois, directeur-général d’Agnès B et directeur de l’expédition Tara, soutenue par le programme de recherche européen Damoclès. Initialement construite à l’initiative de Jean-Louis Etienne, la goélette polaire sortira de l’océan glacial Arctique avant Noël, avec de 9 à 10 mois d’avance sur le calendrier prévisionnel. Le recul spectaculaire de la banquise à la fin de l’été 2007, avec plus d’un million de kilomètres carrés de glaces de mer qui ont disparu en deux ans, a accéléré sa dérive transpolaire. A ce rythme, les scientifiques estiment que la banquise d’été pourrait disparaître en 2030-2040. Le « vaisseau spatial » de Damoclès doit servir à mieux comprendre ce « cycle de fonte ». Depuis, le nouveau patron de l’Institut océanographique de Monaco, Jean-Louis Etienne, ou la navigatrice scientifique Raphaëla le Gouvello, première femme à traverser l’Atlantique en planche à voile en 2000, jusqu’à une autre navigatrice, Maud Fontenoy, la liste est longue de ces Françaises et ces Français qui sont prêts à défendre ces valeurs de « courage, d’obstination et de dépassement de soi ». P. DE G. 4 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les entreprises au cœur du changement E t les entreprises ? Elles aussi, elles bougent, elles innovent, elles se réinventent ! En France, le mouvement est sans doute plus difficile et plus lent qu’ailleurs. Logique dans un pays où l’Etat est aussi présent, où l’esprit du capitalisme a eu du mal à souffler, où les pesanteurs restent très fortes. Globalement, la situation demeure d’ailleurs préoccupante. Les entreprises tricolores profitent moins que d’autres de la mondialisation et de l’explosion du commerce international. Leurs exportations ne suivent plus le commerce mondial depuis 2001. La désindust rialisation se confirme de semaine en semaine, 01 au fil des fermetures de sites et des plans de licenciements. Quant aux profits, si ceux des poids lourds de la Bourse s’envolent, les marges de l’immense majorité des autres entreprises ont plutôt eu tendance à baisser ces dernières années. Pas de quoi les inciter à accentuer leurs efforts de recherche ou à investir. Et pourtant… Malgré ce contexte difficile − ou parfois à causedelui,parcequec’estlaseule solution pour survivre −, certaines sociétés tirent leur épingle du jeu. Les exemples rassemblés ici en sont la preuve. On y trouve bien sûr une poignée de plus ou moins « jeunes pousses ». Des entrepreneurs qui ont eu la bonne idée, flairé lecréneauporteur, ontréussi à concrétiser leur projet et surtout à le faire grandir. C’est le cas, typique, de Tariq Krim, un ancien journaliste de trente-trois ans. Son idée ? Rassembler sur une même page Web des informations venues de dix ou vingt blogs et autres sources. Son site n’a ouvert qu’en septembre 2005.Mais aujourd’hui, il est déjà utilisé par 10 millions d’internautes,etGooglealancé un système concurrent pour tenter de copier ce succès bleu-blancrouge ! Dailymotion et Free ont un peu suivi le même genre de parcours. Innate Pharma aussi. Cette startup marseillaise, qui a trouvé de D DR Deux ans plus tard, pas moins de 10 millions d’internautes se sont emparés du phénomène ! Google a même décidé de lancer iGoogle pour contrer la start-up française. Google a décidé de lancer iGoogle pour contrer la start-up française, qui a ouvert son site en septembre 2005. naute qui n’a plus besoin de naviguer d’un site à l’autre pour la trouver et peut la hiérarchiser comme bon lui semble. « Après avoir écrit des articles sur des startup américaines, j’ai décidé d’agir et de créer ma propre société », explique Tariq Krim, ancien correspondant à San Francisco pour le quotidien économique « La Tri- bune ». En août 1999, il ouvre le site musical MPTrois, en pleine révolution numérique. Echec. « Il a beaucoup appris de ce faux pas », explique un ami. Le projet devient un site d’information grand public. « A l’origine, Netvibes est né d’un besoin, sesouvient TariqKrim.Sur ce site, je voulais suivre la rédaction de quinze blogs en même temps sur une seule page. » De là naît l’idée de rassembler tous les blogs en un seul endroit. Très rapidement, le service est proposé à des proches. « Tariq m’a fait tester le site, que j’ai trouvé formidable, se souvient un ami, Jean-Baptiste Soufron. En quelques jours, Netvibes était utilisé par plus de 10.000 internautes ». En septembre 2005, le site est ouvert. La Logan, une voiture mondiale faite à l’économie 02 A utour de 450.000exemplaires vendus cette année et probablement 1 million en 2010… La Logan, voiture spartiate et économique conçue pour les pays émergents mais qui a également trouvé sa place sur les routes françaises, railléepar ses concurrents au début, est désormais prise très au sérieux. Au point que Toyota serait en train de préparer une voiture exactement aux mêmes dimensions pour 2009-2010… « Le succès de la Logan est basé sur le fait que Renault a osé », résume le PDG du constructeur, Carlos Ghosn, qui n’en finit pas d’ajouter des capacités de par le monde pour ce programme providentiel (Maroc, Russie, Brésil…). Pour être exact, le vrai géniteur de la voiture n’est pas Renault mais son ancien patron, Louis Schweitzer. Lorsqu’il a lancé devant ses cadres l’idée de faire une voiture à Tous droits réservés − Les Echos − 2007 tés. Si le groupe tient le choc, c’est largement grâce à la Logan, cette voituredu pauvrequeleprécédent PDG, Louis Schweitzer, a eu tant de mal à imposer à ses ingénieurs férus de véhicules toujours plus high-tech. Aujourd’hui, elle fait un tabac. Un changement de modèle économique voisin de celui qu’expérimenteEssilorenInde, avec ses lunettes à 5 dollars. Les uns innovent. D’autres tels que Bénéteau jouent la carte du luxe. D’autres encore reviennent au contraire à des produits basiques, mais adaptés aux besoins de la masse des clients… Les voies du succès sont décidément multiples ! DENIS COSNARD Netvibes ou la liberté donnée à l’internaute créateur écembre 2005. A la fin d’une journée organisée à Paris autour du phénomène naissant des blogs Internet, Martin Varsavsky convieunequinzainedepersonnes à prendre un verre chez lui. Parmi les invités à venir dans l’appartement du richissime entrepreneur des technologies de l’information, place des Vosges, Tariq Krim, trente-trois ans. « Lors de cette soirée, il s’est mis devant l’ordinateur pour me montrer son site, Netvibes, lancé depuis trois mois, se souvient Martin Varsavsky. J’en suis tout de suite tombé amoureux. Je suis un romantique, qui investit dans des produits qu’il aime utiliser. » Lesite propose aux internautes de personnaliser une page avec des blocs de texte quel’utilisateur peut organiseràsaguise.Cesdifférentsblocs accueillent des flux d’information en provenance de tous les journaux du Net, des blogs et même des services (messagerie Internet, service de météo, bloc notes, etc.). Résultat : l’info vient à l’inter- bas coûts, il a « fait un four », se souvient-il. C’est lors d’un voyage en Russie, en 1997, que l’idée se précise : concevoir unevoiture vendue au prix d’une Lada (6.000 dollars), mais dotée d’une technologie fiable et moderne. Avec deux éléments décisifs pour serrer les prix, reprendre des composants et des moteurs déjà validés pour d’autres modèles comme l’ancienne Clio et réduire de manière drastique le nombre total de pièces (trois fois moins qu’une voiture traditionnelle). Résultat, la voiture est à la fois plus grande qu’une Clio et beaucoup plus légère, modérant sa consommation. Face à des ingénieurs moyennement intéressés car adeptes du « toujours plus », le PDG de Renault est passé en force en faisant largement « fuiter » son projet à l’extérieur. « Pendant les années de mise au point, toutes les études montraient évidemment que c’était idiot et que nous allions perdre de l’argent. Comme j’avais le privilège, en tant que président, de pouvoir m’asseoir sur les études économiques, je me suis assis dessus. Et aujourd’hui, cette voiture gagne de l’argent », résume-t-il avec ironie (« Mes années Renault », Gallimard, 2007). Une véritable gamme Autre manière de dérouler irrévocablement son plan : le rachat du roumain Dacia, en 1999. Avec ses ratios de productivité déplorables et sa main-d’œuvre peu formée, personne d’autre n’aurait voulu du petit constructeur des Carpates. Mais Louis Schweitzer avait son idée : sans usine dans un pays à très bas coûts salariaux, la Logan n’aurait jamais vu le jour. Si l’équipe d’ingénieurs ayant élaboré la voi- ture était française, les ouvriers de Douaiou deFlins ne verront jamais passer ce modèle. Le lancement de cette voiture d’un nouveau type, en 2004, fut délicat à piloter, mais s’est bien passé. Du coup, depuis son arrivée, Carlos Ghosn a mis les bouchées doubles pour faire de la rustique berline une véritable gamme, avec des breaks, pick-ups, 4 × 4, etc. Au final,lafamille Logancompterapas moins de 9 ou 10 variantes à l’horizon de 2012. DENIS FAINSILBER Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Le « low cost » n’est pas réservé au consommateur à faible pouvoir d’achat et aux marchés émergents. Thuasne, une PME familiale qui résiste dans le textile 04 E nouveaux modes d’action pour stimuler le système immunitaire, est représentative d’une nouvelle vague d’expériences tricolores dans les biotechnologies, un secteur où la France avait connu une série de déboires. Mais ce qui est frappant, c’est que des entreprises centenaires comme Thuasne se réinventent aussi. De même que des poids lourds comme Alstom et Air France.Deuxmastodontes quiont bien failli disparaître etque la crise a obligé à tout bousculer, avec le soutien de l’Etat, qui, pour une fois, a plutôt bien joué son rôle d’actionnaire. Renault aussi a connu et connaît bien des difficul- lleaétéfondéeen 1847etreste à la pointe de l’innovation. A Saint-Etienne, la société Thuasne a su opérer une profonde mutation pour résisterdans ledifficilesecteur du textile. Avec 900 salariés pour près de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle est devenue l’un des leaders de la fabrication d’orthèsesetdeproduits de contention. Au départ, l’entreprise familiale a débuté dans le négoce de rubans,avantdefabriquerdestissus élastiques pour la lingerie et les bretelles. Aujourd’hui connue surtout pour ses ceintures lombaires, elle conçoit des produits finis à haute valeur ajoutée sous marque, avec un cahier des charges très précis. « Le virage a été initié de façon intelligente par mon grandpère après la Seconde Guerre mondiale, indique Elizabeth Ducottet, aux commandes du groupe. Les générations suivantes ont poursuivi son travail. » La crise textile a obligé l’entreprise à bouger, notamment en s’implantant à l’étranger, où elle possède16filialesetréalise40 % deson activité. « Il faut se réadapter tout le temps, se remettre en question, explique la dirigeante. Tout décalage serait mortel. » L’innovation est la clef de cette réussite, avec la volonté de ne vendre que des produits dont l’efficacité thérapeutique peut être prouvée. D’où un important travail de recherche, auquel la société consacre 5 % de son chiffre d’affaires et qui donne lieu au dépôt de brevets chaque année. La création de nouvelles gammes s’appuie sur lesrelationsétroitesnouées avecles professions médicales, les chercheurs, les patients et les sportifs − Thuasne s’est diversifié il y a cinq ans dans les sous-vêtements de sport − afin de mettre au point des produitscorrespondantàleursréels besoins. L’esthétique dans le choix descouleursouletouchersontaussi devenus des arguments pour vendre,ycompris lesbasdecontention. Les femmes ne veulent plus seulement du beige, mais du sable ou du caramel. Même dans le domaine de la santé, il fautjouer sur la séduction. D. CH Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 3/5 Parmi les toutes premières filières à travailler à l’échelle du globe,le textile,pour survivreau choc de la mondialisation, doit miser d’abordsur la créativité, la recherche et la réactivité. Un bureau à San Francisco Des entrepreneurs de l’Internet tentent de joindre Tariq Krim par email pour investir dans la société. Finalement, le fonds suisse Index Ventures et des grands noms de l’Internet, dont Marc Andreessen (Netscape), Martin Varsavski (Jazztel, Fon) et Pierre Chappaz (Kelkoo) s’invitent au capital. En août2006,Netvibes lève12millions d’euros. La société ouvre un bureau à San Francisco et s’installe dans le Sentier, à Paris. « Son idée n’a jamais été de devenir riche pour s’acheter une belle voiture ou une superbe villa, estime Freddy Mini, directeur de Netvibes. Tariq fait partie des rares personnes à vouloir changer le monde. » Fils d’un professeur d’économie et d’une mère prof d’éducation physique, Tariq Krim veut avant tout proposer le meilleur produit possible aux internautes. L’argent viendra ensuite, via les revenus publicitaires issus de petites applications utilitaires intégrées dans la page personnalisée des internautes. Aujourd’hui, le jeune entrepreneur, « très mal organisé » de son propre aveu, court le monde de Salons professionnels en événements clients. Comme le dit Laurent Binard, un entrepreneur de l’Internet avec Wikio, « il est devenu le super-VRP de la société ». Le plus souvent entre Paris et San Francisco... EMMANUEL PAQUETTE Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 2/5 Avec Internet, une bonne idée est d’emblée mondiale. Ce qui élargit la clientèle… et les sources de financement. L’Adam, un levier de bonne gouvernance 03 R ien de tel qu’une pasionaria pour faire avancer la démocratie. Toujours prête à mobiliser les médias et à arpenter les prétoires, Colette Neuville se bat depuis plus de quinze ans pour imposer les principes de la « bonne gouvernance » dans les sociétés cotées. L’histoire de son association, l’Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), débute par un combat digne de David contre Goliath. Fin 1991, la toute jeune association se saisit du rachat du Printemps par legroupePinault. Elle dénonce la manœuvre de l’industriel : faisant mettre « au porteur »leblocd’actionsqu’ilachèteà la famille Maus, il annule ainsi les droitsdevotedoubles qu’ellescomportent et échappe à l’obligation de faire une offre sur la totalité du capital. Les petits porteurs crient à la manipulation. L’Adam est déboutée en justice. L’affaire a pourtant mis en évidence l’inégalité de traitemententreactionnaires majoritaires,quiprofitentdel’opération, et minoritaires, qui ne bénéficient pastousduprixd’OPA.C’estcequi pousse le ministre des Finances, Pierre Bérégovoy,à imposer,début 1992, l’offre sur 100 % du capital dès franchissement du seuil de 33 %. La dénonciation d’un cas particulier a servi de catalyseur à la réforme du cadre légal. Contre-pouvoir La conviction de Colette Neuville est faite : avec les privatisations et le poids croissant des minoritaires, l’actionnaire a désormais un rôle à jouer dans le bon fonctionnement des entreprises. En économie commeen politique,souligne-t-elle, « le traitement fait aux minoritaires est un bon indicateur du degré de démocratie et de la légitimité du système ». Elle érige donc son associationencontre-pouvoir. D’affaire en affaire, elle construit sa crédibilité auprès des investisseurs et des patrons pour se donner les moyens d’influer sur le comportement des sociétés ciblées et sur l’évolution du cadre institutionnel. Un autre bras defer perdufaceà François Pinault, lors de l’absorption de La Redoute par son groupe en 1994, sera à l’origine d’une nouvelle règle obligeant l’acquéreur à faire une offre de sortie aux minoritaires en cas de fusion. En 1998, une bataille contre Jean-MarieMessier,alorspatron de la Générale des Eaux et actionnaire principal − mais non majoritaire − d’Havas, mettra en évidence le problème du contrôle par un concert d’actionnaires. Une notion introduite dans le droit par la loi de 2001 sur les nouvelles régulations économiques, qui trouvera application en 2005, à la suite d’une plainte de l’Adam contre Carrefour. Membre du Forum européen de corporate governance, Colette Neuville participe à la réflexion confiée à cette instance par Bruxelles. Car c’est de plus en plus au niveau européen que sont fixées les règles du jeu. Les problèmes que posent la montée en puissance des fonds souverains et la dictature du court terme ne sont pas, à ses yeux, uneraisonpourrenonceràl’idéalde la démocratie actionnariale. La solution serait, selon elle, à chercher du côté d’une nouvelle gouvernance, non seulement des sociétés, mais du marché lui-même. La « market governance », de nouveaux combats en perspective. BENJAMIN JULLIEN Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 Les discours sur l’actionnariat populaire se heurtent trop souventencoreaupeudecasfaitdes actionnaires minoritaires. LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE D Cellectis, l’intuition de chercheursentrepeneurs 06 Tous droits réservés − Les Echos − 2007 L e prix Nobel de médecine a étédécerné cetteannée àMario Capecchi, Martin Evans et Oliver Smithies pour leurs travaux sur les cellules souches embryonnairesde souris grâce àlarecombinaison homologue, un processus biologique qui se traduit par l’échange de fragments d’ADN délimités par des séquences identiques. Ce qu’on sait moins, c’est que l’Institut Pasteur détient les brevets couvrant cette technologie et qu’il en a cédé la licence exclusive à sa « spin off », la société Cellectis. Tout le talent des fondateurs de Cellectis, André Choulika, David Sourdive et Arnaud Perrin, est d’avoir pressenti le potentiel de ce mécanisme biologique en matière de « chirurgie ». Dans lanature,en effet, la cassure de l’ADN et sa réparation par recombinaison homologue interviennent avec une fréquence trop faible pour qu’on puissel’utiliser àdes fins thérapeutiques ou pour obtenir des animaux, des micro-organismes ou des plantes génétiquement modifiés. D’où l’idée de mettre au point des enzymes agissant comme des ciseaux moléculaires, qui accroissent la fréquence de la cassure de l’ADN à un endroit choisi et son processus de réparation par recombinaison homologue. Cellectis met donc au point et commercialise ses enzymes auprès de clients comme les sociétés développant des animaux transgéniques, les grands groupes semenciers ou les entreprises qui font de la bioproduction (en utilisant des microorganismes). En santé humaine, les programmes sont moins avancés. Ils visent pour l’instant à accroître la précision et donc l’efficacité d’approches de thérapie génique. Cellectis collabore notamment avec le professeur Alain Fischer pour améliorer le traitement des « bébés bulle ». La société qui s’est financée depuis sa création en 2000 en levant 17 millions d’euros auprès du capital-risque et une vingtaine de millions en entrant sur Alternext début 2007, a généré en 2006 1,2 million d’euros de revenus mais n’est pas encore bénéficiaire. Une situation banale pour les sociétés de biotechnologie à longue maturation. CATHERINE DUCRUET Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 3/5 Les percées dans les nouvelles technologies dépendent de la qualité du pont établi avec la recherche fondamentale. échangedu maintiende l’emploi, le personnel consent des efforts pour assurer le retour à l’équilibre financier en 1996. On est loin de la méthodechoisiedixansauparavant parMargaretThatcherpourBritish Airways, privatisée et restructurée à la hache. « Croissance rentable » Pour Christian Blanc, l’étape suivante est la privatisation, sans quoi la compagnie ne pourra nouer d’alliance stratégique. Mais, en 1999, le nouveau ministre communiste des Transports, Jean-Claude Gayssot, s’y oppose. Trois mois plus tard, Christian Blanc démissionne. Comme en 1993, la crise prépare la phase suivante, avec l’arrivée de Jean-Cyril Spinetta. Le nouveau PDG veut faire d’Air France une « major ». Ilcopie les autres, avec la création, en 1999, de l’alliance Skyteam. Mais, plutôt que de tailler dans les coûts comme ses concur- rents, Air France augmente son offre à effectif constant en espérant augmenter la productivité par tête sanslicencier.C’est lastratégiedela « croissance rentable », qui s’appuie sur le potentiel de Roissy CDG. Mais le coup de maître de JeanCyril Spinetta est le mariage avec KLM. En 2003, le nouvel ensemble devient le numéro un mondial du transport aérien en chiffre d’affaires, avec un « double hub » qui permet d’offrir beaucoup plus de correspondances que ses concurrents. Pour contourner l’obstacle des deux nationalités, Jean-Cyril Spinetta et son complice PierreHenri Gourgeon s’inspirent de l’exemple de Renault-Nissan. Les deux compagnies se marient sans fusionner. Simple en apparence, ce mode de fonctionnement suppose uneparfaite adhésion des deux parties et de leurs salariés, aucune coopération ne pouvant fonction- ner sous la contrainte. Le dialogue social instauré par Christian Blanc et développé par son successeur s’avérera déterminant pour convaincre les personnels d’Air France de l’intérêt de dépenser 8 milliards d’euros pour KLM sans en prendre formellement le contrôle. D’autant que le mariage supposait également la poursuite de la privatisation et donc un changement de statut. Air France sera ainsi la première grande entreprise à passer d’un statut public à un statut privé, en 2006, sans faire la moindre vague. BRUNO TRÉVIDIC Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 Une meilleure pratique du dialogue en interne permet aussi de réussir à bien collaborer avec de nouveaux alliés. Ubisoft, exportateur de la « french touch » au Québec 07 P ME des jeux vidéo ily a encore dix ans, l’éditeur français Ubisoft devrait atteindre le milliard d’euros de chiffred’affaires à l’horizon 2010.Un niveau quien feral’un des leaders mondiaux du jeu vidéo, au même titre que les géants américains Electronic Arts, THQ ou Activision. Une telle performance n’a été possible qu’en appliquant très tôt une stratégie alternative à celle de ses concurrents. Ne disposant pas de la même force de frappe financière que les grands éditeurs américains, l’entreprise présidée par Yves Guillemot est allée chercher au Québec les moyens de son développement. En 1997, contact estprisaveclesautorités de la Belle Province. Celles-ci cherchent à l’époque un moyen d’endiguerun forttauxdechômage chez les jeunes, aux alentours de 20 %. Elles décident de miser à fond sur l’industrie des jeux vidéo. Un accord est trouvé : le gouvernement provincial paie 50 % des salaires,et Ubisoft s’engageàrecruter 500, puis 800, puis 1.000 salariés… Résultat, Ubisoft compte aujourd’hui 1.800 salariés au Québec, soit la moitié de ses effectifs ! Le studio de Montréal, qui emploie essentiellement des développeurs de jeux, est aujourd’huile plus important de la société. Et les jeux phares d’Ubisoft comme « Assassin Creed » ou la série « Tom Clancy Ghost Recon » sont produits là-bas. Un centre de formation L’implantation d’Ubisoft a d’ailleurs fait de la ville de Montréal la nouvelle capitale mondiale du jeu vidéo : d’autres grands éditeurs mondiaux sont arrivés dans le sillage du « frenchy », comme Electronic Arts, SCi-Eidos ou Activision. Ce sont aujourd’hui plusieurs milliers de personnes quitravaillent dans la filière, notamment sur les effets spéciaux. Ubisoft a même créé un centre de formation qui irrigue toute la profession. Plus important employeur privé de la ville de Montréal, l’éditeur français se targue d’y être plus connu que Coca-Cola. Un nouvel accord a été signé en début d’année avec les autorités locales pour la création de 500 emplois supplémentaires... Et cette « success story » francocanadienne au pays des jeux vidéo ne s’arrête pas là. UbiSoft compte implanter un nouveau studio spécialisé dans la production de films d’animationàMontréal. Alaclef,la création de 500 emplois dans cette filière, et, à terme, la production de longs-métrages. D’ici à un an, Ubisoft, qui a toujours son QG à Montreuil, dans le « 9-3 », devrait compter près de 3.000 salariés de l’autre côté de l’Atlantique… G. P. Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 L’espace de la francophonie, base privilégiée de conquêtes pour les savoir-faire industriels français. Bénéteau, un leader mondial toujours ancré en Vendée 08 I nnovation, créativité, remise à plat des process de fabrication, Groupe Bénéteau, leader mondial delavoile de plaisance, vit à l’heure du challenge permanent. Cette entreprise familiale vendéenne, fondée en 1884 et encore possession à 55 % des héritiers, a su déceler, dès 1964, le potentieldu polyester pour fabriquer des voiliers de plaisance. Pour un fabricant de bateaux de pêche, c’était un vrai défi. En prenant, en 1995, le contrôle de son concurrent Jeanneau, l’entreprise de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a doublé de taille sans perdre son aiguillon concurrentiel. Une année, Jeanneau sort 5nouveaux modèles, la saison suivante, Bénéteau en lance 6... L’outil de production et le réseau de distribution Jean- neau ont été préservés et valorisés, assurant encore aujourd’hui aux clients attachés à cette marque un lien privilégié. « Chaque entité défend son pavillon, chacun continue de vouloir faire la régate en tête et c’est très stimulant pour les deux marques », constate Bruno Cathelinais, président de Groupe Bénéteau. Désormais, tous les nouveaux modèles sont dessinés en trois dimensions avec le logiciel Catia de Dassault Systèmes, adapté aux besoins des deux constructeurs de bateaux. Un gain de temps et une souplesse de travail grâce auxquels Groupe Bénéteau a pris des longueurs d’avance sur ses concurrents. D’autant que les moules de toutes les pièces complexes sont construits par des robots d’usinage travaillant nuit et jour. Cet outil est la pièce maîtresse du programme « Génération 2012 » qui symbolise lamodernitédu vendéen etconcrétiselecredodeladirection :« Notre quête permanente de compétitivité est à vocation sociale. Sans elle, on ne pourra plus honorer nos emplois industriels », conclut Bruno Cathelinais. PATRICIA-M. COLMANT Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 2/5 Un solide ancrage local peut être un atout pour maîtriser les bouleversements incessants liés à la mondialisation. 09 - 5 INTERVIEW HERVÉ JUVIN PRÉSIDENT D’EUROGROUP INSTITUTE Air France, de la quasi-faillite au premier rang planétaire 05 ix années auront suffi à Air France pour passer de la situation d’une entreprise publique en faillite à celle de numéro un mondial du transport aérien. Une métamorphose inimaginable pour une entreprise qui semblait cumuler tous les handicaps : statut hérité du monopole, endettement massif, outil industriel vieillissant, managementadministratifetpersonnel peu productif, divisé par de puissants corporatismes et démobilisé par des plans d’économies à répétition. Autant d’ingrédients qui aboutissent en octobre 1993 à un conflit social sans précédent. Mais c’est de ce chaos que vont surgir les bases de la refondation, menéeendeuxtemps par ses PDG, Christian Blanc et Jean-Cyril Spinetta. Avec, pour commencer, une recette française, associant le soutien de l’Etat via un chèque de 20milliardsdefrancset un nouveau contrat social avec les salariés. En Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 Les entreprises ne se dissocient plus du reste de la société Hervé Juvin, président d’Eurogroup Institute, explique aux « Echos » comment les entreprises françaises s’adaptent à un monde qui change, tout en cultivant leurs valeurs traditionnelles. L’attitude des entreprises françaises face à l’innovation a-t-elle changé ? Le génie français demeure toujours davantage porté par de grands projets d’infrastructures que par des innovations bourHervé Juvin. geonnantes de type Silicon Valley. En France, le créateur qui développe rapidement une entreprise finit en général par la vendre à un grand groupe. Les choses fonctionnent ainsi, et cela n’empêche pas le pays de compter des leaders mondiaux dans ses rangs, comme Areva, Airbus, Ariane. Comment les entreprises s’adaptent-elles ? Toutes s’adaptent à un monde en train de changer, mais l’intangible fait d’elles ce qu’elles sont. En ce domaine, les banques coopératives sont exemplaires : elles réactualisent leur discours sur les valeurs mutualistes traditionnelles et, dans le même temps, elles modernisent leur gestion, créent des véhicules cotés, fusionnent leurs établissements régionaux. Onobserve le même phénomène dans le secteur automobile et dans tout le milieu industriel. Et les salariés ? Aujourd’hui, ils se mobilisent sur ce qui fait sens et leur permet de se projeter à moyen terme. Résultat : ils se rendent flexibles et acceptent la prise de risques, dès lors qu’ils se sentent rassurés sur des points essentiels comme leur rémunération ou leurs perspectives de carrière. Comment alors trouver un juste équilibre entre l’individuel et le collectif ? Depuis quelques années, l’entreprise française multiplie les groupes transverses, favorise le travail participatif et, de fait, bouleverse le fonctionnement pyramidal classique dans le but de provoquer delacréativité et de la génération d’idées. L’entreprise se redécouvre dans sa vocation à produire des cérémonies et des croyances. Aller très loin dans l’individualisation ne l’empêche pas de réaffirmer le collectif avec des rites et des grand-messes. Et comment devenir l’ultime lieu structurant ? L’univers professionnel se substitue aux grands corps intégrateurs qu’ont toujours été les syndicats, les partis politiques, les Eglises. L’entreprise, cette forme sociale qui n’a pas 150 ans, a réussi à intégrer des dizaines de millionsdepersonnesàlavieurbaineetàl’universsalarial. Ilresteaujourd’hui àsavoir jusqu’oùellepeutaller dansle collectif de vie et dans sa fonction extra-économique. Surtout quand elle se positionne aussi sur les enjeux de société… Aggravation du risque pénal du chef d’entreprise, loi RSE, développement durable, non-discrimination… les entreprisesnesedissocient plus delasociétécivile.Mieux, nous assistons à un mouvement inverse à celui des privatisations : la société reprend le contrôle sur les entreprises,paspar enhaut ouparl’Etat,maisdemanière transverse, par porosité. Le temps où les entreprises décidaient de ce qui sortait de leurs murs est révolu. Les blogs de salariés et de clients les placent en permanence souslesfeuxcroisés de l’opinionetdes médias.Attaquées de toutes parts, doivent-elles répondre ou ester en justice ? Je n’ai pas la réponse. Comment alors réussir partout dans le monde ? Les entreprises françaises savent qu’il leur faut faire le deuil des grands systèmes de management universels et les troquer contre du sur-mesure. La tâche n’est pas simple. La richesse de notre histoire doit leur avoir appris l’inverse de l’arrogance que sont la modération, l’intelligencedeladiversité,lerespect dessingularités.Cesontles atouts du monde qui vient, et c’est la chance d’une approche européenne de l’entreprise mondialisée. PROPOS RECUEILLIS PAR MURIEL JASOR JCDecaux, premier vélibataire Vingt-deux kilos, trois vitesses antidéraillement, un panier à l’avant et un guidon qui dessine un joli V : le Vélib’ est la star de l’année parisienne. En moins de quatre mois, plus de 150.000 citadins qui ont adopté ce mode de transport révolutionnaire, bien dans l’air du temps, à mi-chemin entre l’individuel et le collectif. Il ne fallait plus qu’une grève des transports pour parachever le succès. Celui-ci tientà trois éléments : sonprixmodique, sa facilité d’utilisation et son omniprésence. Il y aura à terme 6 fois plus de stationsde vélos que demétro. Untrès joli coup pourla Mairie de Paris. Et une belle réussite pour JCDecaux, l’opérateur, qui consolide son implantation à Paris et devrait y doubler son chiffre d’affaires publicitaire au moment où les édiles de la capitale entendentréduirelessurfacesd’affichage.Ungagnant-gagnant miraculeux, qui devrait seretrouver dans la conquête de nouveaux marchés en France et à l’étranger. En fait, pas de miracle, mais la poursuite de la stratégiede JCDecaux qui propose, depuis1964, auxmunicipalitésde construiredes équipements publics en échange d’espaces publicitaires qu’il se charge de commercialiser. La tactique ad’abordfinancédes Abribus,puisdespanneauxde signalisation, desSanisettes,etc. Mais l’ingrédient qui a fait la différence, c’est la concurrence. La compétition a été si intense avec l’américain Clear Channel que l’on est passé de 3.000 vélos à 20.000. Le vrai miracle c’est celui-là, la PH. E. multiplication des petits vélos par la grâce des dieux de la pub et de la concurrence. 6 10 Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 En Inde, Essilor bâtit un modèle pour les plus pauvres A lages, des marchands ambulants louaient jusqu’alors des lunettes un quartd’heureparsemainepourune roupie, le temps pour ses utilisateurs de lire un courrier, d’écrire une lettre ou de faire un travail d’aiguille. « Nous avons découvert qu’ilyavaitun marchéetque,sinous proposions des modèles à 5 dollars, les gens seraient prêts à les payer. » L’aventure a démarré avec un groupe hospitalier basé à Madurai, Aravind. Il organisait des tournées pour contrôler la population et détecter la cataracte à l’origine de nombreux problèmes de cécité. Essilor lui a proposé de vendre des lunettes dans ses bus. Puis, il y a un an et demi, le groupe français a envoyésespropresminibusdansles villages. « Jusque-là, les gens de- chaque marché sa stratégie. Après dix ans d’efforts, Essilor est parvenu à mettre sur pied en Inde un modèle de vente de lunettes adapté aux pauvres. Un système innovant et rentable, pour bénéficier du potentiel de ce marché où seuls 7 % des habitants sont équipés de lunettes contre 60 % en Europe,etoùprès de12millions de personnes sont aveugles faute de soins. « Ce sont nos équipes indiennes sur le terrain qui sont à l’origine de ce projet, insiste Xavier Fontanet, le PDG du groupe. Pour réussir, il faut partir des coûts et proposer un produitqui correspond à une vraie demande. » Pour que les villageois puissent s’équiper, Essilor propose des lunettes à… 5 dollars. Dans les vil- 11 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE vaient aller à la ville pour s’équiper, ce qui demandait au moins deux jours, plus le coût du bus. En venant àeux, nous avons considérablement baissé leur coût », note le PDG. Depuis, Essilor travaille avec un second groupe hospitalier installé à Chennai. Production locale Deux minibus circulent désormais. Dans l’un, les habitants subissent des analyses de l’œil, ensuite transmises par Internetàun médecinqui les contrôle. Dans l’autre, verres et montures sont découpés sur place. Dans un village de 2.000 personnes, le groupe vend environ de 100 à 120 paires. « La clef consiste à former des gens qui gagnent 1 euro par jour, et de les transformer en proto-opticiens », poursuit Xavier Fontanet. Etàjouersur uneproduction locale dans l’une des plus grandes usines du groupe, qui alimente aussi les marchésfrançais,américainetjaponais. Ce sont des gammes anciennes. Elles étaient vendues aux Etats-Unis il y a une trentaine d’années.Lesverressont de« très bonne qualité mais épais ». Pour les fabriquer, Essilor utilise des moules d’une usine américaine qui a été fermée. Quant aux montures, elles sont importées de Chine. Sinon, les coûts étaient trop élevés. « C’est comme cela qu’on construit un système rentable. Aujourd’hui, nous avons surtout d’importants volumes et peude chiffre d’affaires, mais c’est Bourbon, un mutant permanent M 13 L Tous droits réservés − Les Echos − 2007 D résulte la cession de la branche sucre et la décision d’adosser le pôle distribution à un industriel. Ce sera Casino. Plan bouclé avec un an d’avance Ainsi devenu, dès 2001, un potentiel « pure player » des services maritimes, Bourbon mise alors à fond sur l’offshore profond. Encouragé par des succès commerciaux remportés auprès du français Elf, puis de l’américain Exxon, le groupe lance un ambitieux plan 2003-2007 de 1,2 milliard d’euros d’investissements. Bouclé avec un an d’avance, ce plan a, depuis, été reconduit jusqu’en 2010, avec à la clef la réception d’un bateau neuf tous les… douze jours. Le plus remarquable, dans l’histoire de cette mutation, c’est que Bourbon n’a jamais lésiné sur les investissements dans les métiers dont il avait pourtant décidé la cession. Pour Jacques de Chateauvieux, toute activité, stratégique ou à vendre, doit bénéficier de ce qui lui est nécessaire pour assurer sa croissance. Une attitude qu’il résume ainsi : « Ce n’est pas parce qu’on va bientôt marier sa fille que l’on va cesser de lui payer le dentiste ! » CLAUDE BARJONET Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 3/5 Savoir se renouveler, c’est aussi oser abandonner d’anciennes recettes gagnantes ; élargir son périmétre passe parfois par l’abandon de territoires trop éprouvés. Innate Pharma, l’autodéveloppement e système immunitaire de l’être humain serait son meilleur allié pour lutter contre la maladie. Cen’est pas l’effet du hasard au regarddesdécouvertesfaitesparles scientifiques d’Innate Pharma. Les chercheurs de cette start-up de biotechnologies marseillaise ont trouvédenouveauxmodesd’action pour stimuler certaines populations de cellules de l’immunité innée contreles pathologies tumoralesou infectieuses. Pour les transformer en nouveaux médicaments, l’équipe fondatrice a mis son destin entre les mains de l’un d’entre eux, Hervé Brailly, qui préside l’entreprise depuis sa création en 1999. Ce chercheur fondamental, qui avait 15 En 1979, Bourbon était un modeste producteur de sucre à la Réunion. Le groupe est aujourd’hui le leader mondial des services maritimes aux compagnies pétrolières opérant dans l’offshore profond. pourtant une forte aversion au risque, a su bousculer ses habitudes pour se forger un profil d’entrepreneur averti. « Long travail de catalyse » Il a notamment réussi à composer avec les exigences de la dizaine de capital-risqueurs, auxquels s’est joint le groupe pharmaceutique Novo Nordisk, qui ont misé 50 millionsd’eurosdefondsprivésjusqu’à l’introduction en Bourse de la société. Il y a un an, Hervé Brailly l’a portée à bout de bras pour lever 34 millions d’euros supplémentaires sur Euronext Paris, dans un contexte alors peu enclin aux valeurs biotechnologiques. En France, Innate Pharma incarne une nouvelle génération de sociétés capables de mobiliser assez d’argent privé et public pour financer un modèle de développement très gourmand en capital. « Il y a les racines d’une recherche fondamentale forte à l’origine de toutes les réussites américaines », souligne Hervé Brailly. Pour être une référence de l’immunologie européenne, avant de prendre une envergure mondiale, il a fallu accomplir « un long travail de catalyse et d’assemblage de compétences scientifiques, financières, cliniques et réglementaires.On peutarriveràune création de valeur considérable par rapport à la taille de la société, qui emploie aujourd’hui 85 salariés. » Avec six essais cliniques en cours en Europe et aux Etats-Unis, la société attend l’an prochain des résultats en cancérologie et dans le domaine infectieux, contre l’hépatite virale de type C. CHANTAL HOUZELLE Vente-privée.com, le nouveau soldeur es étals sur les marchés aux boutiques éphémères sur la Toile…C’est leparcours peu banal de Jacques-Antoine Granjon, le PDG et cofondateur de Vente-privée.com. En 1 985, avec 20.000 francs en poche, il démarre une activité de grossiste en fins de série − qui réalise encore près de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires − avant de lancer en 2001 un site marchand, Vente-privée.com, alors même que la bulle Internet éclate. L’entreprise a d’ores et déjà créé près de 800 emplois et terminera l’année à environ 370 millions d’euros de chiffre d’affaires, presque deux fois plus qu’en 2006. « A partir d’un métier très basique − au début, je prenais l’avion pour aller négocier 100.000 pièces de textile avec une marque de sport, elle nous livrait,70 personnes triaientles stocks, et nos vendeurs plaçaient ces colis auprès de distributeurs traditionnels −, nous avons bâti un nouveau système qui valorise les produits en fin de vie grâce à de la technologie, du marketing et de la créativité », explique Jacques-Antoine Granjon. Magasins virtuels Désormais, au siège de Vente-privée.com, dont la façade rose bonbon au bord de l’autoroute A1 entre Paris et Roissy ne passe pas inaperçue, des équipes d’informa- ticiens, de « web designers », de chefs de produit, des musiciens, des photographes, pas moins de 60 retoucheurs photo, des logisticiensimaginent, créent,mettent au point pour les marques des magasins virtuels et éphémères pour deux jours, au nombre de 850 en 2007, contre 450 l’année précédente. A quoi s’ajoute un nouveau métier, celui de la vente à distance, pour assurer une moyenne de quelque 50.000 livraisons par jour. Malgré 90 sites concurrents aujourd’hui, Vente-privée.com recueille chaque jour près de 6.000 nouveaux inscrits, et cela sans aucune opération marketing. Fort d’un modèle économique qui a complètement inversé le besoin en fonds de roulement, la société a ouvert un site en Allemagne, avec déjà 100.000 membres, un en Espagne (150.000) et prévoit d’en ouvrir en Italie et au RoyaumeUni en 2008. ANTOINE BOUDET Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 5/5 Un métier très traditionnel peut donner naissance à un métier complètement nouveau en recombinant ses principes. Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 3/5 Inventer un marketing adapté aux populations des pays émergents, une compétence désormais décisive pour nos industries « matures ». Dailymotion, le fonceur du Net ncroitàtortqueYouTubeest le pionnier des sites agrégateurs de vidéos personnelles. Erreur. C’est le français Dailymotion, monté par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey, qui a le premier ouvert son service en ligne sur une vague qui a déjà atteint des sommets :YouTube,lancéquelques semaines après lui, a été cédé 1,6 milliard de dollars à Google. Créé en mars 2005, le français poursuit satrajectoire aussi vite que ses moyens le lui permettent. Il compte plus de 37 millions de visiteurs uniques par mois (source XiTi) et a levé 32 millions d’euros pour financer sa croissance. Tout est à faire : régulariser les relations avec les ayants droit − les internautes ayant la fâcheuse habitude de piocher dans du contenu existant −, développer les capacités de la plate-forme d’hébergement, inventer de nouveaux formats publicitaires et agrandir le réseau de distribution.Ilfaut inventeraussiun « business model » avec un partage des revenus publicitaires avec les fournisseurs de contenus. La croissance est exponentielle, à peine freinée par quelques aléas judiciaires, qui ont permis de clarifier son statut d’hébergeur et non pas d’auteur, ce qui n’a pas évité les amendes. Une vie à mille à l’heure que Benjamin Bejbaum, jeune trentenaire, mène maintenant avec l’appui d’un nouveau président, Mark Zaleski, nommé après la deuxième levée de fonds. Mais le fondateur, dont c’est la deuxième société, aprèsIguaneStudios,est déjààtuet à toi avec le gratin des médias et du cinéma. Ses partenaires s’appellent Disney, Viacom, Warner Music, UniversalMusic, et ilvientdesigner avec l’Union syndicale de la production audiovisuelle, qui représente 80 % des producteurs en France. Mais la priorité reste de découvrir les « motion makers », ces individus qui génèrent des contenus propres et qui sont suivis par les internautes sur le site. Dailymotion compte 80 salariés, dont 65 en France. La société est implantée à New York, à Londres, à Berlin et a ouvert une filiale en Espagne.Elleest la première plateforme d’agrégation de vidéos en Europe,ladeuxièmedanslemonde derrièreYouTube.Resteà monétiser, grâce à sa régie publicitaire internalisée depuis juillet, toute cette audience. Les premiers spots dans les vidéos devraient bientôt apparaître. VIRGINIE ROBERT Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Servir de passerelle entre les grandes majors de l’entertainment et les particuliers inventifs, une piste fertile pour les nouveaux entrepreneurs du Net. Nutriset, inventeur de produits pour traiter les malnutritions sévères 14 DE NOTRE CORRESPONDANT AU HAVRE. Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 Dans les activités de pointe, le capital humain prime sur le capital, et une multidisciplinarité des compétences bien orchestrée peut faciliter la course aux capitaux, publics ouprivés. cet immense pays, le groupe vend aussi ses verres de la dernière génération aux classes plus aisées. Le modèle indien est-il transposableailleurs ?Non,estimelePDG. En Afrique, les villages sont trop éloignés et le pays n’a pas la même densité. Testé dans un autre pays, l’expérience a tourné court, car les camions ont été volés. D. CH 12 O Bourbon odeste producteur de sucre à la Réunion en 1979, devenu dans les années 1990 un conglomérat présent dans le maritime et la grande distribution, avant de se recentrer à partir de 2001 sur la marine de services… Bourbon, l’actuel leader mondial des services maritimes aux compagnies pétrolières opérant dans l’offshoreprofond,n’en finitpas de réinventer son modèle. Est-ce dû aufait qu’avant de prendreen 1979 − à vingt-huit ans − les rênes de ce groupe familial, Jacques de Chateauvieux était passé par le Boston Consulting Group (BCG) ? Après une décennie consacréeà la sucrerie réunionnaise, Jacques de Chateauvieux se remeten question en 1989. « L’année avait été très mauvaise à cause d’un cyclone qui avait ravagé les champs de canne à sucre, se souvient-il. J’ai cherché à diversifier le groupe. » A la Réunion, il se lance dans la grande distribution. En dehors de l’île, il acquiert, un peu par hasard, l’entreprise maritime marseillaise Chambon. En 1998, ce qui est devenu un conglomérat, réalisant 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans trois métiers, entre en Bourse. Pendant deux ans, les investisseurs boudent l’entreprise. Avec Jean Estin − un ancien du BCG −, Jacques de Chateauvieux entreprend alors une réflexion. Il en un modèle de développement durable, beaucoup plus puissant que s’il était fondé sur la générosité », souligne Xavier Fontanet. L’avenir de ce système, Essilor le voit dans l’installation progressive des petits opticiens dans les villes de 10.000 habitants. Après avoir patiemment installé sa marque, le groupe tricolore pourrait alors profiter de tout ce travail de proximité et du formidable essor de la classe moyenne, qui croît de 15 % par an. Déjà, l’équipe indienne lance de nouvelles initiatives : elle visite des petites entreprises de textile, en proposant au patron d’équiper de lunettes ses salariés, avec à la clef unehaussede sonprofit. Mais cette opération n’est qu’un des aspects du travail d’Essilor en Inde. Dans L ’histoire commence au début des années 1980. Ingénieur chez Nova, Michel Lescanne prend son indépendance pour se lancer dans la conception de produits à haute valeur nutritionnelle pour les populations du Sud. « Assez vite, nousavons orienté notreexpertiseen direction des populations atteintesde malnutrition sévère. » En 1986, il fonde Nutriset − dans sa maison à Malaunay, près de Rouen − et prend langue avec les ONG luttant contre la faim et avec des nutritionnistes qui connaissent les besoins des populations touchées. De ces échanges naît une première génération de laits thérapeutiques en poudre baptisés « F-75 » et « F-100 », qui contiennent les sels minéraux et les vitamines nécessaires à la croissance d’un enfant. Elle constitue un progrès notable par rapport aux produits basiques provenant des surplus de l’Union européenne utilisés jusqu’alors. Distribués à grande échelle, ces laits présentent toutefois l’inconvénient de devoir être mélangés avec de l’eau et distribués dans des centres paramédicaux. Mais en 1997, Michel Lescanne et André Briend,un chercheurdel’Institut de recherche pour le développement, trouvent la parade sous la forme d’une pâte à base de cacahuète ne nécessitant pas d’adjonction d’eau. Le « Plumpy nut » (« noix dodue ») a une valeur nutritionnelle comparable à celle du lait « F-100 », mais peut être délivré en toute sécurité dans le cadre familial sous forme de sachets de 92 g apportant 500 calories. Il connaît vite un grand succès auprès des ONG et des organismes spécialisés de l’ONU, qui achètent les produits de Nutriset. Grâce à cette innovation brevetée, cette société de 90 salariés est devenue l’entreprise de référence dans ce domaine avec un chiffre d’affaires qui devrait atteindre 25 millions d’euros en 2007. Dans l’avenir, son effort de recherche devrait porter surdesproduitsdestinésàdespopulations plus spécifiques comme le convalescent,lapersonneâgéeoula femme enceinte. DOMINIQUE AUBIN Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 4/5 Une innovation destinée aux populations des pays en développement, si elle rencontre le succès, a de bonnes chances de trouver des prolongements sur certainssegmentsdemarchédes économies industrialisées. LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 7 Dassault Systèmes, un champion du logiciel... et du changement 17 Maxppp, DR Free, la révolution 16 française du haut débit Free, c’est une « success-story » à l’américaine comme on envoit trop peu dans l’Hexagone. L’histoire de Xavier Niel qui, après avoir fait fortune dans le Minitel rose, se lance dans l’Internet au milieu des années 1990, gratuit à l’époque, et arrive à un million d’abonnés fin 2001. Entre-temps, des ingénieurs de génie, tel Rani Assaf, se sont joints à lui. Pendant deux ans, entre 1999 et 2001, cette petite équipe phosphore sur le futur du Web. Voyages aux Etats-Unis, en Asie, rencontres avec Alcatel ou Sagem... « De la télévision, du téléphone et de l’Internet sur le même équipement, vous n’y pensez pas », s’entendent-ils dire. Qu’importe, Xavier Niel est décidé. Son idée ? Une boîte unique que les abonnés installeront dansleur salon pour faire la jonctionentre la télévision, le téléphone et l’ordinateur. Car, comme le dit Michaël Boukobza, l’ancien numéro deux d’Iliad (la maison mère de Free) : « Les gens ne téléphonent pas sur leurs PC et ne regardent pas la télévision sur leur ordinateur. » La Freebox est née. Elle sera low-cost : 29,99 euros par mois. Un prix, trois services, presque pas de pub. Le bouche-à-oreille suffira à imposer cette offre « triple play ». Les décisions du régulateur de faciliter l’accès au réseau de France Télécom pour l’Internet haut débit feront le reste. C’est là le deuxième coup de génie de l’équipe Niel : foncer pour profiter du dégroupage, qui sonne la fin du monopole de l’opérateur historique. La banque Goldman Sachs injecte 15 millions d’euros pour soutenir l’entreprise. En 2002, c’est parti et on n’arrêtera plus Iliad. Le secret de Free ? « C’est une boîte où la finance ne commande pas les ingénieurs », selon son fondateur, qui, avec encore 65 % du capital, est un milliardaire « virtuel », comme il aime à dire. GUILLAUME DE CALIGNON u départ, Dassault Systèmes était une société créée par Charles Edelstenne et Francis Bernard pour développer les fameux logiciels Catia destinés à l’avionneur. Aujourd’hui, c’est une figure de proue de la high-tech « made in France ». C’est même le seul représentantfrançaisdulogicielprésentà l’échelle mondiale. Avec un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros en 2006, Dassault Systèmes a bâti son essor sur la généralisation des outils de virtualisation, qu’il s’agisse de la conception d’un produit, de sa fabrication ou de la simulation de son fonctionnement. Pour s’imposer dans un métier où les Américains sont rois et les mutations rapides, l’éditeur n’apascessédeseréinventer. Bien sûr, la société doit une grande partie de son succès à son partenariat commercial avec IBM, qui lui a assuré une diffusion mondiale de ses produits dès les années 1980. Mais Dassault Systèmes a su s’éloigner du monde de « Big Blue ».Il a pris lavague des stations detravailsousUnix.Ils’estadaptéà l’avènement du marché de la conception assistée par ordinateur pour PC. Au final, il a su s’émanciper d’IBM,en assurant lui-mêmela gestion des canaux de distribution pour les PME. Tout au long de ces années, DassaultSystèmes a su aussise montrer innovant.En 2000,lasociétéalancé le concept du « PLM » (product lifecycle management), avec la volontédegérer toutes les étapesdela vie d’un produit, de sa conception à sa maintenance. Aujourd’hui, elle veut généraliser la « 3D » (trois dimensions) au grand public et a Alstom, la recette d’une résurrection économique ela aurait pu être la faillite la plus retentissante de l’histoire industrielle française. Quatre ans après, le groupe Alstom symbolise au contraire l’un de ses redressements les plus spectaculaires. Une renaissance inattendue qui s’est accompagnée d’une profonde refonte du groupe. Entre 2002 et 2004, le fabricant de trains et de centrales électriques a vécu au bord du gouffre : surendetté, sans ressources et peinant à remporter le moindre contrat. La conséquence d’une conjonction de difficultés, allant du gel de nombreux projets de centrales électriques dans le monde suite au naufrage d’Enron à de lourds problèmes techniques sur des turbines à gaz reprises à ABB, en passant par une grave crise de liquidités. Au plus fort de la crise, alors que ses fonds propres avoisinent 900 millions d’euros, l’entreprise totalise plus de 17milliards d’euros d’engagements financiers. Sa situation est intenable. Et pourtant, Alstom va tenir. Aujourd’hui, le groupe présidé par PatrickKronn’aplus de dettes, croulesous lescommandes,affiche depuis trois ans la deuxième plus forte hausse du CAC 40 et se verrait bien participer à la refonte de la filière nucléaire française… C’est qu’entre-temps, le marché des centrales électriques est reparti à toute allure. Mais surtout, Alstom a changé. De patron, avec l’arrivée de Patrick Kron, un manager à poigne. Mais aussi d’actionnaires, avec l’intervention de l’Etat, qui s’est avérée décisive pour négocier avec les banques et Bruxelles les conditions du sauvetage. Changement de profil Une fois l’entreprise remise sur les rails, l’Etat a cédé ses parts à Bouygues, en faisant pour une fois une trèsbonneaffaire.Legéant du BTP possède aujourd’hui plus de 30 % de son capital, et n’exclut pas, à terme, de renforcer ses positions. Enfin,Alstom achangédeprofil. Sous la pression, le groupe a dû supprimer plus de 5.000 postes et céder uneséried’actifs.Sesturbines industrielles ont été revendues à l’allemand Siemens, ses chantiers navals au norvégien Aker Yards, ses activitésdetransportetdedistribution d’électricité font aujourd’hui le bonheur d’Areva. De quoi retrouver une assise financière et repartir de l’avant. P. PO. ET D. C. Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 3/5 Un géant malade n’est pas condamné à mourir. Et l’Etat peut exercer une impulsionà la fois décisive, temporaire et rentable. ModeLabs, un pionnier du mobile sur mesure Tous droits réservés − Les Echos − 2007 S leader du secteur, le japonais Faith, pour 30 millions d’euros. « ModeLabs est partie de l’idée que les facteurs déclencheurs d’achat d’un mobile sont le design et la marque, raconte Stéphane Bohbot. Le mobile étant un produit identitaire très fort, les grandes marques s’y intéressent, de la même façon qu’elles se sont développées dans la montre ou le parfum. » Quatre ans après sa création, ModeLabscompte290salariés eta généré un chiffre d’affaires de 106 millions d’euros au premier semestre 2007 pour un résultat net à l’équilibre. Introduite en Bourse l’an dernier pour financer son développement, la société est désormais présente dans la plupart des grands pays européens et se prépare à attaquer les Etats-Unis l’an prochain. « Notre business model a étébâti pour être rentable àpartir de quelques dizaines de milliers de mobiles vendus », précise son pré- sident du directoire. Ce qui lui permet de croître dans un secteur où plusieurs grands n oms − comme Alcatel ou Siemens − se sontdéjà cassé les dents. Pour cela, ModeLabs sous-traite la fabrication de ses portables en Asie mais s’occupe de la recherche et de la création en amont puis de la distribution et du marketing en aval. Flexibilité Récemment, la société a signé un accord pour faire fabriquer des mobiles haut de gamme dans l’usine de Sony en Alsace. « Cela va nous permettre d’annoncer prochainement un partenariat avec une très grande marque de luxe qui est très attachée au “made in France” », prévient StéphaneBohbot. Cette flexibilité permet à ModeLabs de rester serein quand les grands noms du mobile se lancent à leur tour sur le créneau : LG a dévoilé fin juin, 3DVIA, une plateforme permettant de créer des objets 3D en ligne. Réorganisation permanente Pour lancer chacune de ces révolutions ou s’y adapter, Dassault Systèmes a cherché à faire du changement une valeur de référence. « Pour continuer d’innover, il faut une adaptation et une mobilité permanente de l’organisation », expliqueledirecteurgénéral,Bernard Charlès. Pour ce patron volubile et visionnaire, les avions sont comme les entreprises : les plus instables sont les plus agiles. Dassault Systèmes s’impose ainsi chaque année un réalignement des objectifs, de l’organisation et des opérations de l’entreprise.Ceprocessus« 3.O »se traduitpar descentaines dechangements de postes en janvier. Mais, pour réussir, il ne suffit pas de se réorganiser en permanence, il faut aussi se montrer innovant. Pour cela, Dassault Systèmes travaille depuis 2000 sur la qualité des interactions entre les individus, s’inspirant notamment des travaux de l’universitaire japonais Ikujiro Nonaka, coauteur d’un best-seller mondial (« The Knowledge-Creating Company ») sur les mécanismes de diffusion du savoir. Pour l’éditeur, la qualité des échanges dans les équipes, la force de l’engagement collectif sont aussi des facteurs de compétitivité. E. G. Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Dans une industrie américaine par excellence, il est possible de s’imposer en combinant innovations techniques et créativité managériale. Meetic. Le site communautaire sur Internet incarne un modèle à la française avec une approche artisanale alimentée par une forte créativité, sur un secteur où les barrières technologiques et économiques sont faibles. Reste àprouver sacapacitéàpoursuivre l’innovation àla fois dans le temps et dans l’espace. l Pasteur. L’Institut demeure une entreprise de pointe, qui attire des chercheurs du monde entier. Il s’implante en Chine. l Soitec. Il a fallu à peine plus d’une décennie à la société grenobloise pour devenir une entreprise mondiale grâce à une innovation technologique majeure dans les semiconducteurs de pointe : le silicium sur isolant, mis au point avec le Leti (CEA). L’entreprise traverse cependant une passe difficile, avec un chiffre d’affaires et des profits en baisse. En associant la fabrication à partir de son propre outil industriel et une politique de licences, elle est parvenue à imposer un modèle économique original. l Nord Entreprendre. Une association créée il y a deux décennies par des membres de la famille Mulliez (Auchan, Saint-Maclou, Décathlon…) pour apporter une aide concrète aux créateurs d’entreprise en jouant les transversalités,lescoopérationsinstitutionnellesetenjouantunrôle clef dans la dynamisation du tissu socioéconomique de la métropole lilloise. l Cartons rouges 19 téphane Bohbot n’a que trente-trois ans mais déjà dix années d’expérience dans la téléphonie mobile. Ce Lyonnais est le fondateur de ModeLabs, une PME française qui n’hésite pas à affronter des mastodontes comme Nokia, Samsung ou Motorola. Pour tirer son épingle du jeu, ModeLabs s’est positionné sur un créneau original : la conception de mobilessurmesurepour lecompte de grandes marques. Derrière les téléphones portables Elite, MTV, Levi’s ou encore Hummer, c’est ModeLabs qui se cache. Quand il lance son entreprise en 2003, Stéphane Bohbot a déjà une réputation de dénicheur de tendances : en 1998,ilpariesur le désir du public de personnaliser sonmobile et ouvre Digiplug, une start-up spécialisée dans le téléchargement de sonneries. Jackpot ! Quatre ans plus tard, il revendra sa société créée dans son studio parisien au Pour s’imposer dans un métier où les Américains sont rois et les mutations rapides, l’éditeur de logiciels n’a pas cessé de se réinventer. Histoires à suivre 18 C DR A La création de Safran. Cette entreprise a été créée en 2005 par la fusion de Groupe Snecma et de Sagem. Décidé par l’Etat dans le cadre de la privatisation de la Snecma, c’était le mariage de la carpe et du lapin par excellence : Snecma était le spécialiste en équipements de propulsion aéronautique et spatiale, Sagem travaillait surtout dans les télécommunications. Un choc des ego à la tête de la nouvelle entité a rendu encore plus difficile un rapprochement d’équipes qui n’avait riend’évident. Lesrésultatsetlecours de Bourse ont chuté. Depuis, la vente par appartement des activités de télécommunication confirme que l’idée de la fusion n’était pas pertinente. l fabriqué un mobile pour Prada, Samsung pour Armani, tandis que Motorola s’est acoquiné avec Dolce & Gabanna. « D’ici quatre à cinq ans, les téléphones de grandes marques représenteront 20 % du marché, soit un potentiel de quelque 240 millions de mobiles adressables chaque année », poursuit le président du directoire. A charge désormais pour Stéphane Bohbot de faire rêver les marchés financiers : le cours de ModeLabs a fondu de moitié depuis son introduction en Bourse… FRÉDÉRIC SCHAEFFER Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 5/5 La « customisation » ou production sur mesure est l’une des grandes voies de l’avenir industriel. Les excès des stock-options. Les entreprises françaisessontleschampionnesd’Europedel’attributiondes options d’achat d’actions, un mode de rémunération censé aligner les intérêts des dirigeants et plus largement des salariés avec ceux de l’entreprise. Mais les PDG en sont les principaux bénéficiaires et les stock-options constituent une part de leur rémunération plus importantequ’ailleurs.LePDGdeVinciconcentraitletiersdes stock-options de l’entreprise. Les options sur EADS ont été exercées dans des conditions qui restent à éclaircir. Ces problèmes reflètent au-delà un vrai problème de gouvernance des entreprises françaises − et aussi une fiscalité inadaptée. l 8 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Le secteur public respire sous le glacis O ui, le secteur public se réinvente lui aussi, au-delà des clichés sur le mammouth et la réforme impossible ! L’Etat n’est ni une machine de gaspillage et d’indifférence aux usagers ni le seul gardien de la solidarité, protégeant la société des excès des entreprises et de la mondialisation. La« vraievie »desservicespublics esquisse une voie nouvelle, périlleuse, qui surpasse ces imaginaires pour montrer l’Etat au quotidien, en innovation et mouvement. Bien sûr, ces innovations sont parfois impulsées d’en haut, comme la réforme des frais de justice. Mais elles se développent comme le fait que les permis de construire ne sont plus soumis à autorisation préalable(sauf exception). L’Italie est allée encore plus loin en supprimant toutes les autorisations administratives, moyennant des mécanismes de contrôle. Nous sommes tant habitués à la fraude qu’une telle réforme nous paraîtrait utopique. Et pourtant, les mutations de l’administration des impôts ces dernières années montrentlepassagedelaméfiance au soutien actif de l’usager. La liste des innovations montre à quel point l’administration française, souvent de sa propre initiative, s’est modernisée. Plus avant, T Toulouse (1,5 million d’euros) ou la catastrophe du tunnel du MontBlanc (3 millions d’euros). Depuis des années, les frais de justice augmentaient de 20 % l’an jusqu’à atteindre 487 millions d’euros en 2005. Avec la LOLF en 2006, on est redescendu à un budget de 370 millions d’euros, à peine dépassé à 379 millions. Rationaliser sans limiter « L’important était la méthode et le fait de montrer que la maîtrise des fraisdejusticeétaitnonpasdenepas dépenser, mais de dépenser mieux. En dépensant mieux, on dépense effectivement moins », explique Marc Moinard, le secrétaire général de la Place Vendôme chargé de réduire les frais de justice. Pour rationaliser sans limiter, le ministère de la Justice a contourné le problème : s’il est impossible de contraindre le magistrat indépendant et libre de sa prescription, il faut négocier le prix global et inciter les juges à faire jouer la concurrence. Une sorte de révolution copernicienne, car aucun prix n’avait été négocié depuis des années. Les juges étaient habitués à dépenser sans compter, d’autant plus qu’ils n’avaient souvent pas la moindre idée du prix réel des prestations. Pour les empreintes génétiques, un marché public d’adhésion a été passé au niveau national avec un laboratoire, à 25 euros l’examen. Ce faisant, la chancellerie a aussi négociéunenormedequalité :ilya maintenant deux analyses quand uneexpertisegénétiqueestdemandée et le nombre de segments a été augmenté. Pour les interceptions téléphoniques, la chancellerie s’est montrée encore plus offensive : les prestations ont été tarifées au grand dam des opérateurs téléphoniques,qui ont attaquéla méthode. Pour toutes ces prescriptions, le magistrat reste libre de participer ou non aumarchépublic.« Maisily a eu une vraie prise de conscience des juges », estime Marc Moinard. Au bout du compte, plus de 100 millions d’euros ont ainsi été économisés en 2006. La Cour des comptes elle-même a reconnu le travail effectué : « Les principales dotations (...) ont été mieux maîtrisées en 2006. Toutefois, en l’absence de données précises sur les reports de charges à la fin de l’exercice, il est difficile de mesurer ce qui relève des efforts accomplis pour une meil- leure maîtrise de la dépense et de reports de charges de l’année suivante », note la Cour dans son rapport public sur l’exécution budgétaire 2006. Fin 2005, l’absence de comptabilité d’engagement a laissé en suspens quelque 200 millions d’euros de retards de paiement. Le circuit de la dépense des frais de justice est donc le prochain chantier. « L’idée est de simplifier le paiement de mémoires qui, pour 85 %, sont inférieurs à 150 euros et qui,avantd’êtrepayés,passent entre les mains en moyenne de sept personnes ! », explique la chancellerie. Un service central dans chaque tribunal assurera le traitement jusqu’au paiement. Courant 2008, 5 ressorts de cour d’appel expérimenteront ce nouveau circuit. VALÉRIE DE SENNEVILLE Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 Dans le secteur public, comme dans le privé, il n’y a pas d’incompatibilité entre la course à la qualité et la chasse aux économies. Le Lot, modèle pour la réorganisation des services départementaux 22 DE NOTRE CORRESPONDANT À TOULOUSE. L es administrations départementales ne sont pas réputées pour leur esprit d’innovation. Et, pourtant, en janvier 2007, la Direction départementale de l’équipement (DDE) et celle de l’agriculture et de la forêt (DDAF) du Lot ont fusionné dans une DDEA, qui chapeaute aussi le service de l’architecture et du patrimoine. Concrètement, il y a un agent de l’agriculture dans chaque unité territoriale de l’équipement. « Ce regroupementestun plus pour les élus locaux et les usagers car certains dossiers de l’équipement ont besoin Tous droits réservés − Les Echos − 2007 passé », d’identifier ce qui est reproductible, comment en pérenniser les résultats. Il existe des prix (trophéede la qualité) mais peu de récits. Tout le monde est conscient de ces questions mais le temps de la réflexion pour y répondre n’est que rarement pris, pas plus que l’on ne dispose d’outils pour la conservation et la circulation de la réponse. A défaut, les bonnes énergies se fatigueront et les clichés redeviendront légitimes. SYLVIE TROSA professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris, auteur de « Vers un management postbureaucratique » (L’Harmattan, 2007) La révolution des frais de justice rois cent quarante cinq euros d’économie pour une expertise génétique, qui passe de 370 euros à 25 euros, 40 % de moins pour les écoutes téléphoniques… la mise en place de la nouvelle procédure budgétaire (LOLF) depuis le 1er janvier 2006 a contraint le ministère de la Justice à de sérieux efforts de rationalisation budgétaire. Ces économies hors n ormes ét aient inimaginables il y a à peine deux ans. Entre-temps, le budget de la chancellerie estdevenu limitatif et non plus évaluatif. Les tribunaux ne peuvent plus dépenser sans compter et disposent désormais d’une enveloppe de dotation globale et fixe. Il a donc fallu faire des économies là où rien ou presque n’avait jamais été fait. Et pour cause : une part importantedes budgets des tribunaux va aux frais de justice. Difficile de restreindre le nombre d’examens génétiques, d’écoutes téléphoniques ou de conservation de pièces à conviction. Mais les frais de justice − gratuits pour le justiciable au pénal − peuvent atteindre des sommes considérables pour des dossiers comme AZF à d’un avis des services de l’agriculture ou de l’architecture surles questions d’eau ou de bâtiments classés », explique Marcelle Pierrot, préfète du Lot. Les 270 agents concernés par la fusion restent rattachés à leur corps d’origine, mais une dizaine seront mis à la disposition d’une autre administration sur la base du volontariat. Guichets uniques Le regroupement n’a pas diminué lenombredefonctionnaires,« mais il entraînera des gains de productivité qui permettront de mieux passer lecapen casderéduction d’effectif », ajoute la préfète. Si la fusion des DDE et DDAF est réalisée dans huit départements, le Lot est le seul à expérimenter le projet OSE (Organisation des services de l’Etat). Fin octobre, la préfecture a ainsi regroupé 546 agents des différentes administrations dans deux entités, la Délégation interservices des territoires réunissant la DDEA, le SDAP et le service vétérinaire, etla Délégation interservices de la population qui rassemble les Directions des affaires sociales, de l’emploi et de la formation professionnelle (hormis l’inspection du travail), de la jeunesse et des sports etlesservices destitres quidélivrent carte grise, carte de séjour, etc. Un guichet unique d’accueil des étrangers sera créé à la fin de l’année en réunissant le service des étrangers delapréfectureetlesDirectionsdes affaires sociales et du travail pour traiter sur un même lieu toutes les questions de carte de séjour, de demande d’asile, d’hébergement et d’emploi. Deux autres guichets uniquespourlesassociationsetl’action sociale ouvriront en 2008. LAURENT MARCAILLOU Degré d’originalité 1/5 Possibilité de diffusion 5/5 Un regroupement d’équipes bien mené ouvre la voie à un accès plus facile pour l’usager. Changement-adresse.gouv.fr, ou la vie plus simple pour ceux qui déménagent 24 R des questions se posent : comment fairepourqu’uneexpérimentation ne demeure isolée, qu’il y aittransferts de savoirs et de savoir-faire, que l’on capitalise au lieu d’oublier ? L’urgence dans laquelle l’administration vit aujourd’hui rend difficile une nécessaire révolution technologique qui serait de se doter des instruments de l’analyseetdelamémoiredesinitiatives de l’administration (« knowledge management » ou management des savoirs). Il n’existe aujourd’hui que trop peu de services dédiés à l’évaluation de la modernisation, ayant pour tâche d’analyser « ce qui s’est epos dès le dernier carton déballé ? Impossible : déménager implique que l’on prenne aussitôt sa plumepour signifierson changement d’adresse à des dizaines d’administrations différentes. Ou plutôt impliquait. Car, depuis deux ans, un site Internet permet d’enregistrer ses nouvelles coordonnées et de le faire savoir aux grandes administrations d’un seul clic. Une évidence à laquelle l’administration a été longtemps étrangère, quand elle ne flirtait pas avec l’univers de Kafka. Depuis le début des années 2000, un vrai changement s’est amorcé. Désarmés par les difficultés rencontrées à réformer l’Etat, les gouverne- ments successifs se sont retournés vers l’amélioration de la vie quotidienne des Français. L’émergence d’Internet sert de levier. 1,5 million de familles par an Les gouvernements Raffarin puis Villepin lancent à partir de 2003 des plans de développement de l’administration électronique. Au total, 600 services disponibles depu is u n po rt ai l u n iq ue (administration24h24.gouv.fr) sont aujourd’hui accessibles par Internet pour simplifier la vie des citoyens : téléchargement de formulaires, demande d’actes d’état civil, téléprocédures… Lancé en mai 2005, change- ment-adresse.gouv.fr concerne 1,5 million de familles par an, le quart decelles quidéménagent. Le service ne pose pas de difficulté particulière… si ce n’est qu’il a imposé aux administrations partenaires d’adapter leurs processus pour prendre en compte immédiatement l’adresse qui vient d’être enregistrée. Sont d’ores et déjà opérationnels laCAF,l’assurancechômage, l’assurance-maladie, les administrations fiscales, le service national, rejoints en 2006 par La Poste, l’assurance-vieillesse, la Mutualité sociale agricole, les caisses de retraites, l’Agirc et l’Arrco, la Caisse des dépôts et EDF. La liste devrait s’allonger dans les mois qui viennent. Ainsi que celle des services dématérialisés que permet Internet. Le mois prochain, le ministre en charge du Budget et de la Réforme de l’Etat, Eric Woerth, devrait annoncer quelesactes demariageetdedécès sont disponibles en ligne. C. Co Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 2/5 Il est possible de bousculer les organismes publics par une mesure unique décrétée d’en haut, à condition que l’objectif soit clair et visible. Musée du Louvre-Angèle Dequier 20 aussi sur le terrain grâce à la motivation et à l’inventivité des fonctionnaires (regroupements de services déconcentrés, télémédecine).Biensûr, lavolonté de moins dépenser à travers des choix stratégiques est un levier (projet du Louvre, directions départementales de différents secteurs qui travaillent de plus en plus ensemble). Mais ces initiatives contribuent aussi à la qualité du service aux citoyens. Il est d’ailleurs frappant que 90 % des expériences ont unimpact sur la qualité du serviceàl’usager :beaucoup est fait par l’accès informatique, mais aussi par le pari de la confiance, Le Louvre parie 21 sur l’immatériel Pour le plus grand musée du monde, dont la fréquentation a atteint un niveau record avec 8,3 millions de visiteurs en 2006, la question du rayonnement extérieur devient cruciale. Après Atlanta, la création d’une antenne délocalisée du Louvre, en 2010, à Lens, au cœur de l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais, sera une nouvelle étape. Mais le grand projet plus que symbolique reste la création du Louvre des sables à Abou Dhabi, capitale des Emirats arabes unis, en vue d’une ouverture en 2012. Le Louvre devientainsi objet d’exportation et instrument de valorisation du patrimoine immatériel. D’une certaine manière, le projetd’Abou Dhabi constitue le premier test d’exportation de la marque Louvre, sur le modèle du système de délocalisation de la Fondation Guggenheim de New York. Outre l’objectif de rayonnement culturel, ce projet est en partie justifié par la nécessité de compenser le manque de fonds propres du Louvre par rapport à ses grands concurrentsanglo-saxons. Mais malgré cette nouvelle manne, le Louvre reste plus que réservé surle passageà la gratuité proposé par Nicolas SarP. DE G. kozy. Police, des corps en mouvement 23 U n destin à part dans le champ de la fonction publique… c’est la réforme des corps et carrières des policiers,encours d’application. Voulue par Nicolas Sarkozy lorsqu’ilétaitministrede l’Intérieur, entérinéepar son successeur Dominique de Villepin, elle chamboule l’organisation d’une « grande maison » devenue obsolète. Redéfinition de la pyramide hiérarchique, hausse des niveaux de recrutement, amélioration des perspectives de carrière : l’ambition du projet était de donner plus de responsabilités aux policiers de base et de leur confier des tâches jusque-là réservées à leurs supérieurs. Conséquence, les corps abondants devaient fondre. Il a ainsi été décidé de réduire le nombre des commissaires, de 2.000 à 700 entre 2004 et 2012, et des officiers de 15.000 à 9.000. En compensation, les premiers ont vu leur rôle resserré sur les questions de direction et de conception, et leur traitement a été calqué sur celui des hauts fonctionnaires. Les seconds ont abandonné leur casquette de techniciens de la procédure pour se concentrer sur le commandement opérationnel et ont obtenu d’accéder à lacatégorie A des cadres de la fonctionpubliqueàpartir du1er janvier 2008. A l’inverse de leurs supérieurs, les brigadiers et les gardiens de la paix, environ 100.000 agents, ont vu leur nombre augmenter légèrement. Les promotions ont été nombreuses dans ce corps, afin de renforcer l’ encadreme nt intermédiaire. Parallèlement, les personnels administratifs, techniques et scientifiques ont vu leurs équipes renforcées (de 13.000 à 16.000), notamment pour permettreaux policiers de se consacrer aux opérations de terrain. Dialogue social « constructif » Outre la volonté politique, cette réorganisation a bénéficié de deux atoutscombinés :undialoguesocial « productif », selon la Direction de l’administration de la police nationale, encouragé par des moyens financiers substantiels. Point d’ancrage de la réforme, l’accord du 17 juin 2004, signé par l’ensemble des organisations syndicales à l’exception du SNPT, disparu depuis, a fait l’objet d’un suivi régulier. Sa mise en œuvre pour l’instant consensuelle doit beaucoup aux moyens financiers mis sur la table (entre 45 et 50 millions d’euros par an), même si c’est là que de premières revendications se font jour à proposdupaiementdesheuressupplémentaires des officiers et des augmentations indiciaires des gardiens de la paix.Le renouvellement des équipements, engagé en parallèle (véhicules neufs,système informatique, flash-balls, drones, etc.) a pu aussi encourager la mutation en contribuantàregonflerlemoraldes troupes. CARINE FOUTEAU Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Le changement passe dans un domaine très classique de la fonction publiquequand ilyade vraies responsabilités à confier, un dialogue social en profondeur et de l’huile budgétaire. LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE La Lozère, en pointe pour la médecine par Internet 25 DE NOTRE CORRESPONDANT À MONTPELLIER. omme de nombreux départements ruraux, la Lozère est confrontée à la désertification médicale. Le conseil général a donc d’abord cherché à attirer de jeunes professionnels en offrant une aide financière de 400 euros par mois de stage chez un médecin lozérien, ainsi qu’une bourse d’engagement de 700 euros par mois aux étudiants de troisième cycle pendant les trois années d’internat. En contrepartie, l’étudiant s’engage à effectuer des remplacements en Lozère pendant son internat et, dès la fin de ses études, à exercer pendant une période minimale de cinq ans dans le département. Mais le conseil général a voulu aller plus loin en lançant un projet de télémédecine destiné à améliorer l’accès et la qualité des soins en zone rurale de montagne. La démarche vise d’abord la transmission des données médicales en situation d’urgence en équipant les médecins généralistes correspondants du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) d’un ordinateur portable capable de transmettre au Maxppp C Le projet de télémédecine est destiné à améliorer l’accès et la qualité des soins en zone rurale de montagne. Centre 15les informations relatives au patient. Logiciel de géolocalisation L’objectif consiste aussi à installer un réseau de visioconférence sur l’ensemble des établissements du département en vue de tenir des réunions, de conduire des formations et même de procéder à des consultations. « La nouvelle culture médicale est désormais fondée sur uneconception partagée des compétences et des responsabilités, explique Jean-Jacques Delmas, président de la commission TIC au conseil général. L’évolution attendueest biend’échangerentreprofessionnels les données de santé du malade pour une meilleure qualité de la prise en charge. » La mise en réseau des médecins correspondants du SMUR est en phase d’étude, afin d’étendre la technologie utilisée par les pompiers de Lozère. Il s’agit en l’occurrence d’un logiciel de géolocalisation qui pourrait être utilisé par le Centre 15, afin de transmettre aux médecins les coordonnées GPS des personnes à secourir. L’appel d’offres pour équiper les médecins est attendu à la fin du premier trimestre 2008 pour une mise en place à la fin de l’année. L’équipement des douze hôpitaux publics et privés en appareils de visioconférence sera lancé début 2008. D’ores et déjà, les établissements lozériens sonten traind’adhéreràungroupement d’intérêt public basé à Toulouse, qui permettra de les rapprocher des établissements de toute la France pour des opérations de télédiagnostic, téléformation et téléconsultation. Le coût total de l’investissement a été chiffré à 769.630 euros. JACQUES RAMON Degré d’originalité 5/5 Possibilité de diffusion 5/5 Lessupposésconservatismesrural et médical n’empêchent pas des réorganisations radicales. 27 L’Arcep, bon génie Un permis de construire plus simple de l’ADSL en France 26 C elui qui, autrefois, avait l’idée étrange de bâtir une maison affrontait un vrai parcours du combattant pour obtenir le permis de construire. Il y avait seize régimes de déclaration ou d’autorisation différents. L’administration répondait quand elle avait le temps, rarement très vite. Puis venait le tracas des pièces manquantes au dossier, souvent réclamées l’une après l’autre et non en bloc, étirant encore les délais. Encasderefusdel’administrationde délivrer le fameux permis, l’épreuve tournait facilement au cauchemar. Bref, c’était l’exemple type du cas où le citoyen ordinaire était soumis au bon vouloir des pouvoirs publics. La réforme du permis de construire entrée en vigueurle 1er octobre 2007 est passée par là. Désormais, le demandeur d’un permis doit attester de sa qualité de propriétaire sans être tenu de fournir un justificatif de propriété. Il lui appartient aussi de déclarer l’achèvement et la conformité des travaux. L’administration, qui vérifiait auparavant systématiquement ces deux aspects, ne se livre plus à ces contrôles. Tous droits réservés − Les Echos − 2007 Logique de continuité On reprochait à la réglementation antérieuresurles autorisationsd’urbanisme lourdeur et opacité. Cette réforme allège les procédures et va concerner les 600.000 permis de construire et les 1,4 million d’autres autorisations d’urbanisme délivrées chaque année en France. La nouvelle réglementation se traduit par unediminutionsignificative du nombre des autorisations, qui est ramené à quatre. En pra- tique, elles portent sur trois permis : construire, aménager, démolir − et une déclaration préalable. Lestextessontréécritspourfaciliter la lecture du champ d’applicationdechacunedecesautorisations. « La diminution du nombre d’autorisations ne veut pas dire que des constructions auparavant soumies à autorisation vont échapper à tout contrôle », explique PierrePopesco, avocat associé chez Herbert Smith. La réforme s’inscrit dans une logiquedecontinuitéetdeperfectionnement. Elle a été amorcée par l’ordonnance du 8 décembre 2005, qui a permis le regroupement des autorisations. Elle prend aussi en compte les modifications récentes apportées par d’autres textes, et notamment par la loi ENL − engagement national pourlelogement − du 13 juillet 2006. L’unification du régime de retrait des permis de construire, sort réservé aux constructionsirrégulières, préservationdu bénéfice du permis en cas de recours,garantiedesdélaisetobtention tacite d’un permis en cas de non-réponse de lamunicipalité sont autant d’apports de cette nouvelle version du Code de l’urbanisme. Chaque année, plus de 150.000 particuliers sont concernés. Une vraie amélioration de masse. A. C. Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 5/5 Il est essentiel de ne plus mettre l’administration au-dessus des administrés, mais à leurs côtés. E lle va sur ses onze ans, mais sait déjà se faire respecter, à Paris comme à Bruxelles. Elle, c’est l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ou, pour faire plus simple, le gendarme des télécoms. Créée en 1997 pour ouvrir le marché des télécommunications à la concurrence, cette autorité administrative indépendante est alors une anomalie dans une économie française encore très teintée de colbertisme. Son heure de gloire, l’Arcep la connaît le 16 avril 2002. Le régulateur prend alors la décision qui marque la fin du retard de l’Hexagone en matière d’Internet haut débit. Saisie par l’opérateur LDCom, elle divise par presque deux le prix du dégroupage. Désormais, il en coûtera 2,86 euros par mois pour louer le réseau de cuivre de France Télécom. Ses concurrents peuvent maintenant gagner de l’argent en faisant des offres ADSL. Au 30 juin dernier, l’Hexagone comptait 14,5 millions d’abonnés haut débit, ce qui le place dans le peloton de tête de l’Union européenne. En janvier 2005, deuxième bataille. L’Arcep oblige France Télécom à baisser le prix du dégroupage total, qui permet aux abonnés chez ses concurrents de ne plus payer leur abonnement. Aujourd’hui, la moitié des abonnés haut débit sont chez un concurrent et 3,5 millions d’entre eux ne paient plus un centime à l’opérateur historique. Certes, pourront dire les mau- vaises langues, avec 5,6 milliards d’euros de marge brute opérationnelle dans le téléphone fixe en France l’année dernière, France Télécom engrange encore 75 % du marché en valeur. Mais pouvait-on mettre à genoux une entreprise qui emploie plus de 100.000 salariés dans le pays ou se mettre à dos un groupe qui investit 2 milliards d’euros par an dans le réseau ? Prix de gros du SMS Le bilan du téléphone mobile est peut-être plus mitigé. La France est le seul grand pays d’Europe avec seulement trois opérateurs mobiles.Pourtant, là encore, l’Arcep n’a pas démérité. Elle a été le premier gendarme européen à fixer un prix de gros du SMS. Ensuite, c’est bien la Commission européenne qui lui a interdit de réguler les opérateurs mobiles virtuels (MVNO) en 2005. Enfin, c’est l’Etat français qui fixe le prix de la quatrième licence de téléphonie mobile, aujourd’hui de 619 millions d’euros et que Free juge trop élevé pour se lancer dans l’aventure. G. C. Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Une autorité indépendante est parfois indispensable pour instaurer une vraie concurrence sur un marché qui peut alors croître. Rescrit fiscal, le rêve d’une administration qui dit clairement la règle du jeu 28 L ’administration fiscale est sans doute l’une des moins aimées desFrançaisetcellequisuscitelaplus grande méfiance. Pourtant, elle ne ménage pas ses efforts pour tenter d’aplanir les angles et apparaître mieux à l’écoute de contribuables, de plus en plus déconcertés par la complexité croissante des textes. Pour cela,elleaunearmeaunomabscons : le rescrit fiscal. Depuis 1987, le fisc français s’est engagé dans une vaste opération de généralisation de cet outil qui bouscule les us et coutumes de l’administration, où la ligne directrice reste le célèbre mais glaçant « nul n’est censé ignorer la loi ». Le principe du rescrit fiscal est simple : plutôt que d’attendre de voir débarquer contrôleurs et autres vérificateurs fiscaux, les usagers (particuliers, professionnels, collectivités locales…)sont invités à se tourner vers l’administration pour lui demander d’exprimer sa position face à une situation précise. Echange de bons procédés L’administration a alors six mois pour répondre soit en gardant le silence (l’absence de réponse est en effet jugée comme un accord tacite entre l’usager et l’administration), soit en expliquant sa position si elle diffère de celle défendue par le contribuable. Les services fiscaux se trouvent alors liés par leur réponse et ne peuvent à l’avenir changer de position, sauf à prévenir d’abord l’usager. La démarche désormais s’applique à un nombre croissant de domaines, qui vont de la possibilité d’une déduction supplémentaire pour frais professionnels à la localisation du domicile fiscal, en passant par les donations. Et la mue de cet outil n’est pas terminée. Depuis quelques années, la démarche a été étendue au domaine social pour éclaircir aux yeux des contribuables dans le doute les modalités d’application de certaines mesures, notammentpar l’Urssaf.Etsevoulantplus performante et réactive, l’administration pourrait à l’avenir mettre les bouchées doubles. Après s’être en- gagé à réduire de moitié le délai de réponse, François Fillon a laissé entendre que cette réduction pourrait être étendue à tous les domaines administratifs ! Unéchangedebons procédés, où l’administration décide de cultiver un « qui ne dit mot consent »si lecontribuablese défait de son habituel « pour vivre heureux, vivons cachés ». C. F. Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 5/5 La fin de l’arbitraire public est précieuse pour la formation d’une vision à plus long terme. Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 9 INTERVIEW MARTIN HIRSCH HAUT COMMISSAIRE AUX SOLIDARITÉS ACTIVES CONTRE LA PAUVRETÉ « L’expérimentation, une approche féconde pour renouveler les politiques publiques » Depuis longtemps, vous défendez l’idée que l’expérimentation faciliterait la démarche de réforme. La voie que vous avez choisie pour lerevenu desolidarité active (RSA), mis en place dans vingtcinq départements avant d’être généralisé, reste rare. Pourquoi ? La France est en retard en matière d’expérimentation sociale, parce qu’elle est organisée pour que ce processussoittrèspeupossible. Juridiquement, d’abord, le principe d’égalité entre tous les citoyens ou tous les Martin Hirsch. territoires est invoqué contre l’expérimentation. Culturellement, ensuite, l’idée d’avancer par tâtonnements est contradictoire avec la vision messianique d’un Etat qui sait où il faut aller. Enfin, la capacité d’expertise n’est pas à la hauteur. L’Etat est incapable de dire quels départementsmènent les politiques sociales les plus efficaces, parce qu’il ne le mesure pas, et qu’il ne dispose pas des outils pour le faire. Les réformes se font quand même… Oui, mais jusqu’à récemment, elles ont consisté à rajouter des strates plutôt qu’à transformer le système. La prime pour l’emploi est l’exemple typique. La réforme a été faite vite, sans évaluation ex ante. Et c’est après coup que l’on se rend compte qu’elle coûte cher et ne remplitpassesobjectifs.Onfaitdel’évaluationexpost,quis’apparente plus à du contrôle. Si l’on avait pris le temps de l’expérimentation, de l’évaluation et du réglage fin de la réforme, l’efficacité aurait été infiniment supérieure. Autre exemple : l’accompagnement des chômeurs. Làencore, leschosesontétéfaitesà l’envers.L’Unedicaconfié le travail à des prestataires privés pour voir s’ils pouvaient être plus performantsquel’ANPE. Maisles conditionsmêmesde l’expérimentation n’ont pas été arrêtées de manière consensuelle. Les résultats sont donc contestés, on cherche a posteriori à leverlesbiaispour avoir des éléments de comparaison fiables. D’autres pays font-ils différemment ? LesEtats-Unisontuneapproche intéressantedepuisplusdevingt ans. Ils testent systématiquement les réformes qu’ils veulent lancer en choisissant des groupes témoins et en comparant les résultats avec d’autres. Des Etats ont vérifié qu’il était efficace d’aider financièrement des jeunes en leur promettant in fine un emploi à condition que leurs résultats scolaires s’améliorent. Le maire de New York, Michael Bloomberg, a aussi testé des aides au retour à l’emploi ciblées sur les personnesayantdesenfantsàcharge,avecdesrésultatstrèspositifsàla clef. Les pays les plus friands d’expérimentations sont ceux qui ont le moinsla culture de la dépense publique : ils doivent justifierà l’avance le fait que le moindre dollar dépensé aura un retour sur investissement ! La France est-elle en train d’évoluer ? Oui. Les départements bougent parce qu’ils ont un intérêt direct à ce que lespolitiquessocialesproduisentdesrésultats. EtlaConstitutiona été modifiée en 2003 de manière à leur permettre de déroger au principed’égalité dansdesconditionsbiencadrées. Je pense que, dans les années qui viennent, l’expérimentation sociale va constituer l’approche la plus féconde pour renouveler les politiques publiques, à mesure que les outils réglementaires classiques montreront leurs limites et que la dimension du comportement des acteurs dans les processus de réforme prendra de l’importance. Les expérimentations permettent de mesurer cette variable essentielle. Autre avantage : en s’adressantàdesvolontaires,ellescréentdel’émulation.Onpassedela réforme subie à la réforme choisie, coconstruite, comme en témoigne l’appétence croissante des départements à tester le RSA. Votreméthoden’est-ellepascontradictoireavecladémarchedeNicolas Sarkozy, qui veut aller vite ? Non, car ça colle bien avec la culture du résultat. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE LEFEBVRE ET DOMINIQUE SEUX Cartons rouges l Le fret à la SNCF. Un exemple caricatural de la France qui ne se réinvente pas. Sur cette activité, l’entreprise publique perd de l’argent année après année (260 millions en 2006). Faceàl’arrivéedelaconcurrenceimposée par la réglementation européenne, rien n’a changé dans l’organisation ou presque, avec des syndicats hostiles à toute évolution en profondeur. Et cela alors que le ferroutage devrait devenir une alternative logique au transport routier dans un monde où la préoccupation environnementale grandit chaque jour. Un rayon d’espoir toutefois : le trafic a progresséaupremiersemestrepourlapremièrefoisdepuisseptans.Et les négociations sont enfin ouvertes. l Les classements de bordeaux. En 1855, Napoléon III avait demandé un classement des vins de Bordeaux pour que les curieux puissent s’y retrouver dans l’Exposition universelle de cette année-là. Ce classement continue de peser lourd dans les têtes de gondole vinicoles. Mais les enjeux sont tels que les classements sont très difficilesàréviser.Enavril2007,letribunaladministratifdeBordeauxa suspendu le classement des vins de Saint-Emilion, par l’Institut nationaldesappellationsd’origine.Quelquessemainesplustôt,lacour administrative d’appel a annulé la révision du classement des crus bourgeois du Médoc. Producteurs, experts et juristes s’empaillent. Pendantce temps-là, lesvinsduNouveauMondes’imposentsurtoute la planète. 10 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE « Impot.gouv.fr », l’avènement 29 de l’e-contribuable Maxppp Bien sûr, il y aura toujours les irréductibles qui continueront de remplir leur déclaration d’impôt au dernier moment, assis sur les marches de la poste du Louvre, le seul bureau ouvert tout la nuit. Mais désormais, plus besoin de sortir de chez soi pour remplir et envoyer sa déclaration à la dernière minute. Depuis 2000, en effet, les contribuables peuvent s’acquitter de leurs obligations légales via Internet. Après un démarrage chaotique, le système a trouvé rapidement sa vitesse de croisière. Après avoir séduit seulement 4.500 contribuables la première année, le site a dépassé, dès l’année suivante, la barre de 500.000 et, en 2006, ils étaient près de 5,7 millions. Il faut dire que l’administration fiscale, souvent accusée de ne pas évoluer, n’a pas ménagé ses efforts pour innover. Non seulement sur le plan technologique, mais aussi dans l’esprit, en ouvrant le site à un nombre croissant de contribuables (dont les associations par exemple), en offrant des « primes » au candidat à la déclaration virtuelle, et même des délais supplémentaires, au risque de bousculer le sacro-saint principe de l’égalité devant l’impôt : réduction d’impôt de 20 euros pour ceux qui optent pour le paiement en ligne et délai supplémentaire, selon la zone de vacances scolaires. Mais le succès du dispositif ne doit pas faire oublier qu’en ce domaine la France ne fait que rattraper son retard par rapport aux pays européens leaders dans ce que l’on appelle l’e-administration (en 2003, la Suède ou le Danemark, qui affichaient déjà des taux de télédéclarants supérieurs à 30 %) ou bien encore les Etats-Unis, où plus de 70 millions de contribuables déclarent leurs revenus en ligne. C. F. DCNS, ou les ex-arsenaux de la marine à la conquête du monde 30 C hangement de statut, ouverture du capital, internationalisation : l’ancienne Direction des constructions navales (ou DCN) s’est complètement transformée en moins de cinq ans. Devenue DCNS, l’entreprise constitue un bel exemple de réforme de l’Etat. « Commeaucuneautre administration », soutient son directeur général délégué, Bernard Planchais. Non seulement le champion national du naval militaire a changé de statut, quittant en 2003 ses habits séculaires d’arsenal pour ceux de société nationale régie par le droit privé. Mais quatre ans plus tard, la nouvelle entité DCNS a réussi à ouvrir son capital à hauteur de 25 % au géant Thales, dans le cadre du projet Convergence. Une vraie révolution culturelle dans une institution qui employait encore 28.000 personnes au début des années 1990, contre 13.300 aujourd’hui. DE NOTRE CORRESPONDANT À RENNES. L Maxppp « Une question de survie » Quant les ouvriers d’Etat ont pu garder leur statut, les autres − cadres, militaires, fonctionnaires − ont eu deux ans pour passer sous la convention collective de la métallurgie. Environ 90 % d’entre eux l’ont fait. Les fonctions achats et ressources humaines ont été remaniées et il a fallu mettre en place une comptabilité de droit privé. Certains métiers historiques ont disparu, le nombre de cadres et d’ingénieurs a augmenté, et DCNS a appris l’engagement de résultat dans ses contrats de maintenance. « Les grandes réformes nécessitent beaucoup d’explications. Le Finistère, fervent adepte du covoiturage 31 L’ancienne direction des constructions navales (DCN) s’est complètement transformée en moins de cinq ans. Changer de statut était une question de survie. Aujourd’hui, DCNS se recentre sur la maîtrise d’œuvre de grands systèmes navals », résume Bernard Planchais. Revers de la médaille, certaines tâches de production sont sous-traitées en France, voire à l’étranger. Maintenant que le projet Convergence est entré « en phase de croisière », il s’agit de franchir un nouveau cap, celui de l’international. Confrontée à un marché national stable, DCNS doit en effet trouver des relais de croissance. A condition d’adap- ter sa politique commerciale, d’améliorer sa compétitivité, de s’implanter durablement à l’étranger, et de disposer d’une offre adaptée à des marines moins ambitieuses que celles des grandes puissances. devant déboucher normalement sur la vente de corvettes Gowind, spécialement étudiées pour l’export. ALAIN RUELLO Accord avec la Bulgarie « Nous ne partons pas de zéro, mais il faut renforcer notre culture économique et cela passe par l’ouverture à l’extérieur », estime Bernard Planchais. Premier signe encourageant, la Bulgarie vient de conclure un accord avec DCNS Possibilité de diffusion 2/5 Degré d’originalité 4/5 Dans une activité industrielle, le passage du public au privé peut se faire vite et bien à condition de bien expliquer le changement. e covoiturage n’est pas une spécialité réservée au Canada ou aux Pays-Bas ! L’un des principaux chapitres des actions mises en œuvre par le schéma départemental des déplacements adopté par le conseil général du Finistère en 2005 est le covoiturage. Pour faire fonctionner ce système d’entraide des salariés, étudiants ou mères de famille, le département a créé un site Internet, covoiturage-finistere.fr. La personne intéressée par le partage d’un trajet avec un ou plusieurs passagers inscrit sa destination sur le site avec le lieu de départ, l’horaire et le nombre de personnes acceptées à bord. La bourse ouverte à tous permet ensuite aux personnes à la recherche d’une possibilité de déplacement de choisir parmi les offres. Le département du Finistère, qui a déjà enregistré plus de 5.000 utilisateurs, a voulu aller plus loin en organisant ce service. Une charte est donc signée par les utilisateurs. Elle implique des engagements en matière d’assurance du conducteur, de responsabilité civile du passager et de tarifs. Indications de prix Evidemmentaucun prix n’est imposé, mais le conseil général donne des indications. Il considère qu’un parcours de covoitu- rage d’une centaine de kilomètres peut être facturé un maximum de 24 euros pour un passager. S’ils sont trois dans la voiture, le prix unitaire tombe à 9,70 euros. Pour que se pérennise son action, la collectivité territoriale finance des aires de stationnement pour les véhicules de ceux qui vont ensuite se regrouper dans une autre voiture. « Elles sont d’accès gratuit et disposent d’environ une trentaine de places », explique-t-on dans l’entourage de Pierre Maille, le président du conseil général. Au cours de l’année 2007, celui-ci aura engagé 72.400 euros dans l’aménagement de deux nouvelles aires, à Guilers et à Gouesnou. Les sites choisis sont proches des voies rapides. Car les utilisateurs du covoiturage sont plutôt des personnes effectuant des trajets réguliers à l’intérieur du Finistère. Mais personne n’interdit la mise en ligne d’offres beaucoup plus lointaines. Certains automobilistes proposent ainsi des voyages réguliers à Paris ou à Rennes. STANISLAS DU GUERNY Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 5/5 Une impulsion publique peut être déterminante dans un domaine relevant apparemment de l’initiative privée. Histoires à suivre Fusion Unedic-ANPE. On en parlait depuis des années, elle devrait être bien tôt lancée. Le rapprochement butera pourtant sur de nombreux obstacles. L’Agence nationale pour l’emploi fait travailler 30.000 fonctionnaires, alors que les 14.000 salariés de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce relèvent du privé. Les uns sont moins bien payés que les autres. Et l’Unedic possède ses locaux alors que l’ANPE loue la plupart des siens. Sans parler des histoires d’hommes. l Le placement des chômeurs, une activité vraiment concurrentielle Tous droits réservés − Les Echos − 2007 32 L e placement des chômeurs par des cabinets privés constitue une petite révolution sur le marché du travail. Expérimenté auprès de 46.000 demandeurs d’emploi volontaires, la plupart en grande difficulté d’insertion, il met l’ANPE sous pression grâce à des pratiques totalement rénovées : entretiens hebdomadaires, appels téléphoniques, référent unique, etc. Les agents sont soumis, en contrepartie, à une culture du résultat. Estimée à environ 3.500 euros par chômeur reclassé, la rémunération du prestataire est réglée entroisétapes. Dans lecas général, il perçoit 30 % lors de la prise en charge de l’allocataire, 35 % s’il signe un contrat en CDI ou en CDD de plus de six mois, et 35 % s’il a conservé son emploi les six mois suivants. Quoique coûteuse, cette expérimentation a déjà engendré des économies pour l’assurance-chômage. Les 17 opérateurs sélectionnés (Ingeus, Altédia,BPI, etc.) lui permettent de dépenser, en moyenne, 3.400 euros de moins par demandeur d’emploi. Le pari est également gagnant pour les chômeurs, qui retrouvent un emploi trois mois et demi plus tôt, en moyenne. « Un vrai suivi personnalisé » Les employeurs ayant recours à des cabinets privés saluent, eux aussi, leur dynamisme : « Les opérateurs privés peuvent développer un vrai suivi personnalisé des candidats et de nos attentes, au contraire de l’ANPE, qui a des contraintes de volume trop importantes », témoigne Didier Loing, membre du directoire de la Caisse d’Epargne de Haute-Normandie, qui a embauché des commerciaux débutants via Ingeus. « Quand on voit le nombre de chômeurs et celui despostes nonpourvus,c’estbien la preuve que la courroie de transmis- sion a de sérieux ratés. Pour beaucoup d’entrepreneurs, l’ANPE est discréditée,et lelien de confiance est rompu », explique Joël Pain, PDG fondateur de Up&Up (commerce équitable sur Internet) et membre du comité exécutif de Croissance Plus. Le nombre d’entreprises qui ne trouvent pas de candidats, un mois après avoir déposé leur offre d’emploi à l’ANPE, reste, il est vrai, important (environ 200.000 par an). « Les opérateurs privés ont une vue plus pointue des besoins des entreprises », renchérit JeanFrançois Veysset, de la CGPME. L’ANPE serait ainsi trois fois moins efficace que les organismes privés, selon l’assurance-chômage : six mois après leur prise en charge par l’ANPE, seuls 13 % des demandeurs d’emploi disposent d’un travail parmi ceux risquant de sombrer dans le chômage de longue durée. Les opérateurs privés affichent un taux de réussite de 41 %, estime l’Unedic. Ces chiffres sont, sans surprise, contestés par l’agence publique, qui rappelle que la prise en charge de salariés volontaires donne un sérieux avantage aux opérateurs privés. La querelle de chiffres devrait toutefois s’achever : à l’ANPE comme à l’Unedic, on promet de faire évaluer les prochains dispositifs d’accompagnement par des experts indépendants, notamment par le CNRS. LUCIE ROBEQUAIN Application de la LOLF. La loi organique relative aux lois de finances votée en 2001 exerce peu à peu ses effets dans la mécanique de la gestion publique. Elle pourrait changer en profondeur le fonctionnement de l’administration si un vrai management par objectifs se met en place. Mais le système peut aussi bien déboucher sur une application bureaucratique ajoutant une couche de rigidité à un système qui en est déjà largement doté. l Impact de la revue générale des politiques publiques. Va-t-on enfin supprimer des organismes obsolètes sans les rebâtir en catimini par derrière ? l Degré d’originalité 1/5 Possibilité de diffusion 5/5 Des missions présentées comme relevant d’une logique publique peuvent être accomplies par le privé. La définition du cahier des charges est essentielle. Fusion « verticale » entre organismes régionaux et départementaux, comme les services d’équipement. Elle amène à repenser les objectifs du service, le niveau de d’intervention, la présence des équipes et des compétences sur le plan géographique. l LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 11 Une économie du savoir à doper C ’est là que se joue notre avenir. Et c’est pourtant là que la France semble avoir le plus de mal à se réinventer. Le groupe de pilotage qui a sélectionné les cinquante initiatives de ce cahiera longuement cherché des actions exemplaires dans la recherche et l’enseignement supérieur pour aboutir sur une récolte de qualité… mais très classique et surtout peu abondante. C’est une mauvaise nouvelle qui a une explication logique : ici plus qu’ailleurs, le système français est enserré dans un corset extraordinairement serré laissant trèspeu deplaceà la respiration. SiSciencespoetHEContpurenaître avec un tel dynamisme, c’est au moins en partie parce qu’ils vivent auxmargesdusystème.Sia puéclore auseindel’universitédeToulouseun institut de recherche économique réputé dans le monde entier, au point de finirpar être reconnuà Paris, c’est parce qu’il y a eu une équipe d’une rare opiniâtreté qui a su déployer beaucoup d’énergie dansl’université et beaucoup de diplomatie dans les coulisses des palais de la République pourfairebougerlesrèglesdujeu. Et si a pu naître à Grenoble un complexe scientifique de recherche dans l’infiniment petit, c’est parce qu’il y avait déjà là une concentration trop rare en France d’industries et de chercheurs. Mais il y a aussi une bonne nouvelle : la donne change vite. Avecla loi votée cet été, les universités vont avoir davantage d’autonomie. Pas encore assez, mais plus qu’avant. Elles qui se sont déjà malgré un début difficile). C’est aussi le cas du lancement des pôles de compétitivité pour fédérer les efforts de centres de recherches, de firmes technologiques et aussi d’investisseurs. La multiplication des initiatives dans l’économie de la connaissance permet d’espérer des retombées positives dans les prochaines années. Même si les Français n’investissent toujours pas assez dans leur recherche et leurs universités. J.-M. V. Recherche : l’Idei, vitrine des partenariats avec le privé Le pôle Minatec, continuité d’un modèle vertueux grenoblois O DE NOTRE CORRESPONDANTE À GRENOBLE. 34 33 35 D G. Fontagné UT1 n n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », disait Rimbaud. Son jeune âge n’a pourtant pas empêché l’Institut d’économie industrielle de Toulouse (Idei) de tutoyer très vite les sommets des classements internationaux. Classé second, voire premier en Europe pour ses travaux en économie, il doit son insolente santé à un modèle de d éve lo pp em e n t in éd it en France : une recherche étroitement appuyée sur un solide réseau d’entreprises partenaires. « A l’époque, nous avons repris à notre compte un modèle qui existait déjà à l’étranger en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, mais pas vraiment en France », rappelle Patrick Rey, le directeur du laboratoire. Les grandes entreprises publiques (La Poste, EDF, France Télécom…) se montrent les premières intéressées pour conclure des contrats de recherche. Très vite, le laboratoire attire des clients… et des chercheurs de renom comme Jean Tirole, le plus nobélisable des économistes français. Il compte aujourd’hui une quarantaine de partenaires publics ou privés (Visa, SFR, le min istère de l’Environnement...). Pour l’Idei, le bénéfice est double. En s’ajustant aux demandes des entreprises, il défriche des domaines de recherche En s’ajustant aux demandes des entreprises, l’Institut d’économie industrielle de Toulouse défriche des domaines de recherche inédits (comme l’économie des cartes de paiement) dans lesquels il devient leader. inédits (exemple : l’économie des cartes de paiement) dans lesquels il devient leader. Objectif Top 10 mondial Grâce à des contrats privés, auxquels s’ajoutent les revenus d’une fondation en capital de 12 millions d’euros, il offre à ses chercheurs des conditions de travail supérieures à la moyenne française (secrétariat, locaux…), attractives au plan international. Moyen, aussi, de contourner certaines règles contraignantes du fonctionnement universitaire − l’Idei est rattaché à Toulouse-I. Ce n’est pas du goût de tous, mais quelques années et autant de lois plus tard, ce qui n’était qu’un pari un peu fou de l’économiste Jean-Jacques Laffont − aujourd’hui décédé − est devenu un établissement pionnier, observé à la loupe par toutes les universités, sur le point, elles aussi, de révolutionner leur financement et leur recrutement. Les chercheurs toulousains, eux, ont déjà le regard braqué sur les prochaines étapes : figurer dans le Top 10 mondial de la re- cherche en économie, aujourd’hui trusté par les universités américaines. Et réussir le pari de la TSE, ou Toulouse School of Economics. LAURENCE ALBERT Degré d’originalité 5/5 Possibilité de diffusion 2/5 L’acharnement peut venir à bout des terribles rigidités universitaires. Et déboucher sur une réussite mondiale. Sciences po bouscule les codes E n guise de cure de jouvence, Sciences po s’est offert… un retour aux sources. L’établissement de la rue Saint-Guillaume a entrepris voilà une dizaine d’années un grand lifting qu’il dit inspiré par son fondateur, Emile Boutmy (1871). « Il avait déjà tout dit sur la nécessité d’être pluridisciplinaire, de s’ouvrir à l’étranger ! Je n’ai fait que revenir aux racines pour mieux affirmer notre singularité et exister dans un monde global », constate, un brin amusé, son directeur, Richard Descoings. Réinventer, sans le dénaturer, un établissement centenaire sur les bancs duquel se sont succédé des générations de dirigeants : plus qu’un exercice délicat, une gageure. Et une nécessité. A l’aube des années 1990, l’Institut d’études politiques de Paris, c’est un peu la petite sœur de l’ENA : sérieux, élitiste… et légèrement assoupi. « J’ai senti qu’il y avait urgence, que nous n’étions plus conformes aux standards internationaux », explique Richard Descoings. Les yeux rivés sur les universités d’outre-Atlantique, le nouveau patron de Sciences po va très vite lui donner une longueur d’avance − et de faux airs de « business school », diront ses détracteurs. Pionnière de l’harmonisation européenne des diplômes, la Rue Saint-Guillaume ouvre dès 2000 ses portes aux étudiants étrangers (40 % des effectifs aujourd’hui). coings, sur lequel l’apostrophent ses étudiants. Sipa Tous droits réservés − Les Echos − 2007 montrées innovantes ces dernières années dans la création de masters vont pouvoir aller plus loin. D’autres changements vont aussi porter leurs fruits. C’est le cas de la création des pôles de recherche et d’ e n s e i g n e me n t su p é ri e u r (PRES) et des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA, comme la Toulouse School of Economics, dans la foulée de l’Institut d’économie industrielle, et la Paris School of Economics, qui s’annonce prometteuse Sciences po, qui se définit désormais comme une « université » et non plus une grande école, a levé le tabou de l’égalitarisme scolaire à la française. Très vite, cette petite révolution en amène une autre : l’établissement s’oxygène et se démocratise. Dès 2001, il tente de casser son image élitiste en étendant son recrutement aux bacheliers de ZEP. L’expérience, fondée sur des concours dérogatoires, lui attire les foudres des contempteurs de la discrimination positive. Mais les résultats sont là : 15 % de boursiers contre 5 % auparavant. Le débat sur la démocratisation et la massification des effectifs n’est pas clos pour autant. A l’heure où Sciences po se cherche une seconde antenne, il hante les couloirs de l’établissement et jusqu’au blog de Richard Des- « Devenir autosuffisante » Car c’est un fait : étudier rue Saint-Guillaume c’est un peu jouer les cobayes au sein d’un bouillonnant laboratoire d’idées observé à la loupe par le milieu universitaire. En dix ans, celle qui se définit désormais comme une « université » et non plus une grande école n’a pas seulement bousculé les codes et levé le tabou de l’égalitarisme scolaire à la française (en modulant ses droits d’inscription en fonction du revenu, en pratiquant un recrutement différencié…). Elle a aussi restructuré son cursus en interne. La scolarité est passée de trois à cinq ans, avec des parcours individualisés, des « écoles professionnelles » (journalisme…) ont fleuri pour accompagner son ambition de devenir « autosuffisante », une stratégie de marque s’esquisse derrière la volonté de créer des antennes ou des alliances. Et, à écouter Richard Descoings, ce n’est qu’un début ou presque. L. A. Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 1/5 Le changement et l’innovation peuven t venir d’un des temples du système. estiné à relever le défi de la miniaturisation extrême, Minatec, marque déposée du CEA, veut devenir le premier pôle européendu secteur et l’undes trois sites mondiaux. Inauguré en 2006 et initié par l’Institut national polytechnique de Grenoble et le CEA, Minatec (micro et nanotechnologies) concentre sur 8 hectares la recherche, l’enseignement et le développement industriel de composants électroniques. Près de 4.000 personnes travaillent sur ce site,quijouxteleLéti,laboratoiredu CEAetpremiercentreeuropéende recherche appliquée en microtechnologies. Dans les cinq ans, le pôle devrait induire 5.000 emplois dans l’industrie ou les services. En créant le concept Minatec, Jean Therme, directeur du CEA, a suivi la tradition grenobloise. « La technopole réunit des caractéristiques très particulières : elle s’alimentedefaçontotalementendogène, ce qui la différencie fortement des technopoles créées ex nihilo. Ce modèle est stable à long terme. Il repose surlaprésenced’un enseignementde hautniveau etde puissantscentresde recherche, couplés avec des groupes industriels, des entreprises traditionnelles et des start-up. » Minatec, au fond, rassemble en un même site ce qui se pratiquait auparavant de manière éclatée dans l’agglomération. Depuis le début du XXe siècle, avec l’apparition de l’hydroélectricité,lesGrenoblois cultiventun modèle illustré par la synergie du triptyque enseignement-recherche -industrie. Une constance qui permetd’afficherunepopulationscientifiqueparmilesplusimportantesde France, avec 17.000 emplois dans la recherche, 220 laboratoires, 5 centres internationaux de recherche,10écolesd’ingénieursetun potentiel de formation de 61.000 étudiants. Investissements massifs Lescollectivitéslocales,conscientes qu’un emploi dans la recherche en crée trois dans les services et la sous-traitance, ne se contentent pas d’engranger les bénéfices de ce développement, mais investissent massivement (150 millions d’euros entre2002et2006) pour financerde nouvelles infrastructures de recherche,encomplémentdescrédits du CEA-Létiet de l’INP Grenoble. Les plates-formes de recherche communes se multiplient, notamment à Minatec. La pluridisciplinarité est en effet plus que jamais la règle, les nanotechnologies se trouvant à la croisée de plusieurs sciences et techniques. Reste l’objectif premier − un vrai défi −, celui deproduireindustriellementàGrenobleleplusgrandnombrepossible des applications issues des laboratoires. GABRIELLE SERRAZ Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 5/5 L’associationdelarecherche,de l’enseignement et de la production est non seulement nécessaire mais aussi possible en France. HEC, grande école devenue mondiale 36 P riorité à l’international ». Depuis douze ans qu’il està latête d’HEC, Bernard Ramanantsoa ne cesse de répéter ce mot d’ordre. Une constance payante : école avant tout hexagonale jusque dans lesannées1990,HECs’estmuéeen une « business school » qui compte sur la scène européenne et mondiale. En témoignent les classements du « Financial Times », référence en la matière : le groupe est depuis trois ans numéro un européen pour les masters et vient de décrocher la deuxième place mondiale pour son MBA Trium en coopération avec New York Stern University et la London School of Economics. Autre signe moins connu : en Chine, HEC forme les dirigeants des entreprises privatisées. Aujourd’hui, 30 % de ses diplômés débutent hors de France, 32 % de ses professeurs sont étrangers et son MBA accueille 84 % de participants internationaux. « Effort au long cours » « Plutôt que d’une stratégie de rupture, cette progression résulte d’un effort au long cours, sur les quinze ou vingt dernières années », estime Henri Proglio, PDG de Veolia et président du conseil d’établissement de l’école. L’école a ainsi mis l’accent sur la recherche et l’excel- lence académique, avec le fameux précepte anglo-saxon « publish or perish » (publier ou périr). Elle a tissé des accords avec des partenaires de premier plan, dans le cadredeTriumcommedel’associationde 17grandesinstitutionseuropéennes. Enfin, elle s’est attachée à communiquer à l’international. Bref,HECa accepté les règles de la globalisation. « Le groupe a su évoluer sans varier dans sa stratégie, souligne Jean-Paul Vermès, viceprésident de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris en chargede la formation.Son projet a toujoursavancédanslamêmedirection. » Avec le soutien constant de la CCIP, qui lui a accordé l’an dernier une dotation de 120 millionsd’eurossurcinqanspourrénoverson campusetrenforcer lecorps professoral. Et de la Fondation HEC, qui lui apporte cette année 4 millions d’euros. JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 En maintenant l’effort dans la durée, une institution française peut s’imposerdansundomaine typiquement anglo-saxon. 12 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Un territoire en plein mouvement E n France, laproduction,l’emploi et la population ne font pas preuve d’un même dynamisme dans tous les territoires. La région parisienne tient ainsi dans ce pays une place toujours aussi prépondérante, à peine écornée par la décentralisation, avec près de 30% de la valeur ajoutée nationale. La moitié de la production nationale est assurée par quatre régionssur vingt-six. Les disparités en matière de PIB sont tout aussi criantes. Ramené par habitant, seul celui d’un Francilien se situe au-dessus de la moyenne nationale. Ces quelques chiffres donnent la mesure des déséquilibres entre territoires. Mais depuis une dizaine d’années, des dynamiques, suffisamment régulières et puissantes pour faire bouger les lignes, se font sentir. La décentralisation administrative lancée audébut des années 80 n’y semble pas pour grand-chose.Les géographes et les économistes remarquent que les régions des façades ouest et sud du pays − dela Bretagne àla Corse en passant par l’Aquitaine et MidiPyrénées − connaissent des taux de croissance de production, mais aussi de population, plus élevés quelamoyenne.Dansunesortede cercle vertueux, cette France qui attire davantage de ménages et d’actifs séduit dans leur sillage des entreprises plus mobiles que leurs aînées de l’industrie lourde. Souvent liées au secteur tertiaire, épaulées par les nouvelles technologies, elles vont là où se trouve la main-d’œuvre qualifiée. C’est ainsi que l’on voit − remarque et s’alarme en même temps le Bipe − émerger des territoires cumulant les avantages (avancées démographiques économiques et même qualité de vie) au détriment des autres. D’autres lignes de force traversent le pays, faisant apparaître, à l’échelle des territoires locaux, une France très hétérogène d’espaces urbains, périurbains et ruraux, de zones d’emploi et autres bassins de vie. On y distingue d’un côté des espaces de croissance, de l’autre des zones fragiles. Dans la première catégorie, on trouve les métropoles régionales, d’une taille leur permettant d’entrer plus facilement dans les économies de la connaissance et de constituer des pôles capables d’agréger des compétences, des activités à forte valeur ajoutéeet des capitaux deplus en plus mobiles. Plusieurs de ces zones parmi les plus qualifiées et innovantes, déjà orientées vers les secteurs les plus porteurs comme Grenoble ou Toulouse, parviennent même à accroître l’emploi industriel. Mais la taille n’explique pas Lyon apporte le concours de ses forces vives aux entrepreneurs 37 DE NOTRE CORRESPONDANTE À LYON. AFP, Hemis.fr A Le quota de porteurs de projets bénéficiant d’un accompagnement dans l’aire urbaine lyonnaise est 2 fois supérieur au reste de l’Hexagone. l’étranger et accroître la visibilitéde ce territoire. Une autre des actions phares de cette démarche fédérative a été baptisée « Lyon, ville de l’entrepreneuriat »etentend réveillerl’envied’entreprendre.Elleaété lancée en 2004 lors du Salon des entrepreneurs. Tout est parti du constat dressé audébutdes années 2000 :cettecité « au tissu économique mature était à la traîne en matière de création d’entreprises », rappelle Christophe Cizeron, directeur du cabinet de Gérard Collomb à la Communauté urbaine de Lyon. Le programme européen Pacerel a servi de déclencheur pour mener un long diagnostic ayantpermisderecenseretauditionner tous les protagonistes Marque ombrelle Les 6 présidents constituant le conseil de gouvernance se réunissent au moins 2 fois par an et délibèrent sur les propositions du directoire, constitué des 6 directeurs de ces instances, qui se retrouvent, eux, tous les mois. « C’est parce que nous avions appris à travailler ensemble que nous avons pu monter les dossiers de 5 pôles de compétitivité labellisés », dit Franz Morize.Autreexemple :lacréation de la marque ombrelle OnlyLyon, adoptéepartoutes lesinstitutionset de plus en plus d’entreprises pour communiquer d’une même voix à 39 opérant dans ce domaine en les repositionnant le cas échéant sur leur cœur de métier pour éviter les chevauchements.Aujourd’hui, une quarantaine de structures a intégré le dispositif Lyon, ville de l’entrepreneuriat auquel ont adhéré le barreau, l’ordre des experts-comptables et la chambre des notaires. Agrément Pour aller plus loin dans la recherche de qualité,ilaété décidéde mettre en place un agrément en bonne et due forme des différentes entités. Chacune est en train de se faire auditionner par un cabinet indépendant sur la base de 10 critères : accueil des porteurs de projet, respect de la confidentialité, plus ambitieuse en 1994, qui lui donne cette fois les moyens d’agir dans la gestion des transports express régionaux. La mise en service, cette même année, d’une nouvelle liaison InterLoire entre Orléans et Nantes permet par exemple un gain de temps d’une heure sur le trajet. DE NOTRE CORRESPONDANTE À ORLÉANS. L AFP Tous droits réservés − Les Echos − 2007 réorientation vers d’autres circuits…,letout donnant lieuàl’attribution d’une note de 1 à 100. Par ailleurs, une base de données communes est en cours d’élaboration par la CCI de Lyon pour en optimiser encore le fonctionnement. LeGrandLyon,quiconsacre un budget annuel de 1,5 million d’euros à cette ligne, procédera à une évaluation de cette politique mais peut, d’ores et déjà, affirmer que cette mise en réseau se traduit par un temps de parcours réduit pour l’entrepreneur en herbe. Les statistiques montrent, elles, qu’entre 2001et 2006, lenombrede créations dans l’aire urbaine lyonnaise affiche une croissance cumulée de 21 %, contre 16 % pour la moyenne française. Ou encore que le quota de porteurs de projets bénéficiant d’un accompagnement y est 2 fois supérieur au reste de la France : 20 % à Lyon, contre 10 % ailleurs. Le modèle intéresse d’ores et déjà d’autres villes comme Grenoble, Saint-Etienne ou même Metz. MARIE-ANNICK DEPAGNEUX Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 4/5 Une coopération en profondeur des institutions est cruciale pour rendre une ville attractive. La région Centre réussit le rail décentralisé e pari pouvait sembler risqué. LarégionCentren’apourtant pas hésité. Plus tôt que d’autres, elle a cru à la relance du trafic ferroviaire régional et a été la première à prendre le train de la décentralisation des trains express régionaux, ou TER. « A l’époque, la SNCF estimait que ces lignes secondaires n’étaient pas rentables et qu’il fallait les fermer. Ici, les élus ont fait le choix inverse », souligne Jean-Michel Bodin (PCF), viceprésidentchargé des transports depuis 1998, qui s’inscrit dans la droite ligne delapolitiqueengagée voilà plus de vingt ans par la précédente majorité. C’est en 1986 que la région commence à explorer cette voie nouvelle, bien avant le transfert de la gestion du transport régional de voyageurs aux régions en 2002 et l’expérimentation de 1997. L’impulsion est donnée par le président UDF, Maurice Dousset, qui fait Bayonne donne une seconde vie à son centre-ville 38 DE NOTRE CORRESPONDANT À BAYONNE. E n adoptant le slogan « Grand Lyon, esprit d’entreprise », élus, patronat et instances professionnelles se sont engagés dans une cogestion du développement économiquedeladeuxièmeagglomération française. Une petite révolution des mentalités supposant que chacun reconnaisse la légitimité de l’autre à agir sur ce champ par-delà les clivages gauchedroite. L’idée, née sous la mandaturede Raymond Barre à la fin des années 1990, a été dynamisée par son successeur,lesocialisteGérard Collomb, « qui s’est impliqué personnellement dans cette démarche », atteste Franz Morize, délégué général de la CGPME du Rhône. Cette confédérationfigure parmi les 6 institutionnels fondateurs aux côtés de la communauté urbaine, de la chambre de commerceetd’industrie,delachambre des métiers et de l’artisanat, du Medef local ainsi que du pôle de recherche et enseignement supérieur université de Lyon. tout. Car si de petites zones, peu qualifiées, dispersées, spécialisées dans des secteurs exposés à la concurrence des pays à bas coût (Epinal, Troyes, Roanne, SaintQuentin, etc.) peinent à retenir les emplois, d’autres, espaces ruraux et petites villes, pas seulement recherchés pour leur cadre de vie, connaissent des évolutions favorables, notamment dans le Grand Ouest. Ces petits territoires abritent souvent des réseaux d’organisation où les acteurs se plaisent à agir en coopération, s’accommodant de la complexité de l’organisation territoriale française, perçue comme une source de stérilité des initiatives locales. PH. M. Plus tôt que d’autres, dès 1986, la région Centre a cru à la relance du trafic ferroviaire régional. alors voter la conclusion d’un accord de partenariat avec la SNCF. « Nous ne pouvions intervenir qu’à la marge sur les dessertes par rapportà un service de référence assuré par la SNCF, mais c’était déjà un gros progrès, car, à l’époque, on parlait plutôt de fermer des gares que d’en ouvrir », note Catherine Monsigny, chef du pôle commercial à la direction des infrastructures et des transports du conseil régional. Après avoir enregistré une hausse du trafic de 19 %, la région passe une nouvelle convention Horaires adaptés aux besoins La région s’engage aussi dans une politique de modernisation des gares et du matériel roulant et se porte candidate lorsque l’Etat invite les régions à devenir autorité organisatricedutransportdevoyageurs à titre expérimental à partir de 1997. Là encore, elle se veut en pointe en insistant sur la qualité du service, mesurée par des indicateurs objectifs. Elle crée un système de bonus/malus pour inciter la SNCF à tenir ses engagements, repris en 2002 lorsque la décentralisation est étendue à toutes les régions. A l’heure du bilan, le succès est aurendez-vous.« Nousavonsdou- blé l’offre et multiplié par trois le nombre de voyageurs, avec plus de 90.000 usagers par jour », poursuit Jean-Michel Bodin. Les dessertes sont passées au crible, les horaires adaptés aux besoins des usagers, les tarifications modifiées pour attirer de nouveaux publics. Une forme de titre unique de transport (carte Multipass) est mêmeexpérimentée dès 1999. Le réseau compte aujourd’hui 135 gares rénovées sur 160. Quant aux rames, elles ont été modernisées ou renouvelées à 93 %, avec plus de 300 millions d’euros investis en matériel depuis dix ans. CHRISTINE BERKOVICIUS Degré d’originalité 1/5 Possibilité de diffusion 5/5 Dans certains domaines, les pouvoirs locaux doivent avoir la main. Bel exemple d’application du principe de subsidiarité. u confluent de l’Adour et de la Nive, Bayonne, depuis qu’elle a été rattachée au royaume de France en 1451, n’a cessé de densifier ses quartiers anciens contenus derrière les remparts. Devenus en 1975 un secteur sauvegardé de 82 hectares, ceux-ci avaient cependant été petit à petit désertésparlapopulation.Un logement sur cinq y était vacant. S’appuyant sur la loi Malraux et les dispositifs de réhabilitation de l’habitat,lavilleaalorsdécidédemettre enœuvre,àpartir de 1979, plusieurs programmes qui, en une douzaine d’années, ont permis de rénover 2.068 appartements. Parallèlement àlamiseauxnormesdubâti,l’architecte Alexandre Mélissinos s’est attachéà enconserver leurcachet et à donner uneunitéàl’ensembledece paysage urbain. Anémié par l’attractivité des communes périphériques et de ses centres commerciaux, le cœur historique de la cité a ainsi été transfiguré par une action de longue haleine de la municipalité, qui a permis d’y faire revenir habitants et consommateurs. Navettes électriques gratuites Depuis, les quartiers centraux revivent, la population de la ville est repartieà la hausse : de 40.000 habitants en 1999, elle est passée à presque 45.000 en 2007. Si beaucoupdejeunesménagesnepeuvent trouver du foncier qu’à l’extérieur de la ville, certains préfèrent toutefois aujourd’hui la vie urbaine dans les quartiers des « Petit » ou « Grand Bayonne ». Encore fallaitil que l’offre commerciale suive : parfois vieillot, manquant de locomotives, le petit commerce de centre-ville a repris des couleurs avec la création en 1998 de l’Office de commerce. Expériencepiloteen France, cet organisme réunit les commerçants, la ville, la CCI, la chambre des métiers et l’office de tourisme avec un même objectif : animerlacité,enrefaire« lepremier centre commercial de la région », selon l’expression de Dominique Destribats, président de l’Office. Troisième initiative : depuis décembre 2003, un réseau de navettes électriques gratuites draine vers le centre les automobilistes ayant stationné leur véhicule dans les parkings implantés au pourtour du centre-ville. En septembre 2008,un nouveau site universitaire édifié sur des terrains occupés auparavant par l’armée viendra apporter une nouvelle animation au cœur de la cité. PIERRE ETCHELEKU Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 5/5 Une municipalité active peut renverser des tendances longues comme le déclin du centre-ville. LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 13 Cartons rouges Port deMarseille. Certes,c’est le « port de tous les talents », le premier français et le troisième d’Europe, plus de 20.000 emplois induits,plusde100millionsdetonnesdetrafic l’an dernier pour la première fois depuis un quart desiècle.Maisquelgâchis !Alorsquela ville de Marseille connaît une véritable renaissance, son port continue de perdre du terrainenMéditerranée et les grèves àrépétition continuent d’éroder sa crédibilité. La comparaison avec Barcelone est cruelle. l Boulogne-Billancourt face à la fondation Pinault. C’était l’histoire d’un musée qui devait s’installer sur l’îleSeguin pour abriter les collections deFrançoisPinault.C’est devenuunmusée…vénitien.Le fondateur de PPR a certes slalomé. Mais la mairie de Boulogne-Billancourtalâchéuneoccasionqu’ellen’aurait jamais dû laisser filer. Un fiasco qui reflète le drame des maires qui se croient éternels et des écolos parfois benêts. l INTERVIEW MICHEL ROUSSEAU PROFESSEUR À PARIS-DAUPHINE « Le nombre d’initiatives dans ce pays est impressionnant » AFP Professeur à Paris-Dauphine, spécialiste des mutations des tissus économiques, Michel Rousseau a mené de nombreux travaux sur l’économie locale. Millau ou le viaduc 40 des records Il a été emprunté par 4,4 millions de véhicules l’an dernier, un chiffre supérieur aux prévisions initiales. Il attire 500.000 touristes par an pour la plus grande joie des commerçants de la sous-préfecture de l’Aveyron. Il a accueilli 10.000 coureurs le 13 mai dernier dans le cadre d’un semi-marathon. Il a même été survolé le 19 septembre dernier par un Airbus A380 passant à 150 mètres seulement au-dessus du sommet des piles, pour les besoins d’un film publicitaire. Recensé 730.000 fois sur Google, le viaduc autoroutier de Millau n’en finit pas de jouer les vedettes et de collectionner les records. Plus long viaduc multihaubanné au monde − 2.460 mètres de tablier métallique supportés par sept piles en béton armé hautes 41 Valenciennes a gagné la bataille pour l’emploi DE NOTRE CORRESPONDANT À LILLE. U Tous droits réservés − Les Echos − 2007 n visiteur qui reviendrait pour la première fois depuis dix ans à Valenciennes ne reconnaîtrait pas l’agglomération. L’atmosphère lourde d’un territoire ravagé par un chômage de 24 % en 1997, sapé par les crises textile, sidérurgique et minière, a complètement disparu. Le tramway flambant neuf qui traverse l’intercommunalité aux artères rénovées incarne ce lent travail de reconquête. JeanLouis Borloo, alors maire, avait bien choisi le nom du nouveau théâtre, le Phénix, premier investissement public majeur dans la capitale du Hainaut français. Le taux de chômage est aujourd’hui tombé à 13 % et les élus locaux osent enfin envisager le seuil des 10 %. Cette métamorphose doit beaucoup aux crédits européens mais aussi à l’état d’esprit général, y compris du côté de l’Etat et 42 de la CCI du Valenciennois, qui ont su faire front commun pour rebondir, à commencer par l’implantation déterminante de Toyota, ses 4.000 emplois et ses multiples sous-traitants. L’Etat a même inventé pour l’occasion le concept de préfet ad hoc nommé pour aplanir toutes les aspérités du dossier. Les oppositions politiques, fortes dans un territoire où la présence communiste fut longtemps très puissante, ont également cédé le pas devant la mobilisation générale pour le développement économique. Valenciennes Métropole, présidé par Jean-Louis Borloo, s’est emparé de cette compétence avec conviction : réseau à haut débit pour les entreprises, multiplication des zones d’activité, y compris franches, mais aussi accompagnement le plus poussé aux entreprises. Témoin, le service d’accueil aux entreprises (SAE) inventé en 1999 dont l’objectif premier était de prendre par la main les expatriés japonais de l’usine Toyota à Onnaing, perdus dans un pays et une région très étrangers à leur culture. « On nous a baptisés longtemps “ cellule Toyota ”, mais nous avions élargi au bout de six mois nos activités à tous les cadres et nouveaux arrivants », explique Ingrid Blasquez, en charge du SAE. Logement, scolarité des enfants, emploi du conjoint… Les services du SAE apportent un vrai plus aux implantations. La structure va à nouveau œuvrer à plein régime les prochains mois, dans le cadre de l’investissement massif du pharmacien GSK à SaintAmand-les-Eaux, qui doit créer 600 emplois. Projet de technopole La diversification tertiaire d’un territoire naguère entièrement industriel s’accroît au rythme de la renaissance commerciale du centre-ville, mais aussi du choix du numérique, porté depuis des années par la CCI du Valencien- nois et par une université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC) aux résultats de placement exceptionnels. Un projet de technopole est d’ailleurs dans les circuits dans le prolongement de l’UVHC, qui permettrait aussi de capitaliser autour du pôle de compétitivité à vocation mondiale I-Trans, axé sur l’industrie ferroviaire. Signe tangible de retournement structurel, la ville-centre, qui était descendue sous les 37.000 habitants, a dépassé à nouveau nettement les 40.000 habitants. Les grues travaillent sans relâche pour construire de nouveaux logements. OLIVIER DUCUING Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 3/5 Un bastion industriel peut rester un bastion industriel à condition de tout réinventer. Michel Rousseau. e TGV Est ne profite pas seulement à la Lorraine ou à l’Alsace. Les grues et les bétonnières ont réveillé la « belle endormie » qu’était Reims avant que le TGV n’ouvre devant Paris les territoires de l’Est. L’une des empreintes les plus visibles de cette nouvelle effervescence est la renaissance du quartier du Clairmarais. Derrièrela gare TGV-Centre, totalement rénovée et modernisée, l’habitat ancien et délabré a petit à petit cédé la place à un quartier d’affaires flambant neuf. Plusieurs milliers de mètres carrés de bureaux et de logements y ont été construits par des investisseurs privés. Nourri par les nouveaux flux ferroviaires qui placent Reims à quarante-cinq minutes de Paris et trente minutes de Roissy, le Clairmarais participe de la transformation de Reims, qui voit ses industries traditionnelles (métallurgie, chimie, mécanique) remplacées par des sociétés deservice.Entrois ans, près de 2.000 emplois ont été créés par 22 producteurs de service, que ce soit dans la finance (ING-Direct), la relation client (Techcity, Intra Call Center) ou l’informatique (Ikoula). Selon l’agence Reims Champagne Développement (RCD), ces créations ont déjà généré près de 62 millions d’euros sur l’agglomération, dont 3 en recettes fiscales. Economies En faisant entrer la Cité des sacres dans lecercledesvilles delagrande couronne parisienne, le TGV Est permet d’établir un nouveau comparatif des coûts de fonctionnement d’une entreprise. Une implantation à Reims permet ainsi selon RCD d’économiser par an et par salarié de 600.000 euros (Vélizy-Villacoublay) à 1,2 million d’euros. Au sud de Reims, la zone d’activités de Bezannes, près de la gare nouvelle Champagne-Ardenne TGV, compte sur cet argument pour se développer : 350.000 mètres carrés y sont à construire, dont 10.000 livrés en 2007 et 7.500 programmés pour 2008. Grand réaménageur d’espace urbain, la première ligne du tramway rémois reliera en 2010 cette gare nouvelle encore isolée au reste de la ville. Cette extension jusqu’à Bezannes n’était pas prévue dans la première mouture du projet. Le TGV l’a rendue inévitable. DOMINIQUE CHARTON Degré d’originalité 2/5 Possibilité de diffusion 4/5 L’impact des grandes infrastructures dépasse largement leurs effets directs. Qu’est-ce qui fait le dynamisme de certains territoires en France ? C’est généralement dû à des traditions entrepreneuriales et à des initiatives locales encouragées par le sentiment d’appartenance à une province, une région, un département, bref,une communauté. C’estle cas de laBretagne,delaVendée, de l’Alsace... On peut parler dans ce cas d’une sorte d’héritage culturel, qui encourage l’effet réseau. La puissance publique a tenté de soutenir ces initiatives locales à travers les systèmes productifs locaux ou, plus récemment, les pôles de compétitivité. Est-ce une bonne chose ? Non. A partir du moment où les fonctionnaires considèrent qu’ils peuvent organiser eux-mêmes les entrepreneurs, cela devient une catastrophe. Quand la Datar a terminé, à la fin du siècle dernier, sa formidable mission de redistribution de la richesse à travers les territoires, elle s’est demandée quoi faire. On a ainsi vu naître sa volonté de devenir un organisateur de systèmes de production,typedistrictsindustrielsàl’italienne. Or iln’y a rien de plus dévastateur que de mettre des fonctionnaires au milieu des entrepreneurs pour les organiser. Cela ne peut pas marcher. Une décentralisation accrue ne permettrait-elle pas alors de libérer plus intelligemment les énergies locales ? La richesse ne naît pas n’importe où ! Elle naît dans l’entreprise, dans la confiance que l’entrepreneur a en lui-même et dans son environnement, notamment celui apporté par les pouvoirs publics en matière de fiscalité, deréglementation, etc.Lessystèmesquiproduisent dela richesse sont ceux où les entrepreneurs partagent leurs expériences, font circuler l’information entre eux et se trouvent dans une perspective confiante de développement. Le nombre d’initiatives dans ce pays est impressionnant ! Mais sans méthode ni stratégie. Alors ces initiatives restent confidentielles puis s’étiolent. Il manque dans ce pays une méthode et une stratégie, territoire par territoire, conduite par les entrepreneurs eux-mêmes. Ce qui m’inquiète beaucoup aujourd’hui, c’est la perte d’influence des chambres de commerce et d’industrie, étouffées par les agences régionales de développement, les comités d’expansion et autres structures du même genre. Alors qu’elles ont un atout irremplaçable : elles sont l’émanation des chefs d’entreprise. A ce titre, elles devraient pouvoir servir d’élément fédérateur des PME, qui sont à la peine dans notre pays et à qui il faut impérativement redonner confiance. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MOREAU Le TGV fait bouger les lignes à l’Est DE NOTRE CORRESPONDANT À REIMS. L performances dont la plus haute culmine à 245 mètres −, cet ouvrage qui relie le causse Rouge aux Grands Causses en passant à 270 mètres au-dessus du Tarn est devenu, depuis son inauguration, le 14 décembre 2004, la vitrine du savoir-faire français actuel en matière de travaux publics. Conçu par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Michel Virlogeux, dessiné par l’architecte britannique sir Norman Foster, qui lui a imprimé une courbure (vu d’avion) s’inscrivant dans un cercle de 20 kilomètres de rayon, réalisé en trente-huit mois seulement et sans aucun accident mortel par le groupe français Eiffage dans le cadre d’une concession de soixante-quinze ans, le viaduc a réussi l’exploit de faire, tout à la fois, sauter l’ancien et traditionnel « bouchon routier du 15 août » et de redynamiser toute une région grâce à l’achèvement de l’autoroute A75 qu’il a permis. C. B. Histoire à suivre Réinventionduréseau ruraldeLa Poste. Après treize ans de dialogue de sourds, La Poste et l’Association des maires de France ont signé en 2005 un accord fixant des garanties relatives à la pérennité et au financement de 2.500 agences communales et intercommunales (sur 17.000bureauxenFrance).C’est unefaçon derépondre à un problème central de la réforme des services publics en France − celuidelaprésence de servicespublics enmilieu rural et de la restructuration des réseaux. Certaines fonctionsrelevantauparavantdeLaPostesontdésormais assumées par de petits commerces en milieu rural. Le processus a des effets majeurs sur l’organisation (regroupement de bureaux et de bureaux distributeurs), sur le fonctionnement (processus de distribution), sur les ressources humaines (gestion des équipes, remplacement, rattachement à un secteur) et enfin sur les prestations rendues (horaires, etc.). l 14 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les voies nouvelles de la cohésion sociale D vers la modernité comporte des avantages comme des risques mais si ces évolutions sont non spécifiques à la France, elles ne lassent pas d’y inquiéter le corps social. Or les associations sont en quelque sorte la métaphore du monde contemporain parce qu’elles réunissent des gens qui veulent travailler ensemblenon par nécessité mais par communauté d’affinités. Leur fonctionnement repose non sur des logiques de besoin mais sur des volontés de miseenréseaux.Labonnenouvelle est que, de manière discrète et irréversible, le secteur associatif se développe et innove, affirmant ainsi sa bonne santé. La France compte epuis une génération, les observateurs dressent les constats successifs de retrait de l’Etat dans de nombreux domaines etdel’affaiblissement du liensocial, jusque et y compris dans les entreprises.Les raisons en sont multiples et tiennent autant à la globalisation des marchés qu’à la montée de l’individualisme. Ces tendances ne font que refléter des évolutions liées à la société contemporaine. Les Etats se font de plus en plus discrets et modestes, économes en moyens et ciblant leurs actions. Les individus, quant à eux, affirment leur volonté d’être les propres acteurs deleur destin et revendiquent leursidentitésmultiples.Cechemin aujourd’hui1milliond’associations etprèsde70.000sontcréées chaque année. Loin de se restreindre aux domaines d’actions connus (le sport, la culture, les activités de loisir), il investit des domaines laissés libres par l’Etat comme certains aspects de l’action sociale, de l’insertion professionnelle ou du développement local. Structures très réactives, bien souvent professionnelles dans leurs modes d’action, les associations s’avèrent capables de détecter de nouvelles aspirations et d’y apporter une solution souvent inédite et pertinente. Marie-Noëlle Besançon a ainsi créé l’association Les Invités au festin pour répondre à la baisse des moyens financiers dans le domaine de la psychiatrie. Son association prend en charge des personnes atteintes de troubles psychotiques. Carole Da Silva lutte, depuis 2002, avec l’Association pour favoriser l’intégration professionnelle (Afip), contre la situation paradoxale qui voit un jeune issu d’une minorité visible d’autant plus discriminé qu’il est diplômé. Alexandre Jardin, fondateur de Lire et faire lire, se bat pour recréer du lien entre les générations par l’entremise de la lecture. Quand elles ont développé une réelle expertise, les associations apportent leur capacité à identifier des problématiques sociétales et à proposer des solutions opérationnelles. Ce faisant, elles contribuent de manière efficace à la cohésion sociale. En revanche, elles ne peuvent fédérer efficacement des initiatives qu’à con ditio n d’in s p irer confiance dans la durée, c’est-àdire en enregistrant des résultats tangibles et probants. Leur bonne volonté affichée n’y suffit pas, tout comme les entreprises, les associations sont condamnées à réussir pour survivre. OLIVIER THÉOPHILE directeur d’études à Entreprise & Personnel 100.000 entrepreneurs, la pédagogie de l’entreprise à l’école 43 es Français n’aiment pas l’entreprise... » La litanie est récurrente depuis des années dans l’Hexagone. Plutôt que de s’y résoudre, fin 2006, Philippe Hayat, quarante-trois ans, polytechnicien, diplômé de l’Essec et « serial entrepreneur », décide de lancer l’initiative 100.000 entrepreneurs. L’idée est simple : faire découvrir aux Français ce qu’est l’entreprise dès leur plus jeune âge. L’association se donne donc pour objectif d’organiser des témoignages bénévoles d’entrepreneurs dans les établissements scolaires, de la 3e à l’enseignement supérieur. « Ecouter un entrepreneur raconter son aventure donne aux jeunes de 13 à 25 ans des perspectives professionnelles, éveille en eux l’envie de s’exprimer par le travail et de prendre leur vie en main », explique Philippe Hayat, qui préside l’association. Et insiste sur la vertu pédagogique du projet. L’intervention, explique-t-il, en effet, « montre qu’il est possible de choisir sa vie professionnelle et qu’elle peut être synonyme d’opportunité et d’épanouissement ». « Trois entrepreneurs sur quatre sont issus de familles d’entrepreneurs. Cela prouve que l’acte d’entreprendre n’est pas na- Quant à SAP, il va développer des modules d’initiation aux nouvelles technologies en ligne auprès des jeunes concernés. turel », affirme le fondateur. A défaut d’un recul suffisant − pour l’heure, l’association n’intervient qu’en Ile-de-France et devrait bientôt être active en RhôneAlpes − pour savoir si cette initiative fera naître de réelles vocations d’entrepreneurs, le projet semble faire recette. « En moins d’un an, l’association a trouvé sa place auprès du monde entrepreunarial et des enseignants », explique encore Philippe Hayat. Vers les jeunes des ZEP Le 13 décembre 2006, une charte visant à favoriser l’accès à l’égalité des chances a été signée avec l’ex-ministre de l’Education, Gilles de Robien. L’objectif est de démarcher prioritairement, académie par académie, les jeunes des ZEP et des « quartiers sensibles », même si l’association a vocation à s’adresser à l’ensemble des jeunes. Un partenariat sera signé le 15 novembre prochain avec l’académie de Paris, en présence de Xavier Darcos, le ministre de l’Education, au lycée Paul-Valéry, dans le 12e arrondissement de Paris. Plus d’un millier d’entrepreneurs et plusieurs centaines d’enseignants ont déjà rejoint l’initiative, permettant de programmer DR L « Ecouter un entrepreneur raconter son aventure donne aux jeunes de 13 à 25 ans des perspectives professionnelles, éveille en eux l’envie de s’exprimer par le travail et de prendre leur vie en main », explique Philippe Hayat (ici, lors d’une intervention à Bondy), président de l’association 100.000 Entrepreneurs. quelque 250 interventions dans des établissements scolaires et de toucher plus de 7.000 élèves. Objectif à cinq ou d ix ans : 100.000 interventions qui permettraient de toucher 3 millions de jeunes chaque année. Quatre grands groupes sont venus apporter leur soutien financier à cette initiative : les Caisses d’Epargne, SFR, SAP et le groupe PPR de François Pinault. En octobre dernier, celuici a rejoint le projet via son association SolidarCité, dont la vocation est de soutenir les initia- tives des collaborateurs du groupe en matière de solidarité, de cohésion sociale ou d’égalité des chances. Chaque fois, l’appui financier se double d’un partenariat opérationnel. SFR propose déjà des stages d’observation dans son réseau de boutiques. « Beaucoup d’idées reçues » « Il y a beaucoup d’idées reçues sur la difficulté de la création d’entreprise en France. Un bon projet avec un bon entrepreneur trouve toujours de l’argent sur le marché. Le problème, c’est qu’il y a très peu de fonds d’amorçage disponibles dans le secteur des nouvelles technologies. Il y a 4.000 “business angels” en France, contre 40.000 en GrandeBretagne et 400.000 aux EtatsUnis », souligne Philippe Hayat, qui enseigne la finance d’entreprise à l’Essec. L’ex-fondateur de l’incubateur Kangaroo Village (revendu à la Société Générale en 2003), en est à sa quatrième aventure en treize ans. Mais cette fois-ci, à la tête d’une start-up à but non lucratif. C. F ET P. DE G. Degré d’originalité 4/5 Possibilité de diffusion 5/5 La pédagogie entrepreneuriale peut faire bon ménage avec la pédagogie scolaire. Force Femmes, une initiative de dirigeantes indignées 45 AFP Tous droits réservés − Les Echos − 2007 C Lire et faire lire, le goût 44 des livres dès l’enfance Des retraités qui racontent des histoires aux enfants : le principe de l’association Lire et faire lire est on ne peut plus simple. L’effet madeleine de Proust est immédiat. Tout le monde ou presque a fait, étant petit, l’expérience de la lecture avec ses grands-parents. Lancée en 1999, l’association, portée par la figure médiatique de son cofondateur Alexandre Jardin, compte aujourd’hui plus de 11.000 bénévoles. Près de 5.000 structures éducatives lui ont ouvert ses portes, parmi lesquelles principalement des écoles, mais aussi des crèches, des collèges, des centres de loisirs, des bibliothèques ou encore des hôpitaux. Environ 250.000 enfants ont ainsi pu écouter les récits de ces lecteurs du troisième âge. Les ingrédients de la réussite ? « Il nous fallait trouver une pratique reproductible, qui ne dépende pas du génie supposé de deux ou trois personnes, et qui mobilise les réseaux existants plutôt que de partir de zéro », indique le romancier à succès, qui a convaincu la Ligue de l’enseignement et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) de faire route avec l’association. Ce faisant, celle-ci a pu bénéficier de leur savoir-faire en matière d’implantation locale, de financement et de crédibilité. Pour mener à bien ses opérations, Lire et faire lire mobilise ainsi deux millions d’euros chaque année, alors que son budget propre est de 250.000 euros. Si certaines entreprises mécènes ont quitté le navire, l’Education nationale a en partie pris le relais. Pour s’assurer que l’enthousiasme du début ne retombe, des chartes définissant le rôle et les engagements de chacun sont signées avec les partenaires. Et, à chaque signe d’essoufflement, Alexandre Jardin relance la machine : un passage à la télé ou une opération avec la presse quotidienne régionale et « ça cartonne : les volontaires accourent ». CA. F. hristina Fernandez de Kirchner, cinquante-quatre ans, tout juste élue présidente d’Argentine, après Michelle Bachelet, cinquante-cinq ans, présidente du Chili, et en attendant Hillary Clinton (soixante ans) aux EtatsUnis… Le XXIe siècle sera-t-il enfin celui de l’égalité entre les hommes et les femmes ? Malheureusement, derrière ces destins extraordinaires, les stéréotypes n’ont pas disparu. Surtout en France. Prenez l’exemple des femmes cinquantenaires qui cherchent un emploi. « Là, c’est le triangle des Bermudes, ironise Véronique Morali, administratrice de Fimalac, fondatrice de Force Femmes. Sur le marché de l’emploi, les femmes sont en risque à partir de 45 ans, au moment où elles sont en pleine possession de leurs facultés intellectuelles, où elles ont de l’expérience, de la maturité et éventuellement une plus grande disponibilité car leurs enfants ont grandi. » C’est ainsi que, il y a deux ans, avec le petit cercle de femmes chefs d’entreprise qui ont lancé le Women’s Forum, Véronique Morali lance l’association Force Femmes pour soutenir l’emploi de femmes de plus de 45 ans. « Nous avions toutes autour de nous des exemples de femmes en difficulté, à l’issue d’un licenciement, d’un divorce, d’un deuil... et le sentiment qu’il fallait bouger pour lutter contre une double discrimination du sexe et de l’âge. Ce n’était pas glamour et notre projet a été accueilli avec un grand scepticisme. » Dans les salons parisiens, on leur a souvent demandé ce qu’elles, des femmes riches et qui ont réussi, allaient faire dans cette galère. Bénévole, Véronique Saubot, qui a créé son entreprise après des années passées chez Valeo, répond à la vitesse de l’éclair : « J’ai quarante ans, mais je suis révoltée par le taux incroyablement faible de l’emploi des seniors en France, et je veux changer les mentalités. Pour avoir travaillé dans un grand groupe, je connais l’inertie du système. Et je veux renforcer la création d’entreprises en France. » Transmission de savoir Deux ans après sa création, Force Femmes affiche un bilan encourageant. Avec des moyens infimes, puisque le principe repose sur le bénévolat et la transmission de savoir. Des femmes qui sont en poste, donnent de leur temps à des femmes découragées de se voir fermer les portes au motif qu’elles sont trop vieilles ou trop chères. Celles-ci s’inscrivent par Internet et sont ensuite reçues pour un entretien individuel. « Le but est de casser le cercle de l’exclusion, explique la déléguée générale, Elise Moison, par des entretiens individuels, la constitution d’ateliers, des conférences, une cellule d’accompagnement à la création d’entreprises… ». En deux ans, l’association a reçu individuellement 2.320 femmes et est parvenue avec ses 85 bénévoles à trouver 230 emplois. Force Femmes aura 15 antennes en province à la fin de l’année et 25 en 2008. « Pour créer des antennes à Lyon, Lille ou toute autre ville, on recherche parmi nos connaissance une femme tête de réseau, qui peut parler à la presse, aux entreprises, aux bénévoles. Pour décrocher des emplois, on démarche les entreprises et nos contacts », explique Véronique Morali. Face à la galère, les femmes se retroussent les manches : un modèle associatif inédit en Europe. Peutêtre parce que les rigidités de l’emploi et le jeunisme qui règnent en France n’ont pas d’équivalent. ANNE BAUER Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 4/5 Une association peut être précieuse pour venir en aide à une population en détresse mal détectée par les indicateurs classiques. LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 - 15 Les Invités au festin, créateurs de la psychiatrie citoyenne la psychiatrie, il est important d’essaimer. » A Essaimage Après l’expérimentation est donc venu le temps de l’essaimage. C’est là qu’intervient Jean Besançon, marideMarie-Noëlle, quifut directeur financier d’ungroupe informatique puis formateur, mais qui a lui aussi attrapé le virus de la psychiatrie citoyenne. Il a lâché son emploi il y a un an pour se consacrer à temps plein aux « Invités » et à la conceptualisation d’un réseau. Car les demandes d’accueil affluent. « Nous avons répondu à quatre d’entre elles à Lille, Lyon, Montpellier et Paris. Ici, nous avons fait le prototype,nous passons enphase de pré-série », détaille en souriant le directeur de l’association et président du réseau IAF, qui vient d’élaborer stratégie et charte. Besançon a été créé un lieu de vie pour personnes en détresse psychique où, peu à peu, ses « invités » reprennent pied. Une alternative à l’enfermement psychiatrique qui constitue le pilote d’un réseau en train de naître. C’est la publication desonlivre témoignage en 2005qui afaitconnaîtrel’expérimentation de Marie-Noëlle Besançon. Depuis 1999,cettepsychiatre a concrétisésonrêve : créerunlieude vie alternatif à l’enfermement psychiatrique.Dans« Ondit qu’ilssont fous et je vis avec eux », la fondatrice de la Maison des sources, à Besançon (Doubs), raconte la naissance de l’utopie jusqu’à sa réalisation,endévoilantsoncheminement de thérapeute, la création de l’association Les Invités au festin, en 1990, puis celle du lieu de vie, en 1999. Une expérimentation menée dans un couvent racheté cette année-là aux capucins et dont les résultats peuvent être chiffrés : « Deux mille journées d’hospitalisation économisées chaque année, soit 750.000 euros, pour de très bons résultats », estime-t-elle. Une centaine de personnes aux problèmes psychiques plus ou DR DE NOTRE CORRESPONDANT À BESANCON. Une centaine de personnes aux problèmes psychiques plus ou moins marqués viennent à l’accueil de jour de la Maison des sources, à Besançon. moins marqués viennent à l’accueil de jour de la Maison des sources, et s’impliquent dans l’une des 35 activités proposées : des ateliers friperie, écriture, informatique, coiffure, théâtre, jardinerie, menuiserie, Qigong, etc. Elles se mêlent aux 13 personnes hébergées dans la maison relais intégrée des Capucines et aux bénévoles. Chacune étant responsabilisée, il est bien difficile de distinguer les uns des autres. Cette absence de frontières est le principe de base de la Maison des sources et l’un des éléments clés de sa réussite thérapeutique. MarieNoëlle Besançon, qui a finalement lâchésoncabinet depsychiatrelibérale pour se consacrer totalement à ses « Invités au festin », a l’habitude de dire que cette maison n’est pas un lieu de soin, mais un lieu qui soigne. « Les gens vont mieux, ils sont moins hospitalisés, ils prennent moins de médicaments. Vu l’état de MONIQUE CLEMENS Degré d’originalité 5/5 Possibilité de diffusion 2/5 Les associations peuvent utilement intervenir dans des domaines officiellement « bien couverts ». Passeport télécoms, soutien pour accéder aux grandes écoles 48 R une école d’ingénieurs ou de commerce-managementàdesétudiants issus de zones urbaines sensibles ou à proximité de ces quartiers. approcher les jeunes issus de milieux défavorisés du monde des grandes écoles puis de celui des entreprises. Telle est la mission du Cercle Passeport télécoms où des salariés de SFR, d’Orange et des principaux équipementiers télécoms jouent les tuteurs pour faciliter l’accession de jeunes issus de milieux défavorisés aux grandes écoles. A l’initiative de l’opérateur mobile SFR, cette association a vu le jour en 2006. Le « Cercle » s’est alors élargi à d’autres grands noms du secteur : Alcatel-Lucent, Ericsson, Motorola, Nokia, Siemens, Nokia-Siemens Networks et, plus récemment, Orange. Concrètement, le programme vise à faciliter l’accès à Premiers résultats prometteurs Des classes préparatoires jusqu’à l’obtention du diplôme, les élèves sont accompagnés par un salarié d’une des sept entreprises partenaires. Endossant le rôle de tuteur, « ilssontlàpourlesguiderdansleurs études, les informer sur le monde de l’entreprise et ses codes mais aussi pour leur ouvrir leur carnet d’adresses », explique Benjamin Blavier, délégué général de l’association et directeur Responsabilité et Innovation sociale chez SFR. Et ça marche : Alcatel-Lucent a, par exemple,mobilisédes salariésaméricains pour donner des cours d’anglais. Mais le tutorat ne fait pas tout etencore faut-il donnerà ces jeunes lesmoyens financiersdepoursuivre leurs études. Pour cela, la chaîne d’hôtels Formule 1 et le Crédit Mutuel sont récemment entrés dans le « Cercle », le premier en proposant deux nuitées à proximité des centres d’examen, le second via un prêt bancaire. Cette initiative est encore récente mais les premiers résultats semblent prometteurs : près de 400 élèves ont bénéficié d’un tutorat individuel l’an dernier. Sur les 273 ayant passéles concours avant l’été, 87 % ont intégré une grande école. Pour cette année scolaire, 42 lycées avec des classes préparatoires (ATS, ECT, TSI) et 29 grandes écoles ont décidé de jouer le jeu. « S’il n’y a aucun engagement de recrutement, le Cercle nous permet aussi de repérer très en amont les bons éléments », poursuit Benjamin Blavier. Un partenariat gagnantgagnant. FRÉDÉRIC SCHAEFFER Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 5/5 L’égalité des chances peut passer de la pétition de principe à une volonté concrète, à condition d’associer des partenaires très différents. L’Afip, un lien nouveau entre les entreprises et la banlieue 49 Nes et Cité, pour apprendre à gérer 47 la violence des banlieues Rien n’y fait : depuis les années 1990, « Vaulx-en-Velin » est synonyme, dans l’imaginairecollectif,dequartierdifficiledelabanlieuelyonnaiseoùriennepeut changer.Silesclichés ontlaviedure,etsi defaitla situationyestsansdouteplus difficile que dans bien des endroits en France, il ne faut pas dire à Abdel Belmokaden que rien n’y change ! Lui qui fut le premier médiateur de cité de France, poste créé au lendemain des émeutes de 1990, est un observateur etun acteur privilégié. Conscient de la limite de son rôle pour transformer le paysage de la cité, il a décidé de tenter l’aventure du privé en 2001. Etde créer seul, alors, dans la pépinière « Carco », un cabinet de formation et de médiation en gestion des conflits et des violences urbaines. Le nom est vite trouvé pour cet homme d’origine nord-africaine qui est né à Vaulx-en-Velin : ce sera « Nes et Cité » en référence au prénom de sa fille aînée, Ines, et parce que le mot veut aussi dire « les gens » en arabe. En six ans, la société a développé un produit quasi unique de gestion de la violence. « Nos formateurs et nos consultants scénarisent toutes les situations de conflit du quotidien, jusqu’au point paroxystique. C’est d’ailleurs là que réside l’efficacité de la formation et les participants sont capables d’utiliser ce qu’ils ont appris en trois jours », explique-t-on au sein de l’association. La démarche semble séduire les entreprises. Dans son portefeuille, Nes et Cité compte des grands groupes tels que GDF ou Coca-Cola. Aujourd’hui, la société, qui réalise un chiffre d’affaires annuel supérieur à 700.000 euros, vient de quitter la pépinière d’entreprises qui l’avait vu naître pour s’installer en centre-ville. Etelle multiplie toujoursles initiatives.Parmiles plus symboliques, l’opération« Jobset Cités » (uncamion transformé enforum de recrutement qui sillonne les banlieues parisiennes) ou bien encore, en juin dernier, « Cité Stadium », qui a permisde réunir au stade Gerland les recruteurs C. F. de 24 entreprises et les jeunes en recherche d’emploi. L’agence nouvelle des solidarités actives, une boîte à essais pour lutter contre la pauvreté ous les rapports publics ne fi- unique d’insertion, contenu dans le T nissent pas dans les oubliettes projet de loi « instituant le droit de l’administration. L’agence nou- opposable au logement et portant 50 velle des solidarités actives est-elle une exception qui confirme la règle… ou un exemple ? Elle a été créée en 2006 par Martin Hirsch, auteur du rapport public « Au possible, nous sommes tenus, la nouvelleéquationsociale »publiéunan plus tôt. Son but est clair : expérimenter et évaluer des programmes novateurs de lutte contre la pauvreté. Son ambition a, elle, été fixée par Nicolas Sarkozy lui-même : « Réduire d’au moins un tiers en cinq ans la pauvreté » en France. Dans les faits, l’agence que dirigeait l’ancien patron d’Emmaüs avant de devenir haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté est devenue un laboratoire d’essais de plusieurs projets mis en place par les pouvoirs publics. Elle a ainsi testé sur le terrain la modernisation du RMI, via l’expérimentation dans 25 départementsdurevenudesolidaritéactive (RSA) prévu par la loi de Finances 2007et quiétaitune des 15 propositions du rapportde 2005. Autre test sur le terrain, celui du contrat diverses mesures en faveur de la cohésion sociale » adoptée par le Parlement le 22 février dernier. Unemission quiaétéconfirméeces dernièressemainesparNicolas Sarkozy lui-même. De toute évidence, le chef de l’Etat attend beaucoup de cette structuremandatéepour« transformer en profondeur la prime pour l’emploi », ou encore « simplifier le plus profondément possible le régime des contrats aidés » et, surtout, mettre en place des démarches innovantes sur la santé, les difficultés de se loger, de se déplacer, de faire gardersesenfants,d’avoiraccès aux services bancaires ou de sortir du surendettement. C. F. Degré d’originalité 5/5 Possibilité de diffusion 2/5 Une association efficace et imaginative peut faire vite bouger les frontières dans l’action publique. DR Tous droits réservés − Les Echos − 2007 D es candidats issus de l’immigration découragés, des entreprises encore dans le déni de leurs pratiques discriminatoires à l’embauche, et Carole Da Silva au milieu. Trop, c’est trop : en 2002, après avoir constaté, dans le cadre desonmémoirede diplômeuniversitaire, l’ampleur de l’inégalité des chances en France, Carole Da Silva décidedefonderl’Association pour favoriser l’intégration professionnelle (Afip). Son objectif : décomplexer les parties prenantes et rétablir le lien en « dévictimisant » le jeune demandeur d’emploi et en « déculpabilisant » l’entreprise. D’un côté, « il faut redonner confiance au candidat, car s’il n’y croitplus,toutentretien d’embauche est voué à l’échec », explique-t-elle, et de l’autre, « il faut aussi un gros travail de sensibilisation des recruteurs, faire tomber les représentations, changer les habitudes très corporatistes. » L’association compte aujourd’hui trente grandes entreprises partenaires (Alstom, EDF, Areva, Danone, SNCF…), qui la cofinancent,aveclarégion Ile-de-Franceet la Ville de Paris, et lui transmettent des offres d’emplois. Charge à l’Afipdeprésélectionner des candidats (qui arrivent à l’Afip via l’ANPE, l’Apec ou le bouche-àoreille) adaptés parmi les DR 46 L’Association pour favoriser l’intégration professionnelle accompagne 200 jeunes chaque année, à raison de deux ateliers de travail par semaine (préparation d’entretien, construction de parcours professionnel, etc). 200 jeunes qu’elle accompagne chaque année, à raison de deux ateliers de travail par semaine (préparation d’entretien, construction de parcours professionnel, etc). En outre, des cadres supérieurs ou des dirigeants, séduits par la démarche, parrainent des candidats et les aident dans leurs démarches. Ce travail de fourmi, et de fond, menéparCaroleDaSilva,luiavalu d’être nommée au Haut Conseil à l’intégration (HCI) et au comité consultatif de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Entreprises « encore modérées » Autant de postes d’observation des grandes évolutions de la société française, sur lesquelles elle porte un regard optimiste mais lucide. Depuis la crise des banlieues de 2005, analyse-t-elle, « la volonté des entreprises de promouvoir l’égalité des chances est réelle, mais elles sont encore modérées dans leurs approches. Finalement, les DRH sont convaincus, mais les opérationnels n’ont pas envie de prendre de risques, de sortir de leurs habitudes. » DEREK PERROTTE Degré d’originalité 3/5 Possibilité de diffusion 3/5 Despasserelles associatives sont parfois indispensables pour permettreaux entreprises de passer du discours à l’acte. Histoires à suivre l Women’s forum. Le Forum des femmes pour l’économie et la société n’en est qu’à sa troisième édition, mais il existe déjà à l’échelle mondiale. Et s’il rassemble à Deauville des femmesd’affaires et d’influence, il contribue aussi à tisser des réseaux de solidarité sur toute la planète. l Reporters d’espoir. Les journaux sont souvent accusés de concentrerl’information sur lestrainsen retard. L’association Reporters d’espoir cherche à éclairer un autre versant de l’actualité, celle qui « valorise l’information porteuse de solutions pour impliquer le plus grand nombre ». Outilsemployés : desprix, un magazine annuel, une base de données, une agence d’information… 16 - Les Echos - jeudi 22 novembre 2007 LA FRANCE QUI SE RÉINVENTE Deux regards de l’étranger A lire « Stratégie océan bleu » Un véritable manuel de la réinvention d’entreprise, sous la forme d’un bestseller mondial du management. Plutôt que de pêcher dans des océans (ou des marchés) parcourus de tous, les deux professeurs de l’Insead de Font ai n e bl ea u expliqu en t qu’il faut au contraire trouver de nouveaux océans. La vraie innovation crée de la valeur sur un marché global qu’elle contribue à accroître, au lieu de constituer une arme dans la concurrence. L’un de leurs exemples favoris est… le québécois Cirque du soleil. W. Chan Kim et Renée Mauborgne, Village mondial, 2005. « 4 milliards de nouveaux consommateurs » Les entreprises s’intéressent rarement aux quatre milliards d’hommes et de femmes vivant avec moins de deux dollars. Pourtant, cette « base de la pyramide » constitue un gisement d’entrepreneurs et de clients, explique C. K. Prahalad, professeur de management à l’université du Michigan. A condition de voir à long terme pour trouver de nouveaux modèles de production, de financement, d’art i cu l at i o n entre entreprises, pouv o i r s p ublics et société civile. C’est ce que tentent de faire Essilor en Inde et Danone au Bangladesh. C.K. Prahalad, Village mondial, 2004. Tous droits réservés − Les Echos − 2007 « Les multinationales du cœur » Le boom des associations dépasse largement la France. En une génération, une nouvelle catégorie d’acteur a réinventé le jeu politique mondial : les o r g a n i s ations n on gouve rn emen t a l es . Elle a par exemple réussi à faire de l ’en vironnement une préoccu pation majeure. Deux intellectuels français explorent les tensions qui traversent les ONG entre action et participation, contestation et coopération. Marc-Olivier Padis et Thierry Pech, La République des idées/Seuil, 2004. « Éducation et croissance » Destiné à ceux qui doutent encore que l’enseignement supérieur est la voie obligée de l’avenir. Pour se rapprocher de la « frontière technologique » où se préparent les marchés de l’avenir, il faut renforce r l a r echerche et donc l’université. Or la France a eu « un système d’enseignement supérieur longtemps « adapté » à une économie relativement fermée où sélection des élites, production de connaissances scientifiques et formation de professionnels étaient disjoints. » Les deux économistes font une démonstration à la fois claire et peu contestable. Philippe Aghion et Élie Cohen, rapport n°46 du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2003. SUZANNE BERGER PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE AU MASSACHUSETTS INSTITUTE OF TECHNOLOGY « Pour qu’il y ait réinvention, il faut laisser mourir ce qui ne marche plus. Ici, la France bloque » Suzanne Berger est professeur de science politique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et directrice du programme MIT France. Elle a écrit de nombreux ouvrages, dont les plus récents sont « Notre première mondialisation » (La République des idées/Seuil, 2003), où elle analyse les réponses politiques apportées en France lors de l’ouverture des frontières à la fin duXIXe siècle,et« Madeinmonde » (Seuil, 2006). On oppose souvent vieille et nouvelle économie, comme si la première était incapable de se réinventer. Partagez-vouscettevision ? Je n’aime pas cette distinction. Des pans entiers de cette prétendue « vieilleéconomie » sontd’ailleursen plein boomen ce moment, comme la sidérurgie et d’autres industries liées aux matièrespremières. Et passeulement parce que la croissance de la Chine oudel’Indeontuneffetstimulant, mais aussi parce que certaines entreprises de ces secteurs ont su intégrer desinnovationspourse réinventer. La clef du succès est là. Il ne s’agit pas de faire partie d’un bon ou d’un mauvais secteur, il s’agit d’être capable d’assimiler l’innovationpour se réformer. Je prends souvent les exemples du textile, de l’habillement oude lachaussure, autantdesecteurs qui pourraient sembler condamnés. Et pourtant, aux Etats-Unis comme en France, en Italie ou en Espagne, il y a des réussites récentes dans ces secteurs, prouvant qu’il n’y a pas de fatalité. Est-ilplusfaciledeseréinventerdans certains pays quedans d’autres ? Oui. Pour qu’il y ait réinvention, il faut dans une certaine mesure être prêtàlaissermourircequinemarche plus ou ce qui n’arrive pas à changer. Il faut ensuite disposer de mécanismes permettant de réutiliser les hommes et les capitaux ainsi libérés. Sur ce point, certains pays semblent désavantagés. La France fait un blocagetrèsfort lorsqu’il estquestionde laisser disparaître ce qui ne fonctionne plus. On met en place des mesures protectionnistes pour défendre certaines catégories de commerçants ou on instaure des mécanismes de soutien public, dans le cas de Bull, dans l’informatique, par exemple. Les Etats-Unis n’ont pas de tels états d’âme. La disparition de certaines entreprises est beaucoup plus facilement tolérée, les moyens réalloués plus naturellement. Un groupe comme Digital Equipment a pu disparaître et certains de ses anciens employés sont partis fonder ce qui est devenu Sun Microsytems. La réincarnation est possible. C’est quand même aussi le cas en France ! Chez vous, la décision passe souvent en force. Dans de trop nombreux cas, les forces qui ont été retirées d’un endroit ne sont pas réemployées ailleurs. Exemple le plus frappant : les nombreux départs en préretraite. Les gens sortent alors définitivement de l’économieproductive. C’est un gâchis à la fois moral, économique et social. On achète peut-être la paix sociale, mais on se prive d’actifs. Voyez-vousd’autres freins français ? La France dispose d’un excellent niveau de recherche, mais le passage qui mène de l’innovation à la création d’entreprise semble singulièrement étroit. Trop peu d’entreprises survivent. Parmi celles qui survivent, trop peu créeront de nombreux emplois. Pourquoi ? D’abord parce que les canaux menant des universités aux entreprises sont trop souvent bouchés. Les pôles de compétitivité devraient d’ailleurs avoir comme première préoccupation d’encourager la collaboration entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise. Ensuite, la France semble ne pas La France dispose d’un excellent niveau de recherche, mais le passage qui mène de l’innovation à la création d’entreprise semble singulièrement étroit. Le Français a peur de perdre ce qu’il a. Le Chinois a peur de ne pas gagner quelque chose qu’il pourrait avoir. faire assez confiance aux étrangers. Aux Etats-Unis, on ne compte plus le nombre d’entrepreneurs, d’étudiants ou de professeurs qui ne sont pas nés ici. Le pays est très attractif, et il donne envie à ceux qui sont venus de rester. Il importe du talent et de l’innovation. Les universités françaises devraient jouer également cette carte à fond. La peur de l’étranger serait alors un réel freinpour la France. Denombreuses barrières sont dressées sur la route des étrangers dans lasociétéfrançaise.Combiendefois n’a-t-on entendu des slogans hostiles à des implantations de laboratoires ou d’entreprises étrangères, ou à des prises de participation par des fonds étrangers de capitalrisque ! On parle d’espionnage industriel et de pillage technologique. Ne soyons pas naïfs, le risque existe. Mais quel est le plus grand danger que court la France ? Celui d’être une victime une fois de temps en temps d’un acte malveillant ou de sortir de la boucle mondiale des processus d’innovation ? Dans l’équilibrage entre le risque et la récompense, le choix devrait être clair. Les banques françaises sont-elles trop frileuses faceà l’innovation ? L’argumentn’est pasneuf.Avantla Première Guerre mondiale, certains critiquaient déjà des banques françaises jugées trop prudentes et ne souhaitant pas investir dans leur industrie nationale, à l’inverse des banques allemandes. Mais, en réalité, le financement des nouvelles entreprises innovantes aux EtatsUnis vient assez peu des grandes banques traditionnelles. Ce sont les « venture capitalists » (capital-ris- queurs) qui interviennent. La France devrait aller dans cette direction en favorisant le développement de capital-risqueurs capables d’aider une entreprise à voir le jour et de financer la croissance dans la durée. Avoir des capitaux pour un an ou deux ans ne suffit pas. La culture française est-elle en cause ? Je travaille surtout sur les facteurs institutionnels. Mais il est vrai que dans le cas français, il semble qu’il y ait aussi des blocages d’ordre psychologique. Il y a, par exemple, une vraie stigmatisation de l’échec. Echouer est humiliant. L’expérience n’est pas la même dans la Silicon Valley, par exemple, où l’on dit en ne plaisantant qu’à moitié qu’il faut avoir connu au moins un échec avant de réussir. Il y a une culture du risque qui n’est clairement pas la même en France. Un ingénieur chinois dans un groupe français m’expliquait ainsi que certaines innovations proposées par les Chinois étaient repoussées par les Français de peur que l’innovation ne vienne cannibaliser des produits existants. Le Français a peur de perdre ce qu’il a. Le Chinois a peur de ne pas gagner quelque chose qu’il pourrait avoir. Le gouvernement peut-il jouer un rôle moteur et faciliter la réinvention ? Un gouvernement peut favoriser l’innovation et faciliter ensuite sa diffusion dans les entreprises. Je ne pense pas que l’heure soit encore aux grands projets lancés du sommetcommeAirbus,leConcordeou un Google à la française… Les priorités sont ailleurs. La France peut, à juste titre, être fière de son TGV,maiscelaneveutpasdirequ’il n’yaitplusrienàfairesurlefrontdes infrastructures.En Ile-de-France,le réseau de transports en commun ne relie pas entre elles les ressources des entreprises, des laboratoires de rechercheetdes universités. Le problème est à la fois identifié et traitable. Dans l’éducation, le constat est encore plus sévère. Les mesures en faveur de l’autonomie des universitésdécidéescetteannéenesont qu’un petit pas dans la bonne direction. Il faut que la France mette beaucoup plus de moyens dans son enseignement supérieur. Vous savez qu’aux Etats-Unis l’investissement dans les services publics n’est pas notre fort. Mais comparez la Sorbonne à la plupart des universités publiques des Etats-Unis : le constat est cruel. Etes-vous aussi critique envers les pouvoirs publics locaux ? Non. De nombreuses régions ou villes se sont, par exemple, mobiliséesenfaveurdespôlesdecompétitivité. Il y a sans doute là un appétit qu’il faudrait encourager, en donnant par exemple plus de moyens fiscaux aux pouvoirs locaux. Vous êtes très critique à l’égard de la France. L’êtes-vous aussi à l’encontre des Etats-Unis ? Le « court-termisme » qui fait désormais partie des gènes des entreprises est un vrai problème. Les grandes entreprises comme ATT, IBM ou Xerox, qui disposaient autrefois de laboratoires de recherche fondamentale, ont cessé ces investissements. La recherche est désormaisliéeàdescentresdeprofit.Elle doit produire des résultats à court terme. Or, les innovations nées dans ces laboratoires constituent l’origine lointaine de la révolution des technologies de l’information. Les entreprises ayant constaté que ceux qui avaient investi n’étaient pas forcément les bénéficiaires des innovations, elles privilégient désormais la recherche à court terme. Dans une certaine mesure, le gouvernement fédéral s’est en partie substitué à ces grands groupes en investissant dans les biotechnologies. Mais combien de temps notre Etat fédéral, très endetté, pourrat-il continuer à investir de la sorte ? PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID BARROUX TITO BOERI PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ BOCCONI DE MILAN ET FONDATEUR DU SITE WWW.LAVOCE.INFO « Il y a un sérieux problème de dialogue social en France » Quelssont,selonvous,lesprincipaux freinsàlamodernisationenFrance ? Il y a un sérieux problème de dialogue social, très lié à la faible représentativité des syndicats. Le paradoxe est que les syndicats français ont un poids considérable alors qu’ils ont très peu d’inscrits. Cela crée une conflictualité inutile qui bloque les réformes. Le syndicat a tendance à perdre sa fonction de voix collective des travailleurs. Il devient un agent corporatiste et une force contraire aux libéralisations et aux mesures qui relancent l’économie. Souvent à l’encontre des intérêts mêmes des salariés du secteur privé. La situation est encore plus grave en France qu’en Italie, où les syndicats ont réussi à maintenir un taux de syndicalisation de 30 % [contre 8 % en France, NDLR] et une certaine présence dans le secteur privé. Quelssontlesacteurssociauxlesplus aptes à réinventer le modèle social français ? C’est un processus long et compliqué. En Italie comme enFrance,les syndicats ont souvent été une force de résistance à la réforme des retraites ces dernières années. En France, l’avantage reste que vous avezunpouvoirexécutif plusfort en mesuredefairefaceauxpartenaires sociaux.Lesystèmescolairefrançais fonctionne mieux qu’en Italie. En France, comme en Italie, il y a des difficultés à favoriser la qualité de la recherche. Mais vous n’avez pas le problème de fragmentation du système universitaire et de dispersion des énergies que nous avons en Italie avec 360 universités ! Doit-on miser sur l’émergence de nouvelles formes de contrat de travail ? La mise en place d’un contrat unique serait une voie utile, plus facile à mettre en place en France qu’en Italie.Lapropositioncentrale serait de renforcer la protection des salariés dont les garanties augmentent au fil du temps. Cela va dans le sens des propositions de contrat unique à durée indéterminée formulées par l’économiste Pierre Cahuc.Ceseraitunemanièrederemédier à la nature duale du marché du travail français, où l’on observe une Le degré de confiance des Français en leurs compatriotes est de 33 %, contre 57 % chez les Allemands. asymétrieimportanteentreletraitementconsentiàceuxquibénéficient d’un contrat à durée indéterminée et les autres. Peut-on réinventer un modèle alors que l’on évoque de plus en plus une « société de défiance »enFrance ? C’est encore pire pour les Italiens, qui sont altruistes dans la sphère privée mais égoïstes dans la sphère publique(voir notrelivre« Contro i giovani ») (1). Le degré de confiance des Italiens en leurs compatriotes est de 19 % seulement, contre33 %chezles Français, 49 % chez les Espagnols, 57 % parmi les Allemands et 64 % chez les Suédois. Le problème du déficit de confiance est lié à la faiblesse du capital social et à des coûts économiques très élevés. C’est pourquoi la voie de la « flexsécurité » est une voie plus difficile à poursuivre dans nos pays. Peut-on faire émerger de nouvelles solutions avec des formes participatives, comme par exemple les 35 blogs ouverts aux citoyens mis en place dans le cadre de la commission Attali pourrelancer lacroissance ? C’est toujours positif de sonder l’opinion publique. Mais je ne crois pasquel’onpuissetropenattendre, car les blogs sont surtout des instruments de critique. Pour faire émerger de nouvelles idées ou solutions, il existe d’autres instruments. Si on veut favoriser la démocratie sur Internet, je pense davantage à la contribution positive de sites de réflexion alimentés par des intellectuels ou des universitaires, du type lavoce.info quenousavonslancéen Italie ou telos-eu.com en France, avec lequelnous sommes en étroite collaboration. Sur lavoce, nous avons lancé l’idée d’un contrat unique permettant de concilier la flexibilité et la protection du marché de l’emploi. Nous avons également formulé des propositions sur des mesures de libéralisation. PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE DE GASQUET (1) Tito Boeri et Vincenzo Galasso, « Contro i giovani. Come l’Italia sta tradendo le nuove generazioni », 2007, Mondadori.